Décision

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Dupuis c. Courchesne investissement immobilier inc.

2024 QCTAL 13794

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Joliette

 

No dossier :

757012 29 20240104 G

No demande :

4168671

 

 

Date :

24 avril 2024

Devant la juge administrative :

Manon Talbot

 

Michel Dupuis

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Courchesne Investissement Immobilier Inc.

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locataire s’oppose à l’avis d’éviction pour cause d’agrandissement substantiel de son logement.

[2]         La locatrice conteste l’opposition. Elle désire réunir les deux logements de l’étage où se situe le logement concerné pour en faire un de plus grande dimension.

[3]         Le contenu de l’avis d’éviction ainsi que les délais légaux pour l’avis et la production du présent recours ne sont pas contestés.

QUESTIONS EN LITIGE

[4]         La locatrice a-t-elle établi qu’elle entend réellement effectuer l’agrandissement du logement concerné et que la loi le permet?

[5]         Si oui, quelle est l’indemnité et quelles sont les conditions justes et raisonnables à accorder au locataire?

CONTEXTE ET PREUVE

[6]         Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024 à un loyer mensuel de 385 $.

[7]         Le 21 décembre 2023, le locataire reçoit un avis d’agrandissement de son logement. Il refuse de quitter le logement, d’où la présente demande.

[8]         L’immeuble, qui comporte six logis de 3 ½ pièces, est acquis par la locatrice en août 2023.

[9]         Le locataire habite l’un des deux logements du 3e étage depuis 14 ans.

[10]     Étienne Courchesne, président et seul administrateur de la locatrice, témoigne que dès l’acquisition de l’immeuble, son intention est de rentabiliser cet investissement en augmentant les revenus. Il veut donc transformer l’immeuble de six (6) logis en triplex et mettre les logements au goût du jour. L’immeuble construit dans les années 1970-1980 n’a jamais été rénové.


[11]     Le projet de la locatrice consiste notamment à réunir les logements de chaque étage en un seul. 

[12]     Monsieur Courchesne ne cache pas qu'il veut rapidement accroître la profitabilité de son investissement en maximisant les revenus locatifs. Il soutient que selon ses recherches, cet agrandissement engendrera une valeur locative beaucoup plus importante puisqu'il prévoit pouvoir louer le logement au loyer de 1 500 $ par mois.

[13]     À l'appui du projet, il dépose un permis émis par la Ville de Berthierville le 12 décembre 2023, obtenu pour les travaux suivants :

« Travaux de rénovation complètes des trois étages de l’immeuble. Démolition des cloisons et réaménagement afin de concevoir un seul logement par étage. L’immeuble passera ainsi de 6 à 3 logements.

Travaux visant le remplacement du revêtement de plancher. Remplacement complet des éléments de la salle de bain (bain, toilette et lavabo). Ajout de nouveaux comptoirs de cuisine. (…) »

[Reproduit tel quel]

[14]     Il importe de souligner qu’aucun plan d’architecte ou d’ingénieur n’est requis pour l’obtention d’un tel permis. Seul un croquis est remis à la Ville sur lequel on constate que les chambres des logements vont demeurer à la même place, l’un des salons sera transformé en chambre et une cuisine sera remplacée par un salon.

[15]     Monsieur Courchesne fait valoir que ce projet est facilement réalisable. Il dépose une évaluation du coût des travaux par l'entrepreneur retenu, soit environ 45 000 $. Selon lui, cette estimation est conservatrice, car les travaux ne devraient pas excéder les 30 000 $.

[16]     Il témoigne également qu'il est financièrement bien en mesure d'assumer les coûts de tels travaux.

[17]     Questionné au sujet des autres logements, monsieur Courchesne explique que le projet sur les autres étages s’est transformé pour différentes raisons.

[18]     Au rez-de-chaussée, le logement #2 s’est libéré parce que le locataire incarcéré a été expulsé à la suite d’un jugement en résiliation de bail pour non-paiement de loyer. Pour éviter d’attendre plusieurs mois pour débuter l’agrandissement et puisqu’il ne pouvait relouer le logement dans l’intervalle, ce qui lui faisait perdre des revenus, il a procédé à des rénovations. La locataire voisine s’est montrée aussitôt intéressée par ce logement rénové et a conclu un bail. Elle y réside déjà et son logement (#1) a aussi été rénové. Les logements dont les loyers étaient de 400 $ et 450 $ sont ainsi reloués à 850 $.

