R. c. Topaloski |
2017 QCCM 90 |
||||||
COUR MUNICIPALE |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
Nos: |
115-085-938 et 115-085-946 |
||||||
|
|
||||||
DATE : |
21 mars 2017 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GUYLAINE LAVIGNE |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
LA REINE |
|||||||
|
|||||||
Poursuivante |
|||||||
c. |
|||||||
NEDA TOPALOSKI |
|||||||
|
|||||||
Défenderesse |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT [1] |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] Le 4 juin 2015, vers 13 h 30, lors des festivités du Grand Prix de Montréal se déroulant sur la rue Crescent, la défenderesse, Neda Topaloski, manifeste à titre de Femen contre l’exploitation sexuelle des femmes lors du Grand Prix de Formule 1.
[2] Pendant qu’elle s’exécute, elle aurait brisé le miroir d’un véhicule exposé sur la rue et endommagé certaines parties de la carrosserie en s’asseyant à quelques reprises sur ce véhicule. Elle est arrêtée par des agents de sécurité d’une firme privée et remise aux autorités.
[3] Elle comparait détenue le lendemain, accusée entre autres d’avoir troublé la paix en vertu de l’article 175(1)a)(i) du Code criminel, de deux chefs de méfait en vertu de l’article 430(1)a) (4)b) du Code criminel et de bris de conditions en vertu de l’article 145(3)b) du Code criminel.
[4] Avant même l’audition d’un premier témoin, plusieurs pièces ont été déposées de consentement, dont des bandes vidéo et des photos.
[5] Sur ces vidéos, on peut apercevoir la défenderesse en action.
[6] Les parties ont aussi convenu des admissions suivantes :
· Admission de l’identification de la défenderesse;
· Admission de la fiabilité du contenu de la preuve vidéo.
[7] Comme premier témoin appelé à la barre, le Tribunal entend l’agent Mario Carlacci, policier au SPVM.
[8] Celui-ci vient expliquer son implication lors des événements survenus le 4 juin 2015. À la suite d’un appel au 9-1-1, par un dénommé Steve, au sujet d’une femme violente qui cause des dommages sur un véhicule aux festivités du Grand Prix de Montréal, l’agent Carlacci et son collègue se dirigent sur les lieux et lors de leur arrivée, voient des agents de sécurité du Grand Prix en présence de deux femmes seins nus avec des inscriptions peintes en noir et rouge sur le corps.
[9] Avant leur arrivée, ils ne discutent pas avec les agents de sécurité du site ni avec d’autres personnes se trouvant sur les lieux. Une fois sur place, ils parlent avec Louis Bordeleau qui se présente comme étant le propriétaire d’un véhicule exposé sur la rue Crescent et voulant porter plainte contre l’une d’elles pour avoir brisé un miroir du véhicule.
[10] Les deux agents ne constatent pas, par eux-mêmes, les dommages au miroir dénoncés par M. Bordeleau. Ils procèdent à l’arrestation des deux dames, dont l’une est Neda Topaloski, pour méfait et acte indécent. Selon ses dires, les deux dames sont coopératives.
[11] En contre-interrogatoire, il décrit les lieux comme une rue fermée spécialement pour les festivités du Grand Prix de Formule 1 avec animation sur place, bondée de piétons, très animée, avec beaucoup de bruit et selon ses propres paroles : « vraiment pas silencieux ».
[12] Concernant les gens qui gardent les deux dames, selon ses dires, il s’agit d’individus habillés de façon similaire et identifiés sur leurs vêtements avec le mot « SÉCURITÉ ». La poursuite admet qu’il s’agit bien des agents de sécurité de la firme privée Fortas.
[13] Le sergent-détective Vincent Sévigny du SPVM témoigne. Bien qu’il ne témoigne pas à titre d’expert en emploi de la force, selon sa formation reçue à Nicolet, il affirme que les méthodes d’intervention utilisées par les agents de sécurité ne seraient pas conformes à l’enseignement de l’École national de police du Québec. Le Tribunal se permet de référer à son témoignage lorsqu’il dit : « ce n’est pas une technique apprise à Nicolet de trainer les gens sur l’asphalte ».
[14] En contre-interrogatoire, il confirme que la seule plainte reliée à cet événement est celle de M. Bordeleau pour méfait.
[15] Au sujet des dommages supplémentaires, autres que ceux relatifs au bris du rétroviseur, il reçoit plus ou moins 1 à 2 semaines plus tard, des photos, une liste de pièces à changer, le prix de leur remplacement ainsi que d’autres détails techniques concernant ces réparations.
[16] La défenderesse témoigne.
[17] Madame Neda Topaloski est étudiante universitaire en littérature et membre du mouvement Femen depuis trois ans. Elle explique au Tribunal ce qui est le mouvement Femen, le but de ce mouvement et leur façon d’exprimer leur message de protestation face à l’exploitation sexuelle des femmes, entre autres, pendant le Grand Prix de Montréal.
[18] De plus, elle explique avoir reçu un entrainement spécial pour participer aux manifestations du mouvement. Cette formation prépare les membres à rester sur place le plus longtemps possible pour faire entendre leur message qui, normalement, consiste en une mise en scène un peu théâtrale accompagnée de cris et dont le corps humain sert de bannière.
