Décision

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Ducharme c. R.

2024 QCCS 1402

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

No :

450-36-001283-234

 

 

 

DATE :

22 avril 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SÉBASTIEN PIERRE-ROY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

SAMUEL DUCHARME

 

Appelant

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

 

          Intimé

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4 C.cr. a été rendue en première instance, interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la plaignante.

[1]                Le 12 juillet 2023, l’honorable Serge Champoux, j.c.q. a trouvé l’appelant, M. Samuel Ducharme, coupable d’un chef d’agression sexuelle formulé comme suit :

Le ou vers le 19 août 2021, à Sherbrooke, district de Saint-François, a agressé sexuellement [la plaignante], commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l’article 271b) du Code criminel.

[2]                L’appelant soumet quatre motifs d’appel distincts à l’encontre du verdict, fondés sur ce qu’il allègue être autant d’erreurs de droit. Il considère que le juge de première instance a erré en droit en :

2.1.           rejetant le moyen de défense fondé sur l’erreur de fait quant à sa croyance sincère, mais erronée à un consentement communiqué;

2.2.           adoptant un raisonnement conjectural et stéréotypé concernant le comportement de l’appelant;

2.3.           choisissant entre deux versions contradictoires plutôt que d’analyser la crédibilité à la lumière de l’ensemble de la preuve, engendrant ainsi un renversement du fardeau de la preuve;

2.4.           en imposant un verdict déraisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve présentée.

[3]                Tel que le Tribunal l’exposera plus loin, le juge du procès a rejeté la défense d’erreur de fait de l’appelant après avoir déterminé que sa version n’était pas crédible et qu’elle ne soulevait aucun doute raisonnable dans son esprit. Compte tenu de la version donnée par la plaignante, le juge du procès a conclu que rien dans la preuve qu’il retenait ne donnait ouverture à cette défense.

[4]                Ainsi, pour faciliter la compréhension des présents motifs, le Tribunal traitera d’abord des moyens d’appel portant sur l’analyse de la crédibilité par le juge du procès.

I – Contexte des accusations portées contre l’appelant

[5]                Le 19 août 2021, l’appelant et la plaignante sont deux constables œuvrant au sein du Service de police de la ville de Sherbrooke. Appelé ce soir-là à faire du temps supplémentaire, l’appelant est jumelé à la plaignante dans la même voiture de patrouille.

[6]                À cette époque, la plaignante a seulement quelques années d’expérience, alors que l’appelant a beaucoup d’ancienneté. Ils se connaissent relativement peu. L’appelant a été le « parrain » de la plaignante pendant quelques semaines, afin de lui apprendre les pratiques et les méthodes d’interventions du service. Par la suite, ils n’ont travaillé qu’une ou deux fois ensemble, sans plus.

[7]                L’appelant admet que, le soir du 19 août 2021, il a posé certains gestes à l’égard de la plaignante alors qu’elle conduisait la voiture de patrouille. Il reconnait lui avoir caressé la nuque avant de tenter de l’embrasser. Il reconnait qu’il lui a embrassé l’avantbras. Il admet finalement lui avoir mis la main sur la cuisse, puis sur l’épaule.

[8]                Il reconnait qu’à plusieurs reprises, la plaignante a exprimé un refus clair. Il prétend toutefois que la plaignante a activement participé à créer et maintenir une atmosphère de séduction par son comportement et ses commentaires.

[9]                La version de la plaignante rejoint celle de l’appelant sur plusieurs aspects. Les gestes qu’elle décrit sont plus nombreux et plus invasifs. Elle nie l’existence d’un climat de séduction, bien qu’elle reconnaisse certains des faits sur lesquels l’appelant fonde son appréciation de la situation.

II – La norme de contrôle

[10]           Le juge du procès se trouve dans une position privilégiée par rapport au juge qui siège en appel de sa décision[1]. Il a eu le bénéfice de voir et entendre les témoins, alors que le juge d’appel ne dispose que des notes sténographiques, qui sont souvent un reflet sans nuance de la preuve administrée. Le juge d’appel est notamment privé de la possibilité d’observer le comportement du témoin et de tenir compte de tout ce qu’un témoignage présente de significatif dans l’intangible et le non verbal.

[11]           Ce principe vaut autant, sinon plus, lorsque c’est l’appréciation de la crédibilité des témoins par le juge du procès qui est en cause[2].

[12]           La prudence que s’impose un juge siégeant en appel a certaines limites. Notamment, une erreur manifeste et déterminante portant sur l’évaluation de la crédibilité des témoins peut justifier une intervention[3].

[82] La norme de contrôle applicable aux conclusions sur la crédibilité et la fiabilité est bien établie : à défaut d’une erreur de droit reconnue, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de telles conclusions, sauf si une erreur manifeste et déterminante peut être démontrée (…).[4]

[13]           Le même résultat s’impose face à la démonstration que certaines erreurs de droit ont été commises par le juge du procès. Dans ce scénario, ce sera la norme de la décision correcte qui devra être appliquée.

III – Premier motif d’appel – Le raisonnement conjectural et stéréotypé dans l’analyse de la crédibilité de l’appelant

[14]           L’appelant affirme que le juge de première instance a adopté un raisonnement conjectural et stéréotypé concernant certains aspects de son comportement. À quelques détails près, l’appelant s’attaque surtout à l’évaluation que le juge du procès a fait de sa crédibilité.

[15]           À ce sujet, il énumère trois reproches qu’il fait au juge du procès :

15.1.       Premièrement, d’avoir « inféré une présomption de mauvaise foi » en lien avec la fidélité de l’appelant envers sa conjointe. Le juge en aurait tiré une inférence négative au sujet de sa crédibilité;

15.2.       Deuxièmement, d’avoir évalué la crédibilité de l’accusé à la lumière de ce qui aurait dû être la suite logique de la soirée entre l’appelant et la plaignante;

15.3.       Troisièmement, d’avoir évalué la crédibilité de l’accusé selon sa propension à s’intéresser aux rumeurs circulant au sein de son milieu de travail. Le juge du procès en aurait tiré une preuve de prédisposition à commettre une agression sexuelle ou, à tout le moins, une inférence négative dans son évaluation de la crédibilité de l’appelant.

[16]           L’analyse que les juges font de la crédibilité des parties, particulièrement mais pas seulement dans les affaires d’agression sexuelle, reçoit beaucoup d’attention de la part des tribunaux d’appel.

[17]           L’évaluation que le juge du procès fait de la preuve et de la crédibilité des témoins relève de son pouvoir d’appréciation, qui mérite une déférence importante au stade de l’appel[5]. À ce stade, c’est l’appelant qui a le fardeau de convaincre le juge d’appel de l’existence d’une erreur manifeste et déterminante[6] ou d’une erreur de droit reconnu.

a)     La règle interdisant le recours aux mythes et stéréotypes

[18]           C’est le juge qui préside le procès qui a le devoir d’apprécier la crédibilité des témoins qu’il entend, incluant celle de la plaignante et de l’accusé. Ses conclusions quant à la crédibilité, fondées sur son analyse de la preuve et de l’attitude des parties devant lui, représentent en appel des questions de fait :

[10] Si le caractère raisonnable d’un verdict est une question de droit, l’appréciation de la crédibilité des témoins constitue elle une question de faits. L’appréciation de la crédibilité faite en première instance, lorsqu’elle est revue par une cour d’appel afin notamment de déterminer si le verdict est raisonnable, ne peut être écartée que s’il est établi que celle-ci « ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve »[7].

[Nous soulignons]

[19]           À ce titre, la norme d’appréciation en appel d’une erreur portant sur l’évaluation de la crédibilité est généralement celle de l’erreur manifeste et déterminante.

[20]           Certaines erreurs spécifiques dans l’évaluation de la crédibilité, clairement identifiées par la jurisprudence, peuvent représenter des erreurs de droit. Dans un tel cas, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Une telle erreur à l’égard de la crédibilité d’un accusé peut affecter la validité du verdict, par exemple lorsqu’elle représente une négation du droit à la présomption d’innocence ou un renversement du fardeau de la preuve.

[21]           Il faut cependant prendre garde de ne pas indument convertir chaque pan de l’analyse de la crédibilité en erreur de droit, en les rattachant artificiellement à des catégories d’erreurs de droit reconnues.

[22]           C’est la préoccupation qu’exprime la Cour suprême du Canada dans l’arrêt rendu le 8 mars 2024 dans l’affaire Kruk[8]. La Cour refuse de reconnaître l’existence d’une nouvelle règle dans l’analyse de la crédibilité et la fiabilité des témoins, décrite comme la « règle interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées ». Ce faisant, la Cour suprême rappelle que certaines mesures de protection dans l’évaluation de la crédibilité des témoins assurent l’équité du procès envers l’accusé, imposant des « interdictions précises à l’égard de formes reconnaissables de raisonnement inadmissible ». Mais :

[63] (…) Lorsqu’on leur donne dûment plein effet, il n’est pas nécessaire d’imposer d’autres restrictions sur la façon dont le juge du procès peut apprécier la crédibilité et la fiabilité de l’accusé et de la plaignante qui vont au-delà des erreurs de droit existantes et de la norme de l’erreur manifeste et déterminante (…).[9]

[23]           C’est notamment pour ce motif que la Cour suprême rejette une tendance jurisprudentielle grandissante qui importait sans suffisamment de nuances la règle interdisant les raisonnements fondés sur les mythes et stéréotypes conçue pour protéger les plaignantes dans le processus d’analyse de la crédibilité des accusés.

[24]           La Cour suprême rappelle que l’historique du traitement de la crédibilité des plaignantes en matière d’agression sexuelle par la justice criminelle justifiait un ensemble de règles dont l’objectif fondamental était d’abord de protéger les personnes plaignantes. Ces règles, visant à corriger une injustice historique, ne peuvent être importées sans nuances dans l’évaluation de la crédibilité des autres témoins :

[30] Avec égards, j’estime que ce réflexe d’appliquer un traitement symétrique et formellement identique est injustifié. Il témoigne d’une mauvaise compréhension de l’ensemble distinct de règles de droit associé aux mythes et stéréotypes dans les affaires d’agression sexuelle, qui a été élaboré dans un contexte historique particulier afin de protéger les plaignantes seulement[10].