[19]     Au 2e étage, un scénario similaire est survenu. Le locataire du logement #4 qui a reçu un avis d’éviction et pour lequel un avis d’opposition a été déposé, lui a fait savoir qu’il est sur le point d’obtenir un logement pour personnes aînées et qu’il ne souhaite pas déménager deux fois en peu de temps. Le locataire lui a offert de payer un loyer de 200 $ de plus par mois jusqu’à son départ, ce que Monsieur Courchesne a accepté.

[20]     Quant à la locataire du logement adjacent (#3), elle l’a avisé qu’elle accepte de quitter pour habiter le logement rénové (#1) au rez-de-chaussée. La locatrice a donc rénové son logement et fera les mêmes travaux dans le logement #4 après le départ du locataire.

[21]     Reste le 3e étage.

[22]     La locataire du logement #6 mentionne à Monsieur Courchesne qu’elle ne veut pas renouveler le bail au 1er juillet 2024 et qu’elle serait aussi disposée à quitter plus tôt, soit en avril. Bien qu’il ne soit pas intéressant pour la locatrice de perdre les loyers de mai et juin, il accepte de mettre fin au bail et de recevoir le loyer au prorata des jours occupés, comme le révèlent les messages textes exhibés à l’audience. La locataire indique qu’elle partira au plus tard le 30 avril 2024.

[23]     Monsieur Courchesne ne veut pas rénover le logement #6 comme les autres, car il ne pourra le faire pour le logement concerné. Le locataire est le seul à s’opposer à l’éviction et à vouloir demeurer dans son logement dans l’état actuel.

[24]     Monsieur Courchesne ne dissimule pas sa volonté première d’accroître les revenus locatifs de l’immeuble, ce qui passe par la rénovation des logements. Pour y arriver dans les circonstances, la seule option qui s’offre à la locatrice est de se prévaloir des dispositions de l’article 1966 du Code civil du Québec, dont l’agrandissement du logement concerné.

[25]     La locatrice dépose des photographies des trois logis déjà rénovés au coût de 15 000 $ chacun, ce qui permet à Monsieur Courchesne d’affirmer que le coût des travaux de réunion des deux logements du 3e étage avec des matériaux similaires ne devrait pas excéder 30 000 $.


[26]     Pour l’instant, la locatrice n’aura pas à obtenir de financement pour réaliser son projet, affirmetil. Un projet de transformation d’une maison en duplex est sur le point d’être terminé pour lequel le financement n’a pas été utilisé. De plus, l’équité sur l’immeuble acquis au prix de 425 000 $ lui permet d’obtenir un prêt hypothécaire au besoin.

[27]     Pour sa part, le locataire fait essentiellement valoir qu’il tient à son logement qu’il occupe et qu’il entretient avec soin depuis 14 ans. Il exhibe des photographies qui démontrent que le logement est en bon état et qu’il ne nécessite pas de rénovation.

[28]     En outre, il soulève les difficultés actuelles pour se reloger dans le contexte de la pénurie de logements à un loyer abordable.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[29]     La locatrice fait valoir qu'elle a satisfait à son fardeau de preuve en établissant qu'il est de sa réelle intention de réaliser le projet d'agrandissement annoncé. 

[30]     Monsieur Courchesne souligne qu’il a fait ses devoirs et que la preuve testimoniale et documentaire démontre la faisabilité du projet, le respect de la réglementation en vigueur et la capacité financière à réaliser l'agrandissement projeté. 

[31]     Pour sa part, le locataire fait valoir que le seul intérêt de la locatrice est de retaper les logements dans le but de les relouer à forts prix, comme il l’a fait sur les autres étages de l’immeuble. Son logis est en bon état et ne nécessite pas de rénovation. La seule raison pour laquelle la locatrice cherche à l’évincer, c’est en raison du faible revenu que son loyer génère.

[32]     Il ajoute que la locatrice a réussi à accroître la rentabilité de l’immeuble en obtenant le départ des autres locataires ou leur consentement à rénover. La locatrice pourrait donc lui donner l’opportunité de demeurer dans son logement qu’il apprécie et souhaite conserver.

ANALYSE ET DÉCISION

Le projet d’agrandissement

[33]     En l'instance, les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (C.c.Q.) se lisent comme suit : 

« 1959. Le locateur d'un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l'agrandir substantiellement ou en changer l'affectation. »

« 1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l'avis d'éviction, s'adresser au tribunal pour s'opposer à la subdivision, à l'agrandissement ou au changement d'affectation du logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux. 

S'il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu'il entend réellement subdiviser le logement, l'agrandir ou en changer l'affectation et que la loi le permet. »

[34]     On note qu'il appartient donc à la locatrice d'établir que son intention d’agrandir est réelle et que son projet est légalement faisable. 

