Décision

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I. Quint Group Inc. c. Quintcap inc.

2022 QCCA 1717

COUR DAPPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029472-214

(500-17-093002-163) (500-11-051087-167)

 

DATE :

19 décembre 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

No : 500-17-093002-163

I. QUINT GROUP INC.

IAN QUINT

GOTHAM DEVRAKER DEVELOPMENTS INC.

DEVRAKER REAL ESTATE INC.

7549881 CANADA INC.

APPELANTS/INTIMÉS INCIDENTS – défendeurs

c.

 

QUINTCAP INC.

THEODORE QUINT

INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS – demandeurs

et

JOHN WAXLAX

IMMOBILIER DQ INC. (DQ REALTY INC.)

8209375 CANADA INC.

STORBEC MINI STORAGE INC.

9255-2504 QUÉBEC INC.

7335482 CANADA INC.

MIS EN CAUSE – mis en cause

______________________________________________________________________

 


No : 500-11-051087-167

DEVRAKER REAL ESTATE INC.

IAN QUINT

APPELANTS – demandeurs

c.

 

QUINTCAP INC.

STORBEC MINI STORAGE INC.

8209375 CANADA INC.

THEODORE QUINT

SYLVIA QUINT

JOHN WAXLAX

4528395 CANADA INC.

7340249 CANADA INC.

DQ REALTY INC.

9255-2504 QUÉBEC INC.

SAM DRAZIN

INTIMÉS défendeurs

et

9308-9290 QUÉBEC INC.

11225359 CANADA INC.

LOUIS DRAZIN

GROUPE QUINT INC.

MIS EN CAUSE – mis en cause

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable André Prévost), ayant accueilli en partie l’action des intimés/appelants incidents dans le premier dossier (500-17-093002-163) et rejeté celle des appelants dans le second dossier (500-11-051087-167).

[2]                Pour les motifs du juge Bachand, auxquels souscrivent les juges Mainville et Gagné, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE l’appel principal à la seule fin de substituer le paragraphe suivant au paragraphe 375 du dispositif du jugement entrepris :

[375] ORDONNE aux défendeurs Ian Quint, Groupe I. Quint inc., Devraker Real Estate Inc. et Gotham Devraker Developments Inc., leurs administrateurs, officiers, employés et mandataires ainsi qu’à toute autre personne sous leur contrôle de cesser — sur l’ensemble du territoire des municipalités mentionnées dans l’annexe I de la Loi sur la communauté métropolitaine de Montréal, RLRQ, c. C-37.01 — toute commercialisation trompeuse («Passing Off») de leurs services comme étant ceux des Demandeurs et de cesser — sur ce même territoire — d’utiliser ou autrement annoncer le nom ou la marque Groupe Quint ou toute variation de celle-ci (à l’exception du nom Ian Quint ou d’une marque incluant « Ian Quint » en autant qu’aucune préséance ne soit donnée au nom Quint sur le nom Ian) en relation avec : des services d’acquisition, de vente ou de location de propriétés immobilières (industrielles, commerciales ou résidentielles); des services  de construction de propriétés immobilières, de développement immobilier, de gestion immobilière; ainsi que des services d’exploitation ou de gestion d’hôtels;

[4]                ACCUEILLE l’appel incident;

[5]                RAYE du dispositif du jugement entrepris les paragraphes 383, 385 et 388;

[6]                LE TOUT, avec les frais de justice en faveur des intimés/appelants incidents Quintcap inc. et Theodore Quint.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Éric Christian Lefebvre

Me Charles-Antoine M. Péladeau

Me Julie France Lacourcière

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Pour les appelants/intimés incidents (500-17-093002-163) et appelants (500-11-051087-167)

 

Me Alain Y. Dussault

Me James Duffy

LAVERY de BILLY

Pour les avocats des intimés/appelants incidents (500-17-093002-163)

 

Me Julien Lussier

IMK

Pour les intimés (500-11-051087-167)

 

Date d’audience :

25 octobre 2022

 


 

 

 

MOTIFS DU JUGE BACHAND

 

 

Table des matières

Paragr.

I. Mise en contexte.........................................................8

II. Analyse................................................................15

  1. Les moyens relatifs à la commercialisation trompeuse.........................15
  1. L’existence d’un achalandage........................................15
  2. L’existence d’une confusion...........................................18
  1. Le moyen relatif au devoir de loyauté.......................................22
  2. Le moyen relatif à la portée territoriale de l’injonction..........................23
  3. Les moyens relatifs aux actions cédées entre 2010 et 2013....................33
  1. La qualification des opérations effectuées..............................34

i)        Les actions faisaient-elles partie de la rémunération d’Ian?...........34

ii)      La qualification des cessions à titre de donations indirectes..........35

  1. La révocation des donations pour cause d’ingratitude....................42

i)        La qualification du comportement d’Ian............................43

ii)      L’identité du véritable donataire...................................44

iii)    Une personne morale peut-elle obtenir la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude?              47

iv)    L’argument fondé sur la participation de Sam Drazin à la cession d’actions de DQ              51

  1. La restitution des prestations.........................................53
  1. Le moyen relatif au recours en oppression...................................63

III. Conclusion..............................................................66

__________________

[7]                Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable André Prévost)[1], ayant tranché un litige commercial aux multiples ramifications et dont les protagonistes sont Ian Quint et son oncle, Theodore Quint[2].

I. Mise en contexte

[8]                Le contexte de laffaire étant très bien présenté dans le jugement entrepris, il suffit à ce stade den exposer brièvement les grandes lignes.

[9]                À la fin du mois de janvier 2015, après avoir œuvré durant une dizaine dannées au sein dentreprises de Theodore spécialisées dans le développement immobilier, Ian a rompu ses liens daffaires avec son oncle et décidé de fonder sa propre entreprise, I. Quint Group inc. (« Groupe Quint »). Selon Theodore, Ian a alors agi de manière fautive à plus dun égard, notamment en se livrant à de la commercialisation trompeuse (passing off) et en contrevenant au devoir de loyauté lui incombant en vertu de larticle 2088 C.c.Q. Quant à lui, Ian est davis quil na commis aucune faute et que les véritables victimes dans cette affaire sont plutôt lui et sa société de portefeuille Devraker Real Estate Inc. (« Devraker »), qui auraient fait lobjet doppression de la part de Theodore et de sociétés liées à ce dernier.

