Investissement Boeckh inc. c. Agence du revenu du Québec | 2023 QCCA 633 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-80-033896-169) (500-80-035759-175) | |||||
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DATE : | 8 mai 2023 | ||||
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INVESTISSEMENT BOECKH INC. | |||||
APPELANTE – demanderesse | |||||
c. | |||||
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AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC | |||||
INTIMÉE – défenderesse | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit à l’encontre du jugement du 2 décembre 2021 du juge Louis Riverin de la Cour du Québec, district de Montréal, rejetant ses appels des avis de cotisation émis par l’intimée pour les années d’imposition 2007 à 2015.
[2] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Cotnam et Kalichman, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. | |
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Me Jean Groleau | ||
Me Jacques Plante | ||
GROLEAU GAUTHIER PLANTE | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Julien Vailles | ||
LARIVIÈRE MEUNIER (REVENU QUÉBEC) | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 16 mars 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
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[4] L’appelante, Investissement Boeckh inc., se pourvoit à l’encontre du jugement du 2 décembre 2021 du juge Louis Riverin de la Cour du Québec[1], district de Montréal, rejetant ses appels des avis de cotisation émis par l’intimée, l’Agence du revenu du Québec (« ARQ »), pour les années d’imposition 2007 à 2015.
[5] Le litige porte sur l’interprétation et l’application des articles 250.1 et 250.3 de la Loi sur les impôts[2] du Québec (« L.I. »). L’article 250.1 L.I. permet à un contribuable qui fait un choix valide en vertu du paragraphe 39(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada[3] (« L.I.R. ») de traiter toute valeur canadienne dont il est propriétaire comme une immobilisation, ce qui fait en sorte que les gains ou pertes qui résultent de l’aliénation de ces valeurs seront des gains ou des pertes en capital. Cela étant, l’article 250.3 L.I. prévoit que l’article 250.1 L.I. ne s’applique pas à certains contribuables, notamment un négociant ou courtier en valeurs mobilières. Ainsi, l’ARQ soutient que l’article 250.1 L.I. ne s’applique pas à l’appelante puisqu’elle serait un négociant en valeurs mobilières, ce que confirme le jugement de la Cour du Québec porté en appel.
LE CONTEXTE
[6] L’appelante est une société qui détient un portefeuille d’actions considérable de petites sociétés en démarrage et à petite capitalisation dans les secteurs principaux des produits pétroliers, gaziers, miniers et de hautes technologies. Dans le cadre de ses activités, elle acquiert et vend de nombreuses valeurs mobilières afin de réaliser des profits et accroître son portefeuille.
[7] Les objectifs de l’appelante quant à la gestion de son portefeuille visent à faire fructifier l’avoir de la famille Boeckh pour les générations futures et soutenir une fondation. Pour ce faire, sa stratégie d’affaires consiste à analyser le marché afin de repérer des sociétés sous-évaluées dans des domaines à forte croissance, acheter les valeurs mobilières de ces sociétés lorsqu’elles cadrent bien avec son portefeuille et les revendre à profit lorsque le marché est favorable ou lorsque celles-ci ne respectent plus ses critères de détention. La stratégie d’affaires de l’appelante fait en sorte qu’un roulement constant s’opère au sein de son portefeuille d’actions, ce qui implique qu’une part importante de son portefeuille est renouvelé chaque année, entraînant un renouvellement quasi complet du portefeuille à moyenne échéance. Compte tenu de cette stratégie, les activités de l’appelante engendrent un très grand nombre de transactions boursières.
[8] Au soutien de la réalisation de ses objectifs, l’appelante peut compter sur plusieurs représentants qui ont une grande expérience en matière d’achat et de vente de valeurs mobilières, notamment M. Peter Norris, le gestionnaire de portefeuille de l’appelante qui y travaille à temps plein et qui consacre une grande partie de son temps à effectuer des analyses poussées des sociétés pour lesquelles il entend acquérir les titres pour l’appelante, allant même jusqu’à visiter certaines sociétés à l’occasion.
[9] L’appelante a fait un choix fiscal pour bénéficier de l’article 250.1 L.I. afin que les valeurs canadiennes qu’elle acquiert soient détenues en tant qu’immobilisations pour les fins de l’impôt provincial.
[10] En 2014, l’ARQ amorce une vérification au terme de laquelle elle estime que l’article 250.1 L.I. ne s’applique pas à l’appelante. Cette position est fondée sur l’article 250.3 L.I. qui stipule que l’article 250.1 L.I. ne s’applique pas à l’aliénation d’une valeur canadienne par un contribuable qui est un « négociant ou courtier en valeurs ».
[11] L’ARQ émet des avis de cotisation pour les années d’imposition en cause comme si l’article 250.1 L.I. ne s’appliquait pas. Ainsi, les profits ou les pertes résultant de la vente des valeurs mobilières par l’appelante sont traités par l’ARQ comme des profits ou des pertes résultant d’une activité d’entreprise et non comme des gains ou des pertes en capital. L’appelante s’oppose à ces cotisations, mais elles sont confirmées par l’ARQ.
[12] L’appelante interjette appel devant la Cour du Québec. Au terme d’une audience échelonnée sur deux jours, les appels sont rejetés.
LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC
[13] Le juge de première instance expose les dispositions législatives en cause, plus particulièrement l’article 250.3 L.I., et interprète les mots « négociant ou courtier en valeurs mobilières » qui s’y retrouvent. Bien que le mot « négociant » ne soit pas défini dans la L.I., le juge estime qu’il y a lieu de l’interpréter suivant son sens ordinaire, à savoir « une personne qui se livre au négoce, c’est-à-dire, qui se livre à une occupation ou une activité commerciale en grand »[4]. Le juge constate ensuite que l’article 250.3 L.I. est l’équivalent de celui prévu aux mêmes fins dans la législation fiscale fédérale, soit le paragraphe 39(5) L.I.R., à la seule distinction que la législation fiscale fédérale utilise dans sa version française les mots « commerçant ou courtier en valeurs mobilières » plutôt que « négociant ou courtier en valeurs mobilières ». Pour le juge, les mots utilisés sont si proches qu’il serait difficile de justifier une interprétation différente des deux dispositions[5].
[14] Le juge reprend ensuite l’arrêt de principe de la Division d’appel de l’ancienne Cour fédérale quant à l’interprétation du paragraphe 39(5) L.I.R., soit l’arrêt Vancouver Art Metal Works[6] de 1993, pour définir les mots « commerçant ou courtier en valeurs mobilières » qu’il assimile à ceux de « négociant ou courtier en valeurs », ce qui lui permet de conclure que ces mots comprennent « toute personne dont l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières pour son propre compte, par l’entremise d’un agent ou autrement »[7]. Le juge s’appuie aussi sur l’analyse des divers facteurs proposés par la Division d’appel de l’ancienne Cour fédérale pour déterminer si les activités de l’appelante sont celles d’un négociant en valeurs mobilières, notamment la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées (pour réaliser un bénéfice ou pour en faire un placement à long terme par exemple), l’intention d’acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l’objet de l’opération et le temps consacré à l’activité en question[8].
[15] En application de ces facteurs selon la preuve présentée, le juge retient les éléments suivants[9] :
[50] La preuve démontre que Boeckh se livre professionnellement au commerce des valeurs mobilières et que ces activités sont assimilables à l’exploitation d’une entreprise de telle sorte qu’elles ne peuvent être qualifiées d’opérations de placement.
[51] En appliquant les facteurs d’analyse, le Tribunal retient les éléments suivants:
- La fréquence des opérations est un élément important et la preuve est plus que concluante à cet égard. L’examen de l’analyse des achats et ventes d’actions effectué par la vérification démontre qu’en 2010, Boeckh effectue 717 transactions, soit 335 achats et 382 ventes portant sur 110 titres différents. En 2011, Boeck effectue 539 transactions, soit 280 achats et 259 ventes sur 65 titres différents. En 2012, Boeckh effectue 515 transactions, soit 335 achats et 180 ventes sur 46 titres différents.
- La résultante de ces trois années-là est que le portefeuille détenu a augmenté puisqu’il clôture en 2010 à 112 631 875$, en 2011 à 122 255 761,52$ et en 2012 à 127 224 864$.