[19] La défenderesse affirme que le 4 juin 2015, elle se présente sur le site du Grand Prix sur la rue Crescent et monte sur la scène où se trouve une voiture de course. Elle a la poitrine nue, sur laquelle sont inscrits les mots « Slavery is not a choice » et scande certains slogans à savoir : « Montreal is not a brothel » ou encore « Slavery Grand Prix ». Elle est accompagnée d’une autre membre du mouvement qui agit de même, est vêtue de la même façon et qui arbore la mention « My body is not your business » sur sa poitrine.
[20] Lors de la planification de son intervention, après certaines recherches sur Internet concernant l’utilisation de ces véhicules à des fins publicitaires, l’intention de la défenderesse est de s’asseoir sur le véhicule exposé pour imiter les publicités automobiles sur lesquelles on retrouve des femmes étendues sur ces bolides. Elle veut reproduire ces mêmes images à titre de provocation.
[21] Elle s’y assoit, jambes écartées, l’entrejambe couvert par une petite pancarte portant la mention « OPEN FOR DEBATE » (D-1a). Elle porte attention à ne pas toucher le véhicule avec ses souliers à talons hauts et à garder le plus possible un pied parterre, car elle s’assure toujours de n’occasionner aucun dommage aux biens. Seules sa peau et sa jupe sont en contact avec le véhicule avant l’intervention de certaines personnes.
[22] Une première dame en maillot jaune vient tenter de la retirer du véhicule et une deuxième personne intervient pour faciliter l’expulsion de la défenderesse de la scène sur laquelle se trouve le véhicule en question. Il s’agit de M. Louis Bordeleau.
[23] À ce moment, la défenderesse se sent propulsée, jetée sur la roue et sur un objet coupant et dur qu’elle ne peut identifier, et ce, très brusquement. Elle se retient sur la barre latérale et non sur le miroir de l’auto, car il lui est impossible de toucher le miroir, qui est plus à l’arrière d’elle (photo D-1b).
[24] En aucun temps la défenderesse n’a l’intention d’endommager ce véhicule. Ce fut la première partie d’une intervention violente et douloureuse, particulièrement traumatisante pour elle. Malgré l’attitude de ces gens à son égard, elle persiste à demeurer sur les lieux pour transmettre son message.
[25] Elle est par la suite arrêtée par les agents de sécurité qui sont assez brutaux au point de lui marcher sur les cheveux, de lui tordre le corps en deux et de la trainer sur l’asphalte sur la partie dénudée de son corps au grand dam des observateurs exprimant leur mécontentement face à ce comportement.
[26] En contre-interrogatoire, la défenderesse admet avoir participé à d’autres événements similaires dans le passé, mais où elle était simplement escortée à l’extérieur des lieux par la sécurité, et ce, sans violence et sans faire l’objet d’accusations criminelles. Elle reconnait avoir persisté à demeurer sur les lieux par une résistance qu’elle qualifie de passive, ce qui fait partie de leur façon de montrer une image de la femme forte qui résiste au patriarcat et à l’exploitation sexuelle des femmes.
[27] Une fois retirée du véhicule et après avoir tenté en vain de demeurer sur les lieux, la défenderesse n’a eu aucun contrôle sur ce qui se passe à partir du moment où elle s’accroche à un poteau de la barrière et que les agents de la sécurité interviennent. Ses dires sont d’ailleurs confirmés par les vidéos déposées en preuve. Elle comparait détenue à la cour le lendemain et est libérée sur conditions.
[28] Comme dernier témoin, Mme Martine Delvaux, professeure à l’UQAM en études littéraires et déclarée témoin experte en études féministes, vient expliquer le phénomène du mouvement Femen, son historique, les revendications de ce groupe, les moyens d’expression utilisés par les membres lors des manifestations et l’objectif visé.
[29] Elle explique que les Femen se servent de la nudité pour exprimer un message politique face à l’exploitation de la sexualité des femmes dans un monde tel que vu et créé par et pour le regard masculin. Elles expriment ainsi leur indignation face à ce phénomène reconnu par certains paliers gouvernementaux (voir pièce R-1 : campagne « Acheter du sexe ce n’est pas un sport » où on retrouve le logo du gouvernement provincial, entre autres).
[30] Pour reprendre certains extraits de son rapport d’expertise sur la nudité militante, déposé sous la cote D-2 :
Ces femmes déploient dans l’espace public un corps à demi nu, parlant, théâtral et politique. Le corps des Femen est un corps qui se met en danger, un corps-pancarte, un corps théâtre. La poitrine nue de ces femmes n’est pas nue parce que sur la peau des slogans sont écrit. L’usage de leur corps n’est pas érotique. Elles font de leur corps un lieu de discours. Leur corps n’appelle pas le désir ou le plaisir; c’est un corps qui demande d’être lu et écouté. La peau est leur uniforme. L’utilisation de sa nudité, dans une manifestation, est un signe de pacifisme, de mise en danger de soi non pas au nom de l’exposition de soi, mais au nom d’une cause.
[31] La défense présente une requête en arrêt des procédures basée sur la violence exercée à l’égard de sa cliente lors de son arrestation par les agents de sécurité, invoquant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de toute personne en vertu des articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’ailleurs du seul point de charte contesté dans ce dossier.
[32] La Charte canadienne des droits et libertés s’applique-t-elle aux agences de sécurité privée?
[33] Si oui, y a-t-il eu violation du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la défenderesse en vertu de l’article 7?
