Décision

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nkamba) c. Ville de Gatineau

2023 QCTDP 13

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

 

 :

550-53-000043-219

 

DATE :

4 mai 2023

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SOPHIE LAPIERRE

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

 

Me Marie Pepin, avocate à la retraite

Me Carolina Manganelli

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant dans l’intérêt public et en faveur de LUCK KAHILA NKAMBA

Partie demanderesse

c.

ville de gatineau

et

SIMON DROLET

et

GABRIEL GAGNÉ

Partie défenderesse

et

luck kahila nkamba

Partie plaignante et victime

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) agit en faveur de M. Luck Kahila Nkamba (M. Nkamba) et dans l’intérêt public.

[2]          La CDPDJ reproche à Ville de Gatineau et ses deux policiers, M. Simon Drolet et M. Gabriel Gagné, d’avoir exercé du profilage discriminatoire fondé sur la race et/ou la couleur de peau lors d’un incident survenu le 30 novembre 2017. À cette occasion, M. Nkamba, un homme noir, est passager d’un véhicule taxi Uber que le policier Gagné intercepte. Au cours de l’intervention, le policier demande à M. Nkamba de s’identifier alors qu’il n’a commis aucune infraction. La situation dégénère et aboutit à l’arrestation, au menottage, et à la fouille de M. Nkamba. Il reçoit deux constats d’infraction.

[3]          Le policier Drolet, arrivé sur les lieux peu après son collègue, participe à l’arrestation, au menottage, à la fouille et à la remise des constats d’infraction.

[4]          La CDPDJ réclame aux trois parties défenderesses de verser à M. Nkamba la somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral. De plus, elle réclame à chacun des deux policiers la somme de 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

[5]          La CDPDJ demande également au Tribunal d’ordonner une série de mesures dans l’intérêt public, dont l’adoption et la mise en œuvre d’une politique visant à lutter contre le profilage racial dans les interactions des policiers avec les citoyens, la collecte et la publication systématique de données anonymisées concernant l’appartenance raciale perçue et/ou présumée des individus interpellés par les policiers, ainsi que de donner aux policiers de la formation sur le profilage racial assortie d’un processus d’évaluation des acquis.

[6]          De leur côté, la Ville, M. Drolet et M. Gagné soutiennent que l’interaction des policiers avec M. Nkamba ce soir-là a été menée selon les bonnes pratiques policières, de façon respectueuse de ses droits et sans profilage racial.

[7]          Les parties défenderesses précisent que les policiers ont usé de leur discrétion sans égard à la race et/ou la couleur de peau en demandant à M. Nkamba de s’identifier. Puis, M. Nkamba s’est mis en danger en marchant dans la rue et en refusant de collaborer. Son arrestation, le menottage, et la fouille étaient tout indiqués dans un contexte où M. Nkamba était hostile et en état d’ébriété apparent.

I.               Les questions en litige

[8]          Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

1)            La CDPDJ satisfait-elle son fardeau d’établir, par une preuve prima facie, que la race et/ou la couleur de peau de M. Nkamba a joué un rôle dans l’interaction, l’interpellation puis l’arrestation de M. Nkamba de façon à constituer du profilage discriminatoire fondé sur la race?

2)            Si oui, les parties défenderesses réussissent-elles à réfuter ou justifier l’allégation de profilage racial?

3)            Sinon, a-t-il subi un préjudice moral commandant une indemnisation à hauteur de celle que réclame la CDPDJ?

4)            S’il y a eu profilage racial, les policiers Gagné et Drolet ont-ils agi de façon intentionnelle, ouvrant le droit de M. Nkamba à obtenir des dommages-intérêts punitifs?

5)            Les mesures réparatrices demandées par la CDPDJ dans l’intérêt public sont-elles appropriées dans les circonstances?

II.             Contexte

[9]          M. Nkamba grandit à Ottawa puis habite à Gatineau à compter de l’année 2004.

[10]      Le jour, M. Nkamba travaille pour Bell Canada comme gestionnaire de dossiers au département des plaintes du service à la clientèle. Il agit au quatrième et dernier niveau d’intervention de ce service. Il a l’habitude de gérer des situations tendues et conflictuelles.

[11]      Quelques soirs par semaine, il travaille aussi comme DJ (disc-jockey) dans des boîtes de nuit de la région.

[12]      Le jeudi 30 novembre 2017, il finit de travailler à 21 h 30 chez Bell. Il reste sur les lieux du travail et profite du gym et de la salle de télévision. Il se rend ensuite à l’Overkill, une boîte de nuit d’Ottawa, où il discute avec des copains DJ. Il consomme un shooter et deux bières.

[13]      Vers 2 h, M. Nkamba récupère deux valises de matériel de DJ et se dirige chez lui à bord d’un véhicule taxi Uber.

[14]      M. Nkamba s’assoit à l’avant. Arrivé à proximité de chez lui et comme il arrive souvent, le GPS du chauffeur indique l’atteinte de la destination alors qu’il reste deux cents à trois cents mètres à parcourir avant d’arriver à sa résidence. Il l’indique au chauffeur qui poursuit sa route puis se range devant sa résidence.

[15]      Alors que M. Nkamba s’apprête à sortir du véhicule, le policier Gagné intercepte le taxi et se gare derrière, gyrophares allumés. M. Nkamba décide de demeurer dans le taxi en attendant de voir ce qui va se passer.

[16]      Puis, le policier Drolet arrive, se gare derrière l’autopatrouille du policier Gagné, gyrophares allumés aussi. Il se dirige à pied vers la portière du taxi du côté de M. Nkamba.

[17]      À partir de ce point dans l’histoire, les versions de M. Nkamba et des policiers diffèrent en partie. Le Tribunal y reviendra dans l’analyse des questions en litige. Mais pour compléter le récit dans ses éléments principaux, il convient de poursuivre ainsi, selon ce que la preuve prépondérante établit.

***

[18]      Le policier Gagné demande à M. Nkamba de s’identifier, ce que M. Nkamba refuse; il n’a commis aucune infraction et n’a pas l’obligation de le faire. Le policier Gagné en convient.

[19]      Ce dernier fait remarquer à M. Nkamba qu’il ne porte pas sa ceinture de sécurité, ce que M. Nkamba reconnait tout en expliquant que c’est normal puisqu’il s’apprêtait à quitter le véhicule lors de l’interception du taxi par les policiers.

[20]      M. Nkamba sort du véhicule et se dirige vers le coffre arrière d’où il sort ses deux valises, sous l’œil des policiers qui éclairent le coffre avec leur lampe de poche.

[21]      M. Nkamba pose ses valises sur le trottoir et refuse de quitter les lieux avant que les policiers ne le fassent. S’ensuit un échange stérile à ce sujet, qui amène M. Nkamba à prendre des photographies des autopatrouilles avec son cellulaire. Ce faisant, M. Nkamba quitte le trottoir et marche sur la chaussée.

[22]      Le policier Gagné l’avise qu’il commet une infraction et doit désormais s’identifier. M. Nkamba refuse.

[23]      Les policiers Gagné et Drolet procèdent à l’arrestation, au menottage puis à une fouille par palpation de M. Nkamba. Ils mettent la main sur ses pièces d’identité.

[24]      M. Nkamba reçoit deux constats d’infraction : un pour avoir marché sur la chaussée alors qu’il y avait un trottoir, l’autre pour entrave au travail des policiers vu son refus de s’identifier lors de son interpellation.

III.          Analyse

[25]      La CDPDJ fonde son recours sur les articles suivants de la Charte des droits et libertés de la personne[1] :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

12. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.

24. Nul ne peut être privé de sa liberté ou de ses droits, sauf pour les motifs prévus par la loi et suivant la procédure prescrite.

24.1. Nul ne peut faire l’objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives.

25. Toute personne arrêtée ou détenue doit être traitée avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine.

29. Toute personne arrêtée ou détenue a droit, sans délai, d’en prévenir ses proches et de recourir à l’assistance d’un avocat. Elle doit être promptement informée de ces droits.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[26]      Il y a deux ans à peine, le 13 janvier 2021, dans la décision Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau[2], le Tribunal condamnait Ville de Gatineau et deux de ses policiers au paiement de dommages-intérêts pour compenser le préjudice subi par un citoyen noir victime de profilage racial. Ce jugement contient certains aspects fort importants pour comprendre le profilage racial. Le Tribunal estime utile de reproduire certains passages particulièrement éclairants du jugement, avant de débuter l’analyse à la présente affaire :

[297] La discrimination est beaucoup plus complexe que les premières pensées qui viennent à l’esprit. À l’ère du « politiquement correct » et de la promotion du multiculturalisme, les gens sont conscients, particulièrement les personnes en autorité, des risques qu’ils prennent s’ils parlent ouvertement des préjugés qu’ils entretiennent, surtout les préjugés négatifs à l’égard des personnes racisées. La discrimination raciale est ainsi souvent ambiguë et indirecte, voire insidieuse. Lorsqu’elle est dénoncée, la réponse en est généralement une de négation sur fond d’indignation, voire de menaces de représailles.

[298] Le profilage racial s’attache principalement à la motivation des agents de police. Il se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux conscients ou inconscients concernant la criminalité ou la dangerosité jouent un rôle dans la sélection ou le traitement des suspects. Il ne doit pas être toléré.

[…]

[305] Il y a profilage racial même lorsque la conduite policière autrement objectivement justifiée, est influencée par des stéréotypes négatifs liés à la race ou la couleur de peau de la personne qui en est l’objet.

[…]

[314] Lorsque la décision d’un agent de la paix est influencée ou motivée subjectivement d’une quelconque façon par des considérations de race ou de couleur, elle est contaminée. Le juge doit alors conclure qu’il y a profilage discriminatoire, même si la décision peut paraître objectivement motivée après coup. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’analyse révèle que la décision n’était pas objectivement motivée.

(Citation omise)

(Références omises)

***

A.           Le profilage racial et le fardeau de la preuve

[27]      En 2015, dans l’arrêt Bombardier[3], la Cour suprême du Canada fait sienne la définition de profilage racial proposée par la CDPDJ :

[33] En l’espèce, la Commission avance que M. Latif a été victime de profilage racial. D’abord élaboré à l’occasion de certains recours intentés contre des services policiers pour abus de pouvoir, le concept de profilage racial a depuis été étendu à d’autres contextes :

Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels [sic] la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.

Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée.

(Soulignements reproduits)

(Références omises)

[28]      Le profilage racial est une forme particulière de discrimination interdite par l’article 10 de la Charte.

[29]      Dans l’arrêt Bombardier, la Cour suprême enseigne que l’analyse d’une allégation de discrimination comporte deux volets.

[30]      Pour le premier volet de l’analyse, la partie demanderesse doit apporter la preuve de trois éléments : 1) une distinction, exclusion ou préférence; 2) fondée sur un ou plusieurs motifs prohibés; 3) qui a pour effet de brimer le droit à l’égalité dans la reconnaissance ou l’exercice d’un ou plusieurs droits ou libertés protégés par la Charte[4].

[31]      Le premier élément constitutif de la discrimination dans une affaire de profilage racial qui implique des policiers est l’existence d’une différence de traitement ou d’un traitement inhabituel de la personne auprès de qui l’intervention policière se produit. L’analyse consiste à comparer le traitement auquel la personne a été soumise par les policiers avec celui qui est généralement réservé à d’autres personnes dans des circonstances semblables, afin de déterminer si elle a reçu un traitement inhabituel ou différencié[5].

[32]      Le deuxième élément constitutif de la discrimination est la présence d’un lien entre la décision ou le geste contestés et l’un des motifs prohibés par l’article 10 de la Charte.

[33]      Il existe différentes formes de discrimination, dont la discrimination involontaire[6], ainsi que des gestes ou comportements discriminatoires inconscients[7].

[34]      Le lien requis entre le comportement reproché et un motif énuméré à l’article 10 de la Charte n’équivaut pas au lien de causalité en matière de responsabilité civile, à savoir une conséquence logique, directe et immédiate entre le comportement et sa conséquence. Il suffit que le motif prohibé soit un facteur ayant participé au traitement différencié pour conclure à la discrimination[8].

[35]      Le profilage racial est relatif à la motivation des personnes en situation d’autorité (ici les policiers) qui, consciemment ou non, sont influencées dans leurs interactions avec d’autres personnes par la race ou la couleur de celles-ci et par des stéréotypes qu’elles entretiennent à leur égard[9]. Ces personnes en autorité peuvent être inconscientes du rôle de leurs préjugés ou de stéréotypes dans leurs interactions avec les citoyens[10]. En conséquence, il peut y avoir profilage racial lors d’une intervention policière légale[11].

[36]      La preuve de l’intention de discriminer ou d’un état d’esprit raciste chez les policiers n’est pas nécessaire afin de conclure à la présence de profilage discriminatoire[12].

[37]      Quant au troisième élément constitutif de la discrimination, il exige que le traitement différencié lié à un motif prohibé résulte en une atteinte aux droits à l’égalité d’une personne dans la reconnaissance ou l’exercice d’une de ses libertés ou d’un de ses droits fondamentaux garantis par la Charte[13].

[38]      Si la preuve est prépondérante sur ces trois éléments, la partie demanderesse satisfait son fardeau d’établir, prima facie, l’existence d’une discrimination interdite par l’article 10 de la Charte[14].

[39]      Alors, il revient à la partie défenderesse soit de réfuter les allégations de discrimination, soit de les justifier. Il s’agit du deuxième volet de l’analyse.

[40]      Plus particulièrement, ce deuxième volet de l’analyse consiste à déterminer si les policiers ont pu établir, par une preuve prépondérante, que leurs actions étaient sans lien avec le motif prohibé par la Charte et ainsi réfuter les allégations de discrimination[15], ou ont pu établir que leurs actions étaient justifiées par la loi ou la jurisprudence[16]. S’ils y parviennent, le tribunal conclut à l’absence de discrimination interdite par la Charte.

[41]      L’analyse en deux volets doit se faire à chaque étape de l’intervention policière[17]. Une intervention à l’origine sans lien avec un motif prohibé par la Charte peut évoluer alors que s’introduisent dans la séquence des gestes et décisions des policiers, consciemment ou inconsciemment, des biais liés à un motif interdit par la Charte.

[42]      Puisque la preuve directe de la discrimination est souvent difficile, voire impossible à faire, le tribunal s’appuie généralement sur une preuve circonstancielle[18] en tenant compte du contexte social qui sert de toile de fond à l’analyse[19].

