Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Costco Wholesale Canada Ltd. c. Roadnight

2021 QCCA 17

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027538-180

(450-17-005390-142)

 

DATE :

 8 janvier 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

 

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.

JEAN-FRANÇOIS DUFOUR

APPELANTS - défendeurs

c.

 

SUSAN ROADNIGHT

INTIMÉE - demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Saint-François (l’honorable Sylvain Provencher), qui, en date du 18 avril 2018, accueillant l’action de l’intimée, les condamne à verser diverses sommes à celle-ci, pour cause de congédiement déguisé.

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Fournier, la cour :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de première instance;

 

 

[5]           REJETTE l’action de l’intimée contre les appelants;

[6]           LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

Me Marie-Hélène Jetté

Me Catherine Cayer

LANGLOIS AVOCATS

Pour les appelants

 

Me Denis L. Blouin

DUNTON, RAINVILLE.

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

23 septembre 2020



 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[7]           L’appel soulève les deux questions suivantes :

-           La compétence exclusive conférée aux instances spécialisées chargées de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] ainsi que l’immunité de poursuite décrétée par les art. 438 et 442 de cette loi font-elles obstacle à l’action que l’intimée Roadnight a intentée à son ancien employeur, Costco Wholesale Canada Ltd. (« Costco »), ainsi qu’à son supérieur hiérarchique, l’appelant Dufour, dont le comportement aurait été la source du différend entre les parties?

-           La rupture du lien d’emploi entre l’intimée Roadnight et l’appelante Costco découle-t-elle d’un congédiement déguisé ou d’une démission libre et volontaire?

[8]           Vu la manière dont je répondrai à la première question, je n’examinerai la seconde que de manière subsidiaire.

I.          Contexte

[9]           Mme Roadnight, aide-gérante du département du service chez Costco, soutient avoir été verbalement rudoyée par M. Dufour, le nouveau directeur de l’entrepôt où elle travaille alors depuis 18 ans[2], dans un environnement qu’elle estimait jusque-là satisfaisant. En effet, le 14 septembre 2011, lors d’une rencontre (en tête-à-tête) à laquelle il l’aurait convoquée sans préavis, M. Dufour l’aurait brutalement réprimandée, insultée, dénigrée et même menacée (il lui aurait notamment reproché d’être un nuage noir sur son service et de n’être pas aimée de ses collègues). Elle en aurait été bouleversée, n’ayant aucune raison de croire que son comportement professionnel puisse donner prise à pareille critique et n’ayant jamais subi pareille remontrance. Une seconde rencontre, tenue le 28 septembre 2011, n’aurait fait qu’aggraver la situation, alors que M. Dufour, plutôt que de présenter ses excuses à Mme Roadnight ou de clarifier les raisons de l’algarade du 14, lui aurait dit assez cavalièrement qu’elle avait mal compris ses propos précédents et qu’il lui fallait, en quelque sorte, tourner la page. Fortement ébranlée par ce qu’elle perçoit comme une tentative particulièrement insensible de balayer l’affaire sous le tapis, elle se replie sur elle-même et sombre dans un état qui la force à s’absenter du travail à compter du mois de novembre 2011.

[10]        Notons immédiatement que, selon M. Dufour, les événements des 14 et 28 septembre 2011 ont peu à voir avec la description qu’en fait Mme Roadnight. Ainsi, s’il a bel et bien convoqué celle-ci le 14 septembre, c’est à la suite de la visite de deux autres employés, qui se seraient plaints du comportement de leur collègue. Le premier n’aurait pas apprécié la manière dont elle a effectué son évaluation, en public, dans le restaurant que fréquentent les membres de Costco. Le second, également évalué en public, aurait de son côté été froissé par le ton à son avis inapproprié de Mme Roadnight. Soucieux de ce que cela ne se reproduise pas, les évaluations du personnel devant être faites en privé et non en public, M. Dufour a fait venir Mme Roadnight à son bureau en vue, dit-il, de l’informer de ces plaintes et de lui recommander de ne plus agir ainsi. Et c’est bien là ce qu’il aurait fait. Il nie s’être adressé à Mme Roadnight avec brusquerie, l’avoir tancée ou avoir tenté de l’intimider. M. Dufour parle plutôt de « coaching », rappelant que l’une de ses missions en tant que nouveau directeur de l’entrepôt de Sherbrooke consistait à en améliorer le climat de travail, qui laissait globalement à désirer. Il aurait, lors de sa conversation avec Mme Roadnight, évoqué d’ailleurs le nuage noir qui flotte sur le département du service, à cet égard, mais sans nullement en mettre la responsabilité sur les épaules de Mme Roadnight. Il aurait en outre profité de l’occasion, accessoirement, pour rappeler à celle-ci qu’elle devait, en cas d’absence pour raison de santé, envoyer ses papiers au service des ressources humaines et non pas les adresser directement à l’assureur.

[11]        En cours d’entretien, M. Dufour aurait remarqué que Mme Roadnight paraissait peu réceptive, mais n’en a pas fait de cas. Sept ou dix jours plus tard, cependant, un collègue de travail lui demande pourquoi il a traité Mme Roadnight de « nuage noir », ce dont elle s’est confiée et qui l’a grandement affectée. M. Dufour se défend bien d’avoir ainsi parlé à Mme Roadnight. Il juge toutefois préférable de la revoir à ce sujet, ce qu’il fait le 28 pour s’expliquer et s’excuser du malentendu. Elle n’aurait pas bien réagi, explique-t-il, s’inquiétant de ce qu’on soit en train de « monter un dossier » contre elle, ce qu’il aurait aussitôt démenti, tentant de la rassurer.

[12]        Quoi qu’il en soit, Mme Roadnight ne se présente plus au travail à compter du 8 novembre 2011. Sauf pour les premières semaines, apparemment assumées par Costco, elle est prise en charge par l’assureur de celle-ci, Financière Manuvie (« Manuvie »), aux termes de l’assurance collective en vigueur. Elle recevra jusqu’au 20 février 2013 les prestations prévues par ce régime en cas d’absence de longue durée pour cause de maladie. Bien qu’elle s’en soit informée à l’automne 2011, elle ne porte pas plainte pour harcèlement psychologique en vertu de la Loi sur les normes du travail[3]. Au procès, elle affirmera s’en être abstenue par fidélité envers l’employeur, à l’image duquel elle ne voulait pas nuire, mais aussi par crainte de représailles de la part de M. Dufour[4]. Elle ne dépose pas non plus de réclamation en vertu de la L.a.t.m.p., déclarant lors de son témoignage que « pour la CSST, je n’ai jamais moi-même vu le lien qu’ils pouvaient avoir avec moi dans cette situation-là »[5].

[13]        Dès mars 2012, à la demande de Manuvie, un expert examine Mme Roadnight et conclut ainsi :

Examen mental :

[…]

Elle s’émeut facilement, au départ en me disant qu’elle se sent comme au tribunal, et surtout en racontant ce qu’elle a vécu au travail. Elle est inquiète et préoccupée, mais je n’observe pas de signe clinique d’anxiété, de dysphorie marquée, d’accablement. Il n’y a pas de ralentissement psychomoteur.

Je ne retrace pas de préoccupation morbide, elle cherche en vain ce qu’elle pourrait se reprocher. Elle n’a jamais été suicidaire. Il n’y a pas d’élément psychotique, notamment je n’ai pas retracé d’élaboration délirante sur ce qu’elle a vécu au travail. L’autocritique paraît préservée.

L’état de vigilance est normal. Elle ne présente pas de trouble de mémoire. Sa prestation dans le cours de l’entretien n’oriente pas vers des difficultés cognitives, je n’en décèle aucun indice.

Conclusion :

1.         Préciser le diagnostic

            Axe I : Trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive[6]

            Axe II :   Nil.

            Axe III : Nil.

            Axe IV : Situation conflictuelle au travail.

            Axe V : Dans la fourchette 61-70

2.         Indiquer les éléments cliniques qui corroborent les symptômes de l’assurée

Je n’ai pas relevé d’écart ou de contradiction entre ce qu’elle rapporte et ce que j’observe, de l’ordre d’une réaction mineure, marquée par une certaine déroute personnelle, un questionnement anxieux, une émotivité persistante.

3.         Évaluer les capacités cognitives

L’examen ne révèle pas de troubles cognitifs, mais ce qu’elle rapporte sur ce plan est tout à fait vraisemblable cliniquement, au regard de l’anxiété et des préoccupations persistantes. Un examen clinique comme celui-ci ne permet pas d’évaluer sa capacité de maintenir son attention à une tâche soutenue sur une longue période, mais il n’y a pas eu de fléchissement observable dans le cours de l’examen.

4.         Soumettre toutes recommandations de traitement

À mon avis, la médication antidépressive ne sera pas très utile et n’est pas nécessaire. Je me limiterais à une médication pour faciliter son sommeil : […]

Madame Roadnight a surtout besoin d’une intervention psychothérapique, pour l’aider à mettre les choses en perspective et résoudre cette incertitude au regard des propos qu’on lui aurait tenus, malgré les commentaires positifs que d’autres membres de son entourage professionnel lui auraient tenus.

Cela dit, il reste que la réaction résulte d’une intervention au travail et qu’en reprenant son travail elle se retrouverait au même poste, dans les mêmes conditions et, selon ce que je comprends, sous la même direction pour au moins quelques années. Elle est un peu déroutée face à cela, elle reconnaît avoir envisagé de quitter, en même temps, elle n’y est pas intéressée, elle travaille à cet endroit depuis de nombreuses années. En principe, une intervention de clarification ou de médiation serait indiquée mais selon ce que je comprends, la chose pourrait s’avérer difficile, puisque l’incident qu’elle rapporte implique l’ultime directeur local. Il y aurait lieu d’explorer les possibilités de ce côté.

[…]

6.         Identifier tout facteur ayant pu provoquer ou prolonger l’affection, y compris des facteurs liés au milieu de travail.

La réaction a été provoquée par une intervention au travail, et se maintient en raison d’une interrogation persistante, avec des préoccupations assez envahissantes. Je n’ai pas identifié d’autre élément hors du travail.

7.         Évaluer la motivation de l’assurée à retourner au travail et, le cas échéant, en apprécier l’incidence sur le tableau clinique.

Je n’ai pas relevé de défaut de motivation de l’assurée à reprendre son travail. Je retiens plutôt un questionnement persistant qui alimente ses appréhensions face à un éventuel retour dans ces conditions.[7]

[Je souligne]

[14]        Ainsi que le recommande ce rapport, Mme Roadnight aura recours aux services d’une psychothérapeute dans le cadre du programme d’aide aux employés de Costco.

[15]        Dès 2012, Manuvie a par ailleurs tenté de faciliter la réadaptation de Mme Roadnight et son retour au travail, mais en vain. La salariée, arguant de son invalidité, paraît en effet peu réceptive à l’idée de reprendre son poste alors que la situation conflictuelle à l’origine de ses ennuis n’est pas réglée, mais, en même temps, elle ne paraît pas non plus particulièrement disposée à participer au processus de réadaptation que préconise Manuvie (participation qui est d’ailleurs une condition du maintien des prestations) et qui impliquerait de trouver une solution à la situation conflictuelle ayant engendré l’incapacité. Le dossier révèle d’ailleurs à ce sujet une correspondance soutenue entre son avocat, Me Denis L. Blouin, et les représentants de Manuvie ainsi que l’échange de suggestions qui n’auront guère de succès et pas vraiment de suite[8], malgré les assurances que le premier donne aux seconds quant à la collaboration de sa cliente.

[16]        Une lettre que Manuvie adresse à Me Blouin en date du 30 novembre 2012 est à cet égard particulièrement éloquente. Elle détaille par le menu les nombreuses démarches de l’assureur auprès de Mme Roadnight et les réponses de celle-ci, pour conclure finalement que :

En résumé, l’élément déclencheur de la condition médicale de Madame Roadnight repose sur le conflit vécu au travail, et qu’il est grand temps que ce dernier soit examiné afin de tenter de trouver des solutions satisfaisantes autant pour Madame Roadnight que l’employeur, et que pour ce faire, la collaboration de madame est indispensable. Madame Roadnight est en arrêt de travail depuis maintenant un an, et déjà en mars 2012 le Dr Lepage recommandait l’intervention de démarches en réadaptation, mais malheureusement, rien n’a pu être entrepris à ce jour étant donné la réticence de Madame Roadnight.

Les évidences médicales au dossier ne supportent plus que madame ne soit pas suffisamment rétablie pour entreprendre des démarches en réadaptation dans le but de tenter de trouver une solution à la situation conflictuelle au travail et ainsi déterminer de l’approche appropriée pour favoriser son retour sur le marché du travail.

[…]

[17]        Une rencontre aura lieu par la suite, le 24 janvier 2013, entre Mme Roadnight, Me Blouin, une représentante de Costco (en l’occurrence Mme Lucie Lachance, gérante SST-Gestion de l’invalidité), ainsi qu’un spécialiste en réadaptation mandaté par Manuvie. Me Blouin remet à cette occasion un certificat médical du médecin traitant de sa cliente, faisant état de ce qu’elle « ne peut retourner au travail si le milieu agresseur de harcèlement psychologique perdure »[9], puisqu’il y a aura « rechute de son état dépressif »[10]. Il n’est pas question de cette rencontre lors du procès et, sauf pour ces bribes, nous en ignorons la teneur. Nous ignorons aussi ce que Mme Lachance, quoi qu’elle y ait appris, a pu rapporter à M. Dufour (ou autres personnes chez Costco) et nous ne savons à vrai dire pas si elle lui a rapporté quelque chose. Lors de son témoignage, au procès, M. Dufour laisse entendre que, en janvier 2013, il a été vaguement mis au courant de ce que l’affaire aurait été liée à un conflit de travail qui le concerne[11], mais sans qu’on lui explique précisément ce dont il retournait (à cette époque, il n’avait accès ni au dossier de l’assureur ni à l’information médicale concernant la salariée).

[18]        Malgré tout, estimant que Mme Roadnight est redevenue pleinement apte au travail et que son absence est due à un « problème administratif »[12] entre elle et son employeur, Manuvie cesse le versement des prestations en février 2013 (comme on l’a vu). Elle lui écrit par ailleurs le 7 février 2013 et, « dans le but d’aplanir les différences entre [elle] et [son] employeur et afin que le retour au travail se déroule de façon harmonieuse »[13], elle propose une rencontre entre Mme Roadnight et les représentants de Costco, dont M. Dufour, en présence d’un spécialiste en réadaptation. L’auteure de la lettre précise que Me Blouin ne pourra pas assister à cette rencontre, fixée au 20 février 2013, afin d’éviter « qu’un climat de confrontation s’installe »[14]. Mme Roadnight refuse cette proposition, faisant savoir par le truchement de son avocat qu’elle n’en a pas la capacité mentale et que de l’y forcer « ne contribue qu’à maintenir et réitérer l’attitude vexatoire à l’égard du respect de [sa] dignité »[15], alors qu’elle a été victime de harcèlement psychologique et d’un milieu de travail malsain. Me Blouin précise que :

Il ne faut pas inférer de la présente également, que Mme Roadnight délaisse volontairement son emploi. Mais de la manière dont on apprécie sa condition, elle réalise toutefois, par les positions prises par l’assureur et/ou l’employeur, qu’on veut l’induire à le faire.[16]

[19]        Il est utile de noter ici que la preuve ne révèle aucunement que Costco a eu son mot à dire dans la gestion du dossier de Mme Roadnight par Manuvie, et pas davantage M. Dufour. Elle ne révèle pas non plus clairement ce que l’employeur et ses représentants (notamment M. Dufour), bien qu’ils aient su que l’absence de Mme Roadnight découlait d’une incapacité psychologique, connaissaient ou ne connaissaient pas de la source exacte de celle-ci. Comme on l’a vu plus haut (supra, paragr. [17]), on ignore ce qui a pu filtrer de la réunion du 24 janvier 2013. On peut sans doute supposer que si Manuvie, dans sa lettre du 7 février 2013, offre à Mme Roadnight de rencontrer M. Dufour le 20 suivant, ce dernier a dû en être prévenu et averti de ses objectifs, sans que l’on sache pour autant ce qui lui a été dit précisément.

[20]        Des discussions subséquentes entre l’avocat de Mme Roadnight, qui conteste apparemment la cessation des prestations, et Manuvie mènent à une seconde évaluation psychiatrique, en mai 2013, dont on peut citer les passages suivants :

[…]

IMPRESSION DIAGNOSTIQUE SELON LES CRITÈRES DU DSM-IV

Axe I : Trouble d’adaptation avec humeur mixte, d’intensité modérée, en rémission partielle.

Axe II : Traits de personnalité mixte (narcissique-obsessionnelle).

Axe III : Pas de diagnostic.

Axe IV : Problèmes de relations de travail.

Axe V : Évaluation globale du fonctionnement selon l’évaluation de ce jour : cote 70.

En réponse à vos questions :

1-   Comme il a été mentionné dans ce rapport, madame a présentement un niveau d’activités quotidiennes qui se situe dans les limites de la normale. Elle peut faire ses activités de la vie domestique et quotidienne comme avant, elle fait de l’activité physique et demeure fonctionnelle dans le cadre de sa vie personnelle.

2-   Les plaintes subjectives rapportées par madame sont corroborées par des observations cliniques en entrevue (je vous reporte à la section « entrevue et examen objectif »).

3-   Madame rapporte encore actuellement un certain niveau de dysphorie, un comportement d’évitement partiel, une dyssomnie légère, une fluctuation de l’appétit. Les éléments cliniques observés en entrevue corroborent cette symptomatologie.

4-   Vous retrouverez à l’intérieur de la section « entrevue et examen objectif » l’aspect de l’apparence, l’attitude et le comportement général manifestés durant l’entrevue:

5-   Le diagnostic selon le DSM-IV vous a été mentionné précédemment.

