Martineau Beaupré c. Labelle | 2023 QCCS 1076 | |||
COUR SUPÉRIEURE | ||||
(Chambre criminelle) | ||||
CANADA | ||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||
DISTRICT DE TERREBONNE | ||||
|
| |||
| ||||
N° : | 700-36-001815-231 | |||
| (0001293412 0001293423 0001293434 0001336871 0001336882 | |||
| 0001336893 0001352400 0001355303 0001355314 0001355325 | |||
| 0001377176 0001474325 0002501424) | |||
|
| |||
| ||||
DATE : | 29 mars 2023 | |||
______________________________________________________________________ | ||||
| ||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL PENNOU, J.C.S. | ||||
______________________________________________________________________ | ||||
| ||||
| ||||
SIMON MARTINEAU BEAUPRÉ | ||||
Requérant | ||||
c. | ||||
DOMINIQUE LABELLE | ||||
(Perceptrice des amendes pour la Ville de Saint-Jérôme) | ||||
Intimée | ||||
et | ||||
CHARLES FERRON | ||||
(Directeur de l’Établissement de détention de Québec) | ||||
Mis en cause | ||||
| ||||
______________________________________________________________________ | ||||
| ||||
JUGEMENT
sur requête pour l’émission d’un bref | ||||
______________________________________________________________________ | ||||
| ||||
[1] Simon Martineau Beaupré (« Martineau Beaupré[2] ») est né en l’an 2000.
[2] Entre mai 2019 et novembre 2020, il est condamné par défaut, à 13 reprises, pour diverses infractions au Règlement municipal concernant la propreté, la sécurité, la paix, l’ordre et le bien-être de la Ville de Saint-Jérôme :
avoir eu sur lui un objet contondant dans un lieu public;
avoir troublé la paix;
ne pas avoir agi avec civilité dans un lieu public;
avoir refusé de quitter un lieu public;
avoir insulté un agent de la paix ou un fonctionnaire municipal;
avoir été ivre, drogué ou autrement intoxiqué dans un lieu public;
avoir consommé des stupéfiants dans un lieu public.
[3] Martineau Beaupré ne paie pas les amendes imposées.
[4] Le 1er décembre 2022, la perceptrice des amendes présente à la Cour municipale de Saint-Jérôme une demande pour la délivrance de mandats d’emprisonnement pour défaut de paiement. La somme des amendes et des frais impayés s’élève à près de 6 000 $. Martineau Beaupré est absent à l’audience.
[5] La perceptrice indique à la juge d’instance qu’il a été impossible de signifier à Martineau Beaupré un préavis d’audition de la demande. Il est apparemment sans domicile fixe. Elle a consulté le plumitif et la banque de données de la Société de l’assurance automobile du Québec et n’y a pas trouvé d’adresse pour Martineau Beaupré. De plus, en mars 2022, à la suite de l’exécution d’un mandat d’amener, Martineau Beaupré s’était engagé à se présenter devant la perceptrice, ce qu’il n’a pas fait.
[6] La juge d’instance accueille la demande de la perceptrice et impose une peine d’emprisonnement pour chacun des dossiers dans lesquels Martineau Beaupré est en défaut de paiement. Elle laisse le soin à la perceptrice de fixer la durée des peines d’emprisonnement.
[7] La perceptrice prépare les mandats d’emprisonnement. Le système informatique dont elle se sert convertit les montants impayés en un nombre de journées d’emprisonnement. Le facteur de conversion appliqué correspond à celui fixé par une table d’équivalence qui figurait en annexe du Code de procédure pénale jusqu’à son abrogation en 1995[3], soit 50 $ par jour de détention pour des amendes allant de 5 000 $ à 10 000 $. La peine totale à être purgée par Martineau Beaupré est de 124 jours d’emprisonnement.
