Diallo c. Lerner |
2018 QCRDL 27162 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
290733 31 20160808 G |
No demande : |
2057862 |
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Date : |
15 août 2018 |
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Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
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Abdoulaye Diallo
Daniela Chivu |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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Bruria Lerner |
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Locatrice - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 8 août 2016, les locataires déposent cette demande de résiliation de bail, dommages matériels (3 500 $), dommages moraux (5 500 $) et diminution de loyer de 750 $ par mois à compter du 28 mai 2016.
[2] Aussi, la condamnation de la locatrice à leur verser la diminution de loyer, les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. ainsi que sa condamnation aux frais judiciaires.
[3] Le 14 novembre suivant, les locataires amendent leur requête introductive d’instance pour ajouter des dommages-intérêts matériels (5 402,03 $) et joignent une nouvelle ventilation de leurs demandes qui totalisant à présent 16 710,22 $.
[4] En tout temps pertinent au présent litige, les parties étaient liées par un bail du 20 mai 2016 au 30 juin 2017 au loyer mensuel de 2 250 $.
[5] L’immeuble visé est composé de trois étages. Le rez-de-chaussée abrite des bureaux, le premier était occupé par les locataires et la locatrice habitait au second étage.
[6] Aux motifs de leur demande, les locataires ont annexé à celle-ci une première mise en demeure qu’ils adressaient à la locatrice le 6 août 2016 pour dénoncer la présence de souris, de « flat mites », d’abeilles et de mouches « black flies » dans leur logement.
[7] Ils reconnaissent les efforts d’exterminations entrepris par la locatrice, mais déplorent qu’ils aient été sans effet.
[8] Ils indiquent que depuis un mois ils prennent tous leurs repas à l’extérieur pour une dépense quotidienne de 100 $ à 150 $ dollars.
[9] Aussi, qu’ils ont subi des morsures ou piqures par les mites et autres parasites. Ils énumèrent encore les dommages moraux que la situation leur fait subir, notamment du stress et de l’insomnie.
[10] En conclusion, ils avisent le locateur de leur abandon imminent du logement et réclament des dommages ainsi que la diminution de leur loyer.
[11] Deux jours plus tard, ils déposaient leur demande à la Régie du logement et quittaient définitivement leur logis le 31 août suivant.
[12] Le lendemain, ils transmettaient à la locatrice un avis d’abandon de logement au motif d’une invasion de colonies de souris et autres insectes.
[13] Cet avis a été suivi par un autre le 8 septembre suivant, celui-là indiquant aux motifs de l’abandon une invasion continue de souris « en colonies » et d’autres insectes « mouches noires et fourmis des puces transportées par le souris ».
Les témoignages
[14] Le locataire déclare que dès le 15 juillet, il avisait verbalement la locatrice de la présence de souris dans le logement, souris qui s’introduisaient par des ouvertures.
[15] Son épouse et lui ont vu des souris qui se déplaçaient dans leur logement et ont constaté, photographies à l’appui, quantité de crottes de souris dans la cuisine et la salle de bain. Il en a aussi trouvé dans son bureau ou, admet-il, il avait l’habitude de consommer des en-cas et d’en laisser des reliefs.
[16] Malheureusement, les efforts d’extermination entrepris par la locatrice n’ont pas eu raison de cette présence importune et, au moment de leur départ, il y en avait encore.
[17] Le locataire fait état de piqures qu’il attribue à des mites qui, selon lui, parasitaient les souris qui infestaient leur logement.
[18] Ces piqures leur auraient communiqué la gale, maladie qui s’est manifestée par des démangeaisons et des nodules sous la peau.
[19] Une crème lui a été prescrite pour traiter cette affection cutanée mais aucun médecin n’a analysé l’origine de celle-ci se fiant plutôt au témoignage des locataires pour conclure comme eux.
[20] La présence de la vermine leur a causé du dégout, du stress à l’audition du moindre grattement, de l’angoisse, de l’insomnie et des cauchemars. À cela s’ajoutent des tensions matrimoniales et la crainte de son épouse de se déplacer dans le logement de peur de rencontrer une souris.
[21] Dégoutés par les traces de cette présence dans leur cuisine, ils ont cessé de se servir de cette pièce pour prendre tous leurs repas à l’extérieur.
