Décision

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2774577 Canada inc. (9278-3455 Québec inc.) c. Agence du revenu du Québec

2015 QCCA 1398

 

COUR D’APPEL

 

 

 

 

 

CANADA

 

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-09-023498-132

 

 

(500-80-008835-077)

 

 

 

 

 

DATE :

 3 septembre 2015

 

 

 

 

 

 

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

2774577 CANADA INC. (récemment fusionnée avec T. Lauzon ltée et faisant désormais affaires sous la raison sociale de 9278-3455 Québec inc.)

 

 

APPELANTE - Demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

 

 

 

L’AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

 

 

INTIMÉE - Défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 12 mars 2013 par la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Jean-F. Keable), qui a rejeté son appel d’une décision sur opposition confirmant un avis de cotisation.

[2]           Pour les motifs ci-joints du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Kasirer et Vauclair, LA COUR :


 

[3]           REJETTE l’appel avec dépens.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me Marc-André Côté

Bélanger Longtin

Me Michel Beauchamp

Avocat conseil

Pour l'appelante

 

Me Jean Duval et Me Brigitte Landry

Revenu Québec

Larivière Meunier

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

29 octobre 2014



 

 

MOTIFS DU JUGE MORISSETTE

 

 

[4]           Cet appel soulève des questions de droit fiscal relatives à l’application de la Loi sur la taxe de vente du Québec[1] (la « LTVQ »).

[5]           L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Jean-F. Keable), qui a rejeté le 12 mars 2013 son appel d’une décision sur opposition confirmant un avis de cotisation.

[6]           Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que, de nouveau, il y a lieu de rejeter l’appel, avec dépens.

I.  Aperçu des principaux faits

[7]           Le litige tire son origine de circonstances qui, pour la plupart, sont admises de part et d’autre ou ne sont pas contestées. Le juge de première instance relate les faits pertinents aux paragraphes [4] à [17] de ses motifs. Je me contenterai donc pour le moment d’en donner une description succincte afin de situer le litige dans son cadre général, mais j’y reviendrai plus loin, selon les besoins de la démonstration qui suit.

[8]           Au cours de la période où s’inscrit le litige, l’appelante exploitait une entreprise d’abatage de volailles qui traitait quelque 450 000 têtes par semaine. Pour la capture, la mise en cage et le transport de ces volailles, depuis les poulaillers jusqu’à l’abattoir, elle avait recours à un intermédiaire, Yves Sarrazin, qui lui désignait divers sous-traitants. Parmi eux se trouvait un « attrapeur[2] de poulets » du nom de Jean-Guy Fontaine (« Fontaine »). Celui-ci employait six hommes de métier pour effectuer un travail qui, annuellement, coûtait plusieurs centaines de milliers de dollars à l’appelante.

[9]           Les services de M. Fontaine étaient rémunérés selon une formule consacrée, en fonction du nombre de kilos de poulet livrés à l’abattoir. À cette fin, après réception et analyse des arrivages, le directeur des approvisionnements de l’appelante faisait dresser chaque semaine un bon d’achat pour des sommes dont la plupart oscillaient entre 15 000 $ et 18 000 $[3]. L’appelante tirait ensuite un chèque au nom de M. Fontaine pour le montant ainsi établi. D’avril 2002 jusqu’au mois de mai 2006, période que visera l’avis de cotisation de l’intimée, l’appelante réclama et obtint de cette dernière divers remboursements de la taxe sur les intrants (« RTI ») en raison des services que lui avait fournis M. Fontaine ainsi que de la rémunération, taxes comprises, qu’elle lui avait versée.

[10]        Afin de se faire rembourser, l’appelante remplissait les formulaires prévus par la règlementation applicable, au premier chef de laquelle figure le Règlement sur la taxe de vente du Québec[4] (le « Règlement »). Conformément à ce règlement, l’appelante devait fournir divers renseignements et pièces justificatives, y compris « le numéro d’inscription attribué au fournisseur… conformément à l’article 415 de la [LTVQ] ». Et pour ce faire, pendant toute la période pertinente, l’appelante inscrivait dans ses demandes de remboursement le numéro 1017109681 TQ 0001. En effet, le 28 février 1999, M. Fontaine lui avait communiqué ce numéro comme étant le sien, par télécopieur, alors qu’elle commençait à utiliser ses services.

