Rogers c. Gestion Capital Montréal inc. | 2022 QCTAL 33548 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 607984 31 20220124 T | No demande : | 3637800 | |||
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Date : | 23 novembre 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Chantal Boucher | |||||
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Nwabue Rogers |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Gestion Capital Montréal Inc. |
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Locateur - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande déposée le 19 août 2022, le demandeur (ci-après locataire) demande la rétractation de la décision rendue le 17 août 2022 par le juge administratif Ross Robins rejetant la demande en rétractation introduite le 29 avril 2022 par le locataire et suivant une décision rendue le 13 avril 2022 par le juge administratif Luk Dufort résiliant le bail pour un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et le condamnant aux loyers dus.
[2] Il aurait pris connaissance de la décision dont il demande la rétractation le 19 août 2022.
Preuve au dossier et positions des parties
[3] D’entrée de jeu, le Tribunal juge opportun de refaire l’historique du dossier en l’instance puisque cette demande concerne une première demande de rétractation entendue le 26 mai 2022 pour laquelle les parties étaient présentes et ont été entendues.
[4] Le 13 avril 2022, le juge administratif Luk Dufort accueillait la demande du locateur sur la résiliation du bail découlant d’un retard de paiement du loyer de plus de trois semaines et condamnant le locataire au recouvrement des sommes dues.
[5] Dans une décision étoffée de Me Dufort, ce dernier a fait une analyse exhaustive de la défense du locataire qui invoque que le logement est impropre à l’habitation et rejette son argument. De plus, la décision fait état de la prétention du locataire indiquant que la lettre du Tribunal administratif du logement informant ce dernier du désistement du premier dossier ouvert par le locateur (no.582463) relève d’une fabrication frauduleuse puisque la date indiquée correspond à un samedi. Finalement, le juge administratif conclut également au rejet de la demande du locataire afin de faire déclarer abusif le recours du locateur.
[6] À la suite de cette décision, le locataire introduit une demande de rétractation le 29 avril 2022 pour laquelle une audience a eu lieu en visioconférence devant le juge administratif Ross Robins et en présence des deux parties. Une décision sur cette première demande de rétractation a été rendue le 17 août 2022 rejetant la demande au motif que les éléments soumis devant le Tribunal avaient déjà fait l’objet d’une analyse lors de l’audience sur la demande originaire. Quant à l’argument que le premier juge administratif aurait été de connivence avec le locateur afin de restreindre les droits du locataire, ceci est également rejeté.
[7] Finalement, le 19 août 2022, le locataire introduit une seconde demande de rétractation mais cette fois à l’encontre de la décision rejetant sa première demande de rétractation rendue par le juge administratif Robins.
[8] Dans ses motifs au soutien de cette dernière demande en rétractation, le locataire invoque qu’il a été pris par surprise quant au mode en visioconférence de l’audience et qu’il a été empêché par le juge administratif Robins de produire la preuve documentaire pertinente. Il explique que n’ayant pas été avisé de la visioconférence, il n’a pas déposé ses pièces avant audience et que le juge a refusé de les prendre car il n’était pas présent en personne.
[9] Dans la présente audience, le locataire dépose le formulaire du désistement dans le dossier no.582463 ainsi que la lettre du Tribunal administratif du logement daté du 22 janvier 2022 faisant valoir qu’il s’agit d’un samedi l’informant de la fermeture du dossier précité. Il réitère l’argument qu’il s’agit d’une preuve que ce document a été forgé et n’a pas été en mesure de le déposer lors de l’audience précédente. Il admet cependant que ces éléments ont été produits devant le juge administratif Dufort lors de l’audience sur la demande originaire.
[10] Il ajoute également que le juge administratif Robins a fait défaut de se prononcer sur une conclusion incluse dans la demande, soit d’ordonner une enquête policière contre le locateur.