B.           La CDPDJ satisfait-elle son fardeau d’établir, par une preuve prima facie, que la race et/ou la couleur de peau de M. Nkamba a joué un rôle dans l’interaction, l’interpellation puis l’arrestation de M. Nkamba de façon à constituer du profilage discriminatoire fondé sur la race?

1.            Premier élément du profilage racial : la différence de traitement

[43]      La CDPDJ ne conteste pas que le policier Gagné, lorsqu’il décide d’intercepter le véhicule dans lequel M. Nkamba monte comme passager, le fait pour un motif légitime, soit que le véhicule est immobilisé dans le milieu de la voie de circulation. Lorsqu’il prend sa décision, le policier Gagné ne distingue pas la couleur de la peau des occupants du véhicule.

[44]      La CDPDJ invite même le Tribunal à débuter son analyse à partir du moment où le policier Gagné interagit avec le chauffeur, connu sous le prénom Tony.

[45]      Le Tribunal n’est pas d’accord. La jurisprudence en matière de profilage racial enseigne que tout le contexte de l’interaction entre le citoyen et les policiers doit être tenu en compte[20].

[46]      Les versions successives du policier Gagné sur les motifs de son interception concordent, soit que le véhicule est immobilisé dans le milieu de la voie de circulation sur le boulevard du Plateau[21].

[47]      Pour sa part, Tony est introuvable et n’a pas témoigné.

[48]      Quant à M. Nkamba, le Tribunal écarte son témoignage qui relate que le véhicule a ralenti sans s’arrêter. Le Tribunal est convaincu que le policier Gagné n’aurait pas intercepté le véhicule s’il n’avait pas été immobilisé au milieu de la voie de circulation. Il n’avait aucun autre motif établi ou présumé de le faire : il n’a pas vérifié la plaque d’immatriculation de façon aléatoire, rien n’indique que le véhicule montrait un bris ou un autre aspect suspect, Tony n’est pas un homme noir et le policier n’a pas vu M. Nkamba, passager noir.

[49]      Le Tribunal tient comme prouvé que le policier Gagné intercepte le véhicule parce qu’il s’est immobilisé au milieu de la voie de circulation du boulevard du Plateau, ce qui constitue un motif légitime et neutre d’interception dans les circonstances.

[50]      Afin de déterminer si M. Nkamba fait l’objet d’un traitement différencié par la suite, le Tribunal doit se demander si, dans le même contexte, les policiers auraient agi de la même façon avec une personne qui n’est pas noire[22].

***

Demande de s’identifier

[51]      Avant que le policier Gagné demande à M. Nkamba de s’identifier, l’interception se déroule bien. Le policier se satisfait de l’identification et de l’explication de Tony qui collabore entièrement. Usant de sa discrétion, le policier Gagné ne remet aucun constat d’infraction à Tony qui, pourtant, s’est immobilisé au milieu de la voie de circulation[23].

[52]      Pourquoi le policier Gagné demande-t-il à M. Nkamba de s’identifier?

-    Version de M. Nkamba

[53]      M. Nkamba témoigne que Tony stationne le véhicule devant sa résidence et qu’ils se disent au revoir. Il détache sa ceinture de sécurité et ouvre la portière, s’apprêtant à sortir. C’est alors qu’ils aperçoivent l’autopatrouille du policier Gagné, gyrophares allumés, qui se gare derrière eux. Ils se regardent, surpris. M. Nkamba juge qu’il vaut mieux rester dans le véhicule et referme la portière.

[54]      Les deux policiers arrivent à la hauteur du véhicule, un de chaque côté. L’un d’eux, qui s’avère le policier Gagné, engage la conversation avec le chauffeur Tony et lui demande ses pièces d’identité, que Tony lui remet. Puis, le policier Gagné s’adresse à M. Nkamba et lui dit : « Et toi, tes pièces d’identité? » ou l’équivalent en d’autres mots.

[55]      M. Nkamba, en tant qu’homme noir qui vit à Gatineau, anticipe ce genre de question des policiers et est préparé à y faire face. Il dit au policier Gagné qu’il trouve « curieux » qu’un policier demande à un passager d’un véhicule « commercial » de s’identifier.

[56]      Cependant, le policier Gagné insiste et demande à nouveau à M. Nkamba de s’identifier. M. Nkamba perçoit cette insistance et un durcissement du ton utilisé par le policier comme ce qu’il décrit ainsi : « un ordre qui ne veut pas dire son nom ». M. Nkamba argumente et affirme qu’il n’a pas à le faire dans les circonstances.

[57]      En contre-interrogatoire, M. Nkamba reconnait que le policier Gagné lui dit qu’il n’a pas l’obligation de s’identifier.

[58]      M. Nkamba anticipe des problèmes et comprend qu’il ne s’agit pas d’une interaction normale. Il sait qu’à la troisième demande, qu’il sent venir, la situation va changer. Selon son expérience au service à la clientèle, à la troisième fois, la situation change. C’est ce qu’il appelle sa « règle des trois ».

[59]      M. Nkamba demande au policier Gagné s’il est en état d’arrestation ou soupçonné d’avoir commis un crime ou une infraction, ce à quoi le policier Gagné répond que non.

-    Version du policier Gagné

[60]      Les versions qu’il donne au fil du temps sur le début de son interaction avec M. Nkamba varient. D’abord, il dit que lorsqu’il entame l’interception, le véhicule de Tony est toujours au même endroit sur le boulevard du Plateau, en plein milieu de la voie (autrement dit, il n’a pas bougé depuis qu’il l’a repéré). Plus tard, il dira que le véhicule est plutôt stationné en bordure de rue, à 75 mètres de la résidence de M. Nkamba. À l’audience, il reconnait qu’il a fait une erreur dans son rapport et ses versions antérieures.

[61]      Alors que le policier Gagné s’entretient avec Tony, M. Nkamba s’immisce dans la conversation pour connaitre le motif de l’interception et le « bombarde de questions ». À l’audience, le policier Gagné dit spontanément : « ça ressemble à de la provocation ».

[62]      Il demande à M. Nkamba de s’identifier tout en lui disant qu’il n’en a pas l’obligation. Lorsque M. Nkamba argumente, le policier Gagné témoigne que M. Nkamba parle vite, en même temps que lui, et ne l’écoute pas.

[63]      Lors de son interrogatoire préalable, le policier Gagné explique qu’il demande « toujours » au passager de s’identifier, question d’assurer sa sécurité. À l’audience, il ajoute que c’est pour « savoir à qui il a affaire » et que la couleur de la peau de la personne n’est « jamais » un facteur qui motive cette demande. Il se considère en « mode exploration ». En contre-interrogatoire, il reconnait qu’il pouvait décider de ne pas demander à M. Nkamba de s’identifier, mais il ajoute qu’alors « il aurait eu l’impression de ne pas faire son travail » en référant à la mission policière[24].

[64]      Dans les faits, la preuve qu’il administre à l’audience pour appuyer son témoignage à cet égard ne permet pas de conclure qu’il demande « toujours » au passager d’un véhicule intercepté de s’identifier et que la couleur de la peau n’est « jamais » tenue en compte. Qu’il produise trois, treize, vingt-trois ou trois cents rapports d’événement où lui ou son partenaire note qu’il a demandé à un passager de s’identifier n’établit pas qu’il le fait « toujours », c’est évident. Il est manifeste que les rapports d’événement des interceptions de véhicules où il ne le fait pas ne contiendront aucune mention de ce qui n’existe pas.

[65]      Le Tribunal retient qu’il arrive au policier Gagné de demander à des passagers de s’identifier, tout groupe ethnique confondu.

-    Version du policier Drolet

[66]      Le policier Drolet s’approche du véhicule intercepté alors que le policier Gagné s’entretient avec le chauffeur Tony. Arrivé du côté passager, M. Nkamba lui demande « s’il a fait quelque chose de mal ». Comme il l’ignore, il demande à M. Nkamba de patienter dans le véhicule, le temps de vérifier avec le policier Gagné si une infraction a été commise. Ce qu’il fait.

[67]      Selon le policier Drolet, son collègue informe alors M. Nkamba qu’il n’a pas commis d’infraction, mais M. Nkamba lui coupe la parole et emploie un ton « récalcitrant, arrogant et entêté »[25].

***

[68]      Cette partie de l’intervention n’est pas filmée. Toutefois, au début de la première vidéo prise par M. Nkamba[26], il relate sa version des faits qui viennent de se produire, qu’il tente de faire admettre au policier Gagné. À son tour, ce dernier récapitule les faits à sa manière. Il en ressort que le policier Gagné demande à M. Nkamba de s’identifier, qu’il reconnait que M. Nkamba n’a pas à le faire, et que cela contribue à instaurer une atmosphère tendue qui s’entend et se voit sur la vidéo. Le ton des deux personnes est un peu tendu. M. Nkamba est affirmatif et insistant. De son côté, le policier semble légèrement irrité. Il emploie un ton ferme, mais poli.

[69]      Le Tribunal retient qu’à première vue, cette demande de s’identifier est arbitraire, insistante, faite auprès d’un homme noir qui proteste à bon droit. Cette interaction policière semble, en partie du moins, consciemment ou inconsciemment, liée à la couleur de la peau de M. Nkamba.

[70]      L’interaction entre M. Nkamba et les policiers se continue. Il est question ensuite de sa ceinture de sécurité. La preuve révèle ce qui suit à ce sujet.

La ceinture de sécurité

-    Version de M. Nkamba

[71]      Alors qu’il filme dans l’autopatrouille, M. Nkamba redemande la raison pour laquelle on requiert qu’il s’identifie et pour la première fois, le policier Gagné lui dit qu’il ne porte pas sa ceinture de sécurité. M. Nkamba lui répond que c’est exact, puisqu’il s’apprêtait à sortir du véhicule.

-    Version du policier Gagné

[72]      Le policier Gagné témoigne qu’il fait remarquer à M. Nkamba qu’il ne porte pas sa ceinture de sécurité tout en sachant qu’il ne l’a pas constaté lorsque le véhicule circulait.

[73]      À l’audience, du bout des lèvres, il explique avoir souligné l’omission du port de la ceinture « avec un objectif de sensibilisation », sans plus.

-    La vidéo[27]

[74]      On entend le policier Gagné dire : « Quand je suis arrivé, vous ne portiez pas votre ceinture de sécurité ». M Nkamba répond : « Parce que je sortais et la portière était ouverte ». Le policier Gagné réplique : « C’est bon, c’est bon », « je ne vous ai pas vu circuler sans ceinture ».

[75]      Mais il y a plus. La séquence des faits est importante.

[76]      Un : le policier Gagné demande à M. Nkamba de s’identifier sans motif légal. Deux : M. Nkamba refuse. Trois : le policier Gagné dit à M. Nkamba qu’il ne porte pas sa ceinture. Quatre : M. Nkamba en explique la raison. Cinq : le policier spécifie qu’il ne l’a pas vu circuler sans ceinture.

[77]      Mais alors, pourquoi engager cette interaction avec M. Nkamba sur le port de la ceinture?

[78]      M. Nkamba avance une explication au Tribunal. Selon lui, les questions de ceinture de sécurité lors d’interceptions routières de personnes noires par les policiers sont l’équivalant québécois d’un phénomène systémique présent aux États-Unis, connu comme étant « Your break lights are broken », que l’on doit comprendre comme un motif oblique fréquent pour intervenir auprès des personnes noires.

[79]      Aucune preuve de l’existence de ce phénomène étasunien ni celle de son présumé équivalent québécois n’est offerte au Tribunal. Cependant, le fait que les policiers usent de motifs obliques pour interagir, interpeller ou arrêter des personnes noires au Québec, parce qu’elles sont noires, est une réalité connue des tribunaux[28].

[80]      Le Tribunal retient qu’aborder la question de la ceinture de sécurité avec M. Nkamba, dans le contexte où il refuse à bon droit de s’identifier et qu’absolument rien ne justifie le policier Gagné de questionner M. Nkamba à ce sujet, constitue une démarche motivée par le fait que M. Nkamba est une personne noire.

***

[81]      Ceci étant, l’histoire se poursuit. M. Nkamba sort du véhicule, marche vers le coffre arrière pour y retirer ses deux valises. Il les pose sur le trottoir, salue Tony et lui serre la main. Il retourne sur le trottoir.

[82]      Puis la situation se corse.

Sur le trottoir et avant l’interpellation

-    Version de M. Nkamba

[83]      La situation étant terminée dans le taxi selon M. Nkamba, il annonce qu’il va « débarrasser le plancher ». Sauf que le policier Drolet se positionne de façon à l’empêcher d’ouvrir complètement sa portière. M. Nkamba comprend qu’il ne peut pas quitter le véhicule.

[84]      Le policier Drolet le laisse tout de même sortir. Il va chercher ses valises. Il demeure sur le trottoir un moment.

[85]      Lors de son interrogatoire préalable[29], M. Nkamba témoigne qu’il demeure sur le trottoir, attendant que les policiers quittent les lieux. Il explique qu’il ignore si ces « gens-là » sont des policiers puisqu’ils ne se sont pas identifiés. Ils peuvent être « n’importe qui agissant comme des policiers ». Il ne retourne pas chez lui parce qu’il ne veut pas que ces « deux messieurs- » sachent où il habite. Alors, il se met à faire semblant de photographier les plaques d’immatriculation des autopatrouilles.

[86]      Cette version des faits est loufoque et invraisemblable. Les deux policiers sont en uniformes identifiés à leur nom et conduisent chacun une autopatrouille identifiée. M. Nkamba abandonne d’ailleurs cette version à l’audience, sans aucune explication quant à cette volte-face.

[87]      À l’audience, il témoigne que les policiers le surveillent de près en utilisant leur lampe de poche quand il récupère ses valises. Il dit qu’il « est sous enquête qui ne veut pas dire son nom ».

[88]      Puis, revenu sur le trottoir, M. Nkamba dit aux policiers que leur comportement est « louche » parce qu’ils ne quittent pas les lieux. En contre-interrogatoire, il reconnait qu’il demande aux policiers de « dégager ».

[89]      Les policiers répondent qu’ils restent là, mais la raison qu’ils donnent n’est pas claire pour M. Nkamba et tiendrait au fait que les policiers ont encore « des choses à faire dans le secteur ».

[90]      Ensuite, M. Nkamba se dit que de toute façon, les policiers ont les moyens de savoir où il habite. Il récupère ses valises, tourne les talons et se dirige vers sa résidence, à environ 30 mètres de là.

[91]      M. Nkamba témoigne que son « instinct de proie » l’amène à se retourner. Il constate que les policiers le suivent, que leur mouvement « est synchro avec ses pas ».