- L’argument développé en demande de ramener la fréquence des actes sur un ratio d’un portefeuille de 1 000 000$ plutôt que sur les véritables sommes en jeu ne peut être retenu puisqu’il n’est pas conforme à la réalité des faits
- C’est la nature des investissements choisis par Boeckh qui détermine la manière habituelle des actes posés, actes susceptibles d’engendrer des bénéfices, ce qui est la volonté exprimée.
- La durée de possession des actions est également un élément important. La preuve révèle que le pourcentage des titres détenus plus de 2 ans varie de 31 à 45% et de 14 à 24% pour des placements détenus plus de 5 ans pour la même période. Plusieurs des titres sont détenus à court terme. Il convient aussi de préciser que si des titres sont vendus d’une société, ce n’est pas l’entièreté des titres d’une société qui peut être vendue.
- La pièce P-6 consistant dans la liste des titres disposés ou vendus indique la durée de possession de ceux-ci et bien que certains titres soient détenus pendant plusieurs années, le nombre de ces titres varie, ce qui démontre que des transactions y sont effectuées.
- Bien qu’elle détienne dans son portefeuille pendant plusieurs années des titres des mêmes sociétés, elle vend une partie des titres de ces sociétés au fil du temps. La volonté de ne pas détenir en valeur monétaire un pourcentage plus élevé qu’une certaine proportion dans une société est une autre façon de conserver un équilibre dans le portefeuille.
- Cet exercice résulte d’une volonté d’équilibre manifestée par Boeckh quant à son portefeuille. Il s’agit d’un modèle d’affaires adopté par Boeckh.
- La stratégie de placement de Boeckh consiste à repérer des actions hautement volatiles et sous-évaluées de façon à maximiser ses gains sur l’expectative, finement et longuement analysée des fluctuations possibles. Cet objectif démontre qu’il ne s’agit pas d’espérer gagner des dividendes ou d’attendre que les investissements viennent à maturité comme un investisseur passif le ferait, mais bien de capitaliser sur l’augmentation de la valeur des actions.
- De l’avis du Tribunal, il s’agit d’un indice démontrant la détention de titre de la nature d’un revenu d’entreprise plutôt qu’un gain en capital.
- Le roulement du portefeuille est un autre élément important. Près de 30% du portefeuille est vendu, et le même pourcentage environ est acheté. L’effet combiné est qu’environ aux quatre ans, le portefeuille est « renouvelé. »
- Boeckh soutient que plusieurs des titres qu’elle détient sont détenus plusieurs années et que, du coup, cela démontre qu’elle ne se comporte pas comme un négociant. Cet argument fait abstraction du fait que s’il est vrai que des titres d’une compagnie sont détenus sur une période de quelques années, le nombre de ces titres, lui, varie.
- La volonté et les actes posés conséquents sont de conserver un portefeuille équilibré de façon telle qu’en valeur monétaire un titre n’excède pas un pourcentage (10 à 12%) de la valeur totale du portefeuille. C’est le modèle d’affaires adopté qui mène à cette situation.
- La nature des titres et la quantité de titres choisis démontrent que Boeckh privilégie l’achat d’actions de sociétés sous-évaluées par rapport au marché. Elle favorise des titres risqués principalement dans des secteurs pétroliers et technologiques sous-évalués puisque ceux-ci ont un potentiel de gain élevé.
- Le choix des valeurs mobilières dans lesquelles le fonds est investi et la gestion du portefeuille qui en découle est un modèle d’affaires choisi délibérément par Boeckh. Il s’agit de son activité économique organisée dans le but de générer un profit. Elle nécessite une expertise particulière et des analyses qui requièrent beaucoup de temps.
- Le temps consacré à l’activité en question est considérable puisque, de l’aveu même de M. Peter Norris, ses activités de recherche et d’analyse lui prennent tout son temps. Ce travail est d’ailleurs nécessaire compte tenu des secteurs et du modèle d’affaires choisis par Boeckh.
- La preuve démontre que M. Peter Norris doit non seulement étudier l’ensemble des sociétés dans lesquelles Boeckh investi et dans lesquelles il songe à investir, mais il doit également suivre le marché avec assiduité et l’étudier pour s’assurer de maintenir les objectifs de Boeckh. Il s’agit-là d’un comportement démontrant une participation à un projet comportant des risques.
- Par ailleurs, les connaissances particulières du contribuable sont éloquentes. Le fondateur est une personne qui a consacré sa vie à la finance par l’enseignement, les études, ses activités professionnelles, et autres. De même, M. Peter Norris « Investment Manager » possède des connaissances qui dépassent celles du commun des mortels dans le domaine des valeurs mobilières.
[Transcription textuelle, renvois omis]
[16] Le juge conclut donc que l’appelante exploite une entreprise d’administration et de vente de valeurs mobilières, c’est-à-dire qu’elle exploite une entreprise de négociant en valeurs mobilières[10]. L’article 250.1 L.I. ne s’applique donc pas à elle.
LES MOYENS D’APPEL
[17] L’appelante soutient que le juge de première instance aurait commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes et déterminantes de faits qu’elle regroupe sous les deux questions suivantes énoncées dans son mémoire d’appel[11] :
1. Le tribunal a-t-il erré dans l’application des règles développées par la jurisprudence lors de son interprétation de l’expression « négociant ou courtier en valeurs » retrouvée à l’alinéa (a) de l’article 250.3 de la Loi sur les impôts?
2. Le tribunal a-t-il commis des erreurs manifestes et déterminantes ayant faussé son appréciation des éléments qui ont été mis en preuve lors de l’audition?
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[18] Il y a lieu de reproduire d’emblée les dispositions législatives pertinentes.
[19] Les articles 249, 250.1, 250.2 et 250.3 L.I. disposent de ce qui suit :
249. Aux fins du présent titre, une immobilisation désigne les biens amortissables du contribuable et ses autres biens à l’occasion de l’aliénation desquels tout gain ou perte se traduirait pour lui par un gain en capital ou une perte en capital. | 249. For the purposes of this Title, capital property means any depreciable property of the taxpayer and his other property on the occasion of the disposition of which any gain or loss would be a capital gain or a capital loss for him. |
250.1. Sous réserve de l’article 250.3, lorsqu’un contribuable aliène une valeur canadienne dans une année d’imposition et qu’il fait après le 19 décembre 2006 un choix valide en vertu du paragraphe 4 de l’article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)) par suite de cette aliénation, toute valeur canadienne dont il est propriétaire dans l’année ou dont il sera propriétaire dans une année d’imposition subséquente est réputée pour lui une immobilisation et toute aliénation par lui d’une telle valeur est réputée une aliénation d’une immobilisation. | 250.1. Subject to section 250.3, if a Canadian security is disposed of by a taxpayer in a taxation year and the taxpayer makes a valid election under subsection 4 of section 39 of the Income Tax Act (R.S.C. 1985, c. 1 (5th Suppl.)) after 19 December 2006 as a consequence of the disposition, every Canadian security owned by the taxpayer in the year or any subsequent taxation year is deemed to be a capital property owned by the taxpayer and every disposition by the taxpayer of any such Canadian security is deemed to be a disposition of a capital property. |
Le chapitre V.2 du titre II du livre I s’applique relativement à un choix fait en vertu du paragraphe 4 de l’article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou à un choix fait avant le 20 décembre 2006 en vertu du présent article. | Chapter V.2 of Title II of Book I applies in relation to an election made under subsection 4 of section 39 of the Income Tax Act or in relation to an election made under this section before 20 December 2006. |
250.2. Dans la présente section, l’expression « valeur canadienne » désigne un titre, autre qu’un titre prescrit, qui est une action du capital-actions d’une société résidant au Canada, une unité d’une fiducie de fonds commun de placements ou une obligation, une débenture, un effet de commerce, un billet, une créance hypothécaire ou un autre titre semblable émis par une personne résidant au Canada. | 250.2. In this division, “Canadian security” means a security, other than a prescribed security, that is a share of the capital stock of a corporation resident in Canada, a unit of a mutual fund trust, or a bond, debenture, bill, note, hypothecary claim, mortgage or similar obligation issued by a person resident in Canada. |