[25]           Manifestement, l’emploi de tout stéréotype par le juge du procès est problématique. Néanmoins, un raisonnement stéréotypé ne représente pas nécessairement une erreur de droit. Des stéréotypes « pernicieux et discriminatoires » ne doivent pas être automatiquement confondus avec des « généralisations inoffensives qui, quoique peut-être erronées sur le plan des faits, n’ont rien à voir avec l’inégalité de traitement »[11]. Ainsi :

[52] (…) les généralisations de fait ordinaires – qui sont d’une nature différente de celles qui se rapportent aux mythes et stéréotypes à l’endroit des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle, et ne révèlent pas d’autres erreurs de droit reconnues – devraient être évaluées selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante[12].

[26]           À titre d’illustration, un juge qui se fonderait sur sa perception du fait que les membres d’une communauté culturelle spécifique font preuve d’un machisme qui rend probable des gestes d’agression sexuelle commettrait une erreur. Un tel raisonnement, fondé sur de véritables stéréotypes discriminatoires, représenterait une erreur de droit.

[27]           À l’inverse, un juge qui tirerait une inférence négative du fait que l’accusé a quitté rapidement les lieux après une agression sexuelle alléguée, en se fondant sur ses attentes relativement au comportement normal ou attendu d’un agresseur typique, commettrait une erreur qui ne pourrait pas être qualifiée d’erreur de droit[13]. Ce type d’erreur devrait être appréciée selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante.

b)     Première erreur alléguée L’inférence en lien avec la fidélité de l’accusé

[28]           L’appelant reproche au juge du procès d’avoir tiré une inférence défavorable au sujet de son couple « ouvert » et au sujet d’une incompatibilité entre la fidélité que l’appelant devait à sa conjointe et son comportement envers la plaignante.

[29]           Le sujet peut surprendre. Les pratiques sexuelles habituelles d’un accusé ou d’une plaignante peuvent facilement mener le juge du procès sur une pente glissante.

i)                    La preuve administrée lors de l’audition

[30]           La plaignante a expliqué que l’appelant aurait affirmé qu’il avait envie de l’embrasser depuis longtemps, même si normalement il avait besoin de l’autorisation de sa conjointe pour poser ce geste. Selon elle, l’appelant souhaitait qu’elle se sente « spéciale ».

[31]           L’accusé a abordé ce sujet de front. Il a posé des questions à la plaignante sur ce thème, en plus de témoigner explicitement sur ce qui était autorisé, ou non, dans son couple. L’appelant reconnait que ce sujet a été abordé avec la plaignante « entre autres » le soir du 19 août et il reconnaît que cet aspect de sa relation avec sa conjointe est connu de la plupart des policiers au poste de police.

[32]           Dans son témoignage, l’appelant rapporte qu’il a confié à la plaignante avoir déjà refusé les propositions d’une connaissance puisque, selon les règles applicables dans son couple, il ne pouvait avoir, seul, une relation avec une autre femme.

[33]           L’objectif de l’appelant en abordant ce sujet était de justifier un autre aspect de son témoignage. L’appelant y décrivait une discussion avec la plaignante lors de laquelle il défendait son opinion que les femmes étaient aussi entreprenantes que les hommes[14].

[34]           Plus loin dans son témoignage, l’appelant soutient que la plaignante lui a demandé de ne pas parler de la soirée à sa conjointe :

Ça fait qu’elle dit : oui, oui, il n’y a pas de problème puis, tu sais, parles-en pas à ta blonde non plus parce que… ce que j’ai compris de ça, c’est que vu que moi et ma conjointe, on a une relation un peu plus ouverte, elle avait peur que je lui dise qu’on a eu un "flirt" puis de par la même, façon, pour X, Y raisons, que ça se rende aux oreilles de son conjoint.[15]

[35]           Le sujet a été abordé à nouveau en contre-interrogatoire. L’appelant a nié être arrivé ce soir-là avec l’intention d’entreprendre un flirt avec la plaignante. Il a souligné que la plaignante et lui ont reconduit sa conjointe pendant la soirée dans la voiture de patrouille. Il propose que, si un flirt avait été envisagé, il aurait été incongru et malaisant d’inviter sa conjointe dans la voiture.

[36]           L’appelant a donc été questionné sur ce sujet précis, afin qu’il puisse expliquer comment il conciliait cet argument avec la nature ouverte de sa relation. L’appelant a expliqué que sa relation avec sa conjointe ne lui permettait pas d’avoir « n’importe quel "flirt" à n’importe quel moment avec n’importe qui sans avoir des discussions préalables entre moi et ma conjointe »[16].

[37]           C’est ce qui amène l’appelant à nier devant le juge du procès d’avoir voulu utiliser ce sujet pour semer dans l’esprit de la plaignante l’idée d’une possible relation amoureuse entre eux :

… je viens de dire devant [plaignante] que je n’ai pas le goût d’avoir une relation extraconjugale unique[17]. Ça fait que je n’ai pas pu dire ça dans l’intérêt de la séduire et de la convaincre d’en avoir une, là.[18]

[38]           Dans le cadre de ses plaidoiries, l’appelant traite explicitement de cette question, qu’il invoque pour démontrer l’existence de contradictions dans le témoignage de la plaignante.

[39]           Il ajoute :

100) En effet, l’accusé a précisé dans son témoignage qu’il doit avoir la permission de flirter avec d’autres femmes sans sa conjointe. Comme le flirt était non prévu, il va de soi que sa conjointe n’en était pas informée.[19]

[Nous soulignons]

ii)                  Les observations du juge du procès à ce sujet

[40]           À tort ou à raison, le sujet du « couple ouvert » de l’appelant a été largement abordé devant le juge du procès, en grande partie par l’appelant lui-même. Il n’est pas surprenant alors que le juge du procès en ait traité dans son jugement. Il aborde d’abord la question comme élément de contexte sur ce qui est largement connu dans le milieu de l’appelant (par. 18 à 21). Au fil de son résumé de la preuve, il fait référence à ce que les parties rapportent à ce sujet (par. 27, 36, 60, 74). Il reproduit l’essentiel des explications données par l’appelant (par. 81).

[41]           Dans sa discussion sur la crédibilité de l’appelant, il explique pourquoi il ne retient pas son témoignage lorsqu’il se défend d’avoir eu quelque intention envers la plaignante au début de son quart de travail :

[125] Samuel Ducharme dit aussi ne pas commencer son quart de travail avec quelque intention derrière la tête, et notamment aucune intention de flirter. Or, on sait qu’à peine quelques heures après le début de ce quart, c’est exactement ce qu’il fait.

[42]           On s’en souvient, l’appelant lui-même niait toute intention à cet égard. Notamment, il a expliqué qu’il s’imposait des limites en raison des règles qui gouvernaient sa relation avec sa conjointe.

[43]           C’est ce qui amène le juge du procès à écrire que les principes que l’appelant invoque pour expliquer son état d’esprit avant le début du prétendu flirt sont difficilement compatibles avec la conduite qu’il adopte très rapidement.

[44]           Même si le juge du procès aurait pu rédiger ses motifs autrement, afin de ne pas laisser d’ambiguïté sur le sens de ses propos, une lecture contextuelle de l’ensemble de la section démontre la portée véritablement limitée de cette conclusion.

[45]           L’appelant prétend en quelque sorte qu’il ne pouvait pas être arrivé à son quart de travail avec une intention de flirt envers la plaignante, notamment en raison des règles qui gouvernent ce type de comportement dans son couple. Le juge du procès souligne tout simplement l’incohérence entre le comportement de l’appelant et son témoignage quant à ses intentions, lorsqu’il cherche à prendre appui sur les règles de son couple.

[46]           C’est de cet argument limité que traite le juge du procès lorsqu’il écrit que l’accusé ne « s’imposait lui-même aucunement de semblables limites ». Lu en contexte, on comprend que le juge du procès considère que l’argument de l’appelant n’est pas convaincant.

[47]           Il n’y a là aucune erreur.

[48]           Dans la mesure où il est nécessaire de le préciser, il est difficile de comprendre en quoi le raisonnement du juge du procès fait appel à des mythes et stéréotypes. L’appelant lui-même a décrit les caractéristiques de son couple « ouvert » et a tenté d’en tirer un argument que le juge rejette. Le juge du procès n’a aucunement prétendu, par exemple, que l’entente que l’appelant avait avec sa conjointe démontrait une propension à se comporter de manière inadéquate. Il n’a pas non plus eu recours à des stéréotypes sur le comportement attendu d’une personne impliquée dans une relation « ouverte ». Il a simplement considéré la situation particulière de l’appelant :

[3] Le juge du procès n’a pas non plus rejeté erronément le témoignage de l’appelant sur la base de généralisations et de stéréotypes. Tout comme les juges majoritaires de la Cour d’appel, nous sommes d’avis que les affirmations du premier juge à cet égard visaient la preuve propre à l’appelant lui-même ainsi que la crédibilité des prétentions de celui-ci quant à la façon dont il avait réagi dans les circonstances particulières de l’espèce, et non quelque conception stéréotypée de la façon dont les hommes se conduiraient dans de telles circonstances[20].

