Road to Home Rescue Support c. Ville de Montréal |
2019 QCCS 1042 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-105390-184 |
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DATE : |
Le 26 mars 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
lukasz granosik, j.c.s. |
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ROAD TO HOME RESCUE SUPPORT |
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et |
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CHRISTA FRINEAU |
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Demanderesses |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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SOCIÉTÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA CRUAUTÉ ENVERS LES ANIMAUX (SPCA de Montréal) |
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et |
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LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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(Pourvoi en contrôle judiciaire) |
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[1] Le 19 août 2018, un chien de type pitbull appelé Shotta, âgé à l’époque d’un an et demi et pesant 70 livres, mord quatre enfants et deux adultes sur le territoire de la ville de Montréal (Montréal-Nord). L’arrondissement le déclare immédiatement chien dangereux et prononce à son endroit un ordre d’euthanasie.
[2] Aujourd’hui, la propriétaire de ce chien, Christa Frineau, et un refuge américain, Road to Home Rescue Support (RHRS), demandent que Shotta soit confié à ce refuge, plutôt que mis à mort[1]. Pour y parvenir, ils attaquent la légalité et la validité de la décision de l’arrondissement et de la réglementation municipale sous-jacente.
CONTEXTE
[3] Au moment des événements à l’origine de ce litige, Frineau[2] a confié son chien à une connaissance, Frances Richardson, car elle vient d’accoucher et ne peut s’en occuper adéquatement. Dès le lendemain, Shotta attaque - lors d’une seule et même journée - quatre enfants et deux adultes, causant des blessures graves à certains d’entre eux. Le chien est saisi immédiatement par la police et confié à la SPCA de Montréal, où il se trouve depuis ce moment.
[4] Compte tenu de la gravité de l’incident, et sur la foi notamment du rapport de police[3], en application de l’article 32 du Règlement sur le contrôle des animaux (16-060) (Règlement ou règlement municipal), la direction d’arrondissement de Montréal-Nord décide le 22 août 2018 que Shotta est un chien dangereux et qu’il devra être euthanasié au plus tard le 31 août 2018[4].
[5] Elle en avise par écrit Richardson, en sa qualité de gardienne du chien, en lui notifiant cette décision par huissier, que ce dernier laisse sous la porte de son domicile. Dans l’intervalle, la police saisit Shotta aux fins d’enquête policière car il est question d’accusations criminelles éventuelles à l’égard de Richardson pour les événements du 19 août 2018, notamment pour négligence criminelle[5]. Le mandat de perquisition indique que le chien doit être détenu à la SPCA de Montréal. Ce mandat de perquisition a comme effet pratique de suspendre toute euthanasie de l’animal.
[6] Dès le 7 septembre 2018, les procureurs de RHRS exigent de Montréal la tenue d’une évaluation comportementale de Shotta[6]. Le 17 septembre 2018, la directrice d’arrondissement répond que la décision de procéder à l’euthanasie est maintenue[7].
[7] Le 2 novembre 2018, RHRS entreprend un pourvoi en contrôle judiciaire, appelé « Application for Judicial Review and Stay of Euthanasia Order ». Au soutien de sa demande, RHRS allègue être un refuge pour animaux situé aux États-Unis et s’engage à adopter Shotta et à s’en occuper.
[8] Quelques incidents procéduraux ont lieu par la suite. Entre autres, RHRS dépose une somme de 3 000 $ afin de garantir les frais. Or, d’autres événements, plus importants, surviennent à quelques jours de l’instruction de ce pourvoi.
[9] Tout d’abord, le 15 mars 2019, les autorités décident de ne pas porter d’accusations criminelles contre Richardson et en conséquence, le mandat de perquisition n’a plus sa raison d’être. Le 20 mars 2019, une juge de paix ordonne la remise du chien à l’arrondissement de Montréal-Nord qui en devient le « possesseur légitime »[8].
[10] Ensuite, le 19 mars 2019, Frineau se manifeste. D’une part, elle soumet une déclaration sous serment rectifiant quelques faits et indiquant qu’elle est d’accord avec l’adoption du chien par RHRS; d’autre part, elle intervient à titre de codemanderesse dans la procédure.
