Décision

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Décision

Ficca c. Doyle

2021 QCTAL 23325

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

562750 31 20210322 G

No demande :

3205739

 

 

Date :

30 septembre 2021

Devant la juge administrative :

Suzanne Guévremont

 

Angelo Ficca

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Eric Doyle

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le locateur demande la résiliation du bail et l’expulsion du locataire et sa condamnation au frais.

[2]      Le Tribunal a bien pris note de l'ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.

LE BAIL

[3]      Les parties sont liées par un bail reconduit qui couvre la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021, au loyer mensuel de 570 $.

LA PREUVE EN DEMANDE

[4]      Le locateur déclare ce qui suit.

[5]      L’immeuble comporte dix-neuf logements répartis sur quatre étages, incluant celui du locataire situé au sous-sol.

[6]      Il prétend que le logement du locataire est malpropre et encombré, le rendant insalubre.

[7]      Il affirme que des vêtements, objets et détritus jonchent les meubles et le sol.

[8]      Cet état de saleté et d’encombrement favorise la présence de blattes et autres insectes nuisibles dans le logement et, pire encore, dans l’immeuble entier.

[9]      Il produit, en l’absence de son auteur, les rapports de l’exterminateur Kelvin Philibert, un employé de Gabriel Extermination. C’est lui qui a traité le logement en mars, septembre et octobre 2020.


[10]   Ces rapports décrivent un manque d’entretien et de l’encombrement chez le locataire et dans d’autres logements.

[11]   Le locateur produit sa lettre de mise en demeure du 26 novembre 2020, sans son accusé de réception et non signée. Dans cette correspondance, le locataire est sommé de nettoyer son logement avant le 1er décembre 2020.

[12]   Il exhibe aussi des photographies de la salle de bain du locataire prises le 26 février 2021 par son employée. On y voit plusieurs cadavres de blattes.

[13]   Une fois son témoignage complété, le locateur fait ensuite entendre sa secrétaire, Nahla Abdelamid.

[14]   Son témoignage peut aisément se résumer par ce qui suit.

[15]   Elle est à l’emploi du locateur depuis le mois de novembre 2020.

[16]   Elle n’a jamais rencontré le locataire avant l’audience.

[17]   Le 26 février 2021, elle entre chez lui en son absence et sans préavis.

[18]   Une odeur nauséabonde imprègne les lieux, lesquels sont infestés de blattes.

[19]   Elle documente ce qu’elle voit par des photos, dont celles produites à l’audience par le locateur.

[20]   À la suite de cette visite, elle ne retourne plus dans le logement.

LA DÉFENSE

[21]   Le locataire se décrit comme une personne à la santé fragile. Il est souvent hospitalisé.

[22]   Il prétend que son logement n’est pas encombré. Il a pris les moyens pour qu’il ne le soit plus.

[23]   Lorsque confronté à certaines photos du locateur qui montrent la présence de coquerelles en grand nombre dans la salle de bains, le locataire explique leur présence par le fait que les employés du locateur les y ont mis, par exprès.

[24]   Après ces brefs propos, l’audience est ajournée, par manque de temps.[1]

[25]   Lors de la seconde audience, le locataire réitère poursuivre ses efforts pour conserver son logement ordonné et propre, puisqu’il ne veut pas le perdre.

[26]   Pour corroborer ce qu’il affirme, il fait entendre Annick Gagnon, sa travailleuse sociale.

[27]   Elle connait bien le logement puisqu’elle s’y rend souvent. Elle a pris des photos de toutes les pièces en mai 2021. Le locataire les dépose en preuve.

[28]   Les commentant, madame Gagnon décrit un logement relativement propre et bien rangé.

RÉPLIQUE DU LOCATEUR

[29]   Il admet que le logement est plus propre qu’avant, mais il craint que le locataire retombe rapidement dans ses vieilles habitudes. C’est pourquoi il insiste pour obtenir la résiliation de son bail.

[30]   Ainsi se résume l'essentiel des faits pertinents au présent litige.

ANALYSE ET DÉCISION

Le droit applicable

[31]   Le recours du locateur repose sur les dispositions suivantes du Code civil du Québec :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »


« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail. […] »

« 1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état. (…) »

[32]    Soulignons également que la ville de Montréal a adopté le Règlement sur la salubrité, l’entretien et la sécurité des logements.