[49]           En l’espèce, la situation de l’appelant se compare à celle décrite par la Cour d’appel dans R. c. Turcotte :

[7] (…) des affirmations qui paraissent stéréotypées ne sont pas des erreurs de droit si elles visent la preuve propre à l’appelante elle-même ainsi que la crédibilité de ses prétentions relativement à la façon dont elle a réagi dans les faits.[21]

[50]           Il ne saurait y avoir aucune commune mesure avec les cas où, par exemple, un juge a considéré qu’un accusé « en raison de son jeune âge, (…) ne pouvait que vouloir assister, voire participer à l’activité sexuelle en cours »[22] ou a exprimé que la « moralité de vie » d’un autre accusé était « particulière » et « questionnable »[23].


c)     Deuxième erreur alléguée L’évaluation de la crédibilité à la lumière de ce qui aurait dû être la suite logique des évènements entre l’appelant et la plaignante

[51]           Essentiellement, l’appelant reproche au juge du procès une longue discussion sur l’incompatibilité entre la version donnée par l’appelant du déroulement de la soirée et la réaction de la plaignante plusieurs jours après les évènements (par. 103 à 111).

i)                    La nature de l’erreur alléguée

[52]           Dans cette section, le juge du procès rappelle que l’appelant décrit un flirt consensuel, quoiquimprévu, entre deux collègues. Selon l’appelant, la plaignante est intensément attirée. Son langage non verbal serait éloquent quant à l’existence d’un climat de séduction.

[53]           Le juge contraste cette description avec les évènements lorsque la plaignante revient au travail après une semaine de vacances : elle est incapable de côtoyer l’accusé, est bouleversée et incapable d’effectuer son travail. Elle dépose une plainte contre l’accusé en sachant que ce geste met en péril leurs deux carrières au sein du service de police.

[54]           Ce contraste mène le juge du procès à se questionner sur la crédibilité à accorder au récit de l’appelant :

[110] À ce point-ci, je ne suis pas à trancher si l’absence de motif de mentir de la plaignante devait être déterminante. Je n’en suis qu’à la logique que je tente de discerner dans le récit de Samuel Ducharme.

[111] La distinction peut sembler sémantique, mais elle est plus importante. Si le récit de l’accusé n’est pas logique, ne paraît pas sérieux, il n’est pas crédible, tout simplement.

ii)                  Qualification de l’analyse faite par le juge du procès

[55]           On peut s’interroger sur l’importance que le juge du procès accorde à cet élément. On pourrait se demander s’il est opportun d’évaluer la crédibilité du récit de l’accusé au sujet des gestes qu’on lui reproche à la lumière de la réaction de la plaignante quelques jours plus tard. Notamment, l’importation dans cette analyse de la décision de la plaignante de dénoncer l’accusé est particulièrement délicate, puisque ce type de raisonnement peut facilement faire appel à des mythes et stéréotypes sur le comportement attendu d’une victime[24].

[56]           Il va de soi que l’appréciation de la crédibilité d’un témoignage exige que le juge du procès se fonde sur la raison et le bon sens, sur son expérience personnelle ainsi que sur la logique[25] :

[72] (…) Le raisonnement quant à la façon dont les gens tendent généralement à se comporter, et à la façon dont les évènements tendent à se dérouler, est non seulement permis, il s’agit souvent d’une composante nécessaire de l’appréciation complète d’un témoignage.[26]

[57]           Les inférences que le juge peut tirer ne sont pas limitées au comportement de l’accusé et de la plaignante au moment de la commission de l’infraction. Par exemple, le juge peut étudier le comportement de l’accusé après l’infraction, notamment lorsqu’on démontre que l’accusé a tenté de fuir les lieux ou de détruire la preuve[27].

[58]           Le juge peut aussi se pencher sur le comportement de la plaignante après l’infraction alléguée :

[66] (…) But it is not improper for a judge to assess – and draw inferences from – the complainant’s post-event conduct in the context of the facts of the case if the judge is doing so for a proper purpose and is not relying on an unfounded inference, stereotype, or generalization (…).[28]

[59]           Un délai de la part de la plaignante à déposer une plainte exige une analyse nuancée. Le moment que choisit une plaignante pour dénoncer une agression « ne constitue qu’une circonstance à examiner dans la mosaïque factuelle d’une affaire donnée »[29].

[60]           Ainsi, la comparaison de la conduite d’une plaignante avec la conduite « attendue » ou « normale » d’une victime d’agression sexuelle représente une erreur de droit. Toutefois, l’appréciation de cette conduite quant à la crédibilité globale du récit est permise, par exemple à titre de simple preuve de la condition émotionnelle de la plaignante après les évènements[30].

[61]           En somme, tant que certaines règles sont respectées, le juge du procès peut étudier la preuve des évènements postérieurs à l’infraction alléguée pour valider la crédibilité du récit qui lui est présenté de part et d’autre.

[62]           Le problème en l’espèce est que le juge de première instance se sert de la réaction de la plaignante, près d’une semaine après les évènements, non pas pour apprécier sa propre crédibilité, mais plutôt pour évaluer la crédibilité du récit de l’appelant au sujet des gestes reprochés.

[63]           Avec égard, ceci représente une erreur dans son raisonnement. Il lui aurait été permis d’étudier la crédibilité de l’accusé à la lumière de sa propre réaction. Il aurait aussi pu discuter, avec beaucoup de prudence, de la crédibilité de la plaignante en fonction de sa propre réaction. Ce qu’il ne pouvait faire, toutefois, c’est de s’appuyer sur le comportement a posteriori de la plaignante pour déterminer que le récit de l’appelant n’était pas crédible[31].

[64]           Ce type de raisonnement est susceptible de mener le juge à commettre une erreur. Si une plaignante démontre être émotionnellement affectée par les évènements et décide de porter plainte, la version de l’accusé sera par conséquent susceptible d’être jugée non crédible. À l’inverse, si la plaignante ne dépose pas de plainte et ne semble pas fuir activement l’accusé, la version des faits de l’accusé sera susceptible d’être renforcée.

[65]           Dans les deux cas, une portion de la crédibilité du récit de l’accusé repose sur la réaction de la plaignante après les évènements. Dans certains cas, ce type de raisonnement pourrait imposer en quelque sorte à l’accusé le fardeau d’expliquer la réaction de la plaignante ou, du moins, de la réconcilier avec sa propre version. À défaut, la crédibilité de son propre récit pourrait être amoindrie.

[66]           Le juge de première instance aurait possiblement pu faire la même analyse dans l’objectif de déterminer si la plaignante avait ou non un motif de mentir quant au déroulement de la soirée[32]. Or, un tel raisonnement vise encore une fois à se positionner quant à la crédibilité de la plaignante et non celle de l’accusé[33] :

[33] Third, the trier of fact must not reverse the burden of proof, which remains on the Crown to prove its case against the accused beyond a reasonable doubt. Specifically, the trier of fact must not look to an accused to explain why a complainant has made the allegations they have or be under any impression that the accused has an onus to demonstrate that the complainant has a motive to fabricate evidence in order to achieve an acquittal.[34]

[Références omises]

[67]           En tout état de cause, le juge du procès évacue lui-même cette question du cadre de son analyse (par. 110).

[68]           Avec égard, il appert donc que le juge du procès s’est mal dirigé sur cet aspect. Il n’en découle pas pour autant que son verdict doit être remis en question.

[69]           Le juge du procès doit se fier sur des hypothèses logiques pour apprécier correctement la preuve portant sur la crédibilité. Il doit s’appuyer sur la raison, le bon sens, son expérience personnelle et sur la logique[35]. D’ailleurs :

[73] Pour leur part, les hypothèses logiques sous-tendent nécessairement toutes les appréciations de la crédibilité et de la fiabilité. La crédibilité ne peut être appréciée qu’en fonction d’une compréhension générale de [TRADUCTION] « la façon dont les choses peuvent se dérouler et se déroulent effectivement »; c’est en appliquant le bon sens et en utilisant des généralisations fondées sur ses connaissances acquises à l’égard du comportement humain que le juge du procès détermine si un récit est plausible ou « intrinsèquement improbable » (…).[36]

[70]           Lorsqu’il se trompe dans cette démarche, c’est généralement en fonction de la norme de la décision de l’erreur manifeste et déterminante que le juge d’appel doit mener son analyse, en toute déférence envers les conclusions du juge du procès.

[71]           L’erreur du juge du procès est manifeste et apparait à la simple lecture du jugement. Toutefois, elle n’est pas déterminante. Une revue de l’ensemble de ses motifs permet de conclure que cet élément n’était pas le facteur déterminant de son analyse et « ne témoigne pas d’un renversement indu du fardeau de preuve »[37]. En effet, une lecture du jugement dans son ensemble, sans isoler cette partie des motifs, démontre que le juge a considéré l’ensemble de la preuve et fait une analyse détaillée de la crédibilité autant de l’accusé que de la plaignante. La question déterminante est « de savoir si la preuve offerte par l’accusé, appréciée au regard de l’ensemble de la preuve, soulève un doute raisonnable quant à sa culpabilité »[38].

[72]           Une inférence négative erronée n’a pas nécessairement une incidence déterminante sur le verdict :

[29] (...) Quant à la deuxième affirmation, il est vrai que la preuve ne révèle pas les raisons de la rupture et la juge s’aventure en terrain glissant en tirant une inférence négative quant à la crédibilité de l’appelant au motif qu’il affirme que tout allait bien dans sa relation, alors que celle-ci a pourtant subitement pris fin. Cependant, s’il peut s’agir d’un raisonnement stéréotypé, cette erreur est sans incidence au regard des motifs pris dans leur ensemble (...)[39].

[73]           Même si l’erreur commise par le juge du procès contribue à son analyse de la logique du récit de l’appelant, elle ne représente qu’un des nombreux motifs justifiant la conclusion du juge du procès quant à la crédibilité de l’appelant.

[74]           Dans les paragraphes qui suivent cette portion de l’analyse, le juge dresse la liste de l’ensemble des motifs pour lesquels le témoignage de l’appelant ne lui semble pas crédible (par. 112 à 137). Certaines de ces observations portent sur des éléments périphériques :

74.1.       Les questionnements de l’appelant au sujet des rumeurs concernant la plaignante (par. 115, 116 et 132);

74.2.       L’affirmation de l’appelant selon laquelle il débute son quart de travail sans intentions à l’égard de la plaignante (par. 125 à 128);

74.3.       Le fait que la plaignante ait activé la climatisation de la voiture pour refroidir l’habitacle de la voiture (par. 131);

[75]           Cependant, d’autres constats portent sur des éléments importants :

75.1.       La présentation que fait l’appelant de l’équipement qu’il portait, qui rendrait difficile ses tentatives d’embrasser la plaignante (par. 117 et 118);

75.2.       La démonstration qu’il tente de faire qu’il aurait été impossible que la plaignante le repousse puisqu’il pèse près de 235 livres avec son équipement (par. 119 et 120);

75.3.       Son insistance à prétendre qu’il n’a aucun ascendant sur la plaignante, notamment parce que l’ancienneté n’a pas de signification au sein de la police de Sherbrooke (par. 121 à 124);

75.4.       Son allégation voulant que la plaignante ait conduit la voiture de patrouille pendant un relativement long moment avec sa cuisse en refaisant sa coiffure (par. 129 et 130);

75.5.       La prétention de l’accusé qui dit n'avoir eu aucune idée des motifs de l’enjeu impliquant la plaignante lors de son retour, malgré le comportement de la plaignante à son égard, celui des officiers et sous-officiers et du représentant syndical (par. 133 à 136).

