Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Bradley (Re)

2018 QCCA 1145

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009462-174

 

(2015-CMQC-105)

 

DATE :

12 juillet 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

DANS L’AFFAIRE DE : L’HONORABLE R. PETER BRADLEY

Juge de la Cour du Québec

 

MINISTRE DE LA JUSTICE ET PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Requérante

 

 

 

 

R. PETER BRADLEY

Demandeur

c.

 

CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC

Défendeur

 

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Mise en cause

 

 

 

 

RAPPORT DE LA COUR D’APPEL *

 

 

[1]           La ministre de la justice du Québec demande à la Cour de lui faire rapport selon l’art. 95 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, quant à la conduite du juge R. Peter Bradley, de la Cour du Québec.

[2]           Dans le cours de l’enquête de la Cour d’appel sur sa conduite, le juge Bradley a présenté une demande en contrôle judiciaire de la décision du comité d’enquête formé en vertu de cette loi.

SUR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE, LA COUR :

[3]          Pour les motifs de la juge en chef, auxquels souscrivent les juges Hilton et Levesque, ainsi que pour les motifs distincts de la juge Bich, auxquels souscrit la juge Dutil, et pour les motifs concourants du juge Hilton,

[4]           REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

SUR LA DEMANDE DE RAPPORT DE LA MINISTRE, LA COUR :

[5]           Pour les motifs de la juge en chef, auxquels souscrivent les juges Bich, Dutil et Levesque,

[6]           DÉCLARE que le juge Bradley a enfreint les art. 1, 6 et 8 du Code de déontologie de la magistrature,

[7]           RECOMMANDE que la ministre ne procède pas à démettre le juge Bradley,

[8]           DÉCLARE qu’une réprimande s’imposait,

[9]           CONFIRME la sanction imposée par les membres minoritaires du comité d’enquête, soit la réprimande.


 

[10]        Pour sa part, et pour ses propres motifs, le juge Hilton, dissident en partie, aurait recommandé que la ministre procède à démettre le juge Bradley.

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

Me Louis Masson

Me Bénédicte Dupuis

Joli-Coeur Lacasse

Pour R. Peter Bradley

 

Me Dominique Rousseau

Lavoie Rousseau

Pour la ministre de la Justice et procureure générale du Québec

 

Me Pierre Laurin

Tremblay Bois Mignault

Pour le Conseil de la magistrature du Québec

 

Me François LeBel

Accompagné de : 

Me Jean-Benoît Pouliot et Me Victoria Brown

Langlois avocats

Procureur désigné pour assister la Cour d’appel

 

Date d’audience :

Les 21, 22 et 23 novembre 2017



 

 

MOTIFS DE LA JUGE EN CHEF

 

 

[11]        La présente enquête fait suite à une recommandation de destitution faite par la majorité du comité d’enquête saisi d’une plainte contre le juge R. Peter Bradley[1] dans le cadre de l’affaire Drolet c. Drolet en division des petites créances de la Cour du Québec. Deux membres du comité ont été dissidents sur la sanction.

[12]        La plainte du demandeur Drolet reprochait au juge Bradley les comportements suivants :

-          n’avoir eu aucun respect à son endroit;

 

-          avoir critiqué les points les plus importants de son dossier;

 

-          avoir ignoré ses réponses;

 

-          lui avoir reproché de chercher à produire des preuves de paiement (au chapitre de ses troubles et inconvénients);

 

-          avoir voulu l’obliger à négocier avec le défendeur Drolet, qui était de mauvaise foi vu sa réaction initiale;

 

-          n’avoir manifesté que du mépris à son égard;

 

-          avoir pris plaisir à remettre la cause, en lui faisant perdre son temps.

[13]        Sur la question des manquements au Code de déontologie de la magistrature[2], le Comité conclut à l’unanimité que le juge Bradley a délibérément refusé d’entendre la cause de M. Drolet (et donc d’exercer sa fonction), sous prétexte qu’il cherchait à concilier les parties alors que les circonstances ne s’y prêtaient pas et que les parties avaient clairement manifesté leur intention de procéder et sans que rien ne justifie la remise de l’audience.

[14]        Le comité conclut que le juge Bradley a enfreint les articles 1 et 6 du Code de déontologie, qui exposent que :

1. Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit.

6. Le juge doit remplir utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires et s’y consacrer entièrement.

[15]        Le Comité retient également que le juge Bradley a tenu des propos déplacés et blessants à l’égard du plaignant, qu’il a manqué à son devoir d’accueillir et d’écouter les justiciables et qu’il a adopté une attitude intransigeante qui déconsidère l’administration de la justice, en contravention de l’article 8 du Code de déontologie :

8. Dans son comportement public, le juge doit faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité.

[16]        En ce qui a trait à la sanction appropriée cependant, le comité se divise.

[17]        D’un côté, la majorité composée de la juge Côté, de Me Jobin-Laberge et de M. Sumu, d’avis qu’il y a lieu de démettre le juge Bradley, propose au Conseil de la magistrature de recommander à la ministre de la Justice et procureure générale de présenter une demande à la Cour d’appel conformément à l’article 95 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[3] (ci-après « L.t.j. »).

[18]        Les événements plus haut relatés constituent une récidive. La majorité qualifie cette récidive de « grave » et conclut que la destitution s’impose.

[19]        Les juges Audet et Hébert ont une opinion divergente sur les conséquences de cette récidive. Ils sont plutôt d’avis qu’une recommandation de destitution ne constitue pas une sanction équitable, juste et proportionnelle dans les circonstances, et ce, malgré la gravité des violations et le fait qu’il s’agisse d’une récidive. Selon le juge Audet, il est permis d’espérer que le juge Bradley s’amendera à l’avenir et qu’il révisera sa conception de la volonté du législateur de favoriser le règlement à l’amiable des litiges[4]. Le juge Hébert rappelle quant à lui que pour retenir la voie de la destitution, il faut atteindre l’intime conviction que le juge ne peut d’aucune façon continuer à exercer ses fonctions et que le principe d’inamovibilité ne s’applique plus à lui. La mesure est réservée aux situations d’une gravité exceptionnelle et, sans banaliser les manquements établis en l’espèce, ils n’appartiennent pas à cette catégorie[5]. Tout comme le juge Audet, le juge Hébert estime que l’on peut raisonnablement espérer qu’une réprimande sonnera l’alarme de façon à ce que le juge Bradley amende sa conduite sans délai[6].


 

LE CONTEXTE

[20]        Avant d’entrer dans les détails de la preuve faite devant la Cour dans le cadre de son enquête selon les dispositions de l’article 95 L.t.j., il convient d’énumérer les éléments de cette preuve :

1)    L’écoute du déroulement de l’audition devant monsieur le juge Bradley en division des petites créances.

 

2)    L’écoute du témoignage du juge Bradley devant le comité d’enquête, sous réserve d’une objection de non-pertinence logée par son avocat, devenue académique, le juge Bradley ayant pour l’essentiel répété devant la Cour ce qu’il avait dit au comité

 

3)    Le témoignage du juge Bradley devant cette Cour.

 

4)    Le dépôt d’un grand nombre de pièces, dont deux à l’audience, sous réserve d’une objection de non-pertinence qu’il n’y a pas lieu de retenir.

[21]        Les extraits suivants, tirés de l’audition devant le juge Bradley, illustrent son déroulement.

[22]        Voici l’entrée en matière :

La question que je vous pose, là : êtes-vous disposés à ce que je suspende, que vous alliez vous parler, carrément[7]?

[23]        Entrée en matière immédiatement suivie de ceci :

Parce que c’est pas un montant fabuleux, là, dans cette histoire-là, et vous pourriez facilement trouver un terrain d’entente.

Évidemment, là. Va falloir faire - regarder ça, là, parce que dans le quatre cent soixante-douze dollars (472 $), il y a des…il y a des items qui ne seraient pas accordés, de toute façon, là, ça c’est clair, ça, c’est déjà en partant…[8]

[24]        Le juge Bradley de poursuivre :

Puis dites-moi pas que vous l’avez fait avant, là, parlez-moi pas de ce qui s’est passé avant, moi, je veux pas le savoir, on parle de maintenant.

[…]

Donc, si vous acceptez de vouloir vous rencontrer puis de faire une entente, ben, comme je l’ai dit tout à l’heure, ce sera simplement un document que vous allez garder entre vous autres, après que le Tribunal l’ait examiné, à savoir : on est consentants à payer, selon l’entente, tel montant à monsieur, d’ici telle date et c’est tout, dossier réglé, on n’en parle « pus ».

Est-ce que c’est compris[9]?

[25]        La discussion se poursuit. Après que le demandeur ait expliqué qu’il réclame des frais de poste recommandée parce que le défendeur aurait refusé de signer l’avis de réception de sa mise en demeure, survient la remarque suivante[10] :

Monsieur, regardez : vous comprenez pas, hein, à l’évidence, là, vous comprenez pas, là, hein. 

[26]        Puis, la suggestion de conciliation revient, après une remarque que la réclamation du demandeur vaut au plus 466 $ « en chiffre rond »[11], suggestion présentée de la façon suivante :

Maintenant, si vous acceptez d’aller vous rencontrer pour discuter, de l’autre côté, pour voir s’il y a un compromis qui est possible, vous pourriez, éventuellement, regarder ça ensemble pour voir s’il y a pas quelque chose qui pourrait vous convenir, de part et d’autre.

Est-ce que vous comprenez ce que je vous dis[12]?

[27]        Le défendeur de répondre affirmativement. Le juge revient donc au demandeur :

Et vous, vous comprenez ce que je vous dis?

(Michel Drolet, demandeur) : Je comprends. J’ai déjà parlé à monsieur au téléphone.

(La Cour) :

Je vous parle pas - Laissez faire le téléphone, laissez faire le mois passé puis l’année passée, on est rendus ailleurs, on est rendus ici, aujourd’hui, hein, aujourd’hui, pis, là, je vous parle de ça.

Mais libre à vous, là, si vous voulez penser que vous avez droit à tout ça au montant complet, libre à vous de penser que vous avez droit à Michça toute, mais attention, là, va falloir que vous fassiez la preuve qu’ils ont commis une faute pis que, la faute qu’ils ont commise, faut qu’elle soit identifiée, la faute, faut qu’elle soit identifiée, la faute, puis c’est vous qui avez le fardeau de la preuve. [13]

[28]        Le juge Bradley, s’adressant au demandeur, enchaîne :

Eh bien voilà!

Alors, si vous pensez que vous avez tout ce qu’il faut pour procéder aujourd’hui, on peut procéder aujourd’hui, j’ai pas de problème.

[…]

Ceci étant, je reviens avec ma proposition ou ma suggestion : est-ce que vous seriez disposés, de part et d’autre, à ce que je suspende, présentement, juste suspendre, là, puis vous alliez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a un compromis raisonnable que vous pourriez faire?[14]

[29]        Le demandeur affirme un peu plus loin qu’il a compris. Le juge enchaîne :

Troisième possibilité : vous revenez : « On n’a pas d’entente, mais peut-être pas prêts à procéder aujourd’hui, faudrait peut-être que je regarde mon dossier davantage, pour voir si je suis capable de faire toutes les preuves nécessaires, selon la loi, pour prouver la faute puis la causalité.

À ce moment-là, vous pourriez dire : « Ben, moi, j’aimerais peut-être avoir une remise dans le dossier puis je pourrais consulter un avocat ou une avocate pour voir le genre de preuve que j’ai besoin de faire là-dedans.[15]

[30]        La conclusion de l’échange survient peu après :

Est-ce que ça va, c’est clair pour tout le monde, les trois (3) options, là?

Une : vous allez vous parler voir si vous êtes capables de vous entendre.

Si vous vous êtes entendus, ça va ben, c’est fini, on n’en parle « pus ».

Si vous êtes pas capables de vous entendre, ben là, vous avez deux (2) choix qui restent :

Un : on procède, on procède, avec la mise en garde que je vous ai faite, ou vous me dites : « Ah! Bin, on aimerait une remise pour mieux réévaluer notre dossier. 

[31]        Et le juge de persister :

Ça vous enlève rien, ça vous donne la chance de mieux vous préparer pour les fardeaux de preuve puis pour les preuves que vous avez à présenter; est-ce que c’est clair?

Ça marche-tu?

Vous avez compris tout ce que je viens de dire?

(Michel Drolet, demandeur) : Oui, j’ai compris.

[…]

Je veux procéder parce que j’ai déjà cons…

(La Cour) : oui, oui, on procède.

(Michel Drolet, demandeur) consulté un avocat…[16]

[32]        Le juge Bradley reproche alors au demandeur d’avoir juré devant lui. Quand ce dernier tente de lui expliquer, à deux reprises, qu’il ne faisait que rapporter la réponse[17] que lui avait faite le défendeur lorsqu’il avait voulu discuter de la situation avec lui, le juge fait la sourde oreille :

C’est la dernière fois que je vous entends sacrer ici.

(Le demandeur) D’accord. Mais c’est les paroles qu’il m’a dits, là.

(La Cour) :

Hein?

(Michel Drolet, demandeur) : Excusez-moi, là.

(La Cour) :

Vous allez apprendre à vous taire.

(Michel Drolet, demandeur) : Ouais.

(La Cour) : une personne raisonnable, surtout à votre âge, vous devriez être capable d’être un peu plus modéré.

(Michel Drolet, demandeur) : Excusez-moi, j’ai répété les paroles que monsieur m’a dits.

(La Cour) :

Vous avez bien fait de vous excuser!

Alors, ça me fait plaisir, on procède; c’est ça que vous voulez faire?

Procédons.

Je tiens à vous dire une chose cependant : c’est pas une bonne idée de pas essayer de vous asseoir pis de vous parler, pas une bonne idée, je tiens à vous le dire.

Pis, surtout avec le nouveau Code de procédure… là, la récréation, elle se termine.

Les parties qui viennent ici strictement pour essayer de visser l’autre dans le plancher parce qu’il est pas content puis « j’ai pas aimé son attitude » et tout, ta-ta-ta-ta, là, c’est terminé!

Prendre le temps de la Cour simplement pour donner une leçon à un autre, ça marche pas comme ça.

Mais, comme c’est un dossier qui a été ouvert en quatorze (14), on va procéder mais, la prochaine fois, ça… ça sera pas comme ça.

[…]

Ça fonctionnera pas, là, je vous le dis d’avance, là, vous avez pas rencontré votre fardeau de preuve[18].

[33]Après plusieurs remarques du juge Bradley, le demandeur suggère directement au défendeur de se parler. Ce dernier décline, disant qu’il a très bien compris. Il souhaite toutefois déposer un document, soit un certificat de localisation. Ce qui déclenche l’échange suivant :

Vous avez tellement bien compris que c’est non, pis ça va être remis pis ça va être à vos frais. [C’est-à-dire, ceux du défendeur.]

[…]

Si vous voulez pas vous asseoir, là, moi, on procède pas ici aujourd’hui, parce que les pièces doivent être déposées par tout le       monde avant le procès[19].

[34]        Le défendeur exprime son accord. Le juge enchaîne :

Pis là, ça fait longtemps, là, que, ça, c’est indiqué, là, hein, c’est ça, c’était bien indiqué.

Pis là, là, quand vous êtes venu ici, là, c’est au mois de décembre, pas deux mille quinze (2015), là, en deux mille quatorze (2014); il s’est rien passé depuis ce temps-là.

(Le défendeur) : Vous avez raison, Monsieur le Juge.

(La Cour) : Oui, je sais ça. Bon. Alors … non, je - on procède pas, c’est of… c’est officiel, là, vous allez remettre toutes vos pièces à monsieur, pour que monsieur en prenne connaissance, c’est évident.

(Le défendeur) : Ce n’est qu’une (1) seule feuille de… de papier.

(La Cour) : C’est pas une (1) seule feuille! Non, non. Une (1) seule feuille, ça peut changer beaucoup de choses.

(Le défendeur) : Parfait.

(La Cour) : Hein, ça peut changer beaucoup de choses.

(Le défendeur) : Hum, hum.

(La Cour) : Des fois, là, c’est ça d’épais pis j’ai pas de problème; des fois, c’est une (1) feuille, non, ça pose problème, ça dépend.

[35]        L’audition se termine avec une autre longue exhortation à la conciliation[20] et le procès est remis avec frais de justice contre le défendeur.

[36]        Devant le comité d’enquête, le juge Bradley explique que le nouveau Code de procédure civile fait en sorte qu’il se devait de tenter d’amener les parties à régler leur litige. En outre, il croyait que le demandeur pourrait bénéficier d’une remise puisque le défendeur voulait produire un certificat de localisation qui n’était pas déjà au dossier, mais dont le demandeur était au courant.

[37]        Devant la Cour, le juge Bradley reprend les explications données au comité d’enquête pour expliquer son comportement. Il admettra toutefois s’être trompé en reprochant au demandeur d’avoir juré devant lui, alors que le demandeur lui avait sur le champ souligné qu’il rapportait les propos du défendeur. Il a par ailleurs démontré une ouverture à amender son comportement.

ANALYSE DU COMPORTEMENT DU JUGE

[38]        Avant de débuter l’analyse du comportement du juge Bradley, il est utile de rappeler le contexte particulier dans lequel les juges sont appelé/es à exercer leur rôle à la division des petites créances de la Cour du Québec.

[39]        S’il est vrai que les juges qui président les audiences d’une cour de justice doivent généralement faire preuve d’ouverture d’esprit, de patience et d’humilité, ces qualités sont d’autant plus requises en division des petites créances de la Cour du Québec, où il n’y a pas de représentation par avocat/e. La tâche, en ce lieu, requiert davantage du juge. Il lui faut en quelque sorte être l’homme-orchestre ou la femme-orchestre de la présentation qui y est faite.

[40]        La juge se doit d’abord d’y accueillir les justiciables en faisant preuve d’une certaine bienveillance. Il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de premier contact avec l’autorité judiciaire. Ce sera pour chacun un moment important, son « jour à la Cour ».

[41]        Le juge doit aussi faire preuve de psychologie : le débat doit se limiter au problème de droit que véhicule l’affaire et éviter de faire place aux conflits personnels qui peuvent nourrir les adversaires. Il faudra être courtois tout en prenant soin de convier les parties au respect des règles qui s’imposent.

[42]        La juge « des petites créances » se présente aussi comme une conciliatrice, une modératrice et une pédagogue. Le justiciable présente sa cause sans en connaître vraiment tous les fondements. Son adversaire, parfois imbu de ses prétentions, fondées ou non, tient à ce qu’on lui donne raison. Il s’agit donc, pour qui préside l’audience, d’éviter de froisser les susceptibilités tout en indiquant aux parties les limites juridiques des prétentions qu’elles avancent. Cela n’est pas toujours chose facile.

[43]        Le juge doit aussi être un bon juriste. Le débat qu’on lui propose n’expose pas les règles de droit qui le régissent. Il lui faut comprendre les prétentions avancées sans qu’elles aient été clairement ou adéquatement exposées.

[44]        Force est donc de constater et de reconnaître que la ou le juge qui préside l’audience de la division des petites créances exerce des fonctions judiciaires particulières et souvent difficiles. Son rôle, sa façon d’être et de faire, sont à l’avant-plan de la confiance que peuvent nourrir les citoyens envers l’administration de la justice. Le justiciable qui se présente à la Cour des petites créances a confiance en l’occasion qui lui est donnée de faire valoir ses droits. Il importe qu’il soit reçu et traité avec dignité et respect.

[45]        En l’espèce, le comportement du juge Bradley ne peut toutefois pas se justifier du seul fait qu’il siégeait à la division des petites créances et qu’il se devait de concilier les parties. La mission de médiation et de conciliation des tribunaux ne change rien au fait que ces modes de règlement ne peuvent être imposés aux parties. La médiation doit convenir aux circonstances et les parties doivent y consentir. Il ne s’agit pas de les amener de force à se livrer à un exercice qui peut être dénué de sens parce qu’il ne saurait mener nulle part. On peut même se demander si le juge Bradley a, ce jour-là, tenté de concilier les parties au sens de l’article 540, 3e al. C.p.c., dans la mesure où il n’a pas tenté de les rapprocher, mais les a plutôt exhortés sans relâche à régler eux-mêmes le dossier hors sa présence.  

[46]        En somme, le juge Bradley invoque les nouvelles dispositions du Code de procédure civile selon lesquels les modes de règlement font partie de la justice civile, dans le but de préserver la paix sociale. Il s’est aussi attardé aux dispositions préliminaires, les articles 9, 18 (sur la proportionnalité), 540 ainsi que 560 de ce nouveau Code, lesquels auraient inspiré sa conduite.

