Bordeleau c. 9025-3501 Québec inc. |
2018 QCRDL 22227 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Joliette |
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Nos dossiers : |
276139 29 20160506 G 282848 29 20160616 G |
Nos demandes : |
1994803 2023418 |
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Date : |
05 juillet 2018 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
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Benoit Bordeleau |
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Locataire - Partie demanderesse (276139 29 20160506 G) Partie défenderesse (282848 29 20160616 G) |
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c. |
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9025-3501 Québec inc. |
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Locateur - Partie défenderesse (276139 29 20160506 G) Partie demanderesse (282848 29 20160616 G) |
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D É C I S I O N I N T E R L O C U T O I R E
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[1] Le tribunal est saisi de demandes croisées.
[2] Par sa demande déposée le 6 mai 2016, le locataire réclame des travaux, une diminution de loyer, des dommages moraux, matériels ainsi que punitifs, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., l’exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel et la condamnation du locateur aux frais judiciaires
[3] Pour sa part, le 16 juin 2016, le locateur dépose une demande de résiliation de bail et dommages-intérêts plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., l’exécution provisoire de la décision nonobstant l’appel et la condamnation du locataire aux frais judiciaires.
[4] Le 20 mars 2018, le locateur amendait sa requête introductive d’instance pour y ajouter des motifs et des dommages-intérêts matériels.
[5] Ces deux dossiers ont été réunis afin d'être entendus et jugés sur la même preuve conformément à l'article 57 de la Loi sur la Régie du logement.
[6] Ces dossiers ont été entendus au cours d’une première audience d’une durée d’une journée qui a été ajournée pour une même durée.
[7] Dès la lecture de la demande du locataire qui réclame une quantité importante de travaux ainsi qu’une substantielle diminution de loyer de 500 $ par mois sur un loyer mensuel de 600 $, le tribunal s’est demandé si les lieux étaient propres à l’habitation.
[8] Les témoignages entendus lors de la première journée d’audience ont brossé un portrait très sombre de l’état des lieux et ont nourri les craintes du tribunal.
[9] C’est pourquoi la soussignée a décidé de se déplacer au logement visé en vertu de l'article 68 de la Loi sur la Régie du logement afin de poursuivre son enquête sur son état pour ensuite prendre en délibéré la question de sa salubrité.
[10] Sur place, la soussignée est allée rencontrer les parties ainsi que leur avocate respective.
[11] Une porte donnant sur un grand stationnement s’ouvre sur un escalier étroit et qui est longé par une main courante rudimentaire et branlante, en haut de l’escalier sur un étroit palier, deux portes se font face, celle de gauche est bloquée par des boîtes de carton et celle de droite mène au logement du locataire.
[12] Le logement du locataire s’ouvre sur une pièce qui, manifestement, ne sert plus depuis longtemps. Elle sert d’entrepôt à des boîtes de carton et des articles de sports. Des vêtements jonchent le plancher constellé de débris de plâtre.
[13] Ce qui composait jadis le revêtement du plafond est largement ouvert en deux pans qui pendent vers le sol.
[14] Une autre chambre est encombrée.
[15] Dans l’étroite salle de bain, devant la toilette, sous le prélart, le plancher de bois s’effrite. Une forte odeur d’urine flotte dans l’air. Sous la fenêtre, une portion de moulure est manquante et l’ouverture, noircie probablement par la moisissure, est recouverte d’un morceau de plastique.
[16] Plus loin, dans la courte enfilade de plans ouverts constitués par la cuisine, le coin-repas et le coin salon, un matelas est posé à même le sol, c’est là que dort le locataire.
[17] Le retrait d’un pan de mur au salon a laissé une étroite faille dans le plancher que le locataire a recouvert d’un morceau de tapis. Le travail a été laissé en plan, sans finition.
[18] Des fils et des boîtes électriques chargés de courant courent un peu partout au sol et dans les airs sans protection, et même près du matelas du locataire.