[10]           Le juge de première instance était saisi de deux dossiers qui ont été joints[3]. Dans le premier dossier, Theodore et une société quil contrôle, Quintcap inc. (« Quintcap »), ont poursuivi Ian et certaines de ses sociétés en injonction, en dommages-intérêts ainsi quen remboursement de profits découlant de la commercialisation trompeuse à laquelle il se serait livré. Theodore a également demandé la révocation, pour cause dingratitude, de donations dactions faites à Ian entre 2010 et 2013 par lentremise de diverses sociétés liées. Quant au second dossier, il avait pour objet un recours en oppression institué par Ian et Devraker.

[11]           Linstance ayant été scindée[4], le jugement entrepris ne porte que sur les questions de responsabilité. Celles liées à la preuve et à la quantification des dommages ont été reportées à une phase ultérieure.

[12]           Au terme dun procès ayant duré une vingtaine de jours, le juge a rendu un jugement étoffé dans lequel il a retenu la plupart des arguments avancés par Theodore et Quintcap. Plus exactement, il a conclu quIan sétait livré à de la commercialisation trompeuse, quil avait contrevenu à son devoir de loyauté et quil avait violé les droits dauteur de Quintcap. Puis, il a rendu une injonction enjoignant à Ian ainsi quà diverses personnes physiques et morales lui étant liées de cesser toute commercialisation trompeuse. Sur la question des actions cédées entre 2010 et 2013, le juge a conclu quil sagissait de donations indirectes faites à Ian et quelles devaient être révoquées pour cause dingratitude. Estimant cependant que Theodore et Quintcap bénéficieraient dun avantage indu sil nétait pas tenu compte de la plus-value que ces actions avaient acquise à la fin janvier 2015moment de la cessation de la relation daffaires entre les deux protagonistes —, le juge a ordonné à Ian de les restituer tout en ordonnant à Theodore et Quintcap de lui rembourser un montant correspondant à cette plus-value. Enfin, le juge a conclu au rejet du recours en oppression institué par Ian et Devraker.

[13]           La Cour est saisie dun appel principal et dun appel incident.

[14]           Dans le cadre de lappel principal, Ian et des sociétés lui étant liées appelants »), dont Groupe Quint et Devraker, sattaquent aux conclusions du juge concernant la commercialisation trompeuse, le devoir de loyauté, les actions cédées entre 2010 et 2013 — quils estiment ne pas avoir fait lobjet de donations, contrairement à ce qua conclu le juge —, ainsi que le recours en oppression.  Dans le cadre de lappel incident, Theodore et Quintcap intimés ») remettent en cause la conclusion du juge leur ordonnant de rembourser à Ian la plus-value que les actions cédées entre 2010 et 2013 avaient acquise en date du 30 janvier 2015.

II. Analyse

  1. Les moyens relatifs à la commercialisation trompeuse
  1. L’existence d’un achalandage

[15]           Sagissant dabord de la question de la commercialisation trompeuse, les appelants soutiennent dans un premier temps que le constat du juge quant à lexistence dun achalandage lié à la marque « Quintcap » — exigence clé[5] de tout recours fondé sur larticle 7b) de la Loi sur les marques de commerce[6] L.m.c. »)est entaché dune erreur révisable. Plus exactement, le juge aurait erré en omettant de se demander si, en plus davoir prouvé lutilisation de la marque « Quintcap », Quintcap avait aussi démontré la reconnaissance de cette marque au sein du groupe de référence pertinent, soit les éventuels locataires dimmeubles lui appartenant. Cette erreur serait par ailleurs déterminante en ce que la preuve au dossier ne permettrait pas de répondre à cette seconde question par laffirmative.

[16]           Les appelants ont tort daffirmer que le juge a omis danalyser lexistence de lachalandage du point de vue des membres du public susceptibles de faire appel aux services des intimés. Puisquil sest — à juste titre — appuyé sur la définition de la notion dachalandage retenue par la Cour suprême dans larrêt Veuve Clicqot[7], il sest essentiellement interrogé sur lexistence dune « association positive qui attire les consommateurs vers les marchandises ou services du propriétaire de la marque plutôt que vers ses concurrents »[8]. Il ressort clairement de cette définition que lexistence dun achalandage ne dépend pas uniquement de lutilisation faite dune marque de commerce donnée, mais quelle est également tributaire dun impact positif de cette utilisation sur la perception quont les clients potentiels des marchandises ou services du propriétaire. Ainsi, il faut comprendre du constat du juge quant à lexistence dun achalandage lié à la marque « Quintcap » quil était aussi davis que celle-ci avait acquis une reconnaissance suffisante aux yeux déventuels locataires dimmeubles appartenant à Quintcap.

[17]           Les appelants ont également tort de soutenir que ce constat ne trouve aucun appui dans la preuve qui a été administrée. En effet, celle-ci permettait amplement au juge de conclure que les services rendus par Quintcap la mettaient en relation avec un large public composé notamment déventuels locataires[9] et que la marque « Quintcap » était utilisée abondamment dans le cours normal de ses affaires, y compris dans lexécution et lannonce de ses services[10]. Le juge pouvait raisonnablement inférer de ces faits que la marque « Quintcap » avait acquis une reconnaissance suffisante auprès du public, y compris les éventuels locataires dimmeubles appartenant à Quintcap.

  1. L’existence d’une confusion

[18]           Toujours sagissant de la question de la commercialisation trompeuse, les appelants prétendent, dans un second temps, que le juge a commis des erreurs révisables en concluant quen utilisant la marque « Groupe Quint », Ian avait eu un comportement délibérément fautif ayant eu pour effet[11] de semer la confusion dans lesprit des clients actuels et éventuels de Quintcap.

[19]           Là aussi, les appelants ont tort.

[20]           Dabord, le juge na commis aucune erreur de droit en retenant le critère de la « première impression du consommateur ordinaire plutôt pressé » à la vue de la marque en litige. Cest précisément le critère retenu par la Cour suprême[12], et le juge a pris soin de lappliquer en tenant compte du fait que la clientèle potentielle de Quintcap est hétéroclite, à limage dailleurs du marché étendu et varié de la location immobilière et commerciale dans lequel elle œuvre[13]. Ses constats quant à la nature de ce marché, qui sont essentiellement factuels, ne sont entachés daucune erreur manifeste et déterminante.

[21]           Ensuite, le juge na commis aucune erreur révisable en concluant que lutilisation par Ian de la marque « Groupe Quint » avait semé la confusion dans lesprit des clients actuels et éventuels de Quintcap. Son analyse rigoureuse des éléments au dossier y compris, tout particulièrement, les réactions confuses des clients Quintcap après que Group Quint eut débuté ses activités[14] démontre que sa conclusion trouve amplement appui dans la preuve. Les arguments des appelants ne constituent quune invitation à réévaluer cette preuve en faisant fi des normes dintervention applicables en appel[15]. Ils ne mettent en lumière aucune erreur de droit ni erreur manifeste et déterminante dans lanalyse que le juge a faite de la preuve.