[8] Sur le formulaire consignant les motifs écrits de la juge d’instance, quatre cases sont cochées. La décision d’imposer une peine d’emprisonnement est donc ainsi motivée :
CONSIDÉRANT les faits énoncés par le percepteur, tant verbalement à l’audience que dans la demande d’imposition de peine d’emprisonnement à l’effet que:
La partie défenderesse n’a pas respecté son engagement de se présenter devant le percepteur
Des travaux compensatoires n’ont pu lui être offerts pour les motifs suivants:
La partie défenderesse est actuellement introuvable malgré les efforts du percepteur faits pour la retracer, lesquels se sont avérés vains;
[…]
CONSIDÉRANT que je suis convaincu que les mesures prévues par le Code de procédure pénale pour le recouvrement des sommes dues sont insuffisantes, en l’espèce, pour permettre de les recouvrir entièrement;
CONSIDÉRANT […]
[...]
que toute tentative de signifier le préavis serait inutile
EN CONSÉQUENCE, je déclare imposer une peine d’emprisonnement et ordonne l’émission d’un mandat pour l’emprisonnement de la partie défenderesse, pour une durée équivalente à un jour d’emprisonnement pour chaque tranche de 50,00 $ due.
[9] Dans les motifs prononcés oralement à l’audience ou dans le document consignant les motifs écrits, la juge d’instance n’affirme pas qu’elle est convaincue que Martineau Beaupré refuse ou néglige, sans excuse raisonnable, de payer les sommes dues ou de s’en acquitter en application du Code de procédure pénale.
[10] Le 6 février 2023, Martineau Beaupré est arrêté et emprisonné.
[11] Le 7 mars 2023, Martineau Beaupré demande l’émission d’un bref d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire. Il allègue l’illégalité des peines d’emprisonnement imposées le 1er décembre 2022 et de sa détention actuelle.
[12] Le 14 mars 2023, le Tribunal entend et accueille la requête. Il estime que la juge d’instance a excédé sa juridiction en imposant des peines d’emprisonnement à défaut du paiement des amendes sans se déclarer convaincue que Martineau Beaupré avait, sans excuse raisonnable, refusé ou négligé de payer les sommes dues ou de s’en acquitter en application du Code de procédure pénale. Il conclut aussi que la juge d’instance a omis d’établir la période totale d’emprisonnement à être imposée et qu’elle a illégalement délégué l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’en fixer la durée à la perceptrice des amendes.
[13] Le Tribunal annule donc les peines d’emprisonnement imposées à Martineau Beaupré et ordonne sa libération immédiate. Il ordonne aussi que ce dernier se présente à brève échéance devant la perceptrice des amendes de la Cour municipale de Saint-Jérôme.
[14] La décision rendue séance tenante dispose de la requête présentée. Cependant, le Tribunal estime que certains des arguments avancés par les parties lors de l’audience méritent d’être discutés plus avant.
[15] Martineau Beaupré a argumenté que l’ajout de la phrase « [t]outefois, il ne peut imposer cette peine et délivrer ce mandat que s’il est convaincu que le défendeur a, sans excuse raisonnable, refusé ou négligé de payer ces sommes ou de s’en acquitter en application du présent chapitre », à la fin du premier alinéa de l’article 347 du Code de procédure pénale[4], oblige le juge à s’enquérir auprès du défendeur de sa capacité de payer et d’effectuer des travaux compensatoires avant d’imposer une peine d’emprisonnement. Compte tenu de son absence à l’audience et de l’absence de preuve sur sa capacité de s’acquitter des sommes dues, la juge d’instance aurait excédé sa juridiction en imposant des peines d’emprisonnement à défaut.
[16] La Ville de Saint-Jérôme a, pour sa part, plaidé que le fardeau d’établir l’existence d’une excuse raisonnable, comme l’indigence ou l’incapacité d’effectuer des travaux compensatoires, reposait sur Martineau Beaupré. En son absence, et donc en l’absence d’une preuve d’excuse, le défaut de paiement et l’insuffisance des autres mesures de recouvrement justifient la délivrance de mandats d’emprisonnement. En l’espèce, Martineau Beaupré est en défaut depuis plus de deux ans. Il n’a pas respecté son engagement de se présenter devant la perceptrice. Des travaux compensatoires n’ont donc pas pu lui être offerts. De plus, il est sans domicile fixe. Il devient alors impossible de l’aviser de la demande de peines d’emprisonnement que la perceptrice entend soumettre. Dans de telles circonstances, imposer une peine d’emprisonnement ne constituerait pas un excès de juridiction.
[17] Le Tribunal ne peut souscrire à ni l’un ni l’autre de ces arguments.