250.3. Le premier alinéa de l’article 250.1 ne s’applique pas à l’aliénation d’une valeur canadienne par un contribuable, autre qu’une société d’investissement à capital variable ou une fiducie de fonds commun de placements, qui, lors de cette aliénation, est: | 250.3. The first paragraph of section 250.1 does not apply to a disposition of a Canadian security by a taxpayer, other than a mutual fund corporation or a mutual fund trust, who, at the time of the disposition, is |
a) un négociant ou courtier en valeurs; | (a) a tracer or dealer in securities; |
b) une institution financière, au sens de l’article 851.22.1; | (b) a financial institution, within the meaning assigned by section 851.22.1; |
c) (paragraphe abrogé); | (c) (paragraph repealed); |
d) (paragraphe abrogé); | (d) (paragraph repealed); |
e) (paragraphe abrogé); | (e) (paragraph repealed); |
f) une société dont l’entreprise principale est le prêt d’argent ou l’achat de créances, ou une combinaison de ces activités; ou | (f) a corporation whose principal business is the lending of money or the purchasing of debt obligations, or a combination thereof; or |
g) une personne ne résidant pas au Canada. | (g) a person not resident in Canada. |
[20] Quant à la législation fiscale fédérale, les paragraphes 39(4) (5) et (6) L.I.R. sont pertinents :
39 (4) Sauf dans les cas prévus au paragraphe (5), lorsqu’un contribuable dispose d’un titre canadien au cours d’une année d’imposition et qu’il exerce un choix, selon le formulaire prescrit, dans sa déclaration de revenu produite pour l’année en vertu de la présente partie : | 39 (4) Except as provided in subsection 39(5), where a Canadian security has been disposed of by a taxpayer in a taxation year and the taxpayer so elects in prescribed form in the taxpayer’s return of income under this Part for that year, |
a) chacun des titres canadiens qu’il possède au cours de l’année ou de toute année d’imposition ultérieure est réputé avoir été une immobilisation qu’il possédait au cours de ces années; | (a) every Canadian security owned by the taxpayer in that year or any subsequent taxation year shall be deemed to have been a capital property owned by the taxpayer in those years; and |
b) chaque disposition par le contribuable d’un tel titre canadien est réputée être une disposition par lui d’une immobilisation. | (b) every disposition by the taxpayer of any such Canadian security shall be deemed to be a disposition by the taxpayer of a capital property. |
(5) Le choix prévu au paragraphe (4) ne s’applique pas à la disposition d’un titre canadien effectuée par un contribuable, sauf une société de placement à capital variable ou une fiducie de fonds commun de placement, qui, au moment de la disposition, est : | (5) An election under subsection 39(4) does not apply to a disposition of a Canadian security by a taxpayer (other than a mutual fund corporation or a mutual fund trust) who at the time of the disposition is |
a) un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières; | (a) securities, |
b) une institution financière, au sens du paragraphe 142.2(1); | (b) a trader or dealer in a financial institution (as defined in subsection 142.2(1)), |
c) à e) [Abrogés, 1995, ch. 21, art. 49] | (c) to (e) [Repealed, 1995, c. 21, s. 49] |
f) une société dont l’activité d’entreprise principale consiste à prêter de l’argent ou à acheter des créances, ou une combinaison de ce qui précède; | (f) a corporation whose principal business is the lending of money or the purchasing of debt obligations or a combination thereof, or |
g) un non-résident, | (g) a non-resident, |
ou toute combinaison de ce qui précède. | or any combination thereof. |
(6) Pour l’application du présent article, titre canadien s’entend d’un titre (à l’exclusion d’un titre visé par règlement) qui est une action du capital-actions d’une société qui réside au Canada, une unité d’une fiducie de fonds commun de placement ou quelque obligation, effet, billet, créance hypothécaire ou titre semblable émis par une personne qui réside au Canada. | (6) For the purposes of this section, Canadian security means a security (other than a prescribed security) that is a share of the capital stock of a corporation resident in Canada, a unit of a mutual fund trust or a bond, debenture, bill, note, mortgage, hypothecary claim or similar obligation issued by a person resident in Canada. |
ANALYSE
Première question : Le tribunal a-t-il erré dans l’application des règles développées par la jurisprudence lors de son interprétation de l’expression « négociant ou courtier en valeurs » retrouvée dans l’alinéa (a) de l’article 250.3 de la Loi sur les impôts?
L’article 250.3 L.I. vise-t-il un autre objet que le paragraphe 39(5) L.I.R.?
[21] L’appelante soutient que puisque le paragraphe 39(5) L.I.R. contient les mots « commerçant ou courtier en valeurs mobilières » alors que l’article 250.3 L.I. réfère plutôt aux mots « négociant ou courtier en valeurs », les deux dispositions ne viseraient pas les mêmes contribuables et devraient donc être interprétées différemment l’une de l’autre.
[22] L’appelante fait erreur. Voici pourquoi.
[23] Bien que le régime fiscal établi conformément à la L.I. soit distinct et autonome du régime fiscal énoncé dans la L.I.R., il ne fait aucun doute que ces deux régimes agissent en harmonie l’un avec l’autre dans la plupart de leurs dispositions. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des principes fondamentaux régissant le calcul du revenu, telle la distinction fondamentale entre, d’une part, les revenus et pertes d’entreprise et, d’autre part, les gains et pertes en capital. Il en est ainsi puisqu’une disharmonie entre les principes fondamentaux d’imposition entraînerait des difficultés majeures pour les contribuables du Québec assujettis aux deux régimes fiscaux.
[24] Lors de l’adoption en 1978 des articles 250.1, 250.2 et 250.3 L.I.R. dans leur rédaction d’origine dans le cadre de la Loi modifiant la Loi sur les impôts et certaines dispositions législatives d'ordre fiscal[12], le ministre alors responsable, M. Jacques Parizeau, notait que la loi comportait un très grand nombre d’articles qui correspondaient à « la tentative qui se maintient au Québec d’harmoniser le plus possible nos propres lois de l’impôt avec les lois fédérales »[13]. Il ajoutait d’ailleurs ce qui suit lors des débats parlementaires[14] :
[…] Dans la mesure où on veut éviter entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de Québec une espèce de jungle réglementaire et de caractère légal, il faut nous adapter et présenter des amendements qui très souvent, on le verra à l'occasion de l'examen article par article, sont une espèce de transcription dans nos lois d'amendements qui ont été apportés aux lois fédérales.
[25] Les articles 250.1, 250.2 et 250.3 L.I. s’inscrivent incontestablement dans cette catégorie. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les libellés des dispositions corollaires de la L.I.R., lesquelles sont essentiellement identiques, tant dans leur version en langue française qu’en langue anglaise.
[26] Ainsi, les versions en langue anglaise de l’alinéa 39(5)a) L.I.R. et de l’alinéa 250.3a) L.I. sont identiques, faisant tous les deux l’usage des mêmes mots « a trader or dealer in securities ». Bien que les textes en langue française de ces deux dispositions font référence à un « négociant ou courtier en valeurs » pour la L.I. plutôt qu’à un « commerçant ou courtier en valeurs mobilières » comme prévu à la L.I.R., il s’agit là d’un choix linguistique stylistique plutôt que substantif. En effet, les versions anglaises et françaises de la L.I. ont la même valeur juridique[15] et doivent être interprétées d’abord en recherchant le sens qui leur est commun pour ensuite déterminer si celui-ci concorde avec l’intention du législateur[16].
[27] Par ailleurs, dans sa rédaction actuellement en vigueur, l’article 250.1 L.I. prévoit explicitement que sa mise en œuvre est liée au choix effectué par le contribuable en vertu du paragraphe 39(4) L.I.R.[17]. Dans ce contexte législatif, il serait pour le moins curieux, voire absurde, d’interpréter les exceptions prévues à l’article 250.3 L.I. de façon différente de celles énoncées au paragraphe 39(5) L.I.R.
L’interprétation du paragraphe 39(5) L.I.R. par les cours fédérales doit-elle être écartée aux fins de l’interprétation de l’article 250.3 L.I.?
