Intact Compagnie d'assurance c. Lavoie | 2024 QCCA 427 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(200-06-000241-193) | |||||
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DATE : | 11 avril 2024 | ||||
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INTACT COMPAGNIE D’ASSURANCE | |||||
APPELANTE – intimée | |||||
c. | |||||
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RÉAL LAVOIE | |||||
INTIMÉ – défendeur-requérant | |||||
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et | |||||
PASCAL PERRON | |||||
MIS EN CAUSE – demandeur | |||||
et | |||||
FONDATION MARIE-JEUNESSE INC. | |||||
MAISONS FMJ | |||||
LA CORPORATION ARCHIÉPISCOPALE CATHOLIQUE ROMAINE DE SHERBROOKE | |||||
MISES EN CAUSE – défenderesses | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 16 mai 2023, puis rectifié le 6 juin 2023, par l’honorable Claudia P. Prémont de la Cour supérieure, district de Québec, lequel accueille en partie la demande en cours d’instance de l’intimé et ordonne à l’appelante, à titre d’assureur responsabilité, de prendre fait et cause pour l’intimé et d’assurer sa défense dans le cadre d’une action collective[1].
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[2] ACCUEILLE l’appel;
[3] infirme le jugement en cours d’instance prononcé le 16 mai 2023, puis rectifié le 6 juin 2023, par l’honorable Claudia P. Prémont de la Cour supérieure dans le dossier 200‑06‑000241‑193;
[4] REJETTE la Demande de type Wellington afin de forcer les intimées à assumer la défense conjointement du défendeur/requérant M. Réal Lavoie, datée du 7 juin 2022;
[5] déclare sans objet la Requête pour permission de produire des annexes additionnelles et en radiation d’allégations de l’exposé de l’intimé datée du 14 novembre 2023;
[6] LE TOUT, avec frais de justice.
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. | |
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Me Vincent Lemay | ||
Me Jean-François Pichette | ||
WEIDENBACH, LEDUC | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Pierre-Alexandre Fortin | ||
TREMBLAY, BOIS | ||
Pour l’intimé | ||
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Me Carole Samuel (absent) | ||
Me Jean-François Landry (absent) | ||
LANGLOIS AVOCATS | ||
Pour la mise en cause Corporation archiépiscopale catholique romaine de Sherbrooke | ||
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Date d’audience : | 7 février 2024 | |
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MOTIFS DE LA JUGE COTNAM |
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LE CONTEXTE
[7] Il n’est pas nécessaire de s’attarder longuement sur les faits à l’origine du litige.
[8] Il suffit de mentionner que l’intimé, Réal Lavoie, est le fondateur d’une organisation religieuse connue sous la dénomination « Famille Marie-Jeunesse » ou « FMJ ». Dans le cadre d’une action collective, d’anciens membres de la communauté allèguent avoir été victimes d’abus physiques, psychologiques et spirituels aux mains de cette organisation et de ses dirigeants à la suite d’une dérive sectaire. Les faits reprochés s’étendent sur plus de 40 ans.
[9] Au cours de cette période, la responsabilité civile des personnes morales impliquées de même que celle de leurs dirigeants et préposés était couverte par diverses polices d’assurance qui furent émises par une succession d’assureurs. Certains d’entre eux ont pris fait et cause pour les personnes morales qu’ils assuraient ainsi que pour l’intimé à titre d’assuré innomé. La défense de ce dernier fut dès lors assurée par le cabinet Tremblay Bois Avocats (« TBA »), et ce, aux frais des assureurs ayant reconnu leur obligation de le défendre (« Assureurs »).
[10] Pour sa part, l’appelante nie couverture et refuse de prendre fait et cause pour l’intimé. Elle estime que la réclamation n’est pas couverte sous sa police, car les faits qui lui sont reprochés seraient visés par l’exclusion concernant les fautes intentionnelles. Elle a cependant reconnu qu’elle demeurait tenue de défendre les personnes morales ayant souscrit les polices d’assurance responsabilité en cause.
