Décision

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Di Girolamo c. Silva

2025 QCTAL 9862

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield

 

No dossier :

818044 27 20240910 S

No demande :

4584032

 

 

Date :

21 mars 2025

Devant la juge administrative :

Joëlle Gauthier

 

Silvana Di Girolamo

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Monica Silva

 

Virginia Cortés

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Le 14 janvier 2025, la locatrice requiert la résiliation du bail pour non-respect d’une ordonnance selon l’article 1973 du Code civil du Québec ainsi que l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais.
  2.          Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025, au loyer mensuel de 1 605 $[1], payable le premier jour de chaque mois.
  3.          Le 20 novembre 2024, la juge administrative Chantal Boucher signe dans le présent dossier l’ordonnance dont il est maintenant reproché l’inobservation.
  4.          Cette ordonnance enjoint notamment les locataires de payer le loyer le premier jour de chaque mois à compter du 1er janvier 2025, et ce, pour toute la durée du bail en cours et pour sa période de reconduction subséquente, le cas échéant.
  5.          A l’audience, seules la locatrice et la locataire Virginia Cortés sont présentes.

LES FAITS

  1.          La preuve dévoile que le paiement du loyer de janvier 2025 est fait le 4e jour du même mois.  Les mois de février et de mars 2025 sont payés d’avance.
  2.          Le 1er janvier 2025, la locataire Virginia Cortés initie un paiement par virement bancaire pour le loyer de janvier 2025 mais celui-ci ne se rend pas à sa destinataire.
  3.          Elle affirme que lors du virement, elle a les fonds disponibles pour l’effectuer.  Elle prend connaissance le 2 janvier 2025 de l’échec de l’opération bancaire.
  4.          Elle communique avec son institution financière, qu’elle tient responsable de la situation, pour obtenir des explications et obtient de sa mère qu’elle effectue le paiement en souffrance, ce qui est fait deux jours plus tard.
  5.      La locatrice prétend que la locataire a falsifié une lettre de sa banque pour justifier le retard de paiement.  Or, cette lettre n’est pas déposée en preuve et aucun représentant de l’institution en question n’est entendu à l’audience.

ANALYSE ET DÉCISION

  1.      La demande de la locatrice se fonde sur l’article 1973 du Code civil du Québec, lequel se lit comme suit :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

  1.      Dans l’affaire Ferraro c. Goulet[2], la juge administrative Suzanne Guèvremont s’exprimait comme suit relativement une demande fondée sur la même assise :

« [16] Tel qu'édicté par cette disposition, le défaut par la locataire de respecter l’ordonnance permet au locateur d'obtenir la résiliation du bail en présentant une nouvelle demande en ce sens.

[17] Est-ce pour autant la seule issue possible?

[18] La réponse est non.

[19] Le Tribunal ne peut aveuglément résilier le bail sans tenir compte du contexte et des faits, considérant que cette sanction est parfois « complètement déraisonnable et disproportionnée en regard des conséquences draconiennes pour le locataire »1.

[20] Pour paraphraser l’Honorable juge Daniel Dortélus dans Perron c. Michaud2, l’ordonnance émise en vertu de l’article 1973 C.c.Q. constitue en soi une épée de Damoclès dont dispose le locateur. Par ailleurs, cette ordonnance ne suspend pas l’application des principes juridiques, tels la renonciation à un droit et elle ne dispense pas le locateur de respecter les règles de droit applicable en matière civile, notamment, il ne doit pas exercer son droit en vertu de l’ordonnance de manière déraisonnable allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.

