Décision

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R. c. Tremblay

2017 QCCS 3141

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Montréal.

 

 

 

N° :

500-01-086915-136

 

 

 

DATE :

19 juin 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

Sophie Bourque J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

Sa Majesté La reine

Poursuivante

c.

Jean Philippe-Tremblay.

Accusé

 

 

______________________________________________________________________

 

MOTIFS D’Un JUGEMENT prononcé le 1 ier juin 2017 quant à l’unanimité du jury sur la nature de l’infraction sous-jacente pour un verdict de meurtre au premier degré

______________________________________________________________________

 

1-    L’APERÇU

[1]           Jean-Philippe Tremblay fut accusé du meurtre au premier degré de Pina Rizzi, un événement survenu le 2 août 2009.

[2]           Suite à une Requête pour verdict dirigé d’acquittement, le Tribunal décida que le jury pourrait conclure au meurtre au premier degré de Pina Rizzi soit parce Jean-Philippe Tremblay a causé sa mort lors de la commission d’une agression sexuelle (art. 231(5) b) C.cr.), soit parce sa mort a été causée lors d’une séquestration (art. 231(5) e) C.cr.).

[3]           C’est alors que s’est posée la question de savoir si le jury devrait être unanime quant à la nature de l’infraction sous-jacente. Suite aux représentations des parties, le jugement a été prononcé le 1ier juin 2017 avec motifs à suivre, les voici.

2.    la position des parties

[4]           La défense plaide que dans le cas de meurtre au premier degré par imputation (soit celui prévu par l’art. 231(5) C.cr.) lorsque le jury est instruit que deux infractions sous-jacentes peuvent justifier un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré, le jury doit être unanime quant à laquelle de ces infractions est sous-jacente au meurtre.

[5]           En d’autres termes, si 6 sont convaincus hors de tout raisonnable que la mort survient lors de la commission d’une agression sexuelle et 6 sont convaincus hors de tout doute raisonnable que c’est lors d’une séquestration, alors il ne n’y a pas unanimité et le verdict doit être non-coupable de meurtre au premier degré, mais coupable de meurtre au second degré.

[6]           Elle ajoute que la gravité des conséquences pour l’accusé ainsi que le manque de clarté de l’art. 231(5) C.cr. justifient sa position.

[7]           La poursuite plaide au contraire que la règle de l’arrêt R. c. Thatcher [1987] 1 R.C.S. 652, est celle qui doit s’appliquer. Cette règle veut que l’unanimité s’applique sur la conviction qu’il existe une preuve hors de tout doute raisonnable de l’existence de chaque élément essentiel, et non pas sur la façon de parvenir à cette conviction. Le jury peut donc arriver par différents chemins à la conclusion qu’il s’agit d’un meurtre au premier degré, en autant que tous soient convaincus qu’il s’agit d’un meurtre au premier degré.

[8]           Le Tribunal est d’avis que le jury n’a pas à être unanime quant à laquelle des infractions est sous-jacente au meurtre, mais qu’il doit être unanimement convaincu que le meurtre est survenu lors de la commission de l’une ou l’autre de ces infractions.  

3.    L’ANALYSE

[9]           Les articles pertinents du Code criminel sont les suivants :

 

229. Meurtre — L'homicide coupable est un meurtre dans l'un ou l'autre des cas suivants : 

    

 a) la personne qui cause la mort d'un être humain :

 (i) ou bien a l'intention de causer sa mort,

 (ii) ou bien a l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait être de nature à causer sa mort, et qu'il lui est indifférent que la mort s'ensuive ou non;

 

231.  (1) Classification — Il existe deux catégories de meurtres : ceux du premier degré et ceux du deuxième degré.                     

 (2) Meurtre au premier degré — Le meurtre au premier degré est le meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré.