[28] L’appelante soutient aussi que l’interprétation du paragraphe 39(5) L.I.R. par les cours fédérales ne devrait pas être retenue aux fins de l’article 250.3 L.I. en ce qu’elle serait stricte et littérale et ainsi non conforme à la méthode moderne d’interprétation des lois. Selon l’appelante, cette interprétation écarterait la quasi-totalité des contribuables du choix énoncé au paragraphe 39(4) L.I.R. sur lequel repose l’application de l’article 250.1 L.I.
[29] Afin de disposer de ce moyen d’appel, il y a lieu de préciser le contexte dans lequel les paragraphes 39(4) à (6) L.I.R. s’inscrivent afin d’en cerner l’objet, ce qui permet de mieux comprendre l’interprétation du paragraphe 39(5) L.I.R. retenue par la Division d’appel de l’ancienne Cour fédérale dans l’arrêt de principe Vancouver Art Metal Works[18], lequel est constamment suivi depuis par les cours fédérales[19].
[30] La distinction entre les revenus (ou pertes) d’entreprise et les gains (ou pertes) en capital est fondamentale au régime fiscal canadien. Ainsi, lorsqu’un contribuable dispose d’un bien avec un profit ou une perte, le traitement fiscal applicable dépend largement de la caractérisation du profit ou de la perte comme, d’une part, un revenu ou perte d’entreprise ou, d’autre part, un gain ou une perte en capital. La distinction est importante puisque le traitement fiscal est fort différent sur plusieurs plans selon cette caractérisation. Je note en particulier que dans le cadre du régime fiscal canadien existant, les revenus et pertes d’entreprise sont généralement considérés à 100 % aux fins fiscales, alors que seulement 50 % des gains et des pertes en capital sont retenus à ces fins[20].
[31] Bien que la distinction entre un revenu d’entreprise et un gain en capital soit conceptuellement facile à faire, elle est notoirement difficile à cerner dans le cadre d’une transaction particulière. Cette difficulté est reconnue de longue date par les tribunaux. Dans le jugement bien connu Hazeldean Farm, prononcé il y a plus de 50 ans, le juge Noël soulignait déjà que, dans bien des cas, il est pratiquement impossible de tracer avec certitude la ligne de démarcation qui sépare un revenu d’un gain en capital[21] :
[TRADUCTION] Bien qu’il existe une foule de décisions sur la question de savoir si le profit réalisé lors de la vente d’un bien-fonds constitue un revenu ou s'il est imputable au capital, il est encore pratiquement impossible de tracer avec certitude la ligne de démarcation qui sépare un revenu d’un gain en capital. On a trouvé une solution à bon nombre de ces problèmes en faisant intervenir une combinaison de facteurs, comme l’intention du contribuable, le fait qu’il s’agit d’une opération isolée, le rapport avec la façon dont le contribuable mène habituellement ses affaires et la nature de l’opération. Pris isolément, ces facteurs ne permettraient peut-être pas d’inférer l’existence d’une entreprise commerciale, mais, pris globalement avec l’ensemble des circonstances de l’espèce, ils sont susceptibles de convaincre le tribunal que l’opération à l’examen est une opération de capital.
[Soulignement ajouté]
[32] Cette grande difficulté de distinguer, dans un cas donné, les revenus et pertes d’entreprise des gains et pertes en capital fut reconnue à plusieurs reprises par les tribunaux, lesquels ont établi des facteurs afin de permettre d’en cerner la démarcation dans le cadre d’une matrice factuelle particulière. Plus récemment, dans l’arrêt Canada Safeway Limited de la Cour d’appel fédérale, le juge Nadon a noté à nouveau la difficulté et résumé les facteurs qui se dégagent de la jurisprudence afin de tenter de la résoudre[22] :
[61] On peut dégager de ces décisions quelques principes qui peuvent, à mon avis, être résumés comme suit. Premièrement, il n’est pas facile de tracer une ligne de démarcation entre les revenus et les gains en capital et il est donc nécessaire, pour bien les distinguer, de tenir compte d’une foule de facteurs, et notamment de l’intention du contribuable au moment de l’acquisition du bien en litige. Deuxièmement, pour que l’opération soit considérée comme un projet comportant un risque de caractère commercial, il faut qu’au moment de l'acquisition, le contribuable ait eu à l’esprit la possibilité de revendre comme motif qui le poussait à faire cette acquisition. La conclusion qu'une telle motivation existe devrait être basée sur des inférences découlant des circonstances qui entourent la transaction. Autrement dit, c’est toute la conduite du contribuable qu’il faut apprécier. Troisièmement, en ce qui concerne l’« intention secondaire », celle-ci doit aussi avoir existé au moment de l’acquisition du bien et le contribuable doit avoir été motivé par l'intention secondaire de le revendre avec bénéfice au cas où une occasion intéressante se présenterait. Quatrièmement, le fait que le contribuable envisageait la possibilité de revendre son bien ne suffit pas, en soi, pour conclure à l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Dans leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law, précité, les éminents auteurs expriment l’avis, dans leur analyse du critère applicable en ce qui a trait à l’existence d’une « intention secondaire », que [TRADUCTION] « les critères de la doctrine de l’intention secondaire ne seront respectés que si la perspective de revente à profit a joué un rôle important dans la décision d’acquérir le bien » (à la page 337). Je souscris entièrement à cette proposition. Cinquièmement, le témoignage du contribuable au sujet de son intention n’est pas déterminant et doit être examiné à la lumière de l’ensemble des circonstances.
[Soulignement ajouté]
[33] C’est précisément afin de pallier cette difficulté pour certains contribuables que le Parlement a adopté les paragraphes 39(4) à (6) L.I.R., comme l’indique d’ailleurs clairement le document budgétaire publié à la même occasion[23] :
Choix du régime fiscal des gains en capital
Un obstacle important aux investissements de risque est l’incertitude du régime fiscal des participations dans les entreprises nouvelles. D’après les dispositions actuelles, certains investisseurs s’exposent à ce que leurs plus-value soient imposées intégralement comme un revenu ordinaire au lieu d’être considérées comme un gain en capital. Pour lever cette incertitude les contribuables pourront choisir irrévocablement le régime fiscal des gains en capital à l’égard de leurs placements dans la plupart des titres canadien. Cette possibilité ne sera pas offerte aux courtiers en valeurs mobilières, aux banques, aux sociétés de fiducie ni aux institutions financières analogues.
[Transcription textuelle]
[34] C’est dans ce contexte que le choix fiscal prévu par les paragraphes 39(4) à (6) L.I.R. fut introduit à la législation fiscale fédérale.
[35] Une question de droit s’est soulevée quant à la portée de l’exception énoncée au paragraphe 39(5) L.I.R. visant « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières / a trader or dealer in securities ». Bien que cette exception vise assurément les courtiers en valeurs mobilières qui achètent et vendent des actions pour des tiers, le mot « commerçant » en valeurs mobilières permet-il aussi de conclure que l’exception s'étend aux contribuables qui achètent et vendent des valeurs mobilières pour eux-mêmes d'une façon professionnelle ou commerciale? Puisque l’article 474 des anciennes Règles de la Cour fédérale[24] permettait à l’ancienne Cour fédérale de statuer sur un point de droit, la question de droit suivante fut donc soumise à cette cour[25] :
Les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » au paragraphe 39(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu désignent-ils seulement la personne inscrite auprès d’une instance de réglementation ou autorisée par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières, ou la personne qui, dans le cours normal des affaires, achète et vend des valeurs mobilières pour le compte d’autrui, ou leur sens est-il assez large pour embrasser tout autre que la personne engagée dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial?
[36] Le juge saisi de cette question dans la Division de première instance de l’ancienne Cour fédérale a statué que l’exception ne visait que les contribuables qui sont inscrits auprès d’une instance de réglementation ou autorisés par celle-ci à acheter ou à vendre des valeurs mobilières et ceux qui, dans le cours normal des affaires, achètent et vendent des valeurs mobilières pour le compte d’autrui. Cependant, cette interprétation fut infirmée en appel dans un arrêt unanime de la Division d’appel rédigé par le juge Létourneau.