[76]           Il est manifeste que le juge du procès n’a tout simplement pas cru l’appelant quant à l’ensemble de sa version. Il le dit d’ailleurs de manière explicite (par. 137 et 182). L’erreur commise par le juge du procès sur l’un des aspects de la crédibilité de l’appelant n’est pas déterminante sur cette conclusion.


d)     Troisième erreur alléguée La propension de l’appelant à s’intéresser aux rumeurs

[77]           L’appelant reproche au juge du procès d’avoir tenu compte de sa propension à s’intéresser aux « ragots » circulant au sein de son milieu de travail. Sans expliquer pourquoi, il soutient qu’il s’agit là d’un raisonnement stéréotypé préjudiciable. Il ajoute que le juge du procès lui reproche par ailleurs d’avoir fait des allusions sexuelles répétées à la plaignante, ce qui correspondrait à une preuve de propension inadmissible.

i)                    La preuve administrée

[78]           L’appelant reconnait qu’il a questionné la plaignante autant au sujet de sa relation passée avec un policier du service qu’au sujet du conjoint qu’elle avait à l’époque des évènements.

[79]           En ce qui concerne son ancien conjoint, l’appelant témoigne qu’il lui a posé une question indiscrète au sujet des motifs de leur rupture :

Donc, je lui ai demandé qu’est-ce qui s’était passé, comment ça ils avaient rompu parce que, encore là, les postes de police sont des endroits très propices aux rumeurs et j’avais entendu toutes sortes de rumeurs sur la fin de leur relation puis j’étais curieux d’avoir la vraie raison puis de ne pas prêter oreille aux ragots, en fait, là[40].

[80]           Au sujet du conjoint qu’elle avait alors, il témoigne ainsi :

Je lui demande si elle est encore avec son [conjoint actuel].

À ce moment-là, il y avait quelqu’un qui m’avait partagé que ça n’allait pas très bien puis qu’il pensait qu’elle était en train de se séparer. Donc, je prends des nouvelles d’elle. Je lui demande comment ça va avec [conjoint actuel], si tout va bien. Elle me répond : correct, puis elle ne semble pas avoir envie de développer sur la situation.[41]

ii)                  Le traitement de la preuve par le juge du procès

[81]           Ce reproche de l’appelant est fondé sur une interprétation hors contexte d’un ensemble disparate d’éléments rapportés par le juge du procès.

[82]           Dans sa narration complète de la version de la plaignante, le juge du procès rapporte son témoignage au sujet des propos de l’appelant (par. 26 et 27). L’appelant en reconnait d’ailleurs l’essentiel. Plus loin, il résume le fait que certains éléments de preuve sont rapportés autant par l’appelant que la plaignante (par. 60).

[83]           Selon le juge de première instance, le fait que l’appelant affirme ne pas s’intéresser aux « ragots » colportés par ses collègues tout en questionnant la plaignante à ce sujet à la première occasion pour « connaître la vérité » est contradictoire et affecte sa crédibilité.

[84]           Il est effectivement incongru que l’appelant se défende de s’intéresser aux rumeurs tout en questionnant une collègue sur sa relation avec un autre policier. L’incongruité est encore plus apparente quand l’appelant témoigne qu’il avait « entendu » que les choses n’allaient pas bien entre la plaignante et son conjoint actuel.

[85]           Il s’agit d’une interprétation logique de la preuve administrée en grande partie par l’appelant lui-même. Le juge du procès était libre d’en tenir compte dans la multitude des éléments qu’il considérait aux fins d’évaluer la crédibilité de l’appelant. Même si cet élément n’était pas déterminant en soi, étant même tout à fait périphérique, il contribuait minimalement à l’impression que le juge du procès se faisait de la crédibilité de l’appelant.

[86]           En ce qui concerne les commentaires du juge du procès au sujet des allusions sexuelles répétées de l’appelant, que ce dernier qualifie de preuve de propension, il ne sera pas nécessaire d’en traiter en détail. Après certains paragraphes introductifs, le juge du procès aborde les reproches que l’appelant fait à la plaignante au sujet de sa crédibilité.

[87]           Dans cette discussion, le juge du procès traite de la version donnée par la plaignante. Il mentionne que les réactions de la plaignante se comprennent dans un contexte où l’accusé fait des allusions sexuelles répétées alors qu’ils sont seuls dans la voiture de patrouille (par. 160). Il énonce une évidence, à savoir qu’une jeune femme confrontée pendant son quart de travail à un collègue d’expérience qui fait des allusions sexuelles, la touche et entretient une atmosphère de flirt, peut essayer de détendre l’atmosphère (par. 165).

[88]           Cette discussion permet au juge du procès d’expliquer certaines réactions de la plaignante et l’absence d’impact négatif sur son évaluation de sa crédibilité.

e)     La partialité du juge du procès

[89]           Sans en faire un motif d’appel indépendant, l’appelant suggère que le raisonnement du juge du procès est à ce point divorcé d’une analyse rationnelle et objective qu’il faut conclure qu’il a manqué d’impartialité.

[90]           Il ajoute que le juge du procès a laissé ses préjugés guider sa décision, compromettant l’équité du procès. Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, à savoir que le juge du procès s’est généralement bien dirigé dans son analyse malgré une erreur spécifique, il ne sera pas nécessaire de traiter de ce moyen de manière détaillée. Notamment, le Tribunal ne décèle aucun préjugé ou stéréotype qui aurait teinté l’analyse faite par le juge du procès.


IV – Second motif d’appel – L’analyse de la crédibilité des versions données par l’appelant et la plaignante

[91]           L’appelant est d’avis que le juge du procès n’a pas correctement appliqué les principes de l’arrêt R. c. W. (D.)[42], même si l’énoncé qu’il fait de sa démarche est conforme aux enseignements de la Cour suprême.

[92]           Essentiellement, l’appelant soutient que le juge du procès s’est erronément imposé de choisir entre sa version et celle de la plaignante. Il ajoute que le juge du procès a opposé son témoignage à celui de la plaignante, qu’il considérait comme avéré à cette étape.

[93]           Un procès criminel ne doit pas être réduit à un concours de crédibilité entre la plaignante et l’accusé. Le juge du procès doit toujours examiner l’ensemble de la preuve afin de décider si elle soulève un doute raisonnable en faveur de l’accusé, même s’il est d’avis que sa version n’est pas crédible ou fiable.

[94]           Il est vrai que certains commentaires introductifs du juge du procès peuvent laisser croire qu’il s’apprête à choisir entre la version de l’accusé et celle de la plaignante (par. 93 à 96). Toutefois, une lecture de l’ensemble des motifs démontre que la démarche du juge du procès est plus complète que la description qu’en fait l’appelant.

[95]           Du paragraphe 4 au paragraphe 54, le juge du procès reproduit le détail de la version de la plaignante. Entre les paragraphes 55 et 61, il dégage une forme de « tronc commun » entre les versions de l’appelant et de la plaignante. Il annonce ensuite qu’il ne reproduira dans son jugement que les aspects du témoignage de l’appelant qui lui apparaissent les plus importants. C’est ce qu’il fait entre les paragraphes 62 et 84.

[96]           Quant au droit applicable, le juge du procès indique de manière préliminaire que la question de la crédibilité des témoins sera « particulièrement importante » au stade de l’analyse de la défense de croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué (par. 93). C’est dans ce contexte très spécifique qu’il fait une série d’observations au sujet de l’impact de la détermination de la crédibilité sur la défense d’erreur de fait invoquée par l’accusé (par. 92 à 96). Dans cette portion de son jugement, il positionne d’avance l’impact que l’analyse de la crédibilité, qu’il développera plus tard, aura sur cet aspect spécifique du dossier.

[97]           L’appelant a raison de souligner que les termes que le juge utilise à cette étape pourraient laisser croire qu’il entend choisir entre deux versions. Ce n’est pas le cas. En contexte, on comprend qu’il illustre plutôt ce que les deux versions ont de commun ou d’incompatible.

[98]           En effet, le juge se livre ensuite à une analyse détaillée de la crédibilité des parties. Il énonce correctement les principes applicables et débute par l’analyse de la version de l’accusé, comme le suggère l’arrêt R. c. W. (D.).

[99]           Au terme de cette longue discussion (par. 102 à 137), il arrive à la conclusion qu’il ne croit pas la présentation des faits de l’accusé, laquelle ne soulève pas de doute dans son esprit. Il est incorrect de prétendre, comme le fait l’appelant, que le juge du procès « s’arrête à déterminer que l'Appelant n'est pas crédible et qu'inversement, la plaignante l'est »[43].

[100]       Plutôt, une fois qu’il a terminé les deux premiers volets de l’analyse comme le propose l’arrêt R. c. W. (D.), le juge du procès se questionne sur la crédibilité de la plaignante de manière autonome. Il en traite de façon tout aussi détaillée que la crédibilité de l’appelant (par. 138 à 179) et commente chacun des reproches qui sont faits à la plaignante autant au niveau de la crédibilité que de la fiabilité de son témoignage. Au terme de l’exercice, il conclut qu’il croit la plaignante.

[101]       Le juge du procès s’est correctement dirigé en droit. La critique de l’appelant au sujet des termes choisis par le juge du procès aux paragraphes 93 à 96 écarte indument le reste de son analyse quant à la crédibilité des deux parties.

