Décision

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Lessard c. Picard

2025 QCTAL 15559

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Drummondville

 

No dossier :

774970 16 20240318 G

No demande :

4243494

 

 

Date :

01 mai 2025

Devant la juge administrative :

Brigitte Morin

 

Samuel Lessard

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Nathan Picard

 

Patrick Picard

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le locateur demande la résiliation du bail et l’éviction des locataires et de tous les occupants, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et le paiement des frais.
  2.          Le locateur allègue que les locataires contreviennent au bail puisqu’ils opèrent une garderie sans autorisation. Des plaintes lui ont été acheminées et la situation lui cause un préjudice sérieux.
  3.          La preuve démontre que les parties sont liées par un bail d’une durée de 12 mois ayant débuté le 1er juillet 2023 au loyer mensuel de 1 100 $. Ce bail a été reconduit jusqu’au 30 juin 2025 au même loyer.
  4.          Le locateur explique qu’il s’agit d’un immeuble de deux logements. Les locataires occupent le rez-de-chaussée. Le règlement de l’immeuble prévoit l’interdiction d’utilisation du logement à des fins de service de garde.
  5.          Le locataire Nathan Picard a deux enfants, pourtant sa conjointe opère un service de garde dans le logement. Le locateur démontre, par des captures d’écran, une offre de service pour une garderie. Le 20 janvier 2024, le locateur communique par message texte avec le locataire afin de lui mentionner qu’il n’est pas possible d’opérer un service de garde dans le logement.
  6.          Nathan Picard répond par message texte le 21 février 2024 que rien ne l’empêche d’opérer une garderie et qu’il y a suffisamment d’espace pour quatre enfants. Il ajoute qu’il souhaite continuer d’occuper le logement et bien qu’il comprenne que les cris d’enfants puissent déranger, il écrit qu’il est un bon locataire.

  1.          Le locateur dit recevoir des plaintes concernant le bruit provenant du logement des locataires des autres occupants de l’immeuble. Il demande que le bail soit résilié puisque la situation lui cause un préjudice sérieux et qu’il n’a jamais consenti à ce qu’une garderie soit exploitée dans les lieux loués.

Analyse :

  1.          Un locataire ne peut changer la destination des lieux loués en cours de bail (art. 1856 du Code civil du Québec). L’article 1863 du Code civil du Québec permet la résiliation du bail si l’inexécution d’une obligation résultant du bail cause un préjudice sérieux.
  2.          Dans une décision de la juge administrative Francine Jodoin, il est possible de lire ce qui suit quant aux opérations de garderie :

[29]   Pour faire droit à la demande de résiliation de la locatrice, cette dernière doit établir un manquement du locataire aux obligations découlant du bail et le préjudice sérieux en découlant (article 1863 Code civil du Québec).

[30]   Quant à l’ordonnance de cesser les opérations de la garderie, elle ne requiert que la démonstration d’une contravention aux obligations découlant du bail.

[31]   Le bail conclu avec la locataire défunte stipule que les lieux seront loués à des fins résidentielles seulement.

[32]   L’article 1856 du Code civil du Québec interdit de changer unilatéralement la destination des lieux loués.

[33]   Cela dit, il est également en preuve qu’elle opérait un service de garde en milieu familial depuis plus de 20 ans.

[34]   Cependant, la preuve ne permet pas de conclure qu’il y a eu autorisation de la locatrice à une telle exploitation et une tolérance ne saurait y être substituée.

[35]   L'auteur Pierre-Gabriel Jobin précise cette notion :

« 95. L'article 1856 du Code prescrit que le locataire ne peut pas changer la forme ou la destination du bien loué. [...]

La loi interdit d'abord au locataire de modifier la forme du bien loué, tel qu'il se trouvait lors de la conclusion du bail ou, tout au moins, lors de la délivrance du bien. Elle lui interdit également d'en changer la destination, ce qui est une source de difficultés plus nombreuses. Le changement s'apprécie en fonction de la destination qui a été prévue par une disposition du bail ou, à défaut, qui est révélée par l'usage antérieur du bien ou son état au moment de la délivrance. Par exemple, le locataire d'un logement ne saurait le transformer en établissement de bains turcs et en salon de massage, ni en maison de chambres; inversement, le locataire d'une salle de cinéma ne saurait la transformer en logement. [...]