  1. Le moyen relatif au devoir de loyauté

[22]           Jarrive au même constat sagissant des arguments des appelants quant à la question de savoir si Ian a contrevenu à son devoir de loyauté. Après avoir retenu que ce dernier avait sollicité un employé de Quintcap, sétait approprié un grand nombre de documents appartenant à Quintcap, avait délibérément semé la confusion dans lesprit des clients actuels et éventuels de Quintcap, sétait approprié des réalisations de Quintcap et avait agi de manière déloyale envers un client de Quintcap, le juge a conclu quIan avait de toute évidence contrevenu à son devoir de loyauté[16]. Les appelants remettent en cause chacun de ces constats en invitant la Cour à réévaluer lensemble de la preuve pertinente, et ce, sans jamais démontrer en quoi lanalyse du juge serait entachée dune erreur manifeste et déterminante.

  1. Le moyen relatif à la portée territoriale de linjonction

[23]           Comme je lai mentionné plus haut, le juge a rendu une injonction enjoignant aux appelants de cesser toute commercialisation trompeuse. Il n’a cependant pas précisé la portée territoriale et les parties ne sentendent pas sur les conséquences de ce fait.

[24]           Les appelants sont davis quil faut en déduire que linjonction nest aucunement limitée dans lespace. Ils ajoutent que le juge a commis une erreur justifiant lintervention de la Cour, car il aurait dû limiter la portée de linjonction au territoire où se trouvait lachalandage de Quintcap, soit — selon eux — celui de la ville de Brossard.

[25]            Quant aux intimés, ils plaident quil y a lieu dinférer du silence du juge que la portée de linjonction est limitée au territoire du Québec, puisquelle a été rendue par un juge de la Cour supérieure du Québec. Ils ajoutent que le juge naurait commis aucune erreur en ne limitant pas davantage la portée de son ordonnance, car la preuve démontrerait que lachalandage de Quintcap sétend à lensemble de la province[17].

[26]           À mon avis, la lecture que les appelants font de lordonnance rendue par le juge est la bonne : linjonction nest pas limitée dans lespace. Si le juge avait eu lintention den limiter la portée territoriale, on en retrouverait sans doute des indices dans ses motifs. Or, ils sont muets sur cette question. Par ailleurs, largument des intimés quant à lexistence dune limite implicite découlant du fait que la Cour supérieure exerce les compétences qui sont les siennes sur lensemble du territoire québécois ne me convainc pas. Comme la rappelé la Cour suprême dans laffaire Google, lorsque les circonstances sy prêtent, les cours supérieures canadiennes peuvent rendre des injonctions destinées à modifier le comportement d’une personne au-delà du ressort auquel elles sont rattachées[18]. Pour cette raison, l’étendue du territoire sur lequel le juge exerce sa compétence me semble être un indice peu probant de l’effet qu’il entendait donner à une injonction dont les termes ne précisent pas sa portée dans l’espace.

[27]           Les appelants ont également raison daffirmer que, dans un contexte de commercialisation trompeuse, linjonction devrait être limitée au territoire où se trouve lachalandage de la partie qui la recherche[19]. Le juge a donc commis une erreur révisable en omettant de considérer cette question.

[28]           Jestime toutefois que les appelants ont tort de soutenir que la preuve au dossier établit que lachalandage de Quintcap était, à lépoque pertinente, limité au territoire de la ville de Brossard. Le juge a clairement constaté quà l’époque pertinente, Quintcap était active sur l’ensemble du Grand Montréal et tout particulièrement sur la Rive-Sud de la métropole[20].

[29]           Le juge n’a cependant pas constaté que l’achalandage de Quintcap s’étendait au-delà du Grand Montréal et, contrairement à ce que les intimés soutiennent, la preuve au dossier n’étaye pas la prétention selon laquelle Quintcap disposait d’un achalandage à l’échelle de la province.

[30]           Sur ce dernier point, les intimés insistent d’abord sur le fait quà l’époque pertinente, certains clients de Quintcap étaient actifs partout au Québec. Or, cela ne saurait suffire alors que l’on ne sait rien d’autre à propos des locataires d’immeubles commerciaux actifs dans le reste de la province. Sont-ils composés d’entreprises œuvrant aussi dans le Grand Montréal? Est-ce le cas partout au Québec ou seulement dans certains marchés? Et dans les marchés où sont actives certaines entreprises œuvrant aussi dans le Grand Montréal, celles-ci représentent-elles une proportion importante ou seulement marginale de l’ensemble des locataires d’immeubles commerciaux?

[31]           Les intimés insistent aussi sur le fait que Quintcap était présente sur Internet à l’époque pertinente. Toutefois, le dossier est muet sur l’identité et les caractéristiques des utilisateurs de ses sites Internet[21].

[32]           Dans les circonstances, j’estime que la Cour doit intervenir afin de limiter la portée territoriale de l’injonction au Grand Montréal. Par souci de clarté, je propose de préciser dans le dispositif de l’arrêt que ce territoire comprend les municipalités formant la Communauté métropolitaine de Montréal[22].

  1. Les moyens relatifs aux actions cédées entre 2010 et 2013

[33]           Sagissant de la question des actions cédées entre 2010 et 2013, les appelants reprochent au juge de première instance davoir commis des erreurs révisables à pratiquement toutes les étapes de son analyse. La plupart de leurs arguments constituent, là encore, des invitations à refaire le procès en faisant fi des normes dintervention applicables en appel.

  1. La qualification des opérations effectuées

i)       Les actions faisaient-elles partie de la rémunération d’Ian?

[34]           Au niveau de la qualification des opérations effectuées, il convient de souligner dans un premier temps que le juge na commis aucune erreur révisable en rejetant largument dIan selon lequel ces actions faisaient partie de sa rémunération et en concluant quelles reflétaient plutôt lintention de Theodore de faire don à des membres de sa famille, dont Ian, dune partie de son portefeuille immobilier. Ce constat trouve amplement appui dans la preuve, y compris dans plusieurs témoignages — dont celui de Theodore — que le juge a considéré être « nettement plus crédibles »[23] que celui dIan.

ii)     La qualification des cessions à titre de donations indirectes

[35]           Le juge na pas non plus commis derreur révisable en concluant que les transactions par lesquelles ces cessions se sont concrétisées constituaient des donations, et ce, malgré le fait quelles ont été effectuées par lentremise de diverses sociétés contrôlées par Theodore et Ian[24].