[92]      Il panique. Il revient sur ses pas et allume une cigarette, question de montrer son intention de rester là. Il se demande comment sortir « sain et sauf » de cette situation qui, selon lui, s’intensifie. D’abord la demande d’identification, puis la ceinture, et maintenant la surveillance de ses faits et gestes quand il récupère ses valises. Il explique qu’il se sent « émotionnellement enchaîné à la situation ». Il décide de faire semblant de photographier les plaques d’immatriculation des autopatrouilles considérant que, selon lui, les policiers négligent de s’identifier en dépit de ses nombreuses demandes.

[93]      À partir du trottoir, il se penche pour faire semblant de photographier la plaque de l’autopatrouille du policier Gagné. Il a possiblement posé un pied sur la chaussée. Par la suite, vu que l’autopatrouille du policier Drolet est plus éloignée du trottoir, M. Nkamba met les deux pieds dans la rue pour prendre la plaque d’immatriculation en photo.

[94]      C’est à ce moment que le policier Drolet « le prend au collet ».

-    Version du policier Gagné

[95]      Le policier Gagné a relaté à quelques occasions les faits qui surviennent sur le trottoir et mèneront ultimement à l’arrestation de M. Nkamba. L’évolution de ce récit dans le temps mérite une attention particulière parce qu’elle met en lumière le peu de fiabilité de la mémoire du policier Gagné.

[96]      Dans son rapport d’événement[30], le policier Gagné relate que « l’homme [M. Nkamba] reste à côté de nous très près », dépeignant une scène où le comportement de M. Nkamba pourrait être interprété comme arrogant ou menaçant. Le policier Gagné dit à M. Nkamba qu’il peut s’en aller chez lui, mais ce dernier répond qu’il est chez lui et veut rester là.

[97]      À la Cour municipale, le policier Gagné témoigne[31] que M. Nkamba pose ses valises sur le trottoir, vient rejoindre les policiers, se positionne à deux mètres d’eux, et les prend en photo, alors que l’intervention est terminée. Encore là, le policier semble décrire une situation qui pourrait laisser penser que M. Nkamba les provoque et est menaçant.

[98]      Lors de son interrogatoire préalable[32], le policier Gagné témoigne qu’il ne se souvient pas de l’endroit où les policiers se trouvent lorsque M. Nkamba pose ses valises sur le trottoir. Il ne se souvient pas non plus si M. Nkamba marche vers sa résidence ou reste sur place. Il affirme que M. Nkamba ne dit « jamais » pourquoi il reste sur place. Il n’est donc plus question d’un comportement provocant ou menaçant de la part de M. Nkamba ni d’une proximité entre eux.

[99]      À l’audience, le policier Gagné témoigne après avoir visionné tout à loisir la vidéo de la scène du trottoir filmée par M. Nkamba[33] ainsi que celle filmée par une voisine[34]. Il rectifie sa version.

[100] Il explique qu’une fois les valises posées sur le trottoir, il ne « tourne pas le dos à la situation » et que M. Nkamba ne fait aucun mouvement pour rentrer chez lui. Le policier Gagné explique qu’il ne sait pas ce que M. Nkamba va faire ni « son but ». Il justifie que les policiers restent là en disant qu’il n’a pas le choix pour sa sécurité et qu’il serait vulnérable dans l’autopatrouille alors qu’il y a encore « des gens autour ».

[101] Il ne part pas et dit à M. Nkamba qu’il doit discuter avec son collègue.

[102] Voyant qu’il « ne gagnerait pas » à ce petit jeu de qui-reste-là-le-plus-longtemps, il change d’idée. Il reconnait ne pas avoir fait la meilleure « désescalade » de la situation. Il dit à M. Nkamba qu’ils sont « vraiment désolés de l’avoir dérangé cette nuit ».

[103] Puis, il est question de la prise de photographies par M. Nkamba. Les différentes versions du policier Gagné sur le sujet évoluent aussi au fil du temps.

[104] Dans son rapport d’événement[35], il relate ceci :

Soudainement, il commence à filmer ou prendre mon véhicule patrouille en photo. Il s’avance près du véhicule sur le côté et va même jusqu’à se diriger en plein milieu de la rue pour prendre le derrière de mon véhicule, sans se soucier si des véhicules sont en approche dans la voie.

Je vais le voir et […].

(Nos soulignements)

[105] À la Cour municipale[36], le policier Gagné témoigne que M. Nkamba les filme avant de s’intéresser aux autopatrouilles. Puis, en filmant ou photographiant les véhicules, M. Nkamba se retrouve dans la rue. Il lui demande de retourner sur le trottoir, mais M. Nkamba refuse.

[106] À l’audience, le témoignage du policier Gagné se précise malgré le passage du temps. Il explique que M. Nkamba filme « tout le tour » des véhicules et aboutit « en plein milieu de la rue ». Il ne dit plus que M. Nkamba filme d’abord les policiers. Le policier Gagné se souvient maintenant en détail de la scène : M. Nkamba filme d’abord la plaque de son autopatrouille, puis celle du véhicule du policier Drolet. Ensuite, M. Nkamba s’attarde à filmer le côté conducteur du véhicule du policier Gagné pour finalement filmer le côté conducteur de celui du policier Drolet. C’est à ce moment qu’il l’interpelle pour ensuite l’arrêter.

-    Version du policier Drolet

[107] Pour sa part, dans son rapport d’événement rédigé très peu de temps après l’intervention[37], le policier Drolet écrit que le policier Gagné dit à M. Nkamba qu’il peut quitter une fois que M. Nkamba a récupéré ses valises. M. Nkamba dit qu’il va rester sur place. Puis, ce dernier prend son cellulaire et filme les policiers. Ensuite, M. Nkamba s’approche de l’autopatrouille du policier Drolet (et non celle du policier Gagné), marche dans la rue et se rend à l’arrière du véhicule du policier Drolet. C’est à ce moment que le policier Gagné l’interpelle.

[108] Au cours de son interrogatoire préalable[38], le policier Drolet dit que M. Nkamba semble en colère. Il sort son cellulaire et va dans la rue pour photographier les autopatrouilles. Il précise qu’il ignore si M. Nkamba photographie les plaques d’immatriculation. Ce dernier marche dans la rue sans se soucier de son environnement. Le policier Gagné le rejoint et l’interpelle.

[109] À l’audience, le policier Drolet qualifie M. Nkamba d’« hostile », qualificatif utilisé aussi par le policier Gagné plus tôt devant le Tribunal. Le policier Drolet témoigne qu’il veut voir les mains de M. Nkamba en continu, ce qui explique l’utilisation de sa lampe de poche. Voyant que M. Nkamba ne veut pas quitter, il lance : « On va passer la soirée ici si ça continue ».

[110] Ce qui se passe ensuite s’est aussi précisé à l’audience dans la mémoire du policier Drolet, tout comme pour le policier Gagné. En effet, le policier Drolet se souvient que M. Nkamba s’avance d’abord vers l’autopatrouille du policier Gagné, puis passe entre les deux autopatrouilles. Il se rend ensuite du côté conducteur du véhicule du policier Drolet et marche jusqu’au parechoc arrière. C’est à ce moment que le policier Gagné interpelle M. Nkamba.

[111] Détail intéressant sur lequel le Tribunal reviendra: le policier Drolet qualifie la circulation sur le boulevard du Plateau à cette heure-là de « pratiquement nulle ».

-    La vidéo de la voisine[39]

[112] Cette vidéo est prise par une voisine, Mme Chantal Bedzra, à partir de l’intérieur de son appartement. On y voit M. Nkamba sortir calmement du taxi, se diriger lentement vers le coffre arrière, y récupérer ses valises et les poser sur le trottoir. Il serre la main de Tony et se poste sur le trottoir pendant que Tony regagne son véhicule. Les deux policiers surveillent la scène à bonne distance.

[113] Ce qui frappe : le calme qui se dégage de la scène.

-    La vidéo prise par M. Nkamba[40]

[114] Les images de cette vidéo nous renseignent peu. Les paroles échangées sont plus significatives.

[115] Voici ce que le Tribunal en retient.

[116] Le policier Gagné s’excuse auprès de M. Nkamba et ils se souhaitent une bonne soirée. Puis, M. Nkamba demande aux policiers « de dégager ». En réponse, le policier Gagné invite à son tour M. Nkamba à quitter les lieux. On entend M. Nkamba dire clairement qu’il refuse de quitter les lieux « parce qu’il ne leur [policiers] fait certainement pas confiance ». Le policier Gagné répond : « Ben moi, je reste ici ». M. Nkamba ajoute : « Ben, on va tous rester là ». Le policier Gagné dit alors qu’il doit discuter avec son collègue et qu’ils en ont « pour un petit bout ».

[117] Un échange stérile s’amorce au cours duquel M. Nkamba dit calmement aux policiers qu’ils n’ont pas le droit de lui poser des questions; le policier Gagné rit.

[118] Le policier Gagné souhaite une bonne nuit à M. Nkamba, ce à quoi ce dernier répond : « On est bien d’accord, on va bien s’amuser ».

[119] Finalement, le policier Gagné s’excuse d’avoir dérangé M. Nkamba.

[120] Encore une fois, le tout se déroule calmement, et les protagonistes sont polis. Mais on sent une tension du côté de M. Nkamba alors que les policiers adoptent, pour leur part, un ton narquois par moment.

***

[121] Le Tribunal note du visionnement des deux vidéos que rien ne permet à l’observateur neutre de soupçonner un danger, un potentiel de danger, ou quoi que ce soit d’autre que l’amorce d’une puérile guerre de nerfs sur le trottoir.

[122] À ce stade-ci de la séquence des faits, le Tribunal ne peut que se questionner sur le comportement du policier Gagné. Pourquoi choisit-il de dire, d’un ton très affirmatif, qu’il reste là? Quand il ajoute qu’il doit discuter avec son collègue et qu’il en a pour un moment, cela ressemble à un prétexte sinon à de la provocation.

[123] Le policier Gagné qualifie M. Nkamba d« hostile » en se référant à la « vibe » qu’il se souvient ressentir à ce moment. Il aborde également l’imprévisibilité potentielle du comportement de M. Nkamba, considérant les indices de son état d’ébriété qu’il observe.

[124] Les vidéos contredisent le témoignage du policier Gagné sur l’hostilité et l’état d’ébriété.

[125] Également, le Tribunal écarte l’explication qu’un policier est « plus vulnérable » dans son autopatrouille pour discuter avec son collègue. Cela peut être vrai dans certaines circonstances, mais encore faudrait-il les décrire. Rien dans la situation à l’étude ne justifie une telle affirmation.

[126] D’ailleurs, M. Nkamba ne croit pas la raison donnée par les policiers pour ne pas quitter, et c’est à ce point de l’histoire que tout bascule. C’est à ce point de l’histoire qu’en temps normal, les policiers devraient regagner leur autopatrouille et partir.

[127] Encore ici, comme pour la question de la ceinture de sécurité, rester sur le trottoir dans ces circonstances participe à une escalade qui finira mal. Encore ici, le Tribunal ne peut imaginer que dans le même contexte, le policier aurait agi de la même façon avec une personne blanche qui décide de rester sur le trottoir pour observer les policiers quitter les lieux.

[128] Le fait que M. Nkamba filme ou photographie aurait dû alerter les policiers sur la perception qu’il a d’être l’objet d’un traitement anormal, injuste ou différencié, à tort ou à raison, fondé sur la couleur de sa peau. M. Nkamba se protège en filmant. Les policiers, habitués à être filmés ou accusés d’être racistes lorsqu’ils interpellent des personnes noires, le savent. Il leur revenait de « désescalader » la situation en quittant les lieux.

[129] M. Nkamba avait parfaitement le droit de rester sur le trottoir, sans bouger, calmement, comme il le faisait, jusqu’à ce que les policiers s’en aillent. M. Nkamba est mécontent et affirme ses droits avec justesse, aplomb et calme, soit son droit de ne pas être importuné par des questions injustifiées des policiers.

[130] En prétextant vouloir discuter ensemble d’une intervention précédente pendant un temps indéfini, les policiers mettent de l’huile sur le feu qui couvait.

[131] Difficile pour le Tribunal de ne pas lier ce comportement à la couleur de la peau de M. Nkamba, faute d’explication plausible, rationnelle et objective du comportement des policiers.

***

[132] La situation connait son apogée et culmine avec l’arrestation de M. Nkamba.

L’arrestation

-    La version de M. Nkamba

[133] M. Nkamba relate plutôt succinctement son arrestation au moment où il fait semblant de prendre des photographies des autopatrouilles.

[134] Interrogé au préalable, il témoigne ainsi[41] :

Et lorsque je m’apprête à retourner vers le trottoir où la pelouse, subitement, il y a un choc. M. Drolet me saute au cou. Le terme « saute au cou » peut être jugé plusieurs façons, mais de façon très brute quelqu’un me prend par les collets. On me prend par les collets et subitement, je ressens un bon petit coup sur le front qui a fait sauter ma casquette de baseball que je portais à l’époque.

(Transcription textuelle)

[135] À l’audience, M. Nkamba témoigne au même effet : alors qu’il se retourne après avoir photographié ou fait semblant de photographier la plaque d’immatriculation de l’autopatrouille du policier Drolet, ce dernier « l’aborde par le collet » et lui « fout un coup à la tête », sur le front, et sa casquette tombe.

[136] M. Nkamba ne résiste « absolument pas », dit-il. On le menotte quand même, on le fouille. Il est détenu dans l’autopatrouille du policier Drolet, puis on lui remet les deux constats d’infraction et on le libère.

[137] M. Nkamba ne se souvient pas s’il est fouillé dans la rue ou sur le trottoir ni s’il est maintenu contre l’autopatrouille ou pas.

***

[138] Ce qui étonne dans ce témoignage, c’est que M. Nkamba affirme que c’est le « policier barbu » qui procède à son arrestation, soit le policier Drolet[42].

[139] Or, son souvenir est erroné. C’est bien le policier Gagné qui l’arrête. Les rapports d’événement le confirment, et le Tribunal ne doute pas du témoignage des deux policiers à ce sujet.

[140] Le témoignage de M. Nkamba est vague sur le coup qu’il aurait reçu à la tête. Il ne relate pas à quel moment il récupère sa casquette qui serait tombée ni comment.

[141] Si le Tribunal devait retenir son témoignage, il faudrait conclure que le policier Drolet agrippe M. Nkamba par le collet, le frappe et le menotte, pendant que le policier Gagné regarde la scène sans intervenir. Il faudrait aussi conclure que les deux policiers inventent ensemble de toutes pièces, dans leur rapport d’événement et devant le Tribunal, une arrestation dans laquelle ils intervertissent leur rôle et agressent physiquement M. Nkamba sans motif.

