Delva c. SLG Properties Inc. | 2023 QCTAL 841 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 658647 31 20221012 G | No demande : | 3690354 | |||
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Date : | 11 janvier 2023 | |||||
Devant le juge administratif : | Alexandre Henri | |||||
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Sabine Delva |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
SLG Properties Inc. ou Immeubles |
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Locatrice - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande de la locataire qui s’oppose au changement d’affectation de son logement. Elle requiert aussi l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel ainsi que le paiement des frais.
[2] De plus, la locataire demande également d'être relevée des conséquences de son défaut de respecter le délai d’un mois prévu à la loi pour introduire son recours[1].
[3] Bien que dûment convoquée par le Tribunal, la locatrice n’est pas présente à l’audience. Le Tribunal a donc procédé à l’instruction de l’affaire, en l’absence de cette dernière.
Contexte
[4] Les parties sont liées par un bail de logement ayant été reconduit jusqu’au 30 juin 2023, au loyer mensuel de 1 270 $.
[5] La locataire loue un logement de type « loft » au troisième étage d’un immeuble situé en face du Marché Bonsecours dans le Vieux-Montréal. Elle y habite depuis le 1er juin 2014.
[6] L’immeuble comporte quatre étages. Un hôtel est exploité aux deux premiers étages, alors que les deux derniers étages sont occupés par des logements résidentiels.
[7] La locataire raconte avoir reçu un courriel de la locatrice, le 29 août 2022, l’avisant de la conversion des deux derniers étages de l’immeuble en zone commerciale pour agrandir l’hôtel.
[8] Ce courriel se lit comme suit :
« Bonjour Sabine,
Comment vas-tu? J’espère que tout va bien. Je vous écris aujourd’hui pour vous informer que dans un avenir très proche, nous convertirons les 2 derniers étages du [...] en zone strictement commerciale pour agrandir notre hôtel qui est géré aux 1er et 2ème étages. Cela nous obligerait soit à vous reloger, soit à négocier la résiliation anticipée de votre bail (ou le laisser expirer naturellement à l'issue de son terme le 30 juin 2023). Mon objectif est de vous retenir comme l'un de nos précieux locataires, car je n'ai eu qu'une excellente expérience jusqu'à présent dans mes relations avec vous.
Devrions-nous envisager de vous reloger dans une autre propriété ? Pouvez-vous, s'il vous plaît, me fournir des informations de base pour voir si j'ai quelque chose qui convient à vos besoins ?
Je demande parce que nous construisons de nouveaux appartements qui devraient être prêts très bientôt et je voulais explorer quelques options pour vous. Merci d'avance pour votre compréhension et j'attends votre réponse avec impatience. N'hésitez pas à m'appeler à tout moment si vous avez des questions. Merci! »
[Reproduit tel quel]
[9] Plusieurs courriels sont ensuite échangés entre les parties à ce sujet, notamment pour discuter de la possibilité de reloger la locataire dans un autre logement comparable à proximité.
[10] Le 28 septembre 2022, la locataire transmet la lettre suivante à la locatrice pour l’aviser qu’elle souhaite continuer d’occuper son logement actuel :
« À qui de droit,
Je fais suite au courriel reçu le 29 août 2022 sur « votre projet d’un avenir proche de convertir en Hôtel les deux derniers étages du [...]. »
Je vais maintenir mon droit (de jouir de mon bail comme locataire) d’occuper mon logement. »
[Reproduit tel quel]
[11] La locatrice lui répond par courriel le 30 septembre 2022, en indiquant être en droit de procéder à la transformation hôtelière de son logement et en précisant faire de son mieux pour trouver une solution à l’amiable.
[12] Le 25 octobre 2022, la locatrice transmet un autre courriel à la locataire dans lequel elle mentionne que « [n]ous allons convertir les 2 derniers étages de cette propriété en hôtel, sous zonage commercial ». Elle offre alors trois options à la locataire :
1) Demeurer dans le logement jusqu’au 30 juin 2023 et ne pas renouveler le bail à l’échéance;
2) Quitter le logement avant le 30 juin 2023 en contrepartie d’une compensation;
3) Relocalisation la locataire dans un autre logement à proximité.