6-   Madame demeure motivée à l’idée de retourner au travail, mais elle présente par ailleurs actuellement un processus d’évitement anxieux nécessitant la mise en place de certains éléments thérapeutiques pour éventuellement arriver à cette fin.

7-   Recommandations de traitement : je suggère que madame reprenne contact avec France Pedneault du programme d’aide aux employés, avec qui elle avait eu une bonne relation thérapeutique dans la dernière année. Madame pourrait bénéficier d’environ 6 à 10 rencontres hebdomadaires supplémentaires, dans le but de diminuer l’appréhension et le processus d’évitement en lien avec un éventuel retour au travail. Par ailleurs, au préalable, madame devra être rencontrée dans un processus de médiation/conciliation afin de dédramatiser et de clarifier la situation. Je suggère fortement que madame soit accompagnée de son avocat pour que cette dernière puisse se sentir appuyée et protégée. Cela pourra probablement favoriser sa participation. II serait souhaitable qu’elle puisse ressentir un certain appui de la part de son employeur. Cette rencontre devrait se faire normalement en présence du directeur concerné et des ressources humaines de l’employeur. Le but ultime de la rencontre est d’arriver à. une résolution de cette situation et à une éventuelle harmonisation de la relation, favoriser ainsi sa réintégration au travail.

      Par ailleurs, sur le plan pharmacologique, je suggère de remplacer le Clonazépam au coucher, par du Désyrel entre 25 et 50 mg, au besoin, dans le but de diminuer la somnolence ou la fatigue diurne relative à la prise de Clonazépam. Ce sont essentiellement la psychothérapie et l’encadrement thérapeutique qui peuvent améliorer cette situation.

8-   Madame présente actuellement une certaine dysphorie de nature anxieuse, une conduite d’évitement partielle, une dyssomnie légère à titre, de limitations fonctionnelles partielles sur le plan thérapeutique. Sa réintégration devrait se faire sur un mode de retour progressif au travail suivant la rencontre de médiation et/ou de conciliation. Compte tenu de la durée de l’absence; je suggère qu’un retour progressif se fasse sur une période, minimale de 6 semaines. Les limitations fonctionnelles mentionnées précédemment devraient rentrer dans l’ordre dans environ 8 semaines avec le plan de traitement suggéré.[17]

[Je souligne]

[21]        Bref, selon l’expert, Mme Roadnight aurait souhaité revenir au travail, tout en appréhendant néanmoins la chose. Elle serait par ailleurs en état de le faire, sous réserve d’une limitation fonctionnelle légère (dont on comprend qu’il s’agit de sa propre appréhension), laquelle devrait se résorber en huit semaines, avec le traitement thérapeutique recommandé.

[22]        On ne sait pas trop comment Mme Roadnight a réagi à ce second rapport, mais il appert qu’elle ne communique pas avec son employeur. C’est celui-ci, sous la plume de Mme Nathalie Hamel, gérante des ressources humaines de l’entrepôt, qui lui adresse une lettre dont voici le corps :

Chère Susan,

Nous sommes sans nouvelle de vous depuis plusieurs mois et espérons pouvoir vous parler pour connaître votre condition et vos intentions quant à votre emploi chez Costco.

Je suis la nouvelle Directrice-adjointe de l'entrepôt de Sherbrooke et j'aimerais discuter de votre dossier avec vous. J'ai pris connaissance de celui-ci et comprends que vous êtes en arrêt de travail depuis près de deux ans et que votre absence n'est plus supportée par Manuvie depuis février dernier.

J'ai compris par ailleurs que vous étiez motivée pour un éventuel retour au travail et que votre condition vous permettrait d'accomplir les tâches essentielles de votre travail. Il a aussi été suggéré que vous entriez en contact avec un intervenant du programme d'aide aux employés dans le but de diminuer votre appréhension face à un retour au travail.

Il serait donc impératif de me contacter, pour établir un premier contact et déterminer un possible retour au travail dans les meilleurs délais. J'attends donc que vous entriez en contact avec moi d'ici 7 jours suivant la réception de cette lettre. Vous pouvez me rejoindre au 819-[...].

Nous espérons pouvoir compter sur votre collaboration.[18]

[23]        Sauf pour ce qui ressort de la lettre elle-même et dont Mme Hamel a vraisemblablement été informée par Manuvie, on ignore le contenu du « dossier » dont parle cette lettre, mais on peut dès maintenant souligner qu’il ne comprend pas les rapports psychiatriques des 9 mars 2012 et 6 mai 2013 ni aucune autre information médicale.

[24]        S’enclenche alors une nouvelle correspondance, cette fois entre Mme Roadnight et l’employeur ou, plus exactement, entre leurs avocats respectifs. Ainsi, le 24 septembre 2013, Me Blouin, au nom de Mme Roadnight, écrit ce qui suit à Me Marie-Hélène Jetté, qui représente Costco :

[…]

Madame Roadnight comprend bien qu’un exercice de clarification de toute la situation doit être effectué et consent à ce qu’une rencontre intervienne à cette fin, tout en requérant que je l’assiste, en cohérence avec une recommandation établie par le psychiatre à cet effet.

Mon approche là-dessus n’est pas contentieuse, en ce sens qu’il me semble plus adéquat d’appuyer ma cliente à comprendre exactement les enjeux, plutôt que de tenter de convaincre qui que ce soit d’un point de droit ou de la valeur de mes opinions.

[…][19]

[25]        Me Jetté accepte l’idée d’une telle rencontre, qui, après quelques échanges supplémentaires assez anodins, est fixée au 6 novembre 2013. Y assisteront Mme Roadnight et son avocat, Me Blouin, de même que Mme Andrée Lemire, directrice des ressources humaines de Costco pour l’est du Canada, et Me Jetté. C’est là que Mme Lemire et Me Jetté apprendront la nature des griefs de Mme Roadnight à l’endroit de M. Dufour, l’existence de l’incident en deux temps survenu les 14 et 28 septembre 2011 et le lien entre cet incident et l’absence prolongée de la salariée. Il appert qu’elles n’ont par ailleurs jamais eu en main les rapports psychiatriques du 9 mars 2012 et du 6 mai 2013, que Manuvie n’a pas transmis à l’employeur. Me Blouin les fera parvenir à sa consœur[20]. Celle-ci, le 18 novembre, suggère une nouvelle rencontre, à laquelle participeraient Mme Roadnight et son avocat, de même que M. Dufour, Mme Lemire et elle-même[21]. Le 4 décembre, Me Blouin répond ceci :

Tout d'abord, mes excuses pour le retard apporté à vous répondre, ceci procédant d'une charge de travail contraignante ces derniers temps.

Toutefois, j’apprécie votre offre de rencontre. Je dois cependant la situer avec ma cliente, car, comme cette rencontre aurait lieu en présence de monsieur Dufour, cela pourrait être théoriquement contraignant pour ma cliente, laquelle est toujours dans un état de fragilité importante.

Toutefois, je suis conscient qu’il faut par ailleurs se positionner et là-dessus, je vais vérifier rapidement avec madame Roadnight, sa volonté de participer à l’exercice selon le format proposé. Je comprends ce dernier comme étant dans l’ordre d’une rencontre de facilitation et si nous parvenons à conserver cette perspective, je serai plutôt favorable à recommander cette approche à ma cliente.

[…][22]

[26]        Le 13 décembre 2013, sans nouvelles, Me Jetté relance Me Blouin, qui lui répondra le 16 décembre, suggérant quelques dates pour la réunion à venir, de même que le projet d’ordre du jour suivant :

1.   Rappel des circonstances ayant entraîné l’invalidité.

2.   Réaction des acteurs et position face à la situation;

3.   Modalités pour éviter la récurrence;

4.   Retour au travail, modalités des mises à jour des procédés et méthodes et échéancier de retour;

5.   Divers.[23]

[27]        Le 20 décembre, Me Jetté répond ainsi :

Comme vous le savez, nous cherchons à avoir une rencontre en présence de votre cliente et M. Dufour pour discuter du retour au travail de votre cliente. Nous estimons qu’un agenda aussi formel que vous le proposez n’est pas utile.

Tel que mentionné depuis le début, nous désirons que cette rencontre porte sur les modalités du retour au travail de votre cliente dans l’entrepôt de Sherbrooke, entrepôt dont est responsable monsieur Dufour. Ainsi bien que votre courriel n’en fasse pas mention, il est essentiel que les deux soient présents à cette rencontre.

[…][24]

[28]        Devant le silence de Me Blouin, Me Jetté lui réécrit le 9 janvier 2013, offrant de discuter du dossier le 16 janvier, offre qui reste sans réponse. Le 13 janvier, Me Jetté revient à la charge :

[…]

Nous sommes sans nouvelles de vous dans ce dossier et compte tenu des délais qui courent la date du 16 janvier ne fonctionne plus.

Dans un dernier effort afin de faire avancer les choses nous vous proposons soit le 4 ou le 18 février 2014 pour la tenue d’une rencontre avec votre cliente et Mme Andrée Lemire et le directeur de l’entrepôt de Sherbrooke pour discuter du retour au travail de votre cliente.

À défaut de pouvoir faire avancer ce dossier le 4 ou le 18 février prochain, nous devrons sérieusement convoquer votre cliente au travail et gérer le dossier selon les principes de la discipline progressive si elle fait défaut de revenir.

[…][25]

[29]        Me Jetté, le même jour, enverra un nouveau courriel à Me Blouin lui indiquant que la date du 18 février ne « fonctionne pas avec une des personnes »[26] et lui demandant de « confirmer que le 4 février vous convient ».

[30]        Le 14 janvier, Me Blouin répond par l’affirmative, s’expliquant par ailleurs plus avant sur sa proposition d’ordre du jour :

Pour ma part, j’ai bâti ce dernier en tenant compte de certaines recommandations de traitement formulées par le psychiatre-évaluateur, Dr Roger-Michel Poirier, dans une évaluation adressée à Synergo en date du 6 mai 2013 (vous en avez copie). À la p. 7, recommandation 7 - « Recommandations de traitement », ce médecin proposait une structure d’intervention qui requérait un processus de médiation/conciliation afin de dédramatiser et de clarifier la situation (sic). C’est dans cette optique que j’avais bâti l’ordre du jour. Autrement, il m’apparaît que de limiter les discussions vers le retour au travail seulement nie totalement les événements du passé et leurs impacts, ce qui amnistiant par voie de conséquence, tout acteur fautif ou déviant (volontairement ou involontairement) sans aucun engagement pour le futur. Dans cette mesure, c’est comme si l’invalidité procédait d’une grosse grippe provoquée par un virus externe, et que le retour au travail ne se limitait qu’à reprendre le travail à un rythme adéquat, après ou en même temps qu’une phase de mise à jour aux niveaux des procédés et méthodes appliqués dans l’organisation. L’exercice proposé nous semble justifier un ordre du jour plus détaillé, plus confrontant j’en conviens, mais à tout le moins plus conséquent avec le contenu des recommandations médicales.

J’apprécierais donc recevoir votre aval sur le contenu de ma proposition d’ordre du jour du 16 décembre 2013, de sorte à ce que l’exercice soit porteur et nous dirige vers un résultat non équivoque.

Faute de recevoir cet aval, nous aurions de la difficulté à nous engager dans un exercice qui ne porterait que sur des modalités extrinsèques aux réels intérêts des parties.[27]

[31]        Le 20 janvier, Me Jetté fait savoir ce qui suit à Me Blouin :

Nous avons rencontré votre cliente cet automne et nous avons écouté ses doléances à l’égard de la situation avec beaucoup de respect et de compréhension. Sachez au passage que nous avons également rencontré le directeur de l’entrepôt afin de lui faire un compte rendu pour le sensibiliser à la situation.

Ceci dit, le but de la rencontre avec toutes les personnes présentes, est à notre avis de permettre à Mme Roadnight de rencontrer le directeur de l’entrepôt afin de « dédramatiser » la situation, comme vous le mentionnez, le tout afin de favoriser son retour au travail. Bien entendu, il faudra aborder les modalités de ce retour. Toutefois, notre objectif est de permettre à tous de tourner la page sur le passé et de regarder vers le futur.

Votre proposition d’échéancier, surtout les éléments 1, 2 et 4 (mises à jour des procédés et méthodes) est beaucoup trop formel et ne serviront pas cet objectif qui devrait être commun. De toute façon, je ne vois pas en quoi un ordre du jour aussi « confrontant », comme vous le dites, nous permettrait l’atteinte de cet objectif de tourner la page et regarder vers le futur.

Ainsi nous cherchons à avoir une rencontre informelle mais constructive pour permettre à Mme Roadnight de reprendre le travail. Votre cliente et le directeur pourront convenir de [la] façon de communiquer dans le futur pour s’assurer d’une bonne entente.

Ceci étant précisé, comme vous le savez, votre cliente est absente depuis longtemps et plus rien ne justifie médicalement son absence. Aussi, nous avons été patient et compréhensif mais nous tenons à ce que les choses avancent et que les parties se rencontrent le 4 février, de la façon dont nous le proposons. Si cette rencontre n’a pas lieu, l’employeur n’aura d’autre choix que de gérer l’absence au travail de votre cliente selon les principes applicables.

Nous comptons sur votre collaboration et espérons vous rencontrer le 4 février prochain.[28]

[32]        Me Blouin lui répond le 28 janvier, en suggérant diverses plages horaires pour la rencontre du 4 février. Au procès, il réitérera ainsi l’objectif poursuivi par sa cliente et lui-même :

Cette rencontre-là était une deuxième rencontre, mais où monsieur Dufour était présent. L'objectif de la rencontre était, de notre côté, que madame Roadnight puisse exposer les circonstances dans lesquelles elle avait vécu, perçu, certains propos du représentant de Costco comme étant du harcèlement et qui l'a invalidée par la suite, quelques mois par la suite. Et de l'autre côté, c'était de voir est-ce qu'il y avait une possibilité quelconque et concrète, ou réelle, qui favoriserait le retour au travail de madame Roadnight ou non. Et pour ça, il était crucial pour nous d'avoir la vision, enfin, de pouvoir voir comment monsieur Dufour se comportait, parce que c'était lui un des acteurs des situations en cause. C'était l'objectif de cette rencontre-là comme telle, puis ça a fini comme ça a fini.[29]

[33]        La rencontre a bel et bien eu lieu. Elle s’est tenue dans les locaux du cabinet d’avocats de Me Blouin, réunissant celui-ci, Mme Roadnight, M. Dufour, Mme Lemire et Me Jetté. Les versions des témoins divergent quant à la manière dont elle s’est déroulée, du moins à certains égards.

[34]        Selon Mme Roadnight, M. Dufour ne l’aurait pas saluée ni même regardée. Après qu’elle eut raconté sa version des événements des 14 et 28 septembre 2011, ses interlocuteurs seraient restés de marbre, sans réaction véritable, n’offrant ni explication ni piste de solution[30]. M. Dufour, en particulier, n’aurait pas dit mot. Elle-même et son avocat se sont alors retirés. Ils ont discuté de la situation et ont conclu que la réticence des représentants de Costco, manifestement peu désireux d’assortir le retour au travail de Mme Roadnight de mesures visant à lui assurer un environnement professionnel sain et exempt de harcèlement, ne pouvait signifier qu’une chose : l’employeur ne voulait en réalité pas la réintégrer. Mme Roadnight et son avocat sont donc revenus dans la salle et Me Blouin a annoncé que, ne pouvant envisager un retour au travail dans de telles circonstances, sa cliente ne souhaitait plus reprendre son poste et désirait discuter de modalités de fin d’emploi. Là encore, les représentants de Costco seraient demeurés impassibles, sans engager la conversation.

[35]        Me Blouin, qui témoigne au procès[31], confirme pour l’essentiel ce récit. Il ajoute avoir parlé seul à seule avec Me Jetté au sortir de la réunion et lui avoir fait part de son étonnement, jugeant que, devant le refus de M. Dufour de reconnaître ses torts et d’exprimer un remords, il était préférable de « discuter des modalités d’une fin d’emploi »[32] et d’un « package »[33]. Il n’a lui-même pas relancé M. Dufour lors de la réunion et ne s’est pas adressé à lui, ni aux autres représentants de l’employeur après avoir constaté leur silence.

[36]        De son côté, M. Dufour, au cours de son témoignage, affirme au contraire avoir pris la parole et répondu brièvement à Mme Roadnight, dont l’exposé l’a d’abord laissé bouche bée, notamment par son ton combatif et empreint de rancœur. Il aurait ensuite regardé l’avocate de Costco et lui aurait demandé s’il pouvait intervenir. Il aurait alors exprimé son désaccord avec le récit de Mme Roadnight, tenté d’expliquer ce qui, à son avis, s’était véritablement passé en septembre 2011 (notamment au sujet du « nuage noir »), puis, en réponse à Me Blouin, aurait confirmé qu’il ne présenterait pas d’excuses, ce qu’on lui reproche ne s’étant pas produit. Mme Roadnight a alors effectivement quitté la réunion en compagnie de son avocat. Elle y est revenue quelques minutes plus tard, toujours avec son avocat, qui a alors signifié la démission de sa cliente.

[37]        Postérieurement à la rencontre du 4 février 2014, les choses stagnent. Mme Roadnight ne fait pas parvenir de lettre formelle de démission à l’employeur; Me Blouin ne communique pas avec Me Jetté. Le 31 mars 2014, cette dernière envoie le courriel suivant à Me Blouin :

Nous sommes sans nouvelles de vous depuis le 4 février dernier. Lors de cette rencontre, qui avait d’abord pour objectif de discuter des modalités de retour au travail de votre cliente, nous avons mis fin à nos échanges lorsque vous nous avez annoncé qu’elle ne désirait plus travailler chez Costco.

Malgré une certaine surprise de notre part, il avait alors été convenu que vous alliez nous faire parvenir dans les deux semaines une proposition afin de convenir des modalités de la fin de l’emploi de Mme Roadnight chez Costco. Or nous n’avons rien reçu depuis 8 semaines maintenant.