[142] Le Tribunal rejette cette version de l’événement.

[143] Le Tribunal croit le témoignage de M. Nkamba sincère, mais non fiable.

[144] Le Tribunal a pu constater à l’audience qu’en général, lorsqu’il témoigne, M. Nkamba prend grand soin de nuancer ses propos lorsqu’il le juge nécessaire, notamment lorsqu’il distingue ce qui relève de sa mémoire de ce qui s’avère plutôt une déduction. Par contre, en contre-interrogatoire, il perd ses moyens, s’agite, et se sent pris au piège, malgré les explications rassurantes du Tribunal et la technique tout à fait adéquate à cet égard utilisée par l’avocat de la partie défenderesse.

[145] Mais il est manifeste que M. Nkamba a vécu son arrestation dans un état de peur et qu’il en est encore profondément marqué à ce jour. Le Tribunal considère que c’est ce qui affecte la fiabilité de son témoignage.

[146] Quand il constate que les policiers ne veulent pas quitter les lieux après l’intervention auprès du chauffeur Tony, il comprend que la situation n’est assurément pas normale. Il réfléchit à des stratégies pour se protéger des policiers, sentant que la situation va dégénérer.

[147] Dès le début de l’intervention, il est craintif. Il ne comprend pas pourquoi Tony a été intercepté et encore moins pourquoi les policiers s’adressent à lui, qui n’est qu’un passager dans le taxi. Sa nervosité fait en sorte qu’il n’écoute pas et n’enregistre pas les informations et les propos que les policiers tiennent.

[148] M. Nkamba témoigne qu’il demande aux policiers de s’identifier à plusieurs reprises, ce que contestent les policiers. Il explique qu’un policier qui s’identifie d’emblée est un facteur rassurant. Il prétend que les policiers ne le font pas. Pourtant, jamais M. Nkamba n’explique à l’audience pour quelle raison il n’a tout simplement pas lu le nom des policiers apparaissant en évidence sur leur uniforme.

***

[149] Le Tribunal rappelle qu’il doit s’attarder aux motifs qui ont poussé les policiers à agir plutôt qu’à leur façon de faire. Voici ce que le Tribunal retient de leur témoignage.

-    La version du policier Gagné

[150] Quand M. Nkamba se retrouve sur la chaussée, le policier Gagné l’avise qu’il commet une infraction.

[151] Les différentes versions du policier Gagné varient relativement à ce qu’il fait avant d’arrêter M. Nkamba, ce que les policiers nomment : l’interpellation policière[43].

[152] Par exemple : à la Cour municipale, le policier Gagné déclare qu’il demande à M. Nkamba de retourner sur le trottoir, mais n’en dit pas un mot lors de l’audience.

[153] Autre exemple : à la Cour municipale, le policier Gagné dit avoir tenté de raisonner M. Nkamba parce qu’il « avait d’autres choses à faire de sa soirée et n’avait pas l’intention de l’arrêter ». À la CDPDJ, le policier Gagné déclare très précisément avoir demandé trois fois à M. Nkamba de « collaborer ». Or, tenter de « raisonner » quelqu’un et lui demander de « collaborer » ne sont pas deux choses équivalentes. Finalement, à l’audience, cette précision de trois demandes de collaborer disparait, mais cette fois, le policier Gagné dit plutôt qu’il « avise » M. Nkamba qu’il a « l’obligation » de collaborer, de s’identifier et l’invite à le suivre. Il n’est toujours pas question d’une demande de retourner sur le trottoir.

[154] Autre exemple : ce n’est qu’à l’audience que le policier Gagné décrit une situation où M. Nkamba est en danger, ou sa sécurité est menacée parce qu’il se trouve sur un boulevard.

[155] Autre exemple : à la CDPDJ, le policier Gagné déclare que M. Nkamba résiste à l’arrestation, en « mode défensif » plutôt qu’agressif. À l’audience, le policier Gagné décrit que M. Nkamba essaie de se déprendre, qu’il crie et demande de le lâcher, qu’il est en « résistance active ».

[156] Il s’agit là de divergences qui ont leur importance parce que ces quelques exemples illustrent un crescendo dans la description de l’agressivité de M. Nkamba.

[157] La jurisprudence parle d’une tendance à l’enflure du côté du témoignage des policiers dans les affaires de profilage racial. Dans l’affaire Ville de Montréal c. Baptiste[44], le Tribunal s’exprime ainsi au sujet du vocabulaire que les policiers utilisent pour décrire une personne racisée qui se plaint de discrimination :

[16] D’autres mots utilisés par les agents pour décrire le comportement de la défenderesse ont attiré mon attention : « [Elle] crie à tue tête [...] Elle cris au meurtre [sic] Elle hurle à tue tête. [...] criant à tue tête. » Ces expressions imagées sont de l’hyperbole ― une figure de style qui consiste à augmenter ou à diminuer excessivement la vérité des choses. C’est une exagération volontaire dans le but de produire un effet. Elle sied peut-être bien dans la littérature et la conversation, mais elle devrait être évitée dans les documents officiels, surtout ceux qui peuvent être déposés en preuve devant une cour de justice.

[17] Dans la Iowa Law Review, les professeurs de droit Jones et Norwood ont souligné la fréquence du phénomène par lequel des femmes noires qui s’opposent à une situation d’injustice sont stéréotypées comme « angry black women » afin d’attaquer leur crédibilité et de transposer le blâme sur elles. En l’espèce, l’utilisation répétée par les agents de l’hyperbole pour décrire la défenderesse suggère une exagération du comportement de celle-ci. Cette description mérite donc une grande circonspection.

(Référence omise)

-    La version du policier Drolet

[158] Tout comme le policier Gagné à l’audience, le policier Drolet qualifie M. Nkamba d« hostile ». Sur le déroulement de l’arrestation, il est peu loquace. Il affirme que le policier Gagné avise M. Nkamba qu’il est en situation d’infraction et que ce dernier continue de s’éloigner. Selon lui, M. Nkamba crie.

[159] À l’audience, il se souvient que c’est le policier Gagné qui effectue la fouille de M. Nkamba alors que lorsqu’il était interrogé au préalable, il disait l’ignorer[45]. Pourtant, dans son rapport d’événement[46], il écrit que c’est bien le policier Gagné qui a procédé à l’arrestation, le menottage et la fouille.

***

[160] Qu’on retienne tous les détails de l’interpellation et de l’arrestation fournis par les policiers à l’audience ou pas, une chose demeure : selon le policier Drolet, à trois heures du matin sur le boulevard cette nuit-là, la circulation est « pratiquement nulle ». M. Nkamba ne menace personne en faisant semblant de photographier les autopatrouilles des policiers et n’est pas réellement en danger. La décision des policiers de l’interpeller puis de procéder à son arrestation à deux, de le menotter, de le fouiller, dans les circonstances d’une infraction bénigne au Code de la sécurité routière, constitue un traitement différencié.

2.            Deuxième élément : la distinction liée aux caractéristiques personnelles visées par l’article 10 de la Charte

[161] Dans le cadre de la preuve de discrimination prima facie que doit faire la CDPDJ, il suffit que la couleur de peau ou la race soit l’un des facteurs ayant motivé les policiers à agir, consciemment ou inconsciemment[47].

[162] Il est rarissime, à moins d’un aveu, que l’on puisse offrir une preuve directe que le geste posé par un policier l’a été en raison de la couleur de peau du citoyen[48].

[163] Pour décider si la couleur ou la race a joué un rôle, le Tribunal doit soupeser plusieurs facteurs comme[49] :

[…] la conduite des policiers concomitante et postérieure à l’interpellation et à la détention d’une personne noire; les raisons qu’ils mettent de l’avant pour expliquer ce qui les a amenés à sélectionner un individu comme suspect plutôt qu’un autre; les incohérences entre les raisons invoquées; et les questions posées ou les propos tenus. À cet égard, les explications invraisemblables ou contradictoires pourront revêtir une importance considérable.

[164] Le motif interdit s’infère généralement de la preuve dans son ensemble qui « doit lui [le Tribunal] permettre de conclure que l’explication la plus rationnelle ou vraisemblable de la conduite » du policier est liée à la couleur de la peau ou la race de la personne noire[50].

[165] Lors de l’audience, les avocats utilisaient parfois le personnage fictif de « matante Jeannette », femme âgée qu’on tenait pour blanche et d’origine québécoise, qu’ils plaçaient dans la même situation que M. Nkamba pour s’interroger sur le comportement des policiers.

[166] Le Tribunal ne peut utiliser ce même personnage fictif qui vient fausser l’analyse en ce qu’il s’agit d’une femme âgée, alors que M. Nkamba est un homme d’âge moyen. Le genre et l’âge sont deux motifs interdits par la Charte, en sus de la race, qui se conjugueraient pour entrer en jeu. Le Tribunal préfère se demander si, face à un homme blanc, passager d’un taxi Uber à trois heures du matin, à Gatineau, les policiers auraient agi de la même façon.

[167] Le Tribunal est convaincu que non.

[168] Pour les motifs déjà exposés, le Tribunal ne retient aucune des raisons offertes par les policiers pour justifier : 1) la demande du policier Gagné à M. Nkamba de s’identifier alors qu’il est passager, 2) la remarque du policier Gagné sur le port de la ceinture, 3) le refus des policiers de quitter les lieux une fois l’intervention auprès de Tony terminée et finalement, 4) leur décision d’arrêter, menotter et fouiller M. Nkamba pour une infraction mineure au Code de la sécurité routière.

[169] Cette intervention policière avec Tony, très banale à l’origine, aurait dû se terminer dès que le policier Gagné se satisfait des explications de Tony et use de sa discrétion pour ne pas lui donner de constat malgré l’infraction commise.

[170] Ce n’est pas du tout ce qui se produit. Dès le début des interactions avec M. Nkamba, les policiers se comportent différemment qu’avec Tony. Ils ne se satisfont pas de ses réponses, le questionnent sans motif valable. Ils font fi de la nervosité qu’il montre et se servent de ce qu’il fait valoir ses droits pour envenimer la situation jusqu’à ce qu’il commette un geste qui servira de prétexte pour l’arrêter.

[171] Au cours de la même intervention, les policiers agissent avec générosité et compréhension avec Tony, un homme qui n’est pas noir, et agissent avec intransigeance et de façon arbitraire avec M. Nkamba, un homme noir.

3.            Troisième élément : l’effet préjudiciable dans l’exercice d’un droit

[172] La jouissance et l’exercice, en pleine égalité, de certains des droits fondamentaux de M. Nkamba ont été compromis par les agissements des policiers.

[173] D’abord, la CDPDJ soutient que le droit de M. Nkamba à la sauvegarde de sa dignité a été compromis[51]. Depuis l’arrêt Ward[52] de la Cour suprême du Canada, les contours du droit à la sauvegarde de la dignité sont précisés[53]. Elle y mentionne que ce droit ne doit pas être invoqué comme « une "clause de style" à valeur incantatoire »[54]. De plus, elle indique qu’il « n’y a pas lieu d’invoquer le droit à la sauvegarde de la dignité pour protéger un intérêt qui est par ailleurs déjà pleinement assuré par un autre droit fondamental […] »[55]. Pourtant, la CDPDJ semble invoquer que ce droit est compromis du fait qu’il y a atteinte à d’autres droits fondamentaux protégés par la Charte[56]. En conséquence, faute de preuve pertinente et de fondement juridique valable, le Tribunal conclut que le droit à la sauvegarde à la dignité de M. Nkamba n’est pas compromis.

[174] Son droit au respect de sa vie privée, sans discrimination, est compromis[57]. M. Nkamba avait le droit de ne pas s’identifier. Les policiers, agissant consciemment ou inconsciemment parce que M. Nkamba est noir, le forcent à s’identifier.

[175] De plus, détenu environ 30 minutes dans l’autopatrouille du policier Drolet, M. Nkamba est privé de sa liberté par les policiers, consciemment ou inconsciemment, parce qu’il est noir. Idem pour le menottage[58]. Également, la fouille accessoire à l’arrestation est « contaminée »[59] par la discrimination, et abusive.

[176] Le Tribunal ne retient pas que le droit de M. Nkamba d’être traité avec humanité et respect est compromis[60]. Les policiers sont polis et respectueux dans leurs paroles. De plus, il ne s’agit pas d’un cas de brutalité policière. M. Nkamba n’a pas reçu de coup, malgré ce qu’il croit.

[177] Finalement, le Tribunal ne retient pas que M. Nkamba n’est pas informé promptement de ses droits constitutionnels lors de son arrestation[61]. Il est possible que compte tenu de son énervement, sa peur, ses protestations répétées inlassablement, il n’ait pas entendu les policiers lui réciter ses droits.

***

[178] Dans l’arrêt Bombardier[62], la Cour suprême du Canada enseigne que même si le demandeur ne doit apporter qu’une preuve prima facie de la discrimination, cela ne fait pas en sorte qu’il existe une présomption de discrimination, une nuance de taille :

[88] On ne peut présumer, du seul fait de l’existence d’un contexte social de discrimination envers un groupe, qu’une décision particulière prise à l’encontre d’un membre de ce groupe est nécessairement fondée sur un motif prohibé au sens de la Charte. En pratique, cela reviendrait à inverser le fardeau de preuve en matière de discrimination. En effet, même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée.

[179] Le Tribunal conclut que la CDPDJ s’acquitte de son fardeau de prouver, prima facie, l’existence du profilage racial dans l’intervention des policiers.

C.           L’absence de discrimination (la réfutation) ou la justification

[180] Pour contrer la preuve prima facie de discrimination, la partie défenderesse doit réfuter les allégations de discrimination en démontrant que les policiers ont agi sans égard à la couleur de peau de M. Nkamba. Cette preuve amène généralement les policiers à établir qu’ils disposaient de motifs objectifs, raisonnables, crédibles et légaux d’agir[63]. La preuve doit permettre de conclure que l’intervention policière n’a pas compromis le droit à l’égalité de la victime[64].

[181] Dans l’affaire Mensah[65], le Tribunal explique ce fardeau de preuve en disant qu« à moins que le défendeur ne présente soit des éléments de preuve réfutant l’allégation [de discrimination], soit une défense la justifiant, soit une combinaison des deux »[66], la discrimination interdite sera retenue.

