[1] Les appelants portent en appel, avec la permission d’un juge de cette Cour, un jugement du 15 septembre 2016 (rectifié en date du 16 septembre 2016) de la Cour supérieure, district de Trois-Rivières (l’honorable Michel Beaupré), portant sur une demande conjointe des parties afin de trancher une question de droit et qui déclare que la loi applicable à la solution du litige en cause est la loi québécoise.
[2] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Levesque et Gagnon, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, sans frais de justice.
|
|
MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
|
|
[4] Un écrasement d’avion mortel est survenu en Ontario. Une action civile en dommages a été intentée au Québec par les membres de la famille d’une des victimes. La compétence des tribunaux québécois n’est pas remise en question et la responsabilité des intimés n’est pas contestée. Seule la loi applicable pour décider du montant des dommages doit être identifiée : s’agit-il du droit du lieu où résident les intimés et la majorité des appelants - soit le droit civil du Québec - ou s’agit-il plutôt du droit de l’Ontario, la province dans laquelle l’écrasement est survenu?
[5] Je conclus que le droit applicable est celui du Québec. Je rejetterais donc l’appel, mais pour des motifs autres que ceux énoncés par le juge de première instance.
LE CONTEXTE
[6] Le litige fait suite à l’écrasement d’un aéronef survenu en Ontario en octobre 2012. Le nouveau propriétaire de l’aéronef, Jean Fournier, en a pris livraison en Alberta. Il était accompagné de Yannick Fournier. Selon une entente intervenue avec Nadeau Air Service inc. (« NAS »), Michel Nadeau agissait comme pilote et commandant de bord et un mécanicien l’accompagnait. Une escale devait être effectuée à l’aéroport de Pickle Lake, en Ontario, avant de reprendre le vol du retour vers Trois-Rivières, au Québec, où tous les occupants de l’aéronef étaient domiciliés. Ceux-ci, sauf Jean Fournier, sont tous décédés lors de l’écrasement survenu au cours des manœuvres d’atterrissage à l’aéroport de Pickle Lake.
[7] La veuve de Yannick Fournier, l’appelante Alexis Giesbrecht, tant personnellement qu’en sa qualité de tutrice à ses enfants mineurs Maliha et Liam Fournier, réclame en Cour supérieure du Québec des dommages-intérêts en compensation du préjudice subi en raison du décès de son mari, soit au total : 2 447 767 $ pour perte de soutien financier et 300 000 $ pour souffrance morale et la perte d’un être cher. Les enfants mineurs Maliha et Liam Fournier réclament également une somme de 200 000 $ en compensation de la souffrance et des douleurs que Yannick Fournier a subies dans les heures qui ont suivi l’écrasement ou dues à l’appréhension de son décès.
[8] Les autres appelants ont des liens de parenté avec Yannick Fournier et ils réclament, dans le cadre de la même action, des dommages-intérêts en compensation du préjudice découlant de la perte d’un être cher, à savoir :
Alain Fournier et Danielle Désilets, son père et sa mère :
Sébastien et Véronique Fournier, son frère et sa sœur :
Josée Demontigny, sa belle-mère par alliance :
Albert et Joanne Giesbrecht, des beaux-parents par alliance :
Chris Giesbrecht et Aynslie Palmer, des beaux-parents par alliance :
|
100 000 $
100 000 $
30 000 $
20 000 $
20 000 $
|
[9] La majorité des appelants et les deux intimés sont domiciliés au Québec. Par contre, les appelants Albert, Joanne et Chris Giesbrecht et Aynslie Palmer sont domiciliés en Colombie-Britannique. Il s’agit de beaux-parents par alliance du défunt Yannick Fournier.
[10] Les appelants allèguent dans leurs procédures devant la Cour supérieure que l’accident est attribuable à des erreurs de Michel Nadeau, le pilote et commandant de bord de l’aéronef, au cours des manœuvres d’atterrissage à l’aéroport de Pickle Lake. Ils réclament donc des dommages-intérêts contre les héritiers de ce dernier. La société NAS serait aussi responsable, à titre d’employeur, de la faute de son employé feu Michel Nadeau.