[47]        Les nouvelles dispositions du Code ne sauraient être utilisées pour justifier une conduite qui comportait de sérieuses lacunes déontologiques, à la seule lecture des transcriptions et à la seule écoute de l’enregistrement électronique. Il n’était pas approprié de reporter le procès comme remède au refus des parties de se prêter à une rencontre qu’elles estimaient sans issue. Le juge Bradley peut avoir pensé que son rôle était de vérifier si les parties étaient ouvertes au compromis, mais ce rôle n’était sûrement pas, une fois cette étape franchie, plusieurs fois du reste, de refuser, par impatience ou pour quelque autre motif oblique, de procéder à une audition pour laquelle les parties étaient pourtant préparées et qui ne pouvait être reportée sans leur imposer d’inutiles inconvénients.

[48]        Non seulement le juge Bradley a-t-il imposé une remise sans que les parties la lui demandent et sans motif valable, il s’est de plus dessaisi du dossier. Il affirme aujourd’hui que c’était pour préserver l’impartialité du procès, mais justement, comme il n’a pas présidé de séance de conciliation en l’espèce, il ne saurait avoir compromis son impartialité. S’il a pensé ou pense maintenant que ses propos à l’audience ont pu faire croire à une certaine partialité de sa part[21], cela démontre bien que c’est son comportement, et rien d’autre, qui a enrayé le cours de la justice ce jour-là.

[49]        Devant le comité d’enquête, le juge Bradley soutenait n’avoir commis aucune entorse à la déontologie et n’avoir pas à recevoir une quelconque remontrance. Devant la Cour, il a d’abord continué sur cette lancée, disant qu’il ne devait pas recevoir une réprimande, insistant même que la décision du comité, « avec égards », était mal fondée. Interrogé sur ce qu’il comprenait de ce que le Conseil lui reprochait, il a répondu qu’on lui reprochait de favoriser indûment la conciliation et d’utiliser ce prétexte pour ne pas entendre les causes et les remettre. Invité à préciser davantage, il a reconnu que son langage était inapproprié, qu’il n’avait pas été modéré dans ses propos. Il a également admis qu’il aurait pu être plus ouvert dans son écoute des parties.

[50]        C’est là une évolution dans le bon sens, vers une attitude plus judiciaire, plus neutre, vers un ton plus adéquat. Cette ouverture à une modification de comportement doit être soulignée puisqu’elle est de nature à influencer la recommandation de la Cour quant à une sanction appropriée dans les circonstances de l’espèce.

[51]        Je partage donc les conclusions du comité d’enquête sur la question des manquements du juge Bradley au Code de déontologie de la magistrature.

[52]        Avant de se pencher sur la sanction, toutefois, il convient de traiter de la demande du juge Bradley en contrôle judiciaire de la décision du comité disciplinaire, la Cour ayant prévenu les parties qu’elle disposerait de cette demande dans le cadre de son rapport en vertu de l’article 95 de la L.t.j.

LA DEMANDE EN CONTRÔLE JUDICIAIRE

[53]        Pour l’essentiel, le juge Bradley s’attaque à la validité du processus qui a mené à la tenue de la présente enquête et il demande à la Cour :

-          D’annuler la décision ministérielle prise dans le présent dossier;

-          De déclarer invalide l’art. 269 L.t.j., dans la mesure où il permet la formation d’un comité d’enquête où une majorité de personnes qui ne sont pas juges et qui n’ont pas prêté serment peut recommander la destitution d’un juge de la Cour du Québec;

-          D’invalider la décision du comité d’enquête prise à son égard;

-          D’invalider la décision du Conseil de la magistrature du Québec prise à son égard.

[54]        Ces demandes s’articulent autour de plusieurs motifs, que je reformulerai comme suit à partir de l’argumentation orale présentée devant nous.

[55]        En premier lieu, la décision de remettre l’audition étant un acte judiciaire, elle ne pouvait, soutient le juge Bradley, faire l’objet d’une plainte disciplinaire. Le comité était en conséquence sans compétence pour traiter d’actes qui étaient purement judiciaires.

[56]        En deuxième lieu, le juge Bradley se plaint de la composition du comité, qui comprenait des non-juges et, même, un non-juriste.

[57]        En troisième lieu, il s’en prend à l’absence de serment de certains membres du comité d’enquête, tel serment offrant des garanties d’indépendance et d’impartialité.

[58]        En quatrième lieu, il allègue un manquement à l’équité procédurale en ce sens qu’il n’a jamais été envisagé, devant le comité d’enquête, qu’il soit déchu de ses fonctions. La possibilité d’une destitution n’ayant jamais été mentionnée, il y a eu manquement à l’équité et violation de son droit à une audition pleine et entière.

[59]        Enfin, s’attaquant à la décision elle-même, il la dit déraisonnable et fondée sur des principes de droit erronés.

LE COMITÉ D’ENQUÊTE ET SON RÔLE DANS LE DOSSIER

[60]        Il convient, à ce stade, de rappeler la composition du comité d’enquête de cinq personnes établi conformément à l’article 269 L.t.j. Il s’agissait de cinq des membres du Conseil de la magistrature du Québec, soit[22] :

Ø  Les juges Pierre E. Audet, Danielle Côté, juge en chef associée, et Martin Hébert, tous trois membres de la Cour du Québec;

Ø  Me Odette Jobin-Laberge; et

Ø  M. Cyriaque Sumu;

[61]        Ce comité d’enquête dépose son rapport le 1er février 2017. Il s’y prononce à la fois sur les fautes déontologiques commises par le juge Bradley et sur la sanction appropriée dans les circonstances.

[62]        Examinons maintenant les motifs invoqués par le juge Bradley pour soutenir sa demande de contrôle judiciaire.

 

LA COMPÉTENCE DU COMITÉ

[63]        Selon le juge Bradley, son choix de reporter l’audience est une décision qui vise le strict exercice de sa compétence judiciaire dans un contexte très particulier. 

[64]        Il s’appuie notamment sur l’affaire Bettan c. Dumais[23], dans laquelle on soulignait qu’une grande partie des plaintes faites au Conseil proviennent effectivement de la division des petites créances de la Cour du Québec. Dans cette division, il n’y a pas d’intermédiaire entre le juge, les témoins et les parties, la présence d’avocat/es étant interdite sauf exception. Le juge interroge, obtient les versions, explique les règles de preuve en plus de trancher les questions de droit, tente de concilier les parties, les rappelle à l’ordre au besoin, et prend des notes puisqu’il aura à rendre un jugement écrit expliquant aux parties, convaincues d’avoir raison, le sort mitigé du litige. Il faut nécessairement tenir compte de ce contexte pour décider si une plainte est fondée.

[65]        Que penser de cet argument?

[66]        Il est sûr que les auditions devant la division des petites créances requièrent énormément de doigté de la part des juges et qu’il faut leur reconnaître un pouvoir d’intervention accru. Cela ne fait pas disparaître pour autant leur devoir d’agir avec réserve et sérénité. Or, ici, le juge Bradley a emprunté un ton inapproprié, a adopté une attitude condescendante, suffisante et désagréable. Il n’a pas parlé aux parties, il les a plutôt sermonnées sans écouter les réponses qu’elles tentaient de lui communiquer. La question est de savoir, lorsque pareils propos sont tenus dans le cadre de l’exercice de la compétence judiciaire, si le/la juge devient pour autant immunisé/e contre une plainte pour manquement déontologique dans la façon de s’acquitter de ses devoirs de juge.

[67]        La réponse, de toute évidence, est négative. L’indépendance judiciaire ne saurait être invoquée pour traiter les parties avec mépris, pour ignorer ce qu’elles disent, pour adopter un ordre du jour qui s’éloigne de leurs besoins. Ce premier motif ne saurait donc réussir.

[68]        Le juge Bradley veut aussi tirer profit de l’affaire Boilard pour soutenir l’idée que les juges, appelé/es à présider une audience en toute indépendance et impartialité, ne sauraient être l’objet de reproche de nature disciplinaire[24]. Il demande à la Cour, comme cour de révision, de dire que les faits ne donnent pas lieu à une enquête publique telle celle qui nous est confiée, et que la décision qui est à l’origine de la plainte ne peut être assujettie au processus disciplinaire.

[69]        Il vaut de rappeler que l’affaire Boilard n’a rien en commun avec la présente affaire. Le juge Boilard s’est récusé après plusieurs mois de procès dans un dossier de motards parce qu’il estimait que les agissements d’un des avocats en défense minaient à ce point son autorité qu’il ne pouvait, de façon réaliste, mener le procès à bon terme. Cette décision, prise dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, ne pouvait en effet, comme l’a décidé la Cour suprême, être soumise qu’à une seule forme de contrôle : l’appel.

[70]        Ainsi que la juge Arbour le soulignait dans l’arrêt Moreau-Bérubé, les commentaires des juges dans la conduite des audiences qu’ils ou elles président doivent recevoir un degré élevé de protection, car il est important de préserver l’indépendance judiciaire. Elle rappelait tout de même que les juges ne doivent pas abuser de leur indépendance, sans quoi ils s’exposent à une enquête disciplinaire :

58        […] Dans certains cas, cependant, les actes et les paroles d'un juge sèment le doute quant à l'intégrité de la fonction judiciaire elle-même. Lorsqu'on entreprend une enquête disciplinaire pour examiner la conduite d'un juge, il existe une allégation selon laquelle l'abus de l'indépendance judiciaire par ce juge menace l'intégrité de la magistrature dans son ensemble. Le processus d'appel ne peut pas remédier au préjudice allégué.

59        Le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick a jugé que les commentaires de la juge Moreau-Bérubé constituaient l'un de ces cas. Même si on ne saurait trop insister sur le fait que les juges doivent être libres de s'exprimer dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils doivent être perçus comme tels, il y aura inévitablement des cas où leurs actes seront remis en question. Cette restriction à l'indépendance judiciaire trouve sa justification dans l'objectif du Conseil de protéger l'intégrité de la magistrature dans son ensemble. […]

[71]        Il faut rappeler les propos de la juge McLachlin dans l’arrêt MacKeigan c. Hickman[25], que « [l]’immunité judiciaire est au cœur du concept de l’indépendance judiciaire ». Ces propos conservent aujourd’hui toute leur pertinence. C’est à tort, cependant, que le juge Bradley invoque l’indépendance judiciaire pour justifier son inconduite dans l’exercice de sa fonction judiciaire lors de l’audition qui est à la source de la plainte, audition qu’il présidait. L’indépendance du juge Bradley, dans ce cas-ci, n’était nullement compromise, ni d’ailleurs sa neutralité, si ce n’est par ses propres agissements.

LA COMPOSITION DU COMITÉ

[72]        Le juge Bradley soutient que la recommandation du comité d’enquête ne saurait être légale en raison de sa composition. Invoquant le principe que seule la magistrature peut contrôler ses membres, il souligne qu’ici, deux non-juges font partie de la majorité décisionnelle. Or, dit-il, cette recommandation majoritaire est au cœur de l’enclenchement du processus de destitution dans la présente affaire.

[73]        Cette prémisse est erronée. Il n’est plus vrai, dans une société démocratique qui se veut de plus en plus transparente, et où les agissements des institutions sont de plus en plus scrutés, que seul/es les initié/es peuvent comprendre, et que seul/es les initié/es peuvent trancher les questions disciplinaires.

[74]        La Cour suprême, dans l’arrêt Therrien[26], a d’ailleurs reconnu la légitimité de la présence de non-juges au sein d’un comité disciplinaire. En outre, il faut se rappeler que le Conseil de la magistrature, dont les membres d’un comité d’enquête font partie, est composé d’une majorité importante de juges (12 de ses 16 membres). Surtout, si le Comité recommande la destitution, celle-ci ne peut intervenir qu’après une enquête de la Cour d’appel à l’issue de laquelle elle aura conclu que la plainte est fondée et que la conduite du juge justifie une destitution. Or, la Cour d’appel est composée uniquement de juges et son rapport revêt un caractère essentiel à l’égard du processus de récusation d’un juge[27]. Il convient ici de reprendre le passage suivant tiré de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Therrien[28] :

[101]    Dans ce contexte, la présence de personnes non membres de la magistrature à un stade préliminaire peut apparaître utile en ce qu’elle peut alimenter la réflexion des membres du comité et apporter un autre regard sur la perception qu’ont les membres de la profession juridique (dans le cas des avocats) et le public en général (dans le cas des autres membres) de la magistrature. À mon sens, et dans les circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que la composition du comité d’enquête du Conseil de la magistrature est conforme au principe structurel de l’indépendance judiciaire et aux règles de l’équité procédurale.

[75]        Le juge Gonthier, écrivant pour la majorité dans l’arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature de 1995, avait déjà noté que la présence de non-juges au sein du Comité d’enquête permet d’y assurer « une représentation qui ne soit pas monolithique »[29]. Dans son ouvrage The Judiciary in Canada : The Third Branch of Government paru en 1987, le professeur Peter H. Russel voyait d’un bon œil la présence de personnes qui ne sont pas juges au sein des différents conseils de la magistrature provinciaux[30] :

Judicial councils have also become the principal means of dealing with complaints about Canadian judges who are appointed by provincial and territorial governments. There are some interesting differences between these provincial and territorial councils and the Canadian Judicial Council. Their composition is considerably more diverse. As table 7.1 shows, all of them include representatives of the legal profession and all but Nova Scotia’s have provision for non-lawyers. This better protects the public interest than a system which relies entirely on judges to respond to complaints about fellow judges. Even though the chief judges of these councils will normally play the lead role in screening and following up complaints, the presence of non-judges on the councils provides more assurance of an adequate response […]

[76]        Revenons à l’affaire Therrien, où le juge avait réitéré cet argument de composition inconstitutionnelle du comité disciplinaire devant la Cour suprême, qui le rejeta en ces termes[31] :

98        L'appelant prétend que la participation de l'une de ces quatre personnes non membres de la magistrature au processus décisionnel porte atteinte à la dimension collective ou institutionnelle du principe structurel de l'indépendance judiciaire, en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d'un juge. Il s'appuie sur certains propos du juge en chef Lamer dans le Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 120 :

Par exemple, l'inamovibilité peut avoir une dimension collective ou institutionnelle, en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d'un juge. Cependant, je n'ai pas à trancher ce point en l'espèce.

[77]        Ce passage parle de lui-même et ne saurait servir de fondement à la prétention du juge Bradley. Disons à ce sujet qu’il est important de se rappeler que le rapport ainsi que les recommandations formulées par le comité d’enquête du Conseil de la magistrature ne constituent que la première étape dans le processus mis en place par la Loi sur les tribunaux judiciaires. À la deuxième étape, la Cour d’appel intervient et mène sa propre enquête sur la conduite du juge et produit son propre rapport. Il ne peut donc y avoir une recommandation de démettre un/e juge de la Cour du Québec que par le plus haut tribunal de la province. Le caractère préliminaire du rapport du comité et le rôle joué par la Cour d’appel subséquemment s’avèrent donc déterminants dans l’évaluation de la constitutionnalité du processus.

[78]        Dans Therrien, d’ailleurs, le juge Gonthier a insisté sur ce point, précisant que le caractère décisionnel et judiciaire du rapport de la Cour « est un élément fondamental de la constitutionnalité de l’ensemble de la procédure »[32]. Toutes les garanties requises sont donc assurées.

[79]        En conclusion sur cette question, je suis d’avis que le comité d’enquête, ici, était régulièrement formé. J’ajoute que l’argument soulevé par le juge Bradley en est un de positionnement des membres du comité, et non de constitutionnalité de la composition du comité, en ce sens qu’une décision particulière a établi la composition de ce comité, sur lequel il n’y avait, dans ce cas-ci, que trois juges. L’une a fait partie de la majorité, et les deux autres, de la minorité. Cette particularité ne saurait suffire en soi à démontrer l’inconstitutionnalité du comité, dans la mesure où, si certains membres s’étaient positionnés différemment, le résultat aurait facilement pu être de deux juges pour la destitution, et le troisième contre. Dans un cas comme dans l’autre, le comité demeure tout aussi légitime.

[80]        Par ailleurs, dans l’arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), la Cour suprême, sous la plume de la juge Arbour, a clairement indiqué que les comités de discipline doivent être composés « principalement de juges » et non exclusivement de juges[33].

[81]        Faut-il rappeler, du reste, que cet argument n’a pas été soulevé devant le comité, ce qui fait présumer qu’il y a eu acquiescement à compétence.

L’ABSENCE DE SERMENT

[82]        Le juge invoque également l’absence de tout serment de la part d’un membre du comité, et d’un serment approprié dans le cas d’une autre. Il a répertorié 11 décisions à ce sujet.

[83]        Cet argument ne saurait réussir. La plupart des décisions répertoriées sanctionnent l’absence d’un serment d’office législativement imposé ou encore, distinguent le serment d’un décideur dans une fonction juridictionnelle d’un simple serment de discrétion[34]. Du reste, le serment judiciaire se distingue d’autres formes de serments d’office[35]. Ces derniers reflètent normalement le fait qu’en assumant une fonction étatique à plein temps, un serment d’office puisse plus adéquatement sanctionner le fait d’assumer sur une base continue et relativement permanente une fonction législativement définie. Il existe cependant plusieurs devoirs démocratiques qui seront assumés par des personnes non élues ou non formellement désignées, de façon tout à fait ponctuelle, sans besoin d’un serment d’office. C’est le cas notamment des membres d’un jury en matière criminelle, dont le serment ne ressemble nullement à un serment d’office.

[84]        Quoi qu’il en soit, la question du serment est un faux débat en l’espèce. Ce serment ne sert qu’à rassurer les parties sur la crainte raisonnable de partialité, question qui se posait dans Ruffo, par exemple, puisque le juge en chef était le plaignant. Le juge Bradley ne soulève ici aucune crainte raisonnable de partialité de la part du comité, ce qui rend le débat tout au plus académique quant à cet aspect. L’absence de serment ne saurait créer une présomption de partialité.

[85]        En outre, faut-il le souligner, le rôle du comité d’enquête est limité. S’il conclut à une recommandation de destitution, cette dernière se retrouve obligatoirement devant la Cour d’appel. Comme déjà souligné, la Cour d’appel, composée uniquement de juges, a toute liberté pour trancher les questions de droit et de fait que soulève la plainte. Le contrôle judiciaire étant par-là assuré, la demande formulée à l’encontre de la recommandation du comité d’enquête devient sans objet, puisque la Cour d’appel procède à sa propre enquête. En d’autres termes, il n’y a même pas lieu à révision judiciaire en pareil cas, et il est inutile d’examiner le fondement de la décision attaquée, laquelle n’a aucune valeur contraignante. Les normes d’intervention en matière d’appel ou de contrôle judiciaire perdent toute pertinence du fait que la Cour d’appel est habilitée à trancher toute question de fait et de droit soulevée par la plainte initiale, sans égard aux normes qui gouvernent l’appel ou le contrôle judiciaire. La Cour doit parvenir indépendamment à sa propre recommandation.

L’ÉQUITÉ PROCÉDURALE

[86]        Ne reste donc à trancher que la question d’un possible manquement à l’équité procédurale en raison de l’absence d’un avis préalable au juge Bradley quant à la possibilité d’une sanction de destitution et l’opportunité (lire bien-fondé) d’une telle sanction en l’espèce.

[87]        Dans l’affaire Moreau-Bérubé, la juge avait plaidé une contravention aux règles de justice naturelle, et plus précisément à la règle audi alteram partem, dans la mesure où elle n’avait pas été informée que le Conseil pouvait lui imposer une sanction plus sévère que celle recommandée par le comité, auquel cas elle aurait fait des représentations à ce sujet. Si l’argument a trouvé écho devant la Cour du Banc de la Reine et en Cour d’appel, il n’a cependant pas été retenu par la Cour suprême :

79        En l'espèce, je ne peux pas convenir que le Conseil a porté atteinte au droit de la juge Moreau-Bérubé d'être entendue en ne l'informant pas expressément qu'il pourrait lui imposer une sanction que lui permet clairement la Loi. La doctrine de l'attente légitime ne trouve pas application dans le cas où le requérant demande essentiellement le droit à une deuxième chance de se prévaloir des droits procéduraux qui ont toujours été disponibles et prévus par la loi. Par ailleurs, le comité d'enquête n'avait pas le pouvoir de faire une recommandation au Conseil quant à la sanction appropriée. La Loi l'indique d'une façon on ne peut plus claire, son par. 6.11(1) prévoyant que "le comité doit faire rapport au président de ses conclusions de fait et de ses conclusions concernant les allégations portées contre le juge dont la conduite est en cause concernant son inconduite, sa négligence de remplir ses devoirs ou son inaptitude à exécuter ses fonctions". Cela contraste avec le rôle décisionnel qu'a le Conseil une fois le rapport du comité terminé, comme le prescrit ainsi le par. 6.11(4) : "Le Conseil de la magistrature, en se fondant sur les conclusions du rapport [...] peut [...] rejeter la plainte, [...] adresse[r] une réprimande [...], ou [...] recommander [...] que le juge soit démis de ses fonctions". Peu importe que le comité ait fait une recommandation qu'il n'était pas autorisé à faire, le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire clair et absolu de choisir parmi trois options. Je ne crois pas qu'étant juge et ayant bénéficié de conseils juridiques tout au long du processus, l'intimée ait pu avoir mal compris les questions en jeu devant le Conseil de la magistrature. Elle n'a jamais affirmé avoir commis une telle erreur avant que celle-ci soit soulevée par le juge Angers en révision judiciaire.

