Décision

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Côté c. Dubeau

2011 QCRDL 26352

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No :          

31 090519 082 G

 

 

Date :

08 juillet 2011

Régisseure :

Chantale Bouchard, juge administratif

 

Roger CôtÉ

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Serge Dubeau

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 19 mai 2009, le locateur demande des dommages-intérêts matériels au montant de 925,43 $, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévus au Code civil du Québec et les frais judiciaires.[1]

[2]      Les motifs le sous-tendant sont inscrits comme suit à la procédure[2] :

« Le locateur a du verser a une locataire la somme de 36000 + intérêts + frais + 1 loyer perdu. Le locataire Dubeau étant l’auteur des dommages le locateur Côté demande a être remboursé de la somme versée dossier ref # 31-050524-149G /31-050609-014G » (Sic)

[3]      Essentiellement, le locateur réclame les sommes qu’il a dû débourser et les pertes encourues eu égard aux troubles qu’aurait provoqué le locataire envers une autre locataire de l’immeuble, madame Marjolaine Mercier.

[4]      Le locateur ventile sa réclamation comme suit :

-              360 $, étant la condamnation, en principal, du locateur envers madame Mercier,

-              58,43 $, représentant les intérêts au taux légal du 24 mai 2005 au 21 août 2008,

-              52 $, soit les frais judiciaires du dossier 31-050524-149G, et

-              455 $, équivalent au loyer perdu du mois de mai 2005.

[5]      Il est admis que les parties étaient liées par le bail du logement datant de 2002 (P-1) et ce, jusqu’au départ du locataire à l’été 2005.

[6]      Ce logis de trois pièces et demie est situé juste en dessous de l’appartement 4, duquel madame Marjolaine Mercier était locataire.

[7]      Le bail de cette dernière était résilié au 30 avril 2005, par décision rendue le 21 août 2008 opposant madame Mercier et le locateur, relativement aux troubles de jouissances provoqués par le locataire. L’audience de cette affaire avait lieu le 22 juillet 2008, où le locataire comparaissait comme témoin. Sa version des faits n’était pas retenue.

[8]      En résumé, le Tribunal concluait en retenant la responsabilité du locateur et le condamnait à payer à la locataire Mercier la somme de 360 $, en principal, avec réserve de ses recours « à l'encontre de l'auteur du dommage ».

[9]      Pour une meilleure compréhension, il y a lieu de reprendre certains passages de ce jugement, incluant ses conclusions :

« 

[...]

La locataire demande la résiliation rétroactive de son bail au 25 mars 2005, une diminution de loyer mensuelle de 100 $ à compter du 1er janvier 2004 ainsi que des dommages-intérêts matériels de 3 137,74 $.

Pour sa part, le locateur réclame 455 $ à titre de dommages-intérêts correspondants à sa perte locative d'un mois de loyer résultant du départ en cours de bail de la locataire.

Les deux dossiers ont été joints.

[...]

 

Le 17 mars 2005, le locateur convenait avec le voisin troublant [Serge Bubeau] la résiliation de son bail à compter de juillet 2005.

 

[...] Elle [Marjolaine Mercier] requiert donc la résiliation judiciaire de son bail à compter du 25 mars 2005 en plus des dommages résultant de la situation.

 

Le logement sera par contre libéré au cours d'avril et reloué pour le 1er juin 2005. Le loyer de mai n'a cependant pas été acquitté d'où la réclamation du locateur.

 

[...] Il [le locateur] fait par contre témoigner le voisin en question afin de lui permettre de donner sa version des faits. M. Serge Dubeau était l'occupant du logement situé sous celui de la locataire aux périodes pertinentes. Il donnera une version des plus étonnante. Il témoigne ne pas connaître la locataire et ne jamais avoir été dérangé par une locataire de l'immeuble. Il nie avoir vissé une fenêtre ou adopté un quelconque comportement afin de notifier un mécontentement auprès de ces anciens voisins.

 

Le tribunal ne retient aucunement le témoignage de ce témoin considéré hostile. Il est évident par ses propos et son attitude fermée que ce dernier n'avait pas l'intention de donner sa version des faits. Il a par contre peut-être perdu une bonne occasion d'éclairer le tribunal pouvant peut-être limiter sa propre responsabilité à l'égard des évènements survenus.

L'ensemble de la preuve a donc établi que la locataire a subi une perte importante de jouissance de son logement à cause de comportements inappropriés de son voisin, Serge Dubeau lequel était également lié par bail avec le locateur

[...]

Le tribunal détermine qu'une diminution de loyer totale de 360 $ est nécessaire afin de compenser la locataire des pertes de jouissance de son logement de janvier à avril 2005. Par conséquent, le tribunal accorde cette somme à titre de diminution de loyer.

La résiliation de son bail est accordée, mais à compter du 30 avril 2005 considérant que le déménagement de tous les biens s'est finalisé au cours de ce mois et que le logement n'était donc pas disponible pour sa relocation. [...]