[11]
Le 29 juin 2016, les parties soumettent à la Cour supérieure du Québec une
demande conjointe sur une question de droit conformément à l’article
4. Les parties ne s’entendent pas sur la question de la loi applicable au présent dossier et plus particulièrement, pour l’évaluation des dommages subis par les demandeurs;
5. Les demandeurs soumettent
respectueusement que l’évaluation des dommages subis doit être régie par la loi
ontarienne, puisque l’accident et le décès ont eu lieu dans cette province, en
application de l’article
6. Les défendeurs allèguent
que seul le droit du Québec est applicable puisque l’auteur de la faute
alléguée ainsi que les principales victimes résidaient au Québec et étaient
domiciliés à Trois-Rivières, le tout en vertu de l’article
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
[12]
Lors de l’audition de la demande conjointe sur une question de droit, le
juge de première instance a signalé aux procureurs la possibilité que
l’article
[13] Il y a lieu de reproduire d’emblée les deux articles en question qui se trouvent au Livre Dixième du C.c.Q. portant sur le droit international privé :
3126. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui est régie par la loi de l’État où le fait générateur du préjudice est survenu. Toutefois, si le préjudice est apparu dans un autre État, la loi de cet État s’applique si l’auteur devait prévoir que le préjudice s’y manifesterait.
Dans tous les cas, si l’auteur et la victime ont leur domicile ou leur résidence dans le même État, c’est la loi de cet État qui s’applique.
|
3126. The obligation to make reparation for injury caused to another is governed by the law of the State where the act or omission which occasioned the injury occurred. However, if the injury appeared in another State, the law of the latter State is applicable if the author should have foreseen that the injury would manifest itself there.
In any case where the author and the victim have their domiciles or residences in the same State, the law of that State applies.
|
3082. À titre exceptionnel, la loi désignée par le présent livre n’est pas applicable si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il est manifeste que la situation n’a qu’un lien éloigné avec cette loi et qu’elle se trouve en relation beaucoup plus étroite avec la loi d’un autre État. La présente disposition n’est pas applicable lorsque la loi est désignée dans un acte juridique. |
3082. Exceptionally, the law designated by this Book is not applicable if, in the light of all attendant circumstances, it is clear that the situation is only remotely connected with that law and is much more closely connected with the law of another State. This provision does not apply where the law is designated in a juridical act. |
[14]
Le juge de première instance note que l’affaire soulève essentiellement
des questions de responsabilité civile[1].
Il précise que le fond du litige ne concernera probablement que la question du
montant des dommages subis. Quoi qu’il en soit, il se dit d’avis qu’on ne
saurait appliquer une loi d’un État sur la question de la faute et celle d’un
autre État sur la question de la détermination et de l’évaluation des dommages
puisque la loi désignée en vertu des articles
[15]
Le juge de première instance note qu’en principe, selon
l’article
[16]
Une première exception au principe de la lex loci delicti est
prévue à l’article
[17]
Une seconde exception au principe de la lex loci delicti est
prévue à l’article
[18]
Ainsi, le juge de première instance conclut que l’article
[19]
Il écarte néanmoins la loi ontarienne au profit de la loi québécoise en
invoquant l’article
[45] Bien que la preuve ne permette aucunement
de conclure que cela a été fait sciemment en l’espèce, il faut éviter que la
jonction d’une minorité de demandeurs par ricochet, ressortissants d’une
juridiction étrangère, ait pour effet automatique et sans égard au contexte de
rendre inapplicable au litige la loi qui, autrement, s’imposerait clairement
suivant les règles de conflit de lois du for.
Il y a tout lieu de penser que c’est là le type de discrétion et de souplesse
que le législateur entendait conférer au pouvoir judiciaire en édictant la
disposition d’exception prévue à l’article
ANALYSE
[20]
La loi du lieu où le fait générateur du préjudice est survenu, la lex
loci delicti[12],
est la règle traditionnelle suivie en droit international privé français[13].
C’était cette règle qui était historiquement suivie au Québec[14].