[11]        Or, en raison d’une vérification fiscale effectuée en 2006, l’intimée en vint à la conclusion que le numéro en question ne permettait pas, pendant la période faisant l’objet de la vérification, de réclamer des RTI. Qui plus est, les faits suivants, que le juge relate dans ses motifs, ressortent aussi du dossier :

[17]      Le 2 novembre 2006, Mme Demelo [la vérificatrice de l’Agence] recueille une déclaration de M. Fontaine dans laquelle il reconnaît ne pas avoir déclaré « aux impôts et taxes » ses revenus de « poigneurs de poulets ».  Quelques jours plus tard, le 17 novembre 2006, M. Fontaine fait cession de ses biens.  Pour la période de 1995 à 2005 ou 2006, les preuves de réclamations déposées au syndic sont de 1 041 497,16 $ selon la Loi sur la taxe d'accise, de 1 665 787,23 $ selon la LTVQ, et de 3 889 314,71 $ selon la Loi sur les impôts.[5]  Sans surprise, les autorités fiscales n'obtiennent aucun dividende avant ou après le décès de M. Fontaine qui survient en novembre 2007

Avant même la faillite de M. Fontaine, l’intimée transmettait à l’appelante un avis de cotisation du 19 juillet 2006 par lequel elle lui réclamait les RTI encaissés entre le 21 avril 2002 et le 30 avril 2006. La somme réclamée, intérêts compris, était de 234 622,56 $, à partir de RTI qui totalisaient 193 657,49 $.

II  Jugement entrepris

[12]        Le juge de première instance entame son analyse en rappelant avec raison que la présomption de validité des cotisations doit recevoir application en l’occurrence. Cette présomption se retrouve à l’article 1014 de la Loi sur les impôts[6] (la « LSI »), qui énonce ce qui suit  dans sa partie pertinente :

1014. Sous réserve des modifications ou de l'annulation résultant d'une opposition, d'un appel ou d'un appel sommaire et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée valide et tenante nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission qui s'y trouve ou qui se trouve dans toute procédure s'y rattachant.

1014. An assessment shall, subject to being varied or vacated on an objection, appeal or summary appeal and subject to a reassessment, be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding relating thereto.

Selon la jurisprudence, un contribuable peut réfuter cette présomption par une preuve prima facie. Cela s’entend d’une preuve d’invalidité qui, lorsqu’elle est administrée, est prépondérante[7] - et donc digne de foi - mais qui peut elle-même être réfutée par une preuve adverse au moins également probante.

[13]        Après avoir cité les dispositions légales et réglementaires qui s’appliquent ici, et avoir souligné la similarité de dispositions parallèles dans les lois et règlements  fédéraux, le juge passe en revue l’évolution de la jurisprudence où sont interprétés les textes en question[8]. Il estime que l’appelante n’a tout simplement pas satisfait aux exigences de la réglementation en ce qu’elle a omis de soumettre avec ses demandes de remboursement un « numéro d’inscription attribué » à M. Fontaine « conformément à l’article 415 de la [LTVQ] ». Je rappelle pour plus de commodité la teneur de ce dernier article, de même que celle d’un article que je citerai en premier, et qui me paraît d’une importance capitale pour la compréhension du régime fiscal qui reçoit ici application :

407. Toute personne qui effectue une fourniture taxable au Québec dans le cadre d'une activité commerciale qu'elle exerce au Québec est tenue d'être inscrite sauf dans le cas où, selon le cas:

 

 1° la personne est un petit fournisseur;

 

 2° la seule activité commerciale de la personne consiste à effectuer la fourniture d'un immeuble par vente, autrement que dans le cadre d'une entreprise;

 

 3° la personne ne réside pas au Québec et n'y exploite pas d'entreprise;

 

 

4° (paragraphe abrogé).

 

407. Every person who makes a taxable supply in Québec in the course of a commercial activity engaged in by the person in Québec is required to be registered, except where

 

 

 (1) the person is a small supplier;

 

 

 (2) the only commercial activity of the person is making supplies of immovables by way of sale otherwise than in the course of a business; or

 

 

(3) the person is not resident in Québec and does not carry on any business in Québec;

 

 

 (4) (paragraph repealed).