L’obligation de s’enquérir auprès de Martineau Beaupré de sa capacité de s’acquitter des sommes dues
[18] L’art. 347 al. 1 du Code de procédure pénale n’impose pas au juge l’obligation de s’enquérir auprès du défendeur de sa capacité de payer et d’effectuer des travaux compensatoires avant d’imposer une peine d’emprisonnement à défaut.
[19] Imposer cette obligation aurait pour conséquence qu’une peine d’emprisonnement à défaut ne pourrait être légalement infligée en l’absence du défendeur devant le tribunal. Une telle interprétation est incompatible avec la lettre et l’esprit du Code de procédure pénale.
[20] Une peine d’emprisonnement à défaut peut être valablement imposée à un défendeur à qui un avis d’audition n’a pu être signifié. L’art. 346 al. 2 du Code de procédure pénale le prévoit expressément et en termes clairs : « Un préavis de cette demande doit être signifié au défendeur. Toutefois, le juge peut procéder à l’audition de cette demande dans le cas où cet avis n’a pu être signifié au défendeur en dépit des efforts raisonnables faits pour l’en aviser. »
[21] Il serait également illogique qu’un défendeur dûment signifié puisse empêcher le recours à un tel mode d’exécution des jugements en faisant défaut de se présenter devant le tribunal.
[22] De plus, l’absence du défendeur dûment signifié, ou non signifié en dépit des efforts raisonnables, n’implique pas nécessairement son incapacité à s’acquitter par quelque moyen des sommes dues. Il n’est donc pas indispensable, dans tous les cas, que le juge s’enquière auprès du défendeur de sa situation pour qu’une peine d’emprisonnement à défaut puisse lui être imposée, conformément aux exigences de l’art. 347 al. 1 du Code de procédure pénale.
Le fardeau
[23] L’art. 347 al. 1 du Code de procédure pénale n’impose, par ailleurs, aucun fardeau au défendeur. Qu’il soit présent ou non, le juge ne peut prononcer une peine d’emprisonnement contre le défendeur que s’il est convaincu que celui-ci a, sans excuse raisonnable, refusé ou négligé de s’acquitter des sommes dues. Une telle conclusion doit se fonder sur l’ensemble de la preuve et des renseignements dont le juge dispose.
[24] Le Tribunal est d’avis que cette disposition doit recevoir la même interprétation que celle dont elle s’inspire ouvertement, soit l’art. 734.7(1)b)(ii) C.cr.[5]. Le refus ou la négligence de s’acquitter des sommes dues suppose l’existence d’une capacité de payer. Cette norme de la capacité de payer est également applicable au moment de l’imposition d’une peine d’amende aux termes de l’art. 734(2) C.cr. La norme applicable étant la même, le fardeau associé à celle-ci devrait être le même[6].
[25] Dans l’arrêt R. c. Topp[7], la Cour suprême conclut que l’art. 734(2) C.cr. « n’impose pas un fardeau de preuve formel à la partie qui propose l’amende[8] » et pas de « fardeau de preuve formel — qu’il s’agisse d’un fardeau de présentation de la preuve ou d’un fardeau de persuasion[9] » à celui qui s’oppose à l’amende. Le tribunal qui impose une amende doit cependant tirer « une conclusion formelle » se fondant sur une preuve et des renseignements qui établissent par prépondérance la capacité de payer du délinquant[10].
[26] Ainsi, le juge qui impose une peine d’emprisonnement à défaut du paiement d’une amende doit formellement conclure par prépondérance que le défendeur est capable de s’acquitter des sommes dues, mais qu’il refuse ou néglige de ce faire, que le défendeur soit présent ou non, qu’il présente ou non une preuve.
[27] Le défendeur a le droit de présenter à l’audience une preuve tendant à établir une excuse raisonnable. Mais l’absence du défendeur à l’audience — et donc l’absence de preuve présentée par le défendeur — ne mène pas nécessairement à conclure à une absence d’excuse raisonnable de s’acquitter des sommes dues.