L’article
[21]
La règle de la lex loci delicti énoncée à l’article
[22] La règle de la lex loci delicti a l’avantage d’être simple à appliquer dans la plupart des cas. Comme le signalait le juge La Forest dans Tolofson, « il me semble évident qu’en général, à tout le moins, la loi qu’il faut appliquer en matière de responsabilité délictuelle est la loi du lieu où l’activité s’est déroulée, c’est-à-dire la lex loci delicti »[18]. Il s’agit là d’une règle retenue par un large éventail d’États[19]. Dans Tolofson, le juge La Forest expliquait ainsi la raison d’être de cette règle[20] :
La règle a l'avantage d'être certaine, facile à appliquer et prévisible. De plus, elle semblerait répondre à des attentes normales. Les gens s'attendent habituellement à ce que leurs activités soient régies par la loi du lieu où ils se trouvent et à ce que les avantages et les responsabilités juridiques s'y rattachant soient définis en conséquence. Le gouvernement de ce lieu est le seul habilité à régir ces activités. Les autres États et les étrangers partagent normalement les mêmes attentes. Si d'autres États appliquaient systématiquement leurs lois à des activités qui se déroulent ailleurs, il y aurait confusion. Étant donné la facilité de voyager dans le monde moderne et l'émergence d'un ordre économique mondial, la situation deviendrait souvent chaotique si le principe de la compétence territoriale n'était pas respecté, du moins de façon générale. Il faut assurer la stabilité des opérations et respecter les attentes juridiques bien fondées. Bien des activités qui se déroulent à l'intérieur d'un État ont nécessairement une incidence dans un autre État, mais il faut éviter une multiplicité d'exercices concurrents du pouvoir étatique à leur égard.
[23] Au Canada, cette règle de common law ne souffre d’ailleurs de peu d’exceptions lorsque le fait générateur du préjudice est survenu au Canada et que les parties au litige y résident[21]. Des impératifs de nature constitutionnelle dictent ce résultat, tel que le signalait le juge La Forest[22] :
Ainsi, la tentative par une province d'imposer une responsabilité pour négligence relativement aux activités de résidents d'une autre province, qui se sont déroulées entièrement dans cette autre province, susciterait de graves inquiétudes sur le plan constitutionnel. Une telle mesure législative applicable uniquement aux résidents de la province du tribunal saisi semblerait plus prometteuse. On peut toutefois prétendre qu'il n'est pas constitutionnellement permis que les deux provinces, celle où certaines activités ont eu lieu et celle dans laquelle résident les parties, connaissent de la responsabilité civile résultant des mêmes activités. À supposer que les deux provinces aient compétence législative en pareilles circonstances, il pourrait y avoir conflit de règles à l'égard du même incident. Je n'irai pas plus loin au sujet de la façon possible de régler ces problèmes. Ces considérations indiquent, toutefois, que, pour la Cour, la voie la plus sage semblerait être d'éviter d'établir une règle qui risque de soulever des problèmes constitutionnels insolubles.
[24]
C’est à la lumière de ces mêmes impératifs pratiques et
constitutionnels qu’il faut comprendre et appliquer les exceptions à la règle
de la lex loci delicti énoncés aux articles
[25]
La première exception est énoncée au premier alinéa de
l’article
[26] Dans ce cas-ci, les deux conditions de cette première exception ne sont pas remplies.
[27] En effet, les montants réclamés par les enfants mineurs pour les préjudices liés à la souffrance et aux douleurs que Yannick Fournier a subies dans les heures qui ont suivi l’écrasement de l’aéronef ou dues à l’appréhension de son décès sont clairement apparus en Ontario. Dans ce contexte, il importe peu que les autres préjudices subis « par ricochet » par les appelants pour perte de soutien financier, souffrance morale ou perte d’un être cher soient apparus ou non au Québec ou en Colombie-Britannique. Il serait incongru d’appliquer le droit de l’Ontario au litige au motif que les préjudices liés à la souffrance et aux douleurs que feu Yannick Fournier a subies s’y sont manifestés et d’y appliquer simultanément le droit du Québec et de la Colombie-Britannique, selon le cas, au motif que les préjudices des appelants liés à la perte de soutien financier, à la souffrance morale ou à la perte d’un être cher seraient apparus dans ces autres provinces.