[11] Cela dit, l’état actuel du chien est pitoyable : en cage depuis plusieurs mois et coupé de son environnement et de ses maîtres, son état se détériore, il est gavé d’anxiolytiques et ses activités sont limitées. Il dépérit.
QUESTIONS EN LITIGE
[12] De la présentation de la demande à l’instruction - où s’entremêlent faits, moyens de droit et concepts divers - et de son plan d’argumentation, ainsi que de la présentation de Montréal, le Tribunal identifie les questions suivantes :
- Le respect du délai raisonnable par Frineau, et le cas échéant, la validité de la décision de l’arrondissement du 22 août 2018;
- L’intérêt juridique et la qualité pour agir de RHRS;
- La validité du Règlement.
ANALYSE
Frineau a-t-elle agi dans un délai raisonnable et, si oui, la décision de l’arrondissement est-elle valide?
[13] Une personne doit demander le contrôle judiciaire d’une décision dans un délai raisonnable :
529. La Cour supérieure saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire peut, selon l’objet du pourvoi, prononcer l’une ou l’autre des conclusions suivantes:
1° déclarer inapplicable, invalide ou inopérante une disposition d’une loi du Québec ou du Canada, un règlement pris sous leur autorité, un décret gouvernemental ou un arrêté ministériel ou toute autre règle de droit;
2° évoquer, à la demande d’une partie, une affaire pendante devant une juridiction ou réviser ou annuler le jugement rendu par une telle juridiction ou une décision prise par un organisme ou une personne qui relève de la compétence du Parlement du Québec si la juridiction, l’organisme ou la personne a agi sans compétence ou l’a excédée ou si la procédure suivie est entachée de quelque irrégularité grave;
3° enjoindre à une personne qui occupe une fonction au sein d’un organisme public, d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique d’accomplir un acte auquel la loi l’oblige s’il n’est pas de nature purement privée;
4° destituer de sa fonction une personne qui, sans droit, occupe ou exerce une fonction publique ou une fonction au sein d’un organisme public, d’une personne morale, d’une société ou d’une association ou d’un autre groupement sans personnalité juridique.
Ce pourvoi n’est ouvert que si le jugement ou la décision qui en fait l’objet n’est pas susceptible d’appel ou de contestation, sauf dans le cas où il y a défaut ou excès de compétence.
Le pourvoi doit être signifié dans un délai raisonnable à partir de l’acte ou du fait qui lui donne ouverture.
(Le Tribunal souligne)
[14] Le Code de procédure civile prescrit donc que tout recours en contrôle judiciaire doit être introduit dans un délai raisonnable à partir du jugement ou de la décision attaqués. Une jurisprudence constante veut que, bien qu’il ne s’agisse pas d’un délai de rigueur, il correspond en général au délai d’appel, soit un délai de 30 jours[9]. Au-delà, la partie qui se pourvoit en contrôle judiciaire doit démontrer pourquoi le délai qu’elle a laissé courir constitue tout de même un délai raisonnable dans les circonstances. Cette démonstration est absente en l’espèce et Frineau échoue sur cette question.
[15] Il est vrai que Frineau n’a jamais été avisée officiellement par Montréal de la situation de son chien mais de toute évidence, elle était parfaitement au courant de la situation, tel qu’elle le souligne elle-même dans sa déclaration sous serment :
8. The police came to my house a few days after the incident and asked me factual questions regarding the incident;
9. The police informed me that Shotta had to undergo an evaluation before being possibly returned to my care;
10. Some days later, a police officer contacted me and had me speak with a representative from the SPCA to answer questions about Shotta’s temperament and history;
(…)
13. I called the SPCA several times over the next weeks and was told Shotta was being cared for I but could not see him and he would be euthanized, which I found devastating;
[16] L’avocate de RHRS avance qu’il lui a été très facile de retrouver Frineau et lorsqu’elle en a eu besoin, elle l’a fait en l’espace de quelques minutes. Ce raisonnement s’applique toutefois également au moment où elle a entamé le pourvoi en contrôle judiciaire. Pourquoi cette communication n’a-t-elle pas été établie? Pourquoi Frineau n’est-elle pas intervenue à l’époque? Pourquoi n’a-t-elle pas entrepris de procédure judiciaire alors qu’elle admet elle-même avoir été au courant très tôt de l’ordre d’euthanasier le chien? Ces éléments ne sont pas expliqués à la satisfaction du Tribunal. De fait, ils ne le sont pas du tout[10].