[34] Si oui, l’arrêt des procédures est-il le remède approprié?
[35] La poursuite a-t-elle fait la preuve hors de tout doute raisonnable des infractions reprochées?
[36] Selon l’avocate de la défenderesse, la Charte canadienne des droits et libertés serait applicable aux agents de sécurité des agences privées et permettrait, en cas d’abus de leur part, la reconnaissance de violation aux droits constitutionnels et donnerait ouverture à une réparation telle que l’arrêt des procédures.
[37] Selon elle, l’arrestation de sa cliente est abusive. La brutalité avec laquelle la défenderesse a été molestée lors de son arrestation par les agents de sécurité de l’événement du Grand Prix de Montréal est tellement choquante qu’elle contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et que seul l’arrêt des procédures peut constituer un remède approprié.
[38] La défense base ses arguments sur le fait que les agences de sécurité tirent leur pouvoir d’une loi, soit la Loi sur la sécurité privée[2].
[39] L’article 3 du Règlement sur les normes de comportement des titulaires de permis d’agent qui exercent une activité de sécurité privée[3] impose une norme de comportement en matière d’utilisation de la force :
3. Le titulaire d’un permis d’agent doit éviter toute forme d’abus d’autorité dans ses rapports avec toute personne.
Dans ses rapports, il ne doit pas, notamment :
1o avoir recours à une force plus grande que celle nécessaire pour accomplir ce qui lui est enjoint ou permis de faire.
[…]
[40] Par contre, la défense reconnait que ces agents n’ont pas été embauchés par la Ville, mais par les organisateurs de l’événement. Si la Charte ne s’applique pas à eux, le seul pouvoir d’arrestation de ces agents de sécurité serait donc celui visé à l’article 494(1) du Code criminel qui accorde au simple citoyen le pouvoir d’arrestation dans des cas limité.
[41] Selon les prétentions de la poursuite, la Charte canadienne des droits et libertés ne s’applique pas aux arrestations faites par des agents de sécurité si ceux-ci ne sont pas mandatés par l’État ou l’un de ses représentants.
[42] La police n’a jamais mandaté la compagnie de sécurité ou l’un de ses employés d’agir dans les circonstances. Les policiers ont reçu l’information via 9-1-1 à la suite d’une plainte d’un citoyen concernant un méfait.
[43] Le Tribunal réfère les parties dans un premier temps à la lecture de l’article 32 de la Charte qui précise quels sont les acteurs auxquels elle s’applique, soit les branches législative, exécutive et administrative du gouvernement, et ce, peu importe que leurs actes soient en cause dans des litiges publics ou privés[4].
[44] En 2003, la Cour suprême du Canada a été appelée à reconsidérer l’application de l’article 32 de la Charte au sujet des agences de sécurité dans l’arrêt Buhay[5]. Le Tribunal reprendra les paroles du juge Arbour à ce sujet aux paragraphes 28 et 31 :
(28) […]. Les gardes de sécurité privés ne sont ni des représentants ni des employés de l’État, et hormis un encadrement législatif minimal, ils ne sont pas sous l’autorité de l’État. Il peut y avoir chevauchement entre leur travail et l’intérêt de l’État dans la prévention et la répression du crime, mais on ne peut dire que les gardes de sécurité sont délégués par l’État pour veiller à l’application de ses politiques ou de ses programmes. Même si l’on concède que la protection du public relève de la mission publique de l’État, cela ne permet pas de conclure à la nature gouvernementale des fonctions exercées par les gardes de sécurité. À cet égard, dans Eldridge, précité, par. 43, la Cour dit :
… le seul fait qu’une entité exerce ce qu’on peut librement appeler une « fonction publique » ou le fait qu’une activité particulière puisse être dite de nature « publique» n’est pas suffisant pour que cette entité soit assimilée au « gouvernement » pour l’application de l’art. 32 de la Charte.
Pour que la Charte s’applique à une entité privée, il doit être établi que celle-ci met en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé. Comme j’ai ajouté, dans McKinney, à la p. 269, « [l]e critère de l’objet public est simplement inadéquat » et « [c]e n’est tout simplement pas le critère qu’impose l’art. 32 ». [Souligné dans l’original.]
[…]
(31) Bien que le recours aux agences de sécurité privées se soit accru au Canada et que des agents de sécurité procèdent couramment à des arrestations, à des mises en détention et à des fouilles, « [l]’exclusion des activités privées de l’application de la Charte n’est pas le fruit du hasard. C’est un choix délibéré qu’il faut respecter » (McKinney c.Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, p. 262). Si l’État abandonnait au secteur privé, en totalité ou en partie, une fonction publique essentielle, même sans délégation expresse, il se peut que l’activité privée soit alors assimilée à une activité de l’État pour les besoins de la Charte. […]. Pour ce qui est de savoir si un garde de sécurité du secteur privé est un « représentant de l’État », le critère établi dans Broyles, précité, appelle une analyse cas par cas, axée sur les actes qui ont donné lieu à l’atteinte alléguée à la Charte et sur le lien existant entre les gardes de sécurité et l’État. […]
[45] Puisque les agences de sécurité agissent en fonction de purs intérêts de leur employeur, employeur qui n’est pas une branche du gouvernement au sens de l’arrêt Mc Kinney[6] ou encore sous les ordres de la police, elles ne peuvent être assimilées non plus à des représentants de l’État. Il s’agit, en l’espèce, d’un litige entre parties privées seulement, litige dans lequel il n’y a pas eu d’acte gouvernemental susceptible d’entrainer l’application de la Charte et dans lequel aucun acte du gouvernement n’a été invoqué.