 

Le ministre peut inscrire toute personne qui lui présente une demande d'inscription et, à cette fin, le ministre, ou toute personne qu'il autorise, doit lui attribuer un numéro d'inscription et l'aviser par écrit, au moyen d'un certificat d'inscription, de ce numéro ainsi que de la date d'entrée en vigueur de l'inscription.

 

Le certificat d'inscription doit être gardé au principal établissement de son titulaire au Québec et est incessible.

The Minister may register any person applying to be registered and, for that purpose, the Minister, or any person he authorizes, shall assign a registration number to the person and notify the person in writing by way of a registration certificate of the registration number and the effective date of the registration.

 

The registration certificate shall be kept at the principal establishment of its holder in Québec and may not be transferred.

[14]        Enfin, ciblant plus précisément les prétentions de l’avocat de l’appelante, le juge conclut son analyse par le passage suivant (on verra dans les pages qui suivent en quoi les distinctions lexicales que mentionne le juge ont semblé prendre de l’importance dans le débat, en première instance comme en appel) :

[43]      L'avocat de 2774577 cherche à démontrer que le système informatique de validation au fichier de la TVQ réagit différemment selon les numéros inscrits pour obtenir une information, d'où l'importance d'utiliser le mot juste en toute circonstance. À cette fin, il invite le Tribunal à considérer diverses définitions contenues dans des dictionnaires.  Cet exercice n'a aucune signification à l'égard des exigences de l'article 201 de la LTVQ et du Règlement.  D'ailleurs, toutes les définitions consultées nous apprennent tout simplement que le qualificatif le plus souvent utilisé par les représentants de l'Agence, i.e. « numéro pas bon », rejoint les définitions du mot « invalide » (qui n'est pas valable) ou « inactif » (qui n'a pas d'activité ou inopérant)

Aussi conclut-il au rejet de l’appel.

III.  Motifs d’appel soulevés par l’appelante

[15]        Il me paraît opportun, avant d’en évaluer le bien-fondé, de citer textuellement les griefs que formule l’appelante dans son mémoire. Elle insiste d’abord sur le fait qu’elle n’invoquait pas sa seule bonne foi en contestant l’avis de cotisation, mais que des raisons précises et de nature juridique auraient dû convaincre le juge de statuer en sa faveur.

[16]        Puis, l’appelante avance les trois propositions suivantes qu’elle décrit comme « la théorie de l’appelante » (que je cite textuellement) :

a)    le numéro d’inscription fourni à l’intimée par FONTAINE était valide au sens de la LTVQ et du RTVQ [le Règlement] car preuve a été faite qu’il avait été attribué à ce dernier sans qu’il soit démontré que ce numéro a été, postérieurement à son attribution, annulé ou suspendu de quelque façon que ce soit permettant d’affirmer qu’il n’existait pas. La LTVQ et le RTVQ n’exigent pas qu’un acquéreur vérifie la validité d’un numéro d’inscription afin de rendre sa demande de RTI admissible, mais à ce qu’il fournisse à l’intimée le numéro d’inscription attribué à ce dernier.

b)    le fait que le fournisseur soit un délinquant fiscal ne constitue pas un motif de refus des RTI car nulle part, dans la LTVQ ni dans le RTVQ, il n’est requis que le fournisseur déclare la TVQ qu’il a perçue et en fasse remise à l’état pour que des RTI soient admissibles.

c)    l’intimée n’a de créance qu’à l’encontre de FONTAINE et, du fait que ce dernier a fait cession de ses biens, elle ne jouit d’aucun privilège ou droit particulier au regard de cette créance qui lui permette de percevoir directement de l’appelante les sommes que FONTAINE a fait défaut de déclarer et de remettre.

IV.  Fond du pourvoi

[17]        Je commencerai par dire que, d’emblée, le troisième grief de l’appelante m’apparaît hardi au point d’être controuvé. La question ici en cause entre les parties n’a strictement rien à voir avec la faillite de M. Fontaine, ni a fortiori avec le statut dans le dossier de faillite de l’intimée ou le statut, demeuré potentiel, de l’appelante. Il semble certain que l’appelante aurait pu intenter une action contre M. Fontaine dès mai 2006[9] et que, parallèlement ou par la suite, elle aurait pu aussi présenter dans la faillite de ce dernier une réclamation, vraisemblablement de nature chirographaire, pour les RTI que lui réclamait l’intimée. Elle ne l’a pas fait. L’on sait par ailleurs que l’intimée, de son côté, ne s’est pas privée de se manifester dans la faillite puisqu’elle y a déposé une réclamation de 6 596 599,10 $ qui, selon ce que nous savons, ne lui a rien rapporté.