[37] Selon le juge Létourneau, que l’on interprète littéralement ou façon téléologique l’article 39(5) L.I.R., on ne peut conclure que les mots « un commerçant ou courtier en valeurs mobilières » aient une portée aussi restreinte. L’interprétation qu’il adopte est plutôt la suivante[26] :
À mon sens, on devrait donner aux mots « un commerçant ou un courtier » leur sens courant. Ils désignent habituellement celui qui fait le commerce des marchandises, qui achète et vend ou dont l’entreprise est le commerce. Black’s Law Dictionary définit « courtier » (dealer) comme [traduction] « toute personne dont l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières pour son propre compte, par l’entremise d’un agent (broker) ou autrement, à l’exclusion des banques et de toute personne qui achète ou vend des valeurs mobilières pour son propre compte, à titre personnel ou de fiduciaire, sans que cela fasse partie de son entreprise habituelle » (Je souligne.)
Dans une grande mesure, les deux mots « trader » et « dealer » dans la version anglaise font double emploi. Il en va de même pour leurs équivalents français « commerçant et négociant », sauf que le mot « négociant » (dealer) a, selon le Dictionnaire encyclopédique Quillet, un sens plus large ou moins précis que le mot « commerçant » (trader). Les deux termes, toutefois, comportent la notion d’entreprise ou de profession.
[Soulignement dans l’original; renvois omis]
[38] Par ailleurs, le juge Létourneau mentionne que l’exception prévue au paragraphe 39(5) L.I.R. s’applique lorsque les transactions sur les valeurs mobilières présentent un caractère professionnel pour le contribuable ou sont assimilables à l’exploitation par ce dernier d’une entreprise d’achat et de vente de valeurs mobilières[27] :
En adoptant les paragraphes 39(4) et 39(5), le législateur n’avait, selon moi, nullement l’intention de permettre au contribuable, dont l’entreprise ou la profession consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières, de convertir ses revenus ou ses pertes d’entreprise en gains ou pertes en capital comme peut le faire un simple investisseur engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial. […]
[…]
En guise de conclusion, le contribuable ne perd pas nécessairement le droit de faire un choix prévu au paragraphe 39(4) lorsqu’il achète et vend des valeurs mobilières pour son propre compte. Il perd cependant ce droit de choisir lorsqu’il devient un commerçant ou un courtier, c’est-à-dire lorsqu’il se livre professionnellement au commerce des valeurs mobilières ou lorsque ses activités sont assimilables à l’exploitation d’une entreprise et qu’elles ne peuvent plus être qualifiées d’opérations de placement ou de simples risques ou affaires de caractère commercial.
[Transcription textuelle, soulignement ajouté]
[39] Les facteurs suivants, ajoute-t-il, sont pertinents pour décider si un contribuable est un commerçant en valeurs mobilières au sens du paragraphe 39(5) L.I.R.[28] :
[…] La question de savoir si une série d’actes équivaut à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise constitue toutefois une question de fait. Chaque cas sera jugé selon les faits qui lui sont propres. Il est évident que les facteurs tels que la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées, (pour réaliser un bénéfice rapide ou pour en faire un placement à long terme, par exemple), l’intention d’acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l’objet de l’opération, le temps consacré à l’activité en question, sont tous des facteurs pertinents et qui aident à déterminer si une personne exerce un commerce ou une entreprise de courtage.
[Transcription textuelle, renvoi omis]
[40] L’appelante soutient que cette interprétation est déraisonnable et qu’elle devrait être rejetée par la Cour pour les fins de l’article 250.3 L.I. À l’appui de cette prétention, l’appelante énonce dans son mémoire que l’interprétation retenue par les cours fédérales ne permettrait qu’aux contribuables qui effectuent des transactions qui peuvent être qualifiées de simples risques ou affaires à caractère commercial de profiter du choix prévu au paragraphe 39(4) L.I.R. (et par conséquent de l’article 250.1 L.I.). L’appelante souligne que de telles transactions « sont pour le moins très rares et surtout le choix de l’article 250.1 de la LI est un choix qui vaut pour le futur sans possibilité de la révoquer » et le « fait qu’un contribuable réalise à répétition des transactions pouvant être qualifiées de simples risques ou affaires de caractère commercial est tout simplement inconcevable »[29].
[41] L’appelante propose plutôt de restreindre la portée de l’exception aux courtiers ou négociants en valeurs mobilières qui effectuent des transactions donnant « lieu à une certaine forme de rémunération telle une commission ou un escompte à l’achat ou une prime »[30]. Or, il s’agit là précisément de l’interprétation rejetée dans Vancouver Art Metal Works.
[42] Il n’y a pas lieu de retenir ce moyen d’appel.
[43] Premièrement, il est inexact de soutenir, comme le fait l’appelante, que le raisonnement dans Vancouver Art Metal Works s’appuie uniquement sur une lecture purement littérale de la loi. Comme le souligne le juge Létourneau, « [q]u’on interprète littéralement ou en fonction de son objet le paragraphe 39(5) de la [L.I.R.], on ne peut arriver à la conclusion que les mots “un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières” ont une portée aussi limitée que le prétend l’intimée » [soulignement ajouté][31]. D’ailleurs, il est évident à la lecture de ses motifs que le juge Létourneau s’appuie aussi sur une interprétation fondée sur l’objet des dispositions en cause, en plus de leur sens littéral[32]. Par ailleurs, bien que le paragraphe 39(5) L.I.R. ait été modifié après l’arrêt Vancouver Art Metal Works[33], jamais le législateur fédéral n’est-il intervenu pour écarter l’interprétation des mots « un négociant ou courtier en valeurs » retenue dans cet arrêt, ce qui permet de croire que cette interprétation, laquelle prévaut depuis 30 ans, reflète bel et bien l’intention législative.
[44] Deuxièmement, la prétention de l’appelante voulant que l’interprétation retenue pas les cours fédérales viderait de sens le choix prévu par le paragraphe 39(4) L.I.R. – et par conséquent viderait de sens l’article 250.1 L.I. – ne repose sur aucun fondement factuel. Il s’agit d’une simple affirmation de l’appelante qui n’a présenté aucune preuve en première instance afin de l’étayer. On peut d’ailleurs entrevoir des circonstances où des contribuables qui effectuent des transactions de nature commerciale à l’égard de valeurs mobilières canadiennes, sans par ailleurs être des commerçants en valeurs mobilières, auraient intérêt à se prévaloir du choix prévu par le paragraphe 39(4) L.I.R. La prétention contraire de l’appelante n’est tout simplement pas établie.
[45] Troisièmement, bien que l’arrêt Vancouver Art Metal Works ne lie pas cette Cour quant à son interprétation de l’article 250.3 L.I.[34], il n’y a pas lieu de s’en écarter puisque cela mènerait à une dichotomie entre l’application des articles 250.1 et 250.3 L.I., d’une part, et celle des paragraphes 39(4) et (5) L.I.R., d’autre part, ce que le législateur provincial n’a manifestement pas voulu vu le lien étroit établi par ce dernier entre l’application de l’article 250.1 L.I. et le choix du contribuable sous le paragraphe 39(4) L.I.R.
[46] En somme, il faut interpréter les mots « un négociant ou courtier en valeurs » de l’article 250.3 L.I. comme comprenant à tout le moins une personne dont la profession ou l’entreprise consiste à vendre et acheter des valeurs mobilières. Cette interprétation est compatible avec le sens courant qu’il convient de donner aux mots utilisés dans le libellé de la disposition en plus d’être cohérente avec l’objet de la L.I. et l’intention du législateur qui souhaite clairement privilégier une harmonisation à ce sujet entre le régime fiscal québécois et le régime fiscal fédéral. Une interprétation de l’article 250.3 L.I. différente de celle de son corollaire fédéral au paragraphe 39(5) L.I.R. porterait atteinte à cet objectif du législateur. Ce constat confirme en tout point le raisonnement adopté par le juge de première instance dans la présente affaire.