[46] Comme l’exprimaient à bon droit les coauteurs Lucie Lemonde et Gabriel Hébert-Tétrault dans leur texte intitulé « Sécurité privée et droits fondamentaux »[7] :
Ce n’est pas sur la base de l’acte posé par l’agent de sécurité que l’on détermine si la Charte est applicable, mais bien sur la relation qui existe entre l’agent et l’État au moment où l’acte est posé. […]
[47] Dans le cas qui nous occupe, le Grand Prix de Montréal est une activité privée où les responsables retiennent les services d’une agence de sécurité privée dans le but de faire respecter le maintien de l’ordre pendant la durée de leurs activités et dans des lieux prédéterminés. Ces agences agissent dans l’intérêt et sous les directives de leur employeur ou des gens ayant retenu leurs services. Rien dans la preuve ne permet donc d’assimiler ces agents de sécurité ou la compagnie les embauchant à l’État.
[48] De plus, la preuve démontre que les policiers venus arrêter la défenderesse ne sont pas mis au courant de la situation qu’à la suite d’un appel au service 9-1-1 et n’ont jamais mandaté l’un de ses agents pour agir en leur nom. Les agents de sécurité ont donc agi de manière totalement indépendante de la police et de l’État. Aucune preuve n’a été apportée devant le Tribunal indiquant qu’un lien quelconque existait entre les agents de sécurité de la firme Fortas et un palier gouvernemental ou avec un agent gouvernemental quelconque. Ceux-ci ne peuvent donc pas être considérés comme des représentants de l’État, élément préliminaire et primordial à l’analyse de l’application de la Charte.
[49] Après l’analyse des faits visés par la présente requête ainsi que de la jurisprudence soumise par les parties, le Tribunal en vient à la conclusion que la Charte canadienne des droits et libertés ne trouve pas application dans les agir des agences de sécurité privée non mandatées par l’État.
[50] Pour terminer, le Tribunal fera siens les commentaires des juges de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mc Kenney[8], où la Cour considère que de soumettre au contrôle judiciaire toutes les actions de nature privée et publique pourrait paralyser le fonctionnement de la société et porter sérieusement atteinte à la liberté contractuelle, tout en imposant un fardeau impossible aux tribunaux.
[51] Évidemment, les conclusions du Tribunal concernant le rejet de cette requête ne doivent en aucun temps être interprétées comme limitant d’une façon quelconque le droit d’une partie lésée au dépôt d’une plainte criminelle et/ou d’une poursuite civile contre les agents de sécurité intervenus lors d’un événement ou même contre une plainte au Bureau de la sécurité investi du pouvoir de surveillance et de protection du public par la Loi sur la sécurité publique.
[52] Comme la Charte ne trouve pas application en l’espèce, voyons maintenant si la poursuite s’est déchargée de son fardeau de prouver les infractions reprochées hors de tout doute raisonnable.
[53] On reproche à la défenderesse lors de cet événement, n’étant pas dans une maison d’habitation, d’avoir fait du tapage dans ou près d’un endroit public plus particulièrement en criant, vociférant, jurant, chantant ou employant un langage insultant ou obscène.
[54] La partie défenderesse admet que sa cliente a crié et scandé des slogans, ce qui pouvait être assimilé à chanter, mais n’admet pas qu’elle se soit battue, aurait juré, vociféré ou employé un langage insultant ou obscène.
[55] Elle fait le parallèle de cet événement avec les quatre critères retenus par les auteurs Fillieule et Tartakowsky dans leur texte intitulé « La manifestation »[9] pour affirmer qu’il s’agit bien d’une manifestation :
1°- occupation momentanée d’un lieu public;
2°- l’expressivité;
3°- une pluralité de participants;
4°- une dimension politique.
[56] Elle prétend que cette manifestation est couverte par la liberté d’expression reconnue par la Charte canadienne des droits et libertés (art. 2b), la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (art.3) et par nos tribunaux qui reconnaissent que l’un des aspects de la liberté d’expression est le droit de s’exprimer dans certains endroits publics.
[57] La défense réfère de plus le Tribunal à la définition de tapage énoncée dans l’arrêt R. c. Lohnes[10], où l’on définit le tapage comme plus qu’un simple trouble émotif ou une contrariété.
[58] Elle fait remarquer au Tribunal que l’événement se déroule sur la rue Crescent au centre-ville de Montréal en plein cœur de la journée, endroit très fréquenté lors des activités du Grand Prix, et ce, tel que confirmé par tous les témoins des faits au présent dossier. Elle affirme qu’au visionnement des vidéos et des photos, tout le monde présent rit, les gens ont l’air amusé, autant les hommes que les femmes, par cette manifestation, quelques personnes prennent même des photos ou filment l’événement et d’autres répètent les slogans utilisés.
[59] Ce n’est qu’à la suite de l’intervention des agents de sécurité que la foule réagit et s’exprime négativement face à leur comportement.
[60] Elle conclut que la preuve soumise au Tribunal n’a pas démontré les éléments essentiels de l’infraction et qu’un acquittement s’impose.