[19] Et partout, il règne une grande saleté trahissant une négligence de longue date par les occupants des lieux.
[20] L’article 1917 du Code civil du Québec permet au tribunal de déclarer d’office un logement impropre à l’habitation, il se lit comme suit :
[21] Quant à la définition de ce qu’est un logement impropre à l’habitation, c'est au second paragraphe de l'article 1913 du Code civil du Québec qu’elle se retrouve :
« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.
Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »
[22] Les auteurs Rousseau-Houle et de Billy suggèrent à cet égard que l'analyse du Tribunal n'échappe pas à la prise en compte de l'âge, de l'usage des lieux et des autres conditions prévalant dans le logement.
« Il s'avérera alors possible pour les tribunaux d'accorder une certaine importance à l'état du logement compte tenu de l'âge de l'immeuble, des exigences du locataire eu égard à ses habitudes de vie et de santé, ainsi que de l'intention des parties lors de la signature du bail »([1])
[23] Aussi, se fondant sur l’état du logement au moment de sa visite, le Tribunal juge que le logement concerné est impropre à l'habitation au sens de l'article 1913 C.c.Q., du fait que son état constitue une menace sérieuse à la sécurité du locataire et de ses autres occupants. Le tribunal prend en considération, l’état de vétusté des recouvrements de plusieurs murs et plafonds, l’insalubrité de la salle de bain au plancher dégradé, le danger que constituent des éléments électriques sans protection ainsi que l’état général de saleté et d’encombrement.
[24] Puisque le tribunal ne se prononce pas, à ce stade-ci des procédures, sur la responsabilité de l’état des lieux, il ne prononcera pas la résiliation du bail. Toutefois, le temps de son éviction, le locataire n’aura pas à payer le loyer.
[25] Vu l’importance et l’étendue des travaux à être exécutés afin de rendre les lieux propres à l’habitation, dont certains sont probablement de nature structurelle, et les coûts importants qui y seront immanquablement associés, le tribunal est conscient que le locateur pourrait décider de ne pas remettre les lieux en état pour les offrir à nouveau en location.
[26] Partant, le tribunal ne forcera pas le locateur à remettre le logement en état, mais s’il décidait de le faire et voulait à nouveau l’offrir en location, il devra d’abord l’offrir au locataire si celui-ci lui a signifié son désir de réintégrer son logis ([2]).
[27] Ceci afin de préserver le droit des parties jusqu’à ce que le tribunal se prononce sur les demandes au fond.
[29] Le tribunal juge qu’il y a lieu d’ordonner l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] DÉCLARE les lieux loués impropres à l’habitation;
[31] ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[32] ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision à compter du 11ième jour de sa date;
[33] DEMANDE au maître des rôles de convoquer à nouveau les parties et de prévoir une audience d'une durée d'une journée le jeudi 4 octobre 2018 à compter de 9 :00 afin de disposer des demandes au fond;
[34] RÉSERVE aux parties leurs recours respectifs.
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Linda Boucher |
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Présence(s) : |
le locataire Me Marie Flambart, avocate du locataire le mandataire du locateur Me Marie-Christine Lévesque, avocate du locateur |
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Date de l’audience : |
20 juin 2018 |
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[1] T. Rousseau-Houle, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Montréal (Qc.), 1989, Wilson & Lafleur, à la p. 57; voir plus précisément la section 3 de ce document portant sur l'inexécution des obligations.
[2] 1916. C.c.Q. Dès que le logement redevient propre à l'habitation, le locateur est tenu d'en aviser le locataire, si ce dernier l'a avisé de sa nouvelle adresse; le locataire est alors tenu, dans les 10 jours, d'aviser le locateur de son intention de réintégrer ou non le logement.
Si le locataire n'a pas avisé le locateur de sa nouvelle adresse ou de son intention de réintégrer le logement, le bail est résilié de plein droit et le locateur peut consentir un bail à un nouveau locataire.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.