[18]        Bien. Mais quel est le rapport? Juridiquement, il n’y en a aucun. Il s’ensuit que la seule et unique question actuellement en cause est celle de savoir si l’avis de cotisation du 19 juillet 2006 doit être confirmé, ce qu’il sera si l’appelante s’est montrée incapable de réfuter la présomption de l’article 1014 de la LSI - en d’autres termes, l’avis de cotisation doit être considéré comme fondé si à l’origine l’appelante a fait défaut de respecter les exigences de la LTVQ et du Règlement en réclamant les RTI qui lui furent remboursés par l’intimée.

[19]        À cette question, l’appelante voit deux aspects : (i) la preuve de l’inexistence du numéro d’inscription de M. Fontaine n’a pas été faite et (ii) la situation de délinquant fiscal de M. Fontaine ne peut faire obstacle aux réclamations d’intrants de l’appelante qui, après tout, a bel et bien payé ce qui lui est réclamé. Voyons ce qu’il en est.

A. Incidence du numéro d’inscription du fournisseur sur l’avis de cotisation

[20]        En plaidoiries orale et écrite, l’appelante s’arrête sur l’article 1014 de la LSI et sur ce qui peut constituer une réfutation efficace de la présomption de validité d’une cotisation. Il est parfois difficile de comprendre quelle est, précisément, la nature de son grief. Mais je crois que, dès le début de ce litige, et avant qu’une certaine surenchère argumentative ne fasse écran au véritable problème, les parties avaient très bien circonscrit ce sur quoi elles s’opposaient.

[21]        Je reviens d’abord sur le rapport de la vérificatrice Demelo, versé au dossier comme pièce P-16. Voici ce qu’elle écrit (les fautes d’orthographe proviennent de l’original) :

Selon le MRQ, Volaille Grenville n’a pas droit aux CRT/RTI réclamés. Selon l’article 164(4) de la LTA [la Loi sur la taxe d’accise[10]] et 201 de la LTVQ, les documents n’étaient pas conformes.

M. Marcil [vice-président finances et administration du groupe propriétaire de l’appelante] prétend qu’il ne pouvait pas savoir que son fournisseur n’était pas inscrit. Il blâme le MRQ de ne pas surveiller de plus prêt ceux qui soutire des taxes sans être inscrit. M. Marcil dit que c’est la responsabilité du MRQ de récupérer les sommes et que Volaille Grenville est de bonne foi et n’a rien à voir avec ça. Selon lui Volaille Grenville a payé ces factures avec des taxes et est dans son droit de réclamer les CRT/RTI.

Le mandataire nous explique que l’industrie du poulet n’est pas facile. Que les événements de la dernière année ont porté un coup dur à l’industrie de la volaille. Les gens consomment moins de volaille à cause de la grippe aviaire. Les résultats financiers ont été mauvais.

M. Marcil souligne que Volaille Grenville devra prendre des procédures judiciaires contre M. Fontaine et que cela implique des coûts supplémentaires pour la société. Il est d’avis que les sommes ne pourront être récupérée et que la facture ne va que gonfler.

M. Marcil n’a pas pu démontré qu’il a procédé à une validation des numéros. Le MRQ est d’avis que le mandataire n’a pas droit aux CTI/RTI réclamés.

De part et d’autre, telle quelle est décrite ici, la position est limpide.