[…]

81        Le fait qu'on n'ait pas mentionné la possibilité d'une recommandation de révocation avant d'émettre cette recommandation n'est également pas pertinent. Le Conseil n'a pas l'obligation de rappeler à l'intimée de lire attentivement le par. 6.11(4). Même si, dans le cadre de sa procédure, le Conseil aurait pu rappeler à la juge Moreau-Bérubé qu'il n'était pas lié par les recommandations du comité d'enquête, il a décidé de ne pas le faire et il avait le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision.

[88]        En l’espèce, le juge Bradley ne pouvait certainement pas ignorer que la LJT prévoit uniquement deux sanctions, la réprimande ou la recommandation de tenir une enquête en vertu de l’article 95, et que la procédure devant le Comité ne prescrit aucune audience distincte sur la sanction, audience dont il n’a pas du reste demandé la tenue. Il convient d’ajouter que tant l’avocat assistant le Comité que celui du demandeur ont fait des représentations sur la question de la sanction. Me Laurin s’est contenté de plaider la récidive et il a laissé la question de la sanction ouverte[36], tandis que Me Masson a affirmé qu’il ne pensait pas « que les faits de la présente affaire justifieraient une réprimande »[37]. Or, le juge Bradley avait tout le loisir d’en dire plus s’il jugeait opportun ou nécessaire de le faire. Il ne l’a pas fait. Dans les circonstances, comme dans l’affaire Moreau-Bérubé, il n’appartenait certainement pas au Comité de lui rappeler de lire attentivement l’article 279 L.t.j. et de lui indiquer « qu'il pourrait lui imposer une sanction que lui permet clairement la Loi »[38].

[89]        Comme nous l’avons vu, le rôle de cette Cour est de mener sa propre enquête, de façon exhaustive. Le sujet de la sanction appropriée en l’espèce a été discuté de façon complète devant la Cour, à son instigation du reste. Dès lors, l’argument d’un manquement à l’équité procédurale qui découlerait de l’absence de préavis quant à la possibilité d’une destitution devient sans objet. Faut-il rappeler en effet que la Cour d’appel ne serait même pas mise à contribution en l’absence d’une recommandation de destitution. Elle en est ultimement seule juge.

[90]        Pour toutes ces raisons, je propose de rejeter la demande en contrôle judiciaire.

LA SANCTION

[91]        Ayant déjà constaté des manquements déontologiques de la part du juge Bradley dans le cadre de l’affaire Drolet c. Drolet, la Cour doit procéder à sa propre recommandation d’une sanction appropriée en l’espèce. Notons dès maintenant qu’il y aura une dissidence concernant la sanction. J’exposerai ici la recommandation majoritaire.

[92]        La position du juge Bradley selon laquelle ses manquements n’atteignent pas le degré de gravité requis pour justifier une réprimande ne saurait être acceptée. Au contraire, une sévère réprimande s’imposait en l’espèce. Devant le comité d’enquête, d’ailleurs, la conclusion qu’il y avait eu contravention déontologique était unanime. C’est uniquement sur l’aspect de la destitution que le comité s’est divisé.

[93]        En l’espèce, une majorité d’entre nous sommes d’avis que la destitution, à ce stade, constituerait une sanction excessive, même si nous sommes en présence d’une récidive. La Cour suprême, dans l’arrêt Therrien (Re), explique les circonstances qui peuvent amener à une recommandation de destitution d’un juge [39]:

[147] La précieuse confiance que porte le public envers son système de justice et que chaque juge doit s’efforcer de préserver est au cœur du présent litige. Elle en délimite les moindres contours et en dicte l’ultime conclusion. Aussi, avant de formuler une recommandation de destitution à l’endroit d’un juge, doit-on se demander si la conduite qui lui est reprochée porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge (Friedland, op. cit., p. 89-91).

[94]        Le juge Martin Hébert, dissident sur la sanction imposée par la majorité du comité d’enquête (soit la destitution du juge Bradley), résume bien l’état du droit sur la question de la destitution. Elle n’est imposée que lorsque le juge visé ne peut d’aucune façon exercer ses fonctions : 

[7]        Pour retenir la voie de destitution, il faut atteindre l’intime conviction que le juge visé ne peut d’aucune façon continuer à exercer ses fonctions et que le principe d’inamovibilité des juges ne s’applique plus à lui. Force est de reconnaître que la mesure est drastique et même fatale.

[8]        Dans son ouvrage sur la déontologie judiciaire, le professeur Noreau fait état des cas, plutôt rares, où il y a eu une recommandation de destitution d’un juge.

[9]        À la lumière des précédents qui y sont évoqués, on constate que la sévérité de la mesure exige une grande circonspection pour ne l’appliquer que dans les situations de gravité fort exceptionnelle. Or, sans banaliser de quelque façon les manquements déontologiques du juge en l’espèce, il faut reconnaître qu’ils n’appartiennent pas à cette catégorie.

[10]      À l’opposé, il y a la réprimande. Je reconnais d’emblée que ce choix ne pêche pas par excès de sévérité. Il s’agirait ici pour le juge d’une seconde réprimande. Sans présumer de l’avenir, on peut raisonnablement espérer que cela sonne l’alarme de façon à ce que le juge amende sa conduite sans délai.

[Références internes omises]

[95]        La Loi sur les tribunaux judiciaires ne prévoit que deux sanctions possibles (ce qui diffère de ce que l’on retrouve dans la majorité des provinces canadiennes): la réprimande et la destitution. Le test élaboré par la Cour suprême indique qu’on ne peut limiter la réprimande aux cas qu’on pourrait qualifier de bénins, puisque tous les autres justifieraient alors la destitution d’un juge. Lorsqu’il s’agit d’un cas mineur, l’article 267 L.t.j., édicte d’ailleurs que la plainte peut être rejetée sommairement. 

[96]        Il faut donc conclure que les fautes déontologiques sujettes à une réprimande, peuvent présenter un certain degré de gravité, sans toutefois atteindre celui qui empêcherait le juge de s’amender et de pouvoir continuer par la suite à exercer ses fonctions. C’est le cas en l’espèce.

[97]        Certes, les agissements du juge Bradley, le 19 janvier 2016, ne sauraient être acceptés. Le fait qu’il n’y ait pas eu d’audition ce jour-là est inexcusable. Malgré la marge de manœuvre qu’il y a lieu d’accorder à un/e juge en division des petites créances, il y a eu ici un manque d’écoute et d’accueil. Les actes et les paroles d’un/e juge peuvent semer un doute sur l’intégrité de la magistrature, surtout en l’absence d’un processus d’appel. Les exigences des citoyen/nes sur ce que l’on attend des juges sont bien supérieures à ce que l’on exige d’autres personnes. Il ne s’agit de rien de moins qu’une adhésion volontaire et permanente aux impératifs de la fonction.

[98]        Ceci étant, la plainte ici vise une audition en particulier et non la conduite générale du juge Bradley en salle d’audience. Ainsi qu’il nous l’a dit, en presque 17 ans de carrière à la Cour du Québec, il a présidé des centaines de procès et prononcé tout autant de jugements comme juge de la Cour du Québec (y compris en matière de petites créances), sans faire l’objet de plaintes, à une exception près. La preuve présentée au Comité et à la Cour ne contient rien qui permette de conclure que le juge ait été coutumier du genre de manquements observés ici, même si, sur un point, il y a récidive.

[99]        Quelques mots s’imposent sur cette récidive. En 2014, un comité d’enquête du Conseil de la magistrature a déterminé que le juge « n’avait pas permis aux parties d’expliquer leur cas, sans compter que l’insistance à tenir une rencontre pour discuter d’un règlement a démotivé la plaignante à poursuivre sa démarche »[40], dont elle s’est désistée. Le Comité conclut qu’en s’adressant comme il l’a fait à la plaignante, il n’a pas « rempli son rôle, soit celui de rendre justice » et « n’a pas rempli utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires »[41], enfreignant ainsi les art. 1 et 6 du Code de déontologie de la magistrature.

[100]     Toutefois, dans son rapport, le Comité d’enquête note que le juge Bradley « a agi avec courtoisie dans ses propos »[42] et qu’il a été « courtois et respectueux dans la façon de s’adresser aux parties »[43]. Que le juge ait eu une vision erronée de son rôle de conciliateur et qu’il en ait mal compris les contours n’est pas en soi un manquement déontologique, le problème tenant ici plutôt à la manière de faire, marquée d’une insistance indue (comme en l’espèce). Le Comité d’enquête a donc conclu à l’opportunité d’une réprimande.

[101]     Bien sûr, on peut s’interroger : qu’en serait-il si un juge prenait à répétition prétexte de la possibilité d’une conciliation ou d’un règlement amiable pour reporter les affaires portées devant lui? Déontologiquement, la situation serait peut-être bien différente, mais ce n’est pas cela qui ressort du rapport de 2014 et ce n’est pas non plus ce qui ressort du rapport de 2016 ni de l’enquête menée par la Cour.

[102]     En ce qui concerne le manque de courtoisie, la plainte portée ici à l’endroit du juge Bradley paraît donc, selon la preuve ressortant de l’enquête de la Cour, un incident isolé. Quant à la mauvaise compréhension du rôle de conciliateur que le Code de procédure civile confie au juge siégeant à la division des petites créances de la Cour du Québec, on peut, dans les circonstances, constater que la connotation disciplinaire résulte surtout du fait qu’il s’agit d’une récidive.

[103]     La situation, notons-le au passage, diffère notablement des affaires Therrien, Ruffo et Moreau-Bérubé, qui confirment la destitution d’un juge. Dans le premier cas, le juge avait, selon la Cour suprême, menti sur son passé afin d’améliorer ses chances d’être nommé juge, cachant l’existence d’un antécédent judiciaire de nature criminelle. Dans le second, l’on a sanctionné une accumulation de manquements déontologiques de toutes sortes. Et même si l’affaire Moreau-Bérubé, sur le plan des faits, présente une similarité - superficielle - avec celle du juge Bradley en ce qu’elle se rapporte à des commentaires prononcés en salle d’audience, elle s’en distingue pourtant. Ainsi, d’une part, dans cette affaire, non seulement les commentaires de la juge étaient-ils fort désobligeants, mais ils manifestaient surtout l’existence de préjugés de nature à semer un doute sérieux sur l’impartialité générale de la juge et, partant, sa capacité à exercer la fonction judiciaire et à statuer sur le sort de certains de ses concitoyens. Or, ce n’est pas le cas ici. D’autre part, il faut rappeler que l’arrêt de la Cour suprême dans Moreau-Bérubé porte sur le contrôle judiciaire de la décision du Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick de recommander la destitution de la juge en cause. À l’époque (2002), la Cour suprême a jugé que cette décision n’était ni « manifestement déraisonnable » ni « déraisonnable simpliciter ». Qu’elle ne l’ait pas été ne signifie cependant pas que toute autre mesure que la destitution eût été déraisonnable.

[104]     En l’espèce, compte tenu des faits et circonstances propres à l’affaire dont la Cour est saisie et des constats issus de son enquête, la majorité d’entre nous sommes d’avis qu’une destitution serait contre-indiquée et qu’une réprimande suffit.

[105]     Le juge Bradley est conscient qu’il aurait dû faire preuve de modération et utiliser un langage plus approprié. Il reconnaît également qu’il aurait pu avoir une meilleure écoute[44]. Vu son ouverture à modifier son attitude, ouverture manifestée devant la Cour en réponse à une question précise durant son témoignage, une majorité d’entre nous croyons que ses comportements n’atteignent pas le degré de gravité qui justifie une destitution. Une sanction déontologique lourde, et c’est le cas d’une réprimande, sanction à caractère public, peut amener une réflexion, une meilleure compréhension des devoirs du juge. À ce stade, nous sommes d’avis d’accorder au juge Bradley, une deuxième fois, l’occasion de s’amender.

[106]     En somme, le juge Bradley a indûment fait pression sur les parties afin qu’elles règlent leur différend et il a, sans motif valable, reporté une audience qu’il aurait dû présider le jour même. Il a par ailleurs enfreint son obligation de courtoisie lors de l’audience du 19 janvier 2016, et ce, tant par la nature de ses propos que par leur ton. Ces manquements contreviennent aux art. 1, 6 et 8 du Code de déontologie de la magistrature[45]. Cette conclusion entraîne une sanction et, par analogie avec l’art. 279 L.t.j., la destitution n’étant pas la mesure adéquate, une majorité d’entre nous confirme que les membres minoritaires du comité d’enquête ont eu raison d’émettre une réprimande.

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[107]     Je souscris à l’analyse que Mme la juge en chef Duval Hesler fait du comportement du juge Bradley, qui, le 19 janvier 2016, a porté atteinte au devoir de courtoisie qui lui incombe et, ce faisant, à la dignité et à l’honneur de sa fonction. Il s’est en outre, ce jour-là, placé maladroitement dans une situation telle qu’il ne pouvait plus utilement entendre l’affaire dont il était saisi, affaire qu’il a alors reportée en invoquant un prétexte.

[108]     Je souscris par ailleurs, et pour les raisons qu’elle expose, à la conclusion de la juge en chef sur la sanction et, comme elle, j’estime qu’il ne convient pas de démettre le juge Bradley de ses fonctions, sa conduite ne portant pas « si manifestement et si totalement atteinte à l’impartialité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système de justice et rend le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge »[46].

[109]     Dans un autre ordre d’idées, je souscris généralement aux motifs et aux conclusions de la juge en chef en ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire présentée par le juge Bradley, sauf sur un point : je diverge d’opinion sur l’équité du processus d’enquête mené par le comité. À mon avis, celui-ci aurait dû scinder cette enquête de manière à ce que la question de la faute soit tranchée avant que le juge Bradley ait à présenter sa preuve et ses observations sur la sanction. Notons immédiatement que mes réserves sur ce sujet ne sont pas de nature à affecter l’issue de la demande de contrôle judiciaire ni mon adhésion, pour le reste, aux conclusions de la juge en chef.

* *

[110]     Le comité, soutient le juge Bradley, aurait dérogé à l’équité procédurale en faisant défaut de le prévenir de la possibilité qu’on recommande sa destitution, sanction capitale du processus disciplinaire. Le comité, en effet, a tenu une seule audience sur la plainte du justiciable. Cette audience, qui s’est déroulée le 3 octobre 2016, a porté principalement sur l’existence et la nature des manquements déontologiques reprochés au juge Bradley (manquements que niait celui-ci). La question de la sanction y a été abordée, mais sommairement. Ainsi, l’avocat qui assistait le comité, reprenant ses observations écrites préalables (elles-mêmes fort brèves), a simplement signalé que, dans une affaire où, comme en l’espèce, il y avait récidive d’un comportement ne répondant pas aux normes déontologiques, une réprimande sévère avait été jugée appropriée. L’avocat du juge Bradley, après avoir noté dans ses observations écrites que l’avocat du comité ne suggérait pas une sanction autre que la réprimande, a indiqué pour sa part que son client ne méritait pas une telle sanction. Les membres du comité n’ont posé aucune question à ce sujet et n’ont donné aucune indication du fait que la destitution pourrait, dans les circonstances, être envisagée. D’où la surprise du juge Bradley lorsque, à la réception du rapport du comité, il a constaté que la majorité des membres recommandait sa destitution. Il estime avoir été privé de faire valoir ses moyens à cet égard.

[111]     Se fondant sur l’arrêt Moreau-Bérubé[47], la juge en chef conclut que le comité s’est conformé aux règles de l’équité procédurale[48]. Avec beaucoup d’égards, je me permets de ne pas partager cet avis. Plus précisément, et bien que l’enquête de la Cour d’appel remédie, en définitive, au problème que soulève ici la demande de contrôle judiciaire[49], j’estime que le comité aurait dû scinder l’affaire dont il était saisi de façon à ce que, une fois connus les reproches retenus contre lui, le juge Bradley puisse en toute connaissance de cause présenter une preuve, le cas échéant, ainsi que des remarques pertinentes et appropriées sur la sanction. Je m’explique.

[112]     Il faut rappeler d’abord - et c’est là vérité de La Palice - que les instances prenant part au processus disciplinaire instauré par la Loi sur les tribunaux judiciaires[50] sont tenues d’agir dans le respect de l’équité procédurale, exigence primordiale[51] dont le contenu, on le sait, varie selon les circonstances, mais qui s’impose assurément au Conseil, au comité d’enquête mis sur pied en vertu des art. 269 et 269.1 L.t.j. et, naturellement, à la Cour d’appel[52].

[113]     Ainsi, ce n’est pas parce que le comité d’enquête ne fait que des « recommandations » (de réprimande ou de destitution, selon le cas) qu’il échappe au devoir d’observer l’équité procédurale. Tout d’abord, cette recommandation, qui affecte directement les droits du juge visé, lie le Conseil qui, aux termes de l’art. 279 L.t.j., doit y donner suite soit en imposant la réprimande, soit en s’adressant à la ministre afin que celle-ci présente une demande à la Cour d’appel[53], prélude à une potentielle destitution. Il serait superflu de disserter ici sur les obligations processuelles qu’impose le droit administratif aux organismes dont les recommandations sont de cette nature, obligations qui s’étendent naturellement aux comités d’enquête établis sous l’empire de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Notre droit reconnaît en effet depuis longtemps qu’une entité investie de la mission d’enquêter et de faire des recommandations sur un sujet important pour le justiciable doit agir équitablement. C’est notamment le cas lorsqu’est en jeu le droit d’une personne d’exercer sa fonction, sujet qui exige une « justice de haute qualité »[54]. Ce n’est certainement pas moins vrai lorsqu’il s’agit de la fonction de juge.

[114]     Certes, ainsi que le rappelle la Cour suprême dans Ruffo[55] et dans Therrien[56], le comité ne joue qu’un rôle préliminaire en matière de destitution. Cela ne minimise toutefois en rien l’obligation qui lui incombe de procéder équitablement. Il ne saurait en effet être de destitution sans recommandation du comité et c’est cette recommandation qui, par le truchement de l’art. 279, 1er al., paragr. b) L.t.j., enclenche la demande qui sera faite à la Cour d’appel en vertu de l’art. 95 L.t.j. et affecte dès ce moment la question du droit du juge d’exercer sa fonction. La Cour d’appel n’est, de son côté, aucunement liée par les conclusions et la recommandation du comité, mais il demeure que sa saisine est tributaire de cette dernière, qui en est la condition sine qua non. On mesure à cela l’importance réelle et substantielle de cette recommandation sur les droits de l’intéressé.

[115]     Par ailleurs, le rôle du comité n’a rien de préliminaire quand il s’agit de réprimande, alors qu’il exerce de facto la fonction décisionnelle.

[116]     Il n’y a pas non plus à exempter le comité de respecter les règles de la justice naturelle ou de l’équité procédurale parce que, selon les mots de la Cour suprême dans Ruffo[57], « le débat qui prend place devant lui n’[est] pas de l’essence d’un litige dominé par une procédure contradictoire, mais se veut plutôt l’expression de fonctions purement investigatrices, marquées par la recherche active de la vérité »[58], « toute idée de poursuite se [trouvant] donc écartée sur le plan structurel »[59] (soulignement original). Sur ce plan, on peut sans doute distinguer la déontologie judiciaire de la discipline professionnelle, mais, si les processus diffèrent, l’objectif est le même : il s’agit dans l’un et l’autre cas de sanctionner une inconduite, et ce, dans l’intérêt public. Plus exactement, il s’agit de déterminer l’existence d’une inconduite, ce qui, le cas échéant, mènera à une réprimande ou à une destitution. La mécanique de la déontologie judiciaire est donc une mécanique disciplinaire ou, si l’on préfère, une variation sur le thème de la discipline et les art. 260 à 281 L.t.j., qui visent à garantir l’intégrité de la magistrature et la confiance du public dans ses institutions judiciaires, ont bel et bien une vocation disciplinaire. L’arrêt Therrien parle d’ailleurs à cet égard du « processus disciplinaire réservé aux juges des cours provinciales et mis en place par la Loi sur les tribunaux judiciaires »[60].