[13] Le 27 octobre 2022, la locataire notifie la présente demande à la locatrice, par courrier recommandé.
[14] Le 24 novembre et le 1er décembre 2022, la locatrice écrit à la locataire pour l’inviter à se désister de sa demande, en invoquant que son recours est sans objet au motif qu’elle ne lui a jamais transmis d’avis formel d’éviction.
[15] Pour sa part, la locataire estime que le courriel du 29 août 2022 constitue un avis d’éviction en vertu de l’article
[16] Voulant éviter de perdre son logement, la locataire décide alors de déposer le présent recours afin de s’opposer au projet de changement d’affectation de la locatrice. Cependant, son recours est déposé tardivement, le 12 octobre 2022, soit au-delà du délai d’un mois prévu à l’article
[17] Elle fait valoir que la locatrice ne peut procéder à la conversion de son logement en hôtel, puisque l’arrondissement de Ville-Marie a refusé de lui émettre un permis en février 2022, tel que confirmé par le service d’urbanisme de l’arrondissement.
Droit applicable
[18] L’article
1959. Le locateur d’un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l’agrandir substantiellement ou en changer l’affectation.
[19] Rappelons que ce droit d’évincer un locataire constitue un cas d’exception au principe du droit au maintien dans les lieux dont bénéficie tout locataire en vertu de l’article
[20] Afin de se prévaloir de son droit d’évincer la locataire, le législateur impose à la locatrice l’obligation d’aviser la locataire au moins six mois avant l’expiration du bail (article
[21] De plus, l’avis d’éviction doit contenir les mentions prévues à l’article
1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.
Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.
La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal.
[22] Le recours de la locataire se fonde sur l’article
1966. Le locataire peut, dans le mois de la réception de l’avis d’éviction, s’adresser au tribunal pour s’opposer à la subdivision, à l’agrandissement ou au changement d’affectation du logement; s’il omet de le faire, il est réputé avoir consenti à quitter les lieux.
S’il y a opposition, il revient au locateur de démontrer qu’il entend réellement subdiviser le logement, l’agrandir ou en changer l’affectation et que la loi le permet.
Analyse et décision
[24] Après examen de la preuve soumise par la locataire, le Tribunal est d’avis que son recours est prématuré à ce stade-ci.
[25] En effet, à la lecture du courriel du 29 août 2022, le Tribunal ne peut conclure que celui-ci constitue un avis d’éviction en vertu des articles de loi précités. Ce courriel semble plutôt s’apparenter à un énoncé d’intention de la part de la locatrice visant à informer la locataire d’un projet éventuel de conversion en hôtel, mais sans pour autant constituer un avis formel d’éviction.
[26] En fait, si la locatrice avait voulu se prévaloir de ce courriel pour mettre en œuvre son droit d’éviction prévu à l’article
[27] Tel qu’il ressort des courriels échangés entre les parties, la démarche entreprise par la locatrice semble avoir pour but de tenter de s’entendre à l’amiable pour reprendre son logement en lui versant une compensation ou en la relogeant dans un autre logement comparable. Bien entendu, la locataire n’a aucune obligation de négocier ni de conclure une telle entente.
[28] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal n’a d’autre choix que de conclure que la demande de la locataire est sans objet, ce qui commande son rejet.
[29] À tout événement, malgré le rejet de la demande, le Tribunal tient cependant à préciser que la locataire pourra continuer d’habiter son logement. Cette dernière bénéficie toujours du droit au maintien dans les lieux en vertu de l’article
[30] À titre informatif, advenant le cas où la locatrice désire éventuellement évincer la locataire pour procéder à son projet de changement d’affectation, elle devra alors respecter les conditions et formalités que lui impose le législateur, sous réserve toutefois du droit de la locataire de s’y opposer en suivant la procédure prévue à la loi.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] REJETTE la demande.
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Alexandre Henri | ||
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Présence(s) : | la locataire | ||
Date de l’audience : | 6 décembre 2022 | ||
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[1] En vertu de l'article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (RLRQ, c. T-15.01).
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