[11] C’est dans ce contexte que, le 28 février 2022, TBA transmet à l’appelante une lettre lui enjoignant d’exécuter son obligation de défendre l’intimé. Cette mise en demeure précise toutefois :
Nous défendons les intérêts de M. Réal Lavoie, défendeur dans le dossier mentionné en objet, et sommes mandatés par les assureurs responsabilité Lloyd’s Underwriters, L’Assurance Mutuelle en Église et La Compagnie d’assurance Saint‑Paul & Travelers. Ces trois assureurs nous confient la mission de vous acheminer la présente lettre de mise en demeure.
[12] Le 7 juin 2022, TBA dépose une demande en cours d’instance « de type Wellington » contre l’appelante et d’autres assureurs. Un désistement interviendra toutefois à l’égard de ces derniers, de sorte que l’appelante fait ici cavalier seul en refusant de défendre l’intimé.
[13] L’appelante conteste cette demande. Elle estime qu’elle est irrecevable, car aucune déclaration sous serment de l’intimé n’en étaye les fondements. Elle ajoute que ce dernier ne possède pas l’intérêt juridique requis pour présenter une demande de type Wellington. Sur le fond, elle plaide qu’elle ne saurait être tenue de défendre l’intimé, car les gestes qui lui sont reprochés sont de la nature d’une faute intentionnelle, laquelle est exclue dans la police d’Intact. Subsidiairement, elle suggère au tribunal de déroger au principe de l’unicité de représentation afin de lui permettre de retenir les services de l’avocat de son choix pour défendre l’intimé. Elle fait valoir que cela s’impose puisque TBA se serait placé en situation de conflit d’intérêts.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[14] Pour l’essentiel, l’appelante plaide de novo et présente à la Cour les arguments qu’elle a fait valoir en première instance. Afin d’éviter toute répétition, les motifs du jugement seront donc examinés plus en détail lors de l’analyse des divers moyens d’appel. Il suffit à ce stade de mentionner que la juge rejette partiellement le moyen d’irrecevabilité fondé sur l’absence de déclaration sous serment et conclut que l’intimé possède l’intérêt juridique requis pour présenter la demande Wellington.
[15] Quant à l’obligation de défendre, elle considère qu’il est possible que les allégations exposées au soutien de la demande introductive d’instance donnent lieu à une réclamation couverte par la police d’assurance de l’appelante, ce qui est suffisant pour déclencher son obligation de défendre l’intimé. La défense de ce dernier étant déjà assurée par TBA, elle ne voit aucune raison de faire exception au principe de l’unicité de représentation, d’autant qu’elle écarte la prétention voulant que les procureurs actuels de l’intimé se soient placés en situation de conflit d’intérêts en le représentant aux fins de sa demande de type Wellington.
LES MOYENS D’APPEL
[16] Dans un premier temps, l’appelante soulève deux moyens d’appel « préliminaires » se rapportant à des questions d’ordre procédural :
1- Le tribunal a-t-il erré en accueillant la demande en cours d’instance alors qu’elle n’était pas appuyée d’une déclaration sous serment?
2- Le tribunal a-t-il erré en concluant que l’intimé avait l’intérêt juridique requis?
[17] Elle ajoute, dans un second temps, trois moyens d’appels dits subsidiaires :
3- Le tribunal a-t-il erré en concluant qu’il était possible que les allégations de la demande soient couvertes par les polices émises par l’appelante?
4- Le tribunal a-t-il erré en ordonnant à l’appelante de retenir les services du cabinet TBA?
5- Le tribunal a-t-il erré en concluant que les avocats de TBA n’étaient pas en conflit d’intérêts?
[18] La Cour est également saisie d’une requête pour permission de produire des annexes additionnelles et en radiation de certains paragraphes de l’exposé de l’intimé dont l’objectif est de répondre et de faire radier des affirmations qui s’avéreraient inexactes[2].
L’ANALYSE
1- Le tribunal a-t-il erré en accueillant la demande en cours d’instance alors qu’elle n’était pas appuyée d’une déclaration sous serment?
[19] L’appelante soutient que la juge de première instance aurait dû rejeter la demande de type Wellington puisqu’elle n’était accompagnée d’aucune déclaration sous serment attestant la véracité des faits allégués dont la preuve n’était pas au dossier.