[17] Il n’existe aucune justification valable du délai de sept mois pris par Frineau pour se porter partie demanderesse dans ce pourvoi. Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, ce n’est pas un délai raisonnable. En conséquence, Frineau ne peut attaquer en contrôle judiciaire la décision du 22 août 2018 déclarant Shotta chien dangereux et en ordonnant l’euthanasie.
RHRS peut-elle se porter partie demanderesse?
[18]
Il est incontesté que RHRS ne possède pas en l’instance d’intérêt
suffisant au sens de l’article
- une question justiciable sérieuse est-elle soulevée?
- la partie demanderesse a-t-elle un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question?
- compte tenu de toutes les circonstances, le recours proposé constitue-t-il une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux?
[19] S’il est manifeste qu’il existe ici une question justiciable sérieuse, les deux autres facteurs ne sont pas établis. RHRS s’attribue un intérêt subjectif et particulier dans ce litige alors qu’en tout temps pertinent de ce litige, incluant au moment de l’ordre d’euthanasie et jusqu’à l’introduction de son pourvoi, RHRS n’avait aucun lien, quel qu’il soit, avec Shotta, Frineau, Richardson, Montréal ou la SPCA. RHRS n’est, ni n’a jamais été, ni la propriétaire du chien ni la gardienne au moment des attaques ni enfin la gardienne subséquente. Le Tribunal n’est enfin pas convaincu - et aucune preuve n’a été administrée en ce sens - qu’il est dans la mission de RHRS de secourir tous les animaux, peu importe où ils se trouvent à travers le monde.
[20] La question de la validité ou de l’invalidité du Règlement peut très bien être soumise devant les tribunaux québécois par n’importe quel citoyen touché par son application. Par ailleurs, le Tribunal éprouve un malaise de voir une organisation étrangère, ne participant d’aucune façon au processus démocratique montréalais et québécois et n’ayant aucun facteur de rattachement ni au territoire ni à la population de Montréal ou du Québec, contester la validité d’un règlement d’une ville du Québec.
[21] La Cour suprême du Canada nous enseigne qu’une personne qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préférée comme partie demanderesse[14]. Or, ici, Frineau est une telle personne, tout comme le seraient les citoyens montréalais touchés directement par ce règlement municipal.
[22] En conséquence, le Tribunal conclut que RHRS ne possède pas la qualité juridique pour agir et présenter ce dossier devant un tribunal québécois.
Le Règlement est-il invalide ou inopérant?
[23] Même si Frineau ne peut attaquer la décision de l’arrondissement déclarant son chien dangereux et ordonnant son euthanasie et même si RHRS ne possède pas la qualité pour agir, Frineau peut néanmoins contester en l’instance la légalité de la réglementation municipale[15]. Elle formule trois arguments à ce sujet. Les parties conviennent - et le tribunal est d’accord - que la norme d’intervention est celle de la décision correcte[16].
[24] Son premier moyen est que le règlement municipal serait ultra vires, car il outrepasserait les pouvoirs octroyés par la Loi sur les compétences municipales[17]. Selon ce que plaide la demande, cette loi ne permet que d’«éliminer» les animaux éventuellement dangereux, ce qui ne comprend pas le pouvoir de les euthanasier :
62. Une municipalité locale peut adopter des règlements en matière de sécurité.
La municipalité peut procéder à l’enlèvement d’un obstacle sur le domaine public aux frais de toute personne qui ne se conforme pas à un règlement de la municipalité à cet effet.
63. Toute municipalité locale peut mettre en fourrière, vendre à son profit ou éliminer tout animal errant ou dangereux. Elle peut aussi faire isoler jusqu’à guérison ou éliminer tout animal atteint de maladie contagieuse, sur certificat d’un médecin vétérinaire.
Elle peut également conclure une entente avec toute personne pour l’autoriser à appliquer un règlement de la municipalité concernant les animaux. La personne avec laquelle la municipalité conclut une entente ainsi que ses employés ont les pouvoirs des employés de la municipalité aux seules fins de l’application du règlement de la municipalité.
