Bourgela c. Campanella | 2024 QCTAL 3479 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 675919 31 20230126 G | No demande : | 3779852 | |||
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Date : | 31 janvier 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Stella Croteau | |||||
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Nathalie Bourgela |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Giovanni Campanella |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande de la locataire, produite le 26 janvier 2023, en exécution en nature, en dommages, le tout avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, en diminution du loyer, au paiement des frais et d’ordonner l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer de 869 $.
[3] L'audience du 14 juillet 2023 a eu lieu devant la juge administrative Isabelle Gauthier. Le dossier a été par la suite assigné à la soussignée afin de poursuivre l'audience, en vertu de l'article 81 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1]. La réécoute de l'audience a eu lieu préalablement afin de continuer l'audience.
MOTIFS
Exécution en nature
[4] Le locateur néglige ou refuse de corriger le problème de punaises de lit du logement.
[5] La locataire admet que le problème de punaises est réglé. Cette demande n’a plus d’objet.
Dommages
[6] La locataire réclame la somme de 1 339,46 $ qu’elle a dû payer pour les frais d’extermination.
Diminution du loyer
[7] La locataire réclame la somme de 50 $ par mois pour la période de l’infestation, soit du 14 novembre 2022, jusqu’à l’éradication complète, soit le 12 janvier 2023.
QUESTIONS EN LITIGE
[8] Le locateur a-t-il fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués? Le cas échéant, quelle sera la diminution de loyer à accorder?
[9] La locataire a-t-elle droit au remboursement des frais d'extermination?
CONTEXTE FACTUEL
[10] La locataire habite l’immeuble depuis 39 ans. Elle y habitait avec sa mère. À la suite du décès de cette dernière, en 2018, le bail a été transféré à son nom.
[11] Le 14 novembre 2022, elle s’aperçoit qu’elle a des punaises de lit. Elle en voit une sur sa jaquette puis une autre dans son lavabo. Elle va vérifier sous son matelas et voit qu’il y en a une bonne quinzaine. Elle appelle au travail pour dire qu’elle ne vient pas et communique immédiatement avec la concierge, Lina Gauthier. Cette dernière lui demande si elle va communiquer avec le propriétaire.
[12] La locataire retient les services d’une compagnie d’extermination, car elle jugeait que c’était urgent.
[13] Elle est informée que c’est son propriétaire qui doit payer pour l’extermination. Elle communique avec Ross (Rosario) Campanella la même journée. Il lui dit que ce n’est pas eux qui ont apporté ça dans l’immeuble et que c’est à elle de le payer, que ce soit leur exterminateur ou le sien. L’exterminateur étant déjà en chemin, elle le laisse venir pour faire le traitement. Peu importe s’il paie ou non, elle veut que le traitement d’extermination se fasse. La réponse du locateur était finale, il ne payera pas.
[14] Le 1er traitement est fait le 14 novembre 2022. Elle mettra en demeure le locateur puis fait sa demande au Tribunal administratif du logement. Le 2e traitement se fera le 7 décembre 2022 et le 3e traitement se fera le 12 janvier 2023. Elle a une garantie de 6 mois. Aucune autre punaise n’a été trouvée depuis le dernier traitement.
[15] Le locateur n’est pas allé dans son logement pour évaluer la situation.
[16] La mise en demeure est faite au locateur le 16 novembre 2022.
[17] Le représentant du locateur ne sait pas s’il y avait des punaises. La locataire produit une soumission. Peut-être fait en prévention. Il met en doute la présence de punaises.
[18] L’audience sera ajournée devant la juge Isabelle Gauthier.
[19] Le 15 novembre 2023, l’audience reprend devant la soussignée. Le locateur n’est pas présent. La locataire fera témoigner Pascal Dumoulin, le propriétaire de l’entreprise qui a fait l’extermination. Il est exterminateur depuis 2002. Il n’est pas allé lui-même dans le logement. Son technicien a tenté de rejoindre le locateur sans succès. Il n’a pu inspecter l’immeuble. Il ne peut déterminer l’origine de l’infestation.