[117]     Enfin, le comité établi par le Conseil en vertu des art. 269 et 269.1 L.t.j. est libre de la conduite de son enquête[61], comme le veulent les art. 273 et 275 L.t.j., mais cette liberté ne lui permet pas d’enfreindre les exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale, qui tracent le cadre infranchissable de toute son action.

[118]     Mais il n’est pas nécessaire d’en dire davantage, puisque la Cour suprême s’est déjà prononcée sur le sujet, d’abord dans Ruffo[62], puis dans Therrien[63]. Dans ce dernier arrêt, elle écrit ceci sous la plume du juge Gonthier :

81        Depuis l’arrêt Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, le respect des règles de la justice naturelle, qui était le lot des tribunaux judiciaires, a été étendu à l’ensemble des organismes administratifs qui agissent sous l’autorité de la loi sous le vocable de règles d’équité procédurale (« duty to act fairly »). Il suffit qu’une décision administrative soit susceptible de porter atteinte aux « droits, privilèges ou biens d’une personne » pour que le processus dans lequel elle s’inscrit doive être respectueux de l’obligation d’agir équitablement : Cardinal c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 653, et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 20. Le Conseil de la magistrature et son comité d’enquête n’y font pas exception et sont donc assujettis à ce principe. Dans l’arrêt Ruffo, précité, après un recensement des différents systèmes de déontologie judiciaire à l’échelle nationale, je concluais en ce sens, au par. 77 :

Chaque système, en somme, est pourvu de règles qui lui sont propres, mais qui n’en sont pas moins l’expression du même principe directeur : veiller au respect de la déontologie judiciaire au moyen de procédures qui soient les plus harmonieuses avec l’obligation d’agir équitablement.

82        L’obligation d’agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu (règle audi alteram partem) et le droit à une audition impartiale (règle nemo judex in sua causa). La nature et la portée de cette obligation peuvent varier en fonction du contexte particulier et des différentes réalités auxquelles l’organisme administratif est confronté ainsi que de la nature des litiges qu’il est appelé à trancher : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, p. 895-896, propos cités avec approbation dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcools), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 22, et Ruffo, précité, par. 88. Ainsi, dans l’arrêt Baker, précité, par. 23-28, le juge L’Heureux-Dubé rappelait précisément que la jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pour déterminer les exigences de l’équité procédurale dans un contexte donné. Sans en dresser une liste exhaustive, elle mentionne : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle l’organisme en question agit; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) le respect des choix de procédure que l’organisme administratif a lui-même faits, particulièrement quand la loi lui en confie le soin. C’est dans cet esprit que j’examinerai maintenant les allégations de violation des règles de l’équité procédurale soulevées par l’appelant en l’espèce.[64]

[Je souligne]

[119]     Le doute n’est donc pas permis : le comité d’enquête, tout comme le Conseil de la magistrature lui-même, se doit de respecter la justice naturelle et l’équité procédurale, dont le contenu précis et les exigences peuvent toutefois varier selon le cas. La règle dont le juge Bradley réclame ici le bénéfice[65] fait-elle partie des obligations imposées au comité d’enquête par le devoir qui lui incombe d’agir équitablement?

[120]     Je réponds à cette question par l’affirmative, pour les raisons suivantes.

[121]     Il est vrai que l’on n’a pas à introduire dans les processus disciplinaires (qu’il s’agisse de discipline professionnelle en général ou de discipline judiciaire en particulier) toutes les protections et les manières des instances criminelles ou pénales[66] (que garantissent la common law et l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés). Néanmoins, comme l’écrit le juge Rochon dans une affaire régie par le Code des professions et mettant en cause le comportement d’un médecin, « [r]ien ne s’objecte cependant à une application, adaptée au particularisme du droit disciplinaire, de règles [criminelles] pertinentes »[67]. À mon avis, ce propos convient tout autant à l’enquête prévue par la Loi sur les tribunaux judiciaires et rien n’empêche donc que l’on y transpose certaines règles criminelles ou pénales pertinentes, avec les adaptations nécessaires.

[122]     Or, si transposition il peut occasionnellement y avoir, elle me paraît particulièrement opportune en ce qui concerne la manière dont le droit criminel (ou pénal) traite la culpabilité et la peine, alors que la seconde n’est ni déterminée ni même débattue avant que la première ait été établie[68]. Il y a dans cette méthode éprouvée l’expression d’une règle de justice naturelle qui s’impose aussi bien, pour des motifs analogues, aux matières disciplinaires de tous ordres et qui convient également au processus d’enquête régi par la Loi sur les tribunaux judiciaires, dont elle ne contredit aucunement la mission investigatrice, à laquelle elle s’accorde au contraire parfaitement.

[123]     Cette manière de faire, qui détache l’étape de la détermination de l’inconduite de celle de la sanction, correspond d’ailleurs à la pratique des instances disciplinaires des ordres professionnels et autres organes similaires, qui séparent la culpabilité et la sanction, la seconde étant déterminée subséquemment à la première, au terme d’une audience distincte, donnant lieu à une décision distincte. Bien sûr, il est des cas où l’audience sur la sanction a lieu immédiatement après l’audience sur la culpabilité, mais non sans que celle-ci ait d’abord été prononcée et qu’aient été explicités, le cas échéant, les faits retenus contre l’individu. L’art. 150 du Code des professions[69] prescrit du reste cette démarche en deux phrases (et l’impose au Tribunal des professions dans le cas particulier prévu par l’art. 175, 3e al. du Code des professions). L’art. 98 de la Loi sur le courtage immobilier[70] dicte le même mode de fonctionnement en deux étapes aux comités de discipline de l’organisme d’autoréglementation du courtage immobilier, tout comme l’art. 376 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[71] (par renvoi au Code des professions), en ce qui concerne les comités de discipline de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages (mentionnons aussi l’art. 379 de la même loi). On peut renvoyer aussi aux art. 233 et 234 de la Loi sur la police[72]. L’art. 24 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[73] et l’art. 96 du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale[74] énoncent la même règle de fonctionnement, alors qu’il s’agit dans l’un et l’autre cas d’un processus d’enquête ayant une certaine parenté fonctionnelle avec le mécanisme mis en place par la Loi sur les tribunaux judiciaires.

[124]     Devant cela, on pourrait objecter immédiatement que, le législateur n’ayant pas cru utile d’inclure semblable disposition dans la Loi sur les tribunaux judiciaires, le comité d’enquête n’est pas tenu de procéder ainsi. L’argument me paraît toutefois bien court, et trompeur.

[125]     En effet, on peut aisément concevoir les raisons qui ont convaincu le législateur de prévoir explicitement cette forme de scission dans le Code des professions, la Loi sur le courtage immobilier, la Loi sur la distribution de produits et services financiers, la Loi sur la police, la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale ou même le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale[75], alors que les ordres professionnels ou les entités péri-professionnelles et leurs conseils ou comités de discipline (à l’exception de ceux du Barreau et de la Chambre des notaires) ainsi que les autres instances visées ne sont pas peuplés principalement de juristes et doivent être éclairés sur le plan procédural afin d’assurer le respect de la justice naturelle. Les dispositions législatives précitées ont en ce sens une valeur pédagogique, en consacrant explicitement ce que commande la justice naturelle.

[126]     Par contraste, l’on comprend tout aussi aisément que le législateur, soucieux des balises constitutionnelles de ses interventions en matière de discipline judiciaire et respectueux de la compétence spécialisée et de l’indépendance du Conseil, du comité d’enquête et de leurs membres, n’ait pas cru nécessaire de leur rappeler les principes de l’équité procédurale et qu’il se soit contenté d’une disposition générale, celle de l’art. 275 L.t.j., qui laisse le comité d’enquête libre de sa conduite, une liberté que reconnaît la Cour suprême[76], mais qui n’en doit pas moins s’exercer conformément à la justice naturelle, une justice naturelle qui est au cœur du quotidien judiciaire.

[127]     La sensibilité judiciaire à l’équité procédurale, en effet, n’a pas besoin de rappel législatif, comme l’illustrent du reste les matières d’outrage au tribunal. On sait que l’art. 61, 3e al. C.p.c., reprenant l’essence de l’ancien art. 54 a.C.p.c., prévoit que « [l]orsque le jugement déclare qu’un outrage a été commis, il doit indiquer la sanction prononcée » - donc, théoriquement, en même temps -, mais on sait aussi que la Cour supérieure pratique volontiers une forme de scission d’instance en ces matières[77], sur le modèle avalisé par la Cour suprême dans Carey c. Laiken[78]. Pourquoi une telle pratique, qui s’éloigne a priori du vœu du législateur? C’est que, s’agissant d’une procédure quasi criminelle, il paraît impossible de faire autrement, en toute justice pour le contrevenant. Comme l’explique en effet la Cour supérieure dans Droit de la famille — 112094[79] :

[…] A two-stage procedure has the following benefits: (a) it promotes the right to a fair hearing under art. 23 of the Québec Charter of Human Rights and Freedoms by allowing the Court to focus its attention solely on the issue of guilt in the first hearing; and (b) furthermore, it allows the delinquent found guilty of contempt, the opportunity to prepare representations for sentence, an important consideration given the potential for imprisonment and fine.

[128]     Il n’est à l’évidence pas question d’emprisonnement dans les matières disciplinaires (encore qu’il puisse y avoir des sanctions pécuniaires), mais le propos ci-dessus y est intégralement applicable, les avantages de la scission, sur le plan de l’équité procédurale, étant bien réels. Pourquoi la discipline judiciaire devrait-elle être soustraite à cette obligation, alors que la réprimande et la destitution, seules sanctions possibles, ont un impact analogue à celui des sanctions que l’on impose dans le cadre, par exemple, de la discipline professionnelle?

[129]     On répliquera à cela que, la Loi sur les tribunaux judiciaires ne prévoyant, justement, que deux sanctions (la réprimande ou la destitution), le juge visé peut facilement se défendre sur les deux points et présenter sa preuve et ses observations sans besoin d’une audience distincte qui ne surviendrait qu’après la détermination de l’existence de la faute déontologique. L’argument, à mon avis, est réducteur.

[130]     Il est foncièrement injuste, en effet, de demander à celui qui n’a pas encore été déclaré coupable d’une transgression quelconque (criminelle, pénale, disciplinaire ou déontologique) qu’il présente des observations, forcément spéculatives, sur la sanction qui devrait lui être imposée pour le cas où il le serait. Et la seule culpabilité, d’ailleurs, ne suffit pas : encore faut-il connaître les faits que retient le décideur ou l’enquêteur[80] au soutien de cette conclusion. En effet, comment celui à qui l’on reproche des manquements divers pourrait-il présenter au chapitre de la sanction des observations conjecturales reposant sur les différentes hypothèses factuelles que le décideur ou l’enquêteur est susceptible de retenir de la preuve? On ne pourrait parler là d’une plaidoirie efficace ni, par conséquent, d’une défense pleine et entière.

[131]     Distinguer la culpabilité de la sanction et procéder en deux étapes évite en outre à celui qui conteste l’existence ou la gravité de l’inconduite le risque de faire ou d’avoir à faire sur la sanction une preuve et des observations nuisibles à cette contestation ou d’avoir à s’abstenir de faire une telle preuve ou de telles observations afin de ne pas compromettre ladite contestation. En séparant la détermination de l’existence de la faute de celle, le cas échéant, de la sanction, on permet donc au contrevenant, une fois la première établie et expliquée, de présenter une preuve et des observations pertinentes sur la seconde (et de les faire toutes), mais aussi, s’il y a lieu, d’exprimer des regrets ou de faire amende honorable et de prendre une décision éclairée à cet égard, en temps opportun. On imagine en effet mal le contrevenant (y compris lorsqu’il s’agit d’une contravention déontologique) se repentir préventivement d’un manquement dont il conteste l’existence ou l’importance, ce qui affecterait forcément sa crédibilité et la pertinence même de ses propos. Là encore, on ne pourrait parler d’une plaidoirie efficace ou d’une défense pleine et entière, composantes et de la règle audi alteram partem et de l’équité procédurale en pareilles circonstances.

[132]     Or, c’est bien de cela qu’a été privé le juge Bradley, puisque, alors que l’avocat assistant le comité n’a pas fait de recommandation précise sur la sanction (tout en évoquant la seule possibilité d’une réprimande), il a été obligé de présenter, à l’aveuglette, des observations sur la sanction appropriée à des manquements déontologiques dont il contestait l’existence, dont il ne savait pas encore s’il serait déclaré coupable (pour ainsi dire), le tout sans connaître exactement ce que le comité lui reprocherait finalement (à supposer qu’il lui reproche quelque chose). Il s’est de ce fait trouvé empêché de faire une preuve efficace ou encore, à l’inverse, de s’excuser, d’affirmer sa volonté de s’amender, etc. Qu’il n’y ait eu que deux sanctions envisageables ne change rien à la situation.

[133]     Bref, il me paraît y avoir ici une entorse à l’équité procédurale de mise en matière disciplinaire et en matière déontologique : les professionnels en général, les édiles municipaux, les députés ainsi que ceux qui commettent un outrage au tribunal ont droit à cette forme de justice naturelle et je ne peux me convaincre qu’il y ait lieu de dépouiller de cette garantie élémentaire les juges engagés dans un processus disciplinaire. Il ne s’agit pas de leur octroyer un traitement préférentiel, mais simplement de leur donner accès au processus généralement applicable en semblable matière. Le fait que des normes de conduite particulièrement élevées soient imposées aux juges ne justifie en effet pas qu’on émousse les garanties d’équité procédurale inhérentes aux processus disciplinaires.

[134]     En somme, il n’y a guère de doute dans mon esprit :

1°        Le comité d’enquête est assujetti à l’obligation d’équité procédurale, déclinaison de la justice naturelle.

2°        Vu le contexte général du processus disciplinaire établi par la Loi sur les tribunaux judiciaires, la nature de la décision recherchée (qui est déterminante dans tous les cas, même si elle est préliminaire dans celui de la destitution) et son importance pour l’individu visé, dont elle affecte les droits et les privilèges, l’équité procédurale commandait en l’espèce que le juge Bradley soit autorisé à faire ses observations sur la sanction après que sa culpabilité ait été déterminée et qu’il ait l’occasion de soumettre une preuve à ce sujet, au besoin, ce qui aurait requis, on le conçoit bien, une scission de l’enquête.

[135]     Il faut d’ailleurs noter que si la Loi sur les tribunaux judiciaires est muette sur ce point, ce n’est pas le cas des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête[81] (règles édictées par le Conseil en vue de guider la conduite des comités d’enquête « malgré les règles de procédure ou de pratique qu’un comité d’enquête (comité) peut adopter pour la conduite d’une enquête, conformément à l’article 275 de la Loi »[82]). L’art. 16 de ces Règles énonce en effet ce qui suit :

ARTICLE 16

Le rapport du comité doit être motivé et il porte sur le bienfondé de la plainte et sur la sanction.

Sous réserve d’une décision contraire du comité, l’enquête n’est pas scindée pour entendre les observations sur la sanction. Le cas échéant, le comité informe les parties de son intention à cet égard.

Si le comité conclut que la plainte est fondée, il peut seulement recommander qu’une réprimande soit adressée au juge par le Conseil ou sa destitution.[83]

[Je souligne]

[136]     C’est le second alinéa de cette disposition qui m’intéresse ici : l’enquête, nous dit-on, n’est pas scindée pour entendre les observations sur la sanction, sous réserve d’une décision contraire du comité. Celui-ci doit aviser les parties[84] de son intention à cet égard. À mon avis, et je le dis très respectueusement, c'est plutôt la règle contraire qui devrait être énoncée, à savoir que la scission est de mise, sauf exception.

[137]     Quoi qu’il en soit, il ressort tout de même de cette disposition qu’il est donc des cas dans lesquels il sera opportun ou nécessaire de scinder l’enquête en deux phases, l’une qui concerne l’inconduite et l’autre, le cas échéant, la sanction. Malgré le langage de l’art. 16, c’est une décision qui ne dépend que jusqu’à un certain point de la volonté du comité, puisqu’elle s’impose à lui chaque fois que l’équité procédurale l’exige. La possibilité pour le comité de scinder l’enquête ne peut en effet pas être laissée à son arbitraire, ce qui serait susceptible de créer des disparités - et donc des injustices - dans le traitement accordé à un juge et celui accordé à un autre. La décision d’un comité à cet égard doit reposer sur des motifs raisonnables, au premier chef desquels, il va sans dire, l’équité procédurale.

[138]     Mais l’équité procédurale exigera-t-elle toujours un processus en deux phases? On peut sans doute concevoir des cas où pareille scission ne serait pas utile, par exemple lorsque le juge admet l’inconduite dénoncée par la plainte, de sorte que l’enquête du comité et le débat devant lui portent essentiellement sur la sanction. Cependant, dans une situation comme celle de l’espèce, alors que les motifs de reproche sont nombreux et contestés, l’équité procédurale exigeait la scission que permettait expressément l’art. 16 des Règles de l’époque (et que permettent toujours les Règles actuelles). À mon avis, le comité aurait dû procéder de cette manière dans le cas du juge Bradley[85].

[139]     On opposera immédiatement à cette conclusion le fait que la Cour suprême a, par deux fois déjà, décidé en sens contraire, et ce, dans les affaires Therrien et Moreau-Bérubé. Il me paraît toutefois que l’on peut distinguer ces arrêts, dont le résultat s’explique par des considérations particulières.

[140]     Voyons d’abord ce qu’il en est de l’arrêt Moreau-Bérubé[86], dans lequel la juge Arbour, au nom de la Cour suprême, affirme que :

81        Le fait qu’on n’ait pas mentionné la possibilité d’une recommandation de révocation avant d’émettre cette recommandation n’est également pas pertinent. Le Conseil n’a pas l’obligation de rappeler à l’intimée de lire attentivement le paragr. 6.11(4) [disposition législative énonçant les sanctions envisageables, qui incluent la destitution]. Même si, dans le cadre de sa procédure, le Conseil aurait pu rappeler à la juge Moreau-Bérubé qu’il n’était pas lié par les recommandations du comité d’enquête, il a décidé de ne pas le faire et il avait le pouvoir discrétionnaire de prendre cette décision.

[…]

83        Je partage l’avis du juge Drapeau, selon lequel « il est incontestable qu’à chaque étape où elle avait ce droit, la juge Moreau-Bérubé a été entendue pleinement » (par. 150). Je suis consciente que la nature de ces procédures disciplinaires impose au Conseil une stricte obligation d’agir équitablement, mais je ne peux trouver aucune violation des règles de justice naturelle en l’espèce.

[141]     Le propos est sévère, mais sa portée réelle doit être relativisée en raison du contexte de l’affaire, que voici.

[142]     Le Conseil de la magistrature du Nouveau-Brunswick « a recommandé la révocation d’une juge de la Cour provinciale en raison de déclarations qu’elle [a] faites alors qu’elle présidait une audience de détermination de la peine »[87] (recommandation qui lie le lieutenant-gouverneur en conseil de la province). Ce faisant, le Conseil s’écartait de la recommandation que lui avait faite le comité d’enquête chargé d’établir les faits, comité d’enquête dont la majorité des membres suggérait une réprimande[88]. La juge visée dépose auprès de la Cour du Banc de la Reine une demande de révision judiciaire de la décision du Conseil. Elle obtient gain de cause, ce que confirme, avec dissidence, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick. En appel de cet arrêt, la Cour suprême, sous la plume de la juge Arbour, se rangera à l’avis du juge dissident, accueillera le pourvoi et rétablira la décision du Conseil. Elle conclut, d’une part, qu’il n’était pas de la mission du comité d’enquête de formuler une recommandation et que, d’autre part, cette recommandation ne liait pas le Conseil dont la décision, sur le fond, répondait entièrement aux exigences de la norme de la décision raisonnable simpliciter (selon l’état du droit à l’époque)[89]. Enfin, la Cour suprême rejettera aussi l’argument qu’avance la juge et selon lequel « en recommandant une sanction moins sévère que la révocation, le comité l’a indirectement privée de la possibilité de présenter des arguments contre la révocation et que si elle avait su qu’une recommandation de révocation était envisagée, elle aurait plaidé en conséquence devant le Conseil »[90]. On a vu plus haut les commentaires incisifs de la juge Arbour à ce sujet[91].