[20] La juge ne commet aucune erreur révisable lorsqu’elle estime être en mesure de trancher la demande de type Wellington malgré l’absence d’une déclaration sous serment. Le troisième alinéa de l’article 110 C.p.c exige le dépôt d’une telle déclaration uniquement lorsque la demande « repose sur des faits dont la preuve n’est pas au dossier ». Or, les polices d’assurance invoquées par l’intimé, lesquelles furent émises par l’appelante et couvraient FMJ pendant l’une des périodes visées par l’action collective, étaient déjà au dossier.
[21] Dans la mesure où l’examen d’une demande de type Wellington exige simplement que le tribunal détermine « s’il est possible », en tenant pour avérées les allégations de la demande introductive d’instance, que la réclamation soit couverte par la police d’assurance invoquée, la juge disposait de toute la preuve nécessaire pour trancher la question. La demande de type Wellington n’était donc pas irrecevable du seul fait qu’elle n’était appuyée d’aucune déclaration sous serment.
[22] La juge a cependant eu raison de conclure que l’absence d’une déclaration sous serment et des pièces pertinentes l’empêchait, si tant est qu’elle devait le faire, de se prononcer quant au partage des frais de défense entre les assureurs.
[23] Ce premier moyen d’appel doit donc échouer.
2- Le tribunal a-t-il erré en concluant que l’intimé avait l’intérêt juridique requis?
[24] Pour l’essentiel, l’appelante soutient que l’intimé plaide pour autrui, c’est‑à‑dire les Assureurs, lorsqu’il dépose sa demande de type Wellington. Puisque sa défense est déjà assurée par ces derniers, il n’aurait aucun intérêt à demander, par le biais de ce recours, l’exécution en nature d’une obligation déjà entièrement exécutée par des tiers.
[25] Le dossier tel que constitué ne fait voir aucune réserve exprimée par les Assureurs quant à leur obligation de défendre. Au surplus, rien n’indique que l’intimé assume personnellement quelques frais de défense que ce soit.
[26] Bien au contraire, l’intimé reconnaît ce qui suit à même sa demande de type Wellington :
2. Les assureurs responsabilité Mutuelle en Église, Souscripteurs du Lloyd’s et Travelers/St‑Paul, sont des assureurs responsabilité qui défendent monsieur Réal Lavoie, en mandatant comme procureurs Tremblay Bois Mignault Lemay;
[…]
28. La nature des exemples mentionnés dans la Demande démontre des fautes simples au sens du Code civil et des polices d’assurance, ce qui explique pourquoi trois des assureurs au risque acceptent de défendre M. Lavoie;
[…]
38. Or, la défense de monsieur Lavoie dans le présent dossier n’exigera aucun effort supplémentaire de la part des Intimées, si ce n’est que de partager à parts égales les frais de défense du défendeur Lavoie avec les assureurs responsabilité Mutuelle en Église, Souscripteur du Lloyd’s et Traveler St-Paul.
39. Par conséquent, la position des Intimées n’est pas justifiée et aurait l’effet injuste et disproportionné de forcer les assureurs sur quelques années sur le risque de défendre l’entièreté des années visées par la Demande;
[Transcription textuelle; soulignements ajoutés]
[27] La question dont cette Cour est désormais saisie est donc la suivante : l’intimé, dont la défense est entièrement assumée par certains assureurs, possède-t-il l’intérêt juridique requis pour présenter une demande de type Wellington afin de forcer l’appelante à le défendre et à partager les frais de cette défense avec ces autres assureurs?
[28] Le Code de procédure civile exige, comme condition essentielle à toute demande en justice, que le demandeur démontre qu’il dispose d’un intérêt suffisant pour agir :
85. La personne qui forme une demande en justice doit y avoir un intérêt suffisant. | 85. To bring a judicial application, a person must have a sufficient interest. |
L’intérêt du demandeur qui entend soulever une question d’intérêt public s’apprécie en tenant compte de son intérêt véritable, de l’existence d’une question sérieuse qui puisse être valablement résolue par le tribunal et de l’absence d’un autre moyen efficace de saisir celui-ci de la question. | The interest of a plaintiff who intends to raise a public interest issue is assessed on the basis of whether the interest is genuine, whether the issue is a serious one that can be validly resolved by the court and whether there is no other effective way to bring the issue before the court. |
[29] Il appartient donc au demandeur d’établir la suffisance de son intérêt juridique, et ce, en référant à des éléments précis qu’il allègue dans sa demande. L’absence d’une telle preuve peut d’ailleurs justifier le rejet de son recours[3].
