Décision

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Décision

Desroches c. Labrèche

2016 QCRDL 31738

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

109018 31 20130903 G

No demande :

1311196

 

 

Date :

21 septembre 2016

Régisseur :

Éric Luc Moffatt, juge administratif

 

CAROLE DESROCHES

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

SONIA LABRECHE

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 3 septembre 2013, la locataire demande des dommages-intérêts moraux de 5 000 $ avec les intérêts, l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec, l’exécution provisoire de la décision et la condamnation au paiement des frais.

[2]      À sa procédure introductive, la locataire énonce ses motifs comme suit :

« La somme de 5000.00 $ à titre de dommages moraux selon l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne pour atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte dont voici les explications : 1- la locatrice a pénétré dans le logement sans autorisation de la part de la locataire que ce soit verbal ou par écrit. 2- La locatrice a changé la serrure de la locataire sans son autorisation. 3- La locataire (et ses filles) n’a pas eu accès a son logement à partir du 15 novembre 2010 car la serrure avait été changée (numéros d’évènement à l’appui) 4- La locatrice aurait jetté des objets de la locataire tels que : effets personnels (linge, souliers, etc.) machine à coudre, système de son, BBQ, ski de fond, etc., De plus, la locatrice aurait étendu des excréments de son chien sur les objets de la locataire qu’elle avait mis aux ordures. » (Sic)

[3]      Pour les fins de la présente décision, il y a lieu de reproduire l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, lequel énonce ce qui suit :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

Dommages-intérêts punitifs.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[4]      La locataire exhibe une lettre de mise en demeure datée du 15 avril 2013 (Pièce L-3) transmise à la locatrice et par laquelle la locataire lui reproche d’avoir contrevenu aux articles 5, 6, 7 et 8 de la Charte précitée, lesquels énoncent ce qui suit :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.


6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

7. La demeure est inviolable.

8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.

[5]      Pour conclure au bien-fondé de ses prétentions, la demanderesse doit prouver les faits à son soutien, et ce, par preuve prépondérante (2803 et 2804 C.c.Q.).

[6]      Les parties étaient liées par un bail reconduit et couvrant la période du 1er mai 2010 au 1er mai 2011, au loyer mensuel de 710 $. Le bail mis en preuve (Pièce P-2) par la locatrice montre que Michel Desjardins était aussi colocataire.

[7]      Le logement concerné se compose de six pièces et demie et est situé au premier étage d’un immeuble qui abrite deux logements. Une entreprise opère commerce dans le local situé au rez-de-chaussée.

[8]      La locataire témoigne pour dire qu’elle a fait le choix de quitter le logement, en cours de bail, soit au cours du mois d’octobre 2010. Elle précise avoir quitté le 9 octobre 2010. Elle dit avoir quitté le logement alors qu’elle y demeurait toujours avec le colocataire Michel Desjardins, lequel était aussi son conjoint de fait, selon le témoignage de la demanderesse.

[9]      La locataire affirme avoir quitté pour « violence conjugale », mais qui serait survenue un an auparavant, en 2009, déclare-t-elle. Elle ajoute qu’elle a décidé de résilier le bail en transmettant à la locatrice une lettre au début du mois d’octobre 2010. Toutefois, elle dit ne pas avoir copie de cette lettre. Rien dans la preuve ne démontre que la locataire a valablement voulu se prévaloir de l’article 1974.1 du Code civil du Québec aux fins de résilier son bail en vertu de cette disposition légale. De surcroît, rien dans la preuve ne démontre que les conditions prévues à l’article 1974.1 du Code civil du Québec ont été rencontrées à cette fin. Cependant, la locataire a mis en preuve un avis émanant de la locatrice adressé au locataire Michel Desjardins qui confirme la volonté de la locataire de mettre fin à son bail, lequel avis est daté du 15 octobre 2010 (Pièce L-1).

[10]   Le Tribunal retient du témoignage de la locataire que celle-ci considérait avoir résilié son bail par l’envoi d’une simple lettre au début du mois d’octobre 2010. En contrepartie, telle résiliation était parfaite du fait que la locatrice acceptait de relever la locataire de ses obligations contractuelles, tel que requis par la locataire. Quant à la locataire, il faut conclure que le bail a été conventionnellement résilié et il ressort de l’ensemble de la preuve que telle était la volonté de la locataire.

[11]   Référant même à l’écrit L-1 du 15 octobre 2010, la locataire déclare considérer que la locatrice a accepté la résiliation du bail.

[12]   Dans le contexte décrit, le Tribunal conclut qu’il ne peut être reproché à la locatrice d’avoir considéré que le bail qui la liait à la locataire avait valablement pris fin tel qu’en atteste son départ ou l’abandon du logement en cours de bail.