[182] Plus précisément, le Tribunal écrit, dans l’affaire Miller[67], ce qui suit :

[197] Afin de réfuter l’existence de profilage discriminatoire « à première vue », la partie défenderesse doit quant à elle démontrer de manière prépondérante que chaque étape de l’intervention :

1) était fondée sur des motifs raisonnables;

2) n’était pas influencée par l’un ou l’autre des motifs interdits de discrimination;

3) ne constituait pas un traitement différencié ou inhabituel.

[198] Si elle échoue, le Tribunal conclura alors à l’existence de profilage discriminatoire.

(Référence omise)

[183] Dans la présente affaire, la preuve ne suggère pas que les policiers Gagné et Drolet sont racistes ni agissent consciemment en fonction de la couleur de la peau de M. Nkamba. Mais leur conduite et leurs décisions peuvent obéir à des préjugés inconscients et la loi ne fait alors pas de différence : il y a tout de même profilage racial.

[184] De nos jours, l’existence du profilage racial systémique au sein des corps de police au Québec et au Canada est bien connue du public et reconnue par les tribunaux[68]. Malgré cette conscientisation collective, le profilage racial est loin de se résorber. C’est ce qu’expose le juge Yergeau, dans la remarquable synthèse historique qu’il fait dans la récente affaire Luamba[69].

***

[185] Le Tribunal rappelle cet enseignement tiré de l’affaire DeBellefeuille[70] :

[142] On a déjà reconnu en jurisprudence que les interventions effectuées sans motif raisonnable ou de manière excessive par un policier répondaient au critère du traitement différencié. Il en est de même des questions inappropriées ou posées sans raison valable, des décisions inusitées qui se démarquent des pratiques normales, comme un abus de droit ou de pouvoir, ainsi que des pratiques organisationnelles douteuses par les forces de l’ordre.

[143] Il importe toutefois de noter qu’en matière de profilage racial, le Tribunal n’a pas à déterminer si l’intervention policière était raisonnable ou adéquate dans les circonstances, mais bien si elle a compromis le droit à l’égalité de la victime par son caractère discriminatoire au sens de la Charte.

(Références omises)

[186] Déjà en 2012, le Tribunal écrivait, dans l’affaire Rezko[71] :

[153] […] Il ne s'agit donc pas de décider si l'intervention du défendeur [policier] était adéquate ou non, mais plutôt de déterminer si cette dernière constitue une manifestation de profilage discriminatoire fondé sur l'origine ethnique de monsieur Rezko ou, subsidiairement, de la discrimination fondée sur ce même motif, deux pratiques interdites par la Charte.

[…]

[180] Rappelons que ce faisant, un tribunal n'a pas à déterminer si l'intervention était adéquate ou non, mais plutôt si elle a compromis le droit à l'égalité du plaignant. À titre d'exemple, le recours au test utilisé dans les cas de négligence, soit la comparaison avec la conduite d'un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances, est donc inapproprié et a d'ailleurs été récemment rejeté par la jurisprudence.

[…]

[183] Parmi les mesures assimilées à un traitement différencié ou inhabituel, mentionnons les interventions (poursuites, arrestations, détentions, etc.) effectuées sans motif raisonnable, ou de manière excessive compte tenu des circonstances, et la démonstration que dans des situations similaires, les individus généralement non profilés ne subissent pas le même traitement que les membres, réels ou présumés, de groupes qui le sont. À titre d'exemple, si une contravention mineure au Code de la sécurité routière appelle une vérification policière, il apparaît pour le moins incongru qu'elle justifie, à elle seule, une enquête approfondie sur les antécédents criminels du conducteur concerné.

(Références omises)

[187] À l’audience, la Ville et ses deux policiers présentent leur défense en deux volets, que le Tribunal résume ainsi :

1)            ils ont agi légalement et selon les pratiques policières habituelles et reconnues; et

2)            la couleur de peau de M. Nkamba n’a joué aucun rôle puisqu’ils agissent habituellement de la même façon avec des passagers blancs.

[188] Voyons ce qu’il en est.

La demande d’identification des passagers

[189] À l’instar des interceptions de véhicules sans motif dont il est question dans l’affaire Luamba[72], les demandes d’identification de passagers sans motif résultent de l’usage de la discrétion policière. Le Tribunal écarte ici toute ambiguïté pour la suite de l’analyse : le policier Gagné admet qu’il n’avait aucun motif de demander à M. Nkamba de s’identifier, autre que celui de vouloir « savoir à qui il avait affaire ».

[190] Il n’explique pas pourquoi il voulait le savoir.

[191] La discrétion policière ne permet pas aux policiers d’agir sans raison[73]. La « curiosité policière » dont parle le policier Gagné à l’audience, ou le fait d’être « en mode enquête » comme il le dit, ne peuvent servir de raisons valables sans être soutenus minimalement par le contexte ou les circonstances particulières de la situation. Autrement, cette discrétion policière est un formidable vecteur pour le profilage racial inconscient.

[192] Le Tribunal illustre son propos en rapportant cet extrait du jugement dans l’affaire R. c. Mansfield[74] mettant en cause le service de police de la Ville de Gatineau alors qu’une de ses policières demande à la passagère d’un véhicule intercepté de s’identifier :

[18] L’agente affirme candidement qu’elle n’avait aucune raison de demander aux occupants de s’identifier mais que c’est une pratique courante chez elle de le faire. Elle précise : « C’est sûr qu’on vérifie pour les gens peuvent avoir (…), des conditions de ne pas être avec d’autres personnes, pour connaître un peu le pédigrée de la personne à qui on a à faire, pour savoir si y’a pas des mandats d’arrestation émis contre ces gens-là… quand sont pas en infraction sont pas obligés (de répondre) mais on leur demande quand même ». (sic)

[19] Le caractère arbitraire et gratuit à l’origine de l’intervention surprend. Le caractère systématique de la cueillette d’information et l’usage qu’on en fait est renversant.

[20] On apprend ainsi que, le pouvoir légitime de faire respecter les règles de la sécurité routière serait usurpé de façon systémique à la faveur d’une ruse permettant une enquête policière élargie, d’où l’atteinte au droit protégé par la Charte.

(Références omises)

[193] User de la discrétion policière pour demander à un passager de s’identifier sans motif raisonnable constitue un abus de pouvoir[75].

[194] Une personne qui n’a rien à se reprocher sentira le poids de l’autorité du policier qui lui demande de s’identifier, même si cette demande est accompagnée d’une affirmation que la personne n’est pas obligée de le faire.

[195] Le Tribunal estime que la demande d’identification de M. Nkamba par le policier Gagné, même assortie de l’affirmation qu’il n’a pas l’obligation de le faire, constitue un usage de sa discrétion et de son autorité qui ne peut raisonnablement se justifier que par un biais inconscient lié à la couleur de peau de M. Nkamba.

[196] Que le policier Gagné demande aussi à des passagers blancs de s’identifier ne permet pas d’invalider cette conclusion. Comme déjà exposé, les rapports d’événement qu’il produit, peu importe leur nombre, ne permettent pas de tirer les conclusions qu’il souhaite quant à une pratique habituelle sans distinction fondée sur la race.

[197] Finalement, que cette pratique soit « répandue et généralisée » ou conduise « fréquemment en la découverte d’éléments d’infraction »[76] ne la justifie pas si ce qui déclenche son application est en partie, consciemment ou inconsciemment, l’un des motifs de discrimination interdits par la Charte.

La ceinture de sécurité

[198] À ce sujet, la Ville et les policiers n’offrent aucun motif de réfuter ou justifier la preuve prima facie de discrimination. La tentative du policier Gagné d’expliquer qu’il agit alors dans un but de sensibilisation s’apparente à un pur prétexte.

[199] Dans ces circonstances, la preuve prima facie de discrimination fondée sur la race n’est pas écartée.

L’arrestation

[200] Le profilage racial à cette étape de l’intervention policière et de son prélude, la scène sur le trottoir, est contré par un argument fondé sur les bonnes pratiques policières et la sécurité. On invoque la sécurité des policiers autant que celle de M. Nkamba.

[201] Les policiers plaident qu’ils se tiennent près de M. Nkamba lorsqu’il retire ses valises du coffre du taxi et qu’ils l’éclairent de leur lampe de poche, parce qu’il s’agit d’une « procédure de sécurité normale », que M. Nkamba est « hostile », qu’il montre une « certaine agressivité »[77].

[202] Une lutte de pouvoir s’installe : c’est à qui restera sur le trottoir le dernier. M. Nkamba dit aux policiers qu’il ne quittera pas les lieux avant eux « parce qu’il ne leur fait clairement pas confiance ». De leur côté, les policiers donnent une raison fallacieuse : ils doivent discuter ensemble d’une autre affaire.

[203] Cette partie de l’intervention s’inscrit dans une suite de gestes et décisions du policier Gagné, contaminés par le biais racial inconscient sous-jacent.

[204] En ce qui concerne le policier Drolet, à qui son collègue Gagné affirme qu’il n’a rien « contre » M. Nkamba, ses gestes et décisions se calquent sur les agir de M. Gagné. Ils agissent en duo, en symbiose.

[205] Le Tribunal ne peut retenir leur justification fondée sur l’hostilité ou l’agressivité de M. Nkamba, que la preuve ne soutient pas. Déjà, le Tribunal en a traité dans l’analyse des vidéos visionnées à l’audience. À cela s’ajoute le fait que des policiers consciencieux et conscients de l’existence du profilage racial systémique doivent comprendre le comportement d’un homme noir en interaction avec des policiers et moduler en conséquence leur intervention. Comme le Tribunal l’écrivait dans l’affaire Nyembwe[78] impliquant le présent service de police :

[393] Or, non seulement l’agressivité d’une personne qui refuse d’obtempérer à un ordre illégal d’un policier ne rend pas cet ordre légal, mais un citoyen a le droit de refuser de collaborer avec les policiers si la loi ne l’y oblige pas. Les personnes racisées étant plus souvent ostracisées du fait de leur couleur, elles sont susceptibles d’avoir une réaction vive lorsqu’elles perçoivent qu’elles ne sont pas traitées comme des citoyens à part entière du seul fait de leur couleur.

[394] Comme les éléments précédents considérés par les policiers pour expliquer leurs comportements, le critère de « l’agressivité » du suspect, est subjectif, et relève des standards beaucoup plus bas invoqués par les policiers pour sélectionner, interpeller, détenir et appréhender les hommes noirs auxquels l’experte fait allusion.

(Références omises)

[206] Sous l’œil scrutateur des policiers, M. Nkamba photographie les autopatrouilles. Il met les pieds sur la chaussée, commettant une infraction au Code de la sécurité routière.

[207] Les policiers expliquent qu’ils procèdent à son interpellation puis son arrestation pour assurer la sécurité de M. Nkamba. Ils invoquent son état d’ébriété et son insouciance devant le danger de se retrouver à pied sur le boulevard.

[208] C’est une explication donnée après coup qui ne tient pas la route.

[209] Si c’est la sécurité de M. Nkamba qui avait motivé son interpellation et son arrestation, les policiers auraient communiqué leur inquiétude à M. Nkamba, l’auraient sensibilisé au fait qu’il se mettait en danger, se seraient possiblement placés devant lui avec leur lampe de poche allumée pour alerter les voitures.

[210] Ils n’ont rien fait de tel. Ils continuent de mettre de l’huile sur le feu en avisant fermement M. Nkamba qu’il doit collaborer, qu’il est en train de commettre une infraction, et qu’ils doivent l’arrêter si ça continue.

[211] La tension entre M. Nkamba et les policiers augmente à compter de la demande faite à M. Nkamba de s’identifier, mais surtout, à compter de son refus de le faire.

[212] Pourquoi l’arrêter pour avoir marché dans la rue? Pourquoi ne pas l’avoir invité à photographier le côté passager des autopatrouilles à partir du trottoir? Pourquoi ne pas lui avoir communiqué leur inquiétude pour sa sécurité?

[213] Parce qu’ils attendaient le faux pas qui leur permettrait de l’arrêter. Et l’obligerait finalement à s’identifier.

[214] C’est ce que démontre la preuve et que retient le Tribunal.

[215] La jurisprudence a reconnu que dans certaines circonstances, arrêter une personne noire pour une infraction mineure et banale au Code de la sécurité routière ou à un règlement municipal, constitue du profilage racial[79]. Ici, les policiers Gagné et Drolet avaient le pouvoir d’assurer la sécurité de M. Nkamba, si telle avait été leur réelle motivation, sans procéder à son arrestation.

[216] Le Tribunal cite les propos de l’honorable Magali Lewis dans l’affaire Nyembwe[80] :

[319] La discrétion est une caractéristique essentielle de l’exercice par les policiers des pouvoirs qui leur sont conférés et de la justice criminelle, sans laquelle le système serait trop complexe et rigide.

[320] Le Canada n’étant pas un État policier, les pouvoirs des policiers sont circonscrits dans le but de trouver le point d’équilibre entre la protection des citoyens et la prévention du crime, d’une part, et l’atteinte aux libertés individuelles et à la vie privée des personnes, d’autre part.

[321] Un agent de police qui a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou qu’une enquête plus approfondie permettrait d’obtenir des éléments de preuve susceptibles de mener au dépôt d’accusations pénales, peut ainsi exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas emprunter la voie judiciaire. Son pouvoir n’est toutefois pas absolu ; il doit justifier rationnellement sa décision.

(Références omises)

***

[217] Les policiers font grand cas d’une autre intervention qui se déroule alors que M. Nkamba est détenu dans l’autopatrouille du policier Drolet.

L’intervention en parallèle : Mme Kabeya

[218] La narration des faits par chacun des policiers dans leur rapport d’événement[81] et à l’audience comporte des divergences. Nonobstant ces divergences, il suffit de retenir ce qui suit.

[219] Alors que le policier Gagné est dans son véhicule et que le policier Drolet est dans le sien avec M. Nkamba, une dame s’approche de l’autopatrouille du policier Gagné et lui demande d’appeler un taxi. Puis, elle s’éloigne et se met à marcher, puis courir, sur le boulevard du Plateau en direction d’un taxi qu’elle aperçoit.

[220] Le policier Gagné la rejoint et lui dit qu’elle n’a pas le droit de marcher et courir dans la rue. Et, « pour une question de sécurité », lui demande de le suivre sur le trottoir. Lors de l’audience, il sera question de la « ramener », de « l’escorter », de « la soutenir peut-être », puisqu’elle est « visiblement sous l’influence de l’alcool », « en état d’ébriété avancé ».