[36]           Il convient de rappeler dentrée de jeu quune donation na pas à être ostensible pour être valide, larticle 1811 C.c.Q. consacrant lexistence en droit québécois des donations indirectes ou déguisées[25]. Le concept de donation indirecte, celui auquel le juge de première instance a fait appel en lespèce, correspond à une libéralité répondant aux caractéristiques de fond dune donationsoit une transmission de valeurs dont la contrepartie est inexistante ou encore insuffisante[26], accompagnée dune intention libérale[27], mais consentie par le biais dun ou plusieurs actes juridiques dune nature autre que la donation[28]. En outre, les donations indirectes se distinguent des donations déguisées en ce que, comme lexpliquait le professeur Brière, « les parties ne font rien pour cacher leurs intentions, mais se contentent de ne pas les révéler »[29].

[37]           De telles donations découlent parfois dun acte dit neutre, cest-à-dire un acte qui ne précise pas, du moins pour une personne non prévenue, sil est à titre gratuit ou onéreux[30] : pensons, par exemple, à la constitution dune servitude sur un immeuble, lorsque le contexte, inconnu des tiers, révèle quelle la été à titre gratuit[31]. Elles peuvent aussi prendre la forme dun acte à titre onéreux dans lequel les parties stipulent intentionnellement des prestations inégales[32]. Elles peuvent également « résulter de lattribution à un tiers du bénéfice dun acte juridique conclu par deux personnes », ce qui peut survenir par le biais dune stipulation pour autrui ou encore dun paiement pour autrui[33]. Aux termes de larticle 1811 C.c.Q., les donations indirectes — comme dailleurs les donations déguisées — sont assujetties aux règles régissant les aspects substantiels de la donation, mais non à celles qui en régissent la forme.

[38]           Dans la présente affaire, les transactions par lesquelles les actions en litige ont été cédées diffèrent par leur nature et leurs modalités.

[39]           Les premières, survenues en mai 2010, consistent en une série dopérations par lesquelles Theodore et le fils dun partenaire daffaires de longue date, Sam Drazin, ont dabord cédé à une société contrôlée par Theodore, Pierrevillage inc. Pierrevillage »), des actions quils détenaient dans la société Immobilier DQ inc. DQ »). Conformément aux instructions de Theodore, ces actions ont ensuite été cédées en parts égales à Devraker ainsi quà 4528395 Canada inc. (« 452 »), une société contrôlée par le gendre de Theodore, John Waxlax. Ni Devraker ni 452 nont déboursé quoi que ce soit pour ces actions, et la valeur — en date de la cession — de celles obtenues par Devraker a été établie par le juge de première instance à plus de 104 000 $. Cette dernière conclusion trouve appui dans lexpertise produite par les intimés[34], tout comme la conclusion selon laquelle la nature de ces opérations nest aucunement affectée par une avance de 285 000 $ quIan avait faite à DQ[35]. En outre, comme il a été souligné plus haut, Theodore a réalisé ces opérations afin de concrétiser son intention de faire don à Ian ainsi quà son gendre dune partie de son portefeuille immobilier.

[40]           Bien que le juge ait qualifié cette opération de donation indirecte et que la Cour doive faire preuve de retenue à légard de cette conclusion[36], on peut se demander si cette qualification est la bonne. Il y a peut-être lieu dy voir plutôt une donation ostensible, quoique effectuée par lentremise dun intermédiaire (Pierrevillage) ayant agi à titre de mandataire. Il nest cependant pas nécessaire den dire davantage : même si le juge avait erré sur ce point, son erreur serait sans conséquence, car il sagirait en toute vraisemblance dune donation valide[37] et susceptible dêtre révoquée pour cause dingratitude.

[41]           Les autres transactions consistent en une série dopérations par lesquelles Devraker et une société dont Ian est coactionnaire, lappelante 7549881 Canada inc. 754 »), se sont vu émettre — là encore conformément à des instructions de Theodore — des actions de diverses sociétés en contrepartie de contributions financières effectuées presque entièrement par Quintcap. Ces opérations ont permis à Devraker et 754 de détenir des actions valant plus de 275 000 $ moyennant une contribution limitée au paiement de sommes dérisoires : par exemple, dans le cas dune des sociétés concernées, Devraker a reçu des actions valant 135 950 $ moyennant le paiement de 25 $[38]. Ces faits, combinés au fait que ces opérations visaient à concrétiser lintention de Theodore de faire don à Ian dune partie de son portefeuille immobilier[39], permettaient amplement au juge de voir dans ces opérations des donations indirectes.

  1. La révocation des donations pour cause dingratitude

[42]           Les appelants soutiennent quà supposer même que ces opérations méritaient dêtre qualifiées de donations, le juge a commis plusieurs erreurs révisables en concluant quelles devaient être révoquées pour cause dingratitude.

i)       La qualification du comportement d’Ian

[43]           Dans un premier temps, le juge se serait manifestement mépris en qualifiant le comportement dIan de « gravement répréhensible/seriously reprehensible » au sens de larticle 1836 C.c.Q. Il nen est rien. Le juge a retenu de la preuve quIan avait « intentionnellement tenté de nuire aux [intimés], notamment, en créant de la confusion auprès des clients de Quintcap, de ses fournisseurs et entrepreneurs, en sappropriant des projets réalisés par cette dernière pour promouvoir ses propres affaires, en tentant de détourner à son profit certaines affaires de Quintcap et en discréditant Theodore auprès de lun de ses principaux partenaires, Louis Drazin, le tout dans le but de favoriser ses propres intérêts dans le démarrage de sa nouvelle entreprise qui sactive dans un milieu concurrentiel »[40]. Le juge pouvait certainement inférer de ces faits quIan avait eu un comportement gravement répréhensible au sens où lentend la jurisprudence[41].

ii)     L’identité du véritable donataire

[44]           Les appelants plaident ensuite que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que, dans toutes les opérations de cession dactions en litige, le véritable donataire était Ian. Ils sont davis que la preuve démontre clairement que les donataires étaient plutôt Devraker et 754, et aucun élément au dossier ne tendrait à démontrer que ces dernières ont participé de quelque manière que ce soit aux fautes commises par Ian. En outre, il nexisterait aucun motif justifiant que soient ignorées les personnalités juridiques dIan et des deux sociétés.