[61] Pour sa part, la poursuite réfère le Tribunal à la même définition de tapage qu’on retrouve à l’arrêt Lohnes[11] (suivi par les décisions Swinkels[12] et Kukemueller[13]), en définissant le mot perturbé non pas en référant aux gens individuellement, mais au déroulement de l’événement.
[62] Elle ajoute que d’une part, il y a la liberté de l‘individu de vociférer, de chanter ou de s’exprimer autrement et d’autre part, il y a le droit collectif à la paix et à la tranquillité. Le droit d’expression de l’individu doit à un certain point céder le pas au droit collectif à la paix et à la tranquillité. Le tapage peut consister en l’acte reproché lui-même ou il peut constituer une conséquence de l’acte reproché.
[63] Toujours selon la poursuite, le comportement de la défenderesse ne serait pas protégé par la liberté d’expression et constituerait une entrave au sens de l’article 175(1)a) du Code criminel.
[64] La foule aurait bougé et réagi au comportement de la défenderesse. La situation a dégénéré dû au comportement de la défenderesse. La liberté d’expression protège le message, mais au nom d’un message on ne peut tolérer qu’une situation dégénère à un point tel.
[65] La défenderesse savait que sa conduite était de nature à entraver l’utilisation ordinaire et habituelle des lieux et son intention était de créer une entrave à la Formule 1, faire en sorte que les activités de la Formule 1 cessent, qu’on la regarde, qu’on écoute son message. C’est ce qui consiste en la mens rea de l’infraction.
[66] Finalement, selon la poursuite, ce n’est pas parce qu’on dénonce une opinion politique qu’on ne peut pas être déclaré coupable de tapage, en référant à la décision Ahooja[14], rendue par ma collègue la juge Louise Baribeau le 19 février 2004.
[67] La poursuite demande donc au Tribunal de tracer la ligne à ne pas franchir.
[68] La question posée est de savoir dans un premier temps si toute conduite qui s’inscrit dans ce large éventail entraine automatiquement une responsabilité criminelle aux termes de l’article 175(1)a) et, dans la négative, où se situe la ligne à ne pas franchir pour en devenir.
[69] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Lohnes[15], a défini le tapage visé à l’article 175(1)a) comme plus qu’un simple trouble émotif. Il doit y avoir une perturbation manifestée extérieurement de la paix publique au sens d’une entrave à l’utilisation ordinaire et habituelle des lieux par le public. Le tapage peut consister en l’acte reproché lui-même ou il peut constituer une conséquence de l’acte reproché. Toutefois, l’entrave doit avoir eu lieu et doit être manifestée extérieurement. Conformément au principe de la légalité, le désordre doit avoir été prévisible dans les circonstances particulières du moment et du lieu.
[70] Le Tribunal retient des témoignages entendus que l’événement se passe vers 13 h 30, le 4 juin 2015, sur la rue Crescent, pendant les festivités du Grand Prix de Montréal, où se déroulent plusieurs activités et où se trouve évidemment une foule de gens voulant profiter de ces moments festifs.
[71] Par la force des choses, il y a donc une effervescence propre à ces festivités, un brouhaha propre à ce genre d’événement. Nous ne sommes pas aux petites heures du matin dans un secteur résidentiel où ordinairement les gens dorment.
[72] Nous sommes en présence d’une jeune femme qui manifeste à titre de membre du mouvement Femen contre l’exploitation des femmes au sein du Grand Prix de Formule 1 de Montréal. Elle scande des slogans anti-exploitation et s’exhibe les seins nus sur lesquels ses messages sont peints et exprime son indignation de façon théâtrale en reproduisant certains clichés propres aux publicités réservées particulièrement aux voitures performantes en s’asseyant sur l’une d’elles.
[73] Ce qui demande réflexion et analyse de la part du Tribunal se résume assez bien dans les paroles du juge McLauchlin dans l’arrêt Lohnes[16] à la page 181 :
[…] il est loin d’être évident en soi que l’objectif de faire régner la paix et l’ordre dans nos endroits publics exige que le droit criminel entre en jeu à l’étape de la prévisibilité d’une contrariété. En fait, notre société a coutume de tolérer un bon nombre d’activités dans nos rues et sur nos routes, qui peuvent déranger et contrarier d’autres personnes qui partagent ces endroits publics, et qui le font effectivement. Étant donné l’empiétement sur la liberté publique et l’incertitude qu’une telle règle créerait dans le droit criminel, on peut soutenir qu’une certaine manifestation extérieure de désordre au sens d’une entrave à l’utilisation normale de l’endroit visé devrait être nécessaire pour transformer une conduite légale en infraction criminelle.
[74] La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt Ville de Montréal c. 2952-1336 Québec Inc.[17], au paragraphe 67, que les rues servent de lieux de communication pour le public et que le fait de s’y exprimer ne fait pas obstacle à la fonction principale de la voie publique. Toute activité expressive est protégée par l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés qui prévoit le droit à la liberté d’expression (par.58). Il s’agissait en l’espèce de l’émission sur une voie publique de bruits amplifiés par un haut-parleur installé sur un édifice qui publicisait la présence d’un bar de danseuses en plein jour.