[221] Puis, une fois qu’elle est en sécurité sur le trottoir, le policier Gagné demande à la dame de s’identifier. Elle donne un faux nom et quatre dates de naissance différentes. Le policier Gagné l’informe qu’il pourrait l’accuser d’entrave. Elle persiste.

[222] Le policier Drolet effectue des recherches pour vérifier son identité, mais ne parvient pas à l’identifier. Questionnée de nouveau, la dame réitère les fausses informations déjà données.

[223] Les policiers l’arrêtent, la menottent, fouillent son sac à main. Ils l’identifient puis lui donnent deux constats d’infraction, un pour avoir marché sur la chaussée, l’autre pour entrave.

[224] La dame est une personne noire.

***

[225] Au lieu d’appuyer les prétentions des policiers justifiant linterpellation et l’arrestation de M. Nkamba, cet incident parallèle montre leur intransigeance face à M. Nkamba, et ne peut assurément pas montrer que la couleur de peau ne joue pas un rôle dans l’intervention.

[226] Il est manifeste que les policiers ne participent pas à une escalade avec Mme Kabeya. Leur comportement en est un d’assistance, jusqu’à ce que les fausses informations répétées par Mme Kabeya les conduisent, après l’avoir averti, à l’arrêter. À l’inverse, ils n’adoptent pas un comportement d’assistance envers M. Nkamba malgré qu’ils jugent qu’il se met à risque en marchant sur le boulevard.

[227] Il est également manifeste que la dame se trouvait dans une situation à risque pour sa sécurité, en marchant puis courant sur une bonne distance au milieu du boulevard et dans le rond-point de la rue Amsterdam, même s’il y avait peu de circulation. À l’inverse, M. Nkamba longeait les autopatrouilles lentement, sous l’œil des policiers.

***

[228] Le Tribunal ne peut passer sous silence la prétention des policiers quant à l’état d’ébriété de M. Nkamba, sur lequel ils tablent pour décrire une situation appelant leur vigilance pour assurer leur propre sécurité.

L’état d’ébriété de M. Nkamba

[229] Le Tribunal rappelle que M. Nkamba reconnait avoir bu un shooter et deux bières entre minuit et deux heures du matin à la boîte de nuit. L’interception du véhicule de Tony survient vers 2 h 30.

-    Version du policier Gagné

[230] Dans son rapport d’événement[82], le policier Gagné précise qu’il constate des indices de l’état d’ébriété de M. Nkamba alors qu’il est sur le trottoir et qu’il lui dit de s’en aller. Il décrit un langage mal articulé, des yeux injectés de sang, des mouvements lents et un peu maladroits.

[231] À la Cour municipale, le policier Gagné témoigne[83] qu’il constate l’état d’ébriété de M. Nkamba plutôt lorsque ce dernier s’engage dans la rue. Son état est à ce point altéré que le policier Gagné dit ne pas comprendre ce que M. Nkamba lui dit quand il parle.

[232] À l’enquêtrice de la CDPDJ, le policier déclare[84] que M. Nkamba est en état d’ébriété. Il décrit son langage pâteux et mal articulé, ses yeux injectés de sang et ses mouvements malhabiles.

[233] Lors de son interrogatoire préalable[85], le policier Gagné insiste et déclare que M. Nkamba était « visiblement » intoxiqué. Il parle de ses mouvements maladroits, de son langage mal articulé et de ses yeux injectés de sang.

[234] Finalement, à l’audience, le policier Gagné reprend ce qu’il avait dit à la Cour municipale en disant qu’il remarque l’état d’ébriété de M. Nkamba lorsqu’il marche dans la rue. Il décrit un langage mal articulé, des mouvements maladroits, des yeux rouges et sa façon de tenir son cellulaire.

[235] En visionnant à l’audience la vidéo prise par la voisine, il ajoute que lorsque M. Nkamba sort du taxi, il fait un pas en arrière et s’appuie sur la voiture pour se rendre au coffre arrière. Il y voit d’autres signes de l’état d’ébriété de M. Nkamba. En contre-interrogatoire, il persiste à dire qu’il avait de la difficulté à comprendre M. Nkamba en raison de son langage affecté par l’alcool, mais se rétracte légèrement en qualifiant l’état de M. Nkamba comme étant « un peu sous l’influence de l’alcool ».

-    Version du policier Drolet

[236] Étonnamment, le rapport d’événement rempli par le policier Drolet, ainsi que son « supplément », sont muets relativement à l’état d’ébriété présumé de M. Nkamba[86]. À l’audience, après avoir entendu le policier Gagné témoigner et après avoir visionné plusieurs fois les vidéos, le policier Drolet témoigne qu’il a observé un langage « très lent pas beaucoup ». Il a aussi observé des « petites difficultés » avec la manipulation du cellulaire par M. Nkamba. Il précise qu’il n’a pas senti d’odeur d’alcool.

[237] Le Tribunal a constaté que le policier Drolet semblait mal à l’aise à l’audience au sujet de l’état d’ébriété allégué de M. Nkamba.

***

[238] Les trois vidéos de l’incident[87] ne laissent planer aucun doute, estime le Tribunal. M. Nkamba ne montre aucun signe d’un état d’ébriété. Il ne chancelle pas en sortant du taxi. Il pose un pied derrière lui une fois sur le trottoir, sans plus. Il pose peut-être sa main ou effleure le taxi en le contournant pour aller au coffre, sans plus.

[239] Deux des trois vidéos sont sonores. M. Nkamba s’exprime clairement et articule très bien. On est loin du langage mal articulé, du langage pâteux, ou difficile à comprendre.

[240] Finalement, comme certaines personnes, M. Nkamba a le blanc des yeux légèrement rouge. Le Tribunal l’a constaté à l’audience. D’ailleurs, timidement, le policier Gagné glissera dans son témoignage qu’il ignorait la couleur habituelle du blanc des yeux de M. Nkamba.

***

[241] Il convient maintenant de traiter du jugement de la Cour municipale et de sa valeur juridique dans l’affaire.

Le jugement de la Cour municipale

[242] À la suite de la réception des deux constats d’infraction[88], M. Nkamba enregistre un plaidoyer de non-culpabilité. Il choisit l’option qui lui est offerte par la Cour municipale de communiquer avec lui par courriel plutôt que par la poste. Il motive ainsi son choix parce que depuis qu’il a emménagé dans son appartement du boulevard du Plateau, il rencontre des difficultés à obtenir sa clé de boîte postale de Postes Canada. Il ne peut mettre la main sur le courrier qui y est déposé.

[243] Malheureusement, la Cour municipale ne transmet pas l’avis d’audition par courriel à M. Nkamba, mais l’envoie plutôt par la poste.

[244] Le 6 septembre 2018, l’affaire procède en l’absence de M. Nkamba qui n’a pas encore obtenu de clé fonctionnelle pour ouvrir sa boîte postale. La Cour municipale déclare M. Nkamba coupable d’avoir commis les deux infractions reprochées.

[245] Lorsqu’il finit par recevoir sa clé, M. Nkamba ouvre sa boîte postale et y découvre le jugement.

[246] Cette explication de M. Nkamba quant à son absence à l’audience à la Cour municipale est appuyée par ses échanges courriel avec Postes Canada. Aucune preuve contraire ne permet d’écarter son témoignage.

[247] Ainsi, la Cour municipale prononce une déclaration de culpabilité sans avoir eu le bénéfice du témoignage de M. Nkamba et de la preuve qu’il comptait possiblement offrir.

[248] La Ville invite le Tribunal à conclure que M. Nkamba a bel et bien commis les deux infractions sur la foi du jugement de la Cour municipale. D’abord, M. Nkamba ne s’est pas défendu. Puis, le juge municipal a pu apprécier le témoignage du policier Gagné et l’a retenu. La Ville plaide que le Tribunal commettrait une erreur s’il devait conclure autrement que la Cour municipale.

[249] Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[250] D’abord, le Tribunal n’a pas à trancher la question de la culpabilité de M. Nkamba pour ces deux infractions pénales. Le Tribunal est saisi de la seule question du profilage racial.

[251] Certes, les faits ayant mené à l’émission des constats, la décision de les émettre et la façon de procéder des policiers sont des éléments factuels pertinents, qui doivent être analysés pour décider de la question du profilage racial.

[252] Et certes, le jugement de la Cour municipale doit aussi être tenu en compte. Cependant, ce jugement est loin d’avoir le poids ou l’autorité que lui accorde la Ville.

[253] La Cour d’appel a prononcé plusieurs arrêts sur la question de la recevabilité en preuve des jugements rendus dans d’autres instances relativement à un même événement, et sur le poids que le tribunal civil doit leur accorder.

[254] La position de la Ville omet des nuances jurisprudentielles importantes.

[255] Premièrement, la question de la recevabilité en preuve du jugement de la Cour municipale ne fait pas de doute et n’est pas remise en cause ici[89]. C’est la valeur juridique de ce jugement devant le présent Tribunal dont il est question.

[256] Deuxièmement, le Tribunal commettrait plutôt une erreur en omettant de tenir compte du contexte dans lequel la Cour municipale a rendu jugement.

[257] En effet, dans l’arrêt Pierre-Louis c. Québec (Ville de)[90], la Cour d’appel invite le tribunal civil à accorder au jugement rendu dans une autre instance, une valeur qui est dictée par son contexte. Il va de soi qu’un verdict de culpabilité hors de tout doute raisonnable à la suite de la tenue d’un procès criminel où l’accusé se défend quant aux mêmes événements que ceux de l’affaire civile[91], n’a pas la même incidence qu’un jugement en matière déontologique où la question à trancher n’est pas véritablement la même[92], ou qu’un jugement rendu à la suite d’un plaidoyer de culpabilité[93].

[258] En l’espèce, la Cour municipale a jugé crédible le témoignage non contesté du policier Gagné sur les éléments constitutifs des infractions. C’est un fait. Devant le présent Tribunal, ce témoignage antérieur est susceptible d’être comparé à celui rendu en l’instance ou à d’autres moments par le même témoin afin d’en juger la crédibilité et la fiabilité.

[259] Finalement, la Ville reproche à M. Nkamba de ne pas s’être pourvu en rétractation du jugement de la Cour municipale, invitant le Tribunal, sans le dire aussi clairement toutefois, à conclure à l’aveu de M. Nkamba du bien-fondé du jugement ou, à tout le moins, à en tirer une inférence négative contre M. Nkamba.

[260] Le Tribunal n’est pas d’accord.

[261] M. Nkamba témoigne qu’en portant plainte à la CDPDJ, il croyait que toutes les conséquences des événements vécus seraient traitées, considérées, réparées. Il faisait erreur et nul n’est censé ignorer la loi, mais la croyance erronée de M. Nkamba était sincère et sa plainte à la CDPDJ ainsi que la suite des choses démontrent qu’il conteste encore à ce jour le bien-fondé des constats d’infraction. Il se dit toujours convaincu qu’il n’aurait pas dû les recevoir, qu’il les a reçus en raison du profilage racial dont il a été victime, profilage qui invalide les constats selon lui.

[262] À tout événement, ce débat demeure académique puisque personne ne conteste que M. Nkamba se trouve sur la chaussée lorsque les policiers l’avisent qu’il commet une infraction, qu’il refuse de s’identifier et que les policiers procèdent à son arrestation. Ce sont les faits utiles que le Tribunal retient pour poursuivre l’analyse de l’existence ou non de profilage racial à cette étape de l’intervention policière.

***

[263] En terminant, le Tribunal ne peut passer sous silence un détail troublant qui ressort de l’examen des rapports d’événement utilisés par le service de police.

[264] Chaque rapport contient des sections titrées. Pour chaque personne impliquée dans l’événement, il existe une rubrique intitulée « Facteurs de liens » qui comporte la mention « Ethnie ».

[265] Dans le rapport concernant Mme Kabeya, les policiers marquent « noire » à cette rubrique. Pour M. Nkamba, ils marquent « inconnue, autres ».

[266] Que veut dire « Facteurs de liens » alors qu’il existe un autre endroit prévu pour indiquer à quelle ethnie semble appartenir la personne impliquée dans l’événement?

[267] Pourquoi indiquer que l’ethnie de M. Nkamba est inconnue alors qu’il est manifestement une personne noire?

[268] Le Tribunal préfère ne déduire aucune conclusion de l’existence de cette rubrique en général ni de l’inscription sur le rapport concernant M. Nkamba parce que ces faits n’ont pas été discutés au moment de l’audience. Mais le fait que le gabarit des rapports d’événement consigne l’ethnie comme un des « Facteurs de liens » soulève tout de même des questions liées à la discrimination systémique fondée sur la race.

D.           Conclusion

[269] Le Tribunal conclut que la CDPDJ s’est acquittée de son fardeau de prouver, par une preuve prépondérante, que M. Nkamba a été victime de profilage racial le 30 novembre 2017, lors de l’intervention des policiers Gagné et Drolet, ce qui est interdit par l’article 10 de la Charte.

[270] Le traitement différencié dont M. Nkamba a été victime, en lien avec la couleur de sa peau et/ou sa race, constitue un traitement discriminatoire dans l’exercice de ses droits, au respect de sa vie privée, de recevoir un service ordinairement offert au public sans discrimination interdite, de ne pas être privé de sa liberté ou de ses droits en lien avec sa couleur de peau et/ou sa race, de ne pas faire l’objet de fouilles abusives, en violation des articles 5, 10, 12, 24 et 24.1 de la Charte.

IV.         Réparation du préjudice

[271] La CDPDJ réclame solidairement à la Ville et ses deux policiers la somme de 20 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral subi par M. Nkamba. De plus, elle réclame 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs au policier Gagné, ainsi que 4 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs au policier Drolet.

A.           Les dommages-intérêts pour préjudice moral

[272] Les dommages-intérêts pour préjudice moral visent à indemniser la victime en raison de l’atteinte à ses droits extrapatrimoniaux protégés par la Charte[94]. Le préjudice moral est non apparent et affecte la personne dans sa nature intime[95].

[273] Dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal, la Cour d’appel écrit[96] :

[63] L’exercice consistant à traduire le préjudice moral en dommages, c’est-à-dire en termes monétaires, est toujours délicat. Comme l’écrit le juge Vézina dans Calego International inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « [m]esurer le dommage moral et l’indemnité conséquente constitue une tâche délicate forcément discrétionnaire », presque arbitraire, serait-on tenté d’ajouter. […]

(Référence omise)

[274] Les dommages-intérêts qui visent à compenser le préjudice moral s’évaluent en fonction des conséquences de l’atteinte aux droits fondamentaux de chaque victime. La même atteinte peut causer un préjudice moral différent d’une victime à une autre. La jurisprudence sert de guide, mais les conséquences de l’atteinte doivent être analysées selon la preuve apportée par la victime à l’audience[97].

