Décision

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Morasse c. R.

2015 QCCA 74

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005110-125

500-10-005263-122

(505-01-076026-083)

(505-01-077160-089)

 

DATE :

20 janvier 2015

 

 

CORAM : LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

DENIS MORASSE

APPELANT - Accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - Poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION DE TOUT RENSEIGNEMENT

POUVANT PERMETTRE D'IDENTIFIER LES VICTIMES (ART. 486.4 C.cr.)

[1]           L’appelant se pourvoit contre deux jugements rendus par la Cour du Québec, (chambre criminelle et pénale), district de Longueuil (l’honorable Pierre Bélisle) :

●      Dans le dossier 500-10-005110-125, contre le jugement rendu le 31 janvier 2012, qui le déclare coupable de sept chefs d’accusation de contacts sexuels et d’incitation à des contacts sexuels envers des enfants âgés de moins de 14 ans, aux termes des articles 151 ou 152 du Code criminel;

●        Dans le dossier 500-10-005263-122, contre le jugement rendu le 17 septembre 2012, qui lui impose une peine d’incarcération totale de 15 mois, en ces termes :

POUR CES MOTIFS, la Cour :

[47]      CONDAMNE l’accusé à purger une peine globale d’emprisonnement de 15 mois modulée de façon à respecter le principe de totalité des peines :

●    chefs 2, 4, 5, 7, 9 et 11 :            12 mois sur chacun des chefs à être purgés concurremment entre eux;

●    chef 13 :                                     3 mois à être purgés consécutivement aux autres peines infligées.

[48]      INTERDIT, en vertu du paragr. 109(2) du Code criminel, à l’accusé d’avoir en sa possession les armes à feu et autres armes mentionnées au paragr. a) pour une période de 10 ans et d’autres armes à feu prohibées et à autorisation restreinte énumérées au paragr. b), à perpétuité.

[49]      ORDONNE à l’accusé, conformément à l’article 487.051 C.cr., de se soumettre à la prise d’échantillons de substances corporelles aux fins d’analyse génétique.

[50]      ORDONNE à l’accusé de se soumettre à la Loi sur l’enregistrement des renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans en conformité avec les articles 490.012 et suivants du Code criminel.

[51]      INTERDIT à l’accusé, en vertu de l’article 161 du Code criminel, pour une période de 10 ans, à compter de sa mise en liberté :

a)  de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de seize ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire;

b)  de chercher, d’accepter ou de garder un emploi - rémunéré ou non - ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de seize ans;

c)  d’utiliser un ordinateur au sens du paragraphe 342.1 (2) dans le but de communiquer avec une personne âgée de moins de seize ans.

[52]      INTERDIT à l’accusé, conformément à l’article 743.21 du Code criminel, pendant sa période de détention, de communiquer directement ou indirectement avec les victimes mentionnées à l’acte d’accusation et les membres de leur famille respective.

[53]      ORDONNE que l’accusé se conforme aux conditions obligatoires prévues par le paragr. 732.1(2) du Code criminel dans une ordonnance de probation pour une durée de 3 ans et aux conditions supplémentaires formulées à l’audience, notamment :

a)   obligation de se présenter à un agent de probation dans les 7 jours ouvrables de sa libération et, par la suite, aussi souvent que requis par l’agent de probation ou son représentant;

b)   interdiction de communiquer, directement ou indirectement, avec les victimes énumérées à l’acte d’accusation et les membres de leur famille respective;

c)   interdiction de se trouver à moins de 300 mètres de leur domicile et lieu de fréquentation scolaire ou de travail si connus de l’accusé;

d)   interdiction de se trouver en présence de personnes âgées de moins de 16 ans, sauf en présence d'un adulte responsable au courant de sa situation juridique.

[54]      DISPENSE, vu la peine de détention infligée, l’accusé du paiement de la suramende compensatoire.

[2]           Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrivent les juges Morissette et Bich, LA COUR :

Dans le dossier 500-10-005110-125  (appel du verdict) :

[3]           REJETTE l’appel ;

Dans le dossier 500-10-005263-122 (appel de la peine) :

[4]           ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de la peine;

[5]           ACCUEILLE l’appel;

[6]           INFIRME en partie le jugement entrepris, mais à la seule fin de substituer au paragraphe 47 de ce jugement, ci-haut reproduit, le paragraphe suivant :

 

[47]      CONDAMNE l’accusé à purger les peines suivantes :

chefs 2, 4, 5, 7, 9 et 11 :      Emprisonnement de 90 jours pour chacun des chefs, devant être purgé de façon discontinue et concurrente la fin de semaine, du samedi 9 heures au dimanche 16 heures, le tout débutant samedi le 7 février 2015 à 9 heures et pour des périodes consécutives depuis cette date;

chef 13 :                               Emprisonnement de 90 jours devant être purgé de façon discontinue et concurrente aux autres peines infligées et selon les mêmes conditions.

alors qu’il est ordonné à l’accusé, pendant toute la période au cours de laquelle cette peine sera purgée hors de la prison, de se conformer aux conditions obligatoires prévues par le paragr. 732.1(2) du Code criminel ainsi qu’aux conditions supplémentaires suivantes :

a)   interdiction de communiquer, directement ou indirectement, avec les victimes énumérées à l’acte d’accusation et les membres de leur famille respective;

b)   interdiction de se trouver à moins de 300 mètres de leur domicile et lieu de fréquentation scolaire ou de travail si connus de l’accusé;

c)   interdiction de se trouver en présence de personnes âgées de moins de 16 ans, sauf en présence d'un adulte responsable au courant de sa situation juridique.

[7]           Toutes les autres conclusions de ce jugement demeurant inchangées.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Me Jean-Philippe Marcoux

GARIÉPY MARCOUX, AVOCATS

Pour l’appelant

 

Me Daniel Royer

Me Marie-Josée Guillemette

PROCUREURS AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

17 décembre 2014


 

 

MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE

 

 

[8]           Dans le dossier 500-10-005110-125, l'appelant se pourvoit contre le jugement[1] rendu le 31 janvier 2012 par l’honorable Pierre Bélisle, de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Longueuil, qui le déclare coupable des infractions suivantes :

2.         Entre le 1 mars 2007 et le 15 mai 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de Y, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

4.         Le ou vers le 21 novembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de Z, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

5.         Le ou vers le 21 novembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, invité, engagé ou incité Z, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, à se toucher, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 152 du Code criminel.

7.         Le ou vers le 27 novembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de A, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

9.         Le ou vers le 27 novembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de B, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

11.       Le ou vers le 27 novembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de C, enfant âgé de moins de quatorze (14) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

13.       Entre le 1 août 2007 et le 20 septembre 2007, à Longueuil, district de Longueuil, a, à des fins d’ordre sexuel, touché une partie du corps de X, enfant âgé de moins de seize (16) ans, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 151 du Code criminel.

[9]           Il y remet en question également les conclusions du jugement interlocutoire rendu le 17 mai 2010[2] aux termes duquel la séparation des chefs d’accusation a été refusée.

[10]        Dans le dossier 500-10-005263-122, il se pourvoit contre la peine prononcée par l’honorable Pierre Bélisle le 17 septembre 2012[3], soit une peine globale d’emprisonnement de 15 mois ainsi modulée :

•       chefs 2, 4, 5, 7, 9 et 11 :                   12 mois sur chacun des chefs à être purgés concurremment entre eux;

•       chef 13 :                                            3 mois à être purgés consécutivement aux autres peines infligées.

[Caractères gras dans l’original.]

[11]        J’estime que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de donner ouverture à une intervention de la Cour à l’égard du verdict, mais qu’il en va autrement quant à la peine infligée.

[12]        Voici pourquoi.

Contexte

[13]        Pour décrire le contexte pris en compte par le juge de première instance, je reprends les paragraphes suivants de son jugement portant sur le verdict, dont appel :

1.         Introduction

[1]        L’accusé a subi son procès sous treize accusations de nature sexuelle à l’égard d’enfants âgés de moins de 14 ans.

[2]        Les onze premiers chefs (dossier 505-01-076026-083) concernent des événements qui se sont déroulés du 1er mars au 27 novembre 2007 alors qu’à titre d’entraîneur de soccer au Collège Français de Longueuil, l’accusé avait amené des élèves à son domicile pour se baigner dans un « spa ».

[3]        Les chefs 12 et 13 (dossier 505-01-077160-089) sont relatifs à des incidents qui se sont produits dans les douches du chalet du Parc Laurier et dans un « spa » à sa résidence.

[4]        L’intérêt de la justice requérant la tenue d’une instruction conjointe, les treize chefs ont été réunis dans le même acte d’accusation.

2.         Contexte factuel

[5]        Diplômé en éducation physique, l’accusé a enseigné au Collège Français de Longueuil depuis 1989 jusqu’à son congédiement, le 4 décembre 2007. En 2007, il était responsable du programme sportif en soccer.

[6]        Entre les 1er mars et 27 novembre 2007, il a amené cinq élèves de sec. I chez lui durant la journée pour se baigner dans un spa. Souvent nu, il se livrait avec eux à différentes activités dans un contexte de jeu, entre autres : massages au dos, épaules et bas du dos, mettre de la glace dans leur maillot, et ce, à l’insu des parents et de la direction du Collège.

[7]        Entre les 1er août et 30 septembre 2007, l’accusé a embauché X (11 ans) pour l’aider à tracer des lignes sur les terrains de soccer. Ensuite, ils prenaient leur douche au chalet du Parc Laurier. À différentes occasions, l’accusé a savonné des parties de son corps afin d’enlever les résidus de peinture laissés par l’activité.

[8]        X s’est également rendu à sa résidence à quelques reprises. Dans le spa, il se retrouve nu en compagnie de l’accusé. Tous deux se livrent à des jeux dans l’eau.

[9]        La version des plaignants et de l’accusé concorde sur la plupart des événements. L’accusé nie cependant avoir recherché une gratification sexuelle en commettant les gestes reprochés.

Les jugements dont appel

Jugement sur la requête en séparation des chefs d’accusation

[14]        Le juge rappelle le déroulement du dossier : deux dénonciations, une enquête préliminaire, un renvoi à procès dans tous les cas, des réoptions de juge avec jury à juge seul et, en bout de course, le dépôt d’un seul acte d’accusation regroupant les treize chefs d’accusation.

[15]        Saisi de la question du regroupement des treize chefs d’accusation dans ce contexte, soit celui d’une demande de séparation de chefs d’accusation aux termes de l’article 591(3) C.cr., il en entreprend l’analyse selon les enseignements de la Cour suprême dans Last[4]. Ainsi, il écrit devoir soupeser le risque de préjudice pour l’accusé et l’intérêt de la société à la tenue d’un seul procès et, pour ce faire, devoir notamment apprécier les facteurs suivants : le lien juridique et factuel entre les chefs d’accusation, l’intention déclarée de l’accusé de témoigner quant à certains chefs seulement, le risque de préjudice à l’accusé et la saine administration de la justice.

[16]        Quant au lien juridique et factuel entre les chefs d’accusation, il constate qu’il y a un haut degré de similitude entre les incidents. De plus, il note que la poursuite désire présenter une preuve de faits similaires, ce qui milite pour une instruction conjointe.

[17]        Quant à l’intention de l’appelant de témoigner à l’égard des chefs 12 et 13 seulement, le juge conclut que ce n’est pas un facteur déterminant puisque la difficulté pourra être contrecarrée, le cas échéant, en circonscrivant le contre-interrogatoire à ces seuls chefs.

[18]        Quant au risque de préjudice pour l’appelant, le juge souligne être capable de faire la part des choses en décidant au fur et à mesure du déroulement de l’instance de l’admissibilité de la preuve administrée selon les chefs d’accusation, indépendamment les uns des autres.

[19]        Enfin, quant à la saine administration de la justice, il note l’importance de l’économie de ressources judiciaires alors que les incidents présentent les caractéristiques requises pour permettre l’administration d’une preuve de faits similaires.

[20]        Ainsi, pondérant ces facteurs, il retient que l’intérêt de la justice justifie la tenue d’une instruction conjointe et il rejette la requête de l’appelant.

Jugement sur la culpabilité

[21]        Après une mise en contexte et une revue de la preuve présentée de part et d’autre, le juge expose le droit applicable.

[22]        Il indique que l’agression sexuelle (art. 271 C.cr.) est une infraction d’intention générale[5], mais que ce n’est pas le cas du contact sexuel (art. 151 et 152 C.cr.) qui requiert une preuve d’intention spécifique. En effet, précise - t-il, les attouchements doivent être perpétrés dans un but sexuel, c’est-à-dire que l’accusé doit rechercher une gratification sexuelle ou violer l’intégrité sexuelle du plaignant[6].

[23]        Le juge rappelle que l’appréciation du témoignage d’un enfant doit se faire en portant attention aux perspectives particulières de ce dernier et non en se basant sur des stéréotypes[7].

[24]        Il note que la démarche proposée dans W.(D.)[8] n’est pas une formule sacrosainte de sorte que les deux premières étapes peuvent être traitées simultanément. En fait, il doit d’abord décider si la preuve offerte par l’accusé, analysée dans le contexte de l’ensemble de la preuve, soulève un doute[9] et, si oui, acquitter l’accusé. Au cas contraire, il doit alors vérifier si la poursuivante s’est déchargée de son fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, car ce n’est que dans un tel cas qu’il peut prononcer un verdict de culpabilité. Autrement, il faut prononcer l’acquittement.

[25]        Reconnaissant que cette doctrine peut s’appliquer en droit canadien, mais tenant pour acquis aux fins de son analyse que les gestes ont une connotation sexuelle, le juge rejette le moyen de défense fondé sur la maxime de minimis non curat lex. En pareil contexte, et vu leur nombre, impossible de soutenir que les gestes prouvés sont anodins.

[26]        Ce moyen de défense écarté, le juge examine ce que révèle la preuve quant aux actes reprochés, se demandant s’ils ont été commis à des fins sexuelles. Il retient que c’est le cas, car, à son avis, la preuve circonstancielle établit que le comportement de l’accusé a effectivement une connotation sexuelle. Le juge souligne, entre autres choses, que l’attitude de l’appelant est suspicieuse : ce dernier est visiblement inconfortable puisqu’il cache le tout aux parents des plaignants, à la direction de l’école et au technicien en entretien de pelouse qui se présente chez lui alors qu’il se trouve dans le spa en compagnie de Y. Il note également que les gestes reprochés se passent toujours en l’absence des membres de la famille de l’appelant (conjointe et enfants). Il en découle, selon lui, une seule inférence possible, soit que ces gestes ont été commis à des fins sexuelles.