[143]     Or, si la Cour suprême rejette ce dernier argument, c’est notamment parce que la requête en révision judiciaire de la juge ne reprochait pas au Conseil de ne l’avoir pas prévenue qu’elle risquait la destitution ou de n’avoir pas procédé en deux étapes. En effet, c’est le juge de la Cour du Banc de la Reine qui avait lui-même soulevé la question de l’équité procédurale et conclu que le Conseil aurait dû, dans les circonstances, aviser la juge que sa destitution pouvait être recommandée. La juge Arbour note la chose à deux reprises[92], ce qui n’étonne pas vu le caractère déterminant de la circonstance, la juge n’ayant elle-même « jamais affirmé avoir commis une telle erreur [c.-à-d. « mal compris les questions en jeu devant le Conseil »[93]] avant que celle-ci soit soulevée par le juge Angers en révision judiciaire »[94]. Il en va tout autrement dans notre affaire, alors que le juge Bradley soulève cette question dans sa demande de contrôle judiciaire (et je reviendrai plus loin sur la question de savoir si l’on peut lui reprocher de n’avoir pas demandé au comité de procéder à une audience distincte sur la peine[95]).

[144]     En outre, les commentaires précités et la sévérité de la juge Arbour s’expliquent d’autant mieux - et cela distingue également l’affaire Moreau-Bérubé de celle dont notre cour est saisie - que l’intéressée reconnaissait son inconduite, dont elle s’était profusément et publiquement excusée avant même que la plainte déontologique ne soit portée contre elle. Malgré cette reconnaissance, elle demandait au Conseil de rejeter la plainte et l’on comprend que le débat devant cette instance portait surtout sur l’opportunité de sanctionner l’inconduite, vu les excuses répétées ayant suivi les propos controversés. Par contraste, dans le présent dossier, le juge Bradley, devant le comité d’enquête, n’admettait pas le manquement déontologique, ni le caractère inapproprié de son comportement : l’existence même de l’inconduite constituait l’enjeu premier et la question de la sanction ne pouvait se poser que dans un second temps, c’est-à-dire dans la seule mesure où le comité concluait que cette inconduite était établie.

[145]     Mais si l’affaire Moreau-Bérubé peut être distinguée de celle qui nous occupe, tant pour les raisons ci-dessus qu’au vu des différences entre le processus disciplinaire néo-brunswickois et celui qu’instaure la loi québécoise, qu’en est-il de l’arrêt Therrien, qui s’inscrit dans le cadre de ce dernier?

 

[146]     Le juge Gonthier y écrit ceci :

83        L’appelant prétend d’abord qu’il n’a pas bénéficié d’un préavis suffisant quant aux conclusions susceptibles d’être tirées par le comité d’enquête et qu’il n’a pas obtenu une audition supplémentaire et distincte de la première afin d’exprimer son point de vue sur les sanctions appropriées à sa conduite.

84        Il fait valoir que, lors de la séance de plaidoiries tenue le 26 mars 1997 devant le comité d’enquête, son procureur a exprimé le souhait de faire des représentations sur les sanctions applicables aux manquements déontologiques de l’appelant si le comité en arrivait à la conclusion que la plainte était fondée. Il mentionnait alors qu’il préférait connaître l’ampleur et la gravité des manquements retenus avant de se prononcer. En réponse à cette préoccupation, le comité d’enquête envoyait le 30 mai 1997 une lettre au procureur de l’appelant dans laquelle il disait souhaiter ne pas communiquer de façon préliminaire une partie de son rapport d’enquête puisque celui-ci constituait un tout qu’il n’était pas opportun de scinder, et qu’en conséquence, il l’invitait à lui faire part de « toutes les représentations pertinentes relatives à la sanction à recommander, advenant que le rapport du Comité établisse que la plainte est fondée ». Le plaignant, le ministre de la Justice du Québec, avait, quant à lui, déjà fait part de son intention de s’en remettre à la discrétion du comité. Devant un premier refus du procureur de l’appelant de présenter son point de vue, le comité réitère son invitation. Finalement, le comité soumet son rapport le 11 juillet 1997 sans avoir reçu de représentations de la part de l’appelant ou encore du ministre.

            (i)   L’existence d’un préavis

85        D’abord, l’appelant invoque l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440, pour exiger un préavis, sous le sceau de la confidentialité, l’informant avant la fin des audiences des différentes conclusions susceptibles d’être tirées contre lui. Je considère que cette décision n’est d’aucun secours à l’appelant en l’espèce. Cette exigence fut formulée dans un contexte bien particulier, propre aux commissions d’enquête chargées de « faire enquête et rapport sur toute question touchant l’état et l’administration des affaires de son ministère, [...] sur la conduite, [...] de toute personne y travaillant» (art. 6 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. 1985, ch. I-11 ). Dans le cadre de cette enquête, les commissaires ont le pouvoir d’imputer une faute à des organismes ou à des personnes en particulier et doivent, le cas échéant, donner à ces personnes, qui ne sont pas parties à l’enquête, un préavis les informant des conclusions susceptibles d’être tirées à leur égard dans le rapport final (par. 56).

86        En l’espèce, le comité d’enquête du Conseil de la magistrature ne tient pas une enquête en général, il étudie une plainte précise portée à l’encontre d’un juge en particulier. Ce juge est partie prenante dès le début des procédures et est, en conséquence, informé de ce qui lui est reproché. De toute façon, j’estime que l’appelant a bénéficié d’un préavis suffisant dans les circonstances de cette affaire. Conformément à l’art. 266 L.T.J., sur réception de la plainte, le Conseil en communiquait une copie au juge. De plus, le 6 février 1997, les intimées déposaient un acte de procédure intitulé « Précisions volontairement fournies par le plaignant » dans lequel elles précisaient l’objet de la plainte. Dans ce contexte, l’appelant connaissait très bien l’ensemble des conclusions d’inconduite susceptibles d’être tirées contre lui et l’obligation d’agir équitablement qui incombait au comité d’enquête a été respectée à cet égard.

            (ii)  L’audition supplémentaire et distincte

87        L’appelant prétend aussi avoir droit à une audition distincte sur les sanctions. Il s’appuie sur la procédure utilisée par la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique et examinée par notre Cour dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, p. 608. Sans préciser s’il s’agissait là d’une procédure nécessaire, ou même souhaitable, pour se conformer aux exigences de l’équité procédurale, le juge Iacobucci mentionne simplement que c’était la procédure choisie par la Commission dans le cadre de son enquête.

88        Au même titre, le comité d’enquête du Conseil de la magistrature était-il maître de sa procédure en l’espèce. Le professeur Y. Ouellette, dans son ouvrage Les tribunaux administratifs au Canada : Procédure et preuve (1997), p. 92, commente ainsi l’autonomie dont jouissent les tribunaux administratifs dans l’élaboration de leur procédure quasi judiciaire :

            Dès l’apparition des premiers tribunaux administratifs d’appel au Royaume-Uni au début du siècle, les partisans de la judiciarisation et ceux de l’autonomie de la procédure se sont affrontés et l’on s’est alors demandé si la procédure judiciaire devait ou non servir de source supplétive ou de modèle à imiter. L’affaire Local Government Board c. Arlidge [[1915] A.C. 120 (H.L.)] peut être considérée comme l’arrêt de principe, orientant résolument la procédure vers l’autonomie et la déjudiciarisation…

            D’abord, Lord Haldane explique que l’octroi d’une compétence d’appel à un organisme administratif plutôt qu’à un tribunal judiciaire exprime un changement de politique du législateur et qu’il faut accepter les conséquences de ce choix politique. L’organisme doit certes agir judiciairement, mais on doit considérer que le législateur, en l’absence d’indication contraire, a voulu laisser l’organisme décider de sa procédure pour pouvoir agir efficacement. Lord Shaw va même jusqu’à mettre en garde le pouvoir judiciaire contre la tentation d’imposer ses propres méthodes aux tribunaux administratifs. C’est à lui que l’on doit la célèbre proposition : le tribunal est maître de sa procédure.

89        Le législateur québécois a consacré cette autonomie dans le cas particulier du comité d’enquête du Conseil de la magistrature par l’adoption de l’art. 275 L.T.J., en lui permettant expressément d’adopter les règles de procédure ou de pratique qu’il juge convenir aux circonstances de son enquête et de rendre, en s’inspirant du Code de procédure civile, les ordonnances nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Ainsi, le comité était pleinement justifié de refuser la tenue d’une audience séparée dans un souci d’efficacité.

90        Par ailleurs, il ressort des faits de cette affaire que le comité d’enquête a fait un effort réel pour permettre à l’appelant de présenter son point de vue. Tout en l’informant que le rapport à déposer au Conseil de la magistrature ne pouvait être scindé afin d’en faire connaître un aspect de façon préliminaire, il a fourni à l’appelant, et ce, à deux reprises, l’occasion de se faire entendre, par écrit et même verbalement, sur les différentes sanctions applicables.

91        Je conclus donc que le droit de l’appelant d’être entendu a été pleinement respecté dans les circonstances et je rejette ce moyen d’appel. Reste à examiner le second volet que comporte l’obligation d’agir équitablement, soit le droit à une audition impartiale.

[147]     Voilà qui semble clair, mais qui, à mon avis, ne répond pas parfaitement aux préoccupations de l’espèce.

[148]     D’une part, et je l’écris bien sûr avec la plus grande déférence, je m’étonne de ce que l’on subordonne cette exigence primordiale[96] qu’est l’équité procédurale, condition même de l’exercice équitable du pouvoir[97], à des considérations d’efficacité, du moins dans un contexte comme celui-ci. J’estime de surcroît qu’il n’y a rien d’incompatible entre l’équité procédurale et l’efficacité, le respect de la première étant au contraire garante de la seconde, ne serait-ce qu’en évitant des contestations. D’ailleurs, on voit mal ce en quoi la tenue d’une audition distincte sur la sanction gênerait le processus établi par la Loi sur les tribunaux judiciaires et le rendrait moins efficace. Comme on l’a vu plus haut, toute la discipline professionnelle est fondée sur ce principe procédural, qui ne paraît pas constituer une entrave : pourquoi le deviendrait-il dans le cadre du processus applicable aux juges? Comme je l’indiquais plus haut[98], il me semble que cette démarche à deux volets convient au contraire à la mission investigatrice du comité d’enquête, ne la contrecarre en rien et s’y harmonise sans heurt : la « recherche active de la vérité », sur le double plan philosophique et pratique, s’en trouve même renforcée.

[149]     D’autre part, quant à la liberté procédurale du comité, et là encore je le dis très respectueusement, elle demeure tributaire de l’équité procédurale, qui est le principe cardinal en la matière et qui restreint l’autonomie des instances administratives, incluant celle-ci. De toute façon, il ne s’agit nullement d’imposer au comité d’enquête une procédure lourde ou incongrue (déraisonnable ou impropre, pour reprendre les mots du juge LeDain dans Cardinal[99]), mais simplement d’adopter une pratique répandue en semblable matière.

[150]     Enfin, on peut même se demander si le fait de scinder l’enquête ne serait pas bénéfique aux membres du comité eux-mêmes, qui pourraient alors interagir plus librement avec l’intéressé et lui poser toutes les questions propres à la détermination de la sanction. Procéder comme on l’a fait ici restreint inévitablement la marge de manœuvre des membres du comité, qui sont contraints dans cet exercice par la discrétion qu’ils s’imposent quant à leurs inclinaisons sur l'inconduite ou par le fait que, n’ayant pas encore statué sur celle-ci, ils ne savent pas encore où les mènera leur réflexion. De procéder en deux temps leur éviterait en tout cas d’avoir à prendre des précautions oratoires ou à limiter leurs observations (voir infra, paragr. [161]).

[151]     Cela dit, il faut constater aussi que, dans Therrien, le comité d’enquête, s’il n’avait pas voulu révéler sa décision sur le manquement reproché, avait tout de même, selon le juge Gonthier, « fait un effort réel pour permettre à l’appelant de présenter son point de vue »[100] en lui donnant par deux fois, subséquemment à ses premières audiences, l’occasion de « lui faire part de “de toutes les représentations pertinentes relatives à la sanction à recommander, advenant que le rapport du Comité établisse que la plainte est fondée” »[101] et de « se faire entendre, par écrit et même verbalement, sur les différentes sanctions »[102], invitation à laquelle l’appelant n’avait pas répondu. Sur ce plan, l’affaire se distingue de celle du juge Bradley, qui ne fut jamais invité à s’adresser ainsi au comité, en tout cas pas autrement que dans le cadre de l’enquête tenue le 3 octobre 2016.

[152]     Devant la Cour, l’avocat du Conseil de la magistrature (défendeur à la demande de contrôle judiciaire) soulève cependant le fait que ni le juge Bradley ni son avocat n’ont requis d’audience distincte sur la sanction, ce qu’ils auraient pu demander en vertu de l’art. 16 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête et comme l’avait fait le juge Therrien dans l’affaire précitée. Cela est exact, mais s’explique et, même, se justifie, par le déroulement particulier de l’enquête tenue par le comité.

[153]     En effet, dans les circonstances, le juge Bradley pouvait légitimement et raisonnablement croire que sa destitution, sujet qui n’a été abordé d’aucune façon à l’une ou l’autre des étapes du processus d’enquête[103], ne serait pas recommandée, advenant même que le comité conclue à un ou des manquements déontologiques.

[154]     Ainsi, au contraire de la plainte formellement portée contre la juge Moreau-Bérubé, plainte qui soulevait expressément la possibilité qu’elle se soit « rendue inapte à exercer ses fonctions de juge »[104], tel n’était pas le cas de la plainte portée contre le juge Bradley. Bien entendu, le plaignant y précisait les reproches adressés à ce dernier, mais sans requérir ou mentionner de sanction particulière. Par contraste, il apparaît clairement du contexte que la destitution du juge constituait l’enjeu central de l’enquête dans l’affaire Therrien, ce qui n’est pas le cas ici.

[155]     De son côté, dans la décision préliminaire par laquelle, conformément aux art. 263, 265 et 268 L.t.j., le Conseil conclut qu’il y a matière à faire enquête sur la plainte du justiciable, le sujet de la sanction n’est pas abordé (ce qui aurait été prématuré, on peut en convenir). Après avoir rappelé certains faits, le Conseil décide ainsi que :

 

L’analyse

[20]      L’examen de la plainte ne permet pas de disposer sommairement de celle-ci. Il y a lieu de continuer à la faire cheminer selon le processus édicté par la Loi sur les tribunaux judiciaires.

[21]      L’écoute de l’enregistrement audio des débats suscite des interrogations sérieuses sur le comportement du juge. L’enquête permettra notamment d’apporter un éclairage complet sur le comportement du juge.

[22]      La cueillette et l’analyse des faits permettront notamment de déterminer si le juge a agi dans le cadre du droit, avec intégrité, dignité et honneur, s’il a su faire preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité et s’il a rempli utilement et avec diligences les devoirs de sa charge.

La conclusion

[23]      EN CONCLUSION, le Conseil de la magistrature décide de faire enquête sur la plainte de monsieur Marcel Drolet à l’égard de monsieur le juge R. Peter Bradley.[105]

[156]     Ce silence persiste par la suite. L’avocat assistant le comité d’enquête aux termes de l’art. 281 L.t.j., avocat qui n’a pas la fonction de poursuivant, a notamment pour rôle de présenter « ses observations sur les questions de fait et de droit quant au bien-fondé de la plainte, de même que sur la sanction appropriée »[106]. Or, il n’a jamais évoqué la destitution, sinon de manière abstraite et sans indiquer qu’il s’agirait là d’une avenue opportune en l’espèce. Ainsi, dans les commentaires écrits qu’il destine au comité, il indique uniquement ceci :

38.       Si le Comité d’enquête conclut que la plainte est fondée, il doit recommander au Conseil une sanction. Malheureusement, la loi ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre quant à cette dernière :

« Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, art. 279 :

Si le rapport d’enquête établit que la plainte est fondée, le conseil, suivant les recommandations du rapport d’enquête.

a) réprimande le juge; ou

b) recommande au ministre de la Justice et procureur général de présenter une demande à la Cour d’appel conformément à l’article 95 ou à l’article 167.

S’il fait la recommandation prévue par le paragraphe b, le conseil suspend le juge pour une période de trente jours.

39.       La recommandation mentionnée au paragraphe b) est celle de destituer le juge.

40.       Dans le dossier De Michele, le procureur assistant le Comité, s’appuyant sur le fait que le juge récidivait, avait invité le Comité à conclure que les manquements déontologiques reprochés au juge le rendaient inapte à exercer sa fonction. Le Comité a plutôt conclu qu’une sévère réprimande était la sanction la plus appropriée, « considérant l’absence de toute mesure intermédiaire entre la réprimande et la recommandation de destitution. » (par. 48)[107]

[157]     Il ressort assez clairement des propos ci-dessus que, sans se prononcer de manière expresse, l’avocat du comité recommande implicitement la même sanction que dans l’affaire De Michele (où le juge, comme en l’espèce, avait fait l’objet d’une première réprimande sanctionnant un manquement déontologique précédent), à savoir une réprimande. C’est d’ailleurs précisément ce qu’a compris l’avocat du juge Bradley, qui, au paragr. 40 de sa « contestation de l’argumentation écrite du procureur conseiller du comité d’enquête »[108], indique ceci :

40.       Le juge intimé prend acte du fait que le procureur du comité ne suggère pas une sanction autre que la réprimande.

[158]     Enfin, lors des plaidoiries, l’avocat assistant le comité déclare que :

            Au niveau de la sanction, et je terminerai là-dessus, j’ai noté dans le dossier De Michele qu’il s’agissait d’une récidive.

            Si le Comité recommande au Conseil d’imposer une sanction, ce sera également une récidive.

            Le procureur avait demandé dans De Michele, donc, une décision du printemps dernier, rien de moins qu’une recommandation de destitution, mais le Comité a recommandé qu’il y ait plutôt une réprimande à nouveau.

            Alors, c’est le précédent que je voulais vous soumettre.[109]

[159]     On peut bien disséquer ces paroles et suggérer que l’avocat était favorable à la destitution du juge Bradley, mais qu’il ne l’a pas recommandée en raison du « précédent » que constituait l’affaire De Michele. Il en dit cependant trop peu pour qu’on puisse lui attribuer fermement cette intention, qu’il aurait pu formuler beaucoup plus clairement, si c’était bien là ce qu’il entendait.

[160]     On ne peut donc pas s’étonner que l’avocat du juge Bradley (qui plaide surtout l’absence de manquement déontologique) ait conclu que son confrère n’envisageait que la réprimande, comme le montre la réponse qu’il lui fait devant le comité :

            Pour ma part, j’ai la conviction que monsieur le juge Bradley, qui s’est exprimé devant vous sans aucune réserve, avec toute son expérience, sa compétence… c’est vrai que c’est un homme, un pédagogue, qui explique et qui réexplique avec conviction, il a déjà été blâmé, il vous l’a dit qu’il vit tous les jours avec cette sanction-là, qu’il fait tout en son possible pour encore s’améliorer, mais je ne pense pas que les faits de la présente affaire justifieraient une réprimande à son égard.[110]

[161]     Notons enfin que les notes sténographiques de l’enquête devant le comité montrent que ses membres ne poseront pas de questions sur la sanction ni ne feront de commentaire à ce sujet. Ils ne demanderont pas aux avocats de faire valoir leur point de vue sur la destitution et n’indiqueront pas, par exemple, qu’il serait prudent d’aborder le sujet, leur décision sur la sanction n’étant pas encore arrêtée. Ils ont pourtant dû constater l’orientation prise par les deux avocats. On peut peut-être comprendre leur réserve, mais, à vrai dire, si un tribunal peut, sans enfreindre son devoir d’impartialité ou indiquer d’avance ses intentions, signaler aux parties des lacunes dans leur preuve (art. 268 C.p.c.) ou soumettre proprio motu une question à leur attention, il est certainement possible pour les membres d’un comité d’enquête (dont trois juges rompus en principe à l’exercice de l’art. 268 C.p.c.) de faire de même sans trahir ou dévoiler leurs inclinaisons[111], bien que cela puisse, comme en matière judiciaire, imposer une certaine gymnastique (gymnastique qui ne serait pas nécessaire s’il y avait scission, voir supra, paragr. [150]).

[162]     Dans un autre ordre d’idées, il est vrai que la suggestion de l’avocat qui l’assiste ne lie aucunement le comité, qui est libre de recommander l’une ou l’autre des deux sanctions que prévoit la loi, une fois établies la nature de l’inconduite et celle de l’infraction déontologique. Il est vrai aussi que, bénéficiant des conseils et de la représentation d’un avocat (et je paraphrase ici la juge Arbour dans Moreau-Bérubé), le juge Bradley n’avait certainement pas besoin qu’on lui rappelle les termes de l’art. 279 L.t.j. et l’existence des deux sanctions prévues par cette disposition. On pourrait donc être enclin à dire qu’il ne pouvait s’en remettre simplement à l’avocat assistant le comité et qu’il n’avait qu’à se préparer adéquatement aux deux issues possibles. Toutefois, devant la manière dont s’est déroulée l’enquête, devant les observations de l’avocat assistant le comité et devant le silence des membres de celui-ci sur la question de la sanction, on peut raisonnablement penser que le juge Bradley a été induit en erreur, l’hypothèse de la destitution, qui s’est finalement matérialisée dans le rapport du comité, n’ayant jamais été abordée.