Comme vous le savez, votre cliente est absente du travail depuis très longtemps et plus rien ne justifie médicalement son absence depuis de nombreux mois. Aussi, nous avons été patient et compréhensif en acceptant de vous rencontrer à deux occasions, en écoutant à deux reprises la version des faits de Mme Roadnight et en vous relançant à quelques occasions afin que les choses avancent. Malheureusement, nous sommes au 31 mars 2014 et le dossier stagne depuis plusieurs mois.

Par la présente nous devons vous aviser formellement qu’à défaut de vous lire cette semaine avec une proposition de fin d’emploi qui tient compte du fait que c’est votre cliente qui prend la décision de ne pas revenir au travail et de ne pas tenter un retour au travail, l’employeur n’aura d’autre choix que de gérer l’absence au travail de votre cliente selon les principes applicables.

[…][34]

[38]        Une autre lettre suivra le 11 avril, exigeant de Mme Roadnight qu’elle reprenne le travail dans les deux semaines ou démissionne. Le 24 avril, Me Blouin répond finalement, s’excusant du « retard à donner suite à notre rencontre de février »[35], ce qui procéderait « d’une erreur de programmation au niveau de mes rappels »[36]. Il s’engage à lui faire parvenir sa position « le 25 avril, ou au plus tard le 28 avril fin de journée », ce qui fut fait. Le 25 avril, en effet, Me Blouin adresse à Me Jetté une lettre dont voici certains extraits :

[…]

Il s’est cependant avéré que l’exercice, s’il a permis à madame Roadnight de verbaliser ce qu’elle a vécu et les impacts de ce vécu, lui a aussi permis de réaliser ou constater que la personne qui l’avait affectée dans sa dignité ne reconnaissait aucunement quelque tort que ce soit, et qu’il n’y avait aucune volonté de modifier quoi que ce soit. Ma cliente a nettement eu la conviction que rien ne changeait, et que le milieu de travail serait aussi hostile pour elle qu’au moment des événements. De plus, elle a eu aussi ce sentiment, projeté par l’absence de réactions de la part de la personne visée, qu’elle exagérait la portée des faits et qu’elle était non crédible. Pourtant, la symptomatologie qu’elle avait manifestée tout au long de son invalidité avait quand même été reconnue par deux psychiatres, son médecin traitant et une thérapeute. Tous ces intervenants semblaient formuler une condition au retour au travail, c’est-à-dire, éliminer les conditions agressantes dans le milieu de travail.

Lors de la rencontre de février 2014, madame Roadnight n’a vu aucune volonté de modification d’attitude à son égard, d’où sa réaction, conforme à la recommandation de son médecin, de ne pas retourner dans ce milieu de travail, bien que cela ne procédait pas de sa volonté.

Nous croyons qu’un comportement fautif a été manifesté à l’égard de ma cliente et qu’il est dans le meilleur intérêt des deux parties de régler ce qui est maintenant un contentieux entre elles par voie de transaction, laquelle considérerait une fin d’emploi mutuellement convenue, et compensée par une indemnité de séparation adéquate, tenant compte des années de service de madame Roadnight au service de Costco. Tenant compte de la faute subie et des dommages qui en sont résultés, il y aurait nécessairement ventilation d’une réclamation en dommages. Le tout, pour éviter une judiciarisation, en temps utile.

Mais nous n’en sommes pas encore là. Là-dessus, je dois voir avec Madame Roadnight, après cette période de réflexion, ce qu’elle requiert et je vous transmettrais le tout au cours de la semaine prochaine, d’une manière plus détaillée.[37]

[39]        Le 10 juin 2014, Me Blouin fait parvenir à Me Jetté une mise en demeure dont certains paragraphes sont reproduits ci-dessous :

[…]

Au contraire, la résultante de cette rencontre donnait à croire que c’est la perception de ma cliente qui était exagérée, voire improbable dans le contexte des événements. On se souviendra également que l’objectif recherché par l’employeur en envisageant une rencontre avec l’employée depuis le mois de décembre 2013, était toujours de convenir d’une date de retour au travail et de certaines modalités, mais jamais en considérant qu’il y ait pu avoir une faute à l’égard de ma cliente en septembre et octobre 2011. Pourtant, les évaluations médicales formulées par deux psychiatres laissent voir que la perception de ma cliente n’était pas erronée et que le tout pouvait effectivement provoquer une invalidité significative. Or, tous les intervenants qui appréciaient la position de ma cliente ont toujours considéré qu’il y avait une forme de banalité aux propos du directeur en question et que ma cliente dramatisait toute la situation.

Cette dernière impression s’est clairement manifestée en février 2014 par le manque de réaction ou même la négation exprimée par le directeur de toutes ces situations, de ses gestes et des impacts que cela a pu avoir sur ma cliente.

En aucun moment, ma cliente a-t-elle eu le désir de démissionner de son emploi mais malheureusement se voit contrainte de constater qu’il ne lui est plus possible de l’exercer dans ces conditions où son directeur, qui a un rôle important dans la gestion de l’entreprise locale, démontre qu’il poursuivra ses activités à l’égard de ma cliente de la même manière qu’antérieurement, ce qui conduira ultérieurement à une récidive de la situation préexistante.

Pour ma cliente, il est clair que même si les événements ayant entraîné son invalidité se sont produits en 2011, c’est vraiment en février 2014 qu’elle a pu constater, non seulement le maintien d’une négation de son employeur, mais également la manifestation qu’il n’avait aucune intention de reconnaître l’ampleur des conséquences de ses propos ou gestes ce qui constitue, dans le contexte juridique entourant toute cette situation, un abus de droit au détriment du devoir de loyauté qui doit être exprimé par un employeur à l’égard de son employé.

J’en veux pour appui à certains propos de l’Honorable Marie-France Bich, juge à la Cour d’appel du Québec qui, avant d’occuper cette charge avait écrit :

« L’emploi du terme « esprit de loyauté » est particulièrement approprié au contrat de travail, qui fait par ailleurs grand usage du concept. Ne pourrait-on affirmer qu’appliqué à l’espèce, cet esprit de loyauté signifie que l’employeur, lorsqu’il exerce sa faculté de résiliation, doit le faire tentant de respecter (autant qu’il lui est possible de faire sans nier cet exercice) les intérêts du salarié, dans une certaine fidélité à ses engagements antérieurs? Si l’employeur néglige ces intérêts, s’il ne s’en soucie pas (même s'il croit avoir le droit de n’en pas tenir compte), si, sans raison impérieuse, il exerce son droit à contretemps, ne devrait-on pas pouvoir parler d’abus de droit? » [référence omise]

Ainsi donc, ma cliente considère qu’il y a, à son détriment, abus de droit et qu’elle se voit contrainte de délaisser un emploi à contretemps dans sa carrière et à son âge (54 ans au jour des présentes) et sans avenir vraiment prometteur à cet égard.

Tenant compte de ce qui a été exprimé en février 2014, ma cliente considère donc que si son lien d’emploi doit être résolu et terminé et dans le respect de sa propre loyauté à l’égard de l’entreprise depuis plus d’une vingtaine d’années, que les éléments financiers suivants devraient être considérés :

-                       Indemnité de séparation, équivalant sur la base d’un salaire annuel de 67 000,00 $, à 20 mois de rémunération, soit 111 666,00 $;

-      Légalement, ma cliente estime que, selon elle, il lui reste toujours dû un montant équivalent à 13 semaines de rémunération de vacances, soit la somme de 16 750,00 $;

-                       En tenant compte de son âge et du type d’activités qu’elle a menées depuis plus de 20 ans, ma cliente considère qu’une assistance en transition de carrière serait nécessaire pour une durée de 6 mois auprès d’une maison en transition de carrière reconnue, et à hauteur d’honoraires de 7 500,00 $;

L’ensemble de ces montants totalise la somme 135 916,00 $.

S’il y a accord sur l’octroi de ces sommes, notre cliente renoncerait donc par ailleurs à certains autres postes de dommages de nature plus subjective, mais qui peuvent être rendus objectifs en tenant compte de l’impact de l’attitude de l’employeur depuis février 2014.

Si un accord n’est pas intervenu en ce sens d’ici la fin du mois de juin 2014, notre cliente se verra donc dans l’obligation d’initier certaines procédures pour préserver ses droits tout en concevant que si l’employeur la considère démissionnaire, d’ici là ou en tout temps la suite, que ceci ne met aucunement en péril la possibilité qu’elle a de produire toute autre réclamation ou plainte jugées pertinente devant toute juridiction pertinente.[38]

[40]        Aucune transaction n’étant intervenue, Mme Roadnight intente donc une action à Costco et à M. Dufour. Elle recherche les condamnations suivantes :

Costco :

-    Une indemnité tenant lieu d’un délai de congé de 20 mois (111 666 $), plus la contribution qui aurait été versée pendant ce temps « au titre d’un RÉER »[39] ainsi que l’indemnité de vacances (16 750 $).

Costco et Dufour, solidairement :

-          Des dommages moraux « pour atteinte à sa dignité, pour tous les troubles, ennuis, stress, inconvénients et effets négatifs sur tous les aspects de sa vie reliés à sa perte d’emploi, pour les fautes commises par les défendeurs (…), tant par le non-respect de (…) l’obligation de la défenderesse de préserver le (…) lien d’emploi que par la façon dont (…) les défendeurs ont poussé la demanderesse à délaisser son emploi, et tenant compte de l’âge de la demanderesse, de ses possibilités limitées de réintégrer le marché du travail et de générer un revenu adéquat compatible avec celui qu’elle gagnait »[40] (80 000 $).

[41]        Il importe de noter que la demande introductive d’instance distingue le préjudice que Mme Roadnight aurait subi du fait de l’incident de septembre 2011 et celui qui découle du congédiement déguisé qui serait survenu le 4 février 2014 (préjudice qui inclut l’absence de délai de congé), la réclamation prétendant se rattacher au second et non au premier. Ainsi, on trouve dans les paragraphes suivants de cette demande, en résumé, la théorie de la cause de Mme Roadnight :

( ... ) Fautes de la défenderesse

57 -   La demanderesse invoque être en présence d'un congédiement déguisé qui va à l'encontre de sa dignité et que la défenderesse exprime un dédain et un mépris de la qualité des services au fil des ans par la demanderesse, celle-ci considère que la défenderesse est en faute à son égard pour les raisons ci-après exposées;

58 -   Elle n'a pas appliqué les recommandations qui lui étaient formulées ou induites ou suggérées par les différentes évaluations médicales alors qu'elle était au courant du contenu de ces dernières, le tout lui ayant été communiqué par la demanderesse elle-même;

59 -   Bien qu'après avoir été formellement informée des attitudes et de la nature des propos du codéfendeur formulées en 2011, la défenderesse n'a aucunement posé d'action favorisant le rétablissement d'un milieu de travail sain pour la demanderesse nonobstant le fait que la demanderesse n'avait pas logé de plainte à la Commission des Normes du Travail ou à la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail puisque le devoir imposé à un employeur n'est pas tributaire de l'existence ou non d'un tel recours;

60 -   La défenderesse a épousé une stratégie qui conduisait à forcer la demanderesse à démissionner, et ce, au mépris de la dignité de cette dernière comme si la seule personne qui avait tort dans toute cette affaire était la demanderesse elle-même;

( ... ) Fautes du codéfendeur

61 -   Le codéfendeur a agi en contradiction avec les obligations générales d'un supérieur qui doit respecter, notamment, la dignité de ses employés, et ce, sans prononcer [sic] des propos hautement vexatoires à la dignité de la demanderesse avec les conséquences que ces propos ont occasionnées;

62 -   Le codéfendeur n'a jamais reconnu avoir quelque tort que ce soit dans toute cette situation;

63 -   Le codéfendeur a conduit la demanderesse à délaisser son emploi après presque vingt ans de services auprès de la défenderesse, et ce, en posant des gestes et en refusant de réparer les torts qu'il avait causés à la demanderesse par son attitude et son comportement envers elle;[41]

[42]        Cette thèse sera réaffirmée au procès.

[43]        Costco se défend sur trois fronts :

-    la poursuite intentée par Mme Roadnight est irrecevable en raison de l’immunité de poursuite décrétée par les art. 438 et 442 L.a.t.m.p., toute l’affaire, qui se rattache à la réparation d’une lésion professionnelle alléguée et au retour au travail consécutif à une telle lésion, relevant par ailleurs de la compétence exclusive des instances spécialisées en cette matière;

-    subsidiairement, Mme Roadnight a démissionné de son propre chef et n’a pas été renvoyée, que ce soit directement ou indirectement;

-    à supposer que le tribunal conclue à congédiement, les montants réclamés sont exagérés et, en l’absence d’abus, les dommages moraux sont injustifiés.

[44]        Notons que le premier moyen de défense a fait l’objet d’une « requête en exception déclinatoire, en irrecevabilité et en rejet d’action », qui, le 17 septembre 2015, a été rejetée au stade interlocutoire, essentiellement pour le motif que le juge du fond serait mieux placé pour décider de la question au vu d’une preuve complète, essentielle dans les circonstances[42].

[45]        Le procès se tient les 22 et 23 mars 2018 et le jugement est prononcé le 18 avril suivant, donnant gain de cause à Mme Roadnight. D’avis que les art. 438 et 442 L.a.t.m.p. ne s’appliquent pas ici et que la Cour supérieure a compétence sur le litige, le juge de première instance conclut ensuite que la preuve démontre l’existence d’un congédiement déguisé, abusif de surcroît, et il prononce en conséquence les condamnations suivantes :

[128]    CONDAMNE la défenderesse Costco Wholesale Canada ltd. à verser à la demanderesse, Susan Roadnight, la somme de 100 500 $ à titre d’indemnité de congé et de rémunération de vacances, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 10 juin 2014;

[129]    ORDONNE à la défenderesse Costco Wholesale Canada ltd. de verser sa contribution55 dans le régime d’épargne enregistré de Roadnight pour une durée de 15 mois, à compter du 4 février 2014;

[130]    CONDAMNE in solidum les défendeurs à verser à la demanderesse, Susan Roadnight la somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux56;

[140]    LE TOUT avec les frais de justice.

_________

55   Le Tribunal ne condamne pas Costco à payer les intérêts au taux légal ni l’indemnité additionnelle considérant qu’aucune demande n’est faite en ce sens aux conclusions de la demande modifiée du 21 mars 2018.

56   Id., en ce qui concerne les défendeurs.

[46]        Costco et M. Dufour se pourvoient. Ils reprennent en appel la plupart des arguments présentés au juge de première instance, tout en se plaignant également du comportement indûment interventionniste de celui-ci lors du procès, ce qui aurait eu un impact direct et déformant sur la manière dont il a apprécié la preuve. Les appelants ne contestent toutefois pas le jugement au chapitre de l’indemnité de vacances. Ils ne s’en prennent pas non plus au quantum de l’indemnité de départ : celle-ci ne serait pas due puisque Mme Roadnight a démissionné librement, mais, advenant que la Cour confirme sur ce point le jugement de première instance, les appelants n’en remettent pas le montant en cause (incluant les cotisations au REER).

II.         Analyse

A.        Compétence exclusive des instances spécialisées chargées de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (art. 349 L.a.t.m.p.) et immunité de poursuite (art. 438 et 442 L.a.t.m.p.)

[47]        Selon le juge de première instance, l’action de Mme Roadnight ne relève pas de la L.a.t.m.p., mais bien du droit commun, et la Cour supérieure en était donc le forum approprié :

[64]      D’abord, contrairement à ce qu’ils avancent, le fondement de la réclamation n’est pas une lésion professionnelle au sens de la LATMP.  Roadnight ne recherche pas les bénéfices que procure cette Loi, soit la réparation de lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent [renvoi omis]. Elle ne réclame aucunement le service des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle ni le paiement d’indemnités de remplacement du revenu ou pour préjudice corporel.

[65]      Elle requiert plutôt une indemnité pour délai de congé [renvoi omis], le paiement de vacances non payées [renvoi omis], le versement de la contribution non versée de l’employeur à son RÉER [renvoi omis] et des dommages moraux [renvoi omis] en lien avec la rupture de son lien d’emploi. Bref, le recours de Roadnight en est un pour congédiement déguisé, sans plus.

[66]      Le Tribunal est d’accord avec les défendeurs que les propos tenus par Dufour sont à l’origine des problèmes de santé de Roadnight et de son absence du travail, bref qu’elle a subi une lésion professionnelle au sens de la LATMP. D’ailleurs, Roadnight admet que toute réclamation pécuniaire en lien avec la lésion professionnelle doit être dirigée vers la CNESST seulement.

[…]

[69]      À tout événement, le docteur Poirier atteste qu’au 6 mai 2013, la santé de Roadnight est rétablie. Elle n’est affectée d’aucune limitation fonctionnelle ni incapacité partielle permanente. Le seul bémol consiste à prendre des mesures appropriées pour s’assurer que le milieu de travail soit sain pour éviter la récidive [renvoi omis].

[70]      Ces mesures n’ont rien à voir avec celles visant la réadaptation professionnelle prévues à la LATMP. Ici, nous ne sommes pas dans un processus de réadaptation faisant suite à une lésion professionnelle. Roadnight n’est pas une travailleuse qui suite à une lésion professionnelle est incapable de reprendre son emploi. Ses problèmes de santé sont résorbés et elle est pleinement en mesure d’occuper son poste. Elle ne requiert pas un programme de recyclage ni d’évaluation de possibilités professionnelles encore moins des services de support en recherche d’emploi [renvoi omis].

[71]      Après le 6 mai 2013, la seule problématique à résoudre en est une de nature administrative, soit rétablir la relation entre le directeur de Costco et l’une de ses employés cadres. La situation doit être abordée que sous l’angle des droits et des obligations de l’employeur et l’employée dans le cadre de pures relations de travail.  Notamment, ceux de l’article 2087 du Code civil du Québec qui requiert qu’un employeur prenne les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié. En ce sens, la LATMP n’est pas pertinente puisqu’elle n’a pour objet que la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires [renvoi omis], ce qui n’est manifestement plus un enjeu à cette période.