[27]        Le juge poursuit en retenant que la preuve d’actes similaires présentée par la poursuite est recevable : le lien factuel et juridique entre les incidents présente le degré de similitude requis alors que la valeur probante de cette preuve l’emporte sur ses effets préjudiciables.

[28]        Le juge analyse les témoignages des plaignants qu’il qualifie de sincères, convaincants et livrés sans animosité. Quant à ceux des témoins de la défense, aucun n’étant présent lors des incidents, le juge souligne qu’ils ne sont pas utiles, sinon pour décrire l’attitude de l’appelant dans le vestiaire de l’équipe de soccer.

[29]        Le juge conclut en ces termes :

[109]    En somme, j’estime que l’ensemble de la preuve ne soulève aucun doute raisonnable sur sa culpabilité. Une personne raisonnable aurait perçu de ces gestes une connotation sexuelle. L’accusé a profité du lien de confiance établi avec ses élèves pour les amener chez lui. Le contexte de jeu n’était qu’un prétexte ou un subterfuge lui permettant de commettre des gestes portant atteinte à leur intégrité sexuelle ou de se livrer à des attouchements à des fins d’ordre sexuel sur leur personne. Je ne crois pas que l’accusé, un homme mature de 51 ans, puisse s’être comporté de la sorte sans arrière-pensées.

[110]    En conséquence, je conclus que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels des infractions portées en vertu des articles 151 et 152 du Code criminel.

[30]        En raison de ce qui précède, mais après avoir écrit que les gestes commis constituent également des agressions sexuelles, il prononce l’arrêt des procédures sur les chefs 1, 3, 6, 8, 10 et 12 (art. 271 C.cr.).

Jugement sur la peine

[31]        Après une brève mise en contexte, le juge expose la position des parties : la poursuite propose une peine de 18 mois d’emprisonnement, insistant sur les objectifs de dénonciation, de dissuasion et d’exemplarité; la défense propose la peine minimale de 45 jours étant donné le caractère inoffensif des gestes posés.

[32]        Il résume ensuite le contenu du rapport relatif à la peine et de l’expertise sexologique en délinquance sexuelle.

[33]        Il fait état de certaines déclarations des victimes sur les conséquences du crime.

[34]        Il souligne que l’appelant accepte d’entreprendre une démarche exploratoire pour démontrer qu’il ne souffre d’aucun problème à caractère sexuel et qu’il se dit prêt, au cas contraire, à participer à une thérapie à cet égard.

[35]        Au paragraphe 26 de son jugement, le juge énumère les facteurs aggravants retenus :

•       la planification du délit;

         la manipulation et le stratagème de jeu utilisé pour arriver à des fins sexuelles;

         l’abus de confiance et d’autorité envers des préadolescents vulnérables (al. 718.2a) (iii) C.cr.);

•       les infractions perpétrées constituent un mauvais traitement à l’égard de personnes âgées de moins de 18 ans (al. 718.2 a) (ii.1) C.cr.);

         l’abus de confiance envers les parents qui avaient inscrit leurs enfants à un programme sportif;

         le non-respect des règles édictées par la direction de l’établissement d’enseignement;

         le nombre de victimes au dossier;

         la période durant laquelle se sont déroulés les événements;

         les séquelles victimologiques à long terme.

[36]        Au paragraphe suivant, il fait de même quant aux facteurs atténuants :

         l’absence d’antécédents judiciaires;

         l’emploi occupé dans le domaine de la câblodistribution à la suite de son congédiement;

•       une vie matrimoniale stable;

         le risque de récidive plutôt faible s’il n’est pas en contact avec des enfants ou des adolescents.

[37]        Le juge souligne la gravité importante, tant objective que subjective, du crime.

[38]        S’appuyant sur les décisions L. (J.-J.)[10], S.H.[11] et G.L.[12] de cette Cour, de même que sur l’article 718.01 C.cr., il met de l’avant l’importance des objectifs de dissuasion et de dénonciation dans le cas de crimes commis à l’encontre des enfants et rappelle la fourchette mentionnée par notre Cour dans St-Pierre[13], de 9 mois à 3 ans d’emprisonnement, pour le crime de contact sexuel sur une personne de moins de 14 ans.

[39]        Citant l’arrêt Gavin[14], il reconnaît qu’il ne peut être question de retenir, à titre de facteur aggravant, que l’appelant a exigé la tenue d’un procès ou son absence de remords. Cela dit, il précise être tout de même autorisé à prendre en compte l’absence de remords au moment d’évaluer la demande d’une peine plus clémente que lui présente l’accusé. Or, la suggestion de l’accusé (imposer la peine minimale) lui paraît inappropriée en présence de six victimes et de gestes répétés sur près de neuf mois.

[40]        Selon le juge, les objectifs de dénonciation et de dissuasion sont d’autant plus importants que les gestes ont été commis par une personne travaillant dans une institution scolaire et dans le milieu du sport, soit par une personne en qui le public doit pouvoir avoir une confiance totale et sans réserve.

[41]        Ainsi, il retient qu’une peine d’emprisonnement significative s’impose pour respecter les principes de dénonciation, de dissuasion générale et d’exemplarité, mais aussi pour exprimer la réprobation de la société, notant au passage cependant que certaines circonstances atténuantes au dossier lui permettent d’en réduire la durée.

[42]        Bref, le juge condamne l’appelant à une peine globale de 15 mois d’emprisonnement (peines de 12 mois sur les chefs 2, 4, 5, 7, 9, et 11, à être purgées concurremment, et peine de 3 mois sur le chef 13 à être purgée consécutivement aux autres peines infligées), et il rend une ordonnance en vertu de l’article 161 C.cr. pour une période de 10 ans à compter de la mise en liberté ainsi qu’une ordonnance de probation de 3 ans.

Les moyens d’appel

[43]        L’appelant regroupe ses moyens d’appel sous cinq propositions (les trois premières sont relatives à  la requête en séparation des chefs d’accusation et au verdict de culpabilité alors que les deux autres concernent la peine imposée). J’attribue à chacune d’elles un qualificatif (mots inscrits en caractères gras à la suite de chacune des propositions) pour référence ultérieure dans la section Analyse des présents motifs :

 

Première proposition : le juge a erré en droit en permettant à l’intimée de réunir l’ensemble des chefs d’accusation des deux dossiers distincts sans présentation de requête écrite, malgré l’objection de l’appelant et malgré l’existence d’un grave préjudice le tout, en inversant le fardeau de preuve et en permettant à l’intimée de faire une preuve de faits similaires entre le premier dossier et le deuxième, et ce, sans ouvrir de voir-dire séparé — Séparation des chefs et preuve de faits similaires.

 

Deuxième proposition : le juge a erré en droit en traitant les infractions de contacts sexuels et d’incitation à des contacts sexuels prévus aux articles 151 et 152 C.cr. comme des crimes d’intention générale, plutôt que des crimes d’intention spécifique, ce qui découle de l’ensemble de son jugement et de ses commentaires rendus après celui-ci — Intention spécifique et intention générale.

 

Troisième proposition : le juge a erré en droit en ne procédant à aucune analyse de la crédibilité ni de la fiabilité des témoins entendus par l’intimée et de ceux présentés par l’appelant, incluant son propre témoignage, ayant pour résultat une motivation insuffisante quant à cet aspect essentiel du dossier tout en ne respectant pas les enseignements de la Cour suprême dans R. c. W. (D.)  — Motivation insuffisante et non-respect de W. (D.)

Quatrième proposition : le juge de première instance a erré en droit et en faits en ne respectant pas les divers principes de détermination de la peine prévus aux articles 718 à 718.2 du Code criminel — Principes de détermination de la peine.

Cinquième proposition : le juge a manifestement erré en droit et en faits dans son appréciation de la preuve en utilisant à titre de facteur aggravant « les séquelles victimologiques à long terme » — Erreur - facteur aggravant.

Analyse

Première proposition : Séparation des chefs et preuve de faits similaires

Séparation des chefs - le contexte

[44]        Treize chefs d’accusation font l’objet de deux dénonciations distinctes : les chefs d’accusation 1 à 11 (relatifs à Y, Z, A, B et C) sont portés dans le dossier no 505-01-076026-083 et sont visés par une dénonciation datée du 16 mai 2008; les chefs d’accusation 12 et 13 (relatifs à X) sont portés dans le dossier no 505-01-077160-089 et font l’objet d’une dénonciation ultérieure, datée du 23 juillet 2008.

[45]        À la suite d’une enquête préliminaire tenue le 22 juin 2009, l’appelant est renvoyé à procès sur l’ensemble de ces treize chefs d’accusation et il choisit alors d’être jugé devant un juge sans jury. Questionnée par le juge à ce propos, l’intimée confirme qu’il y aura dépôt d’un acte d’accusation.

[46]        Au début du procès, le 15 avril 2010, l’intimée dépose un seul acte d’accusation réunissant les chefs d’accusation des deux dénonciations, ce à quoi l’appelant s’oppose.

[47]        Comme le révèle l’extrait suivant des échanges entre le juge et les procureurs, tous ne voient pas du même œil le débat qui résulte de cette opposition :

MONSIEUR LE JUGE:

Bon, la première des choses, est-ce que ce ne serait pas là, vu qu’il y a un acte d’accusation qui est présenté dans le dossier, avant d’entreprendre tous ces arguments-là, que monsieur nous dise s’il plaide coupable ou non coupable...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui, c’est...

MONSIEUR LE JUGE:

... à l’acte d’accusation et à la suite de cela, vous faites une requête pour qu’il y ait division des chefs d’accusation.

ME MARCO LABRIE:

Ma compréhension...

MONSIEUR LE JUGE:

Parce que là il n’y a rien devant moi.

ME MARCO LABRIE:

Je comprends, Monsieur le Juge.

MONSIEUR LE JUGE:

Vous me dites, il y avait deux dénonciations, mais là on a un acte d’accusation.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Hum.

ME MARCO LABRIE:

Mais il y a deux dénonciations devant vous, vous avez d’ailleurs sur votre rôle deux dossiers.

MONSIEUR LE JUGE:

Oui.

ME MARCO LABRIE:

Moi ce que je prétends c’est que c’est ma consœur qui demande la réunion, les dossiers au départ, ils sont séparés, on arrive devant vous et je comprends que ce matin, elle l’a annoncé d’ailleurs, ce n’est pas une surprise, mais il n’en demeure pas moins que ce matin, elle dépose un acte d’accusation qui réuni les deux dossiers devant vous, deux, devant vous, vous avez deux dossiers distincts.

MONSIEUR LE JUGE:

Ça va, ça va.

ME MARCO LABRIE

Alors selon moi, ma prétention, mais je suis d’accord avec ma consœur sur un point, les critères, peu importe qui aura le fardeau, les critères vont être les... c’est les mêmes... c’est la même jurisprudence, ce sera les mêmes questions...

ME MARLE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Hum.

ME MARCO LABRIE:

... et vous aurez à utiliser les mêmes critères pour dire si effectivement vous allez faire en sorte que ça demeure séparé ou que ce soit rejoint, ça je suis d’accord avec vous.

MONSIEUR LE JUGE:

C’est deux procès ou un procès.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Hum.

ME MARCO LABRIE:

C’est ça, c’est exactement ça. Ça je suis d’accord avec ma consœur que ce sera les mêmes critères, mais moi par contre je prétends que les dossiers étant déjà séparés, c’est ma consœur qui demande, dans le fond, par le biais de son acte d’accusation, à les rejoindre, à les réunir.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

L’article 591, oui. Mais aussi pour qu’avant de vous présenter nos arguments, c’est 591 qui prévoit la réunion des chefs.

[48]        Finalement, alors que l’avocat de l’appelant reconnaît que les critères à examiner demeurent les mêmes dans tous les cas, l’acte d’accusation est déposé tel quel, aux termes des échanges suivants :

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Mais l’acte d’accusation est déposé sous réserve, donc vous pourrez peut-être me permettre de le déposer, mais en enlevant les chefs de [X] et il me sera permis à mon ... parce que là on enlèvera un dossier au complet, je referai faire un acte d’accusation seulement que pour le jeune [X]. Sincèrement, je pense que si on suivait.., c’est qu’on veut...

MONSIEUR LE JUGE:

Là ça prend un acte, pour débuter le procès, ça prend un acte d’accusation ou...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui.

MONSIEUR LE JUGE:

... les deux dossiers séparés, dont le procès est tenu conjointement.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Mais c’est parce que vous verrez, entre autres, Cross que je ne vous ai pas déposé, mais Last y fait référence, c’est que mon collègue aurait pu faire sa requête plus tard…

MONSIEUR LE JUGE:

C’est ça.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

... qui aurait été séparation.

MONSIEUR LE JUGE:

Oui.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Donc s’il y avait séparation des chefs, qu’est-ce qu’on ferait, vous m’enlèveriez...

MONSIEUR LE JUGE:

C’est ça.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

... certains chefs et je rouvrirais, je pense que dans le fond...

MONSIEUR LE JUGE:

Je pense que c’est ça qui serait le mieux de faire.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

... on s’entend là-dessus et que la Défense, comme elle consent à ce qu’on poursuivre et que vous le preniez, indirectement elle consent à ce qu’on ouvre un deuxième dossier si vous rejetez ma requête en réunion là, il n’y aura pas d’objection à ce que je... est-ce que je me trompe, collègue ? Il fait signe un signe de tête.

ME MARCO LABRIE:

On ne peut pas.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Donc si jamais vous, vous...

MONSIEUR LE JUGE:

Écoutez, moi je pense que l’idéal c’est de fonctionner avec l’acte d’accusation tel quel ; si je vous donne raison, ça reste comme ça...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui.

MONSIEUR LE JUGE:

... si je donne raison à maître Labrie, il y a séparation…

ME MARCO LABRIE:

Deux chefs.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui, c’est ça.

MONSIEUR LE JUGE:

... du dossier...

ME MARCO LABRIE:

Il  y a deux chefs dans le fond qui sont éliminés.

MONSIEUR LE JUGE:

... les deux dossiers qui... deux, deux chefs qui seront éliminés et la Poursuite décidera de poursuivre ultérieurement ou non.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Ça va.

MONSIEUR LE JUGE:

Mais là je pense que fonctionner à l’envers avec deux dossiers...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui.

MONSIEUR LE JUGE:

... puis en plein milieu du procès dire bien là on va...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

Oui.

