Décision

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Décision

Développements Immobilis inc. c. Eslami

2020 QCRDL 6454

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

497006 31 20191217 G

No demande :

2916311

 

 

Date :

19 février 2020

Régisseure :

Lucie Béliveau, juge administrative

 

Les Développements Immobilis Inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Bita Eslami

 

Locataire - Partie défenderesse

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par un recours introduit le 17 décembre 2019, le locateur demande la résiliation du bail, l'éviction de la locataire et de tous les occupants, l'exécution provisoire de la décision nonobstant appel et le remboursement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail annuel de logement du 1er septembre 2017 au 31 août 2018, lequel a été reconduit jusqu’au 31 août 2020, au loyer mensuel de 475 $.

[3]      Le logement concerné se situe au deuxième étage de l’immeuble du locateur.

APERÇU

[4]      D’emblée, la preuve démontre que c’est Farah Eslami, la sœur de la locataire, qui habite le logement alors que la gestionnaire de l’immeuble a toujours cru que la locataire elle-même, Bita Eslami, s’y logeait puisque « Farah » se présentait toujours comme étant « Bita ». En conséquence, les avis verbaux ou écrits ont été adressés à Bita Eslami, alors que c’est Farah Eslami qui les recevaient.

[5]      Ainsi, même l’huissier de justice a été berné car le procès-verbal de signification indique qu’il a personnellement signifié la demande introduite à la Régie du logement et la mise en demeure à Bita Eslami alors qu’en réalité, c’est Farah Eslami qui les a reçues.

[6]      La mandataire du locateur prétend que le comportement de la sœur de la locataire lui cause un préjudice sérieux.

[7]      Elle précise qu’elle reçoit des plaintes des autres locataires depuis 2017, concernant les bruits excessifs provenant du logement concerné, même la nuit, ce qui trouble la jouissance paisible des autres occupants de l’immeuble.


[8]      De nombreux avis verbaux ont été prodigués à la sœur de la locataire sans qu’aucune amélioration ne soit notée. Par la suite, celle-ci a refusé de répondre au téléphone ou d’accuser réception des lettres d’avertissement, en particulier celle du mois de novembre 2019, qui a dû lui être signifiée par huissier le 23 décembre 2019.

[9]      En plus des bruits excessifs provenant du logement, divers incidents ont perturbé la jouissance paisible des autres locataires de l’immeuble, entre autres :

·       Le 29 août 2019, la sœur de la locataire a porté des coups de marteau sur la porte d’un logement du troisième étage et a endommagé l’œil magique;

·       Le 13 novembre 2019, celle-ci étend des excréments sur certaines poignées de porte des logements du troisième étage;

·       Le 9 février 2020, elle frappe violement, durant plusieurs minutes, sur la porte d’un logement du premier étage.

[10]   Les évènements concernant les excréments et les coups violents sur la porte du logement du premier étage ont été captés sur vidéo.

[11]   La mandataire du locateur soutient que ces comportements sont inacceptables. Les locataires menacent de quitter les lieux si la locataire n’est pas expulsée. Il semble que la locataire occupant le logement du premier étage est trop intimidée pour venir témoigner à l’audience.

[12]   Un des locataires occupant le logement du troisième étage, qui y habite depuis près de vingt (20) ans, témoigne et relate les incidents ci-dessus rapportés. Concernant les excréments qui ont été appliqués sur sa porte et la poignée, il a pris la sœur de la locataire en flagrant délit.

[13]   Il raconte qu’à une occasion, alors que celle-ci s’acharnait à donner des coups sur son plafond de façon répétitive (qui donne sur son plancher), à un endroit en particulier, il a riposté en portant un coup sur son plancher, ce qui a provoqué sa rogne. Elle est alors montée au troisième étage pour donner des coups de marteau dans sa porte et briser l’œil magique.

[14]   Il déclare que la sœur de la locataire ne cesse de donner des coups au plafond et sur les murs, de jour comme de nuit. De plus, elle marche de façon brutale intentionnellement pour lui nuire.

[15]   Il a avisé la gestionnaire de l’immeuble lorsqu’il a entendu un vacarme épouvantable provenant du premier étage, le 9 février 2020. La preuve vidéo démontre que c’est la sœur de la locataire qui en est responsable.

[16]   Par ailleurs, il mentionne qu’à au moins deux reprises, un individu flânait dans l’immeuble et cherchait la sœur de la locataire. Il précise que cet individu, qui est de très grande taille, est inquiétant et l’insécurise.

[17]   Il mentionne que cette situation l’affecte énormément et qu’il ne peut plus endurer cette situation. Il a écrit une lettre au locateur en ce sens. Il explique qu’il ne dispose que de six (6) heures pour dormir et que la sœur de la locataire l’empêche de récupérer.

[18]   Or, avant l’arrivée de la sœur de la locataire, il n’a jamais été dérangé par les voisins, même si l’insonorisation n’est pas maximale dans l’immeuble.