[163]     On peut à tout le moins estimer que, en considération de tout cela et au vu des règles généralement suivies en toutes matières disciplinaires ainsi que de l’art. 16 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête (qui n’existaient pas à l’époque de l’affaire Therrien), le juge Bradley pouvait légitimement conclure que, le cas échéant, la sanction ne dépasserait pas la réprimande[112]. En l’espèce, à défaut d’avoir scindé l’instance, ce qui aurait été conforme à l’équité procédurale et aurait prévenu toute difficulté (y inclus pour lui-même), le comité aurait dû au moins aviser le juge Bradley que la destitution n’était pas exclue et offrir de l’entendre à ce sujet (comme dans Therrien).

[164]     De son côté, le juge Bradley n’a peut-être pas cru utile de demander une scission de l’enquête dans la mesure où il croyait ne faire face, au pire, qu’à une recommandation de réprimande. Devant la possibilité de sa destitution, son attitude aurait sans doute été différente. Or, il n’a pas eu l’occasion d’envisager cette possibilité (autrement que de façon purement théorique) et d’agir en conséquence.

[165]     Bref, pour toutes ces raisons et malgré les arrêts Therrien et Moreau-Bérubé, j’estime que le comité a enfreint l’équité procédurale en ne scindant pas son enquête en deux étapes, l’une portant sur le manquement et l’autre sur la sanction appropriée à la conduite fautive ainsi déterminée. Subsidiairement, on peut au moins reprocher au comité de n’avoir pas averti le juge Bradley que ses observations étaient lacunaires[113], qu’il devait considérer la destitution et ne pouvait faire l’économie de représentations (preuve et plaidoirie) à ce sujet.

[166]     Doit-on pour autant accueillir la demande de contrôle judiciaire du juge Bradley? Une réponse négative s’impose.

[167]     Dans la mesure où les arrêts Therrien et Moreau-Bérubé peuvent être distingués pour les raisons que j’ai exposées précédemment et bien que l’on puisse dès lors conclure que le comité d’enquête a enfreint l’équité procédurale en ne procédant pas en deux phases, il n’y a néanmoins pas lieu de faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

[168]     Le contrôle judiciaire, en effet, demeure un remède discrétionnaire[114], qui peut notamment être refusé lorsque le demandeur dispose d’une autre réparation efficace[115], ce qui est ici le cas. L’enquête de novo que mène la Cour en vertu de l’art. 95 L.t.j. permet en l’espèce d’obvier au manquement procédural reproché au comité. Il y a certes une ironie dans le fait de ce palliatif (qui ne dépend pas de la volonté de l’intéressé et lui a été imposé), mais palliatif il y a néanmoins.

[169]     En effet, l’objet de l’enquête de la Cour est clair et, cette fois, la destitution en constitue l’enjeu principal. Il ne peut y avoir aucun malentendu à ce sujet. Les faits de l’affaire, par ailleurs, ne sont pas contestés devant la Cour : ce sont simplement leur nature qui est en cause ainsi que leur caractérisation. Le juge Bradley et son avocat ont par conséquent eu tout loisir d’expliquer ce en quoi la destitution n’est pas appropriée et de faire une preuve visant à démontrer qu’elle ne s’impose pas.

[170]     Bref, l’accroc procédural dont on peut faire grief au comité trouve remède dans le fait même de l’enquête de novo de la Cour, dont l’intervention constitue ici une solution de rechange adéquate, remédiant à l’irrégularité. Celle-ci a expressément abordé le sujet de la sanction sous tous ses aspects. Elle a permis au juge Bradley et à son avocat de faire toutes les observations qu’ils estimaient nécessaires et d’expliquer pourquoi la destitution serait une sanction disproportionnée et, partant, injuste et inadéquate.

[171]     La juge en chef, d’ailleurs, en vient précisément à cette conclusion, décidant que la destitution n’est pas de mise et suggérant plutôt que la réprimande sanctionnerait suffisamment les manquements déontologiques du juge Bradley. Comme je l’ai écrit au début des présents motifs, c’est une conclusion à laquelle je souscris.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.


 

 

MOTIFS DU JUGE HILTON

 

 

[172]     La Cour est saisie de deux procédures :

A.   une demande de l’honorable R. Peter Bradley en contrôle judiciaire de la décision majoritaire du comité d’enquête composé de cinq membres (trois juges, un membre du Barreau et un autre membre du public) du Conseil de la magistrature du Québec recommandant qu’il soit démis de ses fonctions comme juge de la Cour du Québec à la suite de la plainte portée par Marcel Drolet[116] et datée du 21 janvier 2016; et,

 

B.   une requête de la ministre de la Justice et procureure générale du Québec demandant à la Cour, conformément à l’art. 95 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[117], de faire rapport sur la destitution du juge Bradley.

[173]     Je partage l’avis de mes collègues que le pourvoi en contrôle judiciaire du juge Bradley doit être rejeté, mais pour une simple et autre raison.

[174]     En effet, les arguments qu’il soulève lui étaient essentiellement connus antérieurement à l’audience devant le comité d’enquête puisqu’il avait déjà été soumis au processus disciplinaire en 2014, lequel avait alors résulté en l’imposition d’une sanction, quoique moins sévère que la destitution[118]. Le comité qui avait rendu la décision unanime était, tout comme en l’espèce, composé de trois juges de la Cour du Québec, d’un membre du public et d’un membre du Barreau. La décision portait à la fois sur le fond et sur la sanction, et le tout avait été entendu dans le cadre d’une audition unique.

[175]     À mon avis, il est maintenant trop tard pour que le juge Bradley puisse invoquer des lacunes procédurales dans sa demande en contrôle judiciaire, car il connaissait déjà leur existence et savait qu’il était possible qu’une majorité composée de trois membres, dont deux ne sont pas juges, recommande qu’il soit démis de ses fonctions. En réalité, sa position n’en est pas une de principe, mais s’inscrit plutôt en réaction au sort de l’audience devant le comité. On peut en effet présumer qu’il aurait été satisfait du rejet de la plainte par le comité d’enquête tel que constitué. Une partie dans la même position que le juge Bradley ne peut attendre le résultat final pour ensuite faire valoir des arguments sérieux qu’il avait déjà le loisir de présenter.

[176]     Pour cette raison et comme l’accueil d’une demande en contrôle judiciaire est discrétionnaire, je rejetterais cette demande.

[177]     Quant au fond, j’arrive à une conclusion différente de celle de mes collègues et je recommanderais à la ministre que le juge Bradley soit destitué.

[178]     Mes collègues ont longuement exposé le détail des procédures entendues par le juge Bradley, lesquelles ont donné naissance à la plainte formulée contre lui et à la constitution d’un comité d’enquête, son témoignage devant le comité, son témoignage à l’audience devant nous, de même que les arguments qu’il nous a soumis. Réduite à sa plus simple expression, sa prétention est la suivante : les articles du Code de procédure civile entrés en vigueur le 1er janvier 2016 justifient son comportement puisque, selon lui, ces articles mettent l’accent sur le devoir des juges de favoriser la conciliation en toutes matières, y compris celles portées devant la division des petites créances de la Cour du Québec[119].

[179]     À la suite d’un examen approfondi des transcriptions de l’audience et de son témoignage, le comité d’enquête a unanimement conclu que la façon dont le juge Bradley a traité les parties, notamment par ses insistances répétées pour qu’elles se retirent et entreprennent de résoudre leur conflit à l’amiable[120], n’étaient compatibles qu’avec une seule conclusion, soit qu’il a agi de manière à éviter d’entendre l’affaire devant lui. C’est ainsi qu’il n’a cessé de sermonner les parties pour qu’elles discutent d’un règlement à l’amiable et a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité en minant la cause du demandeur durant ses échanges avec lui, le tout sans avoir entendu quelque preuve que ce soit. Il a si bien réussi à cet égard que le défendeur, après avoir entendu la cause de son adversaire ainsi rabaissée, s’est senti suffisamment confiant pour déclarer qu’il insistait pour que le demandeur satisfasse son fardeau de preuve.

[180]     Pire encore, il a créé un prétexte pour remettre l’affaire sans même que l’une des parties n’en ait le besoin ni ne le demande, en attribuant une importance injustifiée à un certificat de localisation qui établissait la ligne séparatrice entre les propriétés des deux parties et qui n’avait pas été produit d’avance, mais que les deux parties avaient en leur possession. Ledit certificat de localisation n’avait pas d’impact sur la résolution judiciaire du conflit qui portait sur les dommages concernant la clôture du demandeur séparant leurs propriétés respectives. En provoquant la remise du dossier, il a exposé les parties et leurs témoins au désagrément et aux frais inutiles de devoir revenir devant un autre juge. L’audience subséquente à la Cour du Québec s’est tenue le 25 avril 2016, et le jugement accueillant la demande du demandeur a été rendu le 29 avril 2016. Ce jugement ne contient aucune référence ou allusion à un certificat de localisation[121].

[181]     Le comité d’enquête a aussi tenu compte de l’existence d’une plainte antérieure concernant le juge Bradley formulée par des justiciables de la division des petites créances et qui comportait des similarités frappantes avec les circonstances de la présente plainte. Ses membres ont, à juste titre, rejeté sa prétention spéculative à l’effet que si les articles du présent Code de procédure civile avaient été en vigueur au moment de la plainte antérieure, elle aurait été rejetée.

[182]     La conclusion unanime du comité d’enquête selon laquelle le juge Bradley a violé les art. 1 et 6 du Code de déontologie de la magistrature[122], applicable aux juges de nomination provinciale, est non seulement raisonnable, mais inéluctable. Il est difficile d’imaginer une situation pire que celle vécue par ces deux parties devant la division des petites créances. De plus, rien dans le témoignage du juge Bradley devant cette Cour n’indique qu’il pourrait en être autrement. Au contraire, ce témoignage, tout comme les plaidoiries écrites et orales de son procureur, ne saurait constituer qu’une longue justification de sa conduite, comme s’il était loisible à cette Cour - alors qu’il n’en est rien - d’infirmer la conclusion unanime du comité d’enquête suivant laquelle le juge Bradley, dans sa façon de gérer le dossier Drolet, a commis une faute déontologique. Nous ne siégeons pas, après tout, en appel des conclusions du comité se rapportant à l’inconduite judiciaire, mais devons plutôt déterminer si la conséquence d’un tel résultat unanime doit être la destitution.

[183]     Le seul désaccord entre les membres du comité d’enquête concernait la sanction appropriée en l’espèce.

[184]     L’opinion majoritaire a opté pour une recommandation de destitution, les membres ayant considéré qu’en dépit de la réprimande antérieure imposée au juge Bradley, son témoignage avait démontré qu’il comprenait toujours mal son rôle et qu’une deuxième réprimande n’aurait pas plus d’effet que la première.

[185]     La majorité était composée d’un des trois juges constituant le comité et de deux membres du public, dont une avocate chevronnée en litige. Je considère la perspective des deux membres du public quant à la sanction appropriée aussi valide que celle des juges, dans la mesure où ils représentent, quoiqu’en des qualités différentes, les intérêts du public qui se présente devant les juges. La minorité a déploré l’inexistence de sanctions intermédiaires entre la réprimande et la destitution, mais a essentiellement recommandé la réprimande, car, selon eux, une destitution serait trop sévère dans les circonstances.

[186]     La législation pertinente qui gouverne la présente requête nous demande de répondre à une seule question: recommandons-nous à la ministre de la Justice de destituer le juge Bradley de ses fonctions de juge de la Cour du Québec? La réponse à cet égard est affirmative ou négative et la Cour ne possède aucune compétence statutaire ou inhérente pour émettre ses propres déclarations. Celles apparaissant au dispositif de mes collègues surprendront indubitablement le juge Bradley puisqu’une telle possibilité n’a jamais été plaidée devant nous.

[187]     Seule une autre province que la nôtre dispose d’une législation prévoyant aussi peu d’options pour sanctionner la faute déontologique chez un ou une juge de nomination provinciale[123]. Il s’agit du Nouveau-Brunswick. Dans toutes les autres provinces, il existe un spectre beaucoup plus large de sanctions[124].

[188]     Mes collègues ont relevé dans la jurisprudence pertinente deux cas de destitution de deux juges de nomination provinciale, un du Nouveau-Brunswick[125] et l’autre du Québec[126]. Je crois cependant que deux décisions plus récentes du Conseil de la magistrature de l’Ontario - qui remplit, conformément à l’art. 51.8 de la Loi sur les tribunaux judiciaires[127],  la même fonction relativement à la destitution potentielle de juges de nomination provinciale dans cette province que cette Cour au Québec et est présidé par un juge de la Cour d’appel d’Ontario - offrent un excellent cadre à travers lequel examiner la présente affaire.

[189]     Dans la première décision[128], un juge instruisant des dossiers criminels au lendemain des élections présidentielles américaines de 2016 est entré dans la salle d’audience en portant une casquette qu’il avait achetée durant la campagne électorale et qui comportait l’inscription « Make America Great Again ». Il expliquera devant le Conseil avoir cru que « it would add a bit of humour by starting off the day with the hat ». Au moment des faits, le juge a d’abord fait quelques plaisanteries avec les avocats présents pour ensuite poser la casquette sur le bureau et procéder dans ses dossiers. Il a sorti la casquette de la salle d’audience après la suspension pour la pause matinale et est retourné à la Cour en après-midi pour vérifier si d’autres juges avaient besoin d’assistance pour compléter leur rôle. Constatant l’absence de besoin, il a quitté la salle d’audience. Un avocat présent a alors dit : « You’ve lost your hat », ce à quoi le juge a répondu que sa conduite « pissed off the other judges because they all voted for Hillary. I was the only Trump supporter up there, but that’s okay ».

[190]     Cet incident a suscité une pluie de commentaires négatifs lorsqu’il fût rapporté par un journal de Toronto. La plupart des critiques reprochait au juge de s’être associé à certaines promesses électorales du président nouvellement élu concernant les femmes, les minorités, les immigrants et les musulmans.

[191]     Dès son retour à la Cour et à la suite de la publication des articles de journaux, le juge a reconnu son erreur en présence des journalistes, s’est excusé de son « misguided sense of humour » et a déclaré qu’il n’était pas dans son intention de soutenir quelque opinion ou commentaire politique que ce soit. Il s’est également excusé de tout préjudice qu’il avait pu causer et a décrit ses agissements comme une violation des principes judiciaires et un manque de jugement qu’il regrettait sincèrement.

[192]     Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a reçu quelque 81 plaintes contre le juge Zabel. La teneur de celles-ci était qu’en s’étant associé aux opinions du candidat Trump caractérisé comme misogyne, raciste, homophobe et antimusulman, « des femmes et des membres de groupes minoritaires pourraient raisonnablement craindre de ne pas être traités équitablement et impartialement par le juge Zabel »[129]

[193]     En tranchant l’affaire, le Conseil a réitéré les facteurs dont il avait par le passé tenu compte dans la détermination de la sanction appropriée en cas d’inconduite judiciaire, considérant que le comportement du juge Zabel « constituait une violation grave des normes de conduite judiciaire, qu’il avait un impact négatif sur la confiance du public en la magistrature et en l’administration de la justice » et qu’il justifiait l’imposition d’une sanction[130]. Ces facteurs sont les suivants:

1.    Si l’inconduite est un incident isolé ou si elle s’inscrit dans une suite d’inconduites;

2.    La nature, l’étendue et la fréquence des actes d’inconduite;

3.    Si l’inconduite s’est produite à l’intérieur ou à l’extérieur de la salle d’audience;

4.    Si l’inconduite a eu lieu dans l’exercice des fonctions du ou de la juge ou dans sa vie privée;

5.    Si le ou la juge a reconnu que les faits ont eu lieu;

6.    Si le ou la juge a démontré avoir déployé des efforts en vue de modifier ou de corriger sa conduite;

7.    La durée de service du juge comme magistrat;

8.    Si des plaintes ont déjà été déposées par le passé contre le ou la juge;

9.    Les répercussions de l’inconduite sur l’intégrité et le respect de la magistrature;

10. La mesure dans laquelle le juge a profité de sa position pour satisfaire des désirs personnels.

[194]     Le Conseil a, de plus, correctement signalé que l’objet des procédures de cette nature n’est pas de punir le ou la juge, mais d’insister sur « ce qui est nécessaire pour restaurer la perte de la confiance du public à la suite de l’inconduite judiciaire en cause »[131], et que cette proportionnalité nécessite d’envisager la sanction la moins grave, avant d’en arriver, graduellement, à la plus grave[132].

[195]     Le Conseil a ensuite considéré les facteurs aggravants et atténuants.

[196]     Au chapitre des facteurs aggravants, le Conseil a noté que l’inconduite reprochée était survenue en salle d’audience, qu’elle constituait une violation du devoir de ne pas exprimer d’opinions politiques et que l’importante publicité qu’elle avait reçue au sein des médias, du public et des juristes « avait terni la réputation de la justice dans cette province »[133]. Plusieurs facteurs atténuants étaient néanmoins présents: le juge Zabel a rapidement reconnu son inconduite judiciaire publiquement ainsi que devant le Conseil et a indiqué qu’il comprenait que sa tentative d’humour à la Cour le 9 novembre avait été perçue comme une approbation des opinions politiques controversées de Donald Trump et qu’elle avait eu un impact négatif sur l’administration de la justice[134].

[197]     De surcroît, le Conseil a reconnu les efforts déployés par le juge Zabel pour modifier sa conduite et le soutien qu’il a reçu d’un juge de la Cour supérieure qui l’avait assisté à cet égard. Il avait aussi derrière lui 27 ans de service « sans tache » et 63 lettres de soutien d’autres juges ainsi que  de membres du Barreau et du public[135] dans lesquelles on le louait pour « son travail assidu, son professionnalisme, son intégrité et l’aide qu’il apporte aux autres juges et aux avocats »[136].

[198]     À la lumière de ce qui précède, le Conseil a imposé la plus grave sanction possible en excluant la destitution, c’est-à-dire une suspension de 30 jours sans solde[137] assortie d’une réprimande[138].

[199]     Plus récemment, le Conseil a également rendu une décision à la suite d’une plainte contre un juge de nomination provinciale qui avait admis son inconduite[139]. On lui reprochait d’avoir communiqué des renseignements confidentiels à une partie par messages texte, d’avoir profité de son amitié avec le destinataire des messages texte afin d’avoir accès à de l’information confidentielle, d’avoir exprimé des opinions concernant une affaire impliquant cette partie, d’avoir tenu des propos inappropriés indicatifs d’un biais contre cette partie qui se présentait régulièrement devant lui, d’avoir dispensé des conseils légaux à un ami et d’avoir cherché à dissimuler aux personnes qui auraient pu être affectées ces messages texte et leur contenu[140].

[200]     Afin de déterminer la sanction appropriée, le Conseil a considéré les facteurs énumérés aux sous-paragraphes 193.1 - 193.10 :

1.    Bien que l’inconduite ne s’inscrive pas dans une série d’inconduites, elle ne constituait pas pour autant un événement isolé, s’étant étendue sur une période de trois mois;

2.    Les messages texte constituaient une inconduite, tel que décrit au paragraphe [199] ci-haut;

3.    L’inconduite n’est pas survenue dans une salle d’audience, mais impliquait à la fois sa vie personnelle et son rôle judiciaire;

4.    Les messages texte ont indûment brouillé la frontière entre sa vie officielle et sa vie personnelle;

5.    Il avait immédiatement reconnu son inconduite dès avoir pris connaissance de la plainte;

6.    Il s’était inscrit à des programmes d’aide et de formation dont les résultats démontraient qu’il comprenait son inconduite ainsi que l’improbabilité d’une récidive;

7.    Il détenait un historique de service exemplaire et sans tache;

8.    L’absence d’antécédents d’inconduites judiciaires;

9.    Il demeurait un juge respecté et 60 lettres de soutien avaient été reçues par le comité;

10. L’inconduite reconnue ne constituait ni un abus de sa fonction judiciaire, ni un détournement de celle-ci au profit de desseins personnels.