[47] Par ailleurs, il semble bien que ce soit là l’interprétation retenue historiquement par les autorités fiscales québécoises, ce qui renforce l’idée que le législateur québécois ne cherche pas à faire de distinction avec les dispositions législatives fédérales en cause, comme le propose l’appelante. Il n’est pas inutile de relever à cet égard que l’interprétation de la disposition en cause retenue par le juge de première instance est similaire à celle qui se retrouve dans un bulletin d’interprétation de l’ARQ portant sur le choix à l’égard de l’aliénation d’une valeur canadienne, comprenant les articles 250.1 et 250.3 L.I., quoique ce bulletin semble avoir été récemment retiré et archivé[35]. Il vaut de souligner qu’en matière d’interprétation des lois fiscales, un bulletin d’interprétation n’est pas déterminant, mais il peut avoir une certaine valeur interprétative[36]. Il y a lieu de s'y référer ici afin d’appuyer l’approche concordante qu’il convient d’adopter pour interpréter l’article 250.3 L.I. et le paragraphe 39(5) L.I.R. et qui anime le législateur québécois[37] :
8. L’expression « négociant ou courtier en valeurs » dans l’article 250.3 de la LI vise, entre autres :
a) un contribuable dont les transactions d’achat et de vente de valeurs canadiennes excèdent, en volume et en fréquence, ce dont on peut raisonnablement s’attendre d’un simple investisseur, par opposition à celles qui caractérisent un commerçant;
b) un contribuable qui participe à la promotion ou à la souscription à forfait d’une émission particulière d’actions, d’obligations ou d’autres titres;
c) un contribuable qui se présente au public comme étant un courtier en actions, en obligations ou en d’autres titres.
9. Sous réserve de la situation mentionnée au sous-paragraphe a) du paragraphe 8 ci-dessus, le ministère du Revenu du Québec ne considère généralement pas qu’un contribuable est un courtier ou un négociant en valeurs du seul fait que celui-ci effectue une transaction de nature commerciale à l’égard de valeurs canadiennes. [...]
[…]
11. Enfin, une société dont l’activité principale consiste à échanger des actions ou des créances est considérée comme un négociant ou un courtier en valeurs. Cependant, n’est pas un négociant ou un courtier en valeurs, une société dont l’activité principale consiste à détenir des valeurs mobilières et qui vend ce type de placements de temps à autre.
[Transcription textuelle, soulignement ajouté]
[48] Pour conclure, en matière fiscale, lorsque les dispositions des lois fédérales et provinciales ont sensiblement la même forme, une présomption de cohérence entre les deux dispositions prévaut[38]. En l’occurrence, l’appelante ne réussit pas à repousser cette présomption.
Deuxième question : Le tribunal a-t-il commis des erreurs manifestes et déterminantes ayant faussé son appréciation des éléments qui ont été mis en preuve lors de l’audition?
[49] L’appelante ne remet pas en question les constatations de fait du juge de première instance. C’est plutôt l’interprétation de ces faits par le juge qu’elle conteste. Il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait assujettie en appel à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et déterminante[39]. L’appelante invite ainsi la Cour à revoir l’ensemble de la preuve pour parvenir au constat qu’elle ne serait pas un négociant en valeurs mobilières au sens de l’article 250.3 L.I. Or, comme le souligne la Cour dans l’arrêt Agence du revenu du Québec c. Lavoie[40], il s’agit là d’un moyen d’appel semé d’embûches[41] :
[10] Le jugement entrepris est fondé sur des principes juridiques reconnus auxquels se réfèrent d’ailleurs les deux parties. C’est plutôt l’application de ceux-ci aux faits de l’espèce qui pose problème pour l’intimée.
[11] La Cour n’a de cesse de répéter que, pour s’attaquer à une conclusion de fait ou à une inférence tirée de la preuve, il faut pouvoir isoler cette conclusion ou inférence et pointer du doigt l’erreur flagrante du juge qui l’affecte. Ce fardeau est lourd et les cas où la Cour intervient sont relativement rares.
[12] En l’espèce, l’appelante nous convie à un exercice qui exigerait de réévaluer la crédibilité des témoins et à redéfinir les facteurs de rattachement entre le contribuable et l’autorité cotisante et à procéder à une nouvelle pondération de ceux-ci. Bref, il s’agit ni plus ni moins que de refaire le procès en appel.
[13] Il ne suffit pas, pour prétendre à l’erreur manifeste et dominante, de proposer, comme le suggère l’appelante, une interprétation différente de la preuve qui met l’accent sur certains faits plutôt que sur d’autres de façon à atteindre un résultat tout aussi différent.
[Transcription textuelle]
[50] À la lumière des faits mis en preuve – et comme le juge de première instance en a conclu – il apparaît clairement que l’appelante est un négociant en valeurs mobilières au sens de l’article 250.1 L.I. : l’achat et la vente de valeurs mobilières constituent ses principales activités, la fréquence des transactions sur valeurs mobilières est considérable, le roulement du portefeuille de valeurs mobilières est constant, la stratégie d’affaires est axée sur l’achat et la revente de valeurs mobilières plutôt que sur la détention de celles-ci afin de récolter des dividendes ou d’autres revenus, l’expertise retenue fait en sorte que les activités d’achat et de vente sont menées d’une façon professionnelle, etc.
[51] Cela étant, j’aborderai tout de même de façon sommaire les principales prétentions de l’appelante quant aux prétendues erreurs manifestes et déterminantes du juge de première instance.
La fréquence des transactions sur valeurs mobilières
[52] Le juge de première instance constate de la preuve que les activités de l’appelante « génèrent un nombre très important de transactions »[42] portant sur des sommes considérables chaque année. Il estime qu’il s’agit d’un élément important de son analyse et que « la preuve est plus que concluante à cet égard »[43]. Ces constats de fait correspondent en tout point avec la preuve au dossier. Néanmoins, l’appelante estime que le juge utilise les données mises en preuve sans tenir compte de ses circonstances particulières, ce qui constituerait selon elle une erreur manifeste et déterminante. Elle affirme ainsi que plusieurs des transactions auraient pour but de rééquilibrer son portefeuille. Partant, ces transactions de « rééquilibre » ne comporteraient pas l’indice de spéculation propre à la définition de « négociant » de l’article 250.1 L.I. et auraient dû être exclues de l’analyse du juge.
[53] Ces prétentions doivent être rejetées. D’abord, l’appelante ne pointe pas dans son mémoire les transactions qui auraient dû être exclues de l’analyse du juge. Par ailleurs, le juge tient compte du mécanisme de roulement de portefeuille utilisé par l’appelante et conclut qu’il s’agit là d’un élément important de sa stratégie d’affaires qui permet de confirmer que l’appelante doit être considérée un négociant en valeurs mobilières au sens de l’article 250.3 L.I.[44]. Ainsi, l’argument selon lequel certaines transactions visent à rééquilibrer le portefeuille et devraient être exclues de l’analyse irait ici à l’encontre de l’analyse contextuelle qu’il convient d’effectuer concernant les activités de l’appelante, sans compter qu’il a été expressément rejeté par les cours fédérales, plus précisément dans l’affaire Arcorp Investments[45], laquelle comporte plusieurs similitudes avec le présent dossier.
La durée de possession des valeurs mobilières
[54] En ce qui a trait à la durée de possession des valeurs mobilières par l’appelante, le juge de première instance constate que celle-ci est compatible avec le modèle commercial choisi par l’appelante, qui consiste à repérer des valeurs mobilières volatiles et sous-évaluées de certains secteurs en croissance de façon à maximiser les gains et ainsi profiter de l’augmentation de la valeur de celles-ci[46]. Selon le juge, la nature commerciale des activités s’évalue aussi en fonction du roulement du portefeuille opéré par l’appelante qui, chaque année, vend une part considérable de son portefeuille afin d’acquérir de nouvelles valeurs mobilières, ce qui a pour effet de renouveler son portefeuille à moyen terme.
[55] L’appelante estime que le juge n’a pas tenu compte de sa stratégie de placement qui consiste à effectuer des investissements à moyen et à long terme. De plus, le juge aurait dû déterminer de la preuve qu’elle n’avait pas le profil d’un investisseur rapide et ajoute que la durée de possession des valeurs mobilières n’est pas déterminante en soi pour conclure qu’un contribuable exploite une entreprise d’achat et de vente de valeurs mobilières.
[56] Encore là, ces prétentions doivent être rejetées. Elles ne font que reprendre les prétentions que l’appelante a déjà fait valoir en première instance et qui ont été expressément rejetées par le juge suivant son appréciation de la preuve. Les constats du juge concernant la stratégie d’affaires de l’appelante et ceux concernant le roulement du portefeuille trouvent raisonnablement appui dans la preuve et constituent des facteurs qui, combinés à d’autres, militent en faveur de la conclusion selon laquelle l’appelante exploite une entreprise de négociant en valeurs mobilières.