[11] De son côté, le locateur demande de rejeter la présente demande indiquant que la demande précédente en rétractation a déjà été rejetée et demande au Tribunal de prononcer une interdiction à l’encontre du locataire d’entreprendre tout autre recours dans ce dossier considérant que ce dernier abuse du système. Il soumet qu’en date de l’audience les loyers depuis février 2021 demeurent toujours impayés et que cette situation lui cause un grave préjudice.
Analyse du Tribunal
[12] Après audition de la preuve et la lecture du dossier ainsi que des décisions, soit celle sur la demande originaire et celle rejetant la première demande en rétractation du locataire, le Tribunal constate que tous les points soulevés par ce dernier ont été exposés et pris en considération dans la décision rendue le 17 août 2022 par le juge administratif Robins.
[13] Le fardeau de la preuve en matière de rétractation repose sur le demandeur, en l’instance le locataire, qui doit démontrer au Tribunal par prépondérance de preuve que l’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] (ci-après LTAL) trouve application :
« 89. Si une décision a été rendue contre une partie qui a été empêchée de se présenter ou de fournir une preuve, par surprise, fraude ou autre cause jugée suffisante, cette partie peut en demander la rétractation.
Une partie peut également demander la rétractation d’une décision lorsque le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande ou s’est prononcé au-delà de la demande.
La demande de rétractation doit être faite par écrit dans les dix jours de la connaissance de la décision ou, selon le cas, du moment où cesse l’empêchement.
La demande de rétractation suspend l’exécution de la décision et interrompt le délai d’appel ou de révision jusqu’à ce que les parties aient été avisées de la décision.
Une partie qui fait défaut d’aviser de son changement d’adresse conformément à l’article 60.1 ne peut demander la rétractation d’une décision rendue contre elle en invoquant le fait qu’elle n’a pas reçu l’avis de convocation si cet avis a été transmis à son ancienne adresse. »
[14] Le principe directeur étant celui de l’irrévocabilité des jugements, la demande de rétractation doit alors revêtir un caractère d’exception tel qu’établi par la Cour d'appel du Québec[2] :
«Le principe de l'irrévocabilité des jugements est nécessaire à une saine administration de la justice, d'où le sérieux que doivent avoir les motifs de rétractation. La procédure doit contribuer à la protection des droits des deux parties et la remise en question des décisions doit demeurer l'exception et ne pas devenir la règle.»
[15] En effet, le principe d’irrévocabilité des jugements doit être respecté sans quoi, cette situation créerait une instabilité dans notre système de justice. Par conséquent, les demandes de rétractation accueillies doivent être de nature exceptionnelle et guidées par des critères stricts d’application.
[16] Le Tribunal fait siens les propos tenus par la juge administrative Jodoin dans la décision O’Callagan c. Fattal :
« Tel qu'expliqué lors de l'audience, la demande en rétractation ne doit pas constituer un appel déguisé de la décision rendue. Le tribunal n'a pas à juger de la justesse de celle-ci ni s'interroger sur les erreurs de faits ou de droit commises puisqu'il ne s'agit pas d'un appel de la décision rendue. Il s'agit plutôt de s'interroger sur l'application de l'article 89 précité et chercher à déterminer si la partie qui en fait la demande a pu démontrer un des motifs prévus à cette disposition.
(…)
Il apparaît clair au tribunal que le locataire remet maintenant en cause la preuve soumise à l'audience en raison des conclusions de la décision. Il a donc plutôt été pris par surprise par la décision et il appert qu'ayant connu d'avance ses conclusions, il se serait préparé différemment. Il demande d'ailleurs la possibilité d'avoir une nouvelle audience pour lui permettre d'apporter des preuves additionnelles.»[3]
[17] Par conséquent, il n’y a donc pas lieu de permettre la rétractation dans cette affaire car les motifs invoqués sont de la nature d’un appel. L'article 89 de la LTAL ne peut servir de procédure d'appel et ne couvre pas la situation soulevée par le locataire.
