Pierre c. Arseneau | 2022 QCTAL 16786 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 603838 31 20211222 G | No demande : | 3426358 | |||
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Date : | 13 juin 2022 | |||||
Devant la juge administrative : | Anaïs Gagné | |||||
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Marie-Micienne Pierre |
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Locatrice - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Conrad Arseneau |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande la résiliation du bail et l’expulsion du locataire et des autres occupants, sur la base initialement du non-paiement de loyers et le paiement des frais judiciaires. À la suite du paiement des loyers dus avant la première audience, la locatrice amende sa demande afin de remplacer ses motifs de résiliation par les comportements dangereux du locataire et les retards fréquents.
LES FAITS
[2] Les parties sont liées par un bail de logement du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 640 $.
[3] Le logement est un 2 ½ situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de 18 appartements.
[4] La locatrice allègue que le locataire adopte un comportement dangereux lorsqu’il allume le four et en ouvre la porte afin de chauffer son appartement, parfois pendant toute la nuit.
[5] Le locataire agirait de cette manière depuis cinq ans. La locatrice ne produit aucune photo à cet égard et ne fait pas entendre son neveu qui habite l’immeuble et qui aurait constaté les faits.
[6] La locatrice a toléré ce comportement jusqu’aux derniers mois puisque le locataire payait régulièrement son loyer, ce qui n’est plus le cas. Questionnée à nouveau sur cette tolérance, la locatrice ajoute qu’elle ne souhaite plus tolérer ce comportement puisque le locataire est malade et qu’elle a peur qu’il perde connaissance et ne puisse surveiller le four.
[7] Par ailleurs, la locatrice allègue que le locataire enlève les détecteurs de fumée et de chaleur qui sont installés. Le Tribunal a permis à la locatrice de déposer en preuve, après l’audience, des photos qui démontrent cet élément ainsi que les factures qui attestent du fait que lesdits détecteurs doivent fréquemment être réinstallés par la locatrice : cette dernière ne les a pas produits.
[8] Le locataire serait fumeur.
[9] Aucune lettre de mise en demeure n’a été envoyée au locataire relativement à ces manquements allégués.
[10] Par ailleurs, la locatrice souhaite avoir accès au logement relativement à une fuite d’eau, mais indique que le locataire ne répond pas à la porte et qu’il aurait changé les serrures. Le Tribunal l’a invitée à entreprendre les procédures requises, le cas échéant, pour demander une ordonnance d’accès.
[11] La locatrice semble très inquiète pour le locataire, qui serait âgé, malade et sans famille et qui, soupçonne-t-elle, n’est pas en mesure de prendre soin de lui-même. Elle s’est adressée à divers intervenants, comme le CLSC afin d’obtenir du soutien pour lui, mais, vu son refus de l’aide offerte, elle n’a pas obtenu le soutien souhaité.
[12] Quant aux retards fréquents, la locatrice allègue que le locataire a été en retard 3 fois dans le paiement de son loyer dans les 12 derniers mois. Quant à son préjudice, elle indique que c’est elle qui paie les charges de l’immeuble, incluant le chauffage et l’électricité. Elle n’a pas été en défaut de paiement à la suite des retards du locataire. La locatrice est également propriétaire d’un autre immeuble de 15 logements.
LE DROIT
[13] Tout d’abord, le tribunal rappelle les termes de l’article
« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
[14] À cet égard, le Tribunal endosse les propos de la juge administrative Lucie Béliveau[2]:
« Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. »
[Références omises]
[15] Par ailleurs, afin de réussir son recours en résiliation, la locatrice doit démontrer tout d’abord un manquement à une obligation légale et contractuelle ainsi que le préjudice sérieux qui en résulte pour la locatrice, conformément à l’article
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[16] Les obligations du locataire sont prévues aux articles 1855, et 1912 C.c.Q. qui se lisent comme suit :
« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »
« 1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail :
1. Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;
2. Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement. »
ANALYSE ET DÉCISION
COMPORTEMENTS DANGEREUX
[17] Le Tribunal n’est pas convaincu de la preuve qui a été apportée par la locatrice à l’effet que le locataire a manqué à ses obligations légales et qu’il adopte un comportement dangereux qui met en péril l’immeuble.