[102]       Faut-il le rappeler, la démarche proposée dans l’arrêt R. c. W. (D.) « ne constitue pas une formule sacro-sainte emprisonnant les tribunaux d’instance dans un carcan »[44]. L’objectif de la démarche est d’éviter un renversement involontaire du fardeau de la preuve, provoqué par la détermination prématurée du fait que la plaignante est crédible et donc, par voie de conséquence, que la version incompatible de l’accusé doit nécessairement être rejetée.

[103]       Les motifs du juge du procès démontrent qu’il a évité cet écueil.

VTroisième motif d’appel – La défense d’erreur de fait quant au consentement communiqué

[104]       L’appelant est d’avis que le juge de première instance a erré en droit en rejetant le moyen de défense d’erreur de fait quant à l’existence d’un consentement communiqué.

[105]       Plus précisément, l’appelant soutient que le juge de première instance n’a pas procédé à l’analyse de cette défense, après avoir néanmoins conclu qu’il existait assez d’éléments lui permettant de croire à un consentement communiqué. Par exemple, le juge de première instance aurait indument omis de considérer le contexte de flirt rapporté par l’appelant dans le véhicule de patrouille.

[106]       Le Tribunal souligne d’emblée que le juge du procès n’a jamais conclu qu’il existait une vraisemblance à la défense d’erreur de fait de l’appelant. Lorsque le juge du procès écrit que « Puisque tel est le cas » (par. 97), il ne confirme pas qu’il existe « suffisamment d’éléments ou d’indices qui permettaient à l’accusé de croire dans un consentement communiqué » (par. 96). Il constate plutôt que les versions des témoins divergent et « Puisque tel est le cas », il faut procéder à l’analyse de la crédibilité.

a)     La nature de la défense du consentement communiqué

[107]       Pour qu’une personne soit déclarée coupable d’agression sexuelle, il doit être prouvé hors de tout doute raisonnable qu’elle a commis l’actus reus et qu’elle avait la mens rea requise. Le consentement donné par la plaignante doit être analysé de manière distincte à chacune de ces deux étapes.

i)                    Le rôle du consentement au stade de l’évaluation de l’actus reus

[108]       D’abord, la preuve de l’actus reus de l’agression sexuelle exige la démonstration de trois éléments distincts : « (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l’absence de consentement »[45]. Les deux premiers éléments sont objectifs : il y a eu ou non des attouchements volontaires qui sont objectivement de nature sexuelle.

[109]       À ce stade, le consentement de la victime s’évalue de manière purement subjective, selon « l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu. (…) La perception qu’avait l’accusé de l’état d’esprit de la plaignante n’est pas pertinente »[46].

[110]       Malgré la difficulté que présente la démarche, le juge doit évaluer l’ensemble de la preuve, incluant le témoignage de la plaignante, afin de déterminer son état d’esprit au moment des évènements. Le juge doit ainsi déterminer si les paroles et les actes de la plaignante soulèvent un doute raisonnable quant à l’existence de ce consentement subjectif.

[111]       Puisque l’objectif est de déterminer l’état d’esprit subjectif de la plaignante, l’exercice exigera l’évaluation de sa crédibilité, à la lumière de l’ensemble de la preuve. Seulement deux issues sont possibles : la plaignante a consenti ou elle n’a pas consenti.

[112]       Au terme de l’analyse, si le juge a un doute raisonnable quant à l’existence d’un consentement, il doit acquitter l’accusé. Toutefois, s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable du fait que la plaignante ne consentait pas aux attouchements, il doit alors s’interroger sur la mens rea de l’accusé.

[113]       C’est à ce stade seulement que la défense d’erreur de fait quant au consentement communiqué devient pertinente.

 

ii)                  Le rôle du consentement communiqué au stade de l’évaluation de la mens rea

[114]       L’agression sexuelle est une infraction qui requiert la preuve d’une intention générale, soit l’intention de se livrer à des attouchements. Il n’est pas requis de démontrer une intention spécifique quant au caractère sexuel de l’attouchement.

[115]       Mais, comme l’agression sexuelle ne constitue un crime qu’en l’absence de consentement, l’accusé peut invoquer une défense d’erreur de fait à ce sujet.

[90] (…) Par conséquent, l’analyse porte à cette étape sur l’état d’esprit de l’accusé; la question est alors de savoir si l’accusé croyait sincèrement « que le plaignant avait vraiment dit « oui » par ses paroles, par ses actes, ou les deux ».[47]

[116]       Pour établir cette défense, l’accusé doit faire état d’une « croyance sincère, mais erronée que la plaignante a, en fait communiqué son consentement, par ses paroles ou ses actes »[48]. Il faut éviter de réfléchir en fonction d’un consentement présumé ou tacite.

[117]       Ce consentement communiqué consiste en l’accord volontaire et concomitant du plaignant à l’activité sexuelle[49].

[118]       Toutefois, la croyance de l’accusé à l’effet que la plaignante avait consenti n’est pas un moyen de défense dans certaines circonstances. Par exemple, l’accusé ne peut invoquer ce moyen de défense avec succès lorsqu’il « n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement »[50] :

[104] (…) Cette condition comporte à la fois une dimension objective et une dimension subjective : l’accusé doit prendre des mesures objectivement raisonnables pour s’assurer du consentement et le caractère raisonnable de ces mesures doit être apprécié eu égard aux circonstances dont il avait alors connaissance (…).[51]

[119]       Ce qui représente des mesures raisonnables dans un cas spécifique dépend du contexte factuel. Toutefois, certaines attitudes ou comportements ne peuvent jamais se qualifier de mesures raisonnables :

[107] (…) Par exemple, les mesures qui reposent sur les mythes liés au viol ou sur les présomptions stéréotypées au sujet des femmes et du consentement n’ont aucunement un caractère raisonnable. Ainsi, l’accusé ne saurait prétendre que le fait de se fier au silence, à la passivité ou au comportement ambigu de la plaignante est une mesure raisonnable pour s’assurer du consentement. (…).[52]

[Nous soulignons]

[120]       Dans le même ordre d’idée, une série d’attouchements sexuels non consensuels, accomplis dans le but de « tâter le terrain » ne peut être considérée comme une mesure raisonnable[53].

[121]       La défense de croyance sincère, mais erronée au consentement sera considérée par un juge s’il existe une preuve susceptible d’établir la vraisemblance de la défense (air of reality). Le juge doit se demander s’il existe une preuve qui lui permettrait de conclure :

[121] (…) (1)  que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement et (2) que l’accusé croyait sincèrement que le plaignant avait communiqué son consentement.[54]

[122]       Ce fardeau n’est pas élevé. Le cas échéant, c’est le poursuivant qui devra démontrer, hors de tout doute raisonnable, l’absence de croyance sincère, mais erronée au consentement. À cette étape, l’accusé n’a pas de fardeau à assumer.

[123]       À l’opposé, si aucune preuve n’est susceptible d’établir la vraisemblance de la défense, le juge du procès n’a pas à la considérer[55].

b)     L’analyse faite par le juge de première instance

[124]       D’emblée, l’appelant a raison de souligner que la conclusion du juge de première instance au sujet de l’erreur de fait qu’il allègue est sommaire, se limitant à un seul paragraphe à la toute fin du jugement. Ce paragraphe traite par ailleurs de l’inexistence de la communication d’un consentement et non de la croyance sincère, mais erronée de l’appelant à ce sujet. De manière isolée, ce seul paragraphe serait insuffisant pour justifier le rejet de la défense d’erreur de fait.

[125]       Mais l’analyse effectuée par le juge de première instance est plus complète que la qualification qu’en fait l’appelant. Après un exposé détaillé des faits (par. 4 à 84), le juge de première instance pose les bases de son analyse de l’infraction d’agression sexuelle (par. 86 à 97).

[126]       Tel qu’il l’explique, la version des évènements donnée par la plaignante ne laisse aucune ambiguïté : elle n’a jamais consenti aux attouchements et n’a jamais communiqué quelque consentement que ce soit (par. 95). Cependant, la version de l’appelant exige d’aller plus loin dans l’analyse afin de déterminer si les faits qu’il invoque, ou si l’ensemble de la preuve présentée, sont susceptibles de rendre admissible une défense d’erreur de fait.

[127]       C’est ce que le juge de première instance signale lorsqu’il écrit qu’il « découle d’autres conséquences » de son évaluation de la crédibilité des témoins (par. 93) et que, si la version de l’appelant est écartée « la notion de croyance sincère dans un consentement communiqué, tel que décrit dans l’arrêt Barton, prend ou perd de son importance » (par. 94).

[128]       Puisqu’au terme de son analyse, le juge de première instance détermine que la version de l’appelant n’était pas crédible et ne suscitait aucun doute raisonnable dans son esprit (par. 137), il avait alors raison d’écarter ce pan des prétentions de l’appelant.

c)     La défense d’erreur de fait en l’espèce

[129]       Cet argument de l’appelant doit être écarté pour un autre motif. Rien, dans la preuve présentée au procès, n’aurait été susceptible de rendre admissible une défense fondée sur la croyance sincère, mais erronée en un consentement communiqué. Cette défense n’avait pas à être considérée, et ce, même si le juge de première instance n’avait pas écarté la version de l’accusé.

[130]       De manière constante, l’appelant se fonde sur sa propre interprétation de faits qui ne peuvent, en soi, fonder une défense d’erreur de fait. Alors que la plaignante exprime un refus clair à plusieurs reprises, l’appelant cherche constamment à nuancer ces refus, à en diminuer la portée et même à les interpréter comme un consentement potentiel à d’autres gestes.

[131]       À plusieurs refus clairement exprimés, l’appelant oppose une « atmosphère de flirt » qui lui aurait permis, affirme-t-il, de comprendre que la plaignante souhaitait un rapprochement. Un sous-entendu au sujet d’un dessert, le fait de mettre de la musique dans la voiture ou de chanter une chanson, un regard, un sourire ou un silence le confortent dans son impression que la plaignante désire ses attentions. Pourtant, il admet sans détour que lorsqu’il a posé des questions, la réponse était ultimement négative.