[13]   La locataire dit avoir quitté son logement sans apporter avec elle ses effets mobiliers et sans intention de revenir les chercher. Elle affirme ne pas avoir informé la locatrice de sa nouvelle adresse. La locataire précise avoir souffert de dépression, d’avoir quitté pour se rendre à Magog où elle aurait habité à l’hôtel. Elle aurait été ensuite hospitalisée à Sherbrooke pour se trouver plus tard un logement à Magog à partir du 1er février 2011. « Mon intention c’était de quitter définitivement, lorsque je suis partie », précise-t-elle.

[14]   Contrairement aux allégués de sa demande, la locataire dit ne pas avoir vu la locatrice pénétrer dans son logement sans autorisation.

[15]   Suite au départ de la locataire, la locatrice envoie un écrit non daté à Michel Desjardins alors devenu unique locataire (Pièce P-4) et intitulé « Avis de reprise de logement ». La locatrice indique alors au locataire qu’elle consent à ce que Carole Desrochers soit relevée de ses obligations contractuelles à partir du 8 octobre 2010 et demande à Michel Desjardins de quitter le logement à son tour à la fin d’octobre 2010 afin qu’elle puisse « reprendre possession des lieux », le 31 octobre 2010. Cet « avis de reprise » n’est pas conforme aux exigences légales en cette matière et est inopérant et de nul effet et ne permettait aucunement à la locatrice de reprendre le logement à la date prévue du 31 octobre 2010.


[16]   Cependant, l’avis P-4 explique ce qui a mené ensuite à l’écrit P-5, soit une entente de résiliation de bail intervenue entre Michel Desjardins et la locatrice. Cette entente prévoit la résiliation du bail en date du 7 novembre 2010 et le locataire devait quitter et retirer tous les biens du logement pour le 12 novembre 2010 au plus tard, sans quoi la locatrice pouvait mettre en œuvre les mesures nécessaires pour libérer les lieux de tous effets y demeurant après cette date.

[17]   Quant aux faits allégués aux points 3 et 4 de sa demande, la locataire dit n’avoir rien vu de cela et n’a aucunement connaissance personnelle des faits allégués.

[18]   Malgré cela, la locataire soutient que le 14 novembre 2010 une « grosse partie de ses biens n’étaient déjà plus dans le logement ». Toutefois, elle ajoute : « Mes enfants ont été capables de récupérer les dernières choses le 14 novembre », précise-t-elle. De surcroît, la locataire affirme qu’elle se devait, elle-même, de retirer ses biens du logement au plus tard le 31 octobre 2010.

[19]   Lorsqu’interrogée sur le préjudice moral subi, la locataire indique que c’est « le fait d’avoir empêché mes enfants de récupérer les choses » et le fait ensuite d’avoir dû faire le « rachat de ces objets ». Or, son témoignage est contradictoire et la preuve démontre que ses filles ont pu récupérer de ses biens encore en date des 14 et 15 novembre alors que ses biens devaient être retirés du logement au cours du mois d’octobre 2010 de sa propre admission et alors que Michel Desjardins devenu seul locataire s’était engagé, pour sa part, à libérer les lieux loués pour le 12 novembre 2010 au plus tard.

[20]   La locataire confirme qu’elle n’a jamais vu la locatrice jeter ses biens ou enduire ses biens d’excréments, ce que la locatrice nie par ailleurs.

[21]   La fille de la locataire, soit Stéphanie Sauvageau, témoigne pour dire qu’elle a pu avoir accès au logement au cours du mois de novembre 2010 pour retirer des biens alors que le bail liant la locataire et la locatrice était déjà résilié et que la locataire s’était auparavant engagée à retirer ses biens au plus tard le 31 octobre 2010.

[22]   Stéphanie Sauvageau indique même ne pas s’être rendue au logement à la demande de sa mère, mais à la demande de Michel Desjardins devenu unique locataire. Stéphanie Sauvageau dit aussi être incapable de se souvenir quels biens auraient été jetés par la locatrice. Elle dit même que lorsqu’elle s’est rendue sur les lieux, le 15 novembre 2010, elle ne pouvait différencier les biens qui auraient appartenu à Michel Desjardins ou à sa mère.

[23]   Stéphanie Sauvageau affirme que Michel Desjardins a pu retirer ses biens du logement, mais qu’elle n’a pas eu le temps de retirer le reste des biens. Elle dit aussi ne pas se souvenir si elle a retiré des biens le 15 novembre 2010 et lesquels.

