Bolduc c. Piché | 2024 QCTAL 31296 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 749599 31 20231130 G | No demande : | 4131052 | |||
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Date : | 14 février 2024 | |||||
Devant la juge administrative : | Stella Croteau | |||||
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Chantal Bolduc
Daniel Houde |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Micheline Piché |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le 30 novembre 2023, le Tribunal est saisi d’une demande en reprise de logement.
[2] L’avis a été transmis conformément à la loi et la demande intentée dans le délai imparti.
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 960 $.
MOTIF
[4] Les locateurs veulent reprendre le logement pour y loger leur fils Frédéric Houde.
QUESTIONS EN LITIGE
[5] Les locateurs ont-ils démontré qu'ils ont réellement l'intention de reprendre le logement concerné pour y loger leur fils et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre une autre fin?
[6] Dans l'affirmative, quelle est l’indemnité raisonnable pour le déménagement?
CONTEXTE FACTUEL
[7] Les locateurs sont les seuls propriétaires et sont conjoints.
[8] Ils ont acheté le triplex le 17 novembre 2021. Il y a un 3 ½ au sous-sol, un 5 ½ au rez‑de‑chaussée et un autre 5 ½ à l’étage.
[9] Le 5 ½ de l’étage est vacant lors de l’achat. Il sera rénové.
[10] La locatrice possède un autre duplex, qui sont des 5 ½. Son père y habite.
[11] Leur fille habitait le 3 ½ du sous-sol jusqu’au mois de décembre 2023. Maintenant, c’est la mère de 86 ans du locateur qui s’y installe. Elle est dans la période de déménagement. Elle a de la difficulté à se déplacer. Le garage et le stationnement lui seront très utiles. Présentement elle demeure dans sa maison, mais considérant qu’elle a chuté chez elle et que cela prit un certain délai avant qu’un voisin vienne à son aide, il préfère qu’elle n’habite plus seule dans sa maison.
[12] Leur fils a 19 ans. Il est aux études et travaille l’été. Il est fiancé et sa copine habite avec lui, depuis 3 ans, chez les locateurs.
[13] Les locateurs vont assumer une partie du loyer, qui demeurera sensiblement au même montant, peut-être 1 000 $-1 200 $.
[14] Les locateurs, leurs deux fils ainsi que la fiancée habitent dans une maison unifamiliale. Ils ont dû refuser que leur autre fils revienne temporairement habiter avec eux, par manque de place. De plus, le père du locateur attend sa place en résidence. Après la prochaine saison du camping, il n’aura pas d’autre endroit où demeurer. S’ils obtiennent la reprise pour leur fils, alors il pourra venir habiter chez eux jusqu’au moment où il obtiendra sa place à la résidence.
[15] Ils reprennent ce logement car il y a un garage ainsi qu’un stationnement. Ils n’ont pas repris l’autre 5 ½ qui était vacant lors de l’achat, car à cette époque, leur fils n’avait que 17 ans.
[16] Le locateur est flexible sur la date de départ. Elle pourrait être reportée pour le 1er septembre 2024. En revanche, le plus tôt serait le mieux. Il accepterait que la locataire quitte le logement avant la fin de son terme.
[17] Il décrit sa locataire comme étant une locataire exceptionnelle.
[18] Le locateur produit des soumissions pour le déménagement au montant de 1 100 $-1 800 $.
[19] Frédéric Houde témoignera. Il a 18 ans. Il veut avoir son indépendance ainsi que plus d’espace. Sa chambre est embourbée chez ses parents. Il est présentement étudiant au Cégep et désire aller à l’Université par la suite. Il demeurera dans le logement tant que sa famille aura l’espace pour y habiter. Il a besoin d’un stationnement pour sa copine. Il va habiter dans le logement avec cette dernière.
[20] La locataire habite le 5 ½ du rez-de-chaussée depuis 30 ans, avec son conjoint. Elle a 76 ans. La locataire mentionne que son revenu est supérieur au revenu maximal d’admissibilité à un logement à loyer modique.
[21] Elle a ses habitudes dans le quartier (médecin, clinique, pharmacie, etc.). Toutes les caissières du quartier la connaissent. Ses amis sont dans le quartier. Ils entretiennent bien l’extérieur. Elle allègue qu’elle va perdre tous ses points de repère.
[22] Elle ne comprend pas pourquoi les locateurs ne lui ont pas offert le logement du haut après la rénovation, considérant qu’ils voulaient reprendre son logement.
[23] Ce à quoi le locateur répondra qu’il lui a fait visiter le logement et lorsqu’il lui a dit le loyer, elle lui aurait dit qu’il était trop cher pour eux. Ce qui est contesté par la locataire qui affirme n’avoir jamais su le montant du loyer pour ce logement.