[45]           Largument des appelants passe sous silence deux éléments clés du jugement de première instance. Le premier est la conclusion de fait selon laquelle lintention de Theodore était de faire en sorte quIan soit lultime bénéficiaire des cessions dactions en litige. Cette conclusion ressort de plusieurs extraits du jugement[42] et elle trouve clairement appui dans la preuve au dossier. La seconde conclusion — mixte de fait et de droit — est celle selon laquelle Devraker et 754 ont détenu toutes les actions en question pour le compte dIan. Cette conclusion est reflétée dans les extraits suivants du jugement[43] :

[317]  Lensemble de ces faits démontrent sans ambiguïté que les actions cédées à Ian et à Waxlax sont des donations indirectes de Theodore (art. 1811 C.c.Q.). Dans le cas de DQ, Theodore et Drazin ont dabord convenu de diluer leur participation pour dégager 20 % du capital-actions qui a ensuite été partagé à parts égales entre Ian et Waxlax, via leurs sociétés de portefeuille, par lentremise de Pierrevillage. Dans les autres sociétés, cest Quintcap qui, par lentremise de ces dernières, a fait émettre des actions à Ian et à Waxlax suivant le même procédé.

[350]  Le comportement dIan est grave et hautement répréhensible. Il justifie amplement la révocation par les demandeurs des donations dactions quils lui ont consenties par lentremise de Devraker.

[361]  Les actions ont été données à Ian, par lentremise de Devraker, alors quil exerçait son emploi chez Quintcap. Le travail quil y accomplissait comprenait, notamment, le développement immobilier des sociétés dans lesquelles il a reçu les actions.

[Soulignements ajoutés]

[46]           Certes, le juge aurait eu avantage à sexprimer plus précisément sur le rapport juridique quentretenaient Ian et ses deux sociétés dans le cadre des opérations de cession dactions. Toutefois, cette imprécision ne constitue pas à elle seule une erreur susceptible de donner ouverture à lintervention de la Cour. La question est plutôt de savoir si le juge a commis une erreur manifeste en concluant que Devraker et 724 avaient détenu les actions cédées pour le compte dIan. À mon avis, ce nest pas le cas. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, cette conclusion peut raisonnablement sexpliquer par lexistence dune relation mandataire-mandants entre Ian et les deux sociétés ou encore de contre-lettres[44] ou même de stipulations pour autrui[45]. Ce constat suffit pour conclure au rejet de largument des appelants relatif à lidentité du donataire des actions cédées.

iii)   Une personne morale peut-elle obtenir la révocation d’une donation pour cause d’ingratitude?

[47]           Comme troisième argument sur la question de la révocation des donations, les appelants soutiennent que le juge a commis une erreur manifeste en tenant pour acquis quune personne morale pouvait invoquer larticle 1836 al. 2 C.c.Q. Plus exactement, ils soutiennent que, comme une personne morale na pas de sensibilité ni démotivité, elle ne peut jamais être victime dingratitude au sens où lentend le législateur à larticle 1836 al. 2 C.c.Q. Ainsi, les donations effectuées par Quintcap par lentremise de diverses sociétés[46] ne pourraient être révoquées pour cause dingratitude.

[48]           Les appelants nont soumis aucune source appuyant directement leur argument. Ils se sont plutôt contentés danalogies avec dautres situations juridiques, comme le fait que les personnes morales ne bénéficient pas de la protection offerte par larticle 12 de la Charte canadienne des droits et libertés[47] contre les traitements ou peines cruels et inusités.

[49]           À mon avis, largument des appelants nest pas fondé. Sa principale faille est quil fait fi du fait quen matière dingratitude, lanalyse doit porter sur la nature et la gravité des agissements du donataire plutôt que sur leurs répercussions pour le donateur. Cest ce qui ressort du libellé même de larticle 1836 al. 2 C.c.Q., où le législateur précise qu« [i]l y a cause dingratitude lorsque le donataire a eu envers le donateur un comportement gravement répréhensible, eu égard à la nature de la donation, aux facultés des parties et aux circonstances/[i]ngratitude is a ground of revocation where the donee has behaved in a seriously reprehensible manner towards the donor, having regard to the nature of the gift, the faculties of the parties and the circumstances ». En outre, axer lanalyse sur la nature et la gravité des agissements du donataire va de pair avec lobjet de la révocation pour cause dingratitude, qui, comme le soulignait Mignault, constitue ni plus ni moins quune « punition infligée au donataire »[48].

[50]           Jajouterais que la thèse défendue par les appelants semble difficilement conciliable avec le fait que, depuis lentrée en vigueur du Code civil du Québec, les personnes morales ont — en règle générale — la même capacité que les personnes physiques pour exercer tous leurs droits[49], et que le législateur na pas limité leur capacité à faire des donations[50]. On peut en déduire quen matière de donations, le législateur a voulu traiter sur un pied dégalité les personnes physiques et les personnes morales. Dans les circonstances, il semblerait incongru de limiter lapplication de larticle 1836 al. 2 C.c.Q. en fonction du statut — personne physique ou personne morale — du donateur.

iv)   L’argument fondé sur la participation de Sam Drazin à la cession d’actions de DQ

[51]           Il convient daborder brièvement un dernier argument que les appelants ont avancé pour la première fois lors de laudience en appel. Ils estiment quen analysant les opérations relatives à la cession dactions de la société DQ, le juge a omis de tenir compte du fait que Sam Drazin y avait participé à titre de codonateur. La réclamation de Theodore serait donc irrecevable, ou à tout le moins mal fondée en partie, étant donné que son codonateur na lui-même jamais demandé que soit révoquée la donation en litige.

[52]           Comme je lai mentionné plus haut — et comme les intimés le reconnaissent dailleurs dans leur mémoire[51] —, M. Drazin a effectivement participé à ces opérations. Plus exactement, Theodore et M. Drazin ont chacun cédé à Pierrevillage 10 % des actions quils détenaient alors dans DQ. Toutefois, largument des appelants fait fi des explications offertes par Theodore lors de linstruction au fond et selon lesquelles cest lui qui avait la responsabilité de financer lensemble de lopération[52]. Autrement dit, bien que M. Drazin ait participé à lopération en cédant 10 % de ses actions dans DQ, la preuve au dossier permet de conclure que sa perte a éventuellement été assumée par Theodore et que ce dernier était donc, en réalité, la seule personne sétant appauvrie dans le cadre de cette cession dactions à titre gratuit. Dans ces circonstances, le juge pouvait raisonnablement conclure que Theodore était lunique donateur.