[28]
La règle générale de la lex loci delicti n’est pas écartée
sous la première exception énoncée à l’article
En l'espèce, si nous devions retenir le lieu du préjudice pour déterminer la loi applicable, il s'ensuivrait, de nouveau, une situation à tout le moins chaotique où les comptables montréalais, pour un travail fait en majeure partie à Montréal, pour le compte d'une société montréalaise, verraient leur responsabilité déterminée en fonction d'autant de lois étrangères qu'il y a de demandeurs dont le domicile est étranger. S'ensuivrait un désordre contraire aux principes fondamentaux du droit international privé.
[29] De plus, tenant compte des faits admis par les parties, le juge de première instance affirme qu’il ne pouvait conclure que l’auteur du fait générateur du préjudice « devait prévoir » que le préjudice se manifesterait en Colombie-Britannique et au Québec, alors que l’écrasement de l’aéronef a eu lieu en Ontario[24]. Cette Cour doit une certaine déférence à cette conclusion.
[30]
Quant à la deuxième exception, qui est énoncée au second alinéa de
l’article
[31]
En conclusion, le juge de première instance a raison de conclure que
c’est la loi de l’Ontario qui s’applique au litige en vertu de la règle de la lex
loci delicti énoncée à l’article
[32]
L’article
Cet article, de droit nouveau, s’inspire de la Loi fédérale sur le droit international privé suisse de 1987. Il devrait permettre de répondre aux attentes légitimes des parties dans des situations que le législateur ne pouvait pas prévoir.
Les règles de conflit de lois sont rédigées de façon à désigner, dans chaque cas, la loi de l’État que l’on présume se trouver dans le rapport le plus étroit avec l’espèce en cause. C’est pour donner à ce principe de la proximité la primauté sur les règles de conflit qu’on autorise exceptionnellement le juge à appliquer une autre loi que celle que la règle de conflit désigne.
[…]
[33]
Tel que le précise expressément l’article
[62] […] dans les
questions relatives au choix de la loi applicable, l’art.
[34]
Le caractère exceptionnel de l’article
Le codificateur québécois
n’a pas adopté un principe général de détermination de la loi applicable
selon les circonstances de l’espèce. L’imprévisibilité qui en résulterait, à
l’instar des systèmes fondés sur les « nouvelles » doctrines
américaines, a été consciemment condamnée lors de la formulation des règles
générales du Livre X du Code civil. Si rien ne pointe de manière manifeste,
comme le souligne l’article
[35]
Compte tenu des propos tenus par le juge La Forest dans Tolofson,
je suis d’avis que lorsque le fait générateur du préjudice dans un litige de
responsabilité civile est survenu au Canada, que les parties résident au Canada
et que l’article
[36]
Or, je suis d’avis qu’il s’agit ici d’un tel cas rare, exceptionnel et
vraiment extraordinaire qui justifie l’application de l’article
[37]
En effet, si ce n’était de la présence de la réclamation de 40
000 $ faite par les quatre beaux-parents par alliance de Yannick Fournier
qui sont domiciliés en Colombie-Britannique, la deuxième exception énoncée au
deuxième alinéa de l’article
[38] Or, la réclamation de ces beaux-parents par alliance est irrecevable selon le droit ontarien qu’invoquent les appelants. En effet, les intimés ont allégué à l’audience devant la Cour que le paragraphe 61(1) de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario[28] n’ouvre le droit de recouvrer d’un tiers la perte pécuniaire qui résulte du décès d’une victime qu’au conjoint et aux enfants, petits-enfants, parents, grands-parents, frères et sœurs de la victime[29] :
[39] Selon la common law, un tiers ne peut réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant d’un accident mortel. C’est pour remédier à cette lacune de la common law que le Parlement britannique adoptait en 1846 la Fatal Accidents Act, 1846 (U.K.), 9 & 10 Vict., ch. 93 (« Lord Campbell’s Act ») qui conférait aux personnes à charge de la victime décédée le droit de poursuivre l’auteur de l’omission ou de l’acte fautif ayant causé sa mort. Ainsi, dans les juridictions de common law, la demande en réparation du préjudice résultant d’un accident mortel formulée par un tiers est une création législative qui trouve sa source dans la Lord Campbell’s Act et qui continue d’exister en Ontario en vertu de la Loi sur le droit de la famille. En l’absence d’un texte législatif autorisant cette demande, l’ancienne fin de non-recevoir prévue par la common law empêchant les actions fondées sur le décès d’autrui s’appliquerait.