[21] Une autre décision de la cour du Québec, cette fois sous la plume de l’Honorable juge Gilles Lareau, énonce les principes qui doivent guider le Tribunal dans l’application de l’article 1973 C.c.Q. Il s’agit de l’affaire Rotter c. Namer3, dont les extraits suivants sont pertinents :

« [32] Ceci-étant, la décision de la Régie de déclarer qu'un locataire ne s'est pas conformé à une ordonnance ne doit pas être un automatisme qui ne se satisfait que d'une simple preuve technique d'un défaut. Elle requiert par la Régie l'exercice d'une fonction juridictionnelle. La Régie doit premièrement interpréter l'ordonnance, un exercice souvent fort simple, mais qui peut s'avérer particulièrement pertinent lorsque l'ordonnance est imprécise ou équivoque. La Régie doit ensuite analyser la preuve factuelle afin de déterminer si l'ordonnance a été respectée ou non.

[33] Si le constat d'un défaut volontaire et substantiel laisse peu de place à la Régie pour prononcer autre chose que la résiliation du bail, sa décision de conclure qu'il y a ou non un défaut de cette nature peut considérer plusieurs facteurs. À titre d'exemples non limitatif, le défaut peut résulter d'un geste attribuable au locateur, il peut avoir été provoqué par une mauvaise interprétation de l'ordonnance, le locataire peut avoir été dans une impossibilité d'agir ou encore le comportement du locateur peut établir qu'il avait renoncé aux effets de l'ordonnance.

[...]

[35] Le droit au maintien des lieux (art. 1936 C.c.Q.) est un droit fondamental qui relève de l'ordre public de protection. Avant de priver un locataire d'un tel droit en raison du défaut de respecter une ordonnance, il faut s'assurer qu'il y a effectivement un défaut, qu'il est important et qu'il est intentionnel. »

[22] En l’occurrence, il s’agit d’un seul retard de paiement, lequel est minime. Rappelons également que le 1er janvier est un jour férié.

[23] Or, toujours selon la cour du Québec, dans l'affaire Revah c. Fragoulis4, lorsqu'en exécution d'une ordonnance émise en vertu de l'article 1973 C.c.Q. le loyer doit être payé le 1er jour du mois, si le jour où le paiement doit être effectué est un jour férié, par l'application de l'article 87 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement conjugué au Code de procédure civile, le paiement peut validement être reporté au premier jour non férié suivant.

[24] La soussignée souscrit totalement à ce principe et elle n'est pas la seule.


[25] Pour s'en convaincre, il suffit de lire notamment le juge administratif Robin-Martial Guay dans Abbatemarco c. Khelifi5, le juge administratif Daniel Gilbert dans Fortin c. Roy6, la juge administrative Manon Talbot dans Office municipal d'habitation (de l'Épiphanie) c. Lévesque7, la juge administrative Amélie Dion dans Investissements Canmed inc. c. Clark8 et la juge administrative Rachel Tupula dans Choucair c. Lokhun9.

[26] Dans ces circonstances particulières et considérant la jurisprudence en semblable matière, le Tribunal conclut que la demande de résiliation du bail n'est pas fondée, et ce, sans restreindre la portée de l’ordonnance rendue en vertu de l’article 1973 C.c.Q., laquelle demeure en vigueur.

[Références omises]

  1.      La soussignée souscrit à cette analyse et ajoute que selon le 3e paragraphe de l’article 87 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, le 2 janvier est aussi assimilé à un jour férié.
  2.      Partant, même si l’imbroglio persiste quant aux raisons de l’échec du virement initié le 1er janvier 2025, il n’en demeure pas moins que la locataire démontre que  l’ordonnance est prise au sérieux en trouvant rapidement des mesures pour pallier à la situation.
  3.      Par conséquent, le Tribunal ne peut conclure que le présent retard de paiement est volontaire, ni substantiel, ce qui milite en faveur du rejet de la demande.
  4.      Notons toutefois qu’il n’est pas ici question de renonciation à l’ordonnance du 20 novembre 2024 de la part de la locatrice. Celle-ci est toujours en vigueur et les locataires devront continuer à la respecter jusqu’à son échéance.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      Rejette la demande de la locatrice qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Joëlle Gauthier

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire Virginia Cortés

Date de l’audience : 

6 mars 2025

 

 

 


 


[1] Sous réserve de la fixation par le Tribunal dans le dossier 783562.

[2] 2024 QCTAL 14864

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