  1. La restitution des prestations

[53]           La dernière question litigieuse ayant trait aux actions cédées entre 2010 et 2013 est soulevée par lappel incident formé par les intimés : le juge a-t-il commis une erreur révisable en ordonnant à ces derniers de rembourser à Ian un montant correspondant à la plus-value que les actions avaient acquise au 30 janvier 2015, date de la cessation de la relation daffaires entre Theodore et Ian?

[54]           Il convient de débuter lanalyse en citant les extraits pertinents du jugement de première instance :

[361]  Les actions ont été données à Ian, par lentremise de Devraker, alors quil exerçait son emploi chez Quintcap. Le travail quil y accomplissait comprenait, notamment, le développement immobilier des sociétés dans lesquelles il a reçu les actions.

[362]  Il a quitté ses fonctions au sein de Quintcap le 30 janvier 2015. Cest aussi à compter de cette date que sest surtout manifesté son comportement répréhensible donnant ouverture à la révocation des donations.

[363]  Les demandeurs retireraient un avantage indu si le Tribunal ordonnait la révocation des donations dactions sans, en retour, tenir compte de la plus-value de celles-ci pendant la période où Ian a continué à remplir ses fonctions chez Quintcap participant  ainsi, par son travail, au succès des sociétés en cause.

[364]  À linverse, Ian retirerait un avantage indu si le Tribunal devait ordonner la restitution des prestations en considérant la valeur actuelle des actions alors quil na aucunement contribué à leur plus-value depuis le 30 janvier 2015.

[365]  La restitution des prestations seffectuera donc de la manière suivante :

1.  le retour par les défendeurs aux demandeurs des actions reçues en donation entre 2010 et 2013 dans les sociétés mises en cause;

2.  le paiement par les demandeurs aux défendeurs de laccroissement de la valeur des dites actions entre la date des donations et le 30 janvier 2015, leur valeur initiale étant celle établie par lexpert Michelin dans son rapport (P-17-73);

3.  le remboursement par DQ de lavance de 285 000 $ consentie par les défendeurs.

[366]  Après consultation des parties, le Tribunal nommera un expert pour établir le montant représentant laccroissement de la valeur des actions tel que ci-haut décrit.

[Soulignements ajoutés]

[55]           On comprend de ces extraits que le juge a fait usage du pouvoir que lui conférait larticle 1699 al. 2 C.c.Q. de modifier létendue ou la modalité de la restitution des actions afin déviter que les intimés ne soient avantagés de manière indue. On en comprend aussi quaux yeux du juge, les intimés seraient indument avantagés sils pouvaient bénéficier de laugmentation de la valeur des actions entre les dates des donations et le 30 janvier 2015, compte tenu de la contribution quIan a apportée au succès des sociétés de Theodore durant cette période. Enfin, on comprend de ces extraits que le juge ne connaissait pas la valeur des actions en date du 30 janvier 2015; cest d’ailleurs ce qui explique pourquoi il a décidé de confier à un expert la mission de déterminer cette valeur.

[56]           Les appelants ont raison de souligner que la Cour doit faire preuve de retenue à légard de la conclusion du juge selon laquelle la restitution intégrale des actions aurait pour effet daccorder un avantage indu aux intimés au sens de larticle 1699 al. 2 C.c.Q.[53]. Cette retenue est particulièrement de mise puisque, comme la Cour suprême lexpliquait dans Octane Stratégie, cette disposition confère aux juges de première instance un pouvoir discrétionnaire et déquité « qui doit être exercé dans le but datteindre un équilibre entre les parties »[54].

[57]           Malgré la retenue qui simpose en appel, et soit dit en tout respect pour le juge de première instance, je suis davis quil a commis une erreur justifiant lintervention de la Cour en exerçant le pouvoir que lui conférait larticle 1699 al. 2 C.c.Q.

[58]           Son raisonnement se fonde implicitement sur deux prémisses essentielles. La première est que la contribution dIan au succès des sociétés de Theodore durant la période pertinente est lunique cause de laugmentation de la valeur des actions durant cette même période. La seconde est que la rémunération que Quintcap lui a versée durant cette période est insuffisante en ce quelle ne reflète pas adéquatement limpact de sa contribution sur la valeur des actions.

[59]           Or, ni lune ni lautre de ces prémisses ne trouve appui dans la preuve qui a été administrée.

[60]           Sagissant de la première prémisse, la preuve permettait certainement au juge de conclure quIan avait contribué de manière importante au succès des sociétés de Theodore entre les dates des donations et le 30 janvier 2015. Toutefois, les appelants nont produit aucun élément de preuve permettant de constater que la contribution dIan est le seul facteur expliquant laugmentation de la valeur des actions durant cette période. Tout indique que le juge a essentiellement tenu pour acquise lexistence de ce fait, ce quil ne pouvait faire étant donné que le pouvoir exceptionnel prévu à larticle 1699 al. 2 C.c.Q. ne peut être exercé quen présence dune preuve probante dun avantage indu[55].

[61]           Sagissant de la seconde prémisse, le problème tient au fait que le juge ignorait la valeur des actions en date du 30 janvier 2015, de sorte quil lui était impossible de quantifier — pas même de manière approximative — laugmentation de leur valeur durant la période pertinente. Comment pouvait-il alors conclure à lexistence dune disproportion importante entre la rémunération quIan a reçue et la plus-value acquise par les actions au moment de la cessation de sa relation daffaires avec Theodore? À mon avis, le juge a commis une erreur révisable en tenant pour acquise lexistence dune telle disproportion.

[62]           En somme, jestime que lappel incident est bien fondé et que la conclusion du juge ordonnant aux intimés de rembourser à Ian un montant correspondant à la plus-value que les actions avaient acquise en date du 30 janvier 2015 doit être infirmée.

  1. Le moyen relatif au recours en oppression

[63]           Le juge a rejeté sommairement le recours en oppression institué par Ian et Devraker après avoir notamment conclu que leur comportement démontrait que leurs prétentions étaient sans fondement et qu’ils avaient été « davantage guidés par le désir de nuire aux intimés quà régler les difficultés résultant de leur statut dactionnaires des sociétés en cause »[56].

[64]           Il est permis de se demander si Ian et Devraker pouvaient se pourvoir sans obtenir d’abord la permission de le faire. Bien que le juge n’ait pas expressément conclu qu’ils avaient agi de manière abusive, sa conclusion relative à leur intention de nuire à Theodore et à Quintcap n’est pas sans rappeler l’article 51 al. 2 C.p.c., aux termes duquel l’abus de procédure peut notamment résulter « de l’utilisation de la procédure de manière […] à nuire à autrui/ in a use of procedure that […] causes prejudice to another person ».