[30] La jurisprudence reconnaît que cet intérêt pour agir « doit être direct et personnel et ne peut, à moins d’une exception en droit, être fondé sur le droit d’action d’une autre partie »[4]. En l’espèce, il convient donc de s’interroger quant à l’avantage que l’intimé peut espérer retirer de sa demande de type Wellington si le tribunal y fait droit[5].
[31] La réponse à cette question exige de faire un bref retour sur les prémisses qui sous-tendent ce véhicule procédural et la décision éponyme qui en aura jeté les fondations, soit l’arrêt Compagnie d’assurance Wellington c. M.E.C. technologie inc. (« Wellington »)[6]. Prenant appui sur les dispositions de l’article 1590 C.c.Q., la raison d’être de ce recours est de permettre à l’assuré poursuivi en responsabilité civile de forcer l’exécution en nature de l’obligation de défendre de son assureur. À ce sujet, la Cour indique ce qui suit :
Cette obligation de faire, dont l’assureur est débiteur envers son assuré qui a payé des primes d’assurance à cette fin, existe dès lors que la police d’assurance paraît couvrir le dommage et que les allégations de la demande principale semblent viser un cas prévu par la police. Cela ressort clairement des enseignements de la Cour suprême qui affirme que l’obligation de défendre existe dès lors que « les actes de procédure portent sur des réclamations qui seraient payables en vertu de la clause d’indemnisation du contrat d’assurance » et que « la seule possibilité qu’une réclamation relevant de la police puisse être accueillie suffit »
[…]
Or, à mon avis, l’existence même de l’obligation de défendre suppose que son bénéficiaire puisse exiger son exécution en nature; sinon elle n’aurait aucune valeur. […][7]
[Renvois omis]
[32] Dans un arrêt subséquent, la Cour a également précisé que cette obligation :
[…] impose à l’assureur la prise en charge, en temps opportun, de la défense de la personne assurée. Il s’agit pour l’assureur de comparaître pour cette personne et d’assumer les frais et les coûts afférents à sa défense. Les avocats de l’assureur agissent alors pour le compte de la personne assurée et en son nom, dans son seul intérêt et en toute loyauté.[8]
[33] L’objectif de la demande de type Wellington est donc d’éviter que l’assuré, qui a le droit d’être défendu, soit contraint de « débourser immédiatement les frais de défense et à attendre un remboursement ultérieur de l’assureur »[9]. Une telle situation étant de nature à placer l’assuré dans une situation de précarité contre laquelle il cherchait justement à se prémunir en souscrivant un contrat d’assurance responsabilité.
[34] Sous réserve de rares exceptions, l’assureur forcé d’assumer la défense de son assuré conserve le droit de choisir l’avocat qui agira en défense pour le compte de l’assuré et de lui donner des instructions sur la conduite du dossier. Cet avocat « devient, à la demande d’un assureur responsabilité, le procureur ad litem d’un assuré, […] devient, à tous égards, l’avocat de ce dernier. Il lui doit une loyauté absolue »[10].
[35] La question de l’obligation de défendre peut s’avérer plus complexe lorsque les faits reprochés à l’assuré sont susceptibles de déclencher simultanément ou successivement plusieurs polices d’assurance émises par divers assureurs, que ce soit en raison de la période couverte ou de la nature même des polices souscrites. L’assuré pourrait, en raison de cette multiplicité d’assurances, se retrouver dans une situation où il serait défendu uniquement pour une partie de la réclamation et serait, du même coup, contraint d’assumer partiellement ses frais de défense. Dans une telle circonstance, il conserverait alors l’intérêt juridique nécessaire pour présenter une demande de type Wellington à l’encontre des assureurs susceptibles de couvrir cette portion des frais de défense.