MQNSIEUR LE JUGE:

... on va rédiger un acte d’accusation, ça m’apparaît un peu...

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE:

O.k. Écoutez...

MONSIEUR LE JUGE:

... qu’au niveau de la procédure là...

ME MARCO LABRIE:

Ça va.

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE

Question ges… ça convient parfaitement

MONSIEUR LE JUGE

Ça va?

ME MARIE JOSÉE GUILLEMETTE

Oui

MONSIEUR LE JUGE

Bon alors la l’acte d’accusation c’est celui qui est déposé ce matin date du 15 avril signé par maître Guillemette?

ME MARIE-JOSÉE GUILLEMETTE :

Oui.

MONSIEUR LE JUGE :

Alors cette accusation, je comprends que votre client plaide non coupable ?

ME MARCO LABRIE :

Oui, exactement Monsieur le Juge.

[Transcrit tel quel.]

[49]        Par un jugement rendu le 17 mai 2010, le juge retient qu’il n’y a pas lieu de séparer les chefs d’accusation et il « rejette la requête présentée par la défense »[15].

[50]        L’appelant ne réussit pas à me convaincre que la Cour doit intervenir à ce propos.

Séparation des chefs - principes de droit applicables

[51]        L’intimée pouvait déposer au début du procès, comme elle l’a fait, un acte d’accusation comprenant l’ensemble des chefs énoncés aux deux dénonciations.

[52]        En effet, les articles 574(1) et 591(1) C.cr. l’autorisaient à le faire alors que l’appelant avait été renvoyé à procès sur l’ensemble de ces chefs à la suite de l’enquête préliminaire. Ces articles sont ainsi rédigés :

574. (1) Sous réserve du paragraphe (3), le poursuivant peut présenter un acte d’accusation contre toute personne qui a été renvoyée pour subir son procès à l’égard de :

a) n’importe quel chef d’accusation pour lequel cette personne a été renvoyée pour subir son procès;

b) n’importe quel chef d’accusation se rapportant aux infractions dont l’existence a été révélée par la preuve recueillie lors de l’enquête préliminaire, en plus ou en remplacement de toute infraction pour laquelle cette personne a été renvoyée pour subir son procès.

Par ailleurs, il importe peu que ces chefs d’accusation aient été ou non compris dans une dénonciation.

574. (1) Subject to subsection (3), the prosecutor may, whether the charges were included in one information or not, prefer an indictment against any person who has been ordered to stand trial in respect of

(a) any charge on which that person was ordered to stand trial; or

(b) any charge founded on the facts disclosed by the evidence taken on the preliminary inquiry, in addition to or in substitution for any charge on which that person was ordered to stand trial..

 

 

591. (1) Sous réserve de l’article 589 [exception en matière de meurtre], un acte d’accusation peut contenir plusieurs chefs d’accusation visant plusieurs infractions, mais ils doivent être distingués de la façon prévue par la formule 4.

[Je souligne, je rajoute le texte en italique.]

591. (1) Subject to section 589, any number of counts for any number of offences may be joined in the same indictment, but the counts shall be distinguished in the manner shown in Form 4.

 

[53]        L’intimée disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider d’inclure plus d’un chef d’accusation dans son acte d’accusation[16], peu importe qu’ils proviennent de différentes dénonciations[17].

[54]        Le débat en était donc un de séparation de chefs d’accusation, aux termes de l’article 591(3) C.cr., se déroulant dans un contexte bien différent de celui qui prévalait dans l’affaire Clunas[18] sur laquelle l’appelant prend appui. Alors que dans le présent dossier l’appelant est exclusivement accusé d’actes criminels, ce n’était pas le cas dans Clunas. En effet, dans cette affaire, il s’agissait d’une réunion de deux dénonciations, l’une reprochant la commission d’un acte criminel et l’autre celle d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Ainsi, dans Clunas, il ne pouvait être question qu’un acte d’accusation puisse chapeauter l’ensemble des chefs d’accusation. De toute façon, s’il eût fallu prendre en compte les enseignements de l’arrêt Clunas, la solution aurait été la même dans les circonstances de l’espèce.

[55]        Le juge devait analyser la question selon les critères de l’arrêt Last, comme l’avait d’ailleurs plaidé devant lui l’avocat de l’appelant.

[56]        Décider s’il y a lieu de donner suite à une demande de séparation de chefs d’accusation oblige le juge à se demander si les intérêts de la justice l’exigent ou pas : comme l’écrit la juge Deschamps dans Last, « les intérêts de la justice constituent le critère primordial. »[19]. Ces intérêts englobent « le droit de l’accusé d’être jugé en fonction de la preuve admissible contre lui, ainsi que l’intérêt de la société à ce que justice soit rendue d’une manière raisonnablement efficace, compte tenu des coûts. »[20]. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dont le préjudice causé à l’accusé, le lien juridique et factuel entre les chefs d’accusation, la question de savoir si l’accusé entend témoigner à l’égard d’un chef d’accusation, mais pas à l’égard d’un autre, le désir d’éviter la multiplicité des instances, l’utilisation de la preuve de faits similaires au procès et la durée du procès compte tenu de la preuve à produire[21].

[57]        Au moment d’évaluer l’intention déclarée de l’accusé de témoigner, le juge doit se préoccuper de la capacité de ce dernier à contrôler sa défense et, plus précisément, de son droit de décider s’il témoignera ou non à l’égard de chacun des chefs d’accusation[22]. Cela dit, et bien que l’intention provisoire d’un accusé au sujet de son témoignage mérite qu’on lui accorde un poids important, elle n’est qu’un des facteurs qui doivent être soupesés. En ce sens, une intention déclarée et objectivement justifiable de témoigner à l’égard de certains chefs d’accusation seulement n’est pas nécessairement déterminante, car, comme l’écrit la juge Deschamps dans Last, « [e]lle peut être contrebalancée par d’autres circonstances qui, selon le juge, peuvent empêcher l’accusé de témoigner ou même peser moins lourd dans la balance que des facteurs qui démontrent que les intérêts de la justice exigent la tenue d’une instruction conjointe. »[23].

[58]        Les liens factuel et juridique entre les chefs d’accusation dont on demande la séparation constituent également un facteur pertinent, notamment lorsque la poursuite entend présenter une preuve de faits similaires : « [d]ans bien des cas, une décision accueillant une preuve de faits similaires favorisera la tenue d’une instruction conjointe car les éléments de preuve relatifs à l’ensemble des événements doivent être produits de toute façon. »[24].

[59]        Rappelons qu’au moment où il décide de la requête en séparation, le juge n’a pas à décider de l’admissibilité de la preuve de faits similaires dont il doit simplement, à ce stade, évaluer le sérieux.

[60]        Une Cour d’appel doit faire preuve de retenue et de déférence à l’égard de la décision du juge « tant que celui-ci agit selon les normes judiciaires et que sa décision ne cause aucune injustice »[25].

Séparation des chefs - qu’en est-il en l’espèce?

[61]        Le juge énonce et applique correctement les principes de droit précédemment résumés.

[62]        Au sujet de la volonté déclarée de l’appelant de limiter son témoignage à certains chefs, il écrit :

[15]        Il n’est pas de mon intention de substituer mon opinion à celle de l’accusé et décider que celui-ci doit ou non témoigner. Son avocat a fourni suffisamment de renseignements pour transmettre le message que, objectivement, son intention de témoigner est bien fondée. Il n’est toutefois pas lié par son affirmation. Il demeure entièrement libre de modifier son approche s’il le juge nécessaire en cours de route.

[63]        S’inspirant de l’arrêt Houle[26], il souligne qu’il pourra limiter la portée du contre-interrogatoire de l’appelant si ce dernier décide de ne témoigner que sur certains chefs[27].

[64]        Quant aux liens juridique et factuel entre les chefs d’accusation, après avoir exposé les ressemblances entre les actes reprochés, conscient qu’il n’a pas à trancher la question de l’admissibilité de la preuve d’actes similaires, mais simplement à en évaluer le sérieux, le juge conclut que « [l]es circonstances entourant les divers événements sont de nature suffisamment semblable pour justifier une demande de faits similaires. »[28].

[65]        Bien que l’appelant plaide avec vigueur que les chefs 1 à 11 visent des gestes qui n’ont pas le même degré de gravité que les chefs 12 et 13, force est de conclure que les infractions sont les mêmes et que, quoique différents, les événements demeurent semblables. En fait, les gestes posés s’inscrivent tous dans un même modus operandi utilisé par l’appelant[29]. Ainsi, bien que non déterminant, ce facteur de similitude pèse lourdement dans la balance.

[66]        Le juge analyse le risque de préjudice pour l’appelant, décrit par ce dernier comme un risque de raisonnement fondé sur la propension. Il note que le procès se tiendra devant un juge seul, ce qui minimise ce risque.

[67]        Le juge souligne, avec raison, les avantages de tenir un seul procès, surtout dans l’optique de la preuve de faits similaires annoncée.

[68]        Bref, pondérant le tout, il conclut :

[32]      […] il existe un lien factuel entre les divers chefs d’accusation. Le risque de préjudice découlant d’un contre-interrogatoire sur certains chefs où l’accusé invoque son droit au silence peut être contrebalancé par une limitation du contre-interrogatoire aux chefs à l’égard desquels il désire témoigner. Il n’y a pas de danger de raisonnement interdit fondé sur la propension. Enfin, il demeure probable qu’une demande de preuve de faits similaires sera accueillie.

[33]      En définitive, ces différents critères d’appréciation jumelés à l’économie des ressources sur le plan judiciaire ainsi que la recherche de la vérité militent en faveur de la jonction des chefs d’accusation.

[69]        Son jugement respecte les enseignements découlant de l’arrêt Last.

[70]        La déférence s’impose.

[71]        Ce moyen d’appel doit être rejeté.

La preuve de faits similaires - le contexte

[72]        L’appelant remet en question l’admissibilité de la preuve de faits similaires.

[73]        En premier lieu, il se plaint de l’absence de voir-dire séparé à ce propos. En second lieu, il soutient que cette preuve n’est pas admissible, qu’elle est illégale, puisqu’elle vise à rehausser la crédibilité de l’un des plaignants et qu’elle constitue une preuve de propension.

La preuve de faits similaires - principes de droit applicables

[74]        La recevabilité d’une preuve à titre de faits similaires se décide généralement dans le cadre d’un voir-dire en début de procès, mais pas nécessairement. En effet, comme le mentionne la Cour suprême dans Last[30], le juge peut reporter sa décision après la présentation de la preuve de la poursuite lorsque les faits similaires font partie d’un même acte d’accusation. En semblable situation, ce qui importe c’est que la défense sache à quoi s’en tenir, à ce propos, avant de décider si elle administre une preuve et, le cas échéant, avant d’administrer cette preuve. De plus, comme l'écrit mon collègue le juge François Doyon dans Walters c. R.[31], « [...] on ne peut affirmer que, sans témoignage, il n'y a pas de voir-dire. Une interruption du procès afin de tenir une audition en vue de déterminer la recevabilité d'une preuve en l'absence du jury, à la suite d'arguments par les parties, constitue un voir-dire, que l'on entende ou pas de témoins. Il n'y a pas de formule consacrée et obligatoire pour tenir un voir-dire. Il faut s'adapter. Si un témoignage est parfois requis, dans d'autres cas, une déclaration antérieure suffira ou encore un résumé des faits présenté par les avocats. L'objectif est simple : décider de l'admissibilité d'une preuve, en l'absence du jury, en toute équité pour les parties. Le reste relève de l'exercice de la discrétion judiciaire. [...] »

[75]        La prudence s’impose toujours à l’égard d’une preuve de faits similaires[32], notamment lorsque l’objectif poursuivi consiste à rehausser la crédibilité des témoins, alors que la crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès[33]. Dans Handy, le juge Binnie l’énonce ainsi :

115      Selon le ministère public, la question en litige concerne de façon générale la « crédibilité de la plaignante » et plus particulièrement [TRADUCTION] « le fait que l’accusé est fortement prédisposé à accomplir l’acte même qui est allégué dans les accusations portées contre lui ».  Toutefois, il y a des précisions à apporter.  Il faut prendre garde de trop ouvrir la porte à l’admission de la preuve de propension ou, comme on le dit parfois, de permettre qu’elle ait une trop grande incidence sur la preuve que le ministère public doit présenter (Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., § 11.26).  La crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence.

116      Tout ce qui ternit la moralité de l’accusé peut accessoirement accroître la crédibilité du plaignant.  Décider que la « question soulevée » porte sur la crédibilité risque, à moins qu’on en limite la portée, de donner lieu à l’admission de rien de plus qu’une preuve de prédisposition générale (« mauvaise personnalité »).[34]

[76]        Ce sont les similitudes des comportements qui confèrent de la valeur probante à une telle preuve et leur évaluation se fait au cas par cas. Dans Handy[35], la Cour suprême énumère des critères pertinents à l’examen de ces similitudes :

·        la proximité temporelle des actes similaires;

·        la mesure dans laquelle les autres actes ressemblent dans leurs moindres détails à la conduite reprochée;

·        la fréquence des actes similaires;

·        les circonstances entourant les faits similaires ou s’y rapportant;

·        tout trait distinctif commun aux épisodes;

·        les faits subséquents;

·        tout autre facteur susceptible d’étayer ou de réfuter l’unité sous-jacente des actes similaires.

[77]        Quant à l’évaluation du préjudice à l’accusé, elle rappelle ce qui suit :

Par ailleurs, les facteurs défavorables jugés utiles pour évaluer le préjudice comprennent le caractère incendiaire des actes similaires (D. (L.E.), p. 124) et la question de savoir si le ministère public peut prouver ce qu’il avance à l’aide d’éléments de preuve moins préjudiciables. En outre, je le répète, la cour devait tenir compte du risque que la preuve de faits similaires empêche le juge des faits de bien se concentrer sur les faits reprochés et qu’elle entraîne un délai excessif. Ces facteurs ont déjà été collectivement qualifiés de préjudice moral et de préjudice par raisonnement.[36]

[78]        Lorsque sa valeur probante l’emporte sur le préjudice,  la preuve de faits similaires est recevable, notamment lorsque s’opposent le témoignage d’un enfant et celui d’un adulte :

42        Le fait qu’il serait contraire au « sens commun » d’exclure ce qui peut être considéré comme une preuve très pertinente a donné lieu à de nombreux déchirements chez les juges, en particulier dans le cas d’allégations d’agression sexuelle contre des enfants et des adolescents dont la parole se voyait parfois injustement accorder moins de valeur que celle d’adultes apparemment intègres.  Le démenti de l’adulte, erronément convaincant à prime abord, s’estomperait devant des épisodes antérieurs si nombreux qu’ils ne se prêteraient à aucune explication tendant à innocenter.  Cela dit, il n’existe aucune règle particulière en matière d’agression sexuelle.  En tout état de cause, la force de la preuve de faits similaires doit être de nature à l’emporter sur le « préjudice par raisonnement » et le « préjudice moral ».  Les inférences que l’on cherche à faire doivent être conformes au bon sens, aux notions intuitives de probabilité et à l’improbabilité d’une coïncidence.  Bien qu’un élément de « préjudice moral » puisse être introduit, le juge du procès doit conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante des inférences raisonnables l’emporte sur tout préjudice susceptible d’être causé.[37]

[Je souligne. Italique dans l’original.]