[28] À lui seul, le dossier d’instance peut fournir des éléments qui forcent à s’interroger sur la capacité du défendeur de s’acquitter des sommes dues. C’est le cas ici. La nature des infractions commises, l’absence d’adresse sur une longue période, l’adresse de la ressource donnée à une occasion, tout cela tend à indiquer que Martineau Beaupré est en situation d’itinérance et aux prises avec des problèmes de consommation de substances intoxicantes — la déclaration sous serment déposée lors de l’audition de la requête pour l’émission d’un bref d’habeas corpus le confirme d’ailleurs. À la lumière des renseignements fournis par le dossier d’instance, il est difficile d’être convaincu que Martineau Beaupré possède la capacité de s’acquitter des sommes dues, comme l’exige dorénavant l’art. 347 du Code de procédure pénale. Il est d’autant plus difficile de s’en convaincre qu’il est contraire à l’esprit des modifications apportées au Code de procédure pénale, en 2020, d’imposer une peine d’emprisonnement à un défendeur en pareille situation de vulnérabilité.
[29] Les modifications apportées par le projet de loi n° 32 visent notamment à éviter que des personnes vulnérables, parce qu’en situation d’itinérance ou aux prises avec un problème de toxicomanie, ou encore parce qu’elle souffre d’une maladie mentale, soient piégées dans un cycle de contravention-condamnation-accumulation-de-dettes-et-emprisonnement-à-défaut qui ne mène qu’à les marginaliser davantage[11]. Par exemple, les travaux compensatoires peuvent dorénavant être remplacés par des mesures alternatives dans le cadre d’un programme d’adaptabilité[12]. Un tel programme est maintenant en place à la Cour municipale de Saint-Jérôme, et ce, depuis le 15 décembre 2022.
[30] Le Tribunal est donc d’avis que la juge d’instance n’avait pas l’obligation de s’enquérir auprès de Martineau Beaupré de sa capacité de s’acquitter des sommes dues avant d’imposer des peines d’emprisonnement à défaut, mais qu’elle devait être convaincue par prépondérance de l’existence de cette capacité — une condition au refus ou à la négligence de s’exécuter, que le défendeur soit présent ou non, celui-ci n’ayant aucun fardeau.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] ACCUEILLE la requête;
[32] ANNULE les peines d’emprisonnement, totalisant 124 jours, imposées par la juge d’instance;
[33] ORDONNE la libération immédiate de Simon Martineau Beaupré;
[34] ORDONNE à Simon Martineau Beaupré de se présenter devant la perceptrice des amendes au 280, rue Labelle, Saint-Jérôme (Cour municipale) le lundi 27 mars 2023 à 13 h 30;
[35] ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel;
[36] LE TOUT sans frais.
| ||
| __________________________________ MICHEL PENNOU, J.C.S. | |
| ||
Me Justin Chenel | ||
Procureur du requérant | ||
| ||
Me Nicolas Fournier | ||
Ville de Saint-Jérôme | ||
Procureur de l’intimée | ||
| ||
Me Simon Massicotte | ||
Bernard, Roy (Justice – Québec) | ||
Procureur du mis en cause | ||
| ||
Date d’audience : | 14 mars 2023 | |
[1] Conclusions principales et dispositif prononcés le 14 mars 2023, séance tenante, avec motifs additionnels à suivre dans un jugement écrit.
[2] L’usage du nom de famille est de mise afin d’alléger le texte, sans manque de courtoisie à l’égard de M. Simon Martineau Beaupré.
[3] LQ 1995, c. 51.
[4] Loi visant principalement à favoriser l'efficacité de la justice pénale et à établir les modalités d'intervention de la Cour du Québec dans un pourvoi en appel, LQ 2020, c. 12, art. 53, entrée en vigueur le 5 juin 2020.
[5] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des institutions, 1re sess., 42e légis., 13 février 2020, « Étude détaillée du projet de loi n° 32 — Loi visant principalement à favoriser l’efficacité de la justice pénale et à établir les modalités d’intervention de la Cour du Québec dans un pourvoi en appel », 15 h 20; Sonia LeBel; R. c. Wu, 2003 CSC 73, par. 3, 60-66.
[6] Voir Clayton C. RUBY, Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020, § 11.39.
[7] 2011 CSC 43.
[8] Id., par. 21.
[9] Id., par. 23.
[10] Id., par. 21-24.
[11] QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des institutions, 1re sess., 42e légis., 5 novembre 2019, « Étude détaillée du projet de loi n° 32 — Loi visant principalement à favoriser l’efficacité de la justice pénale et à établir les modalités d’intervention de la Cour du Québec dans un pourvoi en appel », 19 h 40, Sonia LeBel.
[12] Art. 333 al. 2 C.p.p.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.