[22]        Voyons maintenant ce que l’appelante faisait valoir dans son avis d’opposition, produit sous la cote P-2 (et que l’intimée a inclus dans ses annexes, l’appelante ayant été fort sélective dans la confection des siennes). Je cite ce qui suit en précisant que plusieurs faits allégués dans ce passage, même s’ils peuvent sembler plausibles a priori, n’ont pas fait l’objet d’une preuve en bonne et due forme en première instance. L’appelante disait ceci[11] :

L’existence du service de validation internet de Revenu Québec n’a été annoncée aux contribuables que vers la moitié de 2003 dans « NOUVELLES FISCALES (2 et 3e trimestre 2003) ». Donc, ce service n’était pas offert durant toute la période visée par l’avis de cotisation. Le service téléphonique était quant à lui peu utile puisque les temps d’attente prohibitif rendaient son utilisation ponctuelle couteuse. En effet, dans l’optique du vérificateur, la société aurait dû vérifier mensuellement tous les numéros de TVQ de ses fournisseurs. Il y a des limites au temps et aux efforts que Revenu Québec peut exiger de ses mandataires. De plus, les employés de Revenu Québec étaient jusqu’à récemment réticents et même refusaient carrément de fournir de l’information sur le numéro de TVQ d’un tiers.

Ici encore, tout est parfaitement clair.

[23]        Or, que plaide maintenant l’appelante? Il faut d’abord, pour tenter d’y voir clair, revenir sur certains faits qui, selon ma compréhension du dossier, pouvaient tous être tenus pour avérés par le juge de première instance. Les voici :

¾    Le numéro transmis par M. Fontaine à l’appelante le 28 février 1999 est le 1017109681 TQ 0001.

¾    M. Fontaine avait obtenu ce numéro le 26 septembre 1994.

¾    Selon le « Rapport du vérificateur » P-16 rédigé par la vérificatrice Demelo et daté du 4 juillet 2006, « les numéros de taxes de l’inscrit [Fontaine] étaient inactifs depuis janvier 1995 ». Elle ajoute plus loin : « Il s’est inscrit en septembre 1994. En décembre 1994 les numéros ont été annulés. » Mme Demelo a témoigné en ce sens au procès.

¾    Le 26 septembre 2006, soit postérieurement à l’avis de cotisation qui fait l’objet du pourvoi, M. Fontaine a déposé une « Demande d’inscription du particulier en affaires » pour obtenir un numéro d’inscrit. Dans ce document, il décrit son activité principale comme « agent immobilier ». Le numéro qui lui est attribué à cette occasion est le 1017109681 TQ 0002 - identique, par conséquent, à celui obtenu le 26 septembre 1994, sauf pour le tout dernier chiffre.

[24]         Par ailleurs, je rappelle ce qu’écrit le juge de première instance au paragraphe [19] de ses motifs : « Même si l'entreprise reconnaît n'avoir effectué aucune vérification au fichier de la TVQ entre 1999 et 2006, par téléphone, par lettre ou Internet, elle invoque sa bonne foi et son ignorance totale de la délinquance fiscale de M. Fontaine… ». Et de fait, témoignant sur le numéro obtenu de M. Fontaine, le témoin Ghislain Marcil, vice-président finances et administration du groupe autrefois propriétaire de l’appelante, déclare ce qui suit :

Q.

Vous êtes d’accord avec le fait que le numéro de Fontaine était invalide ou inactif?

R.

Inactif oui O.K.

Q.

O.K. Qu’il n’était pas bon. Qu’il n’existait pas. Peu importe le terme là. Vous êtes d’accord avec ça?

R.

Oui O.K. Je suis d’accord avec le fait que oui, il était inactif là.

Q.

O.K. Mais vous n’avez jamais eu d’information contraire à l’effet que le numéro de monsieur Fontaine, il était encore, appelons-le valide, actif, ouvert, bon?

R.

L’information qu’on avait quand on a opéré avec lui, qu’il nous avait fourni la demande, c’est l’information que j’avais.

Q.

O.K. Puis quand vous me répondez ça, vous vous fondez sur la déclaration de février quatre-vingt-dix-neuf (99)?

R.

De février quatre-vingt-dix-neuf (99), oui.

[25]        En première instance, comme devant la Cour d’appel, l’appelante s’est employée à démontrer au moyen de diverses pièces constituées de saisies d’écran que l’information mise à la disposition des utilisateurs de biens et services sur le site internet de l’intimée était contradictoire et de nature à induire en erreur. Elle a ainsi versé au dossier les documents suivants :

 

Cote

 

Page

Numéro

Date de saisie

Commentaires

P-8

 

MI 74

1017109681 TQ 0001

Jean-Guy Fontaine

15 mai 2006

13 h51

 

« Inactif »

P-10

MI 85

1017109681 TQ 0001

Jean-Guy Fontaine succ

31 janvier 2013

14h21

« Inactif

Date d’effet de l’état :

