Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Procureur général du Québec c. Gallant

2021 QCCA 1701

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-010034-194

(200-17-023732-167) (500-17-093397-167)

 

DATE :

15 novembre 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT/INTIMÉ INCIDENT - défendeur

c.

VALÉRIE GALLANT

L’ASSOCIATION CANADIENNE DU VAPOTAGE

INTIMÉES - demanderesses

et

ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES VAPOTERIES

INTIMÉE/APPELANTE INCIDENTE - demanderesse

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DU CANCER

INTERVENANTE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]          Le Procureur général du Québec se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, district de Québec, du 3 mai 2019 (l’honorable Daniel Dumais). L’Association québécoise des vapoteries, pour sa part, dépose un appel incident.

[2]          Pour les motifs du juge Moore, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Cotnam, LA COUR :

[3]          DÉCLARE admissible le Rapport de l’Organisation mondiale de la santé intitulé : « Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit Tobacco use »;

[4]          ACCUEILLE l’appel principal;

[5]          REJETTE l’appel incident;

[6]          Chaque partie payant ses frais, à l’exception de la confection des annexes conjointes dont les frais seront assumés en parts égales entre le Procureur général du Québec, l’Association canadienne du vapotage et l’Association québécoise des vapoteries.

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Jean-François Paré

LAVOIE, ROUSSEAU

Me Dominique A. Jobin

Me Caroline Renaud

DIRECTION DU DROIT AUTOCHTONE

Pour le Procureur général du Québec

 

Me Daniel Payette

CABINET PAYETTE

Pour Valérie Gallant et Association québécoise des vapoteries

 

Me Audrey Boctor

IMK

Pour L’Association canadienne du vapotage

 

Me Geneviève Claveau

Me Sean Griffin

LANGLOIS AVOCATS

Me Robert Cunningham          

SOCIÉTÉ CANADIENNE DU CANCER

Pour la Société canadienne du cancer

                                                              

Date d’audience :

22 mars 2021


 

 

 

MOTIFS DU JUGE MOORE

 

 

Table des matières

 

I- INTRODUCTION.. 5

II - CONTEXTE.. 8

III - JUGEMENT ENTREPRIS.. 13

IV - QUESTIONS EN LITIGE.. 16

V- ANALYSE.. 18

A.         Validité constitutionnelle et caractère opérant de la Loi de 2015. 18

1) Le juge erre-t-il en concluant que les articles 2 et 3 de la Loi de 2015, en ce qu’ils assimilent « la cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » et le « vapotage » au fait de « fumer », sont valides et opérants au regard du partage des compétences?. 18

2) Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » n’est pas invalide en raison de son imprécision constitutionnelle?. 34

B.         Conformité aux chartes. 35

3) Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique » au « tabac » et le « vapotage » au « fait de fumer » opérée par les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 ne porte pas atteinte aux droits à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté d’expression?. 35

4)         Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 2(1) et 2(12) de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée au droit à l’intégrité de la personne prévu à l’article 1 de la Charte québécoise (appel principal)?. 37

5)         Le juge erre-t-il en concluant que l’interdiction de donner ou de distribuer gratuitement un produit lié à la cigarette électronique selon le paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac ne porte pas atteinte à l’article 1 de la Charte québécoise (appel incident)?. 62

6) Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 24(4), (8) et (9) et l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise (appel principal)?  63

C.         Mesure réparatrice. 75

8) Le juge erre-t-il en refusant d’octroyer à l’AQV les frais de justice et un remboursement partiel des frais engagés pour la défense de ses droits constitutionnels et accordant un délai de suspension de six mois à la déclaration d’invalidité?. 75

VI - CONCLUSION.. 76

 

 


 

I- INTRODUCTION

[7]          Dans un but annoncé de protéger la santé publique, notamment la santé des jeunes, et invoquant le risque que la cigarette électronique renormalise l’acte de fumer, de même qu’elle ne crée un effet passerelle vers les produits du tabac, le législateur québécois décide en 2015 de soumettre, à quelques exceptions près, les produits de vapotage à sa législation sur le tabac. Le fondement de cette politique est que s’il est vrai que vapoter est moins nocif que fumer, l’incertitude scientifique entourant ce produit justifie de faire preuve de prudence.