(5) Détournement, enlèvement, infraction sexuelle ou prise d'otage — Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l'un des articles suivants :

 a) l'article 76 (détournement d'aéronef);

 b) l'article 271 (agression sexuelle);

 c) l'article 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);

 d) l'article 273 (agression sexuelle grave);

 e) l'article 279 (enlèvement et séquestration);

 f) l'article 279.1 (prise d'otage).

[10]        Il y a peu de décisions sur la question, hormis celle de la Cour d’appel d’Ontario dans R. c. Dool 1987 CarswellOnt 2985, [1987] O.J. No. 564, qui en dispose spécifiquement, bien que laconiquement. Ainsi en référant au motif d’appel invoqué par l’appelant dans cette affaire, la Cour d’appel d’Ontario dit ceci :

The trial judge erred in failing to instruct the jury that in order to return a verdict a first degree murder, they had, to be unanimous as to the predicate offence of either sexual assault, or forcible confinement. We see no merit in this ground of appeal. See Thatcher c. The Queen, an unreported decision of the Supreme Court of Canada, which was released on May 14, 1987, and in particular at p. 43.

[11]        La défense soumet que dans l’arrêt R. c. Latortue, 2014 QCCA 198, la Cour d’appel du Québec se prononce à l’effet contraire. La poursuite plaide plutôt que cette décision ne s’applique pas puisqu’il s’agissait plutôt de l’interaction entre les règles de participation du complice au meurtre au premier degré selon que celui-ci est commis avec préméditation et de propos délibéré, ou lors de la commission d’une infraction sous-jacente.

[12]        Latortue, est une affaire dont les faits, et le droit s’y appliquant, sont particulièrement complexes. On y retrouve la possibilité de conclure à l’application de règles de participations différentes pour les coaccusés selon la preuve retenue, des défenses traitresses, une cause de la mort impossible à établir puisque le corps de la victime a été brûlé, l’ouverture du verdict de meurtre au premier degré en vertu de 231(2) et de 231(5)e) en raison de l’infraction sous-jacente de séquestration.

[13]        Le Tribunal est d’avis que la Cour d’appel du Québec ne s’est pas prononcée sur la question pointue de l’unanimité lorsqu’il y a plusieurs infractions sous-jacentes mais un seul auteur du meurtre (voir para. 46, 62, 69 et 73), mais plutôt sur la démarche du jury en relation avec les différents modes de participation des coaccusés et le meurtre au premier degré selon 231(2) et 231(5) C.cr., ainsi que sur la nécessité que le jury soit d’abord convaincus, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé est coupable de meurtre, avant de décider s’il s’agit d’un meurtre au premier degré. Le fait que dans cette affaire il n’y avait qu’une seule infraction sous-jacente et l’absence de toute mention de l’arrêt Thatcher, sont indicatives que le propos ne portait pas sur l’unanimité quant à la nature de cette infraction.

[14]        Par contre, l’arrêt R. c. Godon, 2012 QCCA 628, semble plus déterminant sur la question.

[15]        Dans cette affaire, la thèse de la poursuite était que le meurtre au premier degré était prouvé soit parce qu’il était commis avec préméditation et de propos délibéré, soit parce qu’il avait été commis lors de la commission d’une séquestration. La question portait sur le lien causal et temporel entre le meurtre et la séquestration.

[16]        Se penchant sur l’art. 231(5) C.cr., le juge Chamberland s’exprime ainsi :

[59] Le paragraphe 231(5) C.cr. « reflète la politique du Parlement en matière de détermination de la peine, qui est de considérer que des meurtres commis à l'occasion de crimes de domination sont particulièrement répréhensibles et qu'ils méritent une peine plus sévère » (Pritchard, précité, paragr. 19).

[60] Le Parlement y énumère une série d'infractions - dont la séquestration, à l'alinéa e) - qui font en sorte qu'indépendamment de toute préméditation, le meurtre sera assimilé à un meurtre au premier degré lorsque son auteur aura causé la mort de la victime en commettant, ou en tentant de commettre, l'un de ces crimes.