[…]

[76]      Au risque de nous répéter, le fondement de la demande de Roadnight et les sommes qu’elle réclame ne sont pas en lien avec les propos et les gestes de Dufour ayant conduit à la lésion professionnelle ni avec quelque prétention quant à un manquement quelconque de Costco en lien avec cette lésion professionnelle, mais porte plutôt sur le non-respect des obligations de Costco à titre d’employeur et la commission d’une faute extracontractuelle de Dufour lors de la rencontre du 4 février 2014 survenue plusieurs mois après la consolidation de la lésion professionnelle.

[…]

[78]      Ici, la démission de Roadnight ne fait pas suite aux rencontres de septembre 2011 où elle a été dénigrée, méprisée, mais plutôt de celle qui s’est tenue plus de deux ans plus tard, dans un tout autre contexte.

[…]

[84]      Par conséquent, une lecture attentive de cet arrêt supporte plutôt la position soutenue par Roadnight que son recours ne relève point de la compétence de la CNESST.  Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la réclamation de Roadnight telle qu’elle est libellée ne relève pas du ressort exclusif de la CNESST et les défendeurs ne peuvent bénéficier de l’immunité de poursuite prévue aux articles 438 et 442 de la LATMP.

[48]        En tout respect, je ne partage pas ce point de vue. À mon avis, l’objet de l’action intentée par Mme Roadnight s’inscrit clairement dans le champ de compétence exclusive décrit par l’art. 349 L.a.t.m.p., ne peut relever de la Cour supérieure et se heurte de plus aux art. 438 et 442 L.a.t.m.p. Cette action est en conséquence irrecevable et aurait dû être rejetée.

* *

[49]        Rappelons d’abord que le régime mis en place par la L.a.t.m.p. comporte les deux grands objectifs suivants, que consacre son art. 1 :

1.         La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.

1.         The object of this Act is to provide compensation for employment injuries and the consequences they entail for beneficiaries.

            Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d’indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d’indemnités de décès.

            The process of compensation for employment injuries includes provision of the necessary care for the consolidation of an injury, the physical, social and vocational rehabilitation of a worker who has suffered an injury, the payment of income replacement indemnities, compensation for bodily injury and, as the case may be, death benefits.

            La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle.

            This Act, within the limits laid down in Chapter VII, also entitles a worker who has suffered an employment injury to return to work.

 

[Je souligne]

[50]        La L.a.t.m.p., qui est d’ordre public (art. 4) et de recours obligatoire[43], s’applique à tout travailleur (art. 2[44]) victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (art. 7) et elle comporte un faisceau de droits et de mécanismes visant à assurer la réalisation des objectifs qu’énonce l’art. 1, à savoir la réparation des lésions professionnelles et le retour au travail, en un régime dont la mise en œuvre est entièrement financée par les employeurs (art. 281). On peut noter immédiatement que le juge de première instance a ignoré cette seconde visée de la L.a.t.m.p., estimant que celle-ci n’est pas pertinente au débat puisqu’elle « n’a pour objet que la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires »[45], négligeant ainsi le troisième alinéa de l’art. 1 L.a.t.m.p. et, par conséquent, l’ensemble des dispositions qui s’y rattachent, mais faussant également son raisonnement, fondé sur une prémisse inexacte[46].

[51]        La L.a.t.m.p. énonce par ailleurs ce qui suit :

349.     La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu’une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

349.     The Commission has exclusive jurisdiction to examine and decide any question contemplated in this Act unless a special provision gives the jurisdiction to another person or agency.

438.     Le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.

438.     No worker who has suffered an employment injury may institute a civil liability action against his employer by reason of his employment injury.

442.     Un bénéficiaire ne peut intenter une action en responsabilité civile, en raison de sa lésion professionnelle, contre un travailleur ou un mandataire d’un employeur assujetti à la présente loi pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions, sauf s’il s’agit d’un professionnel de la santé responsable d’une lésion professionnelle visée dans l’article 31.

442.     No beneficiary may bring a civil liability action, by reason of an employment injury, against a worker or a mandatary of an employer governed by this Act for a fault committed in the performance of his duties, except in the case of a health professional responsible for an employment injury contemplated in section 31.

            Dans le cas où l’employeur est une personne morale, l’administrateur de la personne morale est réputé être un mandataire de cet employeur.

            Where the employer is a legal person, the administrator of the legal person is deemed to be a mandatary of the employer.

[52]        Il ressort de ces trois articles le principe fondamental en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, principe que la Cour, sous la plume de la juge Otis, explique en ces termes dans Protestant School Board of Greater Montreal c. Williams[47] :

[39]      À propos de l'élaboration du régime collectif d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles (LATMP), monsieur le juge Gonthier a écrit, dans Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, à la page 401 :

Les principes ayant animé l'intervention législative depuis les tout débuts subsistent dans le nouvel ensemble législatif. Ainsi l'abandon de toute référence à la faute civile (art. 25) et la consécration de la notion de risque professionnel animent la LATMP.

[…]

Enfin, la compétence pour décider de toute affaire liée à la LATMP est exclusivement confiée à la CSST (art. 349). Ceci explique, notamment, la prohibition de tout recours en responsabilité civile contre l'employeur de la victime (art. 438) et contre le coemployé qui aurait commis une faute dans l'exercice de ses fonctions (art. 442).

L'évolution et les caractéristiques de cet ensemble normatif permettent de conclure à sa large autonomie face au droit commun. Il transpose un compromis social, longuement mûri, entre diverses forces contradictoires.

[…]

En fait, la LATMP […] établit en effet un système d'indemnisation fondé sur les principes d'assurance et de responsabilité collective sans égard à la faute, axé sur l'indemnisation et donc sur une forme de liquidation définitive des recours.

[40]      Le régime québécois d'indemnisation en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles constitue un régime universel, d'ordre public, qui prévoit, notamment, l'établissement de structures paritaires afin de permettre aux travailleurs et aux employeurs de collaborer à la mise en œuvre des buts visés par la loi et qui attribue, à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), de larges pouvoirs discrétionnaires dans l'exercice de sa compétence.

[41]      À cet égard, la cohésion et la complétude de cet ensemble normatif se manifestent, notamment, par l'existence d'une procédure de réclamation homogène soumise à un contrôle interne d'opportunité à plusieurs paliers : demande d'indemnisation d'un travailleur, décision de la CSST, faculté de reconsidération par la CSST, demande de révision administrative, appel à la Commission des lésions professionnelles (CLP) dont les décisions sont finales et sans appel etc. Les décisions de la CSST et de la CLP sont protégées par des clauses privatives qui les soustraient à l'intervention judiciaire des tribunaux de droit commun sauf en ce qui a trait aux questions de compétence (articles 350 et 429.59 LATMP).

[…]

[44]      La détermination de la nature et de l'existence d’une lésion professionnelle visée par la LATMP est une matière que le législateur a retranchée de la compétence des tribunaux de droit commun pour la réserver - en exclusivité - à l'autorité décisionnelle des instances spécialisées (CSST - CLP). Généralement, cette détermination procèdera de l'analyse de la preuve ordinaire et médico-légale dans le respect de la ligne décisionnelle établie par les instances spécialisées qui en assurent la constance et l'évolution. D'ailleurs, cet ensemble normatif qui découle, largement, d'un pacte transactionnel entre travailleurs et employeurs constitue un régime collectif d'indemnisation et de réparation des lésions professionnelles complet et autonome. Les tribunaux de droit commun pénètreront cet ensemble normatif essentiellement dans la sphère qui leur est expressément réservée : la révision judiciaire. Ainsi, ils ne pourront - au premier chef et avant que les instances spécialisées se prononcent - déterminer, après administration d'une preuve, si un travailleur a subi une lésion consécutive à un accident de travail. […]

[…]

[48]      De plus, dans Genest c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, J.E. 2001-213 (C.A.), les parties ont tenu pour acquis, devant la Cour, que le fondement du recours de G. Beaudet était une maladie survenue par le fait ou à l'occasion du travail. Conséquemment, le débat portait essentiellement sur l'existence d'une immunité civile lorsque la personne souffrant d'une lésion professionnelle n'avait pas présenté de réclamation à la CSST.

[49]      Dans le dossier faisant l'objet du pourvoi, aucune instance compétente en vertu de la latmp ne s'est jamais prononcée sur l'existence d'une lésion professionnelle. La Cour supérieure n'avait pas la compétence pour décider - en premier ressort - d'une matière que le législateur a expressément et exclusivement accordée à une instance spécialisée. Sauf une question de compétence, seule l'erreur manifestement déraisonnable pourra autoriser le contrôle judiciaire de la Cour supérieure. En l'espèce (1) la volonté clairement exprimée par le législateur, (2) l'existence de la révision comme seul mode de contrôle judiciaire, (3) le danger de créer des courants décisionnels parallèles par l'immixtion des tribunaux de droit commun et (4) le domaine d'expertise et les ressources de la CSST et de la CLP établissent que la détermination de ce que constitue une lésion professionnelle est définitivement du ressort des instances spécialisées prévues par la LATMP.

[50]      Ayant conclu que la Cour supérieure n'avait pas compétence pour déterminer si W. Williams avait subi une lésion professionnelle, la solution remédiatrice devrait résider dans la suspension de l'instance et le renvoi de la question litigieuse devant la CSST.

[Je souligne]

[53]        Malgré ce dernier paragraphe, la Cour ne renverra toutefois pas l’affaire aux instances désignées par la L.a.t.m.p., mais opposera plutôt une fin de non-recevoir au moyen d’irrecevabilité soulevé par l’employeur, celui-ci l’ayant fait valoir pour la première fois plus de 10 ans après l’introduction de l’action. Un tel remède ne saurait être appliqué ici, alors que l’irrecevabilité du recours de Mme Roadnight a été soulevée promptement et en temps utile.

[54]        Bref, la L.a.t.m.p. crée un régime autonome et complet (« clos sur lui-même », écrit le juge LeBel dans de Montigny c. Brossard (Succession)[48]), conférant aux travailleurs le droit à l’indemnisation, le droit à la réadaptation ainsi que le droit au retour au travail et mettant à leur disposition une variété de recours[49]. L’application de ce régime est entièrement et exclusivement confiée à une instance spécialisée[50] (art. 349 L.a.t.m.p.), dont les décisions peuvent faire l’objet d’un appel devant une autre instance spécialisée à compétence exclusive[51], le tout à l’exclusion des tribunaux de droit commun (sauf par le truchement du contrôle judiciaire), ce que renforce l’immunité de poursuite décrétée par l’art. 438 L.a.t.m.p. Cette immunité elle-même, très vaste, fait partie du compromis social et historique en la matière : les employeurs financent le régime, sous tous ses aspects (art. 281 L.a.t.m.p.), et, en échange d’une prise en charge complète du travailleur par les instances spécialisées, ne peuvent être poursuivis en justice pour tout ce qui se rapporte à une lésion professionnelle et aux droits ou recours y afférents, immunité qui s’étend aux collègues de travail (art. 442 L.a.t.m.p.).

[55]        Cette double immunité (employeur, collègues) s’applique dès lors que la situation du travailleur est potentiellement visée par la L.a.t.m.p., y compris dans le cas où il ne recourt pas au régime établi par cette loi : pour emprunter à l’auteure Nadeau, « ce n’est donc pas le fait d’obtenir une compensation qui prive la victime de son recours devant les tribunaux de droit commun, mais plutôt le fait que l’événement tombe sous l’égide de la LATMP »[52], loi qui touche, comme on l’a vu, non seulement l’indemnisation du travailleur affligé d’une lésion professionnelle, mais aussi sa réadaptation et son retour au travail.

[56]        Comme l’écrit la Cour dans Genest c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[53] :

[20]      La prohibition de recours multiples contre l'employeur d'une victime de lésion professionnelle ne saurait découler du choix de cette dernière de recourir ou non à l'indemnisation en vertu de la LATMP. Cette option ne lui est pas offerte puisque l'article 438 LATMP lui défend d'intenter une action en responsabilité civile en raison de sa lésion professionnelle. Toute autre interprétation aurait pour effet de rendre optionnel le régime d'indemnisation de la LATMP et de contourner l'interdiction énoncée à l'article précité. Cela suffit pour rejeter l'argument voulant qu'en l'absence de demande d'indemnisation auprès de la CSST, le recours de l'article 49 de la Charte demeure ouvert.[54]

Et, pourrait-on ajouter, tout autre recours en responsabilité civile (contractuelle ou extracontractuelle) à l’endroit de l’employeur ou d’un collègue est pareillement prohibé.

[57]        Cette immunité ne connaît d’exception que si une « disposition particulière […] donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme / unless a special provision gives the jurisdiction to another person or agency » (art. 349 L.a.t.m.p.), ce qui est par exemple le cas des art. 81.20 et 123.6 et s. L.n.t., applicables en matière de harcèlement psychologique au travail (situation qui peut en effet donner prise à l’application de la L.a.t.m.p.)[55].

[58]        Outre l’affaire Genest, la Cour s’est penchée à plusieurs reprises sur les art. 349, 438 et 442 L.a.t.m.p. Son enseignement est bien expliqué par le juge Chamberland qui, au terme d’une revue de la jurisprudence, en propose le récapitulatif suivant dans Ghanouchi c. Lapointe[56], en 2009 :

[35]      De toutes ces décisions, je retiens ceci :

·         L'immunité civile de l'employeur et du coemployé est de grande portée et elle vise le recours en dommages (compensatoires et exemplaires) offert par la Charte qui prend appui sur les événements constitutifs de la lésion professionnelle; par ailleurs, les autres remèdes prévus par la Charte (par exemple, les mesures de redressement) demeurent disponibles pour la victime;

·         l'immunité civile de l'employeur et du coemployé s'étend tant au préjudice indemnisé par le régime collectif d'indemnisation qu'à celui pour lequel la législation particulière n'offre aucune compensation;

·         l'immunité civile de l'employeur et du coemployé existe indépendamment du choix fait par la victime de recourir ou non à l'indemnisation en vertu de la LATMP;

·         le principe de l'immunité civile de l'employeur et du coemployé ne tient pas lorsque la réclamation vise essentiellement à réparer une atteinte à la réputation découlant de propos diffamatoires tenus ou publiés, mais il est possible que, dans un cas donné, de tels propos diffamatoires puissent constituer un « accident du travail » et entraîner une « lésion professionnelle »;

·         le concept de « lésion professionnelle », au sens de la LATMP, exclut toute idée d'atteinte à la réputation; d'ailleurs, les dommages compensatoires pour atteinte à la réputation ne sont pas pris en compte dans le régime collectif d'indemnisation des accidents du travail.

[36]      Il y a donc immunité civile de l'employeur et de l'employé, selon les articles 438 et 442 LATMP, lorsque a) les événements à l'origine du recours constituent un « accident du travail » entraînant une « lésion professionnelle » et b) le recours vise à réparer un préjudice autre que l'atteinte à la réputation, et ce, peu importe que le demandeur ait choisi, ou non, de recourir au régime public d'indemnisation des travailleurs mis en place en vertu de la LATMP.

[59]        La Cour renchérit dans Normandin c. Banque Laurentienne du Canada inc.[57], affaire qui présente des similitudes avec l’espèce. L’appelante, victime, aux mains de son supérieur, d’un traitement qu’elle estime infamant, sombre dans un état dépressif qui la force à s’absenter pendant plusieurs mois. Alors qu’elle se prépare à revenir au travail, son avocate communique avec l’employeur afin de « connaître les mesures qui ont été prises ou qui seront prises, pour corriger la situation vécue par sa cliente avant sa mise au repos forcée »[58]. L’employeur ne répond pas et l’appelante démissionne. Elle intente ensuite une action dans laquelle, à l’origine, elle réclame une indemnité de départ résultant de ce qu’elle estime être un congédiement déguisé, sans préavis, ainsi que des dommages moraux rattachés aux épisodes de harcèlement qu’elle a vécus et à l’atteinte psychique qui en a découlé. Elle abandonne par la suite la réclamation relative à l’indemnité de départ. Statuant au stade de l’irrecevabilité, la Cour explique que :

[21]      Il est acquis qu'une lésion de nature psychologique peut, selon les circonstances, constituer une « lésion professionnelle » au sens de la LATMP. Il est également acquis qu'en cette matière, la notion d'« accident du travail » est interprétée plus largement, permettant ainsi au travailleur de démontrer qu'il a été victime d'une série d'événements qui, pris isolément, peuvent paraître bénins, mais qui, en les additionnant les uns aux autres, deviennent importants et constituent l'« événement imprévu et soudain » auquel la définition législative réfère.

[22]      Dans Skelling c. Québec (Procureur général) [renvoi omis], la Cour conclut que le fondement du recours de Mme Skelling est une lésion professionnelle survenue à l'occasion de son travail. Dans cette affaire, l'appelante soutenait avoir subi, sur les lieux de son travail, du harcèlement psychologique résultant des comportements hostiles, des abus, des railleries, des insultes, des colères injustifiées et des attaques verbales, et même parfois physiques, de sa supérieure hiérarchique. Même si les gestes que l'appelante reproche ici à ses supérieurs sont à plusieurs égards différents, il n'en demeure pas moins que, dans les deux cas, il s'agit de harcèlement psychologique en milieu de travail menant à du stress, à de l'humiliation et à une sérieuse perte de confiance. En l'espèce, l'appelante ne conteste pas le lien de causalité direct entre son travail et ses problèmes de santé; tous les événements à la base de son recours - et qu'elle décrit avec force détails dans sa longue lettre du 1er septembre 2005 - se sont déroulés dans le cadre de sa relation de travail.