[65]           Quoi qu’il en soit, même si l’appel était de plein droit, Ian et Devraker n’ont pas même tenté de démontrer en quoi le juge aurait commis une erreur révisable en concluant que leur recours était mal fondé et reflétait plutôt leur désir de nuire aux intimés. Dans les circonstances, je suis d’avis que ce moyen d’appel est dénué de tout fondement.

III. Conclusion

[66]           En somme, j’estime que l’appel principal doit être accueilli à la seule fin de limiter la portée de l’injonction à l’ensemble du territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal. Quant à l’appel incident, je suis d’avis qu’il doit être accueilli. Le tout, avec les frais de justice en faveur des intimés.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 


[1] Quintcap inc. c. I. Quint Group Inc., 2021 QCCS 1932 [jugement entrepris].

[2] Afin dalléger le texte et déviter toute confusion, je me permettrai de les désigner par leur prénom dans les pages qui suivent.

[3] Article 270 C.p.c.

[4] Article 211 C.p.c.

[5] Ciba-Geigy c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, p. 132; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, paragr. 66; Cabanons Fontaine inc. c. 9036-4316 Québec inc. (Cabanons Mirabel), 2022 QCCA 1243, paragr. 23-26; Charlaine Bouchard, Droit et pratique de lentreprise, t. 2 (« Fonds dentreprise, concurrence et distribution »), 2e éd, Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 311-315 (n° 302-305) et 326 (n° 317); Arthur B. Renaud et Barry Gamache, « Passing Off — Section 7 of the Trade-Marks Act », dans Donald M. Cameron (dir.), Canadian Trademark Law Benchbook, Toronto, Thomson Reuters, 2019, 225, p. 227-231 et 251-253; David Vaver, Intellectual Property Law, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2011, p. 431; Gill A. Kelly et Jolliffe R. Scott, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2002 (feuilles mobiles, mise à jour nº 7, 2022), §4:1, 4:3.

[6] LRC 1985, c. T-13.

[7] Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23.

[8] Id., paragr. 50. Jugement entrepris, paragr. 64.

[9] Jugement entrepris, paragr. 58.

[10] Id., paragr. 58 et 66 et s.

[11] Comme il le souligne à juste titre (jugement entrepris, paragr. 85), le juge navait pas à aller aussi loin, car aux fins de larticle 7b) L.m.c., la preuve dune probabilité de confusion suffit : Gill A. Kelly et Jolliffe R. Scott, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2002 (feuilles mobiles, mise à jour nº 7, 2022), § 8:32.

[12] Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, paragr. 20; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, paragr. 40.

[13] Jugement entrepris, paragr. 88-89.

[14] Id., paragr. 27 et 139.

[15] Voir notamment : Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, paragr. 35; Construction Blenda inc. c. Office municipal dhabitation de Rosemère, 2020 QCCA 149, paragr. 38.

[16] Jugement entrepris, paragr. 252-296.

[17] Lors de l’audience, les intimés ont avancé un nouvel argument tiré de l’enregistrement de la marque « Quintcap », lequel enregistrement leur donne droit — soutiennent-ils — à une injonction produisant des effets dans tout le pays. Or, j’estime que la Cour n’a pas à traiter de cet argument. Le juge était seulement saisi d’une demande d’injonction fondée sur le délit de commercialisation trompeuse et non sur l’article 20 de la Loi, ce qui s’explique par le fait que la marque « Quintcap » n’était pas encore enregistrée au moment où il a rendu son jugement. À mon avis, cet aspect du dossier doit être abordé tel qu’il se présentait en première instance.

[18] Google Inc. c. Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34, paragr. 38 : « [l]orsquun tribunal a une compétence personnelle et quil est nécessaire dassurer lefficacité de linjonction, il peut accorder une injonction dictant la conduite de la personne visée nimporte où dans le monde ».

[19] Voir par ex. Gill A. Kelly et Jolliffe R. Scott, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., vol. 1, Toronto, Carswell, 2002 (feuilles mobiles, mise à jour nº 7, 2022), §4:53  [i]n a passing off action, the plaintiff must establish the reputation of the indicia on a territorial basis, and, therefore a plaintiff can only enjoy protection against passing off in the particular geographic region where the plaintiffs trade indicia enjoy a reputation »). Voir aussi Quality Program Services Inc. c. Canada, 2018 CF 971 (conf. 2020 CAF 53, permission dappeler en Cour suprême refusée, 8 octobre 2020, dossier n° 39144), paragr. 61-63. La raison d’être de cette limite s’explique par le fait que la protection offerte par les règles relatives à la commercialisation trompeuse est elle-même limitée au territoire où se trouve l’achalandage de la partie demanderesse : « [p]assing-off will protect a symbol or feature only in the locality of its reputation » (David Vaver, Intellectual Property Law, 2e éd., Toronto, Irwin Law, 2011, p. 434).

[20] Jugement entrepris, paragr. 116 et 132.

[21] Voir en ce sens Quality Program Services Inc. c. Canada, 2018 CF 971(conf. 2020 CAF 53, permission dappeler en Cour suprême refusée, 8 octobre 2020, dossier n° 39144), paragr. 62-63.

[22] Voir l’annexe I de la Loi sur la communauté métropolitaine de Montréal, RLRQ, c. C-37.01.

[23] Jugement entrepris, paragr. 315.

[24] Id., paragr. 317.

[25] Martin c. Martin, 2008 QCCA 7, paragr. 22-23.

[26] Voir Martin c. Dupont, 2016 QCCA 475, paragr. 36 : « lacte juridique sera qualifié de donation lorsque la valeur de ce qui est cédé sera hors de proportion avec la valeur de ce qui est reçu en contrepartie »; Germain Brière, Donations, substitutions et fiducie, Montréal, Wilson & Lafleur, 1988, p. 14 (nº 19-20); Pierre Ciotola, De la donation, 3e éd., coll. Répertoire de droit, Chambre des notaires du Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 1 (nº 3).

[27] J.L. c. C.C., [1993] R.J.Q. 663, p. 666-667, 1993 CanLII 3593 (C.A.), p. 5-6; Martin c. Dupont, 2016 QCCA 475, paragr. 28-31; Germain Brière, Donations, substitutions et fiducie, Montréal, Wilson & Lafleur, 1988, p. 16 (nº 23); Pierre Ciotola, De la donation, 3e éd., coll. Répertoire de droit, Chambre des notaires du Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 1 (nº 2).