[201]     Le Conseil n’a suivi ni la recommandation pour une suspension de 15 jours sans solde de l’avocat chargé de la présentation de la plainte[141], ni celle de l’avocat du juge, qui proposait un simple avertissement. Il a plutôt opté pour la deuxième sanction après la destitution, combinée à d’autres : une réprimande assortie d’une suspension de 30 jours sans solde et d’une ordonnance de présenter des excuses aux individus ainsi qu’aux parties affectées par son inconduite.

[202]     Comment la conduite reprochée au juge Bradley se mesure-t-elle lorsqu’analysée en fonction des facteurs identifiés par le Conseil de magistrature de l’Ontario dans les deux décisions citées?

[203]     D’entrée de jeu, je note l’absence en l’espèce de tout facteur atténuant analogue à ceux identifiés dans les deux dossiers ontariens. Le juge Bradley n’a reconnu aucune faute et n’a conséquemment exprimé aucun regret, promptement ou autrement, à l’égard de son comportement dans le dossier Drolet. Il ne s’est pas non plus engagé de façon claire et sans équivoque à agir différemment s’il restait en fonction. L’extrait de son témoignage devant nous, que j’ai annexé à mes motifs, est au mieux équivoque lorsqu’analysé en considérant le fait qu’il continue de croire que la décision unanime du comité d’enquête selon laquelle il a violé le Code de déontologie est mal fondée.

[204]     De plus, il est allé jusqu’à dire qu’aucun des juges composant le comité ne possédait une expérience pertinente en petites créances[142], et que, selon lui, la décision de ce dernier est mal fondée et devrait être corrigée[143].  Outre le fait que là n’est pas notre rôle puisque nous ne siégeons pas en appel de cette décision, nous n’avons aucune preuve suggérant que le style de gestion d’instance adopté par le juge Bradley dans Drolet est utilisé par d’autres juges siégeant aux petites créances.

[205]     En ce qui concerne les quatre premiers facteurs ainsi que le huitième, la conclusion détaillée et unanime du comité d’enquête est à l’effet que l’inconduite du juge Bradley s’est produite au cours de l’exercice de ses fonctions judiciaires en salle d’audience et constitue une récidive exacte de la même inconduite qui lui avait mérité une réprimande en 2014. Les arguments du juge Bradley fondés sur les articles du nouveau Code de procédure civile ne peuvent être retenus.

[206]     Pour ce qui est des cinquième et sixième facteurs, si le juge Bradley a admis les faits qui ont donné lieu à la présente plainte, il a toutefois refusé, devant le comité d’enquête puis devant cette Cour, de s’attribuer quelque faute que ce soit, sans compter qu’il n’a exprimé aucun remord ni formulé d’excuses. Au contraire, son témoignage avait pour but de justifier sa conduite au moyen de prétextes tels que l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile le 1er janvier 2016.

[207]     Il soutient en outre que toutes les décisions prises durant l’audition du dossier Drolet l’ont été dans l’exercice de sa discrétion judiciaire et ne pouvaient dès lors faire l’objet d’une plainte en déontologie judiciaire.

[208]     D’abord, le seul « jugement » rendu au cours de l’audience en question fut la remise de la cause. La plainte dont il fait l’objet porte sur la façon dont il a mené l’audience et sur son insistance répétée pour que les parties se retirent afin d’essayer de régler leur différend à l’amiable. Il convient aussi de souligner que les parties ne disposaient d’aucun recours contre cet unique jugement puisque les jugements de la division des petites créances ne sont ni appelables, ni soumis à un contrôle judiciaire, sauf en cas d’absence ou d’excès de compétence[144]. Une telle immunisation contre un appel ou un contrôle judiciaire augmente l’importance pour les juges de procéder dans le respect du code de déontologie applicable.

[209]     Quant au septième facteur, le juge Bradley est membre de la magistrature provinciale depuis 2002. Il ne fait aucun doute que son expérience antérieure l’a amplement qualifié pour siéger à titre de juge. Sa carrière de magistrat pourrait sembler parfaitement normale, si ce n’était des deux plaintes disciplinaires formulées contre lui et de la méthodologie qu’il utilise en division des petites créances pour contraindre les parties à se soumettre à la conciliation au lieu d’entendre et de trancher leur litige. D’ailleurs, la lecture de la transcription d’une de ses interventions auprès des parties devant lui dans l’affaire antérieure (qui a résulté en l’abandon de la demande) ainsi que la réponse du comité d’enquête saisi de cette plainte[145] sont d’une ressemblance frappante avec le dossier Drolet :

[…]

LA COUR :

Alors, ceci étant dit, j’ai, par ailleurs un pouvoir de conciliation, en vertu de la loi, je siège pas, aujourd’hui, en chambre civile, ou alors, je suis médiateur, je fais partie d’une équipe dédiée à cet égard, alors, je peux pas vous accompagner dans une autre salle pour tenter de voir s’il y a possibilité d’un règlement dans le dossier.

Mais, cependant, j’ai un pouvoir de conciliation. Donc, si vous le jugez à propos, vous êtes pas obligés d’accepter, on peut suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente qui pourrait convenir.

Parce que, en bout de ligne, vous, vous demeurez plus là pis, vous, c’est une somme d’argent que vous voulez avoir, bon, pis en autant que vous fassiez la preuve prépondérante, parce que si vous faites pas la preuve prépondérante, on oublie ça carrément, et ça peut poser problème, hum.

[…]

Moi, je constate que, actuellement, là, on a des problèmes pis, comme vous avez le fardeau de la preuve, ça… ça démarre pas bien, là. Pis dire que d’autres ont eu, oui, je veux bien le croire, mais, là, personne est là pis la qualité du plancher, oui, mais non, il y a personne qui…

Alors, ça va… ça va pas si bien que ça.

Pis vous me dites : « Oui, ben, peut-être que monsieur Dionne existe pas.»

Pis, là : « Ben, non, il existe ce monsieur-là, pis là j’ai peut-être regardé à la mauvaise place, t’sais. »

Oui, il y a peut-être une autre filière que vous avez pas ouverte pis, ah ! regarde donc ça, oh, surprise !

Alors, tout ça pour vous dire, si vous voulez le faire, l’exercice, c’est une suggestion : je peux suspendre, vous allez vous parler dans une autre salle, pour voir s’il y a pas un terrain d’entente raisonnable qui ferait en sorte que, oui, vous pourriez decider, là, d’un accomodement qui vous a… qui vous arrangerait, de part et d’autre.

Et si c’est ça, s’il y en a un, vous le mettez par écrit, vous revenez en salle, on l’examine. Si tout le monde le trouve raisonnable, ça devient votre jugement.

Vous êtes pas obligés de le faire déposer au dossier de la Cour, une déclaration de règlement hors Cour peut être tout aussi bien, parfaitement légale.

Le gros avantage de procéder comme ça, et d’avoir une entente, c’est que ça devient votre jugement, c’est vous qui contrôlez l’issue.

Sinon, c’est le Tribunal.

Alors, s’il y a pas d’entente, vous revenez, tatata : « Pas d’entente. » Bon. On s’est au moins parlé, c’est déjà bon, pas dans la bonne direction, « Malheureusement, on n’a pas d’entente. »

Ben, à ce moment-là, soit qu’on procède avec les… les problèmes de preuve qu’il y a dans le dossier, dont je vous ai fait part, et, si la prevue est pas rencontrée, ben, je vais être obligé de rejeter, malheureusement, d’un bord et de l’autre.

Si, par contre, vous dites : « Ben, dans ce cas-là, on est aussi ben de repenser à notre affaire, on va essayer de vous contacter pis de, bon, ramasser notre preuve en conséquence », fort bien, alors, le dossier sera remis, vous serez reconvoqués pis, à ce moment-là, on reprendre ça. Quand? Ne me le demandez pas, c’est pas moi qui gère ça.

[…]

[210]     Bien que le juge Bradley n’ait fait face qu’à deux plaintes durant sa carrière comme juge de la Cour du Québec, son témoignage justificatif suggère qu’il n’existe aucune raison de croire qu’il a agi différemment dans tous les autres dossiers qu’il a présidés en petites créances, ce qui constitue un facteur à ne pas négliger.

[211]     S’agissant du neuvième facteur et de l’effet de l’inconduite du juge Bradley sur l’intégrité et le respect du système judiciaire, il se dégage des transcriptions, lues dans leur ensemble, l’impression claire qu’il a tout fait en son pouvoir pour éviter d’instruire l’affaire et qu’il n’a pas traité les parties avec la dignité et le respect auxquels elles avaient droit. Il est difficile d’imaginer une atteinte plus directe à l’intégrité et au respect de la magistrature.

[212]     J’appuie donc sans hésitation les propos du comité d’enquête saisi de la première plainte, tels que reproduits au paragraphe [40] de la décision du deuxième comité d’enquête :

[102]    Les propos d’un juge ou encore son attitude à la Cour sont en partie l’image de la magistrature pour le public et peuvent avoir une influence sur la confiance du public envers elle.

Il est évident maintenant que ce commentaire n’a pas eu pour effet d’influencer la conduite du juge Bradley dans le dossier de M. Drolet.

[213]     Je souligne également que la plainte contre le juge Bradley énonce qu’il a manqué de respect à l’égard de M. Drolet, ce que les transcriptions de l’audience confirment. Il a constamment attaqué le dossier du demandeur, sans avoir entendu un seul témoin. Certaines des propositions qu’il a émises, telle l’imprécision de la facture couvrant les réparations à la clôture, constituaient un effort évident visant à persuader le demandeur de réduire sa réclamation pour régler ou, pire encore, à le dissuader de procéder tout court. Informé qu’un témoin était présent pour témoigner à l’égard de ces prétendues imprécisions, le juge Bradley a réagi en affirmant que de permettre un tel témoignage prendrait le défendeur par surprise. Il s’agissait là encore d’une tentative manifeste de dénigrer la cause du demandeur, dans le dessein évident de l’amener à réduire sa réclamation afin de favoriser un règlement.

[214]     Le juge Bradley n’a pas non plus traité le défendeur de meilleure façon en lui reprochant de  précipiter une remise vu sa production tardive du certificat de localisation. Or cela ne pouvait réellement prendre le demandeur par surprise puisqu’il en avait copie. Dans tous les cas, ce certificat n’avait aucune incidence sur le fond de la réclamation. Il importe de souligner qu’aucune des parties n’avait demandé de remise; le juge prétend l’avoir ordonnée pour protéger le demandeur, ce qui ne tient pas la route. Quant au fait d’avoir condamné le défendeur aux frais du jour, cela constitue purement et simplement un abus de sa discrétion judiciaire.

[215]     Les juges siégeant aux petites créances accomplissent un travail difficile et délicat. Ils doivent entendre et trancher des litiges fondés sur des principes de droit présentés par des individus qui, dans la plupart des cas, ne possèdent aucune connaissance juridique. Dans ce contexte, ils doivent faire preuve de patience et de compréhension vis-à-vis des difficultés auxquelles font face ces justiciables. Ce sont là des qualités qui ont gravement manqué lors de l’audition ayant donné lieu à la plainte de M. Drolet contre le juge Bradley.

[216]     Bref, je trouve les explications présentées par le juge devant le comité d’enquête et devant cette Cour tout simplement injustifiables à la lumière de l’ensemble des faits et des circonstances.

[217]     Loin d’exprimer des remords, le juge Bradley cherche à se justifier. Par conséquent, je n’ai pas foi en la perspective qu’une autre réprimande lui fasse changer sa façon de faire. Je partage la conclusion du comité d’enquête à cet égard :

[63]      À l’évidence, malgré la réprimande dont il a fait l’objet, le juge ne comprend pas la portée de ses obligations déontologiques dont les principales sont d’entendre les parties et de rendre jugement. Au contraire, il est convaincu que son attitude est la bonne et il se sent conforter par les dispositions du nouveau Code de procédure civile.

[218]     Cette attitude contraste fortement avec celle des deux juges provinciaux d’Ontario qui non seulement ont admis leur inconduite, mais ont également offert leurs excuses à la première occasion et entrepris des mesures correctives afin de s’assurer qu’ils ne commettraient pas de telles fautes à nouveau. Ils se sont ainsi évités l’ultime sanction qu’est la destitution, mais se sont tout de même vu imposer la pénultième.  

[219]     La question qui devrait avant tout nous guider pour décider si la réprimande plutôt que la destitution constitue la sanction appropriée dans ce cas est celle-ci: le rétablissement de la confiance du public en l’administration de la justice nous permet-il de recommander que le juge Bradley continue d’exercer ses fonctions de juge de la Cour du Québec, entretenant ainsi le simple espoir que l’histoire ne se répète pas, ou nous faut-il plutôt trancher de sorte que l’histoire ne se répète pas en recommandant sa destitution, laissant de fait le choix à la ministre d’adopter ou non cette recommandation?

[220]     C’est cet aspect qui me pousse à diverger de mes collègues de la majorité. Elles et il sont tout aussi critiques que je le suis face à la manière dont le juge Bradley a traité le dossier Drolet, laquelle a donné lieu à une deuxième plainte d’inconduite judiciaire contre lui.

[221]     En fait, les motifs de la juge en chef lui reproche entre autres ceci : (1) Paragraphe 45 : Le juge Bradley ne comprend pas que la médiation et la conciliation sont consensuelles et ne peuvent être imposées; (2) Paragraphe 47 : La lecture des transcriptions et une réécoute de l’enregistrement de l’audience démontrent que le juge Bradley invoque incorrectement les articles du nouveau Code de procédure civile afin de justifier une conduite aux sérieuses lacunes déontologiques; (3) Paragraphe 48 : Il a reconnu que sa conduite l’a privé de l’impartialité requise pour présider l’audience; (4) Paragraphe 49 : Il continue de remettre en question la justesse de la décision du comité d’enquête devant nous et d’affirmer qu’il n’aurait pas dû être réprimandé; (5) Paragraphe 71 : Il invoque à tort le concept d’indépendance judiciaire pour justifier son inconduite lors de l’audience qu’il présidait; (6) Paragraphe 97 : La façon dont il s’est comporté à l’audience était inacceptable et le fait que l’audition n’ait finalement pas eu lieu est inexcusable.

[222]     Il est difficile de concilier une analyse si convaincante avec la conclusion de recommander une simple réprimande, surtout pour une personne ayant déjà violé le code de déontologie pour exactement la même raison, moins de deux ans après la première décision portant sur son inconduite. L’opinion de la majorité aura pour inévitable effet de créer l’impression que les intérêts du juge l’emportent sur la restauration de la confiance du public dans l’administration de la justice, ce qui devrait être la préoccupation principale de cette Cour. Elle a également pour effet malheureux de ne pas maintenir les standards élevés attendus d’une personne occupant la fonction de juge au Québec, tel que le faisait  éloquemment valoir le juge Gonthier par cette description[146]:

108   La fonction judiciaire est tout à fait unique. Notre société confie d’importants pouvoirs et responsabilités aux membres de sa magistrature. Mis à part l’exercice de ce rôle traditionnel d’arbitre chargé de trancher les litiges et de départager les droits de chacune des parties, le juge est aussi responsable de protéger l’équilibre des compétences constitutionnelles entre les deux paliers de gouvernement, propres à notre État fédéral. En outre, depuis l’adoption de la Charte canadienne, il est devenu un défenseur de premier plan des libertés individuelles et des droits de la personne et le gardien des valeurs qui y sont enchâssées : Beauregard, précité, p. 70, et Renvoi sur la rémunération des juges de cours provinciales, précité, par. 123. En ce sens, aux yeux du justiciable qui se présente devant lui, le juge est d’abord celui qui dit la loi, qui lui reconnaît des droits ou lui impose des obligations.

 

109   Puis, au-delà du juriste chargé de résoudre les conflits entre les parties, le juge joue également un rôle fondamental pour l’observateur externe du système judiciaire. Le juge constitue le pilier de l’ensemble du système de justice et des droits et libertés que celui-ci tend à promouvoir et à protéger. Ainsi, pour les citoyens, non seulement le juge promet-il, par son serment, de servir les idéaux de Justice et de Vérité sur lesquels reposent la primauté du droit au Canada et le fondement de notre démocratie, mais il est appelé à les incarner (le juge Jean Beetz, Présentation du premier conférencier de la Conférence du 10e anniversaire de l’Institut canadien d’administration de la justice, propos recueillis dans Mélanges Jean Beetz (1995), p. 70-71).

 

110   En ce sens, les qualités personnelles, la conduite et l’image que le juge projette sont tributaires de celles de l’ensemble du système judiciaire et, par le fait même, de la confiance que le public place en celui-ci. Le maintien de cette confiance du public en son système de justice est garant de son efficacité et de son bon fonctionnement. Bien plus, la confiance du public assure le bien-être général et la paix sociale en maintenant un État de droit. Dans un ouvrage destiné à ses membres, le Conseil canadien de la magistrature explique :

La confiance et le respect que le public porte à la magistrature sont essentiels à l’efficacité de notre système de justice et, ultimement, à l’existence d’une démocratie fondée sur la primauté du droit. De nombreux facteurs peuvent ébranler la confiance et le respect du public à l’égard de la magistrature, notamment : des critiques injustifiées ou malavisées; de simples malentendus sur le rôle de la magistrature; ou encore toute conduite de juges, en cour ou hors cour, démontrant un manque d’intégrité. Par conséquent, les juges doivent s’efforcer d’avoir une conduite qui leur mérite le respect du public et ils doivent cultiver une image d’intégrité, d’impartialité et de bon jugement.

 

(Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 14)

 

111   La population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable. À tout le moins exigera-t-on qu’il paraisse avoir un tel comportement. Il devra être et donner l’apparence d’être un exemple d’impartialité, d’indépendance et d’intégrité. Les exigences à son endroit se situent à un niveau bien supérieur à celui de ses concitoyens. Le professeur Y.-M. Morissette exprime bien ce propos :

 

 

[L]a vulnérabilité du juge est nettement plus grande que celle du commun des mortels, ou des «élites» en général : c’est un peu comme si sa fonction, qui consiste à juger autrui, lui imposait de se placer hors de portée du jugement d’autrui.

 

 

(« Figure actuelle du juge dans la cité » (1999), 30 R.D.U.S. 1, p. 11-12)

 

Le professeur G. Gall, dans son ouvrage The Canadian Legal System (1977), va encore plus loin à la p. 167 :

 

[TRADUCTION] Les membres de notre magistrature sont, par tradition, astreints aux normes de retenue, de rectitude et de dignité les plus strictes. La population attend des juges qu’ils fassent preuve d’une sagesse, d’une rectitude, d’une dignité et d’une sensibilité quasi-surhumaines. Sans doute aucun autre groupe de la société n’est-il soumis à des attentes aussi élevées, tout en étant tenu d’accepter nombre de contraintes. De toute façon, il est indubitable que la nomination à un poste de juge entraîne une certaine perte de liberté pour la personne qui l’accepte.

 

[Soulignage ajouté]

 

 

108   The judicial function is absolutely unique.  Our society assigns important powers and responsibilities to the members of its judiciary. Apart from the traditional role of an arbiter which settles disputes and adjudicates between the rights of the parties, judges are also responsible for preserving the balance of constitutional powers between the two levels of government in our federal state. Furthermore, following the enactment of the Canadian Charter, they have become one of the foremost defenders of individual freedoms and human rights and guardians of the values it embodies: Beauregard, supra, at p. 70, and Reference re Remuneration of Judges of the Provincial Court, supra, at para. 123. Accordingly, from the point of view of the individual who appears before them, judges are first and foremost the ones who state the law, grant the person rights or impose obligations on him or her.

 

109   If we then look beyond the jurist to whom we assign responsibility for resolving conflicts between parties, judges also play a fundamental role in the eyes of the external observer of the judicial system. The judge is the pillar of our entire justice system, and of the rights and freedoms which that system is designed to promote and protect. Thus, to the public, judges not only swear by taking their oath to serve the ideals of Justice and Truth on which the rule of law in Canada and the foundations of our democracy are built, but they are asked to embody them (Justice Jean Beetz, Introduction of the first speaker at the conference marking the 10th anniversary of the Canadian Institute for the Administration of Justice, observations collected in Mélanges Jean Beetz (1995), at pp. 70-71).

 

110   Accordingly, the personal qualities, conduct and image that a judge projects affect those of the judicial system as a whole and, therefore, the confidence that the public places in it. Maintaining confidence on the part of the public in its justice system ensures its effectiveness and proper functioning. But beyond that, public confidence promotes the general welfare and social peace by maintaining the rule of law. In a paper written for its members, the Canadian Judicial Council explains:

 

Public confidence in and respect for the judiciary are essential to an effective judicial system and, ultimately, to democracy founded on the rule of law. Many factors, including unfair or uninformed criticism, or simple misunderstanding of the judicial role, can adversely influence public confidence in and respect for the judiciary. Another factor which is capable of undermining public respect and confidence is any conduct of judges, in and out of court, demonstrating a lack of integrity. Judges should, therefore, strive to conduct themselves in a way that will sustain and contribute to public respect and confidence in their integrity, impartiality, and good judgment.