Le présent article s’applique malgré une disposition inconciliable de la Loi sur les abus préjudiciables à l’agriculture (chapitre A-2).
[25]
Le second argument veut que le nouveau schéma législatif, qui octroie désormais
aux animaux un statut hybride, fait obstacle à l’euthanasie si une autre
solution, comme celle proposée par RHRS, est envisageable. La demande ajoute à
ce chapitre que la gestion de ce cas précis par Montréal ainsi que la décision
de procéder de la façon envisagée va à l’encontre de la Loi sur le bien-être
et la sécurité de l’animal (LBSA)[18]
et de l’article
898.1. Les animaux ne sont pas des biens. Ils sont des êtres doués de sensibilité et ils ont des impératifs biologiques.
Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables.
[26] De surcroît, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, la réglementation municipale doit céder le pas devant le Code civil du Québec et la LBSA, si bien que le règlement municipal est inopérant ou invalide.
[27] Troisièmement, Montréal n’aurait pas respecté l’équité procédurale (principe audi alteram partem) puisqu’elle n’a jamais communiqué avec Frineau ou expertisé Shotta avant de prendre la décision de déclarer ce dernier dangereux et d’ordonner son euthanasie.
[28] À ce propos, Frineau cite une série de jugements[19] dans lesquels, de façon constante, les tribunaux insistent sur l’obligation d’entendre le propriétaire de l’animal avant qu’une décision d’une certaine gravité ne soit rendue. Ainsi, la demande avance que la jurisprudence est unanime sur le fait que l’administration municipale ne peut faire euthanasier un chien sans avoir procédé à une évaluation comportementale, ce qui n’a pas été fait ici. Voilà pourquoi elle demande comme alternative, que le chien soit transporté chez RHRS où il pourra subir un tel examen par un expert afin de confirmer ou réfuter la conclusion de Montréal. En effet, la demande souligne que les conditions actuelles dans lesquelles se trouve Shotta, par ailleurs très difficiles (comme la déclaration sous serment de la représentante de la SPCA le démontre), alors que le chien est lourdement médicamenté, ont un impact direct sur son attitude et son comportement.
[29] Tous ces arguments doivent échouer.
[30] Tout d’abord, il inexact de dire que les articles 62 et 63 de la loi habilitante, soit la Loi sur les compétences municipales, empêchent Montréal de promulguer des règlements prévoyant l’euthanasie des animaux dangereux. Quoique le verbe « éliminer » possède plusieurs significations, il comprend, tant en anglais qu’en français selon les définitions soumises[20], la notion de mettre fin à la vie ou de tuer une entité vivante. On ne peut donc interpréter ce mot-là comme excluant la mise à mort d’un animal. Un texte explicite exclut le besoin de l’interpréter.
[31] Ensuite, ni le nouvel article du Code civil du Québec ni la LBSA, ni aucun précédent jurisprudentiel n’empêchent l’euthanasie d’un animal et encore plus, d’un animal dangereux. La qualification, désormais hybride en droit québécois, d’un animal ne prescrit aucune procédure à cet égard à l’exception de celle de la mise à mort elle-même, laquelle doit répondre à certaines exigences[21]. À défaut, selon l’interprétation qu’en fait la demande, jamais on ne pourrait euthanasier un chien dangereux. Le Tribunal ne trouve aucun motif permettant de donner à la LSBA le statut juridique d’une « charte des droits » de l’animal[22]. La LBSA n’a aucune portée supra-législative.
[32] Aussi, la théorie de la hiérarchie des normes, plaidée avec beaucoup d’insistance, n’est d’aucun secours à la demande. Même si on applique ici le normativisme[23], alors que ce concept a des limites certaines[24], celui-ci permettrait de vérifier - ce que le droit positif fait déjà - tout au plus la légalité du règlement municipal vis-à-vis sa loi habilitante ou en regard de la Constitution canadienne. Or, ces deux instruments législatifs sont respectés ici alors que ni le Code civil du Québec ni la LBSA ne constituent des normes immédiatement supérieures à la réglementation municipale. Le Code civil du Québec demeure essentiellement une loi[25].
[33] La disposition préliminaire du Code civil du Québec en indique spécifiquement le caractère supplétif et détermine qu’il s’agit d’une œuvre d’interprétation et d’harmonisation du droit commun :
Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.