[19]   La locataire (Bita Eslami) affirme qu’elle n’a jamais été informée des problématiques concernant les agissements de sa sœur, d’autant plus qu’elle n’habite pas le logement.

[20]   Elle a signé le bail de logement pour sa sœur car celle-ci éprouvait certaines difficultés financières, l’empêchant de signer elle-même le bail.

[21]   Elle prétend qu’il s’agit de conflits entre locataires et que sa sœur n’est pas plus responsable que les voisins.

[22]   Cet immeuble comporte des logements pour des personnes à faible revenus et n’est pas insonorisé : on ne peut pas empêcher sa sœur de vivre.


[23]   La sœur de la locataire (Farah Eslami) témoigne et explique que ses voisins réagissent démesurément à chaque bruit qu’elle fait. Si elle échappe quelque chose, on donne des coups sur son plafond ou sur son plancher. Elle précise que c’est elle qui est importunée, que les autres locataires font eux-mêmes énormément de bruits et claquent les portes de leurs logements exprès pour la déranger.

[24]   D’ailleurs, elle a laissé des messages à la gestionnaire, à plusieurs reprises, au sujet des voisins et celle-ci ne daigne pas lui répondre.

[25]   Elle réitère que l’immeuble est mal isolé et par le fait même, on entend tous les bruits qu’elle-même et les autres locataires produisent. Les voisins sont intolérants car eux-mêmes sont dérangeants.

QUESTION EN LITIGE

-     Le comportement de l’occupante du logement, en l’occurrence la sœur de la locataire, cause-t-il un préjudice sérieux au locateur justifiant la résiliation du bail de la locataire ?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de la preuve

[26]   Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.

[27]   Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.

[28]   Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.

[29]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].

Obligations résultant d’un bail

[30]   Un locataire est tenu d’user du logement avec prudence et diligence[2]. De même, lui-même et/ou les personnes à qui il donne accès ne doivent pas troubler la jouissance paisible des autres locataires.

[31]   À défaut, un locateur peut demander la résiliation du bail s’il prouve que la locataire trouble la jouissance paisible des autres locataires et qu’il subit un préjudice sérieux[3].

La résiliation du bail

[32]   L’article 1860 du Code civil du Québec édicte ce qui suit :

« 1860. Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obligation, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »

[33]   L’article 1855 du Code civil du Québec stipule :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »


[34]   De la preuve et des témoignages entendus à l’audience, il est indéniable que la sœur de la locataire, laquelle est une personne à qui la locataire donne accès, a un comportement inacceptable que le Tribunal ne peut cautionner.

[35]   La sœur de la locataire qui occupe le logement trouble la jouissance paisible des autres locataires : bruits et comportements inacceptables.

[36]   Ces agissements, tel que mis en preuve, sont des motifs de résiliation du bail car le locateur en subit un préjudice sérieux : au moins un locataire veut quitter pour cette raison.

[37]   En outre, la preuve vidéo milite en faveur de l’allégation de la mandataire du locateur que d’autres locataires veulent également quitter les lieux si rien ne change.

[38]   Les coups de marteau, les coups violents donnés sur la porte d’une locataire et les coups dans le plafond sont des bruits qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage[4], et ce, même si l’immeuble n’est pas bien insonorisé. Un locataire ne peut pas réagir de cette façon. De plus, la sœur de la locataire a brisé un œil magique et a épandu des excréments sur des poignées de portes.

[39]   L’allégation de la locataire à l’effet qu’elle n’a pas été informé des agissements de sa sœur n’est pas déterminante selon le Tribunal. La preuve démontre que sa sœur s’appropriait son identité, de sorte qu’en apparence et dans les faits, le locateur croyait à juste titre s’adresser réellement à la locataire, laquelle est à l’origine de la problématique. Celle-ci aurait dû aviser la locataire qu’elle faisait l’objet de plaintes de la part du locateur.

[40]   Ainsi, le Tribunal estime que la preuve du locateur est probante et qu’elle justifie la demande de résiliation du bail de logement de la locataire et de tous les occupants ainsi que leur expulsion.

[41]   Tel que prévu par règlement, le locateur a droits aux frais judiciaires[5], qui ne correspondent pas nécessairement à tous les types de frais encourus et aux montants déboursés.

[42]   Finalement, en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement[6], en raison des circonstances exposées à l’audience, l'exécution provisoire immédiate de la présente décision sera ordonnée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]   ACCUEILLE la demande du locateur;

[44]   RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;

[45]   ORDONNE l’exécution provisoire immédiate malgré l’appel, de la présente décision.

[46]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais de justice de 101 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lucie Béliveau

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

le locataire

Date de l’audience :  

12 février 2020

 

 

 


 



[1]    Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[2]    Articles 1855 et 1860 du Code civil du Québec, CCQ-1991

[3]    Article 1863 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[4]    Article 976 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[5]    Tarif des frais exigibles par la Régie du logement, R.R.Q., c. R-8.1, r. 6.

[6]    Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1.

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