[79]        Une preuve de propension n’est donc pas toujours inadmissible : « [é]videmment, celle d’une propension générale l’est, car elle engendre un préjudice moral »[38], mais « il en va autrement de la propension relative à une conduite particulière »[39]. Alors, « il n’est plus question de "pure" propension ou de "prédisposition générale", mais de conduite répétée dans un type très précis et particulier de situation. La preuve de faits similaires permet alors de faire une inférence convaincante susceptible de fournir une pièce manquante dans le puzzle de la preuve […] »[40].

[80]        Bref, comme l’écrivent encore les auteurs Béliveau et Vauclair, la preuve de faits similaires est admissible si « sa valeur probante, qui repose sur l’improbabilité d’une coïncidence, l’emporte sur son effet préjudiciable. »[41].

La preuve de faits similaires - qu’en est-il en l’espèce?

[81]        Dans les circonstances, en présence d’un seul acte d’accusation regroupant les treize chefs, et puisque la preuve qui pouvait servir de faits similaires devait de toute façon être présentée comme preuve indépendante, il n’était pas obligatoire de décider de la recevabilité de la preuve de faits similaires dans le cadre d’un voir-dire y dédié. Il fallait cependant que le juge en ait décidé, d’une manière ou d’une autre, avant que la défense ne soit requise d’administrer sa preuve ou d’annoncer qu’elle s’abstenait d’en faire.

[82]        Dans sa décision portant sur la requête en séparation des chefs d’accusation, le juge évalue le sérieux de cette preuve, mais sans s’y prononcer quant à sa recevabilité, ce qu’il n’était pas requis de faire pour décider de la question portant sur la séparation des chefs d’accusation.

[83]        Bien que le dossier ne comporte pas de traces formelles ou officielles quant à la résolution de la question de la recevabilité de la preuve de faits similaires avant le début de la preuve de la défense, ce qui devrait être le cas, l’accroc ou l’erreur procédurale me paraît ici sans conséquence en raison de ce que ce dossier révèle clairement par ailleurs. Nul ne peut raisonnablement soutenir qu’il existait un doute quant aux objectifs poursuivis par le ministère public et quant à la recevabilité de cette preuve à titre de faits similaires.

[84]        En effet, le dossier révèle en premier lieu que le juge a été saisi de deux requêtes verbales, l’une portant sur le fait que les 13 chefs d’accusation soient réunis dans un seul acte d’accusation et l’autre sur la recevabilité de la preuve de faits similaires, dès le début du procès, et au sujet desquelles les parties ont longuement exprimé leurs points de vue alors que le juge avait en main, du consentement des parties et à cette fin, la transcription intégrale des témoignages livrés par tous les plaignants lors de l’enquête préliminaire.

[85]        Il révèle de plus, en second lieu, que l’appelant connaissait la position du juge voulant que la preuve de faits similaires fût recevable ainsi que les objectifs poursuivis par le ministère public avant qu’il ne soit requis de décider s’il administrait une preuve.

[86]        Finalement, dans son jugement final, le juge énonce les motifs qui l’ont conduit à admettre et à retenir la preuve de faits similaires qui, comme on le verra plus loin, sont bien fondés.

[87]        Dans ce contexte, il y a lieu de rejeter le moyen d’appel fondé sur un manquement de procédure.

[88]        Qu’en est-il, cela dit, de la décision du juge d’admettre la preuve de faits similaires?

[89]        Le juge retient que cette preuve est admissible, en ces termes :

[101]    Dans cette affaire, la poursuite a présenté une preuve de faits similaires afin de rehausser la crédibilité des plaignants lorsque leur version des faits contredit celle de l’accusé, pour démontrer un comportement répétitif ou systématique et lui imputer une intention coupable en vue de repousser à l’avance une défense de gestes anodins posés dans un contexte de jeu.

[102]    Sur ce dernier point, la défense a soumis une requête en séparation des chefs d’accusation nos 12 et 13 visant le plaignant X. Au terme d’une décision rendue le 27 mai 2010, (2010 QCCQ 3996), cette requête fut rejetée parce que les différents critères d’appréciations énumérés dans l’arrêt Last, [2009] 3 R.C.S. 146, étaient rencontrés. L’intérêt de la justice commandait la tenue d’une instruction conjointe.

[103]    Le lien factuel et juridique entre les incidents présente un haut degré de similitude. De sexe masculin, âgés de 11 à 12 ans, les adolescents, excepté X, proviennent tous de la même école. Les événements se déroulent dans un spa dans un contexte de jeu grâce au lien de confiance et d’autorité qui existait entre eux et l’accusé. Certains plaignants sont nus. L’accusé s’exhibe nu. Les sorties du Collège sans autorisation se font à l’insu de la direction du Collège et sans l’autorisation des parents. Ces incidents ne sont pas l’effet d’une coïncidence. Cette preuve de faits similaires est pertinente aux questions en litige. Elle est également admissible, car elle tend à établir davantage qu’une propension générale (préjudice moral) et la valeur probante des inférences raisonnables l’emporte par prépondérance sur l’effet préjudiciable relativement à une question soulevée par le crime reproché : R. c. Handy, 2002 CSC 56 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 908, paragr. 42 et 71; R. c. Shearing, 2002 CSC 58 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 33, paragr. 33.

[104]    Le témoignage des plaignants décrit une conduite qui s’étend sur une période de six mois et démontre un comportement systématique (modus operandi). La preuve de faits similaires faite sur chaque chef d’accusation sert à renforcer la preuve à charge et devient recevable pour contrer la défense sur chacun des autres : R. c. Houle, 2003 CanLII 14377 (QC CA), paragr. 71, se référant aux propos du juge Pigeon dans l’arrêt Guay c. La Reine, 1978 CanLII 148 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 18, p. 32. Les circonstances en l’espèce apportent donc une forte valeur probante à la version de l’un par rapport à celle de l’autre.

[105]    Leur déposition m’est apparue sincère, convaincante et livrée sans animosité envers l’accusé. Je n’ai noté aucune collusion entre eux ou contamination possible a posteriori d’autant plus que X ne fréquentait pas la même école que les autres adolescents. […]

[Je souligne. Caractères gras dans l’original.]

[90]        Tout comme en matière de séparation de chefs d’accusation, la décision d’admettre ou non une preuve d’actes similaires comporte l’exercice d’une discrétion judiciaire et cette Cour doit faire preuve de déférence[42].

[91]        Le juge s’est bien dirigé en fait et en droit. L’appelant ne réussit pas à me convaincre qu’il y a lieu d’intervenir.

[92]        Ce moyen d’appel doit aussi être rejeté.

Deuxième proposition : Intention spécifique et intention générale

[93]        L’affirmation de l’appelant selon laquelle le juge traite le crime de contact sexuel comme une infraction d’intention générale est pour le moins surprenante. Il en va de même de l’affirmation voulant que le juge ait traité l’agression sexuelle et le contact sexuel indistinctement.

[94]        En effet, non seulement le juge mentionne-t-il la différence, en ces termes, au paragraphe 73 de son jugement :

[73]      Contrairement à l’agression sexuelle, les infractions de contacts sexuels (art. 151 C.cr.) et d’incitation à des contacts sexuels (art. 152 C.cr.) comporte une intention spécifique. Les attouchements et l’incitation doivent avoir été perpétrés dans un but sexuel. Pour obtenir une déclaration de culpabilité, la preuve doit révéler que l’accusé recherchait une gratification sexuelle ou qu’il violait l’intégrité sexuelle de la personne lorsqu’il a posé les gestes reprochés. Cet élément essentiel de l’infraction peut être établi au moyen d’une preuve directe ou circonstancielle : R. c. Morrisey, 2011 ABCA 150 (CanLII).

[Je souligne. Caractères gras dans l’original.]

[95]        Mais, de plus, l’analyse de ses motifs démontre qu’au-delà de l’affirmer, le juge en fait bel et bien l’application.

[96]        Contrairement aux prétentions de l’appelant, le juge examine l’actus reus et la mens rea, comme le révèle notamment le contenu des paragraphes 70 à 73 de son jugement.

[97]        L’intention spécifique de l’appelant est surtout révélée par ses manœuvres pour se retrouver seul avec les jeunes dans un contexte de nudité ou de quasi-nudité. De plus, le juge relève les indices démontrant l’inconfort de l’appelant. Les gestes posés se font à l’insu de la direction du collège, des parents des plaignants et de la famille de l’appelant.

[98]        L’appelant laisse entendre que jamais le juge n’écarte son témoignage sur sa négation de la gratification sexuelle qu’il aurait recherchée en posant les gestes reprochés. Il se trompe, car il est évident que le juge l’écarte, même s’il ne le dit pas en de tels mots, alors qu’il écrit que « [l]a seule inférence rationnelle possible est que ces gestes ont été commis à des fins d’ordre sexuel. »[43].

[99]        À plusieurs reprises, le juge indique qu’une personne raisonnable aurait conclu à la nature sexuelle des gestes posés et il écarte la prétention de l’appelant voulant que, même dans une perspective strictement objective, ses gestes portent à interprétation étant donné le contexte de jeu.

[100]     L’appelant ne réussit pas à établir que cette inférence est déraisonnable alors que, selon la preuve retenue par le juge, l’appelant savonne les parties génitales dans le cas de X et que, dans le cas des autres plaignants, il les dévêt, leur prodigue des massages alors qu’ils sont assis sur ses genoux dans le spa, parfois entièrement nus, insère sa main dans leur maillot pour y déposer de la glace sur leurs parties génitales ou raconte une histoire salée à l’un des plaignants assortie d’une démonstration au cours de laquelle il l’amène à se toucher.

[101]     Le juge conclut manifestement à une preuve hors de tout doute raisonnable de l’actus reus et de l’intention spécifique requise alors qu’il s’exprime ainsi au paragraphe 108 du jugement entrepris :

[108]    Le fait que les gestes aient été perpétrés dans un contexte de jeu n’empêche pas d’arriver à une conclusion de connotation sexuelle. Les parties du corps touchées, la nature des contacts, la nudité observée, le déshabillage des enfants, les massages, l’absence d’autorisation des parents, la non-divulgation à la direction de l’école et à la mère de Z, les faux billets de retard, son attitude envers le technicien d’entretien de pelouse, l’anecdote sexuelle racontée à Z en plus de mettre sa main sur ses parties ou son bas ventre, l’absence de d’autres adultes lors des activités dans le spa, jumelés aux inférences raisonnables tirées de la preuve de faits similaires, sont des indices révélateurs de son intention d’agir à des fins d’ordre sexuel. La défense de gestes anodins et inoffensifs ne suscite aucun doute raisonnable dans mon esprit.

[Caractères gras et soulignements ajoutés.]

[102]     L’appelant cite plusieurs affaires où les décideurs n’ont pas conclu au caractère sexuel des gestes posés. Bien qu’intéressant, l’exercice n’est aucunement concluant, car chaque cas s’évalue à la lumière de ses faits propres.

[103]     Finalement, l’appelant propose un dernier argument reposant sur des paroles prononcées par le juge après qu’il eut rendu son jugement. Cet argument est aussi mal fondé, car, contrairement à ce que soutient l’appelant, le juge ne laisse pas entendre qu’il n’avait peut-être pas l’intention spécifique requise, mais simplement qu’il ne sait peut-être pas (ou qu’il ne réalise peut-être pas) qu’il a un problème, ce qui est tout à fait cohérent avec la preuve présentée.

[104]     Bref, le juge expose et applique correctement le droit relativement aux éléments constitutifs des infractions.

[105]     Comme les précédents, ce moyen d’appel échoue.

Troisième proposition : Motivation insuffisante et non-respect de W.(D.)

Motivation

[106]     L’appelant reproche au juge de ne pas avoir suffisamment justifié ses conclusions, notamment quant à la crédibilité et à la fiabilité des témoins.

[107]     Ce reproche est mal fondé, tenant compte de la difficulté que présente l’exercice d’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité et alors que les motifs du juge de première instance respectent les exigences énoncées par la jurisprudence[44].

[108]     Comme l’énonce la Cour suprême dans l’arrêt R.E.M., en matière de crédibilité ces exigences se résument ainsi :

(1)        Pour déterminer si des motifs sont suffisants, les cours d’appel doivent adopter une approche fonctionnelle, substantielle et considérer les motifs globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du déroulement du procès, en tenant compte des buts et des fonctions de l’expression des motifs (voir Sheppard, par. 46 et 50; Morrissey, p. 524).

(2)        Le fondement du verdict du juge du procès doit être « intelligible », ou pouvoir être discerné.  En d’autres termes, il doit être possible de relier logiquement le verdict à son fondement.  Il n’est pas nécessaire de décrire en détail le processus suivi par le juge pour arriver au verdict.

(3)        Lorsqu’il s’agit de déterminer si le lien logique entre le verdict et son fondement est établi, il faut examiner la preuve, les observations des avocats et le déroulement du procès pour identifier les questions « en litige » telles qu’elles sont ressorties au procès.[45]

[109]     Or, les motifs du juge permettent un examen valable en appel et c’est à tort que l’appelant soutient qu’il y a une absence totale d’analyse de la crédibilité de l’ensemble des témoins entendus.