1995-01-01 »

 

P-13

MI 87

1017109681 TQ 0001

Jean-Guy Fontaine succ

 

6 février 2013

7h38

 

« Inactif

Date d’effet de l’état :

1995-01-01 »

 

P-14

MA 96

1017109681 TQ 0003

 

6 février 2013

7h44

 

« Inexistant

P-15

 

MA 97

1117109681 TQ 0001

6 février 2013

Aucune indication d’heure

« Le numéro d’indentification

est invalide. »

 

On notera qu’à l’exception de la pièce P-8, datée de mai 2006, ces autres pièces ont été extraites soit à la veille du procès, soit pendant le procès. On notera aussi que les numéros d’inscrits sur les pièces P-14 et P-15 diffèrent par un chiffre du numéro communiqué à l’appelante le 28 février 1999. Ce numéro, 1017109681 TQ 0001, apparaît par contre sur les pièces P-8, P-10 et P-13. De par sa date, la pièce P-8 est très vraisemblablement celle à partir de laquelle Mme Demelo aura conclu, au printemps 2006, à l’invalidité du numéro transmis à l’appelante le 28 février 1999. Ce qui est certain, selon son témoignage, c’est que l’information était totalement dénuée d’ambiguïté pour elle. De plus, elle a affirmé à la barre qu’elle avait remis la pièce P-8 à M. Marcil lorsqu’elle l’a rencontré pour discuter de l’avis de cotisation, et M. Marcil lui-même, lors de sa déposition, a déclaré au sujet  de la pièce P-8 : « … je crois que c’est madame Demelo qui me l’avait produit. »

[26]        Que conclure de ce qui précède? Tout d’abord, que les éléments d’information épars apportés par l’appelante ne sauraient constituer une preuve prima facie[12] de l’invalidité de l’avis de cotisation. S’interrogeant sur le sens des questions que l’avocat de l’appelante posait au témoin Gélinas, cité par lui, le juge demande : « Y a-t-il une destination à votre navire? » À la lecture des dépositions, on comprend la préoccupation du juge.

[27]        Il faut conclure ensuite que tout ce débat est oiseux, pour une raison fort simple : même si l’on devait supposer que l’information mise à la disposition du public par l’intimée est susceptible de l’induire en erreur, ce que je ne suis pas prêt à conclure pour la raison que j’expliciterai plus loin, cela n’aurait ici aucune importance puisque dans le cas de l’appelante il ne peut s’agir que d’une circonstance non-causale. Cette dernière, je le répète, n’a fait aucune vérification externe du numéro d’un fournisseur qui, annuellement et selon le témoignage de M. Marcil, l’amenait à dépenser entre 500 000 $ et 600 000 $ (sinon plus, si l’on regarde les chiffres de près).

[28]        En outre, les dépositions des témoins Demelo (la vérificatrice) et Gélinas (un gestionnaire à l’emploi de l’intimée), ainsi que la preuve documentaire au dossier (dont les pièces P-10 et P-13), fournissaient une assise amplement suffisante pour fonder la principale conclusion du juge de première instance. Il la formulait en ces termes : « Le Tribunal est d'avis que le fondement de l'avis de cotisation est la conformité ou non des actes ou omissions de 2774577 aux exigences de l'article 201 de la LTVQ, complété par le Règlement. » En ayant omis de fournir un « numéro d’inscription attribué au fournisseur », elle s’exposait à la réclamation qui fait l’objet de l’avis de cotisation, une conclusion conforme à la jurisprudence que reprend le juge de première instance.

B. Incidence du statut de délinquant fiscal du fournisseur sur l’avis de cotisation

[29]        L’appelante soutient également que le défaut par M. Fontaine de remettre à l’intimée les taxes qu’il avait perçues ne constitue pas une raison de lui refuser les RTI (ou d’exiger de sa part leur restitution si, comme c’est ici le cas, le remboursement avait déjà eu lieu). Cette façon de poser le problème en fausse la nature. Entre l’appelante et l’intimée, le comportement fiscal de M. Fontaine peut être qualifié de res inter alios acta. L’appelante se voit contrainte de restituer ce qui lui avait été remboursé, indépendamment des faits et gestes de M. Fontaine, parce qu’elle ne s’est pas conformée aux exigences strictes de la LTVQ et du Règlement.