[28] Voir par ex. Christian Jubault, Droit civil — Les successions, les libéralités, 2e éd, Paris, Montchrestien, 2010, p. 552 (n° 801) : « [l]a donation indirecte repose sur un acte distinct dune donation, dont lexécution “normale” et sincère opère, par voie de conséquence, une libéralité ».

[29] Germain Brière, Donations, substitutions et fiducie, Montréal, Wilson & Lafleur, 1988, p. 114 (n° 165). Voir aussi : Roger Comtois, « Les libéralités », dans Extraits du Répertoire de droit, Montréal, Chambre des notaires du Québec, 1979, p. 193 (n° 507) : « [p]our tous ces actes, il ny a pas de déguisement, puisque les parties nentendent pas dissimuler leurs intentions […] lacte est en soi neutre puisquil nindique pas quil sagit dune libéralité »; Pierre Voirin et Gilles Goubeaux, Droit civil, t. 2 (« Régimes matrimoniaux, successions, libéralités »), 30e éd., Paris, LGDJ, 2018, p. 332 (n° 769) : « [l]a donation indirecte se réalise au moyen dun acte différent du contrat de donation, mais, contrairement à la donation déguisée, il ny a ni dissimulation ni feinte ».

[30] Germain Brière, Donations, substitutions et fiducie, Montréal, Wilson & Lafleur, 1988, p. 109 (n° 157).

[31] Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil du Québec, t. 2  Obligations, contrats nommés »), Québec, Publications du Québec, 1993, art. 1811.

[32] Le professeur Brière donnait lexemple dune vente où lon stipule volontairement un prix inférieur à la valeur du bien vendu : Germain Brière, Donations, substitutions et fiducie, Montréal, Wilson & Lafleur, 1988, p. 111 (n° 158).

[33] Id., p. 111-112 (n° 159).

[34] Expertise que le juge a considérée comme plus probante pour des raisons quil a très bien expliquées : jugement entrepris, paragr. 335 et s.

[35] Avance dont le juge a dailleurs ordonné le remboursement à Ian : jugement entrepris, paragr. 386.

[36] Rappelons que la qualification dun acte juridique est une question mixte à légard de laquelle la retenue est de mise en appel, du moins lorsquelle dépend de la preuve de lintention des parties quant à sa nature et son contenu. Voir par ex., sagissant des contrats : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et Bérubé inc., 2017 CSC 43, paragr. 42.

[37] Notamment au regard de larticle 1824 al. 2 C.c.Q. Sur la question du don manuel en général, voir Pierre Ciotola, De la donation, 3e éd., coll. Répertoire de droit, Chambre des notaires du Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 3-7. Sur la question du don manuel d’actions d’une société, voir par. ex. Paul Martel, La société par actions au Québec — Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 16-31 ( 16-112).

[38] Jugement entrepris, paragr. 329.

[39] Supra, paragr. 34.

[40] Jugement entrepris, paragr. 349.

[41] Voir tout particulièrement Desmarais c. Ziggiotti, [2003] R.J.Q. 840, 2003 CanLII 40666 (C.A.), paragr. 19-23. Il convient dajouter que les appelants nont pas même tenté de démontrer en quoi lanalyse du juge serait entachée dune erreur manifeste et déterminante. Ils se sont contentés daffirmer dans leur mémoire, sans fournir dexplications, que « les contraventions susmentionnées et identifiées par le premier juge ne revêtent pas le niveau de gravité devant être sanctionné » (paragr. 96).

[42] Voir notamment les paragraphes 16, 308, 317, 350, 361.

[43] Voir également les extraits du témoignage de Louis Drazin cités au paragraphe 299 du jugement entrepris. M. Drazin y explique que, selon sa compréhension des opérations concernant les actions de DQ, celles-ci allaient être données à M. Waxlax ainsi quà Ian par lentremise de sociétés leur appartenant.

[44] Laquelle peut être tacite : Dupuis c. Cernato Holdings Inc., 2019 QCCA 376, paragr. 42, citant Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, p. 993 (n° 1759).

[45] Laquelle peut, elle aussi, être tacite : Maher c. Ville de Hudson, 2021 QCCA 1063, paragr. 20, citant Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, p. 1419-1423 (n° 2366-2371), et GMAC Location ltée c. Union canadienne (L), compagnie dassurances, 2008 QCCA 194, paragr. 44. Dans cette hypothèse, Quintcap et Theodore seraient les stipulants, Ian le bénéficiaire et ses sociétés les promettantes.

[46] Supra, paragr. 41.

[47] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c. 11.

[48] Pierre-Basile Mignault, Le droit civil canadien, t. 4, Montréal, Whiteford & Théoret, 1895, p. 173. Voir également Desmarais c. Ziggiotti, [2003] R.J.Q. 840, 2003 CanLII 40666 (C.A.), paragr. 19 : « [l]a révocation pour cause dingratitude a un caractère pénal […] [e]lle est […] une “peine privée prononcée contre le donataire” ».

[49] Article 303 C.c.Q.

[50] Voir par ex., sagissant des sociétés par actions, Paul Martel, La société par actions au Québec — Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2021, p. 23-87, note 306  [l]a société a indubitablement le pouvoir de faire des dons »). Voir aussi Mireille D. Castelli, « La réforme du droit des obligations : Les donations », (1988) 29 C. de D. 953, p. 961.

[51] « With regard to the shares of Immobilier DQ Inc., Ted and Sam Drazin transferred their shares to PIERREVILLAGE INC., a company of which Ted was the President and sole director of, for free » (M.A., paragr. 73).

[52] M.A., vol. 10, p. 3507.

[53] Roy c. LUnique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887, paragr. 89 : « lorsque le tribunal de première instance sappuie sur la preuve présentée et exerce sa discrétion à laune de [larticle 1699 al. 2 C.c.Q.], la Cour doit faire preuve de déférence et nintervenir que si la décision est déraisonnable ». Voir aussi Pascal Fréchette, La restitution des prestations, Montréal, Yvon Blais, 2018, p. 441.

[54] Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, paragr. 45.

[55] Id., paragr. 41-45. Comme la Cour suprême la rappelé au paragraphe 43 de ce même arrêt, « lexistence dun avantage indu ne se présume pas et il appartient au débiteur de la restitution de faire la preuve que le créancier de la restitution jouit dun tel avantage dans chaque cas ». Voir également Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, p. 673 (n° 1244) : « pour refuser dordonner la restitution demandée, le tribunal devrait sappuyer sur la preuve, administrée par le débiteur de la restitution, dun avantage indu consistant en une position plus favorable pour le créancier de la restitution, avant duser de la discrétion que lui confère larticle 1699 al. 2 ».

[56] Jugement entrepris, paragr. 373.

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