Le code est constitué d’un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit ou l’objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.
(Le Tribunal souligne)
[34] Ce caractère, à la fois englobant et de référence et à la fois de droit applicable et supplétif en cas d’absence de dispositions spécifiques, du Code civil du Québec, a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré, et notamment en ce qui concerne la disposition préliminaire[26]. Ainsi, une loi précise peut très bien ajouter ou déroger au Code civil du Québec, « indépendamment du rôle de ce dernier en tant qu’expression du droit commun »[27].
[35] Quant à la LSBA, il s’agit plutôt d’appliquer la volonté expresse du législateur alors que celui-ci prévoit la prépondérance[28] de sa législation par rapport à la réglementation municipale éventuellement en conflit :
4. Toute disposition d’une loi accordant un pouvoir à une municipalité ou toute disposition d’un règlement adopté par une municipalité, inconciliable avec une disposition de la présente loi ou d’un de ses règlements, est inopérante.
Il en est de même pour les dispositions des normes ou codes de pratiques dont l’application est rendue obligatoire par le gouvernement conformément au paragraphe 3º de l’article 64.
[36] Or, il est acquis que cette notion de normes ou prescriptions inconciliables ne peut s’appliquer qu’en cas de conflit manifeste dans la perspective de l’administré, entre les dispositions sous étude, soit l’impossibilité de se conformer aux deux textes[29]. Cette démonstration est absente en l’instance : la demande n’identifie aucun article de la LBSA ou de son règlement qui créerait un droit ou une obligation entraînant un conflit opérationnel ou d’application avec le règlement municipal.
[37] Enfin, il reste la question de la détermination de la dangerosité de Shotta au regard du droit d’être entendu. Il n’y a pas eu ici d’avis à la propriétaire du chien ni de rapport d’expertise par un expert avant que ne soit prise la décision par l’arrondissement.
[38] Les demandeurs allèguent que la Ville aurait pu et aurait dû retrouver Frineau, qui a toujours eu, durant la période pertinente, la même adresse et le même numéro de téléphone. Ceci est peut-être vrai mais avant le 19 mars 2019, rien ne permettait de conclure qu’elle était toujours et encore la propriétaire de Shotta. Le rapport de police l’identifie comme l’ancienne propriétaire du chien[30]. On peine à retrouver dans sa déclaration sous serment un seul élément permettant de conclure qu’elle se soit présentée comme propriétaire de Shotta dans ses communications avec la police, la SPCA ou toute autre personne intéressée.
[39] Par ailleurs, et surtout, ce moyen présenté au soutien du pourvoi vise en réalité non pas la validité de la réglementation municipale mais plutôt, voire uniquement, la légalité de la décision du 22 août 2018. Or, cette dernière ne peut plus être remise en question car Frineau a agi hors délai. Toutefois, il est opportun de poursuivre l’analyse sur le contenu du règlement municipal en lien avec l’équité procédurale[31].
[40] En l’espèce, le Règlement prévoit la possibilité d’un avis au gardien du chien et une évaluation comportementale de l’animal :
31. Le gardien d’un chien qui a mordu une personne ou qui, en mordant a causé une lacération de la peau à un autre animal d’une espèce permise conformément à l’article 3 doit : (…)
3. se conformer, le cas échéant, à l’avis écrit transmis par l’autorité compétente et l’apporter au lieu et au jour indiqués afin que l’expert de la Ville procède à son évaluation.
[41] Selon Montréal, les mots « le cas échéant » octroient une discrétion au décideur, soit l’arrondissement, d’informer ou non le gardien (le propriétaire) et d’évaluer ou non le chien. L’utilisation de l’expression « le cas échéant » est ambiguë. Est-ce de la discrétion pure de la part de l’administration d’envoyer un avis écrit au propriétaire? Doit-on en user sur la foi de certains indices? En dépit de ces questions, il faut constater que le Règlement prévoit tout de même une mesure d’équité procédurale en faveur du propriétaire du chien et que de ce fait, les articles sous étude ne peuvent pas être déclarés inopérants ou invalides[32]. Cela suffit pour disposer de ce moyen mais il y a plus.