[30]        En réalité, la position prise ici par l’appelante déborde le cadre proprement juridique du rapport qu’elle entretenait avec l’intimée.

[31]        Si l’appelante avait réellement été induite en erreur par les renseignements mis en circulation par l’intimée, il tombe sous le sens que ce facteur aurait pesé lourd dans la résolution du contentieux qui oppose les parties. Mais encore faudrait-il évaluer la situation du point de vue d’une personne raisonnable. Or, je ne crois pas qu’une telle personne, découvrant qu’un numéro d’inscrit est « inactif », ou « inexistant », ou « invalide », s’estimerait fondée d’agir, sans autre forme de vérification, comme si le numéro en question était décrit comme « actif », ou « existant », ou « valide ». Les mots ont un sens, même en droit fiscal. Et de toute manière, comme je viens de l’expliquer, ce n’est pas la situation qui s’est matérialisée ici.

[32]        En témoignant au procès, la vérificatrice, Mme Demelo, a émis un commentaire qui mérite d’être souligné. Lors de sa rencontre avec M. Marcil, elle lui a remis une documentation dont elle résume le contenu en ces termes :

Et là-dedans, on explique aussi que c’est opportun pour les entreprises de peut - être mettre en place un processus. Sans dire on valide tous les fournisseurs à chaque fois qu’ils nous envoient une facture, parce que ça serait trop ardu de toute façon.

Il tombe également sous le sens que l’intimée, un service public, a l’obligation de mettre en place un système efficace et d’accès facile afin de rendre largement disponibles les renseignements qui sont exigés des contribuables lorsqu’ils réclament un remboursement en vertu de la LTVQ et du Règlement. Et il est tout aussi certain que se camper dans une attitude soupçonneuse ou chicanière de fermier général n’est de nature ni à promouvoir ni à entretenir l’honnêteté ou la loyauté du plus grand nombre des contribuables, conditions pourtant essentielles au bon fonctionnement d’un système fiscal reposant sur l’autocotisation. Mais le dossier tel qu’il est constitué ne permet pas d’en dire plus sur cet aspect des choses.

V.  Conclusion

[33]        Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel, avec dépens.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 



[1]     L.R.Q., c. T-0.1.

[2]     L’expression locale consacrée est, semble-t-il, « poigneur de poulets ».

[3]     Ainsi, et à titre d’exemple, le dossier fait voir que, pour la semaine du 5 au 11 mars 2006, M. Fontaine avait livré 408 362 kilos utilisables, rémunérés à 0,0375 $ le kilo, soit 15 313,58 $, montant auquel s’ajoutaient la taxe sur les produits et services de 7 % et la taxe de vente du Québec de 7,5%, pour un total de 17 614,44 $.

[4]     RLRQ, c. T-0.1, r. 2.

[5]     P-3.

[6]     L.R.Q., c. I-3, partie 6.

[7]     En ce sens que, même en l’absence de toute preuve en défense, la preuve en demande doit établir que l’existence du fondement de la demande est plus probable que son inexistence pour qu’il soit fait droit à la demande : art. 2804 C.c.Q.

[8]     Alexander Nix Group Inc. c. La Reine, 2002 CanLII 1024 (C.c.i.), Helsi Construction c. La Reine, 2001 CanLII 507 (C.c.i.), Tremblay c. La Reine, 2001 CanLII 52 (C.c.i.), Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397, Key Property Management Corp c. La Reine, 2004 CCI 210, Davis c.. La Reine, 2004 CCI 662, Systematix technology consultants inc. c. Canada, 2007 CAF 226, Comtronic Computer Inc. c. La Reine, 2010 CCI 55, Présentoir Filotech Inc. c. La Reine, dossier n°2010-1583 (GST)I et Modes Crystal inc. c. La Reine, 2013 CCI 33.

[9]     La vérificatrice mandatée par l’intimée avait pris un premier contact avec l’appelante en février 2006 et il appert qu’au mois de mai suivant l’appelante était bien au fait des agissements de M. Fontaine.

[10]    L.R.C. 1085, c. E-15.

[11]    Elle disait aussi beaucoup d’autres choses mais je m’efforce de m’en tenir à l’essentiel, en ayant à l’esprit les prétentions des parties en appel.

[12]    Voir supra, note 7.

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