Décision

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Turquoise propriétés inc. c. King

2024 QCTAL 22280

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Sherbrooke

 

No dossier:

702817 26 20230419 F

No demande:

3885365

RN :

 

3977098

 

Date :

11 juillet 2024

Devant le greffier spécial :

Me Philippe Manuguerra

 

Turquoise Propriétés Inc.

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Carol-Ann King

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec[1] (C.c.Q.) et de remboursement des frais.

[2]         Le Tribunal, lorsque saisi d'une demande de fixation de loyer, détermine le montant du loyer selon les critères prévus au Règlement sur les critères de fixation de loyer[2] (ci-après : « Règlement »).

[3]         Suivant ce Règlement, l'ajustement du loyer est calculé à partir du loyer payé au terme du bail, en tenant compte de la part attribuable du logement et en fonction de certaines dépenses précises encourues par la locatrice durant l'année de référence.

[4]         En tant que demanderesse, la locatrice assume le fardeau de prouver[3], lors de l'audience, les montants inscrits au formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer (ci-après : « Formulaire »).

[5]         Plusieurs dossiers de fixation de loyer visant des logements du même immeuble ou du même ensemble immobilier et concernant la même période de référence ont été entendus en même temps, conformément à l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (LTAL)[4].

[6]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, à un loyer mensuel de 590,00 $.

[7]         Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.

[8]         La partie demanderesse a soumis au Tribunal les pièces justificatives au soutien du Formulaire.


[9]         Des corrections furent apportées séance tenante par le Tribunal au Formulaire en fonction de la preuve prépondérante administrée. Nonobstant ceci, le Tribunal formulera les commentaires suivants.

Intégrité des factures

[10]            La locatrice, propriétaire de l’immeuble depuis peu, a mis en preuve des factures, pour les dépenses reliées à l’immeuble, obtenues de l’ancien locateur.

[11]            Or, les locataires présents expliquent n’avoir aucune confiance en ce dernier et doutent de l’intégrité des factures.

[12]            Bien que respectable, la position des locataires doit céder le pas devant l’état du droit.

[13]     En tant que demanderesse, la locatrice assume le fardeau de prouver[5], lors de l'audience, les montants inscrits au Formulaire. Cependant, il est essentiel de garder à l’esprit que le seuil à franchir pour la locatrice est seulement celui de la prépondérance de preuve[6].

[14]            À cet égard, les factures présentées par la locatrice, en tant qu’actes passés dans le cours des activités d’une entreprise bénéficient, en quelque sorte, d’une présomption légale de véracité[7].

[15]     À cet égard, le Code civil du Québec[8] nous enseigne ce qui suit :

« 2830. L’acte sous seing privé n’a point de date contre les tiers, mais celle-ci peut être établie contre eux par tous moyens.

Néanmoins, les actes passés dans le cours des activités d’une entreprise sont présumés l’avoir été à la date qui y est inscrite.

[…]

2831. L’écrit non signé, habituellement utilisé dans le cours des activités d’une entreprise pour constater un acte juridique, fait preuve de son contenu.

[…]

2860. L’acte juridique constaté dans un écrit ou le contenu d’un écrit doit être prouvé par la production de l’original ou d’une copie qui légalement en tient lieu.

Toutefois, lorsqu’une partie ne peut, malgré sa bonne foi et sa diligence, produire l’original de l’écrit ou la copie qui légalement en tient lieu, la preuve peut être faite par tous moyens.

À l’égard d’un document technologique, la fonction d’original est remplie par un document qui répond aux exigences de l’article 12 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1) et celle de copie qui en tient lieu, par la copie d’un document certifiée qui satisfait aux exigences de l’article 16 de cette loi. »

[Soulignements du Tribunal]

[16]     L’article 76 LTAL est au même effet que l’article 2860 C.c.Q. :

« 76.  Peut se prouver par la production d'une copie qui en tient lieu si le membre du Tribunal est satisfait de sa véracité :

     Un acte juridique constaté dans un écrit; ou

     Le contenu d'un écrit autre qu'authentique.

Toutefois, la preuve peut être faite par tout moyen lorsqu'une partie établit que, de bonne foi, elle ne peut produire l'original de l'écrit, non plus que toute copie qui en tient lieu. »

[Soulignement du Tribunal]

[17]            Ainsi, la jurisprudence du Tribunal nous enseigne que la seule émission de doutes de la part d’un locataire ne suffit pas pour imposer à la locatrice un fardeau hors de tout doute au lieu d’un fardeau limité à la prépondérance de preuve [9].

[18]            En l’espèce, le Tribunal est d’avis que les locataires ne sont pas parvenus à renverser la présomption de véracité ci-avant évoquée et que la preuve soumise par la locatrice est suffisante et satisfaisante pour considérer qu’elle a rempli son fardeau de preuve.

Conciergerie/Entretien

[19]            L’ancien locateur faisait affaires avec un concierge pour l’entretien de son immeuble.

[20]            Les locataires présents témoignent que ce concierge a participé, au cours de la période de référence, à des travaux de rénovation d’un logement autre que ceux concernés.

[21]            Les mandataires de la locatrice soumettent au Tribunal les preuves pour la dépense de conciergerie, lesquelles ne permettent pas de distinguer entre la valeur du temps consacré par le concierge à l’entretien de l’immeuble et la valeur du temps consacré à des réparations majeures.

[22]            Or, il est nécessaire d’opérer cette distinction considérant qu’à la différence des dépenses d’entretien qui vont être considérées pour l’augmentation de tous les loyers d’un immeuble, les dépenses de réparations ou améliorations majeures vont seulement être prises en compte pour les logements qui en sont les bénéficiaires[10].