[22] Aussi, ils ont jeté tous leurs accessoires et ustensiles de cuisine pour en racheter de nouveau, de crainte d’une contamination persistante par les souris ou leurs parasites.
[23] L’épouse du locataire ne témoigne pas, sinon pour corroborer le témoignage de son époux.
[24] Un rapport émanant du service de l’inspection de la ville de Montréal déposé par les locataires pour valoir témoignage, fait état d’une rencontre avec les locataires le 18 août 2016. L’inspecteur prend note des plaintes des locataires, mais remarque que le locateur a « fait ses devoirs ». Il n’y aura pas de suivi, sinon pour indiquer que le trois avril 2017 les locataires avaient quitté les lieux et qu’aucune autre semblable plainte n’a été logée.
[25] En défense, la locatrice produit des photographies du logement entièrement rénové avant l’arrivée des locataires.
[26] Elle admet avoir été avisée de la présence des souris, mais par son agent immobilier et non pas par les locataires.
[27] Elle n’a jamais été avisée de la présence de trous qu’elle n’a découvert qu’après le départ des locataires et les a aussitôt fait boucher. Depuis, il n’y a plus de souris dans le logement, ni chez elle d’ailleurs.
[28] Un agent de la firme d’exterminateur engagé par la locatrice est venu témoigner des démarches entreprises pour éradiquer la présence de mulots et de punaises chez les locataires. Comme l’indiquent les factures rédigées ce jour-là.
[29] Ils y sont allés la première fois le 19 juillet 2016 et entendaient faire un suivi trois semaines plus tard comme le veut le protocole d’intervention.
[30] Ils y retournent donc le 9 août suivant et constatent qu’il y aura des trous à boucher dans la salle de bain. Il présume que la locatrice en a été avisée et que la présence de souris a baissé alors que le problème de punaises de lit est déjà réglé.
[31] Ils y retournent le 13 septembre et remarquent avec surprise que les trous n’ont pas été bouchés et que l’activité des souris persiste. Aucune trace de punaises n’est décelée.
[32] En contre-interrogatoire, il déclare ne pas avoir entendu parler de mites.
[33] Ainsi peut-on résumer la preuve.
Le droit
[34] Les articles 1854, 1864, 1910, 1913 et 1915 du Code civil du Québec répondent aux demandes des locataires, ils se lisent comme suit :
1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.
1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure.
1910. Le locateur est tenu de délivrer un logement en bon état d'habitabilité; il est aussi tenu de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail.
La stipulation par laquelle le locataire reconnaît que le logement est en bon état d'habitabilité est sans effet.
1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.
Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente.
1915. Le locataire peut abandonner son logement s'il devient impropre à l'habitation. Il est alors tenu d'aviser le locateur de l'état du logement, avant l'abandon ou dans les 10 jours qui suivent.
Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l'habitation, à moins que l'état du logement ne résulte de sa faute.
[35] Ainsi la locatrice a l’obligation de fournir aux locataires la jouissance paisible des lieux loués et de les entretenir de sorte que les locataires puissent s’en servir pour les fins de la location.
[36] Plus avant, elle ne peut donc pas leur livrer des lieux qui représentent un danger pour la santé et la sécurité.
[37] En cas de défaut à ces obligations, les locataires peuvent réclamer la résiliation du bail ou les abandonner dans le cas le plus sérieux et réclamer des dommages-intérêts, des dommages moraux et une diminution de loyer.
[38] Au chapitre de la preuve, il appartenait aux locataires ([1]) de démontrer au moyen d’une preuve probante ([2]) le bien-fondé de leurs réclamations.
[39] Ajoutons que toute réclamation est sujette à la dénonciation à la locatrice des problèmes pour lesquels les locataires entendent réclamer réparation.
[40] En l’occurrence, le tribunal retient la date de la mise en demeure du 6 août 2016 comme étant le point de départ de la réclamation des locataires.
[41] Pour ce qui est des infestations dont se plaignent les locataires, le tribunal constate que la présence de souris ou de mulots est admise, mais à des intensités variables à la baisse du 6 au 31 août 2016.
[42] Il appert qu’à la date de la mise en demeure, la présence de punaises de lit était déjà contrôlée.
[43] Quant à la présence de mites transportées par les rongeurs, celle de mouches ou de quelques autres insectes, elle n’a pas été démontrée par une preuve objective mais seulement par une présomption de morsure ou de piqures qui ne convainc pas le tribunal.