[110]     En effet, le juge résume rigoureusement et fidèlement les témoignages de chacun des témoins, soulignant les contradictions et les différences lorsqu’il y en a. Il écrit notamment :

[105]    Leur déposition m’est apparue sincère, convaincante et livrée sans animosité envers l’accusé. Je n’ai noté aucune collusion entre eux ou contamination possible a posteriori d’autant plus que X ne fréquentait pas la même école que les autres adolescents. La défense soulève que la crédibilité de X n’est pas en cause, mais que sa version n’est pas fiable parce qu’il a admis s’être trompé sur le nombre de fois où il s’est retrouvé dans le spa avec l’accusé et sur la fréquence où il a été savonné dans la douche au chalet du Parc Laurier. Selon l’arrêt W.(R.), précité, on ne peut demander à un enfant d’être aussi précis dans son témoignage qu’un adulte sur des événements qui se sont déroulés près de trois ans auparavant. Ces légères contradictions n’enlèvent rien à la valeur de son récit.

[Caractères gras dans l’original.]

[111]     Il retient la preuve de faits similaires, ce qui apporte un degré de corroboration supplémentaire[46].

[112]     Quant au témoignage de l’appelant, il le décrit ou le commente notamment  en ces termes :

[84]      Quant aux accusations prévues par les articles 151 et 152 du Code criminel, l’accusé ne prétend pas que les gestes ne se sont pas produits (sauf pour quelques incidents où la question de crédibilité sera en jeu), mais soutient qu’ils ont été commis dans un contexte de jeu et qu’il ne recherchait aucune gratification sexuelle.

[89]      […] Son attitude est suspicieuse. Il se sentait inconfortable. […] Je ne le crois pas lorsqu’il affirme avoir dit à la mère de Z que son fils avait profité du spa. Celle-ci ne l’a appris que lorsque ce dernier l’a révélé à son père un mois plus tard. […]

[90]      Son sentiment d’inconfort s’est aussi révélé lorsque le technicien en entretien de pelouse s’est présenté à sa résidence pour effectuer un traitement saisonnier. Nu dans le spa, en compagnie de Y, il n’ose pas en sortir de peur que son comportement prête à interprétation. Si son attitude participe du jeu anodin, pourquoi ne pas requérir l’autorisation des parents d’amener leur fils chez lui afin de se baigner nu dans le spa sur l’heure du midi tout en recevant un massage pour relaxer? Aux yeux d’une personne raisonnable, y a-t-il un seul parent qui aurait accepté une telle proposition? Bien sûr que non. Voilà pourquoi il ne leur a jamais demandé l’autorisation d’agir ainsi.

[92]      […] Évidemment, il n’a rien révélé de cela à la mère de Z à la cafétéria du Collège le jour même, à 15 h 30. De surcroît, il invite Z à ne pas en parler à ses parents pour éviter de recevoir une autre plainte.

[95]      […] Quant au fait de l’avoir savonné dans la douche au chalet du Parc Laurier, je ne le crois pas lorsqu’il affirme qu’il n’a pas frotté ses parties génitales.

[97]      Les billets rédigés à l’attention d’un responsable du Collège afin de justifier le retard des élèves ne représentent pas la vérité. L’accusé rédige une note d’une manière vague et imprécise. Il n’indique pas de détails. Aucune mention d’où ils venaient, ni du spa, ni des activités qui s’y sont déroulées. Les documents soumis à la direction ne révèlent pas les véritables raisons de leur absence sauf pour mentionner qu’ils étaient en sa compagnie.

[98]      Au surplus, il y a lieu de souligner que ces événements sont survenus en l’absence de sa conjointe et de ses trois enfants. Personne n’a remarqué la présence d’un des membres de sa famille.

[103]    Le lien factuel et juridique entre les incidents présente un haut degré de similitude. De sexe masculin, âgés de 11 à 12 ans, les adolescents, excepté X, proviennent tous de la même école. Les événements se déroulent dans un spa dans un contexte de jeu grâce au lien de confiance et d’autorité qui existait entre eux et l’accusé. Certains plaignants sont nus. L’accusé s’exhibe nu. Les sorties du Collège sans autorisation se font à l’insu de la direction du Collège et sans l’autorisation des parents. Ces incidents ne sont pas l’effet d’une coïncidence. Cette preuve de faits similaires est pertinente aux questions en litige. Elle est également admissible, car elle tend à établir davantage qu’une propension générale (préjudice moral) et la valeur probante des inférences raisonnables l’emporte par prépondérance sur l’effet préjudiciable relativement à une question soulevée par le crime reproché : R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, paragr. 42 et 71; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, paragr. 33.

[108]    Le fait que les gestes aient été perpétrés dans un contexte de jeu n’empêche pas d’arriver à une conclusion de connotation sexuelle. Les parties du corps touchées, la nature des contacts, la nudité observée, le déshabillage des enfants, les massages, l’absence d’autorisation des parents, la non-divulgation à la direction de l’école et à la mère de Z, les faux billets de retard, son attitude envers le technicien d’entretien de pelouse, l’anecdote sexuelle racontée à Z en plus de mettre sa main sur ses parties ou son bas ventre, l’absence de d’autres adultes lors des activités dans le spa, jumelés aux inférences raisonnables tirées de la preuve de faits similaires, sont des indices révélateurs de son intention d’agir à des fins d’ordre sexuel. La défense de gestes anodins et inoffensifs ne suscite aucun doute raisonnable dans mon esprit.

[Caractères gras (sauf le nom des parties) et soulignements ajoutés.]

[113]     Quant au témoignage des collègues de l’appelant, sans les rejeter, le juge en souligne la non-pertinence puisque messieurs B… et T… n’étaient pas présents lors des incidents (ils n’ont été témoins d’aucun des gestes reprochés) et que leurs propos ne portent que sur l’attitude générale de l’appelant dans ses relations avec les enfants, ce qui n’était pas réellement remis en cause de toute façon.

[114]     Enfin, puisqu’à bien des égards les gestes reprochés étaient admis ou corroborés par l’appelant lui-même, le juge n’avait pas à expliquer dans leurs moindres détails chacune des contradictions ni à énoncer, autrement qu’il l’a fait, qu’il retenait la version de l’un plutôt que celle de l’autre.

W.(D.)

[115]     L’appelant reproche au juge de ne pas avoir respecté les enseignements de l’arrêt W.(D.).

[116]     Ce reproche est sans fondement.

[117]     Un juge n’est jamais tenu de reproduire machinalement les trois étapes élaborées dans cet arrêt. Il doit plutôt s’assurer d’en respecter l’essence comme la Cour le rappelait récemment :

[36]      En appel, la question importante consiste à se demander si le juge a correctement abordé et appliqué le fardeau de preuve qui incombe exclusivement et en tout temps au ministère public. Ce principe s’applique que l’accusé témoigne ou non.

[37]      La Cour suprême a résumé l’essence de W.(D.) dans l’arrêt unanime R. c. Dinardo:

Dans une cause dont l'issue repose sur la crédibilité, comme en l'espèce, le juge du procès doit répondre à la question déterminante de savoir si la preuve offerte par l'accusé, appréciée au regard de l'ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable quant à sa culpabilité. En d'autres termes, le juge du procès doit déterminer si la preuve dans son ensemble établit la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable.

[38]      Il est désormais bien établi que le juge des faits, confronté à des versions contradictoires des évènements, ne peut se limiter à préférer l’une des deux versions. La conséquence pratique serait d’abaisser le fardeau de preuve du ministère public en le faisant passer d’une preuve hors de tout doute raisonnable à une preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela signifierait aussi que l’accusé doive prouver sa version. Tel n’est jamais le cas. Un manque de crédibilité de la part de l’accusé ne saurait équivaloir à la preuve de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. C’est là l’essence de W.(D.).

[39]      Au stade de l’appel, la question décisive est de savoir si le juge des faits a correctement appliqué la norme de preuve en matière criminelle. Les motifs doivent se pencher sur les risques inhérents que pose la preuve testimoniale contradictoire quant au fardeau de preuve du ministère public. Mais cela n’emporte aucune obligation d’aborder la question en adhérant à la formule W.(D.).[47]

[Je souligne. Références omises.]

[118]     Les motifs du juge (notamment le contenu du paragraphe 108 du jugement entrepris, précédemment reproduit) ne laissent pas voir, ici, qu’il a choisi entre deux versions, non plus qu’il a appliqué un fardeau de preuve autre que celui du doute raisonnable. Il n’a pas cru l’appelant dont la défense n’a pas semé de doute dans son esprit. La preuve à charge, dans le contexte de l’ensemble de la preuve, était susceptible de conduire à un verdict de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ainsi, une telle conclusion n’est pas déraisonnable.

[119]     Ce moyen d’appel doit être rejeté.

[120]     Conséquemment, il y aura lieu de rejeter l’appel portant sur la culpabilité.

Quatrième proposition : Principes de détermination de la peine

[121]     L’appelant reproche au juge de ne pas avoir évalué les huit critères de l’affaire J.L.[48], de ne pas avoir pris en compte le principe voulant qu’il y ait lieu de favoriser la réinsertion sociale et d’avoir limité son analyse à l’examen des principes de dénonciation et de dissuasion en évacuant totalement le reste, dont l’individualisation de la peine et l’harmonisation des peines.

[122]     Avant de faire l’étude de ces reproches, je crois utile de noter le titre de la section 12 du jugement entrepris où le juge rappelle les principaux arrêts pertinents dont il compte faire usage, soit « 12. Analyse et dissuasion », et de reproduire les sept paragraphes de la section suivante, « 13. La peine appropriée », puisque c’est là que se trouve l’essentiel du raisonnement du juge, au-delà de ses énoncés de fait et de droit qui ne sont pas généralement l’objet de contestation :

13. La peine appropriée

[40]      La responsabilité pénale de l’accusé est entière. Il a profité de son statut d’entraîneur de soccer pour établir un lien de confiance avec les victimes pour les amener chez lui. Le contexte de jeu n’était qu’un prétexte ou un subterfuge lui fournissant l'occasion de commettre des gestes qui ont porté atteinte à leur intégrité sexuelle.

[41]      Il est exact que ces attouchements de nature sexuelle ne font pas partie de la catégorie la plus grave prévue par le Code criminel. Comme ceux-ci constituent un abus de confiance et d’autorité à l’égard des victimes, le besoin de dénonciation et dissuasion générale commande une peine d'incarcération importante.

[42]      L’exemplarité est aussi un facteur prédominant à considérer. À l’instar de mon collègue le juge Couture, dans R. c. Bilodeau, REJB 2002-32093, j’estime que « [l]a confiance du public envers ses institutions scolaires doit être totale et sans réserve ». Aux paragr. 29 et 30, il s’exprime ainsi :

29         La confiance du public envers ses institutions scolaires doit être totale et sans réserve. L’établissement scolaire est le lieu où l’on confie notre jeune génération pour qu’elle puisse acquérir et posséder des valeurs morales saines et conformes à une société juste.

30         La primauté du devoir d’un enseignant est donc de ne pas trahir sa mission d’éducateur. L’abdiquer, c’est mettre en péril des fondements de notre société.

[43]      Dans R. c. Roberge, REJB 2000-16873, mon collègue le juge Larouche ajoute « que les crimes commis dans de telles circonstances ont pour effet de créer de grandes inquiétudes tant chez les jeunes que chez les parents et déstabilisent ceux qui ont à travailler avec les jeunes ». Au paragr. 36, il écrit :

36         […] Dans une société où le sport joue un rôle important, il doit nécessairement exister une relation de confiance entre les différents intervenants. De trop nombreux cas, judiciarisés à juste titre, démontrent qu’il faut exercer une surveillance à tel point que tous les comportements sont remis en question.

[44]      La compétence reconnue de l’accusé en matière sportive et son influence auprès de préadolescents l’ont placé dans une position privilégiée. Ainsi, il a pu les manipuler à sa guise en profitant de leur naïveté et de leur vulnérabilité. L'accusé ne se reconnaît aucune problématique d’ordre sexuel. Il n’est pas non plus disposé à entreprendre une démarche thérapeutique, sauf à titre exploratoire.

[45]      Somme toute, une peine d’emprisonnement significative s’impose à la fois pour respecter les principes de dénonciation, dissuasion générale et d’exemplarité, mais aussi pour exprimer la réprobation de la société à l’égard de tels comportements répréhensibles. Néanmoins, les circonstances atténuantes au dossier permettent d'en réduire la durée.

14. Conclusion

[46]      En conséquence, une peine d’incarcération de 15 mois m’apparaît juste et raisonnable dans les circonstances.

[Caractères gras dans l’original.]

[123]     En matière d’appel de la peine, une intervention n’est possible qu’en présence d’une erreur de principe, d’une omission du juge de prendre en compte un facteur pertinent ou d’une insistance démesurée sur l’un d’eux, d’une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve ou d’une peine nettement déraisonnable[49].

[124]     Lorsqu’il impose une peine pour une infraction constituant un mauvais traitement à l’égard d’un mineur - ce qui est le cas des infractions prévues aux articles 151 et 152 C.cr. -, un juge doit accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Il en est ainsi aux termes de l’article 718.01 C.cr. et de la jurisprudence qui abonde dans le même sens[50].

[125]     Cela dit, porter une telle attention particulière à certains objectifs ne signifie pas qu’il faille évacuer de l’analyse réalisée tous les autres objectifs :

[37]      L'attention particulière qui s'impose ne donne cependant pas à l'objectif de dénonciation et de dissuasion un caractère absolument déterminant, ni ne dispense-t-il le juge de tenir compte de tous les objectifs, principes et critères propres au processus de détermination de la peine. Il y aura donc des cas où, l'objectif ayant été dûment considéré, d'autres facteurs devront l'emporter.[51]

[126]     L’appelant reproche en quelque sorte au juge de l’avoir fait et d’avoir ainsi commis une erreur donnant ouverture à une intervention de cette Cour malgré la norme sévère d’intervention en matière de peine et la déférence dont il y a lieu de faire preuve.

[127]     L’argument me convainc qu’il est ici possible et requis d’intervenir, faisant miens les propos de mon collègue François Doyon dans Roy c. R[52], « le juge de première instance punit uniquement le crime en ne tenant pas compte des caractéristiques de l’appelant » et commet notamment, ce faisant, une « erreur de droit, en n’individualisant pas la peine (art. 718.1 et 718.2 (a) C.cr.) ».

[128]     Dans J.L., la Cour énonce huit critères utiles à la détermination des peines en pareils cas :

[1] -      La nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l'usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation, etc…

[2] -      La fréquence des infractions et l'espace temporel qui les contient.

[3] -      L'abus de confiance et l'abus d'autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime.

[4] -      Les désordres sous-jacents à la commission des infractions: détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication, etc.

[5] -      Les condamnations antérieures du délinquant: proximité temporelle avec l'infraction reprochée et nature des condamnations antérieures.