 

(Canadian Judicial Council, Ethical Principles for Judges (1998), p. 14)

 

 

111   The public will therefore demand virtually irreproachable conduct from anyone performing a judicial function. It will at least demand that they give the appearance of that kind of conduct. They must be and must give the appearance of being an example of impartiality, independence and integrity. What is demanded of them is something far above what is demanded of their fellow citizens. This is eloquently expressed by Professor Y.-M. Morissette:

 

[TRANSLATION] [T]he vulnerability of judges is clearly greater than that of the mass of humanity or of “elites” in general: it is rather as if his or her function, which is to judge others, imposed a requirement that he or she remain beyond the judgment of others.

 

(“Figure actuelle du juge dans la cité” (1999), 30 R.D.U.S. 1, at pp. 11-12)

 

In The Canadian Legal System (1977), Professor G. Gall goes even further, at p. 167:

 

 

The dictates of tradition require the greatest restraint, the greatest propriety and the greatest decorum from the members of our judiciary. We expect our judges to be almost superhuman in wisdom, in propriety, in decorum and in humanity. There must be no other group in society which must fulfil this standard of public expectation and, at the same time, accept numerous constraints. At any rate, there is no question that a certain loss of freedom accompanies the acceptance of an appointment to the judiciary.

 

 

[Emphasis added]

 

 

[223]     Comme j’espère l’avoir clairement exprimé dans mes motifs, j’opte pour placer l’intérêt du public et la restauration de sa confiance en l’administration de la justice avant les intérêts du juge Bradley. Conséquemment, je recommande à la ministre de la Justice de démettre le juge R. Peter Bradley de ses fonctions de juge de la Cour du Québec.

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.


 

ANNEXE

 

 


 


 






*     Ce rapport a été signé dans les deux langues officielles du Canada.

[1]     In Re Bradley, 2015 CMQC 105.

[2]     RLRQ, c. T-16, r.1.

[3]     Loi sur les tribunaux judiciaires, LRQ, c. T-16.

[4]     Cahier des pièces, Onglet 25, Opinion du juge Pierre E. Audet, paragr. 7.

[5]     Cahier des pièces, Onglet 25, Opinion du juge Martin Hébert, paragr. 7 et 9.

[6]     Id., paragr. 10.

[7]     Transcription du 19 janvier 2016, p.7.

[8]     Id., p. 7.

[9]     Transcription du 19 janvier 2016, p. 11 et 12.

[10]    Id., p. 19.

[11]    Id., p. 32.

[12]    Ibid.

[13]    Transcription du 19 janvier 2016, p. 32, 33.

[14]    Id., p. 36.

[15]    Id., p. 38.

[16]    Transcription du 19 janvier 2016, pp. 40 et 41.

[17]    Id., p. 42.

[18]    Transcription du 19 janvier 2016, p. 42.

[19]    Transcription du 19 janvier 2016, p. 50.

[20]    Id., p.55 et seq. L’entièreté de l’audition en division des petites créances est reproduite en Annexe 1 au présent rapport.

[21]    Effectivement, le plaignant, dans sa plainte écrite, dit ne pas vouloir procéder devant le juge Bradley.

[22]    Cahier des pièces, Onglet 3.

[23]    Bettan c. Dumais, 2000 CMQC 55, 2002 CanLII 63920 (QC CM).

[24]    Rapport du Conseil canadien de la magistrature présenté au ministre de la Justice du Canada en vertu de l’art. 65(1) de la Loi sur les juges et concernant le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure du Québec, 19 décembre 2013.

[25]    MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, p. 830, la juge en chef McLachlin étant alors juge puînée à la Cour suprême.

[26]    Therrien, (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35.

[27]    Id., paragr. 42 et 45.

[28]    Id., paragr. 101.

[29]    Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, paragr. 60.

[30]    Peter H. Russel, The Judiciary in Canada: The Third Branch of Government, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1987, p.184.

[31]    Therrien (Re), supra, note 26.

[32]    Id., paragr. 45.

[33]    Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, par. 47. Voir aussi le paragr. 60.

[34]    Voir, par exemple, Labrie c. Roy, 2003 CanLII 13479 (QCCA), notamment les paragr. 7, 11 et 12.

[35]    Selon l’auteur Luc Huppé, (Les fondements de la déontologie judiciaire, (2004) 45 : 1 C. de D., 93, p. 119), « [L]’objet du serment judiciaire est d’obtenir du juge un engagement, dont l’idée fondamentale est que le juge met sa personne au service de la fonction judiciaire. [renvois omis] »

[36]    Cahier des pièces, Onglet 22, p. 142.

[37]    Id., p. 157.

[38]    Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), supra, note 33, paragr. 79 et 81.

[39]    Therrien (Re), supra, note 26, paragr. 147.

[40]    Comité d’enquête du Conseil de la magistrature, Laroche et Bradley, Rapport d’enquête du 19 mars 2014, 2014 EXP-1492, paragr. 97.

[41]    Id., paragr. 89.

[42]    Id., paragr. 9.

[43]    Id., paragr. 89.

[44]    Témoignage du juge Bradley, le 22 novembre 2017, p. 236 à 239.

[45]    Supra, note 2.

[46]    Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, paragr. 147 [« Therrien »].

[47]    Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249 [« Moreau-Bérubé »].

[48]    Motifs de la juge en chef, paragr. [86] à [89].

[49]    Voir infra, paragr. [167] et s.

[50]    RLRQ, c. T-16 (« L.t.j. »).

[51]    Qualificatif qu’emploie le j. Binnie, au nom de la Cour suprême, dans Canada (Procureur général) c. Mavi, [2011] 2 R.C.S. 504, paragr. 42.

[52]    Voir les arrêts Therrien, supra, note 46, paragr. 81 et s., et Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 75. Plus généralement, voir aussi : Canada (Procureur général) c. Mavi, supra, note 51, paragr. 38 et s.; Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, paragr. 14 et 15.

[53]    Voir : Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267 [« Ruffo »], paragr. 67 (motifs majoritaires du j. Gonthier) et paragr. 118 (motifs dissidents du j. Sopinka); Therrien, supra, note 46, paragr. 94.

[54]    Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B, [1980] 1 R.C.S. 1105, p. 1113.

[55]    Ruffo, supra, note 53, paragr. 89.

[56]    Therrien, supra, note 46, notamment aux paragr. 100-101.

[57]    Supra, note 53.

[58]    Id., paragr. 72 (motifs majoritaires du j. Gonthier).

[59]    Id., paragr. 73.

[60]    Id., paragr. 35. L’expression « processus disciplinaire » est également employée aux paragr. 41, 100, 104 et 135.

[61]    L’arrêt Therrien, supra, note 46, paragr. 89, reconnaît cette liberté, sur laquelle je reviendrai. Voir également : Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 81, où l’on reprend avec approbation un passage de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au sujet des choix procéduraux laissés aux organismes administratifs.

[62]    Supra, note 53, paragr. 77.

[63]    Supra, note 46.

[64]    Sur l’application de l’équité procédurale aux instances disciplinaires judiciaires, voir aussi : Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 75.

[65]    Même si sa demande de contrôle judiciaire donne par moment l’impression qu’il se serait contenté d’un préavis semblable à celui que donnent les commissions d’enquête (au sens propre), hypothèse rejetée dans Therrien, supra, note 46, paragr. 86.

[66]    Voir par ex. : Cuggia c. Chambre de la sécurité financière, 2016 QCCA 1479, paragr. 15 et 16; Beauchemin c. Chambre de la sécurité financière, 2010 QCCA 1235 (j. unique - demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 février 2011, n° 33877), paragr. 19; Québec (Procureur général) c. Bouliane, [2004] R.J.Q. 1185 (C.A., demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 3 mars 2005, n° 30401), paragr. 83 et 84 (renvoyant aux affaires Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, [1992] R.J.Q. 1822 (C.A. - demandes d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetées, 21 janvier 1993, nos 23118 et 23119), et Latulippe c. Tribunal des professions, J.E. 98-1367 (C.A.)); Chambre des notaires du Québec c. Dugas, [2003] R.J.Q. 1 (C.A. - demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 juin 2003, n° 29575), paragr. 19; Ekmaty c. Tribunal des professions, [2001] R.J.Q. 605 (C.A.), paragr. 17.

[67]    Ekmaty c. Tribunal des professions, supra, note 66, paragr. 18.

[68]    Voir à ce propos : Béliveau-Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 24e éd. par Martin Vauclair, Cowansville, Thémis • Yvon Blais, 2017, paragr. 2609 et s., p. 1209 et s.

[69]    RLRQ, c. C-26.

[70]    RLRQ, c. C-73.2. L’art. 98 de cette loi est complété, dans le même sens, par l’art. 54 du Règlement sur les instances disciplinaires de l’organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec, RLRQ, c. C-73.2, r. 6.

[71]    RLRQ, c. D-9.2.

[72]    RLRQ, c. P-13.1.

[73]    RLRQ, c. E-15.1.0.1.

[74]    RLRQ, c. C-23.1.

[75]    Tout comme le législateur prévoit le préavis d’un blâme dans le cas d’une enquête non déontologique. Voir par ex. : Loi sur la Commission municipale du Québec, RLRQ, c. C-35, art. 22, paragr. 1, 4e et 5e al.; Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1, art. 273, 2e al.; Loi sur les coopératives de services financiers, RLRQ, c. C-67.3, art. 355. Cette exigence est sanctionnée par la jurisprudence (voir Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440), mais n’est pas directement applicable à un comité d’enquête régi par la Loi sur les tribunaux judiciaires, pour la raison qu’expose le juge Gonthier au paragr. 86 de l’arrêt Therrien, supra, note 46. On la retrouve aussi, parfois sous une forme plus sommaire, dans diverses lois comme celles-ci : Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29, art. 22.0.1, 22.2 et 38.3; Loi sur les assurances, RLRQ, c. A-32, art. 405.1 et 405.2; Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3. art. 5 et 6; Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme, RLRQ, c. T-11.011, art. 53 et 54. On ne la trouve cependant pas dans la Loi sur les commissions d’enquête, RLRQ, c. C-37, commissions qui y sont pourtant tenues en raison de l’équité procédurale.

[76]    Voir : Ruffo, supra, note 53, paragr. 73 des motifs du j. Gonthier, qui constate le rôle prééminent du comité dans l’établissement des règles de procédure régissant son enquête. Dans le même sens, voir : Therrien, note 46, paragr. 88-89.

[77]    Voir : Lacroix c. Autorité des marchés financiers, 2018 QCCA 370 (j. unique), paragr. 7, qui fait le constat du caractère généralisé de cette pratique. Voir également : Javanmardi c. Collège des médecins du Québec, 2013 QCCA 306 (demande de permission d’appeler à la Cour suprême rejetée, 11 juillet 2013, 35325), paragr. 45. Cela a généré un certain flottement relatif au droit d’appel, sujet que la Cour a abordé dans quelques arrêts (voir par ex. : Douek c. Brossard, 2016 QCCA 1884; Javanmardi c. Collège des médecins du Québec, supra).

[78]    [2015] 2 R.C.S. 79, notamment aux paragr. 18 et 65 (il s’agit dans cette affaire d’une procédure d’outrage au tribunal instituée en Ontario).

[79]    2011 QCCS 3661, paragr. 2, note infrap. 1 (passage cité par le juge Dalphond dans Javanmardi, supra, note 77, paragr. 45.

[80]    Qui est ici, comme on l’a vu, un décideur en certains cas et un quasi-décideur dans l’autre.

[81]    Ces Règles, dont il ne paraît pas exister de version anglaise, ont été adoptées par le Conseil de la magistrature le 28 janvier 2015 et mises à jour le 11 octobre 2016. C’est la version du 28 janvier 2015 qui était en vigueur au moment où le comité a tenu ici son enquête et, sauf indication contraire, c’est celle à laquelle renvoient les présents motifs.

[82]    Art. 1 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête. On pourrait peut-être s’interroger sur la compétence du Conseil à cet égard, mais la question n’est pas pertinente aux présents propos.

[83]    L’art. 16 de la version actuelle de ces Règles est identique.

[84]    L’art. 2 de ces Règles prévoit que le mot « partie » y est employé pour désigner le plaignant, le juge en cause ou tout autre intervenant reconnu par le comité.

[85]    Le survol des rapports d’enquête publiés sur le site du Conseil de la magistrature tend à indiquer qu’un tel mode de fonctionnement n’est pas courant et qu’on procède généralement à l’enquête en une seule étape.

[86]    Supra, note 47.

[87]    Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 1.

[88]    L’un des trois membres du comité concluait pour sa part à l’absence d’inconduite.

[89]    Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 67.

[90]    Id., paragr. 77.

[91]    Supra, paragr. [140].

[92]    Moreau-Bérubé, supra, note 47, paragr. 31 et 79 in fine.

[93]    Id., paragr. 79.

[94]    Ibid.

[95]    Voir infra, paragr. [152] à [163].

[96]    Ainsi que la qualifie le juge Binnie dans l’arrêt Mavi, supra, note 51, paragr. 42.

[97]    Voir : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragr. 90.

[98]    Voir supra, paragr. [122]

[99]    Dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, supra, note 52, le juge Le Dain, au nom de la Cour, écrit ceci à propos d’individus placés en isolement et dont un conseil disciplinaire carcéral avait recommandé la réintégration au sein de la population générale, ce qu’avait refusé le directeur de l’établissement :

21.          La question est donc de savoir ce que l'équité dans la procédure exigeait du directeur dans l'exercice de son pouvoir, en application de l'art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, de maintenir la ségrégation ou l'isolement administratifs des appelants, malgré la recommandation du Conseil, s'il était convaincu qu'elle était nécessaire ou souhaitable pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l'établissement. Je suis d'accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d'appel qu'à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l'équité dans la procédure exigeait qu'il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s'il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l'ordre et la discipline dans l'établissement. […]

22.          Ce sont là, à mon avis, les exigences minimales ou essentielles de l'équité dans la procédure dans les circonstances et elles sont tout à fait compatibles avec le souci de ne pas indûment alourdir ou bloquer le processus de l'administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l'imposition d'exigences de procédure déraisonnables ou impropres. Rien n'indique que l'obligation du directeur en matière d'avis et d'audition, lorsqu'il n'entend pas donner suite à une recommandation d'un Conseil d'examen des cas de ségrégation de lever la ségrégation d'un détenu, imposerait un fardeau excessif à l'administration carcérale ou mettrait la sécurité en danger.

[Je souligne]

      En l’espèce, par analogie, on ne voit pas en quoi la scission de l’enquête imposerait au comité un fardeau excessif ou encore neutraliserait ou contrarierait sa fonction.

[100]   Therrien, supra, note 46, paragr. 90.

[101]   Id., note 46, paragr. 84.

[102]   Id., paragr. 90.

[103]   Sauf au moment du rapport du comité.

[104]   Cette plainte formelle avait été préparée par l’avocat du comité d’enquête néo-brunswickois, et ce, en vertu de l’art. 6.9, paragr. 10 de la Loi sur la Cour provinciale, telle qu’à l’époque (l’avocat agira subséquemment comme poursuivant, art. 6.10, paragr. 4 de la même loi, ce qui distingue le processus de celui qui est en vigueur au Québec, où l’avocat qui assiste le comité d’enquête n’a pas cette fonction, si l’on s’en remet aux Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête ainsi qu’à l’art. 281 L.t.j.). La plainte en question est reproduite au paragr. 5 de l’arrêt Moreau-Bérubé, supra, note 47.

[105]   Pièce CA-2, Décision à la suite de l’examen d’une plainte, 2015-CMQC-105, 8 mars 2016.

[106]   Art. 22 des Règles de fonctionnement concernant la conduite d’une enquête.

[107]   Pièce CA-8, p. 12.

[108]   Pièce CA-23, p. 6.

[109]   Notes sténographiques des plaidoiries devant le comité d’enquête, 3 octobre 2016, pièce CA-22, p. 142.

[110]   Notes sténographiques des plaidoiries devant le comité d’enquête, 3 octobre 2016, pièce CA-22, p. 157.

[111]   Le deuxième al. de l’art. 275 L.t.j. leur permet d’ailleurs de s’inspirer du Code de procédure civile aux fins de la conduite de l’enquête.

[112]   Je précise que je ne parle pas ici d’une attente légitime, au sens de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), supra, note 61, qui aurait été fondée sur des pratiques passées ou des engagements procéduraux.

[113]   Sur le modèle, adapté, de l’art. 268 C.p.c., ce qu’aurait permis l’art. 275, 2e al. L.t.j.

[114]   Voir par ex. : Strickland c. Canada (Procureur général), [2015] 2 R.C.S. 713, paragr. 37 (motifs majoritaires du j, Cromwell); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, paragr. 36 et 40 (motifs majoritaires du j. Binnie).

[115]   Voir : Strickland c. Canada (Procureur général), supra, note 114, paragr. 40 à 45 (au paragr. 40, le juge Cromwell, au nom des juges majoritaires, parle d’une « adequate alternative/solution de rechange adéquate »).

[116]   M. Drolet était le demander dans un dossier figurant sur le rôle du juge Bradley dans la division des petites créances de la Cour du Québec deux jours plus tôt, le 19 janvier 2016.

[117]   RLRQ, c. T-16.

[118]   2012 QCCMAG 62, Rapport d’enquête daté du 19 mars 2014.

[119]   Voir les articles 540 et 561 C.p.c.

[120]   J’ai compté au moins sept telles occurrences distinctes au cours des 34 minutes d’audience.

[121]   2016 QCCQ 3155.

[122]   Code de déontologie de la magistrature, RLRQ, c. T-16, r. 1. Ces articles stipulent que : 1) « Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit. », et 6) « Le juge doit remplir utilement et avec diligence ses devoirs judiciaires et s’y consacrer entièrement. ».

[123]   Loi sur la cour provinciale (Nouveau-Brunswick), LRN-B 1973, c. P-21, art. 6.11 (4). Encore là, en prononçant une réprimande, le Conseil de la magistrature peut ordonner au ou à la juge en chef d’y rattacher les conditions qu’il ou elle juge appropriées. 

[124]   Voir : Alberta - Judicature Act, R.S.A. 2000, c. J-2, art. 37 & 38; Colombie-Britannique - Provincial Court Act, R.S.B.C. 1996, c. 379, art. 28; Manitoba - Loi sur la Cour provinciale, C.P.L.M. c. C275, art. 39.1 (1); Terre-Neuve-et-Labrador - Provincial Court Act, S.N.L. 1991, c. 15, art. 25.1 & 25.2; Nouvelle-Écosse - Provincial Court Act, R.S.N.S. 1989, c. 238, art. 17K-17M; Ontario : Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. 51.6(11); Île-du-Prince-Édouard : Provincial Court Act, R.S.P.E.I. 1988, c. P-25, art. 10(5)-10(7); Saskatchewan : Provincial Court Act, 1998, S.S. 1998, c. P-30.11, art. 62(2).

[125]   Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11.

[126]   Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35.

[127]   Supra, note 124. Une différence majeure, cependant, est qu’en Ontario, le processus de destitution consiste en une seule étape qui commence et se termine par la recommandation du Conseil de la magistrature, sans aucune participation subséquente de la Cour d’appel.

[128]   DANS L’AFFAIRE DE 81 plaintes concernant l’honorable juge Bernd Zabel, Conseil de la magistrature de l’Ontario, décision datée du 11 septembre 2017.

[129]   Id., paragr. 20.

[130]   Id., paragr. 37.

[131]   Id., paragr. 43.

[132]   Id., paragr. 44.

[133]   Id., paragr. 46.

[134]   Id., paragr. 48.

[135]   Id., paragr. 53.

[136]   Id., paragr. 54.

[137]   Id., paragr. 69.

[138]   Id., paragr. 70.

[139]   DANS L’AFFAIRE D’UNE plainte concernant l’honorable juge John Keast, Conseil de la magistrature de l’Ontario, décision datée du 15 décembre 2017.

[140]   Id., paragr. 28.

[141]   Selon toute vraisemblance, cet avocat ne remplit pas les mêmes fonctions que celui de notre amicus curiae, en ce sens qu’il présente des éléments de preuve contre le juge et participe aux arguments portant sur la sanction appropriée.  

[142]   Témoignage du juge Bradley, transcriptions du 21 novembre 2017, p. 205-206.

[143]   Ibid.

[144]   Art. 564 C.p.c.

[145]   Voir paragraphe 40 de la décision du comité d’enquête.

[146]   Therrien (Re), supra, note 126, paragr. 108-110.

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