[36] La situation se présente ici fort différemment puisque la défense de l’intimé est entièrement assumée par les Assureurs. Du moins, rien n’indique le contraire. En réalité, ces derniers tentent, par le biais de l’intimé et l’entremise de l’avocat mandaté à leurs frais pour le représenter, de forcer l’appelante à participer à l’effort de défense.
[37] Les conclusions de la demande de type Wellington ne laissent place à aucun doute quant à l’objectif poursuivi par cette procédure :
ORDONNER [à l’appelante] de prendre fait et cause pour le défendeur Réal Lavoie et d’assumer sa défense dans le cadre du présent dossier judiciaire;
ORDONNER [à l’appelante] de communiquer [les] polices d’assurance applicables aux conditions particulières et aux termes visés par la demande introductive d’instance;
CONFIRMER que [l’appelante doit] requérir aux services des procureurs mandatés actuellement pour défendre monsieur Lavoie;
CONDAMNER [l’appelante] à payer en parts égales avec chacun des autres assureurs responsabilité, les frais de défense du requérant Lavoie, incluant les frais engagés à ce jour relativement au dossier judiciaire 200‑06‑00241‑193, à compter de l’ouverture de ce dossier, soit les honoraires, déboursés, frais d’expertise et toutes autres dépenses de quelque nature que ce soit;
[38] En l’espèce, il s’agit donc de déterminer si, en cas de mésentente entre les assureurs susceptibles de couvrir le risque, l’assuré qui est entièrement défendu par un de ses assureurs possède néanmoins l’intérêt juridique requis pour présenter, de son plein gré ou à la demande de ses assureurs, une demande de type Wellington visant à forcer l’assureur dissident à respecter son obligation de défendre.
[39] Je suis d’avis que la juge de première instance se trompe lorsqu’elle répond par l’affirmative à cette question.
[40] L’assuré n’a aucun intérêt à réclamer l’exécution en nature d’une obligation déjà entièrement exécutée par les autres assureurs. Il n’assume personnellement aucuns frais pour sa défense. Il reconnaît par ailleurs que les allégations concernant les périodes potentiellement couvertes par les polices émises par l’appelante n’exigeraient aucun effort de défense additionnel.
[41] Dans de telles circonstances, il ne peut espérer retirer quelque avantage personnel de la demande de type Wellington qu’il a présentée. Il était défendu avant son dépôt et le sera après. Il n’a rien à perdre ni à gagner si sa demande est accueillie. La participation d’un assureur additionnel au partage de ses frais de défense ne change rien pour lui. Cela n’a par ailleurs aucun impact sur les moyens de défense qu’il pourra invoquer à l’encontre de l’action collective. Il n’a donc aucun intérêt juridique direct et personnel dans le présent débat. Sa demande de type Wellington, laquelle semble intentée au seul bénéfice des Assureurs, doit être rejetée pour ce seul motif.
[42] Dans l’arrêt Compagnie d’assurance Travelers du Canada c. Gervais Dubé inc., la Cour avait déjà conclu qu’un assureur, en l’occurrence Travelers, n’avait pas l’intérêt juridique requis pour en appeler du jugement rejetant la demande de type Wellington de son assuré à l’encontre d’autres assureurs responsabilité[11]. Bien que Travelers eût potentiellement, comme les Assureurs en l’espèce, un intérêt économique ou financier dans ce litige visant à forcer deux autres assureurs à participer à l’effort de défense, la Cour précisait que la demande de type Wellington est un recours qui appartient à l’assuré :
[79] Encore une fois, je ne remets pas en question le fait qu’un assureur puisse vouloir faire déterminer dès le début des procédures par action déclaratoire, par exemple, si son obligation de défendre est ou non partagée avec un autre assureur, qui, lui aussi, aurait une « possibilité de couverture », ou encore, si après l’audience au fond, Travelers décide de réclamer le remboursement des frais de défense engagés aux autres assureurs s’il était éventuellement déterminé que leur police couvrait aussi le risque. Cela ne peut toutefois se faire dans le cadre de l’appel, alors que l’assuré satisfait de la décision obtenue, ne porte pas le jugement en appel.[12]
[43] En l’espèce, les Assureurs tentent de contourner ces enseignements en maquillant leur initiative sous les traits d’une demande émanant de l’intimé. La teneur de la mise en demeure transmise par TBA ne laisse cependant planer aucun doute quant au fait qu’ils ont cherché à « instrumentaliser » leur assuré afin de se prévaloir de ses droits et des recours qui lui appartiennent en propre.