[35]     Dans l'affaire Coulombe c. 9395-4568 Québec inc.[1], la soussignée fait l'analyse suivante des principes en matière d'éviction pour fin d'agrandissement :

« [49] Par ailleurs, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 1936 C.c.Q, le locataire bénéficie du droit au maintien dans les lieux tant et aussi longtemps qu'il respecte les obligations prévues au bail. Le locataire ne perd son droit au maintien que dans les exceptions prévues par la loi. Il s'agit entre autres des cas de reprise de logement ou d'éviction prévus aux articles 1957 et suivants C.c.Q.

[50] L'auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage sur le louage, énonce les éléments qui caractérisent le fardeau de preuve requis du locateur en matière d'éviction :

« Le locateur démontre sa bonne foi par la preuve du caractère sérieux de son projet, plus particulièrement, il doit établir la possibilité de le réaliser et les démarches préparatoires qu'il a entreprises pour le réaliser. Au nombre de celles-ci, il y a les dispositions financières, la préparation des plans, parfois la recherche de clients168. L'obtention d'un permis pour effectuer les travaux ne devrait pas être un élément indispensable, autrement le locateur serait à la merci des lenteurs de l'Administration - nous y reviendrons. Lorsque cependant le locateur a obtenu son permis, cela constitue une forte preuve et de sa bonne foi et de la légalité du projet. »[2]


[51] Dans la décision Potvin c. Rocca[3], appelée à se prononcer sur une opposition à une demande d'éviction pour agrandissement, la juge administrative Sophie Alain résume bien l'état du droit et de la jurisprudence relativement à une demande en vertu de l'article 1966 C.c.Q. :

« [23] La formule « qu'il entend réellement » oblige le Tribunal à vérifier si la démarche entreprise par les locateurs est faisable et que leur intention est réelle, certaine et ferme. Cela équivaut implicitement à devoir prouver la bonne foi; bonne foi qui doit exister à toutes les étapes du processus, soit dès l'envoi de l'avis, jusqu'au moment de l'éviction conformément à l'article 1375 C.c.Q. En effet, un locateur ne peut pas faire indirectement ce qu'il n'a pas le droit de faire directement. 

[24] Certes, le désir des propriétaires de rentabiliser leur immeuble n'est pas en soi un obstacle à une demande d'éviction(2) et cela ne révèle pas qu'ils sont de mauvaise foi(3). Selon le professeur Jobin, « le locateur jouit d'une grande discrétion quant au but poursuivi »(4). C'est aussi ce que confirme la jurisprudence constante du Tribunal de la Régie du logement :

À moins d'obtenir un aveu spontané du locateur qu'il n'entend pas mener à terme son projet, cette volonté devra s'inférer par sa bonne foi, sa crédibilité, la preuve documentaire et les circonstances entourant le projet. 

Au niveau documentaire, la preuve de conformité du projet du locateur avec la loi et la réglementation municipale ou autre est l'un des éléments dont le tribunal doit prendre en considération. Elle s'établit notamment par la production des permis délivrés par la municipalité ou par l'opinion d'un expert.(5) 

[25] Finalement, le Tribunal ne doit pas automatiquement permettre une éviction devant la preuve de la délivrance d'un permis municipal car il jouit d'une certaine latitude au-delà de l'évaluation de la preuve documentaire. » (Références omises)

[36]     Dans la décision 9291-9216 Québec inc. (Topo Immobilier) c. Lombardi[4], appelée à se prononcer sur une opposition à une demande d'éviction pour agrandissement, la juge administrative Louise Fortin cite les décisions suivantes :

« [35] Dans la décision Miron c. Durante(2), la juge administrative Anne Mailfait mentionne au paragraphe 31 : 

« Il n'appartient donc pas au tribunal d'apprécier l'opportunité ou la décence de la démarche entreprise par la locatrice. »

[36] Tel qu'exprimé également par la juge administrative Bouchard, cette fois dans l'affaire Morrison c. Nosrat Makouee, la rentabilisation d'un investissement immobilier n'est pas interdite par la loi et cette finalité d'accroissement de profits n'influera pas sur la bonne foi du locateur et ce, tant qu'il conservera son intention de mener son projet à terme.(3) 

[37] De plus, la juge administrative Anne Mailfait écrit, à juste titre, dans l'affaire Tangco c. Dumenko(4), ce qui suit sur le fardeau de preuve du locateur en cette matière : 

« La formule « qu'il entend réellement » oblige le tribunal à vérifier si la démarche entreprise par le locateur se caractérise par sa faisabilité et le caractère certain et ferme de l'intention, tel qu'exprimé et défendu devant le tribunal par le locateur.  