[132]       Il est frappant de constater à quel point l’appelant interprète chaque facette du comportement de la plaignante comme une manifestation de son désir qu’il la touche. 25 ans après l’arrêt Ewanchuk, il est désolant de constater que le « consentement tacite » est toujours invoqué, sous une forme à peine modifiée :

Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que la plaignante souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense. Les suppositions de l’accusé relativement à ce qui se passait dans l’esprit de la plaignante ne constituent pas un moyen de défense. (…)

Par exemple, le fait de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part est une erreur de droit et ne constitue pas un moyen de défense.[56]

[133]       Un consentement peut certainement être exprimé par le comportement d’une personne. Celle-ci peut prendre l’initiative de contacts sexuels ou y participer activement sans avoir à verbaliser explicitement un « oui ». Mais à partir du moment un « non » a été exprimé, il est nécessaire de s’assurer qu’elle a réellement changé d’avis avant de tenter d’autres gestes intimes :

L’accusé ne peut se fier au simple écoulement du temps ou encore au silence ou au comportement équivoque de la plaignante pour déduire que cette dernière a changé d’avis et qu’elle consent, et il ne peut pas non plus se livrer à d’autres attouchements sexuels afin de « voir ce qui va se passer ». La poursuite de contacts sexuels après qu’une personne a dit « non » est, à tout le moins, une conduite insouciante qui n’est pas excusable.[57]

[134]       La version donnée par la plaignante, retenue par le juge du procès, dissipe tout doute sur les évènements qui ont donné lieu aux accusations. Toutefois, même en se fondant principalement sur la version de l’appelant, il devient clair que la défense d’erreur de fait n’avait pas à être considérée.

i)                    Les premiers gestes

[135]       Il n’est pas contesté que l’appelant et la plaignante ne sont pas particulièrement proches avant le soir du 19 août 2021. Après une période de parrainage de quelques semaines, ils n’ont retravaillé ensemble qu’à une ou deux reprises.

[136]       Selon la version donnée par l’appelant, rien de particulier pendant la première partie du quart de travail ne lui permet de croire qu’une atmosphère de séduction existe entre lui et la plaignante.

[137]       Selon lui, un premier indice intervient après une intervention, alors qu’il travaille à la rédaction du rapport. La plaignante lui rapporte qu’elle quitte le lendemain pour un voyage avec des amies. L’appelant souligne que « ça va être beau à voir » « trois amies au Nouveau-Brunswick qui s’en vont faire le party »[58]. La plaignante répond « on est sages, nous ». L’appelant argumente que les filles sont « aussi tannantes que les gars » et lui révèle une anecdote au sujet d’une autre femme qui aurait voulu le séduire[59].

[138]       La discussion dévie ensuite des voyages dans le sud alors que l’accusé évoque qu’« il n’y a rien de plus propice, là, pour tromper son conjoint ou sa conjointe »[60]. La plaignante répond que « c’est certain qu’avec certaines personnes, on a tous nos faiblesses »[61].

[139]       L’appelant a une impression de regard séducteur et commence à penser que la plaignante veut flirter avec lui. Comme il l’explique, « son regard, son sourire, ça me fait me questionner sur les intentions sur la façon dont elle me parle ». Toujours selon l’appelant, il demande à la plaignante de le laisser terminer son rapport et elle acquiesce, remarquant que sinon « les autres vont se demander qu’est-ce qu’on fait »[62]. Comme l’appelant l’expose, certains échanges lui laissent croire qu’une atmosphère de flirt s’installe entre lui et la plaignante pendant la patrouille. Au fil de la soirée, le flirt devient dès lors de plus en plus clair et l’appelant a, à partir d’un certain moment « l’impression qu’à peu près tout ce qu’on se dit ou tout ce qu’on partage est sur un ton de "flirt" »[63].

[140]       L’appelant réaffirmera cette croyance tout au long de son témoignage : chaque parole, chaque geste, chaque soupir et chaque silence est une confirmation de ses impressions. Même lorsque la plaignante exprime explicitement un refus, l’appelant l’interprète comme un signe qu’elle souhaite tout de même un rapprochement. Aucun sujet ne semble exempt de sousentendu sexuel.

ii)                  Le McFlurry

[141]       Une discussion portant sur l’opportunité de s’arrêter au restaurant McDonald’s acheter un McFlurry est pour l’appelant un moment décisif de la soirée. L’appelant et la plaignante se dirigent vers le restaurant. La plaignante l’avise toutefois que, bien qu’elle aurait envie d’un McFlurry, elle est au régime et ne peut pas se le permettre.

[142]       L’appelant y voit une confirmation du flirt entre eux puisqu’elle insiste sur le fait qu’elle aurait le goût, que « c’est correct de se laisser tenter des fois » et qu’elle le regarde en parlant du dessert en question[64]. L’appelant décide alors de « valider les intentions de la plaignante ». En paraphrasant une vidéo populaire portant sur l’analogie entre le consentement sexuel et une tasse de thé, l’appelant dit : « tu sais, des fois, on peut avoir envie d’un McFlurry, mais ce n’est pas une bonne affaire qu’on prenne un McFlurry »[65].

[143]       Rien dans cet échange n’est susceptible de permettre à l’appelant de croire que la plaignante lui communique un consentement à quoi que ce soit. D’ailleurs, puisque l’appelant insiste pour tirer une analogie entre le McFlurry et le consentement sexuel, le Tribunal croit nécessaire de rappeler que la plaignante a expressément refusé le McFlurry.


iii)                La musique

[144]       L’appelant rapporte que, pendant la patrouille, la plaignante et lui mettent de la musique. Certaines chansons, dont la plaignante chante des extraits, traitent de relations amoureuses. Cela renforce son impression de flirt. À l’intersection qui pourrait les mener vers le restaurant McDonald’s, la plaignante demande à l’appelant s’il est certain qu’il ne veut plus de McFlurry.

[145]       Cette remarque est pour l’appelant la confirmation de toutes ses impressions. Pour lui « il n’y a plus d’équivoque »[66]. Il le verbalise en disant « ça fait longtemps qu’il n’est plus question d’un McFlurry, hein? ». La plaignante rit, mais ne répond pas à la question. La question est donc réglée pour lui :

Ça fait que pour moi, il n’y a plus de place à interprétation de ma part. C’est très clair, je lui ai posé la question, je vous dirais, entre parenthèses, sans détour, monsieur le juge, parce que je ne lui ai pas demandé : est-ce que nous sommes dans un "flirt", mais quand je lui dis : il n’est plus question de McFlurry, ça fait longtemps, pour moi, la question est très claire puis elle ne me répond pas par un oui, mais elle me répond par un sourire et un rire puis elle recommence à chanter une chanson dans laquelle il est question d’un.., je ne me souviens plus, là, c’est une relation amoureuse, une fréquentation, un "flirt" (…).[67]

[Nous soulignons]

[146]       Contrairement à ce que prétend l’appelant, aucune interprétation raisonnable de cette conversation n’est susceptible de susciter une croyance au consentement communiqué. C’est l’appelant qui affirme « qu’il n’est plus question de McFlurry » alors que la plaignante ne répond pas.

[147]       Par la suite, l’appelant choisit une pièce musicale qu’il connait. Il joint sa voix à celle du chanteur pour la ligne « I just want to see you naked ». La plaignante rit et répond « ça le mérite d’être clair »[68]. Il choisit une autre chanson qu’il chante avec la plaignante. À la blague, il allume un plafonnier de lumière rouge dans l’habitacle.

[148]       La patrouille est interrompue par une visite chez des amis de la plaignante. Après quelques minutes de discussions, ils repartent.

[149]       À ce stade, aucun des gestes, des paroles ou des silences rapportés par l’appelant n’est susceptible de représenter une preuve étayant une défense d’erreur de fait. Même considérés dans leur ensemble, avec l’interprétation la plus favorable à l’appelant, aucun de ces gestes ne peut fonder une compréhension sincère, mais erronée qu’un consentement à des attouchements a été exprimé.

[150]       Ce qu’invoque l’appelant ne représente qu’une preuve ambiguë au sujet du fait qu’il perçoit une atmosphère de séduction. Pourtant, l’appelant doit être en mesure de référer à des éléments de preuve susceptibles de démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante. Il doit de plus identifier ce qui lui permettait de croire que la plaignante avait consenti à des attouchements avant qu’il ne la touche. Une preuve qu’elle était peut-être susceptible de consentir s’il tentait un attouchement ne peut fonder une défense d’erreur de fait[69]. De même, les impressions subjectives de l’appelant quant à la progression de la soirée ne sont pas de nature à satisfaire le test applicable en l’espèce[70].

[151]       Ces mesures raisonnables auraient dû tenir compte du contexte, à savoir que la plaignante se trouvait dans une voiture de patrouille avec l’appelant, dans le contexte de sa prestation de service.

[152]       Finalement, les « moyens » que l’appelant prend à cette étape ne sont pas des moyens raisonnables. Le fait d’affirmer « qu’il n’est plus question de McFlurry depuis longtemps » ne lui permet pas de vérifier si la plaignante consent à des attouchements, surtout lorsque la plaignante ne répond pas.

[153]       L’appelant a plutôt fait reposer sur la plaignante le fardeau de le désabuser du scénario qu’il avait fabriqué de toutes pièces.

iv)                La main sur la nuque, les tentatives de baisers et le premier refus

[154]       L’appelant pose le premier geste qui lui est reproché lorsqu’ils reprennent la patrouille. Il place sa main sur la nuque de la plaignante. Il la flatte et lui masse le cou.

[155]       Il rapporte que la plaignante n’a pas de mouvement de recul. Il rapporte qu’elle penche la tête vers l’arrière. Lorsqu’elle s’immobilise au prochain arrêt, il tente de l’embrasser puisqu’il perçoit dans son regard une « certaine intensité sexuelle »[71]. Il est bloqué par sa ceinture de sécurité, se détache et tente à nouveau de l’embrasser.