La nature et la quantité des valeurs mobilières détenues par l’appelante
[57] Le juge retient de la preuve que l’appelante privilégie l’achat de valeurs mobilières de société sous-évaluées par rapport au marché et favorise les titres risqués principalement dans les secteurs des ressources naturelles et de la technologie vu que ceux-ci ont un potentiel de gain élevé. Le juge conclut aussi que l’acquisition de ces valeurs mobilières découle d’un modèle d’affaires délibérément choisi par l’appelante dans le but de générer un profit. Il note que cette activité économique requiert des ressources importantes en temps et en expertises[47].
[58] L’appelante suggère plutôt que le fait d’investir dans divers secteurs en croissance ne constitue pas un indice permettant de conclure qu’elle exploite une entreprise de valeurs mobilières. Or, il n’y a rien à cet égard qui puisse pointer vers une erreur manifeste et déterminante du juge. C’est l’ensemble des facteurs analysés qui ont permis au juge de conclure que l’appelante, dans le cours normal de ses affaires, exploite une entreprise de négociant en valeurs mobilières.
[59] Certes, on ne peut déduire du fait qu’un contribuable tente de diversifier ses investissements dans des secteurs prometteurs qu’il exploite nécessairement une entreprise de négociant en valeurs mobilières. Or, ce n’est pas ce que le juge fait. Il conclut plutôt qu’il ne s’agit pas seulement pour l’appelante d’investir dans des secteurs en croissance, mais plutôt d’investir spécifiquement et de façon constante et répétée dans des domaines à haut risque, sous-évalués et dont les valeurs mobilières comportent un volet hautement volatile, dans le but de générer un profit rapide. L’appelante isole les éléments analysés par le juge en faisant fi de l’ensemble de ses motifs, lesquels justifient amplement sa conclusion selon laquelle l’appelante exploite une entreprise de négociant en valeurs mobilières.
Le temps consacré aux transactions sur valeurs mobilières
[60] L’appelante suggère que le juge aurait erré en déterminant que le temps consacré aux transactions sur valeurs mobilières était considérable et en retenant que M. Peter Norris, le gestionnaire de portefeuille de l’appelante, y consacrait ses obligations professionnelles à temps plein et que les transactions en cause représentent les principales activités de l’appelante. Or, ces constats sont tout à fait compatibles avec la preuve et renforcent la conclusion du juge.
Les connaissances particulières ou spéciales du marché des valeurs mobilières
[61] Le juge retient que le fondateur de l’appelante et son gestionnaire de portefeuille ont des connaissances particulières dans le domaine des valeurs mobilières qui dépassent largement celles de l’investisseur impliqué dans un projet comportant un risque à caractère commercial. Il s’appuie notamment sur les constats de fait suivants qui, là encore, sont largement soutenus par la preuve dans le dossier[48] :
[12] Les acteurs principaux dans Boeckh ne sont pas des néophytes en matière de placements boursiers.
[13] M. John Anthony Boeckh a complété des études en économie à l’université de Toronto puis à l’Université de Pennsylvanie en économie, statistique et en finance (P.H.D). Il a aussi enseigné l’économie et la finance à l’Université McGill pendant de nombreuses années. Président et fondateur de Boeckh, il supervise de façon plus ou moins éloignée, l’administration en général de la société. Il est l’éditeur en chef de la publication intitulée « The Boeckh Investment Letter ». Il crée et il est le rédacteur en chef de BCA Research de 1968 à 2002 et il rédige toujours par la suite des articles sur des sujets économiques relatifs aux investissements.
[14] M. Ian Boeckh est détenteur d’un Bac et d’un « Master Degree » en économie et il a travaillé comme analyste et assistant de recherche pour « BC Research Company ». Il est vice-président de Boeckh et il a lui-même une partie du portefeuille qu’il analyse et sous laquelle il procède à des transactions. Cependant, c’est M. Peter Norris qui s’occupe de la très grande majorité du portefeuille de Boeckh.
[15] M. Peter Norris détient un Bac en économie et un MBA. Il est analyste financier agréé. Il a travaillé comme analyste en recherche pour la firme Delui et il est chez Boeckh le « Portfolio manager » ou encore le « Investment manager », activité qu’il occupe à temps plein.
[16] Pour les années en litige, la preuve révèle que M. Peter Norris agit à titre de « Investment manager ». Il analyse le marché canadien des valeurs mobilières, les compagnies participantes depuis les années 1990. Il les connait bien et lorsqu’il croit qu’elles sont sous-évaluées et qu’elles cadrent bien avec celles détenues dans le portefeuille de Boeckh, il acquiert des titres de ces compagnies.
[17] Il travaille à temps plein pour ses fonctions et il prend, seul, la décision de vendre des titres. Son rendement est évalué en fin d’année et l’on attend de lui des performances supérieures à l’indice du TSX. Un bonus de performance peut lui être octroyé. Il consacre la majorité de son temps à l’analyse des sociétés, leurs activités, leurs liquidités, leurs projets de développement, le marché dans lequel elles évoluent et leur capacité d’expansion dans un avenir plus ou moins rapproché.
[18] À quelques occasions au cours d’une année, il visite même certaines sociétés avant d’acquérir leurs titres. Il est celui qui acquiert et qui dispose des titres de sociétés selon les circonstances du marché et certains critères.
[Transcription textuelle]
[62] L’appelante soutient que ces constats factuels ne justifient pas de conclure qu’elle possède des connaissances particulières suffisantes pour être considérée comme un négociant en valeurs mobilières au sens de l’article 250.3 L.I. Elle s’appuie principalement sur l’affaire Kane[49].
[63] Or, Kane ne fait aucunement obstacle à la conclusion du juge voulant que l’appelante possède des connaissances particulières et spéciales du marché qui contribuent à la qualifier de négociant en valeurs mobilières. Dans Kane, le contribuable était à la fois un actionnaire, un administrateur et le président de la société Orell Copper Mines Ltd. et il transigeait de façon répétée dans l’achat et la vente des actions de cette société. Voici comment y est décrit le critère de connaissance particulière dans l’appréciation de l’analyse du paragraphe 39(5) L.I.R.[50] :
[23] I believe that in determining the availability of the election to one who trades in securities without being licensed or registered, the focus should be the same, namely, does the author of the transactions in question possess a particular or special knowledge of the market in which he trades? To the extent that he does, he distinguishes himself from the common risk takers who "play the market" regularly or sporadically based on commonly available investment advice and information. That it seems is the guiding line which must delineate the scope of the election contemplated by section 39(4) of the Act and the limitation embodied in paragraph 39(5)(a).
[24] In the case at hand, the plaintiff had a special knowledge of the market in which Orell shares were traded. He was one of the directors of the corporation, its president, an insider by virtue of his holdings and a promoter as that term is defined in the B.C. Securities Act. But more importantly, he was directly involved in the mining ventures of Orell and in organizing its public financing offering. As such he was in a position to anticipate market reaction to Orell’s ongoing activities. That is the context in which the plaintiff bought and sold Orell shares. His trading activities were not only stamped with the usual badges of trade which characterize the dealings of common risk traders, but they were conducted by reference to, and were driven by, the special knowledge which the plaintiff had of the market in which the Orell shares were traded. Those in my view are the activities of a trader or dealer in securities as that term is used in subsection 39(5) of the Act.
[Transcription textuelle]
[64] Selon l’appelante, cette décision établit que « [l]es connaissances ne doivent pas être générales, mais bien des connaissances spécifiques sur la société émettrice du titre elle-même »[51], c’est-à-dire qu’il doit s’agir d’informations privilégiées. En ce sens, l’appelante fait valoir qu’elle ne satisfait pas ce critère puisqu’elle effectue ses placements avec l’information disponible au public à l’aide d’un logiciel peu sophistiqué et qu’elle ne dispose d’aucune information privilégiée sur les sociétés émettrices.