Il faut noter que contrairement à l'article 1963 du Code civil du Québec, le législateur n'a pas évoqué le critère de la finalité c'est-à-dire « qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins ».  

[38] Ainsi, s'exprimait également la juge administrative Sylvie Lambert dans l'affaire Auby c. Baek :  

« En matière d'éviction, les règles sont différentes de celles applicables en matière de reprise de logement. En cas d'éviction, le Tribunal doit évaluer la bonne foi du locateur eu égard à son intention d'exécuter ou non le projet. S'il a réellement l'intention d'exécuter ce projet, même si l'objectif souhaité est d'obtenir le départ de locataires qu'il considère gênants, le Tribunal ne peut rejeter sa demande pour ce motif. 

En effet, en cas d'éviction pour subdivision du logement, le locateur n'a pas à démontrer, comme en matière de reprise de logement, qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »(5) 

 [40] Comme on peut le voir, les règles relatives à l'éviction pour agrandissement ou subdivision sont différentes de celles qui prévalent en matière de reprise du logement. Le fardeau de preuve en cette matière exige la démonstration de l'intention réelle de procéder aux travaux et de la légalité du projet. Le locateur n'a pas, comme en matière de reprise du logement, à démontrer que ce projet ne constitue pas un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

(Références omises)

[37]     Selon les principes ci-haut, la question en litige consiste à déterminer si la locatrice a réellement fait la preuve qu'elle entend agrandir le logement du locataire et que la loi le permet.  

[38]     En l'instance, la preuve permet de conclure que l’agrandissement sera substantiel par la réunion des deux logements et que la réglementation municipale permet de réduire l’offre de logements dans un même immeuble.

[39]     De plus, la locatrice a établi qu’elle a l’intention de procéder à l’agrandissement annoncé, car il s’agit du seul moyen à sa disposition pour maximiser les revenus locatifs pour le 3e étage.

[40]     De plus, elle a démontré les coûts et sa capacité financière de réaliser les travaux annoncés.

[41]     Il se dégage de l’ensemble de la preuve que la locatrice est motivée par des considérations d’ordre purement économique, ce qui ne contrevient pas à la loi.

[42]     Comme le souligne le juge administratif Marc Landry dans l’affaire Surprenant c. Jacques[5], « La loi actuelle le permet. Il faudrait un changement législatif pour qu’il en soit autrement. ».

[43]     Plus récemment, la juge administrative Francine Jodoin s’exprimait ainsi dans le cadre d’une opposition à un agrandissement substantiel :

« [88] Dans le présent dossier, la preuve soumise ne révèle, actuellement, aucun fait probant, aucune circonstance ou aucun élément qui justifieraient qu'on puisse conclure qu'en procédant à l'éviction pour agrandissement, la locatrice recherche autre chose que la valorisation de son investissement.

[89] Le projet est annoncé depuis plusieurs années. L'an dernier, la locatrice avait déjà réussi à convaincre le Tribunal de la légalité du projet et sa faisabilité sauf pour l'aspect financier.

[90] Le Tribunal comprend la déception de la locataire et son émotion à l'idée de devoir quitter un logement qu'elle habite depuis plusieurs années et qu'elle apprécie. En revanche, il va de soi que le Tribunal ne peut faire droit à l'opposition pour le seul motif que la locataire subira les conséquences fâcheuses de l'exercice du recours en éviction pour agrandissement substantiel.

[91] En l'occurrence, ce n'est pas l'exercice du recours qui est excessif ou déraisonnable (article 6 et 7 du Code civil du Québec), ce sont plutôt les conséquences pour la locataire.

[92] Comme le soulignent les auteurs, Jean-Louis Baudouin et Pierre Deslauriers :

« Ainsi, selon nous, celui qui utilise les recours que la loi met à sa disposition, dans un but strictement et exclusivement égoïste, mais de bonne foi et non témérairement, ne peut être tenu responsable des conséquences fâcheuses de son acte pour son adversaire(11). »

[44]     En appliquant les principes énoncés plus haut aux faits du litige, le Tribunal conclut que la locatrice a démontré, suivant la prépondérance de la preuve, qu’elle concrétisera son projet d’agrandissement.

[45]     Malgré la sympathie qu'éprouve le Tribunal à l'endroit du locataire, il doit juger la demande à la lumière du droit et de la preuve.