[156]       Immédiatement, la plaignante lui demande : « qu’est-ce que tu fais-là, Sam? ». Il lui répond qu’il a le goût de l’embrasser et s’avance vers elle. Elle répond par une série de « non » consécutifs. L’appelant lui pose des questions sur le sens de ce « non », auxquelles elle répond qu’elle a un conjoint à qui elle ne veut pas « faire de peine »[72].

[157]       L’appelant explique qu’il comprend de cette discussion que la plaignante aurait envie elle aussi de l’embrasser, mais qu’elle se retient parce qu’elle a un conjoint. Il comprend aussi qu’elle a toujours envie d’un rapprochement, mais qu’elle trace la ligne au baiser.

[158]       Cette interprétation est déraisonnable et abusive. Une personne qui refuse un baiser de la manière la plus explicite possible ne signale certainement pas par le fait même qu’elle souhaite une autre forme d’attouchement. Il s’agit-là précisément d’un des mythes et stéréotypes les plus pernicieux en la matière : le fait qu’un « non » signifie probablement un « oui », à condition de se faire insistant.

[159]       Même la logique interne du raisonnement de l’appelant est défaillante. Si la plaignante ne veut pas « faire de la peine » à son conjoint en acceptant un baiser, pourquoi accepterait-elle d’autres formes de rapprochement?

[160]       Les motifs pour lesquels une personne refuse un rapprochement ne sont pas pertinents à l’évaluation de la validité de son consentement[73]. L’appelant ne pouvait atténuer la portée du refus exprimé en se convainquant que la plaignante disait « non » seulement parce qu’elle avait un conjoint.

v)                  Le second refus

[161]       Alors que l’appelant devrait retourner au poste pour terminer son quart de travail, il perçoit que la plaignante prend des détours inutiles et fait des arrêts longs. Il se demande si cela signifie que la plaignante aurait envie de l’embrasser. Il lui demande à nouveau et elle répond encore une fois par la négative.

[162]       Un quasi-accrochage amène la plaignante à dire à l’appelant « regarde ce que tu me fais faire ». Il répond « qu’ils sont deux là-dedans ». Elle répond qu’elle le sait[74].

[163]       L’appelant lui met alors la main sur l’avant-bras. Il glisse sa main vers celle de la plaignante qui la lui donne. Il embrasse l’intérieur de son avant-bras.

[164]       Après deux refus clairs et consécutifs de la plaignante, il est difficile de comprendre l’erreur de fait qu’aurait pu commettre l’appelant. Il n’a posé aucune question additionnelle et les gestes qu’il interprète ne peuvent même pas être qualifiés d’ambigus. Advenant même que l’appelant s’était convaincu de l’existence d’une atmosphère de flirt, celle-ci ne l’autorise pas à toucher la plaignante, encore moins après l’expression de deux refus consécutifs.

[165]       La justification invoquée par l’appelant à l’audition, à savoir qu’il aurait respecté les limites de la plaignante en ne tentant plus de l’embrasser, dénature le droit applicable au consentement sexuel. Le fait que la plaignante avait dit « non » à des baisers n’autorisait certainement pas l’appelant à tenter d’autres formes d’attouchement. Une remise en question unilatérale par l’appelant de la portée du refus de la plaignante ne représente pas une compréhension raisonnable d’un consentement exprimé.

vi)                L’attouchement à la cuisse

[166]       Après le baiser à l’avant-bras, la plaignante affirme « tu me donnes chaud ». Elle démarre la climatisation. Alors qu’elle refait sa coiffure, l’appelant dépose sa main sur la cuisse de la plaignante en disant : « être un mauvais garçon, là, (…) Je montrerais plus haut »[75].

[167]       Il lui demande si elle souhaite qu’il arrête. Il a l’impression qu’elle le regarde avec du désir dans les yeux, mais elle ne répond pas. Il met alors sa main sur son épaule. Elle lui confirme qu’elle souhaite qu’ils arrêtent.

d)     Conclusion

[168]       L’analyse qui précède confirme une absence de preuve qui aurait permis à un juge, agissant d’une manière judiciaire :

[121] (…) de conclure (1) que l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement et (2) que l’accusé croyait sincèrement que le plaignant avait communiqué son consentement.[76]

[169]       Aucune preuve ne démontrait de mesures raisonnables de l’appelant pour s’assurer du consentement avant les attouchements qui lui sont reprochés. Aucune preuve ne démontrait non plus la possibilité d’une croyance sincère au consentement communiqué. Les faits qu’invoque l’appelant sont plutôt susceptibles de démontrer le contraire : par insouciance ou désintérêt, il a confondu ses désirs avec la réalité et cru que ses impressions subjectives l’autorisaient à se livrer à des attouchements.

[170]       Pour ces motifs additionnels, le juge du procès était justifié de ne pas considérer la défense d’erreur de fait invoquée par l’appelant.

VI – Quatrième motif d’appel – L’imposition d’un verdict déraisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve présentée

[171]       L’appelant soutient que le verdict est déraisonnable et illogique. Il soutient que le juge du procès n’a pas pris en considération l’ensemble de la preuve, incluant les éléments du témoignage de la plaignante qui pourraient en appuyer sa croyance sincère d’un consentement communiqué.

[172]       L’article 686(1)a)(i) C. cr. prévoit qu’un juge d’appel peut accueillir l’appel portant sur un verdict de culpabilité s’il est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve.

[173]       Le juge siégeant en appel doit se demander si « le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre »[77].

[59] (…) Ce critère s’applique également lorsque le verdict a été prononcé par un juge seul. Dans ce cas, la cour d’appel pourra intervenir « lorsqu’il ressort des motifs du juge du procès qu’il n’a pas tenu compte d’un principe de droit applicable ou qu’il a inscrit un verdict incompatible avec les conclusions de fait tirées ».[78]

[174]       Le Tribunal a déjà amplement traité de l’évaluation de la crédibilité faite par le juge de première instance, du recours allégué à des mythes et stéréotypes ainsi que de l’absence de vraisemblance de la défense d’erreur de fait que l’appelant invoquait. Tel qu’il appert de l’ensemble de ces motifs, il est évident que le verdict est un de ceux qu’il était possible de rendre en tenant compte des principes de droit applicables et des conclusions de fait qui s’imposaient de la preuve. Dans la mesure où l’appelant revient sur ces éléments dans ce quatrième motif d’appel, le Tribunal n’en traitera pas à nouveau. 

[175]       L’appelant intègre dans ce motif d’appel une remise en question de l’ensemble de l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage de la plaignante. L’appelant invoque de nombreuses contradictions qui auraient un impact sur la crédibilité de la plaignante et d’enjeux liés à sa mémoire, affectant la fiabilité de son témoignage.

[176]       Rappelons d’emblée que « Le fardeau de démontrer qu’un verdict est déraisonnable dans un dossier où la crédibilité est la question centrale du litige est très élevé en raison de la déférence dont le tribunal d’appel doit faire preuve à l’égard des déterminations factuelles du juge d’instance »[79].

[177]       Essentiellement, « lorsqu’est plaidé le verdict déraisonnable, il ne suffit pas de soulever des faiblesses ou des contradictions dans le récit du plaignant ou encore de suggérer une appréciation différente de son témoignage pour réussir à l’établir »[80].

[178]       Ici, l’appelant plaide de nouveau en appel des contradictions ou enjeux de fiabilité qu’il a invoqués en première instance et dont le juge du procès a traité.

i)        Contradiction au sujet des conversations à connotation sexuelle

[179]       L’appelant prétend que la plaignante s’est contredite dans son témoignage « à plusieurs reprises en prétendant qu’elle se sentait mal à l’aise face aux conversations à connotation sexuelle, tout en reconnaissant en contre-interrogatoire avoir discuté de la relation ouverte de l’Appelant et de sa conjointe » (par.92 du mémoire de l’appelant).

[180]       Le même argument a été soumis au juge du procès, qui en traite ainsi :

[166] Aux paragraphes 159 et suivants de son argumentation écrite, l’accusé soutient que le contre-interrogatoire aurait fait ressortir que les sujets à connotation sexuelle concernaient « par exemple » la relation de l’accusé « qui était ouverte avec sa conjointe ».

[167] Il m’apparaît encore une fois trompeur d’isoler cette réponse de son contexte où il est clair que les allusions sexuelles faites par l’accusé ne se limitaient pas à ce qui concernait son couple et à la définition de son « ouverture ».

[181]       Selon la plaignante, la question du couple « ouvert » de l’appelant avait fait l’objet de discussions entre eux lors d’un quart de travail antérieur. Au procès, elle a nié avoir participé à des discussions à ce sujet avec l’appelant le soir des évènements en cause. Toutefois, elle a reconnu en contre-interrogatoire que l’appelant a affirmé, alors qu’il tentait de l’embrasser, qu’il n’avait pas le droit d’agir ainsi, selon les règles applicables à son couple.

[182]       Le Tribunal ne décèle pas là une contradiction. Il y a une différence entre une discussion entre deux personnes sur la nature d’une relation amoureuse et une affirmation non sollicitée par un seul des interlocuteurs au sujet de son couple. En tout état de cause, le juge du procès était libre d’en tenir compte ou non dans son appréciation de la crédibilité de la plaignante, selon sa lecture des faits.

ii)      Contradiction au sujet du malaise constant lors de la patrouille

[183]       L’appelant voit une autre contradiction dans le fait que la plaignante décrit un malaise constant pendant la patrouille « alors qu’elle décrit, en contre-interrogatoire, l’ambiance bon enfant lorsque les parties chantent ensemble par moment » (par. 92 du mémoire de l’appelant)

[184]       Après quelques commentaires introductifs, le juge du procès traite de la question ainsi :

[165] Quoi qu’il en soit, je n’ai aucune difficulté à croire qu’une jeune policière comme elle l’était, prise dans une voiture de patrouille pendant tout son quart de travail avec un policier senior qui ne fait que des allusions sexuelles, et qui tente de la toucher ou de l’embrasser à répétition, cherche à détendre l’atmosphère occasionnellement (…).