[42] En ce qui concerne plus particulièrement le cas présent, Montréal plaide que cette exigence n’avait pas à être respectée car dans un cas aussi grave et manifeste de comportement d’un chien, le constat de dangerosité s’impose. Elle avance que l’article 31(3) du Règlement n’est pas un automatisme et ne s’applique pas dans tous les cas. C’est ainsi que la décision portant sur le danger potentiel de Shotta a été prise uniquement sur la base du rapport policier. Or, celui-ci, dont personne ne conteste le contenu, est éloquent[33].
[43] Bref, à l’intérieur du spectre des cas de comportement, allant d’une situation où l’autorité publique abat un animal sur le champ alors qu’il est en train d’attaquer des humains ou de mordre d’autres animaux jusqu’à celle où il y a un malentendu sur un geste ou une action d’un chien, lequel malentendu serait facilement dissipé par une expertise, le Tribunal estime qu’on se trouve ici devant une situation analogue au premier cas. Dans une telle éventualité, il est possible de se passer tant à la fois d’une expertise que d’un avis au propriétaire. Cette interprétation et cette application par Montréal de son règlement ne sont pas incorrectes. Le cas présent se distingue des autorités - avec lesquelles le Tribunal n’est pas en désaccord - plaidées par la demande.
[44] Enfin, une fois la déclaration de dangerosité prononcée, le Règlement ne prévoit pas de solution alternative, seule l’euthanasie est possible. L’offre de RHRS d’adopter le chien est sans doute intéressante[34] mais le Tribunal, selon les prescriptions du droit administratif, ne peut imposer une telle solution aux parties.
Provision pour frais
[45] Compte tenu de la conclusion sur le fond du pourvoi et des représentations des parties à l’instruction, le montant de 3 000 $ détenu actuellement en fidéicommis doit servir de façon prioritaire à couvrir les frais de subsistance de Shotta auprès de la SPCA de Montréal depuis le 20 mars 2019 jusqu’à la décision définitive dans ce dossier.
CONCLUSION
[46] La demande échoue car Frineau n’a pas agi dans un délai raisonnable pour pouvoir attaquer la décision de l’arrondissement, RHRS n’a pas la qualité pour agir et le Règlement n’est pas inopérant ou invalide.
[47] REJETTE le pourvoi;
[48] ORDONNE que la provision de 3 000 $ détenue en fidéicommis serve prioritairement à payer les frais de Shotta auprès de la SPCA de Montréal;
[49] AVEC les frais de justice en faveur de la ville de Montréal.
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__________________________________LUKASZ GRANOSIK, j.c.s. |
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Me Anne-France Goldwater |
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Me Daniel Goldwater-Adler |
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GOLDWATER, DUBÉ |
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Procureurs des demanderesses |
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Me Alexandre Paul-Hus |
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GAGNIER GUAY BIRON |
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Procureur de la défenderesse |
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Me Marie-Claude St-Amant |
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MELANÇON MARCEAU & AL |
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Procureure de la mise en cause SOCIÉTÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA CRUAUTÉ ENVERS LES ANIMAUX (SPCA de Montréal) |
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Date d’audience : |
Le 21 mars 2019 |
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[1] La demande de sursis de l’ordre d’euthanasier l’animal n’a pas été plaidée car elle est devenue académique du moment où Montréal a convenu de ne pas mettre sa décision à exécution en attendant le prononcé du présent jugement. La demande visant à ordonner une expertise portant sur la dangerosité avant de mettre l’animal à mort est analysée dans le cadre du fond de ce litige.
[2] L’utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et il ne faut pas y voir un manque de courtoisie à l’égard des personnes concernées.
[3] Pièce D-1.
[4] Pièce D-2.
[5] Pièce P-5.
[6] Pièces P-4a et P-4b.
[7] Pièce P-4c.
[8] Pièce D-5.
[9]
Soucy c. Martrans Express (122085 Canada Inc.),
[10] Le Tribunal risque même la déduction que Frineau attendait de voir si des accusations criminelles allaient être portées avant de se déclarer propriétaire véritable de Shotta alors que pendant longtemps, tant la procédure au dossier que les pièces au soutien de celle-ci indiquaient qu’elle s’était départie du chien la veille même de l’attaque.