[24]   Sa sœur Evelyne Sauvageau affirme qu’elle a pu aussi avoir accès au logement les 14 et 15 novembre 2010 alors qu’elle s’y rend à la demande de sa sœur pour retirer des biens du logement. « On a vidé le maximum de choses », « surtout des meubles », précise-t-elle, aidés par son conjoint et munis d’un « trailer ». Elle indique qu’à son retour, le 15 novembre 2010, des choses avaient été mises à la ruelle. Des excréments se sont trouvés sur certains effets ou rebuts à la ruelle, mais elle n’a jamais vu la locatrice mettre des excréments. Elle dit ignorer que le bail liant la locatrice, sa mère et Michel Desjardins avait déjà pris fin. Evelyne Sauvageau dit n’avoir jamais vu la locatrice jeter des biens appartenant à sa mère, précisant même qu’elle ignorait quels biens pouvaient appartenir à sa mère ou à Michel Desjardins. Sur des photographies (Pièce L-6 en liasse) montrant effets divers et déchets à la ruelle, elle ne peut identifier aucun bien appartenant à sa mère.

[25]   La locatrice explique que le bail la liant à Michel Desjardins étant résilié, celui-ci devait quitter les lieux loués et libérer le logement au plus tard le 12 novembre 2010, comme le prévoit l’entente conclue le 7 novembre 2010 (Pièce P-5). Malgré cela, elle avait consenti un délai de grâce afin qu’il retire tous les biens du logement au plus tard le 15 novembre 2010 à minuit, d’où finalement son empressement à ce faire les 14 et 15 novembre 2010. La locatrice indique que Michel Desjardins a finalement quitté le logement tardivement le 23 novembre 2010, soit à la date de remise des clés du logement.

[26]   La locatrice confirme que les 14 et 15 novembre 2010, les filles de la locataire étaient encore à retirer des biens du logement pour les récupérer ou les mettre à la ruelle. Elle nie avoir changé les serrures au cours du mois d’octobre 2010 ou même en novembre 2010 avant le départ de Michel Desjardins. Elle nie l’allégation concernant les excréments. Elle nie avoir jeté les biens de la locataire. Elle affirme que Michel Desjardins a fait une vente de trottoir au cours du mois d’octobre 2010 suite au départ de la locataire et, pour le reste, c’est lui qui a retiré du logement les biens de la locataire à l’aide des filles de celle-ci. Cela est aussi confirmé par le témoignage du commerçant occupant le rez-de-chaussée, soit Richard Guimond, qui affirme avoir vu Michel Desjardins jeter des biens, dont une machine à coudre, par « dessus le balcon » et les filles de la locataire qui retiraient des biens du logement.


[27]   Pour sa part, Michel Desjardins dit ne pas se souvenir de la date à laquelle il a quitté le logement. Il confirme avoir quitté en emportant ses biens avec lui. Il dit avoir quitté le 12 novembre 2010, mais les filles de la locataire comme Richard Guimond constatent sa présence le 15 novembre 2010. « J’ai déménagé ses biens à elle », ajoute-t-il en référant à la locataire. Il confirme aussi avoir « mis aux vidanges », le BBQ et la machine à coudre.

[28]   Une fois les baux résiliés, et ce, autant à l’égard de la locataire que de Michel Desjardins et après même le 31 octobre, puis le 12 novembre 2010, soit jusqu’au sursis du 15 novembre 2010 donné à Michel Desjardins pour libérer le logement, la locatrice n’a rien retiré des lieux et n’a pas pénétré sans droit dans le logement. La locatrice était dans son droit de prendre possession du logement dès le 12 novembre 2010 et la locataire aurait dû en retirer ses biens pour le 31 octobre 2010, lesquels ont finalement été retirés par Michel Desjardins et ses filles tardivement, vu le délai de grâce accordé jusqu’au 15 novembre 2010 pour ce faire. Si des effets sont demeurés dans le logement au-delà de cette date, la responsabilité de la locatrice ne peut être retenue, laquelle ayant agi en toute légalité.

[29]   La locataire ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombe. Il n’est aucunement démontré par la preuve que la locatrice a pénétré illégalement dans le logement ou a retiré illégalement du logement les biens de la locataire. Le bail liant la locatrice à la locataire était déjà valablement résilié depuis le 8 octobre 2010, d’où le départ de la locataire le 9 octobre 2010. Ses biens devaient être retirés du logement au plus tard le 31 octobre 2010, tel qu’admis par la locataire alors qu’elle a attendu les 14 et 15 novembre 2010 pour les faire retirer par ses filles aidées de Michel Desjardins qui, lui, devait déjà avoir libéré le logement au plus tard le 12 novembre 2010.

[30]   La preuve ne démontre pas qu’il y a eu une atteinte illicite à un droit reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne et il n’est donc pas justifié de condamner la locatrice pour préjudice moral.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[31]   REJETTE la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Éric Luc Moffatt

 

Présence(s) :

la locataire

la locatrice

Me François W. Légaré, avocat de la locatrice

Date de l’audience :  

7 juin 2016

 

 

 


 

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