Considérant la résiliation prononcée, la locataire est libérée des obligations du bail à compter du 1er mai 2005. Tout comme les dommages de la locataire, la perte locative du locateur correspondant au loyer de mai 2005 a donc été dirigée contre la mauvaise personne.

POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL;

ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;

RÉSILIE le bail rétroactivement au 30 avril 2005;

CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 360 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 24 mai 2005 plus 52 $ à titre de frais judiciaires admissibles;


REJETTE la demande de la locataire quant au surplus et réserve les recours de cette dernière à l'encontre de l'auteur du dommage;

REJETTE la demande du locateur et réserve les recours de ce dernier à l'encontre de l'auteur du dommage. [...] »[3]

(Le texte en italiques et les soulignements sont ajoutés)

[10]   Suivant la déclaration du locateur et tel qu’il appert du bail intervenu le 12 mai 2005 (P-2), l’appartement 4 était reloué à compter du 1er juin 2005 au loyer mensuel de 475 $.

[11]   Par lettre datée du 7 janvier 2009, livrée par poste recommandée le 9 janvier 2009, le locateur s’adressait comme suit au locataire (P-5, en liasse) :

« La présente est pour vous aviser que la régie du logement m’a tenu responsable de payer un dédommagement a Marjolaine Mercier, la locataire du [...] #4 a cause de votre comportement envers elle.

 

Donc vous êtes redevable des frais accordés a Mme. Mercier et un mois de loyer additionnel dont son loyer n’a pas été loué pour le mois de mai 2005.

 

Le montant accordé a Mme. Mercier a été de $470.43 et de $455.00 de loyer perdu pour un total de $925,43.

 

J’inclus une copie de la décision de la régie. [...] » (Sic)

[12]   En plus de cette copie, y est jointe celle du chèque numéro 510 émis par le locateur à l’ordre de Marjolaine Mercier, daté du 22 septembre 2008 et au montant de 470,43 $. Selon le tableau soumis, le calcul des intérêts pour la période du 24 mai 2005 au 21 août 2008 (1 185 jours) s’est effectué au taux légal de 5 % s’élevant à 58,43 $.

[13]   Relativement au premier recours et sur la connaissance du locataire de la problématique invoquée, le locateur exhibe une lettre datée du 21 décembre 2004, où il l’avisait principalement en ces termes (P-3) :

« La Présente est pour vous aviser que j’ai reçu une mise en demeure a l’effet que vous déranger la tranquillité des autres locataires, soit par votre comportement et ainsi que vous laisser votre musique très forte et cela tard le soir et même durant la nuit.

 

Je tiens a vous informer que si cela persiste et qu’il n’y a pas aucun moyen possible de régler cette situation et ce le plus tôt possible, je devrai prendre les mesures appropriées sans autre avis et délai » (Sic)

[14]   Le locateur dépose également la lettre datée du 30 mars 2005, par laquelle madame Mercier annonçait avoir quitté son logis le 25 mars 2005 (P-4A) :

« [...]

 

La présente est pour vous informer que j’ai dû quitter mon appartement situé au 7950 [...] app.4 [...] depuis le 25 mars 2005. Je n’arrive plus à vivre à cet endroit, j’ai peur et je ne me sens pas en sécurité.

 

Comme je vous le mentionnais dans ma lettre du 13 décembre 2004, le locataire en dessous de mon appartement n’accepte aucun bruit. Suite à une mise en demeure de votre part datée du 21 décembre 2004, celui-ci s’est calmé. Mais depuis quelque temps, je perçois facilement son intolérance. Par le puits de lumière, il m’insulte et m’injure [...] » (Sic)

[15]   Le 20 mai 2005, le locateur transmettait un avis à madame Marjolaine Mercier, l’informant qu’il avait reloué son logis à compter du 1er juin 2005, et qu’elle demeurait responsable de celui de mai (455 $) (P-4B, en liasse).

[16]   En défense, le locataire s’avère peu loquace.

[17]   Il soutient ne pas se souvenir, ou que très peu, des événements, et dénie formellement avoir troublé la jouissance paisible de madame Mercier de l’appartement 4, dame à qui il n’aurait jamais adressé la parole et qu’il ne connaissait pas.


LE DROIT ET L’ANALYSE

[18]   D’emblée, il y a lieu de préciser que devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, de façon prépondérante et probable. Si une partie ne s’acquitte pas de son fardeau de convaincre le tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c’est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.[4]

[19]   Comme tout contrat, le bail oblige ceux qui l’ont conclu pour ce qu'ils y ont exprimé, ainsi que pour tout ce qui en découle d'après sa nature et suivant les usages, l'équité ou la loi.[5]

[20]   Ainsi, toute personne a le devoir d’honorer ses obligations, sous peine d’engager sa responsabilité quant au préjudice subi par son cocontractant face à un manquement en ce sens.[6]

[21]   Plus spécifiquement, l’obligation générale du locataire d’user du bien loué avec prudence et diligence pendant la durée du bail[7] comporte également celle de ne pas excéder ses droits, d’en user de façon raisonnable et non excessive[8].