[61] L'existence de cet autre crime constitue alors en quelque sorte une circonstance aggravante « justifiant l'impossibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant un quart de siècle » (R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306, 323; Pritchard, précité, paragr. 21).

[17]         Dans le cas du meurtre au premier degré par imputation, l’élément essentiel que la poursuite doit prouver pour que le jury rende un verdict de meurtre au premier degré est que le meurtre a été commis lors de la commission d’une infraction de domination. Cet élément comporte deux parties, la preuve de la commission d’une infraction sous-jacente, et la preuve d’un lien causal et temporel entre le meurtre et l’infraction sous-jacente.

[18]        Le droit criminel reconnaît depuis longtemps que l’important est que chaque juré soit convaincu hors de tout doute raisonnable de l’existence de chaque élément essentiel, peu importe ce qui, dans la preuve, les amènent individuellement à cette conviction.

[19]        Ces éléments essentiels sont, par exemple, la participation, l’intention, ou encore l’existence d’une infraction sous-jacente. Il arrive que la poursuite dispose de différents moyens, selon ce que la preuve révèle, pour prouver un élément essentiel. Ainsi, la participation peut être établie à titre d’auteur principal ou de complice. L’intention nécessaire au meurtre peut être établie par la preuve de l’intention de tuer, ou celle de causer des lésions corporelles que l’accusé sait de nature à causer la mort et qu’il est indifférent que la mort s’en suive ou non. En matière de fraude, la preuve de la commission d’un acte frauduleux peut être celle d’une supercherie, de mensonges, ou d’autres moyens dolosifs.  Le jury est instruit qu’il n’a pas à s’entendre sur le moyen, en autant qu’ils soient tous convaincus hors de tout doute raisonnable de l’existence de l’élément essentiel.

[20]        Cette règle du droit criminel a fait l’objet d’une étude exhaustive par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thatcher. Elle n’a jamais été remise en question depuis.

[21]        L’objectif de cette règle est d’éviter que malgré la conviction des 12 jurés de la culpabilité de l’accusé quant au crime reproché, celui-ci soit tout de même acquitté parce que les jurés ne sont pas tous convaincus qu’il en soit coupable pour les mêmes raisons.

[22]        Voici comment s’exprime la Cour suprême dans Thatcher :

[69] Dans l'arrêt Chow Bew v. The Queen, 1955 CanLII 47 (SCC), [1956] R.C.S. 124, le juge Locke (aux motifs duquel ont souscrit les juges Taschereau et Fauteux) explique, aux pp. 126 et 127, l'effet de la disposition qui a précédé l'art. 21:

(…)

L'analyse du juge Locke souligne l'un des principaux arguments de principe selon lesquels il n'est pas nécessaire que le jury soit unanime quant à la question de savoir lequel des paragraphes de l'art. 21 constitue le fondement de la responsabilité criminelle d'un accusé en particulier: autrement, le coaccusé pourrait éviter d'être déclaré coupable en semant le doute parmi les membres d'un jury quant à savoir lequel des coaccusés a réellement accompli l'acte criminel, même si les jurés n'ont aucun doute que l'un ou l'autre des coaccusés a personnellement commis le crime ou a aidé et encouragé à le perpétrer. Cette préoccupation générale a été reconnue depuis longtemps par le baron en chef Pollock dans R. v. Swindall and Osborne (1846), 2 Car. & K. 230, 175 E.R. 95, une affaire antérieure à l'abolition de la distinction entre les auteurs et les complices.