[46]     Le Tribunal fait siens les propos de Madame la Juge L'Heureux-Dubé dans Lapointe c. Hôpital Le Gardeur :

« Guidée seulement par la sympathie, ma tâche aurait été beaucoup plus facile. Toutefois, en tant que juge, je dois appliquer les règles de droit et la sympathie est un mauvais guide dans ces circonstances. Justice doit être rendue conformément aux règles de droit et justice doit être rendue à l'égard des deux parties à un litige, tant les demandeurs que les défendeurs ».[6]

[47]     Il y a donc lieu de rejeter l'opposition du locataire. 

[48]     À titre d'information et comme mentionné à l'audience, l'article 1968 C.c.Q. prévoit qu'un locataire peut recouvrer des dommages-intérêts et même des dommages punitifs si l'éviction de la locataire est obtenue de mauvaise foi.

[49]     De plus, l'article 1970 C.c.Q. précise qu'un logement qui fait l'objet d'une éviction ne peut, sans l'autorisation du Tribunal, être reloué ou utilisé pour une autre fin que celle pour laquelle le droit a été exercé. 

[50]     L'indemnité et les conditions justes et raisonnables

[51]     En matière d'éviction, le législateur a prévu, par le biais de l'article 1965 C.c.Q., l'indemnité que peut accorder le Tribunal, lequel prévoit : 

« 1965. Le locateur doit payer au locataire évincé une indemnité de trois mois de loyer et des frais raisonnables de déménagement. Si le locataire considère que le préjudice qu'il subit justifie des dommages-intérêts plus élevés, il peut s'adresser au tribunal pour en faire fixer le montant.

L'indemnité est payable à l'expiration du bail et les frais de déménagement le sont, sur présentation de pièces justificatives. »


[52]     La locatrice devra donc payer trois mois de loyer au locataire, soit 1 155 $ et rembourser les frais de déménagement raisonnables sur présentation de pièces justificatives.

[53]     De plus, dans le cadre d'une éviction, le Tribunal peut imposer des conditions justes et raisonnables, selon l'article 1967 C.c.Q. 

[54]     En l’espèce, Monsieur Courchesne n’a pas démontré d’ouverture à reporter la date de l’éviction puisque son entrepreneur a réservé son agenda à cette date pour l’exécution des travaux.

[55]     Cependant, force est de constater qu’une grande partie des travaux de rénovation ont déjà été réalisés dans l’immeuble puisque la locatrice n’a pas rencontré beaucoup d’opposition de la part des autres locataires. La rentabilité recherchée de son investissement a donc déjà débuté selon la preuve présentée. De plus, le logement #6 sera libre prochainement, ce qui permettra d’entamer les travaux du 3e étage.

[56]     Ainsi, dans les circonstances, le Tribunal estime raisonnable de reporter la date de l'éviction au 1er septembre 2024 afin que le locataire puisse se reloger compte tenu des enjeux actuels en matière de logement[7].

[57]     Cependant, le locataire sera autorisé à quitter le logement avant cette date, moyennant un préavis écrit de sept (7) jours à cet effet, s'il trouve un logement avant le 1er septembre 2024. Le locataire sera alors dispensé de payer le loyer à compter de son départ, au prorata des jours restant à courir.

[58]     Le locataire est aussi autorisé à déduire le montant de cette indemnité sur les derniers loyers exigibles.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]     REJETTE l'opposition du locataire;

[60]     PROROGE le bail jusqu'au 1er septembre 2024;

[61]     CONDAMNE la locatrice à verser au locataire une indemnité équivalente à trois mois de loyers, soit 1 155 $;

[62]     PERMET au locataire de compenser cette somme à même les derniers mois de loyer;

[63]     DÉCLARE que la locatrice doit assumer les frais raisonnables de déménagement du locataire, payables sur présentation des pièces justificatives;

[64]     AUTORISE et ORDONNE l'éviction du locataire et de tous les occupants pour l'agrandissement du logement concerné au plus tard le 1er septembre 2024; 

[65]     RÉSERVE au locataire tous ses droits et recours en vertu de l'article 1965 C.c.Q. 

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

le locataire

le mandataire de la locatrice

Date de l’audience : 

16 avril 2024

 

 

 


 


[1] 2020 QCRDL 11003 (CanLII).

[2] Le louage, 2e Édition, Les Éditions Yvon Blais inc., p. 583.

[3] 2016 QCRDL 17286.

[4] Khan c. Topo Immobilier, 2018 QCRDL 12489.

[5] 2023 QCTAL 15729.

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