[22]   De plus, l’article 1860 du Code civil du Québec édicte qu'un locataire a le devoir de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires, que ce soit par son fait ou celui des personnes auxquelles il permet l'accès aux lieux loués.

[23]   Le locateur, quant à lui et en vertu de l'article 1854 du Code civil du Québec, a l’obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués à chacun de ses locataires.

[24]   À défaut, un locataire troublé peut obtenir sous certaines conditions, la résiliation de son bail, une diminution de loyer ou des dommages-intérêts. Dans ce cas, le locateur peut s’adresser au locataire fautif afin d’être indemnisé de son préjudice, tel qu’édicté à l’article 1861 Code civil du Québec :

« 1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

 

Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi

 

(Le tribunal souligne)

[25]   Sur les recours généraux des parties, le premier alinéa de l'article 1863 du Code civil du Québec[9] prévoit notamment que l’inexécution d’une obligation par une partie au bail confère à l’autre le droit de demander des dommages-intérêts. Ceux-ci devront compenser adéquatement le préjudice direct et immédiat[10], sans enrichir le créancier, qui aura par ailleurs l’obligation de prendre les moyens diligents et raisonnables pour minimiser sa perte.[11] Ainsi, le créancier assumera seul l'aggravation des dommages qu'il aurait pu raisonnablement éviter. En somme, la compensation se veut intégrale et définitive, en tentant de replacer les parties dans l'état où elles se seraient trouvées n'eut été du manquement.

[26]   En l’espèce, la demande est accueillie en partie.

[27]   Le locateur a su établir les manquements du locataire quant aux troubles occasionnés à la locataire Mercier et pour lesquels il a notamment été condamné en vertu du jugement précité.

[28]   La défense du locataire sur sa méconnaissance de ceux-ci, malgré l’avis qu’il recevait en décembre 2004 et sa comparution à l’audience du 22 juillet 2008, s’avère non probante et n’est pas retenue.

[29]   À la lumière du droit applicable et après avoir analysé la preuve soumise, celle-ci convainc le Tribunal que la réclamation est bien fondée en partie, soit jusqu’à concurrence de 697,93 $, représentant le préjudice causé au locateur résultant de la condamnation en vertu du jugement précité (470,43 $) ainsi que la moitié du loyer de mai 2005 perdu de l’appartement 4 (227,50 $).

[30]   Dans l’établissement de ce quantum, le Tribunal a considéré que le bail de l’appartement 4 a été conclu à un loyer supérieur (P-2), et que le locateur n’a fait état de ses efforts ou publicité pour que cette nouvelle location, débutant le 1er juin 2005, intervienne plus rapidement après le départ annoncé de la locataire Mercier en mars 2005 (P-4A).

[31]   En somme, le préjudice retenu est celui jugé dûment minimisé et qui découle directement de l’inexécution des obligations du locataire.

[32]   Partant, le locataire sera condamné à payer au locateur la somme de 697,93 $, en sus des intérêts, indemnité additionnelle[12] et frais judiciaires[13] applicables.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]   ACCUEILLE partiellement la demande;

[34]   CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 697,93 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 mai 2009, plus les frais judiciaires de 65 $;

[35]   REJETTE la demande quant au surplus.

 

 

 

 

 

Chantale Bouchard

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Date de l’audience :  

30 juin 2011

 



[1] Il s’agit d’une demande ayant pour seul objet une créance visée à l’article 73 de la Loi sur la Régie du logement, où les articles 82, 84 et 91 de cette loi reçoivent application relativement au délai d’exécution, à l’exécution forcée et à l’absence de droit d’appel.

[2] Malgré que le locateur ne soit en mesure de démontrer la signification de la demande, le locataire consent à procéder.

[3] Marjolaine Mercier c. Roger Côté, R.L. 31-050524-149G, le 21 août 2008, r. Me Jocelyne Gravel, j.a.; Roger Côté c. Marjolaine Mercier, R.L. 31-050609-014G, le 21 août 2008, r. Me Jocelyne Gravel, j.a.

[4] Ainsi s’en expriment les auteurs André Nadeau et Léo Ducharme, dans Traité de droit civil du Québec, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur : « Celui sur qui repose l'obligation de convaincre le juge supporte le risque de l'absence de preuve, c'est-à-dire perdra son procès si la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de la part et d'autres est contradictoire et que le juge est placé dans l'impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »

[5] Tel qu'édicté à l'article 1434 du Code civil du Québec.

[6] Article 1458 du Code civil du Québec.

[7] Selon l’article 1855 du Code civil du Québec.

[8] En application des exigences de la bonne foi édictées aux articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec.

[9] Le premier alinéa de l'article 1863 du Code civil du Québec édicte que « [l]'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail. »

[10] Articles 1607 et 1613 du Code civil du Québec.

[11] Articles 1479 et 1611 du Code civil du Québec.

[12] Articles 1617, 1618 et 1619 du Code civil du Québec.

[13] Selon le Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, R.R.Q., 1981, c. [R-8.1, r. 6].

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