[65] Il n’y a pas lieu de retenir cette prétention de l’appelante. Précisons que la qualification d’un contribuable comme un négociant en valeurs mobilières aux fins de l’article 250.1 L.I. ne se limite pas aux seuls cas où le contribuable détient des connaissances privilégiées du marché. Les critères établis dans Vancouver Art Metal Works, lesquels sont constamment suivis, ne réfèrent d’ailleurs pas aux connaissances privilégiées. Par ailleurs, bien qu’un contribuable n’ait pas accès à des connaissances privilégiées, le fait que celui-ci possède une connaissance ou une expertise particulière du marché des valeurs mobilières peut constituer un facteur additionnel pouvant être pris en compte, avec d’autres facteurs, afin de décider s’il agit ou non comme négociant en valeurs mobilières[52]. C’est une analyse contextuelle globale propre à chaque cas qui doit être menée, laquelle peut notamment tenir compte de l’expertise du contribuable. Sans être déterminante en soi, cette expertise peut constituer un facteur pertinent selon les circonstances.
[66] Il est clair que l’ensemble des constats factuels dressés par le juge soutient que l’appelante détient des connaissances particulières du marché qui la distingue d’un contribuable simplement engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial. Comme le souligne le juge de première instance, les principaux représentants de l’appelante qui ont témoigné au procès ont tous une expérience significative en matière de placements boursiers. Afin de mener ses activités commerciales, l’appelante bénéficie à temps plein de l’expertise de M. Peter Norris qui détient une forte expérience lorsqu’il effectue des transactions sur valeurs mobilières et qui possède incontestablement des connaissances précises et inhabituelles sur les marchés dans lesquels l’appelante investit. Il s’agit là d’un marqueur d’une activité commerciale qui, sans être déterminant en soi, contribue à la conclusion du juge.
CONCLUSION
[67] Pour ces motifs, je propose que la Cour rejette l’appel, avec les frais de justice.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Investissement Boeckh inc. c. Agence du revenu du Québec, 2021 QCCQ 12340 (le « jugement de première instance »).
[2] Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.
[3] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.).
[4] Jugement de première instance, par. 39.
[5] Jugement de première instance, par. 40-41.
[6] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), [1993] 2 CF 179.
[7] Jugement de première instance, par. 43.
[8] Id., par. 44-46.
[9] Id., par. 50-51.
[10] Jugement de première instance, par. 52-53.
[11] Argumentation de l’appelante, par. 43.
[12] Loi modifiant la Loi sur les impôts et certaines dispositions législatives d'ordre fiscal, L.Q. 1978, c. 26.
[13] Assemblée nationale, Journal des débats, 31e lég., 3e sess., vol. 20, no 245, 14 décembre 1978, p. 4717 (J. Parizeau).
[14] Ibid. De tel propos sont également énoncés dans le cadre de l’étude détaillée du projet de loi. Voir Assemblée nationale, Commission permanente du revenu, Journal des débats, 31e lég., 3e sess., vol. 20, no 245, 20 décembre 1978, p. B-10472 à B-10483 (J. Parizeau).
[15] Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5, art. 133; Charte de la langue française, RLRQ, c. C-11, art. 7(3); Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S 721, p. 777-778; Procureur général du Québec c. Blaikie, [1979] 2 R.C.S. 1016, p. 1022; Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 24; Fraternité des policiers de Châteauguay inc. c. Ville de Mercier, 2017 QCCA 1251, par. 52, citant les motifs de la juge Charron dans sa dissidence dans Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48 , par. 50; Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Éd. Thémis, 2021, par. 1123-1126.
[16] R. c. Daoust, 2004 CSC 6, par. 26-31; R. c. S.A.C., 2008 CSC 47, par. 14-16; Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Éd. Thémis, 2021, par. 1127-1141.
[17] Loi donnant suite au discours sur le budget du 24 mai 2007, à la déclaration ministérielle du 1er juin 2007 concernant la politique budgétaire 2007-2008 du gouvernement et à certains autres énoncés budgétaires, L.Q. 2009, c. 5, art. 85.
[18] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), 1993 CanLII 2930 (CAF), [1993] 2 CF 179.
[19] Voir notamment : Arcorp Investments Ltd. c. Canada, 197 F.T.R. 24, 2000 CanLII 16535 (CF), par. 32-35; Rouleau c. R., 2008 CCI 244, par. 122; Zsebok v. R, 2012 CCI 99, par. 6 et 14; Prochuk v. The Queen, 2014 TCC 17, par. 39-42; Canadian Western Trust Company v. The King, 2023 TCC 17, par. 43.
[20] Peter Hogg, Jinyan Li, Joanne E. Magee et J. Scott Wilkie, Principles of Canadian Income Tax Law, 10th ed., 2022, Carswell, p. 313.
[21] Hazeldean Farm Co. Ltd. v. Canada Minister of National Revenue, [1967] 1 Ex. C.R. 245, p. 255-256.
[22] Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24, par. 61.
[23] Canada, Ministère des Finances, Document budgétaire émis par l’honorable Donald S. MacDonald ministre des Finances et député de Rosedale à l’occasion du Budget le 31 mars 1977, Ottawa, Ministère des Finances,1977, p. 39.
[24] Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 474, mod. par DORS/79-57, art. 14. Une disposition équivalente se retrouve aujourd’hui à l’art. 220 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
[25] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), [1993] 2 CF 179, p. 182.
[26] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), [1993] 2 CF 179, p. 186.
[27] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), [1993] 2 CF 179, p. 188 et 189.
[28] Id., p. 187.
[29] Argumentation de l’appelante, par. 46-47. Voir aussi les par. 67-68 de cette argumentation.
[30] Id., par. 50.
[31] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.), [1993] 2 CF 179, p. 183.
[32] Id., p. 188-189.
[33] Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, les Règles concernant I’application de l'impôt sur le revenu et des lois connexes, L.C. 1995, c. 21, art. 49.
[34] R. c. Lapointe, 2021 QCCA 360, par. 32.
[35] Agence du revenu du Québec, Bulletin d’interprétation, IMP. 250.1-1/R2, « Choix à l’égard de l’aliénation d’une valeur canadienne », 30 septembre 2009. Notons que le bulletin se retrouve au dossier de vérification de l’intimée, voir Pièce D-4, p. 196-201.
[36] Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, p. 37; Agence du revenu du Québec c. Bernardin, 2021 QCCA 625, par. 38.
[37] Agence du revenu du Québec, Bulletin d’interprétation, IMP. 250.1-1/R2, « Choix à l’égard de l’aliénation d’une valeur canadienne », 30 septembre 2009, par. 8-9 et 11.
[38] Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Éd. Thémis, 2021, par. 1188-1189; Agence du revenu du Québec c. Larocque, 2016 QCCA 556, par. 58 (demande d’autorisation à la Cour suprême rejetée, 4 avril 2016, no 37043).
[39] Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, par. 33. Voir plus particulièrement en matière fiscale : Hanna c. Agence du revenu du Québec, 2019 QCCA 2079, par. 19; Tanis c. Agence du Revenu du Québec, 2019 QCCA 1583, par. 14-15; Pizzagalli c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCA 1248, par. 48-49 citant Agence du revenu du Québec c. Barrette, 2014 QCCA 2177, par. 3-5; Armeni c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCA 1746, par. 6; Bermex International Inc. c. Agence du revenu du Québec, 2013 QCCA 1379, par. 34-35; Brault c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2004 CanLII 72867 (QC CA), par. 2; Bernier c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2004 CanLII 73174 (QC CA), par. 4.
[40] Agence du revenu du Québec c. Lavoie, 2015 QCCA 750.
[41] Id., par. 10-13.
[42] Jugement de première instance, par. 21.
[43] Id., par. 51.
[44] Ibid.
[45] Arcorp Investments Ltd. c. Canada, 1997 FTR 24, 2000 CanLII 16535 (CF), par. 37-38.
[46] Jugement de première instance, par. 51.
[47] Jugement de première instance, par. 51, 52-53.
[48] Jugement de première instance, par. 12-18.
[49] Kane v. The Queen, 94 D.T.C. 6671.
[50] Id., par. 23-24.
[51] Argumentation dans le mémoire de l’appelante, par. 106.
[52] Canadian Western Trust Company v. The King, 2023 TCC 17, par. 81.
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