[6] -      Le comportement du délinquant après la commission des infractions:  aveux, collaboration à l'enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s'il y a lieu, compassion et empathie à l'endroit des victimes (remords, regrets, etc.).

[7] -      Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d'atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d'autres infractions, etc.).

[8] -      La victime:  gravité des atteintes à l'intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l'âge, la nature et l'ampleur de l'agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l'abus de confiance ou d'autorité, les séquelles traumatiques, etc.[53]

[Références omises, numérotation des critères ajoutée.]

[129]     Sur le premier critère, le juge tient compte de la manipulation, de la planification et du stratagème utilisé, comme il devait le faire, alors qu’au sujet de la nature et de la gravité intrinsèque des infractions, plutôt que de reconnaître que les gestes font partie de la catégorie la moins grave, il écrit : « [i]I est exact que ces attouchements de nature sexuelle ne font pas partie de la catégorie la plus grave prévue par le Code criminel. »

[130]     Sur le deuxième critère, le juge fait état de la période et du nombre d’incidents lorsqu’il relate les faits, mais il n’en dit mot à la section « analyse » du jugement. L’appelant qualifie la fréquence des infractions de peu élevée et il n’a pas totalement tort. Cela dit, il faut tout de même reconnaître que le juge n’était pas en présence d’un cas isolé et qu’il y a plusieurs victimes.

[131]     Le juge a considéré le troisième critère qui constitue d’ailleurs la pierre angulaire de son jugement. L’appelant a nettement abusé de la confiance qu’on lui portait et de son autorité de sorte que le juge avait raison d’en tenir compte. Cela dit, à la lecture des paragraphes de la section « analyse » du jugement ci-haut reproduits, il est permis de se demander si cet élément ne l’aurait pas obnubilé.

[132]     L’appelant se méprend sur le quatrième critère en proposant que la perte de son emploi constitue un désordre sous-jacent à la commission de l’infraction, alors qu’elle n’en est que la conséquence. Les rapports relatifs à la sentence et à la sexologie ne révèlent pas de désordre particulier. Au contraire, on y discute d’une personne provenant d’un « milieu familial chaleureux dans lequel les valeurs socialement acceptées lui ont été inculquées » et « ayant adopté un mode de vie conforme aux attentes sociales jusqu’à la commission des présents délits ». À l’égard de ces aspects favorables à l’appelant, le juge est plutôt silencieux.

[133]     Quant au cinquième critère, le juge mentionne au paragraphe 27 de son jugement l’absence d’antécédents judiciaires parmi les facteurs atténuants et, au paragraphe 45 (reproduit au paragraphe suivant), que cela permet de réduire la durée de l’emprisonnement à imposer. Le juge ne fournit cependant ni indice ni élément permettant de mesurer cette réduction dont il fait mention. En présence d’une peine imposée que l’intimée reconnaît sévère, ce silence est troublant.

[134]     La section du jugement intitulée « la peine appropriée » comporte très peu d’éléments relatifs au sixième critère. Le juge ne mentionne que ce qui suit, aux paragraphes 44 et 45 de son jugement :

[44]      […] L'accusé ne se reconnaît aucune problématique d’ordre sexuel. Il n’est pas non plus disposé à entreprendre une démarche thérapeutique, sauf à titre exploratoire.

[45]      Néanmoins, les circonstances atténuantes au dossier permettent d'en réduire la durée.

[135]     Pourtant, le rapport relatif à la peine, lui, indique notamment, au-delà d’un risque faible de récidive, ce qui suit :

·        que l’appelant reconnaît les faits qui lui sont reprochés, bien qu’il en nie l’intention criminelle, et qu’il admet avoir manqué à ses responsabilités d’enseignant;

·        « que son engagement envers sa communauté et son fonctionnement global sont des éléments qui nous amènent à croire être en présence d’une personne ne présentant pas les traits généralement associés aux personnalités criminelles et/ou antisociales »;

·        que la cellule familiale reste unie et que ses membres ont un impact positif sur l’appelant;

·        que l’appelant a « subi une forme d’électrochoc à la suite de son arrestation » et qu’il a arrêté toute implication auprès des jeunes de son milieu de vie.

[136]     Encore une fois, en présence d’une peine sévère, le fait que le juge soit avare de commentaires dérange, d’autant plus qu’il a écrit ce qui suit aux paragraphes 37 et 38 de son jugement :

[37]      Dans l’arrêt Gavin, précité, au paragr. 27, la Cour d’appel du Québec précise, que « l’absence de remords peut être retenue contre un accusé qui recherche une peine plus clémente ou une peine avec sursis (références omises), notamment parce que cela peut démontrer qu’il y a peu d’espoir de réhabilitation et donc de laisser subsister un risque de récidive (référence omise) ».

[38]      Or, c’est justement le but recherché par la défense. Elle réclame une peine clémente de 45 jours d’emprisonnement pour l’ensemble des infractions plaidant qu’elles ont été commises dans le même contexte. Il importe de mentionner qu’il y a eu six victimes dans cette affaire et que les attouchements à caractère sexuel se sont produits à plusieurs reprises sur une période de près de neuf mois. La peine minimale prévue au Code criminel est donc inappropriée dans les circonstances.

[137]     Au sujet du septième critère, le juge note, à titre de facteurs atténuants, la stabilité de la situation maritale et l’occupation d’un emploi, mais rien ne permet de savoir comment il a pris en compte le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d’atténuation eu égard au comportement de l’appelant. Pourtant, au moment de rendre jugement, près de cinq années se sont écoulées depuis les événements sans qu’aucune autre infraction ne soit commise alors que de très nombreuses et sévères conditions ont été imposées à l’appelant et qu’il les a toutes respectées.

[138]     Enfin, quant au huitième critère, les gestes reprochés se situent au bas de l’échelle de gravité, mais le juge se limite à affirmer qu’ils ne sont pas « de la catégorie la plus grave ». De plus, parmi les circonstances aggravantes énoncées, au paragraphe 26 de son jugement, il retient « les séquelles victimologiques à long terme », malgré la preuve administrée qui ne révèle pas d’effets à long terme, bien au contraire, et le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable qui repose sur le ministère public en matière de circonstances aggravantes.

[139]     Bref, le juge s’attarde aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais il fait peu de cas des autres principes de détermination de la peine alors qu’il doit tous les prendre en compte dans la recherche de la peine appropriée qui doit être individualisée.

[140]     Par exemple, le principe de l’harmonisation des peines ne semble pas avoir été l’objet d’une grande attention alors que le juge écrit ce qui suit, aux paragraphes 12 à 14 de son jugement :

[12]      Pour appuyer sa prétention, la poursuite a soumis quelques jugements où les peines varient de 8 à 70 mois d’incarcération en passant par l’emprisonnement dans la collectivité pour des infractions de nature sexuelle commises à l’égard de jeunes garçons ou filles à l’âge de l’adolescence.

[13]      La défense prétend que ces différentes décisions font état de faits beaucoup plus graves que ceux en l’espèce et qu’elles ne peuvent ainsi servir de guide.

[14]      Il n’est cependant pas nécessaire de passer la jurisprudence soumise en revue puisque chaque peine doit être adaptée aux circonstances particulières des infractions perpétrées et à la situation personnelle du délinquant. L’exercice demeure toutefois utile pour déterminer la fourchette des peines infligées en semblable matière. D’ailleurs, dans R. c. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163, la Cour suprême, au paragr. 36, souligne les limites d’un tel exercice de comparaison « en raison de la nature même d’un processus de détermination de la peine axé sur l’individu ».

[Référence omise, caractères gras dans l’original, je souligne.]

[141]     Or, s’il est vrai que chaque peine doit être adaptée aux circonstances de l’espèce et à la situation personnelle du délinquant et qu’elle doit être proportionnelle à la culpabilité morale de l’individu[54], la proportionnalité d’une peine avec la culpabilité morale n’existe pas dans l’absolu. Pour donner sens à cette dernière, il convient toujours de poser un regard sur les peines infligées à des délinquants semblables pour des circonstances analogues. Il ne s’agit pas de donner une plus grande importance au principe d’harmonisation (ou de parité) qu’au principe de proportionnalité, mais bien d’articuler ces deux concepts en fonction d’une synergie cohérente, dans la recherche de la peine appropriée et individualisée. Dans Nguyen, la Cour décrit ainsi ce processus :

[12]        Finalement, la seule question qui demeure est celle de savoir si la peine globale de trois ans de pénitencier infligée au requérant fait entorse aux principes d’harmonisation des peines et à celui de la proportionnalité ainsi que le plaide le requérant.

[13]        Le principe de l’harmonisation des peines ne permet pas de passer outre à la déférence qui s’impose à l’égard du juge qui a prononcé la peine lorsque sa sentence n’est pas entachée d’une erreur de principe ou qu’il n’a pas infligé une peine nettement déraisonnable en accordant une attention inadéquate à des facteurs particuliers ou en évaluant incorrectement la preuve. Comme le signale la Cour suprême, le principe de l’harmonisation des peines est tempéré par la règle de la proportionnalité :

[36]       Des peines prononcées à l'égard des mêmes catégories d'infraction ne seront pas toujours parfaitement semblables, en raison de la nature même d'un processus de détermination de la peine axée sur l'individu. En effet, le principe de la parité n'interdit pas la disparité si les circonstances le justifient, en raison de l'existence de la règle de la proportionnalité (voir Dadour, p. 18). Comme notre Cour l'a rappelé dans M. (C.A.), par. 92, «il n'existe pas de peine uniforme pour un crime donné». Dans un tel contexte, une cour d'appel n'est justifiée d'intervenir que si la peine qu'a infligée le juge du procès «s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires». [R. c. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163]

[14]      Il en va de même de l’existence de fourchettes générales de peines établies par la jurisprudence pour certaines infractions :

[44]       Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l'esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu'elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n'est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l'infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l'infraction a été commise. [R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206]

[15]        En l’espèce, le juge de première instance a bien expliqué pourquoi les circonstances propres à l’espèce ne justifiaient pas qu’il suive la proposition du requérant lequel, invoquant le principe de la parité, suggérait une peine de 18 mois de détention de laquelle il aurait ensuite fallu soustraire la période de détention provisoire.[55]

[Références omises, je souligne.]

[142]     Qu’en est-il des peines imposées en matière de contact sexuel?

[143]     Le juge se contente de noter les décisions que lui a proposées la poursuite[56] qui prévoient des peines allant de 8 mois (dans les affaires W.R.A.[57] et Guillemette[58]) à 6 ans (dans l’affaire Roberge[59]), toutes dans un contexte où le délinquant était en position d’autorité ou de confiance (souvent à titre de professeur ou d’entraîneur, ou encore dans l’entourage familial), mais qui présentent toujours une trame factuelle beaucoup plus grave qu’en l’espèce. De fait, le cas qui s’approche le plus de celui dont il est saisi (du présent dossier) est celui de l’affaire W.R.A., où les gestes posés étaient plus invasifs que ceux posés par l’appelant, mais où le nombre d’incidents et de victimes (une en l’occurrence) était inférieur au présent cas :

2          The circumstances of the three incidents were described by Crown Counsel in the sentencing proceedings and were not objected to by defence counsel and so Crown Counsel's description must be regarded as having formed the basis of the sentencing. The heart of the three incidents was put by Crown Counsel in this way:

(a)    ...the accused, Mr. A., and N. were watching a movie sitting on the couch in his basement suite. He lived in the basement suite alone. She got up and said she was going to bed now and he stood up, hugged her and kissed her on the lips for, according to her Preliminary Inquiry transcripts, about one to two seconds.

3          The second incident was described in these terms:

(b)    She began playing the pachinko machine and he stood behind her and began rubbing her shoulders and back, and then his bed is just a few feet behind, he then pulled her down and she sits between his legs. They are both sitting on the bed and she's between his legs. He begins rubbing her back and then he moved his hands around the front and rubbed her breasts, on this occasion over her shirt and bra with both hands. She said at the Preliminary Inquiry that that continued for some ten seconds.

4          The third incident was described in this way:

(c)    N. woke up the next morning to Mr. A. grabbing her shoulders, saying "Wake up, N.", and then he sat down behind her, began rubbing her back and then he slipped his hands this time under her clothing, under her tee-shirt, she wasn't wearing a bra, and rubbed her breasts again for about ten seconds.[60]

[144]     Plus loin, le juge indique que l’arrêt St-Pierre[61] rappelle que la jurisprudence canadienne montre des peines variant de 9 mois à 3 ans d’emprisonnement pour le crime de contact sexuel. À cet égard, le seuil mentionné de 9 mois doit être relativisé, car les décisions mentionnées dans l’arrêt St-Pierre, à l’appui de la fourchette y établie, comportent des peines d’une durée moindre que 9 mois[62]. Peut-être est-ce lié au fait que, dans cette affaire, les faits soient particuliers et qu’ils impliquent également de la distribution de pornographie juvénile.

[145]     Le juge n’examine aucune autre décision et il ne fait aucune mise à jour de l’état de la situation.

[146]     Or, dans un arrêt de 2013 rendu, je le précise, postérieurement au jugement entrepris, cette Cour, sous la plume de la juge Bich, fait un tour d’horizon de la question. Il convient de reproduire ici ce qu’écrit ma collègue :

[61]      Par ailleurs, l'examen de la jurisprudence récente de la Cour et de celle des autres cours d'appel du Canada en matière de contacts sexuels indique un certain rehaussement de la sévérité des peines, et ce, depuis au moins 2003. Il est vrai qu'on y trouve des arrêts faisant montre d'une clémence analogue à celle de l'espèce, parfois pour des raisons similaires (comme dans R. c. Fournel, où l'on confirme une peine de 45 jours d'emprisonnement ou, tout récemment, dans R. c. Daoust) ou d'autres raisons encore (comme dans R. c. E.B., où l'on confirme une peine de 60 jours), mais l'on y trouve en général des peines passablement sévères.

[62]      Les faits de l'arrêt Fournel présentent certaines ressemblances avec ceux de l'espèce en ce que l'intimé avait également plaidé coupable à une accusation de leurre et une accusation de contacts sexuels. Ces derniers se limitaient cependant à avoir embrassé et « collé » occasionnellement la victime, sur une période de quelques mois seulement. Les contacts, dans notre dossier, même s'ils incluent certains gestes de ce type, sont plus sérieux et se sont répétés pendant deux ans; ils incluent aussi cinq incidents de masturbation, qui n'ont rien de bénins.