[275] Cette analyse personnalisée des conséquences subies par la victime s’inscrit toutefois dans un contexte plus global dont le Tribunal doit tenir compte, celui du profilage racial systémique qui existe au Québec et ses conséquences connues sur ses victimes. Les conséquences préjudiciables du profilage racial perdurent au-delà de l’événement dont la personne a été victime. C’est ce qu’énonce le Tribunal dans l’affaire Nyembwe[98] :

[516] Le profilage racial constitue de la violence dirigée vers certains groupes. L’effet des interventions policières excessives à l’égard des minorités raciales et du fichage des membres des collectivités constitue plus qu’un simple désagrément, ses effets perdurent bien au-delà de l’événement qui en est la manifestation.

(Références omises)

[276] La jurisprudence recèle de nombreux cas d’octroi de dommages-intérêts pour préjudice moral pour atteinte aux droits fondamentaux lors d’interpellations policières en contexte de profilage racial. Le Tribunal s’attarde à trois affaires récentes qui analysent la jurisprudence pour en venir à fixer le montant adéquat des dommages-intérêts pour préjudice moral.

[277] Dans l’affaire Mensah en 2018[99], il est question d’un homme noir intercepté au volant de son véhicule. Les policiers constatent des irrégularités à son dossier de conduite. L’affaire dégénère et la victime est arrêtée, menottée, fouillée, et détenue un certain temps dans l’autopatrouille. Le Tribunal accorde 8 000 $ à la victime.

[278] Dans l’affaire DeBellefeuille en 2020[100], un homme noir est intercepté au volant d’une voiture de luxe devant la garderie de son jeune fils. Les policiers vérifient son identité et le laissent partir. Le Tribunal accorde à la victime 10 000 $.

[279] Dans l’affaire Nyembwe en 2021[101], à la suite d’un signalement fait par une victime de violence conjugale, un homme noir est arrêté, menotté, fouillé, et détenu dans l’autopatrouille, alors qu’il ne correspond pas à la description fournie par la personne à l’origine du signalement. Le Tribunal lui accorde 15 000 $.

[280] À la lumière de ce qui précède, il convient maintenant d’examiner la preuve des conséquences subies par M. Nkamba à la suite de l’incident en litige.

***

[281] M. Nkamba témoigne s’être fait interpeller à titre de passager d’un véhicule à Gatineau à de nombreuses reprises, mais le 30 novembre 2017, c’est la première fois qu’il est menotté et fouillé. Avant cet incident, il ressentait une fierté, à titre de personne noire, de n’avoir jamais été menotté lors de ses interactions avec les forces policières comme passager d’un véhicule.

[282] L’incident l’a laissé choqué, bouleversé. Il s’est senti comme un citoyen de second rang, un sous-homme.

[283] Emménagé depuis peu dans ce quartier, il est profondément humilié d’avoir été ainsi traité devant ses voisins. Au moins une voisine, Mme Bedzra, est témoin des événements. Lorsque l’incident se termine et que M. Nkamba retourne chez lui en marchant, il parle de son « walk of shame ». Par la suite, lorsque par exemple, il sort ses poubelles, il se demande si en le voyant, ses voisins l’ont aussi vu aux prises avec les policiers.

[284] Pour lui, son téléphone cellulaire est un mode de survie, une sorte d’assurance vie en cas d’incident avec les forces policières. Cependant, la faible capacité de mémoire de son cellulaire et l’état de sa batterie l’ont empêché de filmer tout l’incident. Il se sentait démuni. C’est la raison pour laquelle il a fait semblant de photographier les plaques d’immatriculation des autopatrouilles et de filmer les côtés des voitures même si son cellulaire était pratiquement déchargé.

[285] Au moment de l’incident, M. Nkamba souffre de dépression depuis au moins cinq ans. Il prend de la médication qui stabilise sa condition. De 2010 à 2017, il est en arrêt de travail à quelques occasions en raison de différents stresseurs en lien avec sa vie personnelle et son travail.

[286] Deux semaines après l’incident, M. Nkamba se présente à une clinique médicale sans rendez-vous afin de faire renouveler la prescription de sa médication pour la dépression et pour obtenir une note médicale pour un arrêt de travail. Les notes du médecin qu’il rencontre indiquent que l’incident avec les policiers a augmenté le stress de M. Nkamba sans toutefois aggraver sa dépression. Deux semaines plus tard, il revoit le même médecin pour prolonger son arrêt de travail. Le médecin note que le sommeil de M. Nkamba est perturbé, qu’il est en colère en raison de ses démarches effectuées contre la Ville.

[287] M. Nkamba est en arrêt de travail du 15 décembre 2017 au 29 janvier 2018.

[288] Suivant la recommandation du médecin, M. Nkamba rencontre une psychologue le 20 décembre 2017. Ce sera sa seule rencontre en psychologie, malgré la recommandation renouvelée du médecin lors de sa deuxième visite auprès de ce dernier.

[289] Ce qu’il faut retenir de la preuve médicale est que M. Nkamba a vu son stress augmenter, et son sommeil demeure perturbé. Il a de la difficulté à se concentrer au travail. Il est en colère.

[290] Il a honte, il a perdu sa fierté de n’avoir jamais été menotté. Cet incident est un incident de trop. Il décide de porter plainte à la CDPDJ.

[291] Considérant la preuve et la jurisprudence, le Tribunal accorde la somme de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour compenser le préjudice moral subi par M. Nkamba.

***

[292] Dans cette affaire, les deux policiers sont fautifs. Le policier Gagné est le principal acteur, celui qui interagit directement avec M. Nkamba. De son côté, le policier Drolet, par sa tolérance et son appui au policier Gagné, commet également une faute[102]. Leurs fautes conjuguées ont causé le préjudice. Ils en sont tenus solidairement responsables[103].

[293] Ville de Gatineau, à titre de commettant, est solidairement responsable de la faute commise par ses policiers[104].

B.           Les dommages-intérêts punitifs

[294] En cas d’atteinte illicite et intentionnelle aux droits protégés par la Charte, le Tribunal peut octroyer des dommages-intérêts punitifs, comme prévu à l’article 49 de la Charte. L’atteinte est illicite et intentionnelle lorsque l’auteur de l’atteinte aux droits protégés par la Charte agit dans un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive, ou agit en connaissant ou ne pouvant ignorer les conséquences probables, inévitables, que sa conduite ou son comportement engendrera[105].

[295] Les dommages-intérêts punitifs visent à dénoncer un comportement blâmable, à punir l’auteur de l’acte illicite et intentionnel, et à le dissuader, comme les membres de la société en général, de répéter ce comportement blâmable[106].

[296] Le Tribunal possède une grande discrétion pour fixer la hauteur des dommages-intérêts punitifs qui ne peuvent toutefois excéder ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive et dissuasive. Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, dont la gravité de la faute, la situation patrimoniale des fautifs et l’étendue de la réparation à laquelle ils sont déjà tenus[107].

[297] L’analyse de la preuve du caractère intentionnel de l’acte illicite, en matière de profilage racial, revêt un aspect particulier : le biais inconscient. L’auteur de l’acte illicite, parfois motivé par un biais dont il n’a pas conscience, peut quand même agir de façon intentionnelle au sens de l’article 49 de la Charte s’il ne pouvait ignorer les conséquences de son comportement pour la victime racisée[108].

[298] La jurisprudence a reconnu que « le profilage racial nourrit la méfiance des personnes qui en sont victimes envers les agents de la paix et le système judiciaire, leur envoie le signal qu’elles ne font et ne feront pas partie de la communauté […] »[109]. Le profilage racial systémique et ses conséquences sont connus de la société québécoise en général[110]. A fortiori, un policier connait ou devrait connaitre les effets pervers du profilage racial et ses conséquences dévastatrices possibles sur les personnes qui le subissent[111].

***

[299] Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que les policiers Gagné et Drolet savaient, ou auraient dû savoir, que leur conduite à l’égard de M. Nkamba l’amènerait à se sentir traité injustement, humilié.

[300] Le policier Gagné témoigne qu’il lui arrive souvent d’être traité de raciste, accusé de profilage racial ou de discrimination par des personnes noires lors de ses interventions, ajoutant qu’il s’agit d’un « phénomène grandissant ». Il explique qu’il doit « composer avec ça », trouve que c’est « frustrant », mais qu’il doit rester « professionnel ».

[301] Pour lui, traiter de la même façon toutes les personnes avec qui il interagit dans des circonstances semblables équivaut à ne pas faire de discrimination. Il témoigne ne s’être jamais demandé si ses faits et gestes étaient dictés par le fait que M. Nkamba est noir.

[302] Le policier Gagné se méprend sur ses obligations et comprend mal ce qu’est le profilage racial. En tant que représentant de l’ordre, conscient du « phénomène grandissant » du profilage racial dans les interventions policières à Gatineau, il doit moduler son comportement et l’usage de sa discrétion en fonction de cette réalité, incluant leurs conséquences prévisibles pour une personne noire.

[303] À l’audience, spontanément, le policier Gagné déclare que si M. Nkamba « avait collaboré dès le début, il n’y aurait pas eu d’arrestation ». Autrement dit, si M. Nkamba avait obéi à sa demande d’identification illégale, il n’aurait pas été arrêté. Une affirmation qui montre exactement l’état d’esprit blâmable du policier Gagné et finit de convaincre le Tribunal du caractère intentionnel de ce comportement au sens de l’article 49 de la Charte.

[304] Quant au policier Drolet, il est conscient de l’escalade lorsqu’il lâche : « On va passer la soirée ici si ça continue » sur le trottoir, lorsque ni M. Nkamba ni son collègue Gagné ne veulent quitter les lieux.

[305] Malgré cela, il ne fait rien pour amorcer ce que les policiers appellent une « désescalade ». Au contraire, il demeure un observateur passif complaisant, puis devient actif en participant à l’arrestation.

[306] Le policier Drolet témoigne qu’il est « régulier », même « très fréquent », « que les personnes noires protestent en disant que c’est parce qu’elles sont noires » qu’elles sont interpellées. Il ajoute qu’il « trouve ça plate » parce qu’il considère qu’il travaille selon « les règles de l’art ».

[307] À l’instar du policier Gagné, il ne s’est pas interrogé à savoir si son comportement était dicté par le fait que M. Nkamba est noir. Pour lui, s’il agit dans le cadre de ses pouvoirs et conformément aux bonnes pratiques policières, il agit sans discrimination.

[308] Cette croyance du policier Drolet, calquée sur celle du policier Gagné, est erronée et étonnante dans ce contexte connu de lui du sentiment de persécution des personnes noires par les forces de l’ordre. Cette croyance n’est pas conforme aux directives et aux formations dispensées par le service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) qui commande le respect des droits fondamentaux et de la Charte dans l’application des pouvoirs des policiers et l’usage de leur discrétion.

[309] Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que le policier Drolet savait, ou aurait dû savoir, les conséquences néfastes inévitables de son comportement sur M. Nkamba.

[310] Pour ces motifs, le Tribunal condamne le policier Gagné à la somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs, et condamne le policier Drolet à la somme de 1 000 $ au même titre.

V.            Les mesures dans l’intérêt public

[311] La Charte donne le droit à la CDPDJ de s’adresser au Tribunal pour obtenir toutes mesures appropriées contre la personne en défaut de satisfaire la proposition de la CDPDJ à la suite de son enquête, mesures dites dans l’intérêt public[112].

[312] Ces mesures ne sont pas désincarnées, générales ou pédagogiques. Pour être appropriées au sens de la Charte, les mesures doivent se rapporter au litige devant le Tribunal, être soutenues par la preuve, et tenir compte de l’ensemble des circonstances[113]. Elles doivent poursuivre un objectif précis, comme la correction d’une situation ou la mise en place de moyens pour tenter d’éviter la perpétuation de comportements contraires à la Charte[114].

***

[313] Dans l’affaire Nyembwe[115], la CDPDJ demandait au Tribunal, dans l’intérêt public, les ordonnances suivantes :

[4] La Commission demande également au Tribunal d’ordonner à la Ville, dans un délai d’un an du jugement à intervenir, de :

 a)    Formuler des directives permettant de détecter et de contrôler les manifestations de profilage racial parmi ses agents ; et

 b)    Donner une formation à ses agents sur les risques de profilage qui pèsent sur les personnes de couleur et les membres de minorités visibles.

[314] Dans son jugement du 13 janvier 2021, dans l’affaire Nyembwe, le Tribunal ne prononçait aucune ordonnance, mais émettait les recommandations suivantes :

[592] RECOMMANDE que tous les membres du Service de police de la Ville de Gatineau lisent le document signé par Victor Armony, Mariam Hassaoui et Massimiliano Mulone, qui s’intitule Rapport final remis au SPVM, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées, août 2019, ou qu’une présentation des énoncés qu’il contient leur en soit faite dans le cadre de la formation des policiers ;

[593] RECOMMANDE fortement que la Ville et son service de police demandent à une équipe de chercheurs indépendants d’analyser les données de ses interpellations, ou, à défaut, mettent en œuvre les recommandations que les chercheurs Armony, Hassaoui et Mulone ont faites au SPVM dans leur Rapport final remis au SPVM, Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées, août 2019 ;

[315] En début d’audience dans la présente affaire, le Tribunal a communiqué à la CDPDJ son attente quant à l’administration d’une preuve de ce que la Ville a fait depuis le jugement pour la mise en œuvre de ces recommandations, le cas échéant. Au surplus, le Tribunal a invité la CDPDJ à motiver la nécessité, depuis ce jugement, des autres mesures qu’elle demande.

[316] C’est plutôt la Ville qui a administré cette preuve, par le témoignage de Mme Isabelle Plante, appuyée d’une preuve documentaire pertinente.

[317] Du témoignage de Mme Plante, il ressort que la Ville a « embrassé » les recommandations émises dans l’affaire Nyembwe[116], a mis en œuvre ces recommandations et poursuit sa réflexion pour en faire plus.

[318] Voyons en détail comment la Ville s’est approprié ces recommandations.

***

A.           Le rapport Armony

[319] Ce que les intéressés appellent « le rapport Armony » porte le titre Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées – analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivis en matière de profilage racial[117] et date d’août 2019. L’objectif de ce rapport était « de produire, à partir de données générées par le SPVM dans le cadre de ses activités, des indicateurs quantitatifs sur l’interpellation policière en lien avec l’identité racisée des personnes interpellées ». Pour y arriver, les chercheurs se sont penchés sur l’existence, la définition, les manifestations et les impacts du profilage racial au sein des forces policières.