[75] Dans la décision Garbeau c. Ville de Montréal[18], le juge Cournoyer conclut dans le même sens quand il rappelle qu’il est reconnu et acquis que le droit de manifester sur un chemin public est protégé par le droit à la liberté d’expression tel que garanti par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Il rappelle que l’exercice de ces droits est essentiel et vital pour le fonctionnement d’une société libre et démocratique, la seule limite étant les cas d’utilisation de la violence par la partie défenderesse et non par les personnes procédant à son arrestation (voir la décision Bertrand[19] à cet effet).
[76] Avec égards, le Tribunal ne peut souscrire aux prétentions de la poursuite voulant que les agissements de la défenderesse étaient de nature à entraver l’utilisation ordinaire et habituelle des lieux, que ceci serait à la base de la mens rea requise en matière de troubler la paix et que le droit à la liberté d’expression ne peut s’appliquer en l’espèce.
[77] Le Tribunal partage plutôt l’opinion des juges Lamer et Cournoyer et considère que l’expression vocale des messages de la défenderesse au nom du mouvement des Femen sur la voie publique doit donc bénéficier de la protection garantie par les Chartes canadienne et québécoise sur le droit à l’expression.
[78] De plus, aucune preuve de l’existence d’une perturbation de l’utilisation des lieux par le comportement de la défenderesse n’a été présentée devant le Tribunal. On ne peut conclure que la conduite des gens sur place a été touchée ou dérangée par le langage et le comportement de la défenderesse avant son arrestation. La seule plainte portée concernant cet événement est celle de méfait par M. Bordeleau. N’eût été ce présumé méfait, aucune personne ne s’est plainte d’avoir été dérangée ou affectée par l’activité en question sur la rue Crescent le jour des événements[20].
[79] La seule perturbation que le Tribunal retient de cette journée est celle occasionnée par l’intervention aussi brutale que musclée des agents de sécurité qui a soulevé l’indignation du public. Et comme l’exprimait la défenderesse au moment du contre-interrogatoire, lors des activités similaires auxquelles elle a participé antérieurement, le seul désordre qui était prévisible était son expulsion des lieux sous escorte, et ce, sans violence.
[80] En l’espèce, à la lumière de la preuve quant au contexte qui prévalait au moment où la défenderesse a scandé ces propos, le Tribunal en arrive à la conclusion que même si ceux-ci se détachaient distinctement des bruits ambiants, ils ne constituaient pas du tapage au sens de l’interprétation qu’en donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lohnes[21].
[81] Lors de cet événement, la défenderesse aurait brisé un rétroviseur (miroir) et des pièces de la carrosserie sur le véhicule appartenant au frère du plaignant en s’asseyant sur le véhicule à quelques reprises.
[82] Pour la défense, aucun méfait n’est imputable à la défenderesse. Dans un premier temps, selon elle, la défenderesse n’était pas en mesure d’atteindre le rétroviseur de l’endroit où elle se trouvait et de la façon dont elle était installée. La défense invite le Tribunal à visionner les vidéos pour constater que le miroir en question était toujours à son état normal avant l’intervention de M. Bordeleau et qu’il serait donc fort possible qu’il en soit le responsable.
[83] Par contre, elle soumet que si le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse a commis le bris du miroir, elle n’avait pas l’intention d’endommager celui-ci et qu’il s’agit d’un accident et non pas d’un geste volontaire, et que sa façon d’avoir préparé son geste (recherche sur Internet) démontre tout le contraire d’une insouciance. À cet effet, elle dépose la décision Marone[22] rendue par le juge Lalande le 21 juin 2007 à la cour municipale de Laval, qui réfère le lecteur à la décision Toma[23] de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et qui définit la mens rea de cette infraction à celle d’une intention de causer le dommage ou une insouciance telle qu’elle équivaut à cette intention.
[84] Au sujet du bris des pièces de la carrosserie, la défense maintient l’innocence de sa cliente. Elle n’admet, à la pièce P-10, que la valeur des dommages inscrits. Elle considère que le témoin Bordeleau n’est pas la personne appropriée pour témoigner de ces dommages puisqu’il n’est pas reconnu témoin expert en matière de mécanique automobile. De plus, il ne peut témoigner sur le bon fonctionnement du véhicule avant l’intervention des Femen, car il n’a pas lui-même constaté l’état du véhicule avant ce moment. Et finalement, ce n’est que quelques jours ou semaines plus tard que ce véhicule fut démonté et que l’on aurait constaté ces bris, ne pouvant ainsi exclure la possibilité de bris survenu ultérieurement à cet événement.
[85] Elle soumet que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver l’infraction hors de tout doute raisonnable.
[86] Pour sa part, la poursuite affirme que la défenderesse a commis tous les méfaits qu’on lui reproche.
[87] Elle ne met pas en doute sa crédibilité, mais affirme que la défenderesse a touché, accroché et même agrippé le miroir peut-être par mégarde et sans vouloir le faire, mais que l’article 429 du Code criminel établit une présomption d’intention requise à l’article 430 à l’effet qu’elle a agit de façon volontaire.
429 (1) Quiconque cause la production d’un événement en accomplissant un acte, ou en omettant d’accomplir un acte qu’il est tenu d’accomplir, sachant que cet acte ou cette omission causera probablement la production de l’événement et sans se soucier que l’événement se produise ou non, est, pour l’application de la présente partie, réputé avoir causé volontairement la production de l’événement.