[11]
Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l.,
[12] Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside
Sex Workers United Against Violence Society,
[13]
Idem, par. 22 : « [22] Les tribunaux ont reconnu depuis
longtemps la nécessité de restreindre la qualité pour agir. En effet, ce ne
sont pas toutes les personnes voulant débattre d’une question, sans tenir
compte du fait qu’elles soient touchées par l’issue du débat ou pas, qui
devraient être autorisées à le faire : Conseil canadien des Églises, p. 252.
Cela étant dit, l’augmentation de la réglementation gouvernementale et l’entrée
en vigueur de la Charte ont incité les tribunaux à s’éloigner d’une conception
de leur rôle fondée strictement sur le droit privé, comme en témoigne l’observation
d’un certain relâchement des règles traditionnelles de droit privé en ce qui
concerne la qualité pour engager une poursuite : Conseil canadien des Églises,
p. 249, et voir aussi généralement O. M. Fiss, « The Social and Political
Foundations of Adjudication »
[14] Idem, par. 37.
[15]
Lorraine (Ville) c. 2646-8926 Québec inc.,
[16] Si la décision du 22 août 2018 de l’arrondissement était en litige, cette question pourrait recevoir une réponse différente.
[17] RLRQ, c. C-47.1.
[18] RLRQ, c. B-3.1.
[19]
Sousa c. SPCA Lanaudière - Basses Laurentides,
[20] La demande dépose pour étayer sa position les extraits de dictionnaires tant français qu’anglais.
[21] Article 12 de la LBSA.
[22] Un animal demeure un objet de droit.
[23]
Hans KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État, Bruxelles &
Paris, Bruylant & L.G.D.J., 1997, p. 178 : « (…) le droit règle sa
propre création, dans la mesure où une norme juridique détermine la procédure
de création d’une autre norme ainsi que, jusqu’à un certain point, le contenu
de cette norme », réitérée bien entendu dans sa Théorie pure du droit.
Il faut ajouter que cette théorie est rarement plaidée et encore plus rarement
appliquée (Cf. Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec
(Procureur général),
[24] Par exemple, aux extrémités de sa pyramide des normes, Kelsen échoue à expliquer de façon satisfaisante tant les révolutions que les jugements ou actes judiciaires.
[25] Marie-Josée LONGTIN, « Le style civiliste et la loi », dans Le Droit civil, avant tout un style, sous la direction de Nicholas Kasirer, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, pp 185-206, à la p.194.
[26]
Doré c. Verdun (Ville),
[27] Daniel Jutras, « Le code et le juge : Doré, Viger, comparés », dans Les grands classiques du droit civil, Montréal, Les Éditions Thémis, 2016, pp. 227-284, à la p. 237.
[28] Une situation analogue du reste à celle tranchée dans Doré c. Verdun (Ville), précité, note 26.
[29]
114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c.
Hudson (Ville),
[30] L’orthographe employée est celle de Khrista avec un « K » mais il n’y a pas de confusion quant à la personne.
[31]
On peut aussi ajouter qu’en dépit de la protection législative contenue à la
LBSA et au Code civil du Québec, le chien est objet de droit et demeure la
propriété de Frineau. La théorie générale du droit des biens n’exige pas
d’emblée le respect de l’équité procédurale, même s’il répugnerait que
l’administration puisse priver un citoyen de sa propriété sans l’entendre (cf.
Article
[32] Le Tribunal souligne que la portée de ces règles d’équité procédurale sera fonction des circonstances particulières de chaque cas, voir Auclair c. Ville de Montréal, précité, note 19, par. 32.
[33] Un extrait de l’introduction du rapport de police suffit pour s’en convaincre : « Arrivé dans l’appartement, il y a six enfants sur les lieux ainsi que madame Duchesneau. Il y a beaucoup de sang sur le plancher ainsi que sur les murs. Elle nous montre alors Jahsaya qui se trouve dans la chambre à coucher avec un bandage autour de son bras. Les couvertures du lit sont couvertes de sang. Je remarque alors qu’il y a plusieurs morceaux de peau qui pendent de son bras, nous pouvons voir les muscles et ligaments, le bras est probablement fracturé car il ne tient pas en place. »
[34] Dans la mesure où RHRS respecte son engagement et garde le chien dans son refuge toute sa vie durant.
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