[44] La demande de type Wellington, qui est un recours exceptionnel visant à protéger l’assuré en donnant immédiatement effet à l’obligation de défendre, n’est pas le véhicule procédural approprié pour permettre aux assureurs de régler les enjeux soulevés par une problématique de multiplicité d’assurances.
[45] La répartition des frais de défense devrait pouvoir faire l’objet d’une entente entre les Assureurs, que ce soit sur une base définitive ou intérimaire. À défaut, il demeure loisible aux Assureurs de recourir à une demande en jugement déclaratoire ou, plus simplement, d’intenter un recours distinct afin de réclamer le remboursement des frais de défense engagés. Un tel recours pouvant être intenté dès le paiement des premiers comptes d’honoraires. L’assureur qui refuse d’assumer son obligation de défendre ne pourra cependant se plaindre des décisions prises par les autres assureurs dans la conduite de la défense de l’assuré.
[46] En ce qui concerne le présent litige, le débat concernant la couverture de la réclamation et l’obligation de l’appelante d’assumer une partie des frais de défense de l’intimé, s’il doit se poursuivre, devra se poursuivre devant un autre forum.
[47] En l’absence d’intérêt juridique de l’intimé, il n’est pas nécessaire de se prononcer au sujet des moyens d’appel subsidiaires.
* * * * *
[48] Ne reste donc que la question de la requête pour permission de produire des annexes additionnelles et en radiation de certains paragraphes de l’exposé de l’intimé en raison de certaines inexactitudes qui seraient énoncées dans la trame factuelle. Or, puisque les paragraphes visés par la demande de radiation n’étaient pas réellement pertinents à l’analyse des deux premiers moyens d’appel, il n’est pas nécessaire de trancher cette requête. Cette dernière est par conséquent déclarée sans objet.
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GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
[1] Perron c. Famille Marie-Jeunesse, 2023 QCCS 1719. Ce jugement a été rectifié par Perron c. Famille Marie-Jeunesse, C.S. Québec, no 200‑06‑000241‑193, 6 juin 2023, Prémont, j.c.s.
[2] Intact compagnie d’assurance c. Lavoie, 2023 QCCA 1490. La permission de confectionner puis de déposer les annexes additionnelles a été accordée le 29 novembre 2023. Quant à elle, la requête a été déférée à la formation chargée d’entendre l’appel.
[3] Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., 2018 CSC 55, paragr. 15‑16, D’Intino c. Ville de Montréal, 2023 QCCA 790, paragr. 8‑11.
[4] Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., supra, note 3, paragr. 14.
[5] Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théâtre du Nouveau‑Monde, [1979] C.A. 491, p. 493 : « L’intérêt, c’est l’avantage que retirera la partie demanderesse du recours qu’elle exerce, le supposant fondé. À part les cas d’exception spécifiquement prévus par la loi, la règle en droit commun est que pour être suffisant l’intérêt doit, entre autres, être direct et personnel » (extrait cité avec approbation dans Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., 2018 CSC 55, supra, note 3, paragr. 12).
[6] Compagnie d’assurance Wellington c. M.E.C. technologie inc., [1999] R.J.Q. 443, 1999 CanLII 13663 (C.A.).
[7] Id., p. 447‑448.
[8] Boréal assurances inc. c. Réno-dépôt inc., [1996] R.J.Q. 46, p. 60, 1995 CanLII 5072 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 10 octobre 1996, no 25158.
[9] Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Thémis, 2017, no 583, p. 399.
[10] Groupe DMR Inc. c. Kansa General International Insurance Co. Ltd., [2003] R.R.A. 1087, p. 1094‑1095, 2003 CanLII 47987, paragr. 64 (C.A.).
[11] 2022 QCCA 1107, paragr. 74‑77.
[12] Id., paragr. 79.
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