[44] Le tribunal ne retiendra donc parmi les motifs énoncés par les locataires que la présence de rongeurs de petite taille.
[45] Si aucune preuve d’infestation majeure n’a été faite, la présence récurrente et significative de cette vermine est avérée et justifie une diminution de loyer.
[46] En l’instance, il saurait être question de l’application de la norme objective, car une telle présence est anormale et intolérable pour quiconque, en dépit de tolérances particulières ([3]).
[47] Ainsi, le tribunal juge que pour la période retenue, c’est-à-dire du 6 au 31 août 2016, les locataires ont certes droit à une diminution de loyer pour la perte de valeur locative que cette présence inopportune a pu leur causer.
[48] Ils auront également droit à des dommages moraux, car le tribunal est convaincu que la présence de vermine chez soi est susceptible de causer une hyper vigilance, du stress, de l’angoisse et de l’insomnie. Cela sans compter le nettoyage récurrent des excréments laissés par ces animaux.
[49] Toutefois, compte tenu des efforts que déployait la locatrice à l’époque et de leur succès relatif, le tribunal juge que les locataires ont été trop prompts à quitter leur logement ainsi qu’ils l’ont fait.
[50] Partant, le tribunal constate la résiliation du bail au jour de leur abandon des lieux loués, mais conclut que cette résiliation est à leurs torts et constitue un déguerpissement au sens de l’article 1975 C.c.Q. ([4])
[51] Le tribunal juge que les locataires n’ont pas minimisé leurs dommages ([5]) en n’indiquant pas à leur mise en demeure du 6 août la présence d’ouverture autour de la plomberie et dont l’obstruction aurait mis un terme à la présence de souris.
[52] Aussi, les locataires n’ont pas tenté de boucher, même temporairement, ces ouvertures alors qu’ils soupçonnaient les rongeurs de pénétrer chez eux par là.
[53] Le tribunal en tiendra compte dans le calcul de la diminution de loyer qui leur sera accordée ainsi que des dommages moraux.
[54] Au chapitre des dommages matériels, le tribunal juge excessif d’avoir jeté à la poubelle des effets et autres objets ayant été en contact avec les rongeurs, mais qui pouvaient parfaitement être lavés et nettoyer pour servir à nouveau. Le dégout et les craintes subjectives des locataires apparaissent ici excessifs et injustifiés. Aussi leur demande sera rejetée sur ce motif.
[55] Le coût des repas pris à l’extérieur du logis ne sera pas non plus accordé, les locataires n’ayant pas démontré la nécessité d’une telle démarche. Il y avait certes moyen pour les locataires de nettoyer leurs ustensiles pour les placer hors de la portée des rongeurs ainsi que de soustraire leur nourriture à leur convoitise.
[56] Précisons que la règle de la minimisation des dommages est expliquée comme suit par les auteurs, Baudouin et Jobin ([6]):
[57] Partant, le tribunal accorde aux locataires une diminution de loyer globale de 500 $ ainsi que des dommages moraux de 300 $.
[58] Les frais extrajudiciaires pour la préparation de leur demande ne sont pas accordés puisqu’il s’agit là de dommages indirects.
[59] Par ailleurs, les frais judiciaires leur seront accordés en fonction des tarifs en vigueur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[60] ACCUEILLE en partie la demande des locataires;
[61] CONDAMNE la locatrice à payer aux locataires 800 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 14 novembre 2016 plus les frais judiciaires de 91 $;
[62] REJETTE la demande quant au surplus.
[1] 2803 C.c.Q. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[2] 2804 C.c.Q. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[3] Chenkoff c. Rioux, 31-010727-051G, 5 mars 2002, j. adm. Christine Bissonnette : « Une fois démontrée, une infestation dans un logement constitue une nuisance importante. Elle s'évalue objectivement et ne dépend pas de la tolérance personnelle des individus. »
[4] 1975. C.c.Q. Le bail est résilié de plein droit lorsque, sans motif, un locataire déguerpit en emportant ses effets mobiliers; il peut être résilié, sans autre motif, lorsque le logement est impropre à l'habitation et que le locataire l'abandonne sans en aviser le locateur.
[5] L'article 1479 du Code civil du Québec reprend d'ailleurs ce principe en ces termes :
«1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »
[6] Baudouin, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, 5e édition, no. 826, p. 655.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.