[63]      L'affaire Daoust se compare également à l'espèce sur certains points et s'en distingue sur d'autres. L'intimé, au terme d'un procès, est déclaré coupable de contacts sexuels et d'incitation à des contacts sexuels (art. 151 et 152 C.cr.). Plus précisément, il s'est laissé aller à une relation complète (pénétration et éjaculation) avec une enfant de 12 ans, déjà active sexuellement. Selon ce qu'on comprend du récit des faits relatés par le jugement sur la culpabilité, la commission de l'infraction paraît relever de la perte de jugement momentanée. L'intimé, un individu non criminalisé, a par ailleurs reconnu sa problématique et suivi une thérapie de son propre chef. Le risque de récidive est faible, voire inexistant, et sa réhabilitation assurée. Il est par ailleurs le seul parent responsable d'une enfant de 9 ans, dont il a la garde (que la mère, toxicomane, n'est pas en mesure d'assumer). Faisant primer l'objectif de réhabilitation, la juge de première instance impose à l'intimé une peine d'emprisonnement de 90 jours, assortie d'une ordonnance de probation de 3 ans avec obligation d'exécuter des travaux communautaires et de verser 2 000 $ au Centre d'aide aux victimes d'actes criminels. La Cour confirme cette peine mais l'on notera tout de même qu'au paragraphe [3] de son arrêt, elle juge utile de souligner qu'il « s'agit ici d'un cas se situant à la frontière du pouvoir d'intervention de la Cour alors que la jurisprudence rappelle avec insistance l'obligation pour les cours d'appel de faire montre de retenue à l'égard des décisions rendues en matière de peine ». L'affaire mériterait en effet le qualificatif de « cas limite » et se révèle inhabituelle.

[64]      L'affaire E.B., précité, est tout aussi inhabituelle. La situation, très particulière, vise des abus sexuels commis par l'intimé sur la personne de sa jeune belle-sœur, de nombreuses années auparavant, le tout s'inscrivant dans un contexte de violence sexuelle généralisée dans une certaine communauté autochtone. L'intimé s'était complètement réhabilité et était même devenu, avant la dénonciation, un pilier de sa communauté. Les abus avaient fait l'objet d'accusations en vertu de l'article 153 C.cr. qui, à l'époque, prévoyait une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et ne prévoyait aucune peine minimale (par comparaison, à l'époque des faits de la présente affaire, la peine maximale prévue par l'article 153 avait été portée à 10 ans, avec une peine minimale de 45 jours, comme dans le cas de l'article 151 C.cr.).

[65]      Dans Guénette c. R., où il s'agit également d'accusations portées en vertu de l'article 153 C.cr., la Cour substitue à une peine de 15 mois d'emprisonnement ferme une peine de 15 mois d'emprisonnement avec sursis. L'appelant est l'entraîneur d'une équipe sportive à laquelle appartient sa victime, âgée de 14 à 16 ans au moment où il se livre à des attouchements sexuels sur sa personne. Il plaide coupable à une accusation régie par l'article 153(1)a) C.cr., punissable à l'époque d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans. La victime était particulièrement vulnérable en raison d'une situation familiale difficile. L'appelant, sans antécédents judiciaires, présentait un profil de réhabilitation semblable à celui de l'espèce, le risque de récidive étant faible. Évidemment, la gravité objective du crime était moindre qu'en l'espèce, du moins à cette époque. La gravité subjective, cependant, était supérieure, l'appelant et sa victime, dans cette affaire, s'étant comportés comme un couple pendant plus de deux ans. Sans discuter de la question de savoir si 15 mois d'emprisonnement avec sursis équivalent à 90 jours d'emprisonnement discontinu, cela illustre tout de même que la clémence en ces matières n'est pas exceptionnelle lorsqu'on a affaire à des délinquants comme l'intimé.

[66]      Par contraste, on peut mentionner l'affaire R. c. Aubut, qui implique une relation sexuelle complète et une fellation (en un seul et même événement), ainsi qu'un leurre informatique d'une nature assez particulière. La Cour a confirmé l'imposition d'une peine d'emprisonnement de douze mois. Dans M. H. c. R., la Cour confirme un emprisonnement de trois ans pour des contacts sexuels incluant divers attouchements ainsi qu'au moins une fellation par une enfant de 4 ou 5 ans (le bas âge de l'enfant constituant un facteur aggravant). Dans M.P. c. R., la Cour confirme la peine de quinze mois d'emprisonnement imposée à l'appelant, âgé de 20 ans à l'époque pertinente, qui a plaidé coupable à deux accusations visées par les articles 151 et 152 C.cr., pour des faits commis, au cours d'une période de trois mois, sur la personne de son demi-frère, alors âgé de 13 ans (il s'agissait de cinq actes de masturbation).

[67]      Dans G.D. c. R., l'appelant, qui est le conjoint de la sœur de la victime, est trouvé coupable des actes criminels visés par les articles 151, 152 et 153 C.cr., tels qu'en vigueur au cours de la période 1991 à 1994 (quand la victime avait moins de 14 ans) et de 1994 à 1998 (quand la victime avait moins de 18 ans). Dans le premier cas, les gestes délictuels ne sont pas décrits (on sait qu'ils n'impliquent pas de sodomie), mais se seraient produits une quinzaine de fois; dans le second cas, on aurait compté une dizaine d'actes répréhensibles, dont un acte de sodomie ou de tentative de sodomie par la victime sur la personne de l'appelant. Le juge de première instance condamne ce dernier à une peine globale de six ans d'emprisonnement. La Cour intervient pour diverses raisons (le juge ayant considéré comme aggravants des facteurs qui ne l'étaient pas, mais correspondaient plutôt aux éléments essentiels d'une infraction; les parties ont omis de signaler au juge que, dans le cas de l'article 153 C.cr., la peine maximale était, à l'époque, de cinq ans d'emprisonnement, etc.). Elle impose, sur chaque chef, une peine de trois ans d'emprisonnement à l'appelant, à purger concurremment. L'appelant dans cette affaire, notons-le, ne manifestait pas les signes de réhabilitation que présente l'intimé en l'espèce.

[68]      Dans St-Pierre c. R., l'appelant a plaidé coupable aux accusations suivantes : distribution de pornographie juvénile, communication, au moyen d'un ordinateur, avec une personne âgée de moins de 14 ans à des fins d'ordre sexuel (leurre), refus de se conformer à une peine spécifique, possession de pornographie juvénile et complot en vue de se porter à des attouchements sexuels sur une personne de moins de 14 ans et en vue de produire de la pornographie juvénile. Le juge de première instance lui a imposé une peine de huit ans et demi d'incarcération moins une période de 13 mois, soustraite afin de tenir compte d'une détention provisoire de 6 mois et demi. Au paragraphe 9 de cet arrêt, la Cour (qui réduit la peine de 8,5 ans à 42 mois) écrit ce qui suit au sujet de la fourchette des peines applicables à l'infraction visée par l'article 151 C.cr. :

[9]         À cet égard, une revue de la jurisprudence canadienne montre que :

- pour le crime de contact sexuel sur une personne âgée de moins de 14 ans (article 151 C.cr.), les peines varient entre 9 mois et 3 ans d'emprisonnement. [Renvoi omis.]

[…]

[69]      La jurisprudence à laquelle il est fait renvoi dans ce paragraphe concerne des infractions commises par un délinquant généralement sans antécédents judiciaires, à une époque où l'emprisonnement maximal prévu par l'article 151 C.cr. est de 10 ans.

[70]      Bref, dans l'ensemble, la jurisprudence relative aux infractions visées par l'article 151 C.cr., comme, de façon générale, aux infractions sexuelles commises à l'endroit de personnes mineures, permet de constater, y compris dans le cas des délinquants sans antécédents judiciaires, une fourchette qui, malgré sa grande variabilité, reflète une sévérité grandissante des peines, et ce, au nom d'un objectif de dénonciation et de dissuasion dont le législateur a fait par ailleurs, à l'article 718.01 C.cr., le sujet d'une attention particulière.

[71]      C'est d'ailleurs ce qu'a constaté notre cour, récemment, dans R. c. Lavoie, où elle reprend avec approbation les propos du juge Moldaver (alors à la Cour d'appel de l'Ontario) dans R. v. D. D. :

[30]       Dans l'arrêt de la Cour d'appel d'Ontario R. c. D. D., le juge Moldaver, aujourd'hui à la Cour suprême du Canada, établissait un ordre croissant de fourchettes de peines en matière d'infractions sexuelles commises envers des enfants :

44.      To summarize, I am of the view that as a general rule, when adult offenders, in a position of trust, sexually abuse innocent young children on a regular and persistent basis over substantial periods of time, they can expect to receive mid to upper single digit penitentiary terms. When the abuse involves full intercourse, anal or vaginal, and is accompanied by either acts of physical violence, threats of physical violence, or other forms of extortion, upper single digit to low double digit penitentiary terms will generally be appropriate, Finally, in cases where these elements are accompanied by a pattern of severe psychological, emotional and physical brutalization, still higher penalties will be warranted. [Références omises.]

[72]      On trouve le même constat et la même sévérité dans R. v. Dragos et R. v. Vuradin (qui renvoie à R. v. C.P.S.).

[73]      Ces propos, bien sûr, doivent être adaptés à chaque situation, selon la nature de l'infraction, la peine maximale prévue par le législateur (en l'espèce, 10 ans) et le fait que certaines peines peuvent être imposées de manière consécutive. En l'occurrence, la nature des attouchements auxquels s'est livré l'intimé sur la personne de la plaignante les situe dans la première des catégories délictuelles décrites par le juge Moldaver dans l'arrêt D. D., qui commanderait à son avis une peine de pénitencier, c'est-à-dire un emprisonnement de deux ans ou plus.

[74]      L'examen de la jurisprudence révèle également que, lorsque la personne qui abuse de l'enfant ou de l'adolescent touche directement aux parties génitales de sa victime, ou se fait toucher ainsi, les peines tendent à être plus sévères que dans les cas d'attouchements à d'autres parties du corps, surtout si, dans ce dernier cas, les vêtements ne sont pas enlevés ou soulevés. C'est ce qu'illustrent, pour n'en donner que deux exemples contraires, l'arrêt Fournel, précité, où il n'est pas question d'attouchements aux parties génitales, et l'arrêt M. H. c. R., précité, où il en est question. Dans ce cadre, l'arrêt Daoust fait figure d'exception. La jurisprudence est plus sévère également (bien que, là encore, il y ait des exceptions) dans le cas où l'abus se double d'une violation du lien de confiance ou d'autorité liant la victime et son agresseur (voir, par exemple, les arrêts R. v. Vuradin et R. v. C.P.S., précités).[63]

[Références omises, je souligne et j’ajoute les caractères gras.]

[147]     Il est à noter que dans l’arrêt précité, la Cour casse la peine d’emprisonnement de 90 jours et y substitue une peine de 12 mois, devant le contexte suivant :

[12]      […]

Pierre Bergeron Jr était l'entraîneur d'haltérophilie de X depuis 5 ans.

Une relation particulière s'est développée entre l'athlète et son entraîneur. Pierre Bergeron Jr avait de l'admiration pour X et celle-ci le respectait et croyait dans les perspectives qu'il projetait pour sa carrière d'haltérophile.

Alors que X avait 12 ans, Pierre Bergeron Jr a débuté à avoir des conversations de type chat sur MSN et Facebook avec celle-ci. De banales, pouvant toucher des sujets aussi variés que l'haltérophilie ou les préoccupations de la vie quotidienne, ces conversations sont devenues graduellement de plus en plus explicites sexuellement au fil des ans. X avait 13 ans la première fois que Pierre Bergeron Jr lui a demandé de montrer ses seins à la webcam, par-dessus ses vêtements. La victime avait environ 14 ans lorsque les échanges à caractère sexuel se sont intensifiés et où elle partageait avec Pierre Bergeron Jr des fantasmes.

Éventuellement, les échanges sur Internet ont mené à des conversations de même nature alors que Pierre Bergeron Jr allait reconduire X chez elle. À de multiples reprises dans la voiture, M. Bergeron a fait des touchers aux seins, aux cuisses, aux fesses et au ventre de X par-dessus ses vêtements. À 5 reprises, Pierre Bergeron Jr a fait des attouchements à X directement sur sa vulve avec ses doigts (masturbation). X n'a jamais touché elle-même directement aux parties génitales de Pierre Bergeron Jr. Ce dernier n'a jamais usé de violence envers la victime, celle-ci encourageant parfois les gestes.

Une fois, au Club Fortius, lieu d'entraînement de X, Pierre Bergeron Jr a touché, avec ses parties génitales, les fesses de X. Celle-ci a pu remarquer le pénis en érection de l'accusé à ce moment.

Après les événements où il y a eu des contacts de nature sexuelle, Pierre Bergeron Jr présentait ses excuses à X et exprimait des remords. Il arrivait aussi, vers la fin de 2010 et/ou le début de 2011, que M. Bergeron mentionne à la victime qu'il pourrait aller en prison pour ce qu'il avait fait. Il lui a aussi dit quelques fois que cela ne devait plus se reproduire mais recommençait. En janvier 2011, après une dernière mise au point faite à ce sujet par M. Bergeron, les comportements à caractère sexuel ont cessé.

Lors d'un interrogatoire policier, Pierre Bergeron Jr reconnaît d'entrée de jeu sa culpabilité. Il semble conscient que ses gestes sont condamnables et clame ne pas souhaiter faire davantage de tort à X. Il a par ailleurs démissionné de son poste à la FHQ (Fédération d'Haltérophilie du Québec) ainsi qu'à celui d'entraîneur au Club Fortius.[64]

[148]     Or, s’il faut retenir de ce qui précède qu’il y a lieu de mettre l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui induit une sévérité grandissante quant aux peines de contact sexuel, la clémence (ou une certaine clémence) n’en devient pas pour autant exceptionnelle lorsque les circonstances le justifient.

[149]     Le présent cas est singulier. Malgré ce qu’en dit l’appelant, les gestes posés ne sont pas anodins, alors qu’il y a plusieurs victimes et que les incidents sont répétés. Toutefois, ces gestes se situent nettement au bas de l’échelle de gravité et le contexte ne présente pas le même niveau de réprobation que la très vaste majorité des cas jurisprudentiels cités au juge de première instance, tous dans un contexte d’abus de confiance ou d’autorité. Si le comportement de l’appelant doit être dénoncé, l’impact sur les victimes apparaît beaucoup moins important qu’il ne l’est généralement dans ce genre de dossier. Enfin, puisque le dossier révèle que l’appelant est un candidat idéal à la réinsertion sociale, et tout en ayant à l’esprit les objectifs de dénonciation et de dissuasion, il y a tout de même lieu de se soucier de ne pas mettre en péril cette réinsertion, d’autant plus que plus de sept années se sont écoulées depuis la survenance des événements sans aucun incident dans le contexte des sévères conditions qui lui ont été imposées et qu’il a toujours respectées.