[18] En effet, le témoignage de la locatrice est imprécis et incertain quant aux dates auxquelles le four aurait été laissé ouvert. Elle indique qu’en fait, c’est son neveu, qui ne témoigne pas à l’audience, qui aurait principalement constaté ces faits. Bien que le Tribunal permette de déposer photos et factures en preuve après l’audience, elle ne dépose que de photos non datées liées à une fuite d’eau qui requerrait une ordonnance d’accès dont le Tribunal n’est pas saisi.
[19] Quant au fait que les détecteurs de fumée et de chaleur auraient été enlevés par le locataire, le Tribunal considère qu’il s’agirait d’une contravention à une obligation légale de sécurité. En effet, l’installation de tels appareils est obligatoire au terme de la réglementation municipale. Par contre, bien qu’invitée par le Tribunal à déposer en preuve après l’audience les photos et les factures qui démontrent le remplacement fréquent de ceux-ci par la locatrice, cette dernière ne dépose que des photos non datées liées à une fuite d’eau.
[20] De même, le préjudice sérieux subi par la locatrice à la suite de ces manquements allégués n’est pas établi. Aucun témoin ne vient attester de ce préjudice ou des inconvénients qui en découlent pour les occupants de l’immeuble. Seule une allégation générale quant au risque d’incendie éventuel est faite par la locatrice. Le Tribunal ne considère pas être en présence de manquements, eurent-ils été établis de façon prépondérante d’une gravité telle qu’ils justifient la résiliation.
[21] Par ailleurs, le Tribunal rappelle au locataire qu’il a le devoir de collaborer avec la locatrice et de lui donner accès à son logement[4], notamment relativement à la fuite d’eau et au maintien des équipements de sécurité tels que les détecteurs de chaleur et de fumée, à défaut de quoi la locatrice pourrait obtenir des ordonnances contre lui ou, le cas échéant, la résiliation du bail.
[22] Par ailleurs, le Tribunal constate que la locatrice semble très inquiète pour le locataire en raison de ses problèmes de santé, de son âge et du fait qu’il n’a pas de famille. Ainsi, elle a tenté de trouver de l’aide pour lui auprès de divers intervenants. Cette aide a été refusée par le locataire.
[23] Ainsi, le Tribunal croit que la locatrice prétexte les comportements supposément dangereux du locataire pour obtenir la résiliation de son bail et le forcer à accepter l’aide qu’elle considère nécessaire. Par contre, dans la réalité, les comportements allégués, soit d’ouvrir le four allumé et d’enlever les détecteurs ne sont pas prouvés de façon prépondérante. Aucune mise en demeure n’est envoyée, aucune photo ni facture ne sont produites, le témoignage est incertain et aucun témoin vivant sur les lieux n’est entendu. De plus, la locatrice confirme que ces comportements durent depuis plusieurs années et qu’elle les tolérait tant que le locataire payait son loyer, ce qui démontre qu’ils ne sont pas si sérieux ou graves qu’ils puissent justifier la résiliation.
RETARDS FRÉQUENTS
[24] Pour obtenir cette conclusion, la loi impose que la locatrice fasse également la preuve du préjudice sérieux que ces retards lui occasionnent. Elle mentionne que le loyer a été payé en retard à 3 reprises au cours des 12 derniers mois.
[25] Ces défauts ne sont cependant pas assez réguliers et continuels pour satisfaire le critère de fréquence de l’article
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] REJETTE la demande de la locatrice.
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Anaïs Gagné | ||
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Présence(s) : | la locatrice Me Dmitry Oppengeym, avocat de la locatrice | ||
Date de l’audience : | 24 mai 2022 | ||
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[1] CCQ-1991.
[2] Office municipal d'habitation de la Plaine de Bellechasse c. Therrien, R.D.L., 2019-06-11, 2019 QCRDL 19669,
[3] Ibid note 1
[4] Art.
[5] Ibid note 1.
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