Décision

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Vermandele c. Ouimet

2022 QCTAL 9549

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

605348 31 20220106 G

No demande :

3430210

 

 

Date :

06 avril 2022

Devant le juge administratif :

Richard Barbe

 

Sébastien Vermandele

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Véronic Ouimet

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locateur demande au Tribunal de l'autoriser à reprendre le logement occupé par la locataire, à compter du 1er juillet 2022, pour y loger sa fille Camille Vermandele, suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec. Il demande aussi le recouvrement du loyer (2 940 $) ainsi que le loyer dû au moment de l’audience. Il demande une ordonnance que la locataire paie son loyer le premier de chaque mois en raison des retards fréquents de celle-ci à payer son loyer. Il demande aussi l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel.

[2]         En début d’audience, le locateur se désiste de sa demande de recouvrement de loyer et d’ordonnance de payer le loyer le premier de chaque mois.

[3]         Les parties sont liées par un bail du 8 juillet 2019 au 1er juillet 2020 au loyer mensuel de 980 $, reconduit jusqu’au 1er juillet 2022 au même loyer.

LES FAITS PERTINENTS

[4]         Le 23 novembre 2021, la locataire a reçu en mains propres un avis de reprise de logement du locateur, daté du 20 novembre 2021, pour y loger sa fille Camille Vermandele, à compter du 1er juillet 2022.

[5]         Le 16 décembre 2021, la locataire a répondu par écrit au locateur qu’elle refusait de quitter le logement.

Le témoignage du locateur

[6]         Le locateur est le seul propriétaire de la maison intergénérationnelle avec sa conjointe[1]. Il explique qu’il veut reprendre le logement concerné pour que sa fille de 19 ans puisse prendre de l’indépendance tout en restant proche de chez ses parents. Le logement est un 4½. Il n’a pas l’intention de faire payer un loyer à sa fille. Il a fait venir un plombier pour le problème d’odeurs provenant de la fosse septique dont se plaint la locataire et il a offert à cette dernière deux mois de loyer en guise d’indemnité de déménagement. Il affirme que dès l’achat de la maison, il a avisé la locataire qu’il avait pour but de reprendre sa partie de ladite maison intergénérationnelle pour y loger sa fille. Il évalue l’indemnité de déménagement à payer à la locataire à deux mois de loyer.


Le témoignage de la fille du locataire

[7]         La fille de 19 ans du locataire explique qu’elle vit actuellement chez ses parents. Elle veut déménager dans l’autre partie de la maison intergénérationnelle pour commencer à avoir son autonomie. Elle est étudiante au CÉGEP à temps plein et travaille à temps partiel dans une résidence.

Le témoignage de la locataire

[8]         La locataire ne veut pas quitter le logement. Elle croit que le locateur veut reprendre le logement pour se venger pour sa demande de non-paiement de loyer. Elle ne comprend pas pourquoi le locateur se priverait des revenus du loyer pour y loger sa fille gratuitement. Elle explique avoir trois enfants de 7, 9 et 13 ans. Elle affirme que le locateur veut se débarrasser d’elle, car elle a fait une plainte pour les odeurs provenant de la fosse septique et qu’il ne veut pas payer pour les travaux. Elle affirme que le locateur ne lui a pas offert une indemnité de déménagement. Elle évalue cette indemnité à trois mois de loyer.

ANALYSE ET DÉCISION

[9]         L'article 1963 du Code civil du Québec se lit comme suit :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »

[10]     Le Tribunal rappelle certaines règles générales relatives au fardeau de la preuve, lesquelles sont prévues aux articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec. Ces articles se lisent comme suit :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. 

 Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

 « 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[11]     Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que le locateur s’est déchargé de son fardeau de preuve.

[12]     Le Tribunal croit que le locateur est de bonne foi et qu’il respecte les exigences pour reprendre le logement concerné par la présente demande. Le Tribunal ne peut conclure que le locateur est de mauvaise foi uniquement parce que les parties sont en conflits sur divers sujets. Le locateur veut faire bénéficier sa fille d’un logement sans frais dans la maison intergénérationnelle qu’il habite lui-même. Il ne s'agit pas d'un indicateur de  mauvaise foi.

[13]     Tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[2], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent: d'une part le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger de droit du locataire que le législateur impose des conditions au locateur.

[14]     En l'espèce, le Tribunal considère que le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait que le locateur désire bien reprendre le logement pour y loger sa fille Camille Vermandele.

[15]     Le Tribunal ne peut tenir compte, dans sa décision concernant l'autorisation de reprendre le logement, de considérations qui sont personnelles à la locataire et qui ne sont pas prévues à la loi.

[16]     Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres à la locataire, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec, lequel se lit comme suit : 

« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »


[17]     Dans l'affaire Boulay c. Tremblay, (1994) J.L. 132, l'honorable Juge Jacques Lachapelle précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement de la façon suivante :

« Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art. 1660.4 C.c.) Cependant, en matière d'éviction pour reprise de possession, le législateur n'a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au Tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l'indemnité de déménagement.

Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :

«... Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire.»

Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il « doit en user « judiciairement », ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable. » (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 19651978, p. 30)

Ainsi il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.

Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive. »

(le Tribunal souligne)

[18]     L'article 1659.7 du Code civil du Bas-Canada est remplacé depuis le 1er janvier 1994 par l'article 1967 du Code civil du Québec. Cette nouvelle disposition est de même nature et a la même portée que l'ancienne.

[19]     Le Tribunal partage l'opinion du juge Lachapelle et, comme lui, il croit que la locataire a le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé.

[20]     Compte tenu des circonstances dont a témoigné la locataire, et compte tenu, aussi, du fait que le locateur n'a pas à être pénalisé pour l'exercice d'un droit légitime, soit celui d’y loger sa fille Camille Vermandele dans la maison intergénérationnelle qu’il habite lui-même, le Tribunal estime que l'octroi d'une indemnité évaluée par la locataire à trois mois de loyer, soit la somme de 2 940 $, est juste et raisonnable pour compenser la locataire pour les frais d'un déménagement et tous les troubles et inconvénients y afférant, dont la recherche d'un nouveau logement.

[21]     À titre d'information, le Tribunal rappelle que l'article 1968 du Code civil du Québec prévoit un recours au profit des locataires par lequel ces derniers peuvent recouvrer des dommages-intérêts et des dommages punitifs si la locatrice ne respecte pas son droit à la reprise du logement pour les fins mentionnées à l'avis.

[22]     De plus, l'article 1970 du Code civil du Québec précise qu'un logement qui a fait l'objet d'une reprise de logement ne peut être reloué ou utilisé à une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé sans l'autorisation du Tribunal administratif du logement.

[23]     La preuve soumise ne justifie pas l’exécution provisoire de la décision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[24]     AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2022 pour y loger sa fille Camille Vermandele;


[25]     ORDONNE l’éviction de la locataire à compter de la fin de son bail le 1er juillet 2022;

[26]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 2 940 $ à titre d’indemnité de déménagement au plus tard le 30 juin 2022;

[27]     Le locateur assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Richard Barbe

 

Présence(s) :

le locateur

Me Charlotte Roy, avocate du locateur

la locataire

Date de l’audience : 

31 mars 2022

 

 

 


 


[1] Article 1958 du Code civil du Québec.

[2] 31-991119-037G, 26 janvier 2000, Me Jean Bisson.

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