[24] Le recours des locateurs est basé sur les articles
« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[25] Le Tribunal considère que les locateurs ont établi, par preuve prépondérante, qu'ils entendent réellement loger leur fils dans le logement concerné et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre une autre fin.
[26] Le choix de reprendre ce logement est justifié par la grandeur du logement ainsi que la présence du garage et du stationnement.
[27] Le locateur a convaincu le Tribunal que son fils avait bien l’intention d’y habiter.
[28] Le Tribunal est conscient que l'exercice du droit à la reprise du logement ne fait pas toujours des heureux. La locataire aimait son emplacement et n’avait pas prévu le quitter après toutes ces années.
[29] La perspective d'un déménagement non prévu et non souhaité constitue une source importante d'inconvénients et de stress.
[30] Toutefois, le législateur n'a pas jugé opportun de permettre une appréciation de la balance des inconvénients.
[31] La loi prévoit la reprise d’un logement par les propriétaires, c’est un exercice légitime.
[32] Le Tribunal n'a pas à s'interroger sur l'opportunité d'une telle reprise lorsque les exigences prescrites par la loi sont conformes comme c'est le cas ici.
[33] Les locateurs répondent à tous les critères pour une reprise de logement et le Tribunal n’a aucun doute sur la volonté du fils à y habiter.
[34] L'autorisation à la reprise du logement sera donc accordée.
INDEMNITÉ
[35] L'article
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[36] La jurisprudence a déterminé que l'article
[37] Plusieurs décisions ont suivi cette interprétation depuis[2]. Il est possible d'accorder une interprétation large aux termes « frais de déménagement »[3].
[38] La preuve doit cependant contenir des éléments pertinents, pour permettre l'exercice discrétionnaire dans l'octroi d'une indemnité selon l'article
[39] Dans le présent dossier, l’âge de la locataire et la période de résidence dans ce logement justifient que le Tribunal exerce cette discrétion.
[40] Après analyse de l'ensemble des faits soumis, le Tribunal croit qu'un montant de 5 000 $ est juste et raisonnable, cela inclut les frais de branchement aux services (Hydro, téléphone, câble, internet) et frais de changement d'adresse.
RECOURS EN CAS DE REPRISE DE MAUVAISE FOI ET REMISE DU LOGEMENT EN LOCATION
[41] Il convient de rappeler que la loi prévoit différents un recours lorsque la reprise est exercée de mauvaise foi suivant l'article
« 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d'une reprise ou d'une éviction obtenue de mauvaise foi, qu'il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.
Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l'éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »
[42] Donc, si le fils des locateurs ne va pas y habiter ou seulement durant une courte période, la locataire pourrait prendre un recours contre les locateurs afin d’obtenir des dommages qui tendent à augmenter depuis un certain temps.
[43] De plus, le logement ne peut être reloué sans l’autorisation du Tribunal lorsqu'il n'est plus occupé par le bénéficiaire de la reprise (article
« 1970. Un logement qui a fait l'objet d'une reprise ou d'une éviction ne peut être loué ou utilisé pour une fin autre que celle pour laquelle le droit a été exercé, sans que le tribunal l'autorise.
Si le tribunal autorise la location du logement, il en fixe le loyer. »
[44] Les frais de la demande seront assumés par les locateurs.
[45] Il n’y a pas lieu d’ordonner l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] PROLONGE le bail, aux mêmes conditions, jusqu’au 31 août 2024;
[47] AUTORISE les locateurs à reprendre le logement pour y loger leur fils Frédéric Houde à compter du 1er septembre 2024;
[48] ORDONNE à la locataire et aux occupants de quitter les lieux au plus tard le 31 août 2024; à défaut ORDONNE l’expulsion de la locataire et des occupants à compter du 1er septembre 2024;
[49] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire la somme de 5 000 $, au plus tard le jour du déménagement;
[50] PERMET à la locataire de quitter le logement en transmettant aux locateurs un préavis d'au moins quinze (15) jours avant son départ, auquel cas la locataire sera libérée du paiement du loyer à compter de la date de son départ et le loyer du dernier mois sera ajusté au prorata du nombre des jours occupés jusqu'au départ;
[51] Les locateurs assument les frais de la demande.
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Stella Croteau | ||
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Présence(s) : | les locateurs la locataire | ||
Date de l’audience : | 26 janvier 2024 | ||
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[2] Duchesneau-Bernier c. Beauchemin,
[3] Marunych c. Bouaiss,
[4] RLRQ, c. R-8.1, tel que modifié par l'article 158 des Lois du Québec 2019, chapitre 28.
AVIS :
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