430 (1) Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :
a) détruit ou détériore un bien;
[Le Tribunal souligne]
[88] La poursuite relie la mise en application de l’article 429 aux éléments suivants :
· La défenderesse savait par expérience que les agents de sécurité allaient l’escorter à l’extérieur des lieux;
· Elle savait qu’en allant se coucher et se rasseoir à deux reprises sur le véhicule, on allait utiliser une certaine force pour la retirer de ce véhicule. Elle s’attendait à l’utilisation d’une certaine force. Et de là découlerait l’application de l’article 429, car du fait qu’il était possible qu’on utilise la force, elle ne s’est pas souciée que le véhicule pourrait être possiblement endommagé.
[89] Monsieur Bordeleau est le principal témoin des méfaits et était présent sur les lieux avant l’arrivée de la défenderesse. Il décide d’intervenir seulement lorsqu’il constate qu’elle vient d’accrocher le miroir.
[90] Au sujet des dommages sur la carrosserie, la poursuite revient sur le témoignage de M. Bordeleau affirmant que l’engin allait bien lors de la dernière compétition, donc était en bonne condition avant l’intervention de la défenderesse et qu’il s’agit d’un véhicule fragile. Elle applique le même raisonnement découlant de la présomption de l’article 429 du Code criminel.
[91] Dans l’affaire R. c. Guillemette[24], le juge Paré de la Cour d’appel exprime de la façon suivante l’intention criminelle reliée au méfait :
On pourrait dire que le méfait exige une intention spécifique en ce sens que la poursuite doit prouver la volonté de l’inculpé de détruire ou de détériorer un bien (art. 387 C. cr.). Cependant, la seule connaissance du prévenu que l’acte qu’il pose, causera probablement la destruction ou la détérioration d’un bien et son insouciance quant à ce résultat suffisent pour que l’acte soit considéré comme volontaire (art. 386 C. cr.).
Il s’agit dès lors moins qu’une intention spécifique puisque la seule connaissance des conséquences de l’acte et l’insouciance du résultat suppléent à la volonté spécifique de commettre la destruction.
[92] Si le Tribunal en vient à la conclusion que la défenderesse a brisé soit le miroir ou les pièces de la carrosserie identifiées par le témoin Bordeleau, il devra donc évaluer l’insouciance de la défenderesse des conséquences du résultat potentiel des gestes posés.
[93] Toutefois, pour se positionner sur la question, le Tribunal doit au départ déterminer la personne qui a commis le bris du rétroviseur droit du véhicule exposé lors du défi Pit Stop Challenge dans le cadre du Grand Prix de Montréal.
[94] Après avoir visionné à maintes reprises les trois vidéos déposées en preuve lors du procès, le Tribunal se voit en présence de deux versions contradictoires des événements survenus le 4 juin 2015 concernant le bris du miroir.
[95] D’un côté, nous avons le témoignage de M. Bordeleau, directeur technique de l’événement Pit Stop Challenge. À ce titre, il doit superviser et s’assurer du bon fonctionnement de l’activité en question.
[96] Selon sa version des faits, il voit la défenderesse arriver par l’arrière de la scène où se trouve la voiture de course de son frère et scander des slogans. Elles sont deux et il ne les entend pas arriver, car l’animation, les cris et applaudissements de la foule l’en empêchent. Lorsqu’elles montent sur la scène, il leur laisse un peu la place pour s’exprimer. Il n’intervient qu’après avoir constaté que la défenderesse vient de briser le rétroviseur droit. Il a, à ce moment, tenté de la dégager du véhicule.
[97] Concernant les pièces endommagées sur la partie arrière de la carrosserie, M. Bordeleau témoigne que ces véhicules sont en fibre de verre, ne sont pas faits pour supporter du poids et sont donc très fragiles. Une inspection du véhicule a suivi une fois le véhicule retourné au garage et c’est là qu’on a constaté les autres bris. Il dira qu’après l’intervention des agents de sécurité, l’activité du concours de changement de pneus a repris de plus belle.
[98] D’autre part, Mme Topaloski témoigne être montée sur la scène, avoir scandé des slogans, s’être assise sans mettre ses souliers à talons hauts en contact avec le véhicule pour ne pas l’abimer et ne pas avoir touché au miroir en question. Elle admet s’être retenue après les barres de métal fixées sur les deux côtés avant du véhicule et n’avoir jamais été en position de se retenir sur les rétroviseurs qui se trouvent derrière elle.
[99] Lors des visionnements, le Tribunal a pu faire les constatations suivantes :
[100] À maintes reprises, on peut apercevoir le fameux rétroviseur avant, pendant et après l’interception de la défenderesse. Cependant, à aucun moment il n’est permis de constater que celle-ci se tient ou est en contact avec ce miroir.
[101] Contrairement au témoignage de M. Bordeleau, au moment où il s’approche de l’auto pour intervenir physiquement à l’endroit de la défenderesse, le miroir parait toujours dans la même position qu’à l’arrivée des Femen sur la scène. Cependant, après avoir repoussé d’une façon assez brusque la défenderesse sur les roues du côté opposé du véhicule, le miroir ne semble plus dans la même position.
[102] Sans minimiser les témoignages des deux seules personnes présentes sur les lieux lors des événements, soit M. Bordeleau et Mme Topaloski, et après plusieurs visionnements des vidéos déposées en preuve, le Tribunal ne peut venir qu’à la conclusion que l’une d’entre elles est l’auteure du bris du miroir, sans pouvoir déterminer laquelle.