Il peut y avoir changement de destination sans qu'il y ait nécessairement modification matérielle du bien loué (la poursuite d'activités commerciales ou artisanales en est un exemple). [...][4] »

[Notre soulignement]

[36]   Comme le souligne le juge administratif Luk Dufort dans la décision Citadelle de St-Ambroise c. Choubane[5], l’exploitation d’une garderie en milieu familial constitue un changement de vocation du logement et cela contrevient à l’article 1856 du Code civil du Québec.

[37]   De plus, il réfère à la décision Carr Ribeiro c. Saadane[6] de la Cour du Québec où il est établi que l’opération d’une garderie en milieu familial est reconnue comme étant une entreprise commerciale.[1]

[38]   Cela dit, le défendeur n’a pu établir que l’opération de cette garderie par sa mère avait été autorisée au moment de la conclusion du bail et la tolérance dont a fait preuve la locatrice n’équivaut pas à un droit acquis[7].

[39]   Le Tribunal comprend que la nouvelle propriétaire de la garderie détient un certificat de reconnaissance comme personne responsable d’un service de garde éducatif en milieu familial.

[40]   Cela est, toutefois, insuffisant pour modifier les règles applicables au louage résidentiel.

[41]   Par ailleurs, dans la décision Postel c. Jendoubi[8], le Tribunal administratif du logement interprète les dispositions de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance[9], en vertu de laquelle les services de garde en milieu familial peuvent être dispensés, comme ne visant que les personnes responsables qui fournissent dans leur résidence privée des services de garde aux parents.

[42]   En l’occurrence, madame Djenoubi n’est pas locataire ni propriétaire des lieux où elle opère cette garderie.

[43]   Aussi, dans les circonstances, même si elle détient une autorisation gouvernementale, cela ne lie pas la locatrice si elle n’a pas consenti à une telle exploitation. Il y a donc contravention au bail par le maintien de l’exploitation d’une garderie en milieu familial au logement.

[44]   Cela dit, la locatrice n’a pas établi par une preuve complète que cette exploitation lui causait un préjudice sérieux. Précisons que cette opération est connue des propriétaires de l’immeuble depuis plusieurs années et qu’ils ne se sont jamais souciés de requérir que la locataire cesse ses opérations auparavant.

[45]   Bien que la jurisprudence n’exige pas un préjudice né et actuel, il faut à tout le moins une preuve probante d’un préjudice réel[10]. À cet égard, de l’avis du Tribunal, l’appréhension d’une augmentation des taxes foncières ou la modification appréhendée par la municipalité de l’assise de taxation apparaissent nettement insuffisantes pour le démontrer. En cela, le présent Tribunal se distingue de la conclusion émise dans l’affaire Postel c. Jendoubi citée plus haut. Quant aux assurances, aucune preuve concrète n’établit la hausse de prime exigible ou l’absence de couverture pour cette activité commerciale partant du principe que l’immeuble abrite déjà plusieurs commerces[11].

[46]   Le Tribunal ne peut donc dans les circonstances faire droit à la résiliation du bail en l’absence de la démonstration d’un préjudice qui soit sérieux.

  1.      Tout comme dans la décision ci-haut, il a été établi que les locataires contrevenaient au bail en exploitant une garderie. Toutefois, il n’a pas été démontré de façon prépondérante que cette exploitation cause un préjudice sérieux. La simple allégation d’un préjudice n’est pas suffisante, la preuve doit être prépondérante, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il ne peut donc y avoir de résiliation de bail.
  2.      Puisque les locataires exploitent une garderie en contravention du bail et de ses règlements, le Tribunal leur ordonne de cesser l’exploitation du service de garde dans le logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      ACCUEILLE en partie la demande du locateur;
  2.      ORDONNE aux locataires de cesser l’exploitation d’une garderie dans le logement concerné dans un délai de 60 jours de la présente décision;
  3.      CONDAMNE les locataires à payer au locateur les frais judiciaires de 87 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Brigitte Morin

 

Présence(s) :

le locateur

Date de l’audience : 

3 mars 2025

 

 

 


 


[1] Baek c. Succession de Ndejuru  2023 QCTAL 2218.

AVIS :
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