[185]       Les dynamiques humaines dans un contexte d’agression sexuelle seront variables. Parmi les mythes et stéréotypes les plus pernicieux, on retrouve la notion qu’une victime doit réagir immédiatement et de manière explicite : elle doit dire « non », s’enfuir ou même combattre[81]. À défaut d’une forte réaction immédiate, il faudrait comprendre que la victime désirait les attentions de son agresseur.

[186]       La réalité est beaucoup plus complexe. On ne peut faire le reproche à une plaignante d’être polie et souriante devant des attentions non souhaitées, surtout lorsqu’elle est coincée dans une autopatrouille avec un collègue senior insistant. On ne peut non plus lui reprocher d’avoir tenté, par diverses tactiques, de désamorcer la situation, par exemple en riant « jaune » ou en chantant avec lui dans la voiture.

[187]       Déterminer qu’une plaignante n’est pas crédible parce qu’elle témoigne vivre un malaise en raison de l’attitude d’un agresseur tout en demeurant polie, voire rieuse, représenterait une application indirecte de vieux mythes et stéréotypes désavoués depuis longtemps.

iii)    Les « confidences » au sujet de sa rupture avec son ex-conjoint

[188]       L’appelant prétend que la plaignante s’est contredite en témoignant d’une part qu’elle s’était confiée à lui au sujet de sa rupture lors qu’un quart de travail antérieur tout en reconnaissant qu’elle n’avait pas vraiment échangé avec lui dans les mois précédant les évènements.

[189]       Le juge du procès en traite sommairement dans son jugement. Manifestement, cet élément n’a pas eu d’impact sur son évaluation de la crédibilité de la plaignante. Il aurait été difficile de conclure autrement au sujet d’un élément périphérique qui n’a que peu à voir avec les accusations déposées contre l’appelant.

iv)    L’effet combiné des trois reproches

[190]       L’appelant soutient que le juge du procès a erré en se limitant à tenir compte des trois reproches précédents uniquement dans le contexte de l’évaluation de la crédibilité de la plaignante. Bien qu’il ne développe pas l’argument de manière détaillée, il prétend que ces questions étaient déterminantes quant à l’évaluation de l’existence d’une croyance sincère, mais erronée du consentement communiqué.

[191]       Si le Tribunal développe l’argument que semble vouloir faire l’appelant, il faudrait comprendre que sa prétention qu’il croyait qu’un consentement lui avait été communiqué est plus vraisemblable puisque (1) la plaignante et l’appelant auraient parlé du couple « ouvert », (2) l’atmosphère dans l’autopatrouille aurait été « bon enfant » et (3) la plaignante aurait mentionné les motifs de sa rupture d’avec son ex-conjoint.

[192]       Le Tribunal a déjà traité de cette question dans son analyse précédente portant sur l’erreur de fait. Il n’est pas nécessaire d’y revenir, sinon pour réitérer que cette défense était sans vraisemblance.

v)     Les défaillances de mémoire dans le témoignage de la plaignante

[193]       L’appelant prétend que des défaillances dans la mémoire de la plaignante, notamment en ce qui concerne les détails oubliés d’une intervention policière réalisée avec l’appelant auraient dû avoir un impact sur l’évaluation de sa crédibilité.

[194]       S’il est ici davantage question de fiabilité que de crédibilité, il n’en demeure pas moins que l’appelant ne fait pas la démonstration que l’appréciation des faits par le juge du procès présente une faille. Le fait que la plaignante ne se souvienne pas de la nature d’une intervention réalisée ce soir-là auprès de citoyens n’affecte pas la fiabilité de son témoignage sur les gestes d’agression qu’elle rapporte.

[195]       Au fil de ses motifs, le Tribunal a beaucoup insisté sur la version donnée par l’appelant. Compte tenu de la nature de l’exercice auquel le Tribunal était convié, il ne pouvait en être autrement.

[196]       Cela dit, il est opportun de conclure le présent jugement en soulignant que le témoignage de la plaignante était détaillé quant au déroulement de la soirée qui a mené aux accusations. Elle a été jugée crédible et fiable par le juge du procès. Aucun des motifs soulevés par l’appelant ne permet de croire qu’un juge, agissant de manière judiciaire, ne pouvait fonder son jugement sur la version de la plaignante.

[197]       Pour l’ensemble de ces motifs, l’appel sera rejeté.

CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[198]       REJETTE l’appel.

 

 

 

__________________________________SÉBASTIEN PIERRE-ROY, j.c.s.

 

Me Ariane Bergeron-St-Onge

Roy Bélanger Avocats s.e.n.c.r.l.

Avocate pour l’appelant

 

Me Marc-André Roy

Directeur des poursuites criminelles et pénales

Avocat pour l’intimé

 

Date d’audience :  26 février 2024.


[1] R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, par. 62, citant notamment Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.

[2] R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 5. Voir aussi R. c. Kruk, 2024 CSC 7 (l’arrêt Kruk), par. 83.

[3] R. c. Beaudry, précité, note 1, par. 63.

[4] Kruk, par. 82.

[5] R. c. G. F., 2021 CSC 20; Voir aussi Brunet c. R., 2024 QCCA 286.

[6] R. c. Gagnon, 2006 CSC 17.

[7] R. c. R.P., 2012 CSC 22, par. 10.

[8] Les parties n’avaient pas eu le bénéfice de prendre connaissance de l’arrêt Kruk lors de l’audition de l’appel. Le Tribunal leur a soumis l’arrêt et a autorisé un complément de cinq pages aux mémoires afin de traiter des conséquences de l’arrêt Kruk sur l’appel.

[9] Kruk, par. 63.

[10] Kruk, par. 30.

[11] Kruk, par. 51.

[12] Kruk, par. 52.

[13] Kruk, par. 246.

[14] L’appelant utilise le terme « tannantes ».

[15] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 198, l. 18 à 25.

[16] Id., p. 272, l. 4 à 6.

[17] « Unique » par opposition à une relation impliquant l’appelant et sa conjointe.

[18] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 279, l. 8 à 11.

[19] Plaidoiries écrites de l’accusé devant la Cour du Québec, par. 100.

[20] R. c. Quartey, 2018 CSC 59, par. 3.

[21] Turcotte c. R., 2019 QCCA 1238, par. 7.

[22] Robbins c. R., 2018 QCCA 1181, par. 36.

[23] G.G. c. R., 2021 QCCA 1835, par. 38.

[24] R. c. D.D., 2000 CSC 43 et Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 275.

[25] Kruk, par. 72, citant ici R. c. Delmas, 2020 ABCA 152.

[26] Kruk, par. 72.

[27] R. c. White, 2011 CSC 13. Kruk, par. 74.

[28] R. c. Greif, 2021 BCCA 187, par. 66, demande pour permission d’en appeler à la Cour suprême rejetée dans Kevin Jeremy Greif v. Her Majesty the Queen, 2021 CanLII 109594 (SCC).

[29] R. c. D.D., précité note 24, par. 65, rendu dans le contexte de l’évaluation de la crédibilité de la plaignante.

[30] R. v. J.V., 2007 ONCA 194, par. 33 ou R. v. J.S.S., 2016 BCCA 411.

[31] À titre d’analogie imparfaite, on peut par exemple penser au fait que les déclarations antérieures d’une plaignante ne sont pas admissibles pour prouver la véracité des faits allégués, mais seulement pour évaluer la sincérité de la plaignante elle-même : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24.

[32] R. c. Gerrard, 2022 CSC 13, par. 4.

[33] R. v. Swain, 2021 BCCA 207, par. 32.

[34] Id., par. 33, repris dans R. c. Gerrard, précité, note 32, par. 4.

[35] Kruk, par. 72, citant R. c. Delmas précité note 25, par. 31, conf. par 2020 CSC 39.

[36] Kruk, par. 73. Citation omises.

[37] Par analogie : Brunet c. R., précité, note 5, par. 57 et 58. Voir aussi Yan c. R., 2024 QCCA 399, par 77.

[38] Merchergui c. R., 2019 QCCA 1548, par. 15, citant R. c. Dinardo, précité note 31, par. 23.

[39] R. c. Brunet, précité, note 5, par. 29.

[40] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 115, l. 1 à 7.

[41] Id., p. 113, l. 17 à 23.

[42] [1991] 1 R.C.S. 742.

[43] Mémoire de l’appelant, par. 77.

[44] R. c. Boucher, 2005 CSC 72, par. 29.

[45] R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330.

[46] Id., p. 332.

[47] R. c. Barton, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 90.

[48] Id., par. 91.

[49] Art. 273.1 du Code criminel.

[50] Art. 273.2 du Code criminel.

[51] R. c. Barton, précité, note 47, par. 104.

[52] Id., par. 107.

[53] Id.

[54] Id., par. 121.

[55] Id., par. 121-122. Voir aussi Bozella c. R., 2024 QCCA 270.

[56] R. c. Ewanchuk, précité, note 45, par. 46 et 51.

[57] Id, par. 52.

[58] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 137, l. 12 à 14.

[59] Id., p. 138.

[60] Id., p. 141, l. 24 à p. 142, l. 1.

[61] Id., p. 142, l. 24-25.

[62] Id., p. 145, l. 6-7.

[63] Id., p.147, l. 18 à 20.

[64] Id., p. 151, l. 15.

[65] Id., p. 155, l. 17 à 19.

[66] Id., p. 157, l. 25.

[67] Id., p. 158, l. 13 à 25.

[68] Id., p. 163, l. 18.

[70] Id.

[71] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 172, l. 17.

[72] Id., p. 176, l. 1.

[74] Transcription des notes sténographiques de l’audition du 16 mai 2023, p. 183, l. 9 à 14.

[75] Id., p. 186, l. 7-8.

[76] R. c. Barton, précité, note 47, par. 121.

[78] Brunet c. R., précité, note 5, par. 59. Citant R. c. Biniaris, précité, note 77.

[81] R. c. Ewanchuck, précité, note 455, par. 93, 97 et 99. Voir aussi R. c. Find, 2001 CSC 32, par. 101 et R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par 151.

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