[20] La locataire soumet la facture de l’extermination ainsi que la preuve du paiement.
ANALYSE
[21] Selon les articles 1854, 1864 et 1910 du C.c.Q., le locateur a l'obligation de procurer la jouissance paisible du logement pendant toute la durée du bail, de faire les réparations nécessaires et de maintenir le logement en bon état d'habitabilité.
[22] Lorsque le locateur fait défaut de respecter cette obligation, la locataire peut obtenir une diminution de loyer[2]. En l'instance, le locateur qui fait défaut de procurer à la locataire la pleine jouissance de son logement, ne peut exiger l'exécution totale de l'obligation corrélative de cette dernière, soit celle de payer le loyer[3].
[23] De plus, pour obtenir une diminution de loyer, la locataire doit démontrer une perte subie de la valeur locative, une diminution de prestation d'une situation, ou encore, les défectuosités qu'elle dénonce lui occasionnent une diminution significative et réelle ou une perte substantielle. Il ne peut pas s'agir d'un problème mineur, mais plutôt d'un problème sérieux.
[24] À ce sujet, le Tribunal souscrit à l'opinion de Me Gilles Joly dans l'affaire Gagné c. Larocque[4] :
« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »
[25] Par ailleurs, les articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoient qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.
[26] Il appartient au Tribunal d'apprécier la preuve présentée et d'en évaluer la force probante afin de déterminer si l'existence d'un fait qu'on désire mettre en preuve est plus probable que son inexistence. Ainsi, il ne suffit pas de présenter des allégations devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.
[27] Selon le Tribunal, la preuve démontre de façon prépondérante une perte de jouissance significative et réelle des lieux loués, en raison d'une problématique liée à la présence de punaises dans le logement pour la période du 14 novembre 2022 au 12 janvier 2023.
[28] Le Tribunal estime donc que la diminution demandée est justifiée et accordera à la locataire la somme globale forfaitaire de 100 $ à titre de diminution de loyer qui compensera de façon juste et raisonnable sa perte de jouissance des lieux loués.
Frais d’extermination
[29] Quant aux dommages-intérêts réclamés par la locataire pour le remboursement des frais d'exterminateur qu'elle a défrayés considérant que le locateur a refusé de prendre en charge l’extermination, le Tribunal lui accorde les frais de 1 121,01 $. Le montant pour les deux housses (218,45 $) est déduit du montant réclamé.
[30] Selon la loi, il appartient au locateur de procéder à tout traitement s'il y a lieu, à moins de prouver la mauvaise foi du locataire ou son entière responsabilité. Ce qui n’a pas été fait.
[31] L’article 1868 C.c.Q. mentionne ce qui suit :
Le locataire a le droit d'être remboursé des dépenses raisonnables qu'il a faites dans ce but; il peut, si nécessaire, retenir sur son loyer le montant de ces dépenses. »
[32] La locataire a avisé le locateur et ce dernier a refusé d’agir. La présence de punaises est une situation urgente et nécessaire. Selon le rapport de l’exterminateur, l’infestation est importante.
[33] En ce qui concerne les frais engendrés pour la présence de l’exterminateur à la Cour, ces frais sont refusés, n’ayant pas été réclamés dans la demande. De plus, chaque partie doit assumer ses frais pour faire valoir ses droits.
[34] Le préjudice causé à la locataire ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[5].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;
[36] DIMINUE le loyer de 100 $, pour la période du 14 novembre 2022 au 12 janvier 2023;
[37] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 1 121,01 $, le tout avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 16 novembre 2022, ainsi que les frais au montant de 93,75 $;
[38] REJETTE quant au surplus.
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Stella Croteau | ||
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Présence(s) : | la locataire | ||
Date de l’audience : | 15 novembre 2023 | ||
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[1] RLRQ, c. T-15.01.
[2] 1863 al.2 C.c.Q.
[3] Lareau c. Régie du logement, 1999 CanLII 11291 (QC CS).
[4] Gagné c. Larocque, R.D.L., 1997-12-01, SOQUIJ AZ-50756952.
[5] Op. cit., note 1.
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