[23]            Le Tribunal est d’avis que le témoignage des locataires, non contesté, est crédible[11]. Il est donc retenu comme probant par le Tribunal.

[24]            Pour rappel, le fardeau de démontrer que les montants inscrits au Formulaire correspondent à la réalité des faits pèse sur la locatrice.

[25]            Ainsi, bien que la bonne foi des mandataires de la locatrice ne soit pas en cause, le Tribunal doit constater que cette dernière ne s’est pas déchargée de son fardeau faute de déterminer la valeur attribuable à l’entretien strictement et précisément. Par conséquent, le Tribunal écartera l’ensemble des dépenses pour le concierge[12].

Service internet

[26]            Plusieurs des locataires présents sont d’avis qu’ils n’ont pas à supporter des coûts reliés au service internet proposé par la locatrice, service qu’ils n’utilisent pas.

[27]     Cette question fait l’objet d’une jurisprudence abondante dont il se dégage que la dépense encourue pour le service internet est considérée comme étant reliée à l’immeuble indépendamment du fait que le locataire concerné en ait l’usage ou non, comme le notait Me Gabriel Miron, greffier spécial :

« [14]  Quant à cet élément financier du calcul, l’ajout du service internet, le Tribunal autorise l’ajout des coûts fournis par les locateurs dans les améliorations majeures de tout l’immeuble. Les factures ont été détaillées et répondent ainsi aux critères du Règlement.

[15]  Il a été mentionné, en audience, que le locataire est insatisfait de cet ajout, et croit qu’il n’a pas à payer pour un tel service. Son adhésion devrait être volontaire, et non forcée.

[16]  Sur ce point, il n’a pas tort, il ne peut être obligé d’utiliser le service internet offert par les locateurs dans les services dispensés aux locataires de l’immeuble. Mais il ne peut pas se dissocier des coûts d’installation et des dépenses liées à ce service. Les locateurs, s’ils engagent cette dépense pour leur immeuble, peuvent l’ajouter dans le calcul des frais annuels lors de la fixation de loyer. »[13]

(soulignement du Tribunal)

[28]     Cette interprétation découle de l’article 3 du Règlement, lequel est d’application stricte[14].

[29]     Les dépenses en question seront donc prises en compte pour tous les logements de l’immeuble.

Ajustement

[30]     Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[15] est de 23,51 $ par mois, s’établissant comme suit :

 

Taxes municipales et scolaires

2,50 $

Assurances

 6,00 $

Gaz

 0,00 $

Électricité

 2,13 $

Mazout

 0,00 $

Frais d’entretien

6,11 $

Frais de services

0,47 $

Frais de gestion

 1,03 $

Réparations majeures, améliorations majeures,

mise en place d’un nouveau service

 

 0,00 $

Ajustement du revenu net

 5,27 $

 

TOTAL

 

 23,51 $

 

Frais

[31]            En ce qui concerne les frais, les critères cumulatifs devant être rencontrés par la partie demanderesse furent décrits par la greffière spéciale Me Isabelle Hébert[16] :

« [27] Tel que rappelé par le Bureau de révision dans la décision A. Rossi  buildings  c.  Bradley[5] et plus récemment dans Capital Augusta Inc. c. Faye[6], contrairement aux dossiers civils où le tribunal condamne généralement la partie perdante au paiement des frais, le principe applicable en matière de fixation de loyer veut que le locateur assume les frais entourant sa demande de fixation.

[28] Lorsque le locateur demande au tribunal de renverser cette règle et de condamner le locataire au remboursement des frais, celui-ci doit non seulement obtenir un ajustement de loyer égal ou supérieur au montant demandé dans l’avis de modification, mais aussi démontrer que le locataire a usé de son droit de refus de manière déraisonnable.

[29] Ainsi, un locataire qui disposait des renseignements pertinents au calcul de l’augmentation lui permettant de prendre une décision éclairée relativement à la proposition d’augmentation ou qui aurait refusé systématiquement toute négociation ou discussion avec le locateur pourrait être condamné à rembourser au locateur les frais payés par ce dernier pour l’introduction de la demande, de même que certains coûts associés à sa signification. »

(références omises)

[32]     Dans la présente instance, l’augmentation proposée par l’avis de modification de bail excède l’ajustement du loyer accordé par le Tribunal. Conséquemment, il n’y a pas lieu de condamner la partie défenderesse au remboursement des frais.

[33]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[34]     CONSIDÉRANT la jurisprudence unanime à l’effet que le loyer fixé par règlement peut être supérieur ou inférieur à celui mentionné dans l’avis de modification;

[35]     CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de 23,51 $ est justifié;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]     FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 614,00 $ par mois, du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.

[37]     La locatrice assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Philippe Manuguerra, greffier spécial

 

Présence(s) :

les mandataires de la locatrice

la locataire

Date de l’audience :

16 mai 2024

 

 

 


[1] Chapitre CCQ-1991.

[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[3] Art. 2803 du Code civil.

[5] Art. 2803 du Code civil.

[6] Arts. 2803 et 2804 C.c.Q.

[7] 9178-4843 Québec inc. c. Griffin, 2021 QCTAL 25130.

[8] Arts. 2830, 2831 et 2860 C.c.Q.

[9] Boivin c. Boucher, 2012 CanLII 137533 (QC TAL).

[10] Rochecouste c. Rochefort, 2018 QCRDL 10929.

[11] Art. 2845 C.c.Q.

[12] 8300,00 $.

[13] Gendreau Favreau c. Leblanc, 2022 QCTAL 17736.

[14] Gestion immobilière Langlois inc. c. Wen, R.L. 145150, 2 juillet 2015 et QCRDL CanLII.

[15] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.

[16] Warren c. Lamothe, 2013 CanLII 132138 (QC RDL).

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