[23]      Il convient finalement de noter que, dans l'affaire Skelling, comme ici, l'employée avait choisi de ne pas présenter de demande d'indemnisation à la CSST, ce qui n'a pas empêché la Cour de conclure que les articles 438 et 442 de la LATMP empêchaient l'exercice de tout recours en responsabilité civile contre l'employeur et la coemployée prétendument fautive [renvoi omis].

[24]      Le recours dont le fondement est une « lésion professionnelle » au sens de la LATMP relève de la compétence exclusive de la CSST et l'employeur (de même que le coemployé qui aurait commis une faute dans l'exercice de ses fonctions) bénéficie d'une immunité civile très étendue [renvoi omis].

[25]      L'appelante ne remet pas en question ces principes; elle plaide plutôt que sa maladie ne découlait pas d'un « accident du travail » au sens de la LATMP puisque les gestes reprochés à l'intimée avaient été posés de façon délibérée et intentionnelle, dans le but exprès de l'amener à quitter son emploi. L'argument ne tient pas. Le régime d'indemnisation établi par la LATMP est fondé sur les principes d'assurance et de responsabilité collective sans égard à la faute [renvoi omis]. La notion d'« accident du travail » inclut donc nécessairement les gestes intentionnels posés par l'employeur ou par un coemployé dans l'exercice de ses fonctions [renvoi omis].

[26]      L'appelante nous demande de corriger ce qu'elle considère être une lacune de la LATMP. Selon elle, le régime d'indemnisation ne devrait pas payer à la place d'un employeur lorsque celui-ci, de façon délibérée et intentionnelle, crée autour d'un(e) employé(e) un climat de harcèlement psychologique en vue d'obtenir sa démission. Il est loin d'être clair que la LATMP - qui, faut-il le rappeler, est le résultat d'un compromis social - comporte la lacune que l'appelante y voit, mais, à tout événement, si lacune il y a, il ne nous appartient pas d'y remédier.

[27]      Le juge de première instance conclut que la totalité des dommages réclamés par l'appelante [renvoi omis], à l'exclusion de la réclamation pour indemnité de vacances (par ailleurs prescrite), constituait, dans les circonstances, un recours fondé sur une « lésion professionnelle » au sens de la LATMP.

[28]      L'appelante plaide qu'il s'agit plutôt de dommages découlant de son « congédiement déguisé ». L'argument ne tient pas. Premièrement, lorsque l'appelante amendait sa requête introductive d'instance pour la troisième fois, le 16 juillet 2009, elle abandonnait sa réclamation pour « indemnité de départ » (ou « délai de congé ») [renvoi omis] et y substituait une réclamation pour « indemnité de vacances » impayée. Deuxièmement, il serait erroné d'isoler la démission de l'appelante du reste des événements décrits dans la requête introductive d'instance. La démission n'est que la dernière conséquence liée au climat de harcèlement psychologique dont l'appelante aurait été victime. Le juge de première instance n'a donc pas eu tort de dire que le recours de l'appelante était, dans sa totalité, fondé sur une « lésion professionnelle » au sens de la LATMP.

[Je souligne]

[60]        Dans Richer c. Hydro-Québec[59], la Cour avait par ailleurs déjà confirmé l’irrecevabilité d’une action en responsabilité civile intentée contre l’employeur après que la CSST eut rejeté la réclamation du travailleur et conclu à l’absence d’une lésion professionnelle. L’arrêt illustre bien le caractère extensif de la compétence exclusive dévolue aux instances chargées de l’application de la L.a.t.m.p. et celui de l’immunité de poursuite que prévoit celle-ci, et il mérite d’être reproduit ici dans sa presque totalité :

[1]        L'appelante poursuit l'intimée pour 300 000 $ en dommages et intérêts, alléguant que cette dernière est responsable de sa surdité.

[2]        L'intimée a présenté une requête en irrecevabilité à l'encontre de la requête introductive d'instance de l'appelante. Le juge de première instance l'a accueillie en décidant que seules les instances créées par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ont compétence pour décider des questions que pose le recours de l'appelante. C'est ce jugement qui fait l'objet du présent pourvoi.

[3]        En juin 1999, l'appelante a fait une réclamation pour lésion professionnelle auprès de la CSST. Sa demande a été rejetée le 15 février 2000, alors que la CSST a déclaré qu'elle ne souffrait pas d'une lésion professionnelle. Cette décision fut maintenue à la suite d'une révision administrative de la CSST, le 7 septembre 2000, ainsi que par la Commission des lésions professionnelles (CLP), le 8 février 2001. Le 17 juin 2003, la commissaire Mireille Zigby a rejeté la requête de l'appelante en révision de la décision de la CLP.

[4]        L'appelante plaide principalement que la Cour supérieure a compétence pour statuer sur sa demande puisque la CSST a rejeté sa réclamation en décidant que sa surdité n'était pas une lésion professionnelle au sens de la LATMP. Cette loi ne trouvant pas application, elle peut désormais s'adresser aux tribunaux de droit commun pour obtenir réparation.

[5]        En vertu de l'article 438 de la LATMP, un travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion. Par ailleurs, l'article 349 de cette même loi édicte que la CSST a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la LATMP, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[6]        Dans la présente affaire, l'appelante fonde sa réclamation, dans sa requête introductive d'instance, sur le fait qu'elle souffre d'une surdité professionnelle avec acouphène sévère due à ses conditions de travail chez l'intimée. Il s'agit exactement de la même question que celle déjà tranchée par la CSST et la CLP.

[7]        La Cour suprême, dans l'arrêt Béliveau St-Jacques c. FEESP [renvoi omis], a décidé que les lésions professionnelles échappaient au domaine de la responsabilité civile. Notre Cour, dans l'arrêt Genest c Commission des droits de la personne et de la jeunesse [renvoi omis], a statué dans le même sens.

[8]        Même si l'appelante n'a pas eu gain de cause devant la CSST et la CLP, elle ne peut intenter un recours en dommages et intérêts contre l'intimée dont le fondement est une lésion professionnelle.

[9]        Vu la conclusion à laquelle la Cour en arrive sur la compétence de la Cour supérieure, il n'y a pas lieu de décider des autres questions.

[Je souligne]

[61]        Plus récemment, dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la Cour infirme le jugement de la Cour supérieure ayant cassé une décision de la Commission de la fonction publique (CFP)[60] statuant sur la portée de l’art. 438 L.a.t.m.p. La situation factuelle peut être résumée ainsi : après avoir été l’objet d’un déplacement constituant une mesure disciplinaire déguisée, une salariée cadre s’enfonce dans une dépression qui entraîne un arrêt de travail au cours duquel elle recevra les prestations prévues par le régime d’assurance salaire gouvernemental qui lui est applicable; alors qu’elle se rétablit, son médecin recommande un retour au travail dans un poste au sein d’un autre ministère, ce qui ne se matérialise pas, sa candidature à divers postes n’étant pas retenue ou aucune réponse ne lui étant donnée. La salariée (qui n’a jamais recouru au régime de la L.a.t.m.p.) s’adresse à la CFP, réclamant divers dommages pécuniaires, moraux et punitifs. Après avoir reconnu l’existence d’une mesure disciplinaire déguisée[61], la CFP fait subséquemment droit, pour partie, à sa demande d’indemnisation[62]. Elle reconnaît que, en raison de l’art. 438 L.a.t.m.p., tel qu’interprété dans l’arrêt Genest[63], la salarié ne peut réclamer de l’employeur les pertes pécuniaires ou morales rattachées à cette portion de son absence pendant laquelle elle était invalide, puisque « il est plus probable qu’improbable que son invalidité, sa dépression, aurait été reconnue comme une lésion professionnelle étant donné la preuve que son médecin, comme elle l’a dit, considérait qu’elle découlait d’un évènement survenu dans le cadre de sa relation de travail avec le MICC »[64], mais qu’elle peut toutefois les réclamer pour la période au cours de laquelle elle aurait pu bénéficier d’un retour progressif au travail qui n’a jamais eu lieu.

[62]        Cette décision est portée en révision en vertu de l’art. 123, al. 2 de la Loi sur la fonction publique[65] et infirmée. La CFP, statuant en révision, estime que le premier commissaire a erré en distinguant la période d’invalidité de la salariée et celle de son retour progressif au travail, alors qu’elle souffre encore de certaines limitations fonctionnelles et ne peut réintégrer son emploi dans le même ministère, toute cette situation se trouvant visée par l’art. 438 L.a.t.m.p. :

[62]      La Commission en révision n’est pas d’accord avec cette conclusion du commissaire Hardy. Ce dernier commet une deuxième erreur en distinguant la période de retour progressif au travail de Mme Bouchard de celle de son déplacement irrégulier, lequel est à l’origine de la lésion professionnelle et donc du recours en dommages.

[63]      Après avoir conclu que la lésion professionnelle n’existait plus depuis le 27 février 2014, le commissaire Hardy considère en effet que l’employeur a commis une faute en ne réussissant pas à muter Mme Bouchard à un autre emploi équivalent au sien. Toutefois, le commissaire Hardy affirme tout de même que c’est à cause de sa condition, qui fait suite à la mesure disciplinaire déguisée, que Mme Bouchard doit être mutée dans un autre ministère.

[64]      Des propos du commissaire Hardy, la Commission en révision comprend qu’il a tenté d’inférer une faute au MICC, étrangère à la lésion professionnelle et non couverte par l’immunité civile de la LATMP. Le commissaire Hardy a justifié sa compétence pour se prononcer sur cette prétendue faute de l’employeur de ne pas avoir réussi à muter Mme Bouchard dans un autre ministère en reconnaissant toutefois un lien avec la lésion professionnelle. Plus précisément, le commissaire Hardy déclare au paragraphe 107 de sa décision :

[…]

[65]      La Commission en révision est d’avis que le raisonnement du commissaire Hardy, pour conclure à une faute du MICC postérieure au 27 février 2014 et étrangère à la lésion professionnelle de Mme Bouchard, est complexe, contradictoire et illogique.

[66]      Pour la Commission en révision, il ne fait aucun doute que tous les dommages réclamés par Mme Bouchard ont le même fondement, soit son déplacement irrégulier qui a été considéré comme une mesure disciplinaire déguisée. Ce déplacement irrégulier étant à l’origine de la lésion professionnelle, l’immunité civile prévue à l’article 438 de la LATMP trouve donc pleinement application à l’égard de tout recours en dommages résultant de ce déplacement. Le commissaire Hardy a gravement erré en concluant autrement.

[…]

[67]      La présente affaire se distingue de la décision Smith c. Willis Brezolot & Cie inc. de la Commission des relations du travail soumise par Mme Bouchard.

[68]      Dans cette décision, la Commission des relations du travail déclare, au paragraphe 43, que « l’immunité civile prévue à la LATMP s’étend aux évènements constitutifs de la lésion professionnelle et aux dommages en lien avec cette lésion ». Elle donne toutefois droit à la réclamation puisque « le congédiement est survenu postérieurement à la lésion professionnelle et qu’il n’était donc pas un évènement qui a pu engendrer la lésion ». Pour la Commission des relations du travail, l’immunité civile ne pouvait exonérer l’employeur pour tout geste illégal commis après la survenance d’une lésion professionnelle. Dans cette affaire, la réintégration était impossible à cause de la rupture du lien de confiance entre les parties. L’immunité civile ne pouvait donc pas s’appliquer puisque le congédiement ne résultait pas de la lésion professionnelle. Dans la présente affaire, la preuve médicale a plutôt démontré que la réintégration de Mme Bouchard au sein du MICC est impossible justement à cause de sa lésion professionnelle et d’une incapacité fonctionnelle qui perdure.[66]

[63]        La Cour supérieure cassera cette décision[67], laquelle sera toutefois rétablie par notre cour, qui, dans un court arrêt prononcé séance tenante, l’estime raisonnable :

[21]      Cette conclusion est également raisonnable et fait partie des issues possibles au regard des faits et du droit.

[22]      Cette erreur lui permettait d’ailleurs d’intervenir et d’annuler les condamnations en dommages-intérêts contenues à la décision CFP2 indépendamment du bien-fondé de sa première conclusion voulant que le commissaire ait commis une erreur sur la question de l’existence de la lésion professionnelle de l’intimée à compter du 27 février 2014. L’immunité édictée par l’article 438 de la Loi empêche en effet toute action en responsabilité contre l’employeur en raison d’une lésion professionnelle. Ainsi, aucune action en responsabilité n’est ouverte contre l’employeur en l’absence d’une faute distincte de sa part, causant des dommages autres que ceux découlant de la lésion professionnelle.[68]

[64]        Quelques mots enfin de l’arrêt Longueuil Nissan c. Charbonneau[69]. Dans cette affaire, l’intimée, directrice commerciale de l’établissement de l’appelante, doit s’absenter du travail en raison d’un épuisement professionnel qui, après le décès de deux proches[70], se transforme en une dépression profonde qui l’empêche de revenir au travail. Elle reçoit pendant son absence les prestations d’assurance invalidité prévues par le régime mis en place par l’employeur. Alors qu’elle est toujours en congé, l’actionnaire principal et dirigeant de l’appelante lui téléphone et lui reproche en termes virulents de feindre la maladie et de mentir, il menace de couper ses prestations et de renvoyer les chèques à l’assureur, l’accuse de fraude et d’abus au détriment de l’employeur et de ses propres collègues de travail, dont les cotisations au régime d’assurance serviraient à payer son absence, etc. Cette agression verbale ébranle l’intimée. Celle-ci (qui redeviendra subséquemment apte au travail) estime qu’il lui est impossible de reprendre son poste chez l’employeur en raison de la « rupture de l’essentiel lien de confiance qui doit exister entre le propriétaire et la titulaire du poste de directrice commerciale »[71]. Elle poursuit l’employeur en justice, alléguant avoir subi un congédiement déguisé et réclamant une indemnité de départ ainsi que des dommages moraux et exemplaires. La Cour supérieure fera droit à son action en ce qui concerne l’indemnité de départ, mais non pas les deux autres chefs de réclamation, ce que confirmera la Cour.

[65]        Cet arrêt se distingue des affaires étudiées plus haut et n’y déroge pas. En effet, selon ce qui ressort des faits rapportés par le jugement de première instance et celui de la Cour, l’invalidité de l’intimée ne découlait pas d’un accident du travail au sens de la L.a.t.m.p. et ne constituait pas (ni n’était susceptible de constituer) une lésion professionnelle au sens de cette loi. Le coup de fil intempestif de l’employeur n’y était pas davantage lié. La question de la compétence des tribunaux de droit commun ou de l’immunité de poursuite ne fut donc jamais soulevée.

[66]        En somme, selon cette jurisprudence, par l’effet combiné de la réserve de compétence prévue par l’art. 349 L.a.t.m.p.[72] et de l’immunité de poursuite qu’énoncent les art. 438 et 442 L.a.t.m.p., la personne dont le préjudice est susceptible de constituer une lésion professionnelle doit recourir au régime d’ordre public établi par la L.a.t.m.p. et user, le cas échéant, des recours prévus par celle-ci, sans être en mesure d’intenter en lieu et place (ou en complément) une action en responsabilité civile (contractuelle ou extracontractuelle) contre l’employeur ou un collègue. Autrement dit, le régime établi par la L.a.t.m.p. n’est pas « optionnel », pour reprendre le mot de la Cour dans l’arrêt Genest. Celui ou celle qui fait défaut d’y recourir dans le cas d’une lésion professionnelle[73] ne peut s’autoriser ensuite des règles générales du droit commun (y compris les art. 2085 et s. C.c.Q.) pour se tourner vers les tribunaux judiciaires et réclamer, sous la forme de dommages-intérêts, ce qu’il aurait pu obtenir par l’exercice des droits et recours dont il n’a pas usé, qu’il s’agisse d’indemnisation, de traitement et de réadaptation ou de retour au travail, sauf là où une disposition législative particulière prévoit autrement (comme le précise l’art. 349 L.a.t.m.p.). Il en va de même de celui ou celle dont les droits et recours en vertu de ce régime (par ex. le droit de retour au travail) sont échus et qui ne peut par la suite intenter action à l’employeur pour remédier à cette extinction.

[67]        On ne saurait en effet réduire aux seules questions d’indemnisation de la lésion professionnelle la compétence exclusive que l’art. 349 L.a.t.m.p. confère à la CNESST, lecture qui ne concorde pas avec la nature et l’objectif du régime mis en place par le législateur, ni avec le texte et l’esprit de la disposition. Pour les mêmes raisons, on ne peut limiter à cet unique sujet l’immunité de poursuite prévue par les art. 438 et 442 L.a.t.m.p. À partir du moment où une question est visée par la L.a.t.m.p., qu’il s’agisse d’indemnisation, de réadaptation ou de retour au travail, elle échappe à tous égards aux tribunaux de droit commun[74], lesquels ne peuvent être saisis de recours en responsabilité visant à se substituer à ceux qu’établit ladite loi. Conclure autrement équivaudrait à segmenter indûment le régime complet, exhaustif et exclusif voulu par le législateur et à le rendre partiellement optionnel.

[68]        Il va sans dire par ailleurs que le travailleur placé dans une situation qui tombe sous le coup du régime établi par la L.a.t.m.p. conserve cependant les droits et recours qui pourraient lui échoir en vertu du droit commun par le fait d’actes de l’employeur n’ayant rien à voir avec une lésion professionnelle réelle ou potentielle, ou les suites de celle-ci, et constituant ce qu’on pourrait qualifier de « cause d’action séparée ». C’est ce que rappelle, par exemple, l’affaire Carrier c. Mittal Canada inc.[75], en précisant que l’art. 438 (et pourrait-on ajouter, les art. 349 et 442 L.a.t.m.p.) n’empêchent pas l’action civile fondée non pas sur les événements constitutifs de la lésion professionnelle, ce qui inclut tous les droits et recours qui peuvent en découler, mais sur des faits qui n’y sont pas liés (l’exemple donné dans cette affaire est celui du salarié victime d’une lésion professionnelle, mais parallèlement congédié pour vol[76]).