[8]          Les associations intimées voient les choses d’un autre œil. Faisant valoir que la cigarette électronique, sans être un produit inoffensif, propose aux fumeurs une méthode de cessation tabagique efficace et, surtout, contribue à une diminution des méfaits causés par le tabac, elle s’avère socialement positive. Une politique législative qui nie cette réalité en soumettant le remède - la cigarette électronique - au même régime que le mal - le tabac - porte atteinte à la sécurité et à l’intégrité des fumeurs, en limitant leur accès efficace et sécuritaire à ce produit, de même qu’à la liberté d’expression en imposant un message laissant faussement croire que vapoter est aussi dangereux que fumer.

[9]          Le mieux, c’est-à-dire l’éradication du tabac et du vapotage, est-il l’ennemi du bien, à savoir la diminution des effets du tabac par le vapotage? Et surtout, à qui revient-il de le déterminer? Voilà l’essence du présent dossier.

[10]       Dans l’appel principal, le Procureur général du Québec (« PGQ ») attaque la déclaration d’invalidité des paragraphes 2(1), 2(12), 24(4), 24(8) et 24(9) et de l’alinéa 3 de l’article 24 de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme[1]Loi sur le tabac »), de même que du paragraphe 6.4(2) du Règlement d’application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme[2] (« Règlement sur le tabac »).

[11]       Dans son appel incident, l’Association québécoise des vapoteries (« AQV ») plaide que la Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme[3] (« Loi de 2015 »), notamment ses articles 2 et 3, sont ultra vires de la compétence du législateur québécois et qu’ils violent les droits à la sécurité[4], à l’intégrité[5] et à la liberté d’expression[6]. Pour l’AQV, l’invalidité de ces deux dispositions, lesquelles assimilent, aux fins de la Loi sur le tabac, la cigarette électronique au tabac et le fait de vapoter à celui de fumer, affecte la totalité de la Loi de 2015.

[12]       Subsidiairement, l’AQV fait valoir que le paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac contrevient aux droits à la sécurité et à l’intégrité et que les paragraphes 6.4(1) et (3) du Règlement sur le tabac violent la liberté d’expression.

[13]       Il est utile de reproduire, dès à présent, le libellé des dispositions législatives et réglementaires dont la validité est contestée dans le cadre de l’appel principal ou de l’appel incident.

[14]       La Loi 2015, articles 2 et 3 :

2. L’article 1 de cette loi est modifié par l’insertion, après « qui contient du tabac », de « , la cigarette électronique et tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine, y compris leurs composantes et leurs accessoires, ».

 

3. L’article 1.1 de cette loi est remplacé par le suivant : «1.1. Aux fins de la présente loi, à moins que le contexte ne s’y oppose, le mot : « tabac » comprend également les accessoires suivants: les tubes, papiers et filtres à cigarette, les pipes, y compris leurs composantes, et les fume-cigarettes; « fumer » vise également l’usage d’une cigarette électronique ou de tout autre dispositif de cette nature. ».

2. Section 1 of the Act is amended by inserting “, electronic cigarettes and any other devices of that nature that are put to one’s mouth to inhale any substance that may or may not contain nicotine, including their components and accessories,” after “containing tobacco”.

 

 

3. Section 1.1 of the Act is replaced by the following section: “1.1. For the purposes of this Act, unless the context indicates otherwise, “smoking” also covers the use of an electronic cigarette or of any other device of that nature; “tobacco” also includes the following accessories: cigarette tubes, rolling paper and filters, pipes, including their components, and cigarette holders.”

[15]       La Loi sur le tabac, paragraphes 2(1) et (12), 24(4), (8) et (9) et article 24 alinéa 3 :

2. Sous réserve des articles 3 à 12, il est interdit de fumer dans tous les lieux fermés suivants:

 

1°  les installations maintenues par un établissement de santé et de services sociaux visé à la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou à la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5) et les locaux où sont offerts des services d’une ressource intermédiaire visée à la Loi sur les services de santé et les services sociaux, sauf si ces locaux sont situés à l’intérieur d’une demeure;

[…]

 

12°  tous les autres lieux fermés qui accueillent le public.

 

24. Toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, d’un produit du tabac, d’une marque d’un produit du tabac ou d’un fabricant de produits du tabac est interdite lorsqu’elle:

[…]

 

4°  utilise des attestations ou des témoignages;

 

8°  est diffusée autrement que dans des journaux et magazines écrits dont au moins 85% des lecteurs sont majeurs;

 

9°  est diffusée autrement que par de l’affichage qui ne peut être vu que de l’intérieur du point de vente de tabac;

[…]

 

Une publicité diffusée dans des journaux ou magazines écrits dont au moins 85% des lecteurs sont majeurs doit comporter la mise en garde attribuée au ministre prévue par règlement et portant sur les effets nocifs du tabac sur la santé. Cette publicité doit être déposée auprès du ministre dès sa diffusion.