[103] Comme le dit si bien la Cour suprême du Canada depuis les arrêts W.(D.)[25], C.L.Y.[26], Dinardo[27] et suivants, dans le cas où le Tribunal fait face à deux versions contradictoires plausibles, il n’a pas à choisir l’une des versions plus que l’autre et il doit faire bénéficier la défenderesse du doute raisonnable.
[104] Le Tribunal n’aura donc pas à évaluer la portée de la présomption de l’article 429 du Code criminel en ce qui a trait au bris du rétroviseur.
[105] Finalement, au sujet du deuxième méfait, après avoir analysé les vidéos, les photos et le témoignage de M. Bordeleau, pour qui une voiture a plus de valeur qu’une personne, ce qui d’une certaine façon aurait pu colorer son intérêt sur la question, le Tribunal en vient à la conclusion que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve en ayant pu établir aux yeux du Tribunal que ce véhicule était en parfait état non pas lors de la dernière course, comme en témoigne M. Bordeleau, mais au moment où les Femen se sont présentées sur la scène.
[106] Ce témoignage ne peut être considéré comme équivalent à un témoignage d’expert dans ce domaine particulier de la mécanique des véhicules de course. La preuve démontre plutôt que M. Bordeleau était en charge de l’événement Pit Stop Challenge et non le mécanicien responsable du véhicule. Il s’est présenté comme superviseur de l’événement et aucune preuve n’a été faite sur ces compétences en matière de mécanique automobile.
[107] Les dommages ont été constatés on ne sait quand et il est clair que ce véhicule a été mis à contribution dans la continuité du Pit Stop Challenge le jour même après l’interception de la défenderesse. La poursuite a le fardeau d’établir hors de tout doute raisonnable le lien de causalité entre les gestes reprochés à la défenderesse et les dommages subis au véhicule, ce qui n’a pu être fait vu l’absence de témoin expert en la matière.
[108] Le Tribunal tient à préciser que ces acquittements concernant les chefs de méfait ne veulent pas pour autant dire qu’il est convaincu de l’innocence de la défenderesse et tient à préciser qu’il aurait porté une attention particulière à la présomption de l’article 429 n’eût été ces acquittements.
[109] Le Tribunal rappellera les limites retenues par le juge Cournoyer pour la protection de la liberté d’expression en matière de manifestation. En cas de violence, il pourrait y avoir perte de cette protection et rien ne pourrait interdire la considération d’un méfait à cet égard.
[110] En ce qui concerne le chef de bris de condition, en l’absence de condamnation sur les chefs 4,5 et 6, il n’y a aucune preuve des éléments essentiels de l’infraction.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête en arrêt des procédures pour arrestation abusive en vertu des articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés;
ACQUITTE la défenderesse des chefs d’accusation 2, 3 et 4 portés contre elle au dossier 115-085-938;
ACQUITTE la défenderesse du seul chef d’accusation porté contre elle au dossier 115-085-946.
|
||
|
__________________________________ GUYLAINE LAVIGNE, J.C.M. |
|
|
||
Me Gabrielle Delisle pour la poursuivante
|
||
Me Véronique Robert pour la défenderesse |
||
|
||
Dates d’audience : |
30 novembre et 1er décembre 2016 |
|
TABLE DES MATIÈRES
Les autres questions en litige
4.2 Les autres questions en litige
4.2.1 Troubler la paix en vertu de l’article 175 (1)a)(i) du Code criminel
4.2.2 Méfaits en vertu de l’article 430(1) du Code criminel
[1] Transcription révisée du jugement rendu oralement le 21 mars 2017. Les présents motifs ont été modifiés et remaniés pour en améliorer la présentation et la compréhension comme le permet l’arrêt Kellog’s Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, 259-260, le dispositif demeurant toutefois inchangé.
[2] RLRQ c. S-3.5
[3] RLRQ c. S-3.5, r. 3
[4] SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 597 et 598
[6] Mckinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229
[7] Lucie LEMONDE et Gabriel HÉBERT-TÉTRAULT, Sécurité privée et droits fondamentaux, Les 25 ans de la Charte canadienne des droits et libertés (Colloque), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 7
[8] Mckinney c. Université de Guelph, préc., note 6
[9] Olivier FILLIEULE et Danielle TARTAKOWSKY, La manifestation, Paris, Presses SciencesPo, 2008, p. 15
[11] Id.
[12] R. v. Swinkels, 2010 ONCA 742
[13] R. v. Kukemueller, 2014 ONCA 295
[14] R. c. Ahooja, 2004 CanLII 58319 (QC CM)
[15] R. c. Lohnes, préc., note 10
[16] R. c. Lohnes, préc., note 10
[17] [2005] 3 R.C.S. 141
[18] 2015 QCCS 5246
[19] Bertrand c. La Reine, 2011 QCCA 1412
[20] R. v. J.G.V., 2002 NSCA 65; ou offusqué, indisposé, choqué et dérangé par ce désordre qui lui est imposé sans son acquiescement.
[21] R. c. Lohnes, préc., note 10
[22] R. c. Marone, 2007 QCCM 268
[23] R. v. Toma, 2000 BCCA 494
[24] J.E.82-157
[25] R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742
[26] R. c. C.L.Y., [2008] 1 R.C.S. 5
[27] R. c. Dinardo, [2008] 1 R.C.S 788
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.