[69]        Tout cela étant dit, qu’en est-il de l’action de Mme Roadnight?

[70]        La ligne, certainement, est fine, mais je crois en l’espèce, comme je l’ai annoncé plus haut, que cette action est visée par la réserve de compétence de l’art. 349 L.a.t.m.p. et l’immunité de poursuite des art. 438 et 442. Je m’explique.

* *

[71]         Il est vrai que, au contraire de la quasi-totalité des affaires rapportées ci-dessus, Mme Roadnight ne réclame pas ici des dommages-intérêts visant à compenser le préjudice subi à la suite de l’incident des 14 et 28 septembre 2011, c’est-à-dire l’atteinte à sa capacité de travail, sa perte de revenus, etc. Elle ne réclame pas non plus une indemnité de congé ou des dommages moraux qu’elle rattacherait à un congédiement prétendument causé par cet incident (à la différence de la plaignante dans l’affaire Genest[77], qui liait le congédiement déguisé reproché à l’employeur aux actes de harcèlement sexuel commis par celui-ci, qui avaient entraîné la démission forcée). Elle n’affirme pas davantage que le congédiement qu’elle reproche aux appelants a été motivé par l’existence de sa lésion, de son incapacité ou d’une quelconque limitation fonctionnelle ou allégation de limitation fonctionnelle.

[72]        Son action - et c’est là la théorie qu’elle fait valoir et que le juge de première instance a retenue[78] - serait fondée plutôt sur une cause distincte, qui ne serait pas associée à sa lésion ou à son incapacité, mais découlerait du refus de l’employeur d’assumer les obligations qui, dans le cadre de son retour au travail, lui incombent en vertu des art. 81.19 L.n.t. et 2087 C.c.Q., c’est-à-dire lui assurer un environnement de travail sain et exempt de harcèlement (dans le cas de M. Dufour, cette faute serait extracontractuelle). Certes, la survenance de l’incident de septembre 2011 et l’incapacité qui s’est ensuivie offrent un contexte aux événements subséquents, mais ne devraient pas être confondues avec ceux-ci. Que cette action soit bien ou mal fondée sur le fond n’empêcherait pas qu’elle relève de la compétence de la Cour supérieure, et non des instances chargées de la mise en œuvre de la L.a.t.m.p., puisqu’elle sortirait du champ d’application de cette loi, la conduite des appelants à l’automne 2013 et à l’hiver 2014, et tout particulièrement leur attitude lors de la rencontre du 4 février 2014, ne pouvant être assimilée à un accident du travail. Les art. 438 et 442 L.a.t.m.p. ne pourraient par ailleurs y faire obstacle, ne s’agissant pas d’une action intentée « en raison de la lésion professionnelle » ou de l’exercice de droits ou recours afférents à une telle lésion.

[73]        Pour séduisante qu’elle paraisse au premier abord, cette thèse ne résiste cependant pas à l’analyse.

[74]        Il ressort d’abord de la preuve, et tout particulièrement du témoignage même de Mme Roadnight, que l’action a en réalité pour seule raison d’être l’incident des 14 et 28 septembre 2011, incident survenu au travail et ayant engendré chez la salariée l’invalidité que l’on sait, qui tombe sous le coup de la L.a.t.m.p. Même les reproches qu’elle adresse aux appelants à propos de leur comportement entre septembre 2013 et février 2014, et surtout lors de la rencontre du 4 février 2014, tiennent à cet incident, dont ils auraient indûment refusé de reconnaître l’existence et la gravité, s’employant en outre, par diverses manigances, à faire obstacle à son retour au travail. La rencontre du 4 février elle-même est indissociablement liée à l’incident de septembre 2011 qui est son unique sujet, tout comme à l’invalidité qui en a découlé, et constitue la dernière étape d’une séquence qui forme un tout indissociable : incident survenu au travail → invalidité découlant directement de cet incident → absence du travail → retour et conditions du retour au travail.

[75]        Or, c’est là une séquence qui se situe entièrement dans la logique du régime mis en place par la L.a.t.m.p. Même si l’on acceptait, comme Mme Roadnight le soutient, que l’action se rattache exclusivement à son retour au travail, après qu’elle fut redevenue capable d’exercer son emploi, il s’agit là d’un sujet qui, lorsqu’il se situe dans la foulée d’une (potentielle) lésion professionnelle, ce qui est ici le cas, est couvert par la L.a.t.m.p. et notamment par l’art. 236 de celle-ci.

[76]        Il n’est pas contesté, en effet, que l’incident de septembre 2011 a engendré une lésion professionnelle ou, à tout le moins, une situation qui, à première vue, répond aux critères de la lésion professionnelle au sens de l’art. 2 de la L.a.t.m.p. ou, de façon générale, une problématique qui doit être résolue en vertu de la L.a.t.m.p., par les instances chargées de l’application de celle-ci. Le juge de première instance le reconnaît, d’ailleurs[79].

[77]        L’incapacité de travailler résultant de cet incident s’étant résorbée, Mme Roadnight est redevenue généralement apte à exercer ses fonctions en février 2013 (ce qui explique la cessation des prestations d’assurance), ce que ne contredit pas le rapport de l’expert Poirier en mai 2013 (qui confirme cette aptitude, encore que sous réserve d’une légère limitation fonctionnelle et recommande en conséquence un retour au travail progressif[80]). Elle pouvait donc, dès lors, exercer le droit de retour au travail que lui confère l’art. 236 L.a.t.m.p., le délai de deux ans prévu par l’art. 240 L.a.t.m.p. n’étant pas échu[81]. C’est un droit que, techniquement, elle pouvait exercer jusqu’au 7 novembre 2013 et c’est du reste ce qu’elle fait à compter de la fin septembre 2013, lorsque, par l’intermédiaire de son avocat, en réponse à une lettre de l’employeur l’y invitant, elle a manifesté son intention de revenir au travail et de discuter des modalités de retour. Selon ce qu’elle avance, ce sont les appelants qui ont refusé de discuter véritablement de son retour ou des modalités de celui-ci, n’offrant qu’une collaboration de façade, ce qui, toujours selon elle, s’est révélé au grand jour lors de la réunion du 4 février 2014, au cours de laquelle ils ne lui ont strictement rien offert à ce sujet, niant même l’incident générateur de toute l’affaire.

[78]        Or, il se trouve que la L.a.t.m.p. met à la disposition du travailleur non syndiqué qui se trouve dans pareille situation un et même deux recours spécifiques. D’abord celui des art. 245, al. 2 ou 246, al. 2 L.a.t.m.p. :

245.     En l’absence d’une convention collective visée dans le deuxième alinéa de l’article 244, les modalités d’application du droit au retour au travail d’un travailleur sont déterminées par le comité de santé et de sécurité formé en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S2.1) pour l’ensemble de l’établissement où est disponible l’emploi que le travailleur a droit de réintégrer ou d’occuper.

245.     In the absence of a collective agreement contemplated in the second paragraph of section 244, the modalities of application of a worker’s right to return to work are determined by the health and safety committee established under the Act respecting occupational health and safety (chapter S-2.1) for the entire establishment where the employment that the worker is entitled to be reinstated in or to hold is available.

            En cas de désaccord au sein de ce comité ou si le travailleur ou l’employeur est insatisfait des recommandations du comité, le travailleur ou l’employeur peut demander l’intervention de la Commission.

            In case of disagreement on the committee or if a worker or employer is dissatisfied with the recommendations of the committee, the worker or employer may request the Commission to intervene.

246.     En l’absence d’une convention collective visée dans le deuxième alinéa de l’article 244 et lorsqu’aucun comité de santé et de sécurité n’est formé pour l’ensemble de l’établissement où est disponible l’emploi que le travailleur a droit de réintégrer ou d’occuper, le travailleur et son employeur s’entendent sur les modalités d’application du droit au retour au travail du travailleur.

246.     In the absence of a collective agreement contemplated in the second paragraph of section 244 and where a health and safety committee has not been established for the entire establishment where the employment that the worker is entitled to be reinstated in or to hold is available, the worker and his employer shall agree on the modalities of application of the worker’s right to return to work.

            En cas de désaccord entre eux, le travailleur ou l’employeur peut demander l’intervention de la Commission.

            If the worker and the employer cannot agree, either of them may request the Commission to intervene.

[79]        L’art. 32 L.a.t.m.p. aurait également pu lui offrir une voie d’action dans la mesure où le refus de discuter reproché à l’employeur ne tiendrait pas du simple désaccord, mais constituerait un congédiement déguisé rattaché à l’exercice du droit de retour au travail, ce qui implique de revenir dans un environnement sain et exempt de harcèlement, respectueux de ses limitations fonctionnelles, s’il en est :

32.       L’employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’exercice d’un droit que lui confère la présente loi.

32.       No employer may dismiss, suspend or transfer a worker or practice discrimination or take reprisals against him, or impose any other sanction upon him because he has suffered an employment injury or exercised his rights under this Act.

            Le travailleur qui croit avoir été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l’article 253.

            A worker who believes that he has been the victim of a sanction or action described in the first paragraph may, as he elects, resort to the grievance procedure set down in the collective agreement applicable to him or submit a complaint to the Commission in accordance with section 253.

* *

[80]        Au terme de cette analyse, on doit donc constater que tous les éléments sous-jacents à la réclamation de Mme Roadnight reposent sur la survenance, au travail, d’un incident causant une blessure en l’occurrence psychique et invalidante ainsi que sur le refus allégué de l’employeur de permettre un retour au travail selon des modalités adéquates. Ils sont donc, à un titre ou à un autre, couverts par la L.a.t.m.p. qui offre à cet égard tous les recours appropriés. Il s’ensuit que non seulement la CSST (maintenant la CNESST) avait seule compétence pour statuer sur l’ensemble des éléments en question, conformément à l’art. 349 L.a.t.m.p., mais que l’affaire enclenche l’application des art. 438 et 442 L.a.t.m.p. et protège Costco et M. Dufour d’un recours civil fondé sur l’un ou l’autre de ces éléments.

[81]        Mme Roadnight s’étant abstenue de recourir à la L.a.t.m.p. et d’exercer les droits et recours dont elle aurait pu jouir en conséquence (dont le droit de retour au travail), elle ne peut aujourd’hui prétendre intenter en lieu et place, en vertu du droit commun, un recours devant la Cour supérieure. Sa bonne foi ou le fait qu’elle ait pu être mal conseillée n’y change rien.

[82]        Vu l’art. 349 L.a.t.m.p., la Cour supérieure n’avait donc pas la compétence requise sur l’action telle qu’introduite, action qui se heurtait en outre à l’immunité de poursuite prescrite par les art. 438 et 442 L.a.t.m.p. et qui, pour cette double raison, aurait donc dû être rejetée.


 

B.        Congédiement déguisé ou démission?

[83]        La conclusion qui précède suffit à trancher le pourvoi. Cependant, dans l’hypothèse où l’on n’y souscrirait pas, je me pencherai subsidiairement sur la question de savoir si, comme le prétendent les appelants, le juge de première instance a erré en concluant à congédiement déguisé plutôt qu’à démission. C’est à mon avis le cas.

[84]        Selon le juge de première instance, qui clôt ainsi son analyse de la preuve sur la nature de la fin d’emploi, « la démission de Roadnight est le fruit de moyens, de manœuvres, subterfuges orchestrés de mauvaise foi par les défendeurs, notamment en modifiant substantiellement ses conditions de travail en l’obligeant à exercer son emploi dans des conditions hostiles annoncées par les défendeurs »[82].

[85]        Soit dit très respectueusement, et malgré la grande déférence qui est due en principe aux déterminations factuelles d’un juge de première instance, notamment en ces matières[83], la preuve administrée ici par les parties au cours d’un procès dont le déroulement appellera quelques commentaires n’étaye aucunement cette conclusion, qui est entachée de diverses erreurs révisables. Voyons ce qu’il en est.

* *

[86]        Les appelants reprochent au juge d’avoir été « extrêmement interventionniste »[84] lors du procès. On ne peut leur donner tort.

[87]        J’adhère bien sûr pleinement à l’idée que le ou la juge moderne n’est pas un sphinx et peut intervenir lors du procès en posant activement des questions, tout en veillant de près au bon déroulement de l’affaire. Il ou elle doit cependant respecter le principe de la contradiction (art. 17, al. 2 C.p.c.) et, bien sûr, laisser la maîtrise du dossier aux parties et à leurs avocats (art. 19, al. 1 C.p.c.).

[88]        Par ailleurs, ainsi que le rappelle l’arrêt Tokar c. Poliquin[85], il est normal - c’est le contraire qui ne le serait pas - que le ou la juge se fasse, en cours de procès, une idée de l’affaire qu’il ou elle entend et pose des questions qui serviront à affermir ou, au contraire, à dissiper certaines impressions, dont il ou elle peut aussi s’exprimer. Cela fait partie de la « dynamique du procès »[86]. Pareillement, le ou la juge peut formuler des commentaires qui reflètent l’état de sa pensée à tel ou tel stade de l’audience, l’important étant de garder l’esprit ouvert.

[89]        En l’espèce, toutefois, le juge est allé beaucoup plus loin et ses interventions aussi longues que fréquentes ont menacé l’équilibre du procès. Ainsi, il a littéralement mené de grands pans de l’interrogatoire en chef de Mme Roadnight et du contre-interrogatoire de M. Dufour, les témoins principaux, et ce, d’une manière souvent fort suggestive (parfois même sarcastique, dans le cas de M. Dufour). Sans franchir le seuil de la partialité (terme que n’emploient pas les appelants), cette attitude paraît néanmoins, dans le contexte, déplacée. Elle a par ailleurs affecté, manifestement, son évaluation de la preuve, mais aussi la façon dont il a appliqué le droit aux faits. Malgré la prudence avec laquelle on doit user de cette expression, on peut parler ici d’un prisme déformant[87], déjà apparent lors du procès, qui a entraîné des constats erronés, ne trouvant pas d’appui dans la preuve.

* *

[90]        Tenant même pour avérée la version que Mme Roadnight donne de l’incident des 14 et 28 septembre 2011 et tenant également pour avéré, comme l’attestent les rapports médicaux, que cet incident est la source du trouble anxio-dépressif qu’elle a développé et qui a causé son incapacité, il n’est en effet pas possible - en tout cas pas selon le standard de la prépondérance (art. 2804 C.c.Q.) - de voir dans la preuve documentaire et testimoniale présentée au procès les manœuvres et subterfuges que le juge reproche aux appelants, la mauvaise foi de ceux-ci ou leur volonté d’imposer à l’intéressée des conditions de travail hostiles.

[91]        Je ne reprendrai pas tous les faits relatés dans la première partie des présents motifs, dont je proposerai toutefois ci-dessous un narratif plus succinct, pour en faire ressortir les éléments déterminants, rattachés à la cause d’action de l’intimée[88].

[92]        Mme Roadnight s’absente en raison d’une incapacité engendrée par un incident isolé, survenu en septembre 2011 : M. Dufour, en sa qualité de directeur de l’entrepôt Costco de Sherbrooke a, sans préavis, convoqué la salariée à une rencontre au cours de laquelle, lui adressant divers reproches, il a usé envers elle de termes à son avis durs, offensants et dépréciatifs; il a par la suite, lors d’une seconde rencontre, le 28 septembre 2011, tenté de minimiser l’affaire et d’en faire porter le blâme à la salariée qui aurait, lui dit-il, mal compris ses propos. Blessée par la rudesse de M. Dufour, puis par son insensibilité, Mme Roadnight développe un trouble d’adaptation qui engendre lui-même une invalidité réelle, mais que le rapport psychiatrique du 9 mars 2012 décrit toutefois comme « une réaction mineure marquée par une certaine déroute personnelle, un questionnement anxieux, une émotivité persistante »[89]. Ce rapport suggère notamment une intervention psychothérapique « pour l’aider à mettre les choses en perspective et résoudre cette incertitude qui persiste au regard des propos qu’on lui aurait tenus, malgré les commentaires positifs que d’autres membres de son entourage professionnels lui auraient tenus »[90].

[93]        Comme on l’a vu plus haut[91], l’ambivalence de Mme Roadnight et l’appréhension qui l’accompagne, et dont elle témoigne aussi au procès, perdureront tout au long de sa période d’incapacité et même par la suite. Cela, certainement, est naturel, vu son état et sa perception des choses, mais montre assez clairement qu’elle n’envisage pas son retour au travail avec sérénité (si même elle l’envisage réellement), ce que confirment les échanges qu’elle entretient avec l’assureur chargé de son dossier au cours de la seconde moitié de 2012 et au début de 2013, échanges dont certains ont lieu par avocat interposé.

[94]        Redevenue apte à l’exercice de ses fonctions en février 2013, ses prestations d’assurance ayant de ce fait cessé, Mme Roadnight, d’ailleurs, ne communique pas avec l’employeur, s’adressant plutôt à l’assureur, comme on l’a vu également[92], ce qui se solde par une nouvelle évaluation psychiatrique, en date du 6 mai 2013. Celle-ci confirme l’aptitude au travail et note chez la salariée « la motivation pour un éventuel retour au travail »[93], mais également la présence d’« un processus d’évitement anxieux nécessitant la mise en place de certains éléments de nature thérapeutique pour éventuellement arriver à cette fin »[94]. Le rapport recommande en conséquence de favoriser une rencontre entre Mme Roadnight et M. Dufour, « dans un processus de médiation/conciliation afin de dédramatiser et de clarifier la situation »[95]. Cette recommandation, rappelons-le, figurait déjà, en d’autres mots, dans le rapport psychiatrique de mars 2012. L’assureur avait également tenté de la mettre en œuvre de son propre chef, à l’automne 2012 ainsi qu’au début de l’année 2013, mais sans succès, Mme Roadnight, certificat médical et lettre d’avocat à l’appui, estimant n’être pas en état de participer à une rencontre avec son directeur. Là encore, on peut la comprendre, sur le plan humain, mais sa réaction manifeste déjà la forme d’évitement que diagnostique le rapport médical de mai 2013.