[33]   L’article 25 de ce Règlement stipule qu’un logement ne doit pas porter atteinte à la sécurité des résidents ou du public en raison de l'utilisation qui en est faite ou de l'état dans lequel il se trouve. Sont notamment prohibés et doivent être supprimés :

« 1.°la malpropreté, la détérioration ou l'encombrement d'un bâtiment principal, d'un logement, d'un balcon ou d'un bâtiment accessoire;

[...] »

[34]   Le Règlement prévoit aussi, des mesures d’évacuation d’un logement non-conforme.

[35]   Ajoutons que les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec prévoient que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage étant laissée à l'appréciation du Tribunal.

[36]   L'auteur Léo Ducharme énonce, relativement au fardeau de la preuve :

« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »[2]

[37]   La demande de résiliation du bail est-est fondée?

[38]   Pour répondre affirmativement à cette question, il appartient au locateur de démontrer que le locataire contrevient à ses obligations et que ses agissements fautifs, une fois prouvés, sont si importants qu’ils lui causent, objectivement, pour reprendre les termes de l’article 1863 C.c.Q., un préjudice sérieux.

[39]   Que dit la preuve?

[40]   Étonnement, le locateur n’a pas jugé utile de faire témoigner l’exterminateur, dont le rapport le plus récent remonte au mois d’octobre 2020, faut-il le souligner.

[41]   Les photos prises par madame Abdelamid, en février 2021, se concentrent à un endroit précis du logement, soit la salle de bain. Cela ne donne pas un portrait complet de la situation.

[42]   Il faut donc se référer à celles prises par la travailleuse sociale en mai, pour avoir un meilleur aperçu de l’état du logement, d’autant qu’elles ont aussi l’avantage d’être les plus récentes.

[43]   Les clichés de l’une et l’autre parlent d’eux-mêmes et convainquent le Tribunal que le logement du locataire n’est pas un modèle de propreté.

[44]   Cela-dit, il n’apparaît pas comme étant aussi encombré que le locateur le prétend, au point de le rendre insalubre.

[45]   S’il l’a été, il ne l’est plus.

[46]   Au surplus, le locataire affirme qu’il s’affaire encore à nettoyer et mieux ranger son logement de peur de le perdre.

[47]   Sans aller jusqu’à prétendre qu’il n’y a jamais eu de coquerelles chez lui, il déclare que le problème est aujourd’hui résolu.


[48]   Son témoignage est appuyé par celui de sa travailleuse sociale, dont les visites au logement sont fréquentes.

[49]   Or, selon l'auteur Pierre-Gabriel Jobin : « La résiliation est assujettie à une autre règle très importante : le locateur, victime d'une faute du locataire, ne possède pas de droits acquis à la résiliation, en ce sens que, dans certaines circonstances, elle sera refusée par le tribunal même si la faute et le préjudice sérieux sont clairement établis. La doctrine d'absence de droits acquis à la résiliation est donc bien établie. Dans la plupart des cas, elle se justifie par le fait que, le débiteur ayant remédié à son défaut, l'action n'a plus d'objet ou encore le locateur ne subit plus de préjudice sérieux. »

[50]   En d’autres mots, les efforts déployés par le locataire pour conserver son logement ont porté fruit et ce, même s’il y a encore place à amélioration, vu les nombreuses boîtes toujours empilées sur le parquet du salon et les multiples sacs entassés sur le sofa et ailleurs.

[51]   Dans les circonstances, une ordonnance en vertu de l’article 1973 C.c.Q. paraît le remède approprié.

[52]   Selon les auteurs Pierre Gagnon et Isabelle Jodoin[3], ce type d’ordonnance est formulée en matière de troubles de comportement, dans le cas où le tribunal constate que la conduite d’un locataire fautif s’est améliorée, comme c’est le cas en l’instance.

[53]   Cette disposition stipule ceci :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[54]   CONSIDÉRANT que le locataire fait le nécessaire pour éviter la résiliation de son bail;

[55]   CONSIDÉRANT que l’article 1973 C.c.Q. trouve ici application;

[56]   CONSIDÉRANT le témoignage des parties et la législation applicable;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[57]   ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[58]   SURSOIT à la résiliation du bail conformément à l'article 1973 C.c.Q. et, en conséquence;

[59]   ORDONNE au locataire de maintenir son logement en bon état de propreté et désencombré pour la durée restante du bail et pour sa prochaine reconduction;

[60]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur les frais judiciaires et de signification de 102 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Suzanne Guévremont

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Dates des audiences :

5 mai 2021

16 juillet 2021

 

 

 


 



[1] Avant l’ajournement, une visite du logement par le locateur est fixée pour le 20 mai 2021.

[2] Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson & Lafleur Ltée, p. 62, # 38.

[3] « Louer un logement » 2e édition, Édition Yvon Blais, p.169.

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