[150]     Dans les cas recensés pertinents au présent dossier, moins graves ou de gravité similaire, la peine imposée n’est jamais supérieure à 12 mois. À l’inverse, dans ceux où la peine posée est égale ou supérieure à 12 mois, les gestes apparaissent plus graves que ceux du présent dossier[65]. Plusieurs cas portant sur des gestes posés analogues ou plus graves donnent lieu à des peines d’emprisonnement, discontinu ou non, de 90 jours[66].

[151]     En l’espèce, alors qu’aucun facteur aggravant inhabituel ne justifie de s’éloigner du bas de l’échelle pertinente, et tenant compte de l’erreur commise par le juge au sujet des facteurs aggravants dont je discute à la section suivante de mes motifs, la peine imposée de 15 mois me paraît nettement déraisonnable, d’autant plus que le juge était en présence de plusieurs facteurs atténuants.

[152]     Voilà pourquoi, à mon avis et dans le respect de la norme applicable, il nous faut ici intervenir.

[153]     À la lumière de ce qui précède, dans les circonstances de l’espèce et afin de permettre à l'appelant, notamment, de conserver l'emploi qu'il occupe depuis maintenant plusieurs années dans un nouveau secteur d'activité, des peines d’emprisonnement discontinu de 90 jours pour chacun des chefs 2, 4, 5, 7, 9, 11 et 13, purgées concurremment, tenant compte des autres conditions imposées par le juge de première instance, me paraissent indiquées. 

Cinquième proposition : Erreur - facteur aggravant

[154]     En premier lieu, l’appelant a raison de soutenir que les déclarations de victimes déposées au dossier n’étaient pas rédigées selon le formulaire prévu à la loi, alors qu’il est non seulement souhaitable, mais aussi requis que ce soit le cas. Cela dit, puisqu’il ne s’y est pas opposé au moment opportun, il peut difficilement s’en plaindre étant donné le caractère plus informel de l’audition sur la peine.

[155]     En second lieu, je retiens cependant que le juge n’a vraisemblablement pas tenu compte des déclarations des parents qu’il ne cite pas et auxquelles il ne réfère pas, si ce n’est que pour dire qu’elles ont été déposées.

[156]     En troisième lieu, quant aux déclarations de deux des victimes dont le juge cite certains extraits à son jugement, et bien qu’elles ne respectent pas la Formule SJ-753, adoptée en vertu de l’article 722(2) C.cr. alors qu’une attitude proactive du ministère public pour en assurer l’utilisation est souhaitable, je fais miens les propos suivants de cette Cour dans l’affaire Cook :

[58]      As this ground of appeal relates to the manner in which the trial judge treated the written victim impact statement prepared by Mme Frenière's daughter Nataly Dupuis and her subsequent sworn testimony during which she read the statement, I believe it is useful to first review the provisions in the Criminal Code that relate to such statements.

[…]

[60]      In this instance, the statement was not in accordance with the form prescribed and the procedures contemplated by subsection 722(2)(a) Cr. C., but the trial judge was nevertheless able to make use of the written statement and testimony pursuant to subsection 722(3) Cr. C.

[…]

[65]      Therefore, in my opinion it is clear that Parliament intended that however a victim impact statement may be prepared or delivered, a trial judge engaged in the sentencing process must consider it. To the extent any such statement may stray into areas beyond its purpose, such as by proposing a sentence, seeking to achieve personal revenge, speaking to the character of the accused, or stating facts relating to the offence that are not in the record, trial judges are accustomed to taking no account of whatever is irrelevant.

[…]

[67]      It is easy to see from the circumstances of this case, as well as those mentioned by Martin, J. in the extract that I have just quoted, that the actual presence of a victim and his or her subsequent testimony is more likely to make an impression than the mere completion of the form prescribed by the Lieutenant Governor in Council in accordance with subsection 722(2) Cr. C. In Quebec, that form certainly elicits appropriate information relating to physical, psychological and economic consequences of the commission of an offence, but it leaves little scope for the kind of eloquent commentary given by Mme Dupuis on which the trial judge relied.

[68]      I see no reason in principle why a victim impact statement, however it may be prepared or delivered, cannot be used by a trial judge in assessing whether any of its contents can constitute aggravating or mitigating factors. As Prof. Julian Roberts, a recognized scholar in the field of sentencing has recently written, there is no statistical data that suggests that doing so increases the severity of sentences.[67]

[Références omises.]

[157]     Cela me paraît d’autant plus à-propos que je rappelle que l’appelant ne s’est pas opposé à leur dépôt devant le juge en première instance et que la majorité du contenu de ces déclarations aurait pu être insérée dans la section 2.1 de la Formule SJ-753, laquelle pose la question suivante :

En quoi l’acte criminel vous a-t-il affecté au moment où il a été commis? Comment vous affecte-t-il encore aujourd’hui? (par exemple : troubles émotifs ou psychologiques ou conséquences sur votre mode de vie ou vos habitudes, tels que perte de mémoire ou de concentration, insomnie, phobie, crainte, nervosité, agressivité, etc.).

[158]     Ainsi, la difficulté ne réside pas tant dans le fait que le juge utilise le contenu de ces déclarations que dans les conclusions qu’il semble en avoir tiré alors qu’il énonce, au paragraphe 26 de son jugement, portant sur les facteurs aggravants, les conséquences victimologiques à long terme. Dans le dossier, le « long terme » n’est ni l’objet de ces déclarations, ni celui de la preuve administrée lors du procès, ni une inférence logique qu’il est possible d’en tirer.

[159]     Dans ces circonstances, il convient de donner raison à l’appelant sur ce moyen d’appel et de retenir que le juge a commis une erreur dans l’énoncé des facteurs aggravants.

[160]     Conséquemment, il y aura lieu d’accueillir l’appel portant sur la peine.

Conclusions

[161]     En raison de tout ce qui précède, je propose le rejet de l’appel dans le dossier 500-10-005110-125 (dossier du verdict) et une intervention dans le dossier 500-10-005263-122 (relatif à la peine).

[162]     Dans ce dernier dossier, je propose donc d’accueillir la requête pour permission d’appeler et d’accueillir l’appel pour substituer aux peines imposées une peine d’emprisonnement discontinu de 90 jours sur chacun des chefs d’accusation 2, 4, 5, 7, 9, 11 et 13, toutes les peines devant être purgées concurremment, en conservant telles quelles les ordonnances, dont l’ordonnance de probation, pour minimiser le risque de récidive.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 



[1]     R. c. Morasse, 2012 QCCQ 363, J.E. 2012-384 (C.Q.).

[2]     R. c. Morasse, 2010 QCCQ 3996.

[3]     R. c. Morasse, 2012 QCCQ 7102.

[4]     R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45.

[5]     R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293.

[6]     R. v. Morrisey, 2011 ABCA 150, [2011] A.J. No. 553.

[7]     R. c. W.(R.), [1992] 2 R.C.S. 122.

[8]     R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742.

[9]     R. c. Dinardo, [2008] 1 R.C.S. 788, 2008 CSC 24.

[10]    R. c. L. (J.-J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.), J.E. 98-814 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, 1er octobre 1998, 26653.

[11]    R. c. S.H., 2007 QCCA 998, J.E. 2007-1465 (C.A.).

[12]    G.L. c. R., 2008 QCCA 2401, J.E. 2009-68 (C.A.).

[13]    St-Pierre c. R., 2008 QCCA 893, J.E. 2008-1073 (C.A.).

[14]    Gavin c. R., 2009 QCCA 1, J.E. 2009-122 (C.A.).

[15]    R. c. Morasse, 2010 QCCQ 3995.

[16]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 1.

[17]    Laroche c. R., 2011 QCCA 1891, J.E. 2011-1791 (C.A.), paragr. 30-35.

[18]    R. c. Clunas, [1992] 1 R.C.S. 595.

[19]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 1

[20]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 16.

[21]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 18.

[22]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 25.

[23]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 27.

[24]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 33.

[25]    R. c. Last, [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 14 et 21; R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333, 351, 354.

[26]    Houle c. R., J.E. 2003-364 (C.A.), paragr. 56 et 57.

[27]    R. c. Morasse, 2010 QCCQ 3996, paragr. 17.

[28]    R. c. Morasse, 2010 QCCQ 3996, paragr. 26.

[29]    Voir à cet égard R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58, paragr. 52.

[30]    [2009] 3 R.C.S. 146, 2009 CSC 45, paragr. 34.

[31]    2012 QCCA 1417, J.E. 2012-1658 (C.A.), paragr. 33.

[32]    En fait, l’exclusion demeure la règle : R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, paragr. 31.

[33]    S. Casey Hill, David M. Tanovich et Louis P. Strezos, McWilliam’s Canadian Criminal Evidence, 5th ed., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters Canada Limited, p. 10-49.

[34]    R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56. Voir aussi R. c. B. (C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717.

[35]    R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, paragr. 82, repris dans R. c. Perrier, [2004] 3 R.C.S. 228, paragr. 22.

[36]    R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, paragr. 83.

[37]    R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56.

[38]    Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 2014, 21e édition, Éditions Yvon Blais, 627, p. 270.

[39]    Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 21e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. 627, p. 270.

[40]    R. c. Handy, [2002] 2 R.C.S. 908, 2002 CSC 56, paragr. 91.

[41]    Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 21e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. 625, p. 268.

[42]    R. c. B.(C.R.), [1990] 1 R.C.S. 717, 733; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, au paragr. 42; Houle c. R., J.E. 2003-364 (C.A.), paragr. 72. Voir également : S. Casey Hill, David M. Tanovich et Louis P. Strezos, McWilliam’s Canadian Criminal Evidence, 5th ed., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters Canada Limited, p. 10-95 à 10-97.

[43]    R. c. Morasse, 2012 QCCQ 363, J.E. 2012-384 (C.Q.), paragr. 99.

[44]    Voir notamment : R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, 2002 CSC 26; R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, paragr. 41; R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17; R. c. Dinardo, [2008] 1 R.C.S. 788, 2008 CSC 24; R. c. Vuradin, [2013] 2 R.C.S. 639, 2013 CSC 38.

[45]    R. c. R.E.M., [2008] 3 R.C.S. 3, 2008 CSC 51, paragr. 35.

[46]    Houle c. R., J.E. 2003-364 (C.A.), paragr. 71.

[47]    J.R. c. R., 2014 QCCA 869, J.E. 2014-844 (C.A.), requête en prolongation de délai accueillie et requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2014-12-11), 36047.

[48]    R. c. L. (J.-J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.), J.E. 98-814 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, 1er octobre 1998, 26653.

[49]    R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948; R. c. W.(G.), [1999] 3 R.C.S. 597.

[50]    R. c. L. (J.-J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.), J.E. 98-814 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, 1er octobre 1998, 26653. Voir également : R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, J.E. 2013-119 (C.A.), paragr. 35-36; G.L. c. R., 2008 QCCA 2401, J.E. 2009-68 (C.A.), paragr. 22; R. c. R.D., 2008 QCCA 1641, J.E. 2008-1771 (C.A.), paragr. 60.

[51]    R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, J.E. 2013-119 (C.A.).

[52]    2010 QCCA 16, paragr. 49.

[53]    R. c. L. (J.-J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, 1er octobre 1998, 26653.

[54]    R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, 2010 CSC 6, paragr. 42.

[55]    Nguyen c. R., 2010 QCCA 1482, J.E. 2010-1547.

[56]    St-Pierre c. R., 2008 QCCA 893, J.E. 2008-1073 (C.A.); R. c. R.D., 2008 QCCA 1641, J.E. 2008-1771 (C.A.); R. c. W.R.A., [1997] B.C.J. No. 973, 89 B.C.A.C. 250, 34 W.C.B. (2d) 431; R. c. Bilodeau, J.E. 2002-971 (C.Q.); R. c. Roberge, J.E. 2000-772 (C.Q.); R. v. Makarenko, [1994] O.J. No. 2368 (Ont. C.J.), 1994 CarswellOnt 3784 (Ont. C.J.); Colas c. R., J.E. 97-1759 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 1998-03-05), 26269; R. c. Guillemette, J.E. 2005-1218 (C.Q.); R. c. Richard, J.E. 91-980 (C.A.).

[57]    R. c. W.R.A., [1997] B.C.J. No. 973, 89 B.C.A.C. 250, 34 W.C.B. (2d) 431.

[58]    R. c. Guillemette, J.E. 2005-1218 (C.Q.).

[59]    R. c. Roberge, J.E. 2000-772 (C.Q.).

[60]    R. v. W.R.A., [1997] B.C.J. No. 973, 89 B.C.A.C. 250, 34 W.C.B. (2d) 431.

[61]    St-Pierre c. R., 2008 QCCA 893, J.E. 2008-1073 (C.A.).

[62]    R. v. R.B.J., [2007] A.J. No. 223, 2007 ABPC 61; R. v. J.G.C. (Crotty), [2004] N.J. No. 144 (N.L.T.D.).

[63]    R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, J.E. 2013-119 (C.A.).

[64]    R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, J.E. 2013-119 (C.A.).

[65]    En plus des décisions mentionnées dans R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, J.E. 2013-119 (C.A.) et de cette même décision, voir à titre d’exemples québécois : R. c. Abran, 2013 QCCQ 8776, requête pour permission d'appeler rejetée, 2013 QCCA 1841; R. c. S.D., 2013 QCCQ 6900; R. c. E.C., 2012 QCCQ 18690; R. c. M.F., 2008 QCCQ 9958; R. c. A.R., 2008 QCCQ 6493; R. c. Y.C., 2008 QCCQ 1087; R. c. G.T., 2007 QCCQ 11883.

[66]    R. c. Daoust, 2012 QCCA 2287; R. v. C.L., 2013 ONSC 277, [2013] O.J. No. 114; R. c. Bérubé, 2010 QCCQ 882; R. c. Bernier, 2010 QCCQ 6701; R. v. M.E.H., 2009 BCPC 315, [2009] B.C.J. No. 2053; R. c. M.F., 2008 QCCQ 9958.

[67]    Cook c. R., 2009 QCCA 2423, J.E. 2010-126 (C.A.), requête en prolongation de délai accueillie et requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2010-06-10), 33626.

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