[95]        Enfin, que ce soit en février ou en mai 2013 ou encore à l’été suivant, ce n’est pas Mme Roadnight qui communique avec l’employeur. C’est ce dernier, informé par l’assureur de la réhabilitation de la salariée, qui, sans nouvelles d’elle, la contacte par écrit en septembre 2013 et la prie de se rapporter. Elle le fait par l’intermédiaire de son avocat, Me Blouin, qui suggère une rencontre à laquelle acquiesce l’employeur. On peut même affirmer que l’employeur y acquiesce volontiers, ce qui ressort de la correspondance entre les avocats des parties[96].

[96]        Cette première rencontre, décrite précédemment[97], a lieu le 6 novembre 2013. C’est là que, pour la première fois - et là-dessus la preuve est sans équivoque[98] - l’employeur (représenté par sa directrice des ressources humaines, Mme Lemire, et par son avocate, Me Jetté) apprend de la bouche de Mme Roadnight le détail des événements des 14 et 28 septembre 2011 et leur impact sur sa santé. C’est après cette réunion que seront envoyés à l’avocate de Costco, Me Jetté, les deux rapports psychiatriques de mars 2012 et mai 2013.

[97]        M. Dufour, pour sa part, semble avoir appris au début de l’année 2013, en raison de la suggestion de rencontre formulée à l’époque par l’assureur[99], que l’absence et l’invalidité de Mme Roadnight sont liées à un différend qui l’impliquerait, mais sans plus[100] et sans qu’il songe apparemment à enquêter. La chose lui sera confirmée lorsque Mme Lemire, à la suite de la rencontre du 6 novembre 2013, s’enquerra auprès de lui de ce qui s’est passé les 14 et 28 septembre 2011, sans toutefois lui rapporter avec précision la version qu’en donne Mme Roadnight[101]. Ce n’est que lors du face à face du 4 février 2014 qu’il entendra le récit détaillé de Mme Roadnight sur l’incident en question.

[98]        Toujours est-il que, lors de la rencontre du 6 novembre 2013, Me Jetté propose un second entretien, à laquelle participerait cette fois M. Dufour. Or, quoi qu’elle dise au procès, Mme Roadnight éprouve des hésitations à ce sujet et l’avocate de Costco doit revenir à quelques reprises à la charge auprès de son avocat qui, le 4 décembre (voir supra, paragr. [25]), lui indique que sa cliente pourrait en effet être réticente à rencontrer M. Dufour. Quelques courriels plus tard, la réunion a finalement lieu, le 4 février 2014.

[99]        Comme on le sait[102], les souvenirs qu’en conservent Mme Roadnight et Me Blouin ne concordent pas avec ceux de M. Dufour et de Mme Lemire. Selon les premiers, après une courte et froide entrée en matière, la parole a été laissée à Mme Roadnight, qui a rappelé sa version de l’incident de 2011, à la suite de quoi les seconds n’auraient pas réagi, restant cois. M. Dufour, confirmé en cela par le témoignage de Mme Lemire, reconnaît que l’ambiance de la réunion était tendue. Il affirme avoir été estomaqué par les propos de Mme Roadnight et leur intensité, mais déclare avoir brièvement tenté d’exposer sa perception des événements, niant qu’ils se soient passés comme elle le relate. Par contre, tous s’entendent à dire que Mme Roadnight, devant la réaction à son avis insatisfaisante de M. Dufour (qu’il s’agisse de silence ou de dénégation, il ne reconnaît pas ses torts), quitte la salle en compagnie de son avocat et n’y revient que pour annoncer sa démission.

[100]     L’affaire est donc assez simple, en réalité : à la suite d’un long congé d’invalidité lié à un incident survenu à l’occasion du travail, Mme Roadnight, après avoir été invitée par son employeur à réintégrer ses fonctions, entreprend avec celui-ci des discussions à cette fin, discussions qui mèneront à deux rencontres. La première, en novembre 2013, permet de mettre la table; lors de la seconde, en février 2014, n’obtenant pas les excuses qu’elle souhaite de la part de l’employeur, et plus précisément de M. Dufour, dont le comportement envers elle, en septembre 2011, fut la source de toute l’affaire, elle décide de ne pas poursuivre le dialogue et annonce sa démission.

[101]     Peut-on parler dans ces circonstances d’un congédiement déguisé? Voici ce qu’écrit le juge :

[106]    Que l’on retienne la version des circonstances de la rencontre du 4 février 2014 de Roadnight ou de Dufour et Costco, force est de constater que depuis septembre 2011, Dufour n’a pas l’intérêt ni l’intention de faire équipe avec Roadnight. D’abord, il a tenu les propos hautement vexatoires, dénigrants, déplacés à Roadnight et joué la carte de l’indifférence. Par la suite, il a nié l’évidence et lui a fait sentir qu’il ne souhaitait pas son retour en poste. Par ses gestes, Dufour a grandement manqué à son devoir de respecter la dignité de Roadnight qui agissait sous sa direction et aux règles élémentaires de civilité qui gouvernent les rapports entre les individus [renvoi omis], ce qui a poussé Roadnight à quitter l’emploi qu’elle affectionnait et occupait depuis plus de 20 ans.

[107]    Costco, malgré le fait qu’elle bénéficie de la version de Roadnight et des rapports médicaux expliquant la cause de ses problèmes de santé psychologique, épouse aveuglément la prétention de Dufour. Aussi, la preuve est éloquente quant au fait qu’elle ne démontre aucune ouverture, empathie ou soutien ni même n’avance quelque proposition pour rassurer Roadnight qu’elle ne retournera pas dans un milieu de travail malsain, elle qui pourtant a l’obligation de prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité de son employée [renvoi omis].

[108]    La réaction et l’attitude plus que passives des défendeurs, suite à l’annonce de Roadnight qu’elle ne désire plus retourner au travail, est la confirmation que bien qu’ils se soient prêtés à l’exercice de tenir une telle rencontre médiation/conciliation, ils n’ont aucun intérêt ni volonté de voir Roadnight reprendre sa place dans l’équipe. Les défendeurs semblent plutôt satisfaits ou libérés d’apprendre qu’elle souhaite plutôt monnayer son départ.

[102]     Un peu plus loin, lorsqu’il se penche sur la question des dommages moraux, le juge ajoute ce qui suit :

[125]    Cela dit, le Tribunal est d’opinion qu’une somme de 10 000 $ est justifiée pour compenser l’humiliant, le dégradant et le blessant congédiement dont Roadnight fut victime. L’attitude et les manœuvres des défendeurs notamment suivant le 6 novembre 2013, moment où Costco est mise au courant de la situation de harcèlement psychologique vécu par Roadnight témoignent d’un traitement injuste, sans égards, considération, respect ou estime envers Roadnight et portent atteinte à sa dignité et à son intégrité psychologique.

[103]     Avec tous les égards possibles, ces constats ne tiennent pas et ne sont pas soutenus par la preuve. Même si, à l’origine, M. Dufour s’était mal comporté envers Mme Roadnight en lui servant une semonce brusque et injustifiée, contraire aux règles de la civilité, puis en minimisant l’affaire, rien ne démontre que « depuis septembre 2011 », il « n’a pas l’intérêt ni l’intention de faire équipe avec [elle] ». M. Dufour n’a eu aucun contact avec Mme Roadnight entre cette date et février 2014. Il y a bien l’épisode des funérailles (très courues) d’un ancien directeur de l’entrepôt de Sherbrooke (épisode que relatent avec émotion Mme Roadnight et son conjoint), alors que M. Dufour aurait ignoré la salariée. Cependant, les explications de celui-ci sont parfaitement plausibles (il ne l’a pas vue car il était entièrement absorbé et stressé par la lecture qu’il devait faire d’un texte que lui avait communiqué la famille du défunt, son ancien mentor) et l’on ne peut donner à ce qui, de toute façon, ne serait qu’une peccadille l’importance exagérée que lui accorde le juge. On ne peut pas non plus faire grief à M. Dufour de n’avoir pas communiqué avec Mme Roadnight pendant son absence pour s’informer de sa santé : cela aurait peut-être été un geste aimable, mais qu’il n’y ait pas pensé n’indique aucunement qu’il souhaitait son départ ou qu’il ourdissait ainsi sa démission (d’autant que, selon son propre témoignage, Mme Roadnight appréciait peu les appels qu’elle a reçus du département des ressources humaines de l’employeur pendant son absence[103], sur des sujets administratifs bénins, appels qu’elle considérait comme du harcèlement et qui la perturbaient[104]).

[104]     Par ailleurs, contrairement à ce qu’écrit le juge de première instance, Costco n’a pas aveuglément épousé la prétention de M. Dufour au sujet des événements de septembre 2011 : au contraire, mise au courant de l’affaire en novembre 2013, après une première rencontre avec Mme Roadnight et son avocat, elle suggère une seconde réunion destinée justement à tirer les choses au clair entre la salariée et son supérieur (réunion qui s’inscrit dans la foulée des recommandations faites par les deux experts ainsi que par l’assureur). Qu’entre-temps, elle ait obtenu le point de vue de M. Dufour (qui ne concorde pas avec celui de la salariée) sans conclure aussitôt à mensonge de sa part n’a rien de fautif dans les circonstances. Les conflits entre employés ne sont pas rares, des perceptions différentes et des versions contradictoires d’un même incident ne le sont pas non plus (surtout s’il s’agit d’un incident survenu deux ans plus tôt) et l’employeur, qui n’a pas l’avantage d’un procès, n’est pas toujours en mesure de séparer le vrai du faux. Ce n’est pas là raison de lui imputer une intention malhonnête ou déloyale.

[105]     Quant aux rapports psychiatriques, s’ils permettent de voir que Mme Roadnight conserve une certaine constance dans son récit (encore qu’elle en propose une version amplifiée au procès), il faut bien constater que leurs auteurs n’ont jamais entendu la version de M. Dufour. De plus, les deux rapports, tout en associant à l’incident de septembre 2011 le trouble anxieux de Mme Roadnight, n’en soulignent pas moins, dans un cas, que cette dernière doit « mettre les choses en perspective » et, dans l’autre, qu’il faut « dédramatiser et clarifier la situation », d’où la proposition d’une rencontre. Celle-ci n’aura finalement lieu qu’en février 2014, ce dont on ne peut tenir rigueur à l’employeur qui a offert toute sa collaboration à cet égard. Rappelons ainsi que, à la fin de l’automne 2013, après la réunion du mois de novembre, Me Blouin écrit à sa consœur que sa cliente hésite encore à rencontrer M. Dufour[105]. Le moins qu’on puisse dire est que l’organisation de cette seconde rencontre fut laborieuse. Il est impossible de conclure à cet égard que, depuis novembre 2013, « l’attitude et les manœuvres » des appelants « témoignent d’un traitement injuste, sans égards, considération, respect ou estime envers Roadnight et portent atteinte à sa dignité et à son intégrité psychologique ». À cette étape du processus, M. Dufour n’intervient pas et, pour le reste, l’employeur s’est montré patient et coopératif.

[106]     Peut-on cependant reprocher à l’employeur d’avoir permis que Mme Roadnight et M. Dufour soient mis en présence l’un de l’autre, vu les allégations de celle-là contre celui-ci? On sait qu’une rencontre de ce genre peut n’être pas appropriée, notamment dans un contexte de harcèlement, mais, en l’espèce, on ne peut pas faire grief à l’employeur d’avoir tenté de mettre en œuvre les recommandations des deux rapports d’expert et l’on ne peut certainement pas y voir la preuve d’une intention de se débarrasser de Mme Roadnight ni celle d’une machination, d’une faute destinée à faire naître chez la salariée une réaction qui la pousserait à démissionner. Sans compter que Mme Roadnight fut en tout temps accompagnée et conseillée par son avocat, qui connaît bien le dossier pour y être impliqué depuis longtemps, et qu’elle a consenti à la rencontre, consentement dont on ne peut pas dire ici qu’il lui a été extorqué.

[107]     Quant au comportement des appelants lors de cette réunion du 4 février, le résumé que le juge fait de son déroulement est problématique.

[108]     D’une part, il n’est pas tout à fait exact d’écrire, sans autre précision, que « Costco refuse la proposition d’ordre du jour présentée par le procureur de Roadnight qui suggère de commencer la rencontre de médiation/conciliation par un échange portant sur la situation des propos tenus par Dufour en 2011, préférant limiter les discussions aux modalités de retour au travail seulement »[106]. Il est vrai que Costco, par l’entremise de Me Jetté, ne s’est pas montrée réceptive à l’idée de l’ordre du jour formel que proposait Me Blouin, mais le fait est que, au moment de la réunion, Mme Roadnight a pris la parole en premier lieu afin d’expliquer sa vision des choses et rappeler l’incident de septembre 2011. Or, c’est précisément ce que suggérait Me Blouin, sous la rubrique « 1. Rappel des circonstances ayant entraîné l’invalidité » de son projet d’ordre du jour[107].

[109]     D’autre part, la preuve n’établit pas que, lors de cette rencontre, Costco « ne démontre aucune ouverture, empathie ou soutien ni même n’avance quelque proposition pour rassurer Roadnight qu’elle ne retournera pas dans un milieu de travail malsain »[108]. Il aurait en effet été plus juste d’écrire que l’employeur et ses représentants, lors de la réunion du 4 février (qui est au cœur de la théorie de la cause de Mme Roadnight, je le rappelle), n’ont guère eu le temps de faire quelque proposition que ce soit. En effet, déçue et insatisfaite de la réaction de M. Dufour (ou de son absence de réaction), Mme Roadnight n’a pas attendu avant de conclure que la conversation (qui n’a pas duré plus d’une vingtaine de minutes) ne mènerait nulle part et qu’elle démissionnait donc en conséquence. L’employeur et ses représentants, sur le coup, n’ont pas insisté pour qu’elle revienne sur sa décision : cela est peut-être dommage, mais ce qu’on pourrait, peut-être, qualifier d’occasion ratée ne peut pas être interprété comme une absence de volonté de voir Mme Roadnight « reprendre sa place dans l’équipe »[109]. Après tout, Mme Roadnight est accompagnée de son avocat lors de cette réunion (avocat qui l’assiste depuis 2012 déjà) et ses interlocuteurs peuvent légitimement penser qu’elle est dûment conseillée et agit en toute connaissance de cause en présentant sa démission.

[110]     Cela dit, même si l’on pouvait considérer cette relative passivité des appelants comme une maladresse ou une erreur, on ne peut pas y voir le point culminant de manigances de longue date destinées à pousser Mme Roadnight à la démission, manigances dont on ne peut trouver trace dans la preuve[110]. On ne peut pas non plus y voir l’annonce de « conditions hostiles ». En coupant court à la rencontre, Mme Roadnight et son avocat ont aussi mis fin à toute discussion et leur sortie a empêché la poursuite d’échanges à peine amorcés.

[111]     Enfin, il n’y a rien dans cette preuve qui permette d’écrire que « [l]es défendeurs semblent plutôt satisfaits ou libérés d’apprendre qu’elle souhaite plutôt monnayer son départ », ce que contredisent d’ailleurs les courriels que Me Jetté adresse à son collègue postérieurement au 4 février, malgré leur ton de plus en plus impatient, impatience qu’explique le silence de son interlocuteur.

[112]     Au bout du compte, la conclusion qui s’impose de manière prépondérante, au regard de l’ensemble de la preuve, est la suivante : le 4 février 2014, mécontente de l’attitude de l’employeur et, plus précisément, du refus de M. Dufour de lui présenter ses excuses pour l’incident du mois de septembre 2011, Mme Roadnight, avant même que la conversation ne puisse se poursuivre, a décidé de démissionner.

[113]     Elle avait le droit de le faire : le salarié qui ne s’entend pas avec son employeur peut légitimement mettre fin au lien d’emploi. Les circonstances, pour malheureuses qu’elles soient, ne se prêtent cependant pas à ce que l’on conclue que cette démission résulte, directement ou indirectement, du fait de l’employeur. Il n’y a ici ni congédiement déguisé au sens des arrêts Farber c. Cie Trust Royal[111] ou Orchestre métropolitain du Grand Montréal c. Rescigno[112] (modification unilatérale des conditions de travail essentielles) ni congédiement déguisé au sens de l’arrêt Longueuil Nissan c. Charbonneau[113] (fausses accusations portées par l’employeur contre la salariée, alors en congé de maladie pour dépression sévère, dans le contexte d’une violente agression verbale) ou de l’arrêt IBM Canada ltée c. D.C.[114] (harcèlement de longue durée), par exemple.

[114]     L’on a plutôt affaire à des parties qui, de bonne foi, ont tenté de résoudre leur différend, un différend sérieux, et n’y sont pas parvenues. Mme Roadnight a pris sa décision, celle de démissionner, et elle ne peut en imputer la faute et la responsabilité aux appelants.

III.        Conclusion

[115]     Pour toutes ces raisons, je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter l’action, le tout avec frais de justice.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     RLRQ, c. A-3.001 (« L.a.t.m.p. »).

[2]     M. Dufour, qui avait déjà occupé un autre poste au sein de la même succursale, plusieurs années auparavant, est entré en fonction, comme directeur, en juillet 2011. Lors de son précédent séjour, il avait eu l’occasion de rencontrer Mme Roadnight, sans qu’aucun n’en conserve de souvenirs particuliers puisqu’ils ne travaillaient pas dans le même département et n’interagissaient qu’occasionnellement.

[3]     RLRQ, c. N-1.1 (« L.n.t.»).

[4]     Témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 227-228.

[5]     Témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 228, l. 24-25, et 229, l. 1-2 (voir aussi, dans le même sens, les l. 3-15).

[6]     Ce diagnostic correspond à celui du médecin traitant (voir : Déclaration du médecin traitant, 9 novembre 2011, rubriques 2-B et 5 (axe 1)). Voir également les notes du même médecin traitant, 8 novembre 2011 (pièce P-4).