[40] C’est donc la loi pertinente ontarienne, en l’espèce la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, qui identifie les personnes admises à demander réparation dans le cas d’un décès. Certes, un tribunal canadien de common law a le pouvoir de modifier une règle de common law en respectant les principes de réforme du droit qui ont été élaborés par la Cour suprême du Canada[30]. Toutefois, dans Succession Ordon c. Grail[31], une affaire concernant la Loi sur la marine marchande du Canada[32], la Cour suprême du Canada a précisé qu’il ne conviendrait pas pour les tribunaux d’ajouter à la liste des personnes admises à agir en modifiant unilatéralement les règles de la common law afin de compléter une disposition législative. Les juges Iacobucci et Major, au nom d’un banc unanime de la Cour suprême du Canada, ont affirmé qu’« [e]n modifiant la loi pour élargir la catégorie des personnes admises à agir, notre Cour effectuerait une modification législative et non une modification judiciaire »[33].
[41] Le raisonnement de la Cour suprême du Canada énoncé dans Succession Ordon ne peut être plus clair[34] :
[105]
La demande en réparation du préjudice résultant d’un accident mortel
formulée par une personne à charge est une création de la loi, qui trouve
sa source dans la Lord
Campbell’s Act et qui
continue à exister en droit maritime en vertu de la Loi sur la marine marchande
du Canada. En l’absence d’un texte législatif autorisant cette
demande, l’ancienne fin de non-recevoir prévue par la common law et
empêchant les actions fondées sur le décès d’autrui s’appliquerait: Baker c. Bolton, précité
[(1808), 1 Comp. 493, 170 E.R. 1033]. C’est donc dans la loi
pertinente et nulle part ailleurs qu’il faut chercher qui sont les personnes
admises à demander réparation. En matière maritime, l’art.
[…]
La liste ne comprend pas les frères et sœurs. La question est donc de savoir s’il conviendrait que les tribunaux modifient les règles non législatives du droit maritime pour permettre aux frères et sœurs d’une victime d’accident mortel d’intenter une demande en réparation à titre de personnes à charge.
[106] Tout comme la Cour
d’appel de l’Ontario, nous croyons que, même s’il est peut-être
souhaitable que le Parlement ajoute à la liste des personnes à charge admises à
agir en réparation en vertu de l’art.
[Soulignement ajouté]
[42] Dans Mason v. Peters et al[35], la Cour d’appel de l’Ontario applique cette même approche aux réclamations en dommages-intérêts intentées dans cette province :
[10] It will be recalled that at common law no right of action existed for the negligently caused death of a human being; death was not a compensable injury for either the victim himself or the surviving members of his family. That doctrine, first enunciated in England in Baker v. Bolton (1808), 1 Camp. 493, 170 E.R. 1033, and eventually approved by the House of Lords in Admiralty Com'rs v. S.S. "Amerika", [1917] A.C. 38, was accepted and followed throughout the common law world. But as society grew more industrialized and the number of fatal accidents increased, the harshness of the notion that the family of a person tortiously killed was entirely without remedy became repugnant. This led to reform in 1846 with the passage of Lord Campbell's Act, 1846 (U.K.), c. 93 [repealed by 1976 (U.K.), c. 30]. This statute, which became the model for wrongful death statutes elsewhere, recognized the claims of the living by according a limited measure of protection to the interests of dependants in the continued life of certain close relatives. It provided designated surviving relatives with a right of action to recover the damages sustained by them as a result of the death, provided the deceased, had he lived, would have had a cause of action for the wrongfully inflicted injury. See, generally, Fleming, The Law of Torts, 5th ed. (1977), pp. 647 et seq. and Prosser, Handbook of the Law of Torts, 4th ed. (1971), pp. 898 et seq.