[18] En effet, l’argument que le locataire n’aurait pas pu produire de documents à l’audience tenue en visioconférence n’est pas supporté par la preuve présentée. De plus, dans la présente audience, le locataire, ayant pu soumettre tous les documents, a soumis des documents reliés au désistement du dossier précédent no. 582463, ce qui n’est pas pertinent dans le présent litige ni en lien avec la demande originaire du présent dossier.
[19] Quant au fait que le juge administratif Robins n’aurait pas statué sur une conclusion demandée, soit d’ordonner une enquête policière, le Tribunal ne voit pas cette conclusion dans la première demande en rétractation au niveau de l’objet. Quant aux motifs invoqués dans cette demande, ceux-ci sont illisibles. De plus, le Tribunal n’aurait eu aucune compétence de rendre une décision en ce sens.
[20] Finalement, tous les autres éléments soumis par le locataire notamment quant aux moyens de défense qu’il aurait voulu invoquer, ceux-ci ont déjà tous été analysés soit dans la décision sur la demande originaire rendue par le juge administratif Dufort, soit dans la décision sur la première demande de rétractation rendue par le juge administratif Ross Robins.
[21] En conséquence, la présente demande de rétractation est rejetée.
[22] Relativement à la demande de limitation procédurale demandée par le locateur, le Tribunal se réfère aux propos tenus par la juge administrative Jodoin quant à l’objectif du législateur par l’ajout de l’article 63.2 LTAL dans la décision Hunte c. Ranglin[4] :
« [12] Cette disposition vise le respect du processus judiciaire. Encore récemment, la Cour du Québec rappelle que l’émission d’une telle interdiction ne peut se faire à la légère[3] et encore moins par complaisance, en raison des conséquences sérieuses qui peuvent en découler[4].
[13] Le Tribunal doit apprécier l'ensemble des faits et circonstances, dont le bien-fondé de la demande.
[14] Par analogie avec l’article
[15] La preuve permet de conclure que la demande du locataire est abusive et dilatoire. En effet, la preuve qu’entend soumettre le locataire, si elle existe, aurait dû être présentée en temps utile.
[16] Le locataire n’invoque aucun motif d’empêchement qui puisse justifier la rétractation.
[17] De toute évidence, le locataire cherche à gagner du temps et son recours est voué à l’échec[5]. Les représentations soumises ainsi que l'analyse du dossier amènent le Tribunal à croire que le locataire tente ainsi de se soustraire abusivement au processus judiciaire et à son expulsion du logement.
[18] En raison des ressources judiciaires limitées, et bien qu'il n'y ait pas d'automatisme à cet égard[6], on ne peut tolérer qu'une partie utilise le processus judiciaire à la légère, à mauvais escient ou de façon répétée et sans fondement réel sans qu'en conséquence, il en résulte une déconsidération de l'administration de la justice. »
[23] Le Tribunal constate que la présente demande constitue une deuxième demande de rétractation introduite par le locataire et qu’aucun motif sérieux n’a été présenté pouvant fonder cette demande. Les éléments soumis ont déjà fait l’objet d’une analyse approfondie dans les deux dernières décisions dans ce dossier et le Tribunal doit constater que le locataire est toujours en défaut de paiement de loyers depuis février 2021.
[24] En conséquence, le Tribunal juge que le locataire utilise le véhicule de la rétractation afin de retarder l’exécution de la décision rendue le 13 avril 2022 sur la demande originaire et accueille la demande du locateur d’interdire à ce dernier de déposer tout autre recours dans le présent dossier.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] REJETTE la demande en rétractation du locataire;
[26] MAINTIENT la décision rendue le 17 août 2022;
[27] INTERDIT au locataire d'introduire une nouvelle demande devant le Tribunal administratif du logement dans le présent dossier, à moins d'obtenir l'autorisation du Président ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions qui pourront être déterminées.
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Chantal Boucher | ||
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Présence(s) : | le locataire le mandataire du locateur | ||
Date de l’audience : | 17 octobre 2022 | ||
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[1] RLRQ, c.T15.01
[3] O’Callagan c. Fattal [2003], j.a.Jodoin, J.L.265
[4] Hunte c. Ranglin,
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