[7]     Rapport psychiatrique du Dr Denis Lepage, 9 mars 2012, p. 11-14 (pièce P-2).

[8]     Voir notamment la lettre que Mme Danielle Reid, au nom de l’assureur, adresse à l’avocat de Mme Roadnight, Me Denis L. Blouin, en date du 30 novembre 2012 (pièce P-4), ainsi que celles de Me Blouin à l’assureur, en date des 14 et 27 décembre 2012 (pièce P-4).

[9]     Billet du Dr Jacques Gauthier, médecin traitant, en date du 17 janvier 2013 (pièce P-5).

[10]    Ibid. Voir aussi la lettre que Me Blouin adresse à l’assureur le 18 février 2013, dans laquelle il confirme que :

Suite à notre conversation, nous avons pu rencontrer le 24 janvier 2013, M. Rony Berbari, spécialiste en réadaptation. Lors de cette rencontre, il était accompagné de Mme Lucie Lachance, gérante SST-Gestion de l’invalidité pour Costco Wholesale.

À cette occasion, j’ai remis à M. Berbari un certificat médical du 16 janvier 2013, de même qu’une opinion médicale du médecin traitant de Mme Roadnight, le Dr Jacques Gauthier, datée du 17 janvier 2013 exprimant que sa patiente ne pouvait retourner au travail si le milieu agresseur de harcèlement psychologique perdurait : il y aurait rechute de son état dépressif.

(Lettre de l’avocat de Mme Roadnight, Me Denis L. Blouin, à Mme Catherine Bergeron, en date du 18 février 2013, p. 2 (pièce P-4)).

      Un rapport psychiatrique de mai 2013, dont je reparlerai (voir infra, paragr. [20]), indique ce qui suit, sur la foi des propos de Mme Roadnight :

Il y aurait eu une première rencontre le 24 janvier 2013 en présence de son avocat, Maître Blouin, de la directrice régionale de Costco, madame Lachance, et de monsieur Berbari, spécialiste en réadaptation. Madame précise que lors de cette rencontre, elle n’a ressenti aucun appui de la part de la direction régionale de Costco, très peu d’écoute. Elle a été déçue de cette rencontre. Elle devait être convoquée de nouveau pour le 20 février 2013, la rencontre relative à cette même situation devait avoir lieu chez Costco avec le directeur. Madame ne pouvait se présenter, se sentant très anxieuse et angoissée; elle a plutôt rencontré son médecin qui a émis un billet médical.

(Rapport psychiatrique du Dr Roger-Michel Poirier, 6 mai 2013, p. 4 (pièce P-6)).

[11]    Témoignage de Jean-François Dufour, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 97-98 et 114-115.

[12]    Lettre adressée par Catherine Bergeron, gestionnaire de dossiers chez l’assureur, à Mme Roadnight, en date du 7 février 2013, p. 1 (pièce P-4).

[13]    Ibid.

[14]    Ibid.

[15]    Lettre de l’avocat de Mme Roadnight, Me Denis L. Blouin, à Mme Catherine Bergeron, en date du 18 février 2013, p. 2 (pièce P-4).

[16]    Ibid.

[17]    Rapport psychiatrique du Dr Roger-Michel Poirier, préc., note 10 in fine, p. 6-8.

[18]    Lette non datée (pièce P-7).

[19]    Courriel de Me Blouin à Me Jetté, 24 septembre 2013 (pièce P-8).

[20]    Voir le commentaire de Me Blouin en ce sens lors de l’interrogatoire préalable de sa cliente, le 8 janvier 2015, notes sténographiques, p. 146 in fine et 147. Voir également le témoignage d’Andrée Lemire, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 171.

[21]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 18 novembre 2013 (pièce P-8).

[22]    Courriel de Me Blouin à Me Jetté, 4 décembre 2013 (pièce P-8).

[23]    Courriel de Me Blouin à Me Jetté, 16 décembre 2013 (pièce P-8).

[24]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 20 décembre 2013 (pièce P-8).

[25]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 13 janvier 2014, 17 h 13 (pièce P-8).

[26]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 13 janvier 2014, 18 h 02 (pièce P-8).

[27]    Courriel de Me Blouin à Me Jetté, 14 janvier 2014 (pièce P-8).

[28]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 20 janvier 2014 (pièce P-8).

[29]    Témoignage de Denis L. Blouin, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 355-356.

[30]    Voir le témoignage de Mme Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 291 : « Je me présente là, en avant du directeur de l’entrepôt puis le représentant d’un Costco, puis il n’y a pas un ni l’autre qui a adressé la parole, qu’ils n’ont rien apporté comme solution ou aucune façon d’envisager le retour au travail ». Voir aussi p. 292, l. 12 à 23, en réponse au juge.

[31]    Ce n’est pas Me Blouin qui représente Mme Roadnight au procès, signalons-le.

[32]    Témoignage de Denis L. Blouin, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 368.

[33]    Id., p. 369 et 374.

[34]    Courriel de Me Jetté à Me Blouin, 31 mars 2014 (pièce P-8).

[35]    Courriel de Me Blouin à Me Jetté, 24 avril 2014 (pièce P-8).

[36]    Ibid.

[37]    Lettre de Me Blouin à Me Jetté, 25 avril 2014 (pièce P-9).

[38]    Lettre de Me Blouin à Me Jetté, 10 juin 2014, p. 2-3 (pièce P-10).

[39]    Demande introductive d’instance modifiée, 21 mars 2018, sous-paragr. 64-iv.

[40]    Demande introductive d’instance modifiée, 21 mars 2018, paragr. 65.

[41]    Demande introductive d’instance modifiée, 21 mars 2018.

[42]    Roadnight c. Costco Wholesale Canada Ltd., 2015 QCCS 4305, paragr. 38, 40, 41 et 46.

[43]    Certaines personnes qui ne sont pas des travailleurs au sens de l’art. 2 L.a.t.m.p. peuvent choisir d’adhérer au régime. Voir par ex., l’art. 18 L.a.t.m.p. :

18.        Le travailleur autonome, le domestique, la ressource de type familial, la ressource intermédiaire, l’employeur, le dirigeant ou le membre du conseil d’administration d’une personne morale peut s’inscrire à la Commission pour bénéficier de la protection accordée par la présente loi.

18.        Independent operators, domestics, family-type resources, intermediate resources, employers, executive officers and members of the boards of directors of legal persons may register with the Commission to have protection under this Act.

            Toutefois, un travailleur qui siège comme membre du conseil d’administration de la personne morale qui l’emploie n’a pas à s’inscrire à la Commission pour bénéficier de la protection de la présente loi lorsqu’il remplit ses fonctions au sein de ce conseil d’administration.

            However, a worker who sits on the board of directors of the legal person that employs him need not register with the Commission to have protection under this Act when the worker exercises his functions as a member of that board of directors.

      Voir aussi les art. 15 à 17 et 24.1 et s. L.a.t.m.p.

[44]    Ou personne assimilée à un travailleur par les art. 9 à 14 L.a.t.m.p.

[45]    Jugement de première instance, paragr. 71.

[46]    Notons par ailleurs que le juge conclut que l’invalidité de Mme Roadnight constitue une lésion professionnelle :

[66] Le Tribunal est d’accord avec les défendeurs que les propos tenus par Dufour sont à l’origine des problèmes de santé de Roadnight et de son absence du travail, bref qu’elle a subi une lésion professionnelle au sens de la LATMP. D’ailleurs, Roadnight admet que toute réclamation pécuniaire en lien avec la lésion professionnelle doit être dirigée vers la CNESST seulement.

[47]    J.E. 2002-1801 (C.A., demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 mai 2003, n° 29483).

[48]    [2010] 3 R.C.S. 64, paragr. 42.

[49]    Mentionnons ceux des art. 32 et 252, 246, 349, 358 ou 359 L.a.t.m.p.

[50]    La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), autrefois Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

[51]    Le Tribunal administratif du travail (TAT). Voir les art. 359 et 359.1 L.a.t.m.p. et l’art. 1, al. 2 de la Loi instituant le Tribunal administratif du Québec, RLRQ, c. T-15.1. Il s’agissait précédemment de la Commission des lésions professionnelles.

[52]    Jennifer Nadeau, Le harcèlement psychologique au travail : l’accès difficile à l’indemnisation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 89.

[53]    J.E. 2001-213 (C.A., demande de permission d’appeler à la Cour suprême rejetée, 20 septembre 2001, n° 28436). Dans cette affaire, la plaignante alléguait avoir dû démissionner en raison du harcèlement sexuel auquel se serait livré l’employeur à son endroit et de la maladie causée par ce harcèlement (voir le paragr. 7 de l’arrêt). Alléguant congédiement déguisé, l’intimée, au nom de la plaignante, a poursuivi l’employeur en justice, lui réclamant une indemnité équivalant au délai de congé rattaché à la fin du lien d’emploi ainsi que des dommages moraux pour atteinte discriminatoire à sa dignité et des dommages exemplaires. Elle réclamait également que l’employeur se dote d’une politique contre le harcèlement sexuel et adresse une lettre d’excuses à la plaignante.

[54]    La Cour infirmera le jugement de première instance et rejettera l’action, notant que :

[21]  En l’espèce, le fondement du recours de la mise en cause est une maladie survenue par le fait ou à l’occasion du travail tel que le Tribunal l’a d’ailleurs reconnu. En conséquence, ce dernier n’avait pas la compétence d’accorder des dommages-intérêts.

[55]    Il semble que ce puisse également être le cas de l’art. 124 L.n.t., disposition qui, par son langage exprès, permettrait au salarié de porter plainte à la CNESST concurremment à une plainte faite en vertu, par exemple, de l’art. 32 L.a.t.m.p.

[56]    2009 QCCA 21.

[57]    2010 QCCA 1167 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 20 janvier 2011, n° 33840).

[58]    Id., paragr. 10.

[59]    D.T.E. 2005T-123 (C.A.).

[60]    Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles) et Bouchard, 2015 QCCFP 11.

[61]    Bouchard et Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles), 2013 QCCFP 21.

[62]    Bouchard et Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles), 2015 QCCFP 3.

[63]    Préc., note 53.

[64]    Bouchard et Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles), préc., note 62, paragr. 102.

[65]    RLRQ, c. F-3.1.1.

[66]    Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles) et Bouchard, préc., note 60.

[67]    Bouchard c. Commission de la fonction publique, 2016 QCCS 3830.

[68]    Procureure générale du Québec c. Bouchard, 2018 QCCA 661.

[69]    2008 QCCA 363.

[70]    Le jugement de première instance mentionne d’autres déboires (problèmes liés à l’acquisition d’une maison affectée de vices cachés, rupture conjugale, départ de sa fille). Voir : Charbonneau c. Longueuil Nissan, 2006 QCCS 5561, paragr. 20-21.

[71]    Longueuil Nissan c. Charbonneau, préc., note 69, paragr. 25.

[72]    Réserve complétée, en ce qui concerne le TAT, par l’art. 1 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, préc., note 51.

[73]    À l’exception de l’atteinte à la réputation. Voir : Ghanouchi c. Lapointe, préc., note 56, paragr. 35; G.D. c. Centre de santé et des services sociaux A, 2008 QCCA 663 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 2 octobre 2008, n° 32675); Gabba c. Rémillard, J.E. 2004-2189 (C.A.); Parent c. Rayle, [2003] R.J.Q. 6 (C.A.).

[74]    Sous réserve du contrôle judiciaire des décisions des instances investies par la L.a.t.m.p., qui est d’une nature bien différente.

[75]    2014 QCCA 679.

[76]    Id., paragr. 97.

[77]    Préc., note 53.

[78]    Jugement de première instance, paragr. 66 et s.

[79]    Jugement de première instance, notamment aux paragr. 66 et 76, reproduits au paragr. [47] supra.

[80]    Rapport psychiatrique du Dr Roger-Michel Poirier, préc., note 10, p. 8 :

8-    Madame présente actuellement une certaine dysphorie de nature anxieuse, une conduite d’évitement partielle, une dyssomnie légère à titre, de limitations fonctionnelles partielles sur le plan thérapeutique. Sa réintégration devrait se faire sur un mode de retour progressif au travail suivant la rencontre de médiation et/ou de conciliation. Compte tenu de la durée de l’absence; je suggère qu’un retour progressif se fasse sur une période, minimale de 6 semaines. Les limitations fonctionnelles mentionnées précédemment devraient rentrer dans l’ordre dans environ 8 semaines avec le plan de traitement suggéré.

[81]    Le délai d’exercice du droit de retour au travail de Mme Roadnight était en effet régi par l’art. 240, al. 1, paragr. 2 L.a.t.m.p., applicable à l’établissement comptant plus de 20 travailleurs.

      Notons au passage que, étant redevenue apte au travail avant l’expiration de ce délai, Mme Roadnight n’avait donc pas droit à l’indemnité prévue par l’art. 48 L.a.t.m.p. Voir par ex. : Municipalité de Shannon et Girard, 2018 QCTAT 2039, paragr. 75-76.

[82]    Jugement de première instance, paragr. 109.

[83]    Voir par ex. : Orchestre métropolitain du Grand Montréal c. Rescigno, 2006 QCCA 6, paragr. 24.

[84]    Mémoire des appelants, paragr. 88.

[85]    2012 QCCA 1091, paragr. 18 à 20.

[86]    Id., paragr. 18.

[87]    Salomon c. Matte-Thompson, [2019] 1 R.C.S. 729, motifs majoritaires du j. Gascon, paragr. 35-41 (et particulièrement le paragr. 41).

[88]    Voir les paragr. [41], [71] et [72] supra. En résumé, cette cause est la suivante : le congédiement déguisé qu’allègue l’intimée ne réside pas dans l’incident de septembre 2011, mais découle de la manière dont les appelants auraient (ou n’auraient pas) géré le retour au travail consécutif à l’absence pour incapacité engendrée par cet incident.

[89]    Rapport psychiatrique du Dr Denis Lepage, préc., note 7, p. 12.

[90]    Id., p. 13.

[91]    Voir supra, paragr. [15].

[92]    Voir supra, paragr. [20].

[93]    Rapport psychiatrique du Dr Roger-Michel Poirier, préc., note 10, p. 6.

[94]    Id., p. 7.

[95]    Ibid.

[96]    Voir supra, paragr. [23] et [25].

[97]    Supra, paragr. [25].

[98]    Témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 144-147 et 273-274; témoignage d’Andrée Lemire, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 167, et 171-173.

[99]    Lettre de l’assureur Manuvie à Mme Roadnight, 7 février 2013, p. 1 (pièce P-4). Copie de cette lettre est adressée à une représentante de l’établissement de Costco à Sherbrooke, Mme Manon Thibault, l’autre à une personne de « Costco Canada », Mme Lucie Lachance (qui a participé à la rencontre du 24 janvier 2013, voir supra, paragr. [17]).

[100]   Témoignage de Jean-François Dufour, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 97-98.

[101]   Témoignage de Jean-François Dufour, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 102-103; témoignage d’Andrée Lemire, notes sténographiques du 23 mars 2018, p. 167 et 172-173.

[102]   Voir supra, paragr. [34], [35] et [36].

[103]   Surtout d’une certaine Caroline Moisan, qui semble être une employée subalterne.

[104]   Témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 122-126. En ce sens, voir aussi la lettre de la psychologue France Pedneault, 17 septembre 2012 (pièce P-3).

[105]   Voir supra, paragr. [25], citant la lettre que Me Blouin adresse à Me Jetté le 4 décembre 2013.

[106]   Jugement de première instance, paragr. 100.

[107]   Voir supra, paragr. [26].

[108]   Jugement de première instance, paragr. 107.

[109]   Place qui, faut-il le préciser n’a jamais été comblée par l’employeur, sinon par des titulaires temporaires, et ce, pendant toute l’absence de la salariée, absence qui, le 4 février 2014, durait déjà depuis plus de deux ans. Sans en être à lui seul déterminant, ce fait tend plutôt à indiquer que l’employeur s’attendait au retour de Mme Roadnight. On aurait peut-être pu inférer le contraire, s’il avait attribué le poste, de façon permanente, à une autre personne, mais ce n’est pas ce qui s’est produit ici. Mme Roadnight indique aussi que, à sa connaissance, sa photo est encore dans la salle commune des cadres, alors qu’on enlève généralement celles des employés qui ne travaillent plus pour l’entreprise (témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 180). On signalera aussi que, assez étonnamment, Mme Roadnight, au moment du procès, recevait encore des T4 de l’employeur et continuait de bénéficier du régime d’assurance médicaments mis en place par celui-ci (témoignage de Susan Roadnight, notes sténographiques du 22 mars 2018, p. 177).

[110]   Je note ici qu’en 2013, une employée de Costco semble avoir été mise au courant de l’affaire. Il s’agit de Mme Lucie Lachance, gérante SST-Gestion de l’invalidité, qui a participé, avec Mme Roadnight, son avocat et un représentant de Manuvie, à une rencontre, en janvier 2013. Mais, comme on l’a déjà mentionné, nous ignorons ce qui s’est dit lors de cette rencontre. Quelqu’un a parlé à M. Dufour à l’époque, mais nous ne savons pas si c’est Mme Lachance ou si c’est plutôt l’assureur et nous ne savons pas non plus ce qui lui fut précisément communiqué. Au final, même en supposant que Mme Lachance pouvait agir, mais qu’elle n’a rien fait, on ne peut en conclure qu’elle participait aux moyens, manœuvres, subterfuges « orchestrés de mauvaise foi » que le juge reproche aux appelants. L’incompétence d’un individu en position d’autorité peut jouer son rôle dans un congédiement déguisé, mais l’on en sait trop peu ici pour en déduire quoi que ce soit.

[111]   [1997] 1 R.C.S. 846, paragr. 24.

[112]   Préc., note 83.

[113]   Préc., note 69.

[114]   2014 QCCA 1320.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.