[11] In Ontario, the rule of Baker v. Bolton prevailed until the Fatal Accidents Act [An Act for compensating the Families of Persons Killed by Accident, and for other purposes therein mentioned] was first enacted in Canada (Ontario and Quebec) in 1847 (10 and 11 Vict., c. 6). That Act, as revised from time to time, remained in force until its repeal by the Family Law Reform Act in 1978. Following the scheme of Lord Campbell's Act, the Fatal Accidents Act provided a statutory remedy for the husband, wife, parent and child of the deceased, entitling them to maintain a suit for damages against the person whose tortious conduct caused the death. […]
[Soulignement ajouté]
[43] Ces principes sont d’ailleurs largement reconnus dans les juridictions canadiennes de common law. Tel que noté par Philip H. Osborne dans son ouvrage portant sur The Law of Torts[36] :
At common law […] the family of the deceased could not sue for their pecuniary and non-pecuniary losses where death was caused by the wrongful act of another.
[…]
The increase of fatal accidents associated with rail travel and industrialization led to the initial legislative reform that allowed family members to sue in respect of a wrongful death. […] These legislative initiatives terminated all impetus for judicial reform and, even today, reference must be made to the appropriate fatal accidents […] legislation to determine the impact of death on tort litigation. Fatal accidents legislation deals with the rights of the family of a person killed by the defendant’s wrongful act. […]
[…]
Although the death of a person may have significant adverse financial and personal consequences for a wide range of persons and corporations, the legislation restricts the claimants to a narrow band of family members. Normally, only spouses (including common law spouses and same sex spouses), children (including stepchildren and adopted children), and parents (including grandparents) are included. Siblings are included in some provinces. All of the legislation provides for the recovery of the claimants’ pecuniary losses arising from the death of a family member and some also permit recovery of their non-pecuniary losses.
[Soulignement ajouté]
[44] En l’espèce, Albert et Joanne Giesbrecht de même que Chris Giesbrecht et Aynslie Palmer, domiciliés en Colombie-Britannique, sont des beaux-parents par alliance de feu Yannick Fournier. Ils ne sont pas des personnes énumérées au paragraphe 61(1) de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario et ne peuvent donc recouvrer des intimés des dommages-intérêts à la suite du décès de Yannick Fournier en vertu du droit ontarien.
[45]
Par contre, leur recours est
recevable au Québec. Depuis l’abolition de l’article
[46] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore s’expriment comme suit à cet égard[37] :
1-530 - Évolution
- Le Code civil a enfin aboli purement et simplement l’anachronisme juridique
que constituait l’ancien article
[…]
1-531 - Bénéficiaires
- L’abolition de l’article
[Soulignement ajouté]
[47]
Ainsi, la seule assise à la réclamation des beaux-parents par alliance
est dans le droit québécois et non dans le droit ontarien. Il serait incongru
de conclure à l’application du droit ontarien au litige au motif que certains
des appelants sont domiciliés en Colombie-Britannique alors que la réclamation
de ces mêmes appelants serait irrecevable sous le droit ontarien. Il s’agit justement
là de l’une des « situations que le législateur ne pouvait pas
prévoir » dont font état les commentaires du ministre de la Justice à
propos de l’article
[48]
Puisque (a) le 2e alinéa de l’article
[49] Les intimés demandent les frais de justice en appel. Pourtant, les parties n’ont fait aucune réclamation à ce titre dans le cadre de leur demande conjointe à la Cour supérieure pour une décision sur une question de droit. D’ailleurs, le juge de première instance a rendu jugement sans allouer de frais de justice. Je propose de décider de même quant aux frais de justice en appel.
[50] Pour ces motifs, je propose de rejeter l’appel, sans frais de justice.
|
|
|
|
ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Jugement de première instance, par. 17.
[2] Ibid., par. 18.
[3] Ibid., par. 29.
[4] Ibid., par. 30.
[5] Ibid., par. 31.
[6] Ibid., par. 32.
[7] Ibid., par. 35.
[8] Ibid., par. 36.
[9] Ibid., par. 41.
[10] Ibid., par. 41 in fine.