[320] Mme Isabelle Plante, chef de division du développement et de la stratégie organisationnelle au SPVG, témoigne que la présentation du rapport Armony lors d’une formation donnée aux policiers en lien avec son contenu a débuté en novembre 2021, soit environ 10 mois après le jugement dans l’affaire Nyembwe. Environ 430 policiers-patrouilleurs ont reçu la formation au moment de l’audience, et celle-ci se poursuit auprès des autres policiers.

[321] La première des recommandations dans l’affaire Nyembwe[118] est suivie et en voie d’être complétée.

B.           La collecte et l’analyse des données sur les interpellations

[322] La recommandation d’analyser les données des interpellations est arrivée à point nommé, soit au même moment qu’une démarche entreprise par le ministère de la Sécurité publique pour la collecte des données pertinentes à l’analyse du profilage racial au Québec. Une fiche uniforme de collecte des données sur les interpellations policières a été créée. Son utilisation partielle a débuté en novembre 2022 et la Ville évalue actuellement la qualité du processus de collecte des données et leur fiabilité.

[323] Le Tribunal considère inutile de rendre l’ordonnance demandée par la CDPDJ concernant la collecte de données, qui risque de faire double emploi avec le processus déjà entrepris.

C.           Une politique contre le profilage racial

[324] La CDPDJ demande au Tribunal d’ordonner à la Ville d’adopter et mettre en œuvre une politique visant spécifiquement à lutter contre le profilage racial, précisant ce qu’elle doit contenir et comment elle doit être diffusée au sein du service de police.

[325] À l’audience, la Ville s’est dite ouverte à adopter une telle politique.

[326] Dans ce contexte, le Tribunal ne croit pas utile de rendre une ordonnance, mais formule des conclusions qui constituent une assise pour encourager les parties à collaborer dans la poursuite par la Ville de ses démarches pour tenter de contrer le profilage racial au sein du SPVG.

D.           Une formation par un expert assortie d’un processus formel d’évaluation des acquis

[327] Les formations en matière de profilage racial s’enchaînent au SPVG depuis le jugement de l’affaire Nyembwe. Les patrouilleurs reçoivent actuellement de la formation sur la collecte des données et les fiches à remplir.

[328] Depuis ce jugement, le SPVG émet de nouvelles directives ou effectue des mises à jour des directives existantes pour y inclure des notions liées au profilage racial et au respect de la Charte.

[329] De plus, la division des normes professionnelles et des affaires internes du SPVG continue de transmettre des fiches ponctuelles d’informations à ses membres, notamment en matière de profilage racial et de diversité en général.

[330] Le Tribunal n’est pas convaincu que d’ordonner à la Ville de dispenser une formation par un expert en profilage racial et en dicter le contenu, comme le désire la CDPDJ, est approprié dans les circonstances.

[331] Quant à la mesure des acquis, la Ville s’est également dite ouverte à cet égard. Dans ce contexte, le Tribunal formule des conclusions qui serviront de guide aux parties dans le processus continu de formation et de sensibilisation entrepris par la Ville.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[332] ACCUEILLE partiellement la demande introductive d’instance;

[333] CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, depuis la signification de la proposition des mesures de redressement de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse;

[334] CONDAMNE M. Gabriel Gagné à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 2 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du présent jugement;

[335] CONDAMNE M. Simon Drolet à verser à M. Luck Kahila Nkamba la somme de 1 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs avec l’intérêt légal, en plus de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du présent jugement;

[336] RECOMMANDE à Ville de Gatineau d’adopter et mettre en œuvre une politique visant spécifiquement à contrer le profilage racial et RECOMMANDE à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de collaborer pleinement avec le Service de Police de la Ville de Gatineau quant au contenu et à la formulation d’une telle politique;

[337] RECOMMANDE à Ville de Gatineau d’élaborer et mettre en place un processus formel d’évaluation des acquis des policiers en matière de lutte contre le profilage racial et RECOMMANDE à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de collaborer pleinement avec le Service de Police de la Ville de Gatineau dans l’élaboration du contenu, du processus et de l’analyse de la démarche d’évaluation formelle des acquis;

[338] LE TOUT avec les frais de justice pour lesquels seule Ville de Gatineau est tenue.

 

 

__________________________________

sophie lapierre,

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

Me Geneviève Griffin

BITZAKIDIS CLÉMENT-MAJOR FOURNIER

Pour la partie demanderesse

 

Me Mathieu Turcotte

DHC Avocats inc.

Pour les parties défenderesses

 

Dates d’audience :

30 et 31 janvier, 1er, 2 et 3 février 2023

 

 


[1]  RLRQ, c. C-12 (Charte).

[2]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Nyembwe) c. Ville de Gatineau, 2021 QCTDP 1 (permission d’appeler refusée, 2021 QCCA 339) (Nyembwe).

[3]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 33 (Bombardier).

[4]  Id., par. 34-37.

[5]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Rezko) c. Montréal (Service de police de la Ville de) (SPVM), 2012 QCTDP 5, par. 181 et 183 (permission d’appeler refusée, 2012 QCCA 1501) (Rezko); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (DeBellefeuille) c. Ville de Longueuil, 2020 QCTDP 21, par. 141 (DeBellefeuille).

[6]  Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 RCS 536 (1985 CanLII 18 (CSC)).

[7]  Bombardier, préc., note 3, par.  41; Nyembwe, préc., note 2, par. 287.

[8]  Bombardier, préc., note 3, par. 48-52; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 131, 145 et 146; Nyembwe, préc., note 2, par. 161, 186, 314 et 315.

[9]  Nyembwe, préc., note 2, par. 298.

[10]  Rezko, préc., note 5, par. 184; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Miller et autres) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal) (SPVM), 2019 QCTDP 31, par. 195 (Miller).

[11]  Nyembwe, préc., note 2, par. 305.

[12]  Bombardier, préc., note 3, par. 40 et 41; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 121 et 147; Nyembwe, préc., note 2, par. 297.

[13]  Bombardier, préc., note 3, par. 53.

[14]  Id., par. 64 et 65.

[15]  Id., par.  64.

[16]  Id., par.  3, 37 et 64; Nyembwe, préc., note 2, par. 88.

[17]  Rezko, préc., note 5, par. 199.

[18]  Bombardier, préc., note 3, par.  84; Miller, préc., note 10, par. 186; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 141 et 148; Nyembwe, préc., note 2, par. 295-310.

[19]  Nyembwe, préc., note 2, par. 187.

[20]  Id., par. 310.

[21]  Pièce D-19, en liasse, Rapport d’événement 2017-65484 et constats; Pièce P-20, Transcription du témoignage à la Cour municipale de M. Gabriel Gagné, 6 septembre 2018; Pièce P-19, Déclaration à la CDPDJ de M. Gabriel Gagné, 16 juin 2020.

[22]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 179; Nyembwe, préc., note 2, par. 282, 284 et 353.

[23]  Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, art. 382-385 (C.s.r.).

[24]  Extrait de la pièce D-7 : Directive « Maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, prévenir et réprimer le crime, appliquer les lois et règlements et rechercher les auteurs d’infractions » du Service de police de la Ville de Gatineau.

[25]  Pièce P-22, Extrait de l’interrogatoire au préalable de M. Simon Drolet, 22 décembre 2021.

[26]  Pièce P-3, Première vidéo relative à l’événement du 30 novembre 2017.

[27]  Id.

[28]  R. c. Le, 2019 CSC 34; Luamba c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 3866 (déclaration d’appel, C.A., 30-11-2022, 500-09-030301-220) (Luamba).

[29]  Pièce D-21, Extrait de la transcription de l’interrogatoire préalable de M. Luck Kahila-Nkamba, 14 septembre 2021, p. 39 et 40.

[30]  Pièce D-19, préc., note 21.

[31]  Pièce P-20, préc., note 21.

[32]  Pièce P-21, Extraits de l’interrogatoire au préalable de M. Gabriel Gagné, 22 décembre 2021.

[33]  Pièce P-5, Troisième vidéo relative à l’événement du 30 novembre 2017.

[34]  Pièce P-4, Deuxième vidéo relative à l’événement du 30 novembre 2017.

[35]  Pièce D-19, préc., note 21.

[36]  Pièce P-20, préc., note 21.

[37]  Pièce D-19, préc., note 21. Le policier Drolet signe son rapport un peu plus tard, vers 6 heures le matin.

[38]  Pièce P-22, préc., note 25, p. 25.

[39]  Pièce P-4, préc., note 34.

[40]  Pièce P-5, préc., note 33.

[41]  Pièce D-21, préc., note 29.

[42]  Pièce P-5, préc., note 33. La vidéo montre que le policier Drolet porte une courte barbe.

[43]  Tel que définie à la politique d’intervention policière, version postérieure aux événements (25 novembre 2021). Pièce D-7, préc., note 24.

[44]  Ville de Montréal c. Baptiste, 2019 QCCM 131.

[45]  Pièce P-22, préc., note 25, p. 34.

[46]  Pièce D-19, préc., note 21.

[47]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 146.

[48]  Gauthier c. Aznar, 2015 QCCS 218, par. 90 (permission d’appeler refusée, 2015 QCCA 753).

[49]  Nyembwe, préc., note 2, par. 312. Voir également DeBellefeuille, préc., note 5, par. 156.

[50]  Miller, préc., note 10, par. 196.

[51]  Art. 4 de la Charte.

[52]  Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43.

[53]  Id., par. 48.

[54]  Id., par. 54.

[55]  Id., par. 51.

[56]  Art. 5, 12, 24, 24.1, et 25 de la Charte.

[57]  Art. 5 de la Charte.

[58]  Art. 24 de la Charte.

[59]  Nyembwe, préc., note 2, par. 314; Art. 24.1 de la Charte.

[60]  Art. 24 de la Charte.

[61]  Art. 29 de la Charte.

[62]  Bombardier, préc., note 3.

[63]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 154.

[64]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 143.

[65]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Mensah) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2018 QCTDP 5, (permission d’appeler refusée, 2018 QCCA 1030) (Mensah).

[66]  Id., par. 79.

[67]  Miller, préc., note 10. Voir aussi Rezko, préc., note 5, par. 199.

[68]  R. c. Le, préc., note 28, par. 90-97.

[69]  Luamba c. Procureur général du Québec, préc., note 28, par. 27-51.

[70]  DeBellefeuille, préc., note 5.

[71]  Rezko, préc., note 5.

[72]  Luamba, préc., note 28.

[73]  Nyembwe, préc., note 2, par. 326-331.

[74]  R. c. Mansfield, 2015 QCCQ 5499.

[75]  Commissaire à la déontologie policière c. Rhéaume, 1997 CanLII 23855 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Robert, 1998 CanLII 28872, p. 10 et 11 (QC CDP); Commissaire à la déontologie policière c. Paquet, 2002 CanLII 49224, par. 40, 46 et 51 (QC CDP).

[76]  Plan de plaidoirie des défendeurs, p. 4, par. 12 (affirmation non prouvée).

[77]  Plan de plaidoiries des défendeurs, p. 5, par. 15.

[78]  Nyembwe, préc., note 2.

[79]  Rezko, préc., note 5, par. 183.

[80]  Nyembwe, préc., note 2.

[81]  Pièce D-13, Rapport d’événement re : Machica Kamunga Kabeya.

[82]  Pièce D-19, préc., note 21.

[83]  Pièce P-20, préc., note 21.

[84]  Pièce P-19, préc., note 21.

[85]  Pièce P-21, préc., note 32.

[86]  Pièce D-19, préc., note 21.

[87]  Pièce P-3, préc., note 26; Pièce P-4, préc., note 34; Pièce P-5, préc., note 33.

[88]  Pour avoir omis d’utiliser le trottoir bordant la chaussée, art. 452 du C.s.r., et pour entrave, soit avoir refusé de s’identifier, art. 638.1 du C.s.r.

[89]  Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., Éditions Yvon Blais, Montréal, 2020, no 1-80 et 1-81, p. 65-67; Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832.

[90]  Pierre-Louis c. Québec (Ville de), 2014 QCCA 1554, par. 52 (permission d’appeler refusée, 2015 CanLII 43098 (CSC)).

[91]  Ali c. Compagnie d'assurances Guardian du Canada, 1999 CanLII 13177 (QC CA); Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, 2007 QCCA 1790.

[92]  Solomon c. Québec (Procureur général), préc., note 89; Pierre-Louis c. Québec (Ville de), préc., note 90.

[93]  Claveau c. Bouchard, 2012 QCCS 2006, par. 44 et 45 (conf. par 2014 QCCA 1241).

[94]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Succession Hamelin-Piccinin) c. Massicotte, 2018 QCTDP 18, par. 147.

[95]  Bou Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., 2003 CanLII 47948 (QC CA), par. 62 et 63.

[96]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (X) c. Commission scolaire de Montréal, 2017 QCCA 286, (autorisation d’appeler refusée, C.S.C., 17-08-2017, 37538); Voir également DeBellefeuille, préc., note 5, par. 220.

[97]  Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (C.A. et un autre) c. Comeau, 2021 QCTDP 47, par. 118 (conf. par 2023 QCCA 126); DeBellefeuille, préc., note 5, par. 225.

[98]  Nyembwe, préc., note 2; Voir également DeBellefeuille, préc., note 5, par. 215.

[99]  Mensah, préc., note 65.

[100]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 238.

[101]  Nyembwe, préc., note 2, par. 524.

[102] Mensah, préc., note 65, par. 284-286.

[103]  Code civil du Québec (RLRQ), art. 1526 (C.c.Q.).

[104]  Art. 1463 C.c.Q.; Mensah, préc., note 65, par. 331; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 238.

[105]  Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 (1996 CanLII 172 (CSC)), par. 121.

[106]  Id., par. 121; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 41; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, par. 1000; DeBellefeuille, préc., note 5, par. 241.

[107] Art. 1621 C.c.Q.

[108]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 253.

[109]  Nyembwe, préc., note 2, par. 530.

[110]  DeBellefeuille, préc., note 5, par. 257.

[111]  Id., par. 259 et 260.

[112]  Art. 80 de la Charte.

[113]  Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, par. 26; Bombardier, préc., note 3, par. 103.

[114]  Nyembwe, préc., note 2, par. 557.

[115]  Id.

[116]  Id., par. 581-584.

[117]  Pièce D-6, résumé du Rapport Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées – analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs, août 2019.

[118]  Nyembwe, préc., note 2, par. 581-584.

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