[72] Ainsi, l'art. 21 a été conçu pour réduire la nécessité pour le ministère public de choisir entre deux formes différentes de participation à une infraction criminelle. Le droit prévoit que ces deux formes de participation sont non seulement également coupables, mais qu'elles devraient être traitées comme une seule façon d'engager la responsabilité criminelle. Le ministère public n'est pas obligé de séparer les différentes formes de participation à une infraction criminelle en chefs d'accusation différents. De toute évidence, si l'accusation portée contre Thatcher avait été séparée en chefs d'accusation différents, il aurait bien pu être acquitté à l'égard de chaque chef en dépit du fait que chaque juré était certain hors de tout doute raisonnable que Thatcher avait soit tué personnellement son ex-épouse, soit aidé et encouragé quelqu'un à la tuer. C'est précisément ce que l'art. 21 vise à prévenir.

[73] En somme, cette Cour a statué qu'il n'était plus nécessaire de préciser dans l'acte d'accusation la nature de la participation de l'accusé à l'infraction: Harder. De plus, si un jury est saisi d'éléments de preuve qui indiquent qu'un accusé a commis un crime personnellement ou qu'il a aidé ou encouragé une autre personne à le commettre, pourvu que le jury soit convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé a agi d'une manière ou de l'autre, il n'est [TRADUCTION]  "pas important" de savoir ce qui s'est réellement produit: Chow Bew. À mon avis, il en découle que l'art. 21 empêche d'exiger que le jury soit unanime quant à la nature précise de la participation de l'accusé à l'infraction. Pourquoi le juré serait-il tenu de faire un choix à l'égard d'une question qui n'est pas importante en droit?

(Le Tribunal souligne)

[23]        De la même manière, en la présente affaire, le chef d’accusation ne spécifie par l’infraction sous-jacente. L’acte d’accusation reproche à l’accusé d’avoir commis un meurtre au premier degré, contrairement à l’art. 235(1) C.cr.

[24]        Le Tribunal ne voit aucune raison, de principe ou de texte, pour s’écarter de la règle de Thatcher lorsqu’il y a la possibilité de la commission de plus d’une infraction sous-jacente. La commission de l’une ou l’autre de ces infractions est également coupable. Si le jury est unanimement convaincu que le meurtre a été commis lors de la commission d’une ou l’autre infraction de domination énumérée à l’art. 231(5) C.cr., la nature précise de celle-ci n’a pas à faire l’objet de l’unanimité de la part jury, puisqu’ils sont alors tous convaincus que l’accusé a agi d’une manière ou de l’autre.

[25]        Dans le cas contraire, l’accusé pourrait être acquitté de meurtre au premier degré même si les 12 jurés sont convaincus hors de tout doute raisonnable qu’il a commis le meurtre lors de la commission d’une infraction de domination prévue à l’art. 231(5) C.cr.

[26]        Plus près de notre affaire, ce raisonnement semble être celui suivi par le juge Chamberland dans Godon, en ce qui a trait au meurtre au premier degré par la préméditation et le propos délibéré ou par sa commission lors d’une infraction sous-jacente :

[91] J'aurais souhaité que le nouveau procès se limite à la seule question de savoir si le meurtre (selon le jury) commis par l'appelant constitue, selon le paragraphe 231(2) C.cr. ou l'alinéa 231(5)e) C.cr., ou les deux, un meurtre au premier degré, mais cela n'est pas possible (R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535). Il faudra donc reprendre le procès et refaire l'exercice au complet, à moins que les parties, par souci d'efficacité ou pour toute autre raison, en décident autrement.

(Le tribunal souligne)

4. CONCLUSION

[27]        Le jury fut donc instruit qu’il n’avait pas à être unanime quant à la nature de l’infraction sous-jacente.

[28]        Le 16 juin, il prononça un verdict de culpabilité de meurtre au premier degré.

 

 

__________________________________Sophie Bourque.,  j.c.s.

 

Me Catherine Perreault.

Bureau de la Directrice des poursuites

criminelles et pénales

Procureure de la poursuite.

 

Me Martin Latour

Me Marylie Côté.

Procureurs de Mr Jean-Philippe Tremblay.

 

Date d’audience :

1ier juin 2017

 

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