[11] Ibid., par. 45.
[12]
Hubert Reid,
[13] Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Traité de droit civil : droit international privé, t. 2 « Règles spécifiques », Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2003, n°462, p. 823.
[14]
Claude Emanuelli,
[15] Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice - Le Code civil du Québec, t. 2, Québec, Les Publications du Québec, 1993.
[16]
Tolofson c. Jensen; Lucas (Tutrice à l’instance de) c. Gagnon,
[17]
Il faut noter que cette première exception n’est pas nécessairement
contraire à la règle de common law. En établissant la lex loci
delicti comme règle générale, le juge La Forest a toutefois reconnu aussi
dans Tolofson qu’« il existe des situations, notamment lorsqu’un
acte est accompli à un endroit, mais que ses conséquences se font sentir
directement ailleurs, où la question de savoir où le délit lui-même a été
commis pose des problèmes épineux. […] Des difficultés peuvent également se
présenter lorsque la faute découle directement d’une activité transnationale ou
interprovinciale » (par. 42). Le juge La Forest a indiqué qu’en pareil
cas, « il se peut bien que l’on juge que les conséquences constituent la
faute » (par. 42). Voir aussi, à cet égard, Éditions Écosociété Inc. c.
Banro Corp.,
[18] Tolofson, supra, note 16, par. 42.
[19] Ibid., par. 44.
[20] Ibid., par. 43.
[21]
Ibid., par. 69-71; Janet Walker, « Droit international
privé », dans Louise Bélanger-Hardy et Aline Grenon (dir.), Éléments de
common law canadienne : comparaison avec le droit civil québécois,
Toronto, Thomson Carswell, 2008, 439, p. 513-514; Stephen G.A. Pitel and
Nicholas S. Rafferty,
[22] Tolofson, supra, note 16, par 71.
[23]
Wightman c. Widdrington (Succession de),
[24] Jugement de première instance, par. 32.
[25] Tel que le souligne le juge La Forest dans Tolofson, supra, note 16, par. 63 : « Si on sait que la lex fori s’appliquera lorsque les seules parties en cause dans un accident résident dans le ressort du tribunal saisi, mais que ce sera la lex loci delicti qui s’appliquera dès qu’une personne physique ou morale étrangère sera jointe à l’action, n’encourage-t-on pas ceux qui souhaitent être régis par cette dernière règle à dénicher des tierces parties dans le locus delicti? N’y aura-t-il pas tentative de joindre, par exemple, la compagnie qui a érigé l’enseigne routière avec laquelle il y a eu collision ou encore le piéton qui a pu momentanément causer une distraction? ».
[26]
Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp.,
[27] Gérald Goldstein, « Mécanismes correctifs à l’application de la règle de conflit : clause échappatoire et exception d’ordre public », dans Pierre-Claude Lafond (dir.), JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », vol. « Droit international privé », fasc. 5, Montréal, LexisNexis Canada Inc., 2012 (feuilles mobiles, mise à jour n°7, décembre 2016), par. 18, p. 5/10.
[28] Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, chap. F-3, par. 61(1).
[29]
L’art.
[30]
Watkins c. Olafson,
[31]
Succession Ordon c. Grail,
[32] Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9, désormais remplacée par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26 et la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6.
[33] Succession Ordon c. Grail, supra, note 31, par. 106.
[34] Ibid., par, 105-106.
[35] Mason v. Peters et al., 39 O.R. (2d) 27 (C.A.), [1982] O.J. No. 3486 (QL), par. 10 et 11 de l’éd. QL; voir aussi Macartney et al. v. Warner, 46 O.R. (3d) 641 (C.A.), [2000] O.J. No. 30 (QL), par. 41-44 de l’éd. QL.
[36] Philip H. Osborne,
[37] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1 « Principes généraux », Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-530 et 1-531; voir aussi Shauna Van Praagh, « Who lost What? Relationship and Relational Loss », (2002) 17 S.C.L.R. (2d) 269, p. 271-280 pour une discussion portant sur les différences entre la common law et le droit civil du Québec en regard de l’identification des personnes qui peuvent réclamer des dommages-intérêts à la suite d’un décès.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.