2. Subject to sections 3 to 12, smoking is prohibited in the following enclosed spaces:

 

(1)  facilities maintained by a health and social services institution governed by the Act respecting health services and social services (chapter S-4.2) or the Act respecting health services and social services for Cree Native persons (chapter S-5), and premises where services are provided by an intermediate resource referred to in the Act respecting health services and social services, except if the premises are situated in a dwelling;

(…)

 

(12)  all other enclosed spaces to which the public has admittance.

 

 

24. All direct or indirect advertising for the promotion of tobacco, a tobacco product, a brand of tobacco product or a manufacturer of tobacco products is prohibited where the advertising

(…)

 

(4)  contains testimonials or endorsements;

 

(8)  is disseminated otherwise than in printed newspapers and magazines that have an adult readership of not less than 85%;

 

(9)  is disseminated otherwise than by means of displays visible only from the inside of a tobacco retail outlet;

(…)

 

Advertising disseminated in printed newspapers or magazines that have an adult readership of not less than 85% must include the warning attributed to the Minister and prescribed by regulation concerning the harmful effects of tobacco on health. The advertising must be forwarded to the Minister on being disseminated.

[16]       Et le Règlement sur le tabac, paragraphes 6.4(1), (2) et (3) :

6.4. L’exploitant d’un point de vente spécialisé de cigarettes électroniques n’est pas soumis à l’application de l’article 20.2 de la Loi à l’égard des cigarettes électroniques et des autres dispositifs de cette nature qu’il vend, y compris leurs composantes et leurs accessoires, dans la mesure où les conditions suivantes sont respectées:

 

1°  l’exploitant de ce point de vente n’y vend que des cigarettes électroniques ou d’autres dispositifs de cette nature, y compris leurs composantes et leurs accessoires;

 

2°  l’exploitant étale les cigarettes électroniques ou les autres dispositifs de cette nature, y compris leurs composantes, leurs accessoires et leurs emballages, de façon à ce qu’ils ne soient vus que de l’intérieur du point de vente;

 

3°  aucune autre activité ne s’y déroule.

 

6.4. The operator of a specialized retail outlet for electronic cigarettes is not subject to the application of section 20.2 of the Act for electronic cigarettes and other devices of that nature that the operator sells, including their components and accessories, to the extent that the following conditions are met:

 

(1)  the operator of the retail outlet sells only electronic cigarettes or other devices of that nature, including their components and accessories;

 

 

(2)  the operator displays the electronic cigarettes or other devices of that nature, including their components, accessories and packaging, so that they are visible only from the inside of the retail outlet;

 

 

(3)  no other activity takes place there.

[17]       Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel principal du PGQ doit être accueilli et que l’appel incident de l’AQV doit être rejeté.

II - CONTEXTE

[18]       La cigarette électronique est un dispositif électromécanique ou électronique engendrant une vapeur qu'un usager peut respirer par la bouche. Cette vapeur est généralement aromatisée, par exemple au goût de tabac ou de fruits, et peut ou pas contenir de la nicotine. Dans ce dernier cas, la cigarette électronique constitue l’un des moyens de diffusion de nicotine sans recours à la carbonisation de tabac[7].

[19]       Il est généralement reconnu que l’on fume pour la nicotine, mais que c’est le tabac, et, plus encore, sa carbonisation qui tue, ce qui explique que plusieurs voient dans la cigarette électronique un moyen moins dommageable de diffusion de nicotine[8]. C’est sur cette prémisse que repose la théorie de la réduction des méfaits selon laquelle, sans égard au fait que la cigarette électronique soit ou non un moyen efficace de traitement contre la dépendance au tabac, celle-ci permet à tout le moins de diminuer les effets nocifs de cette dépendance. Ce nouveau mécanisme -  qui apparaît vers 2010 - et les perspectives qu’il représente pour certains ne pouvaient faire autrement qu’interpeller les gouvernements dans leur lutte contre le tabagisme.

[20]       Or, ceux-ci font face à une communauté scientifique divisée. D’une part, il y a les adeptes de la cigarette électronique qui voient celle-ci comme un moyen efficace de réduction des méfaits. D’autre part, il y a ceux qui la craignent en raison, tout à la fois, de ses risques intrinsèques - dépendance à la nicotine et danger des aérosols - et extrinsèques, soit une éventuelle renormalisation du geste de fumer et un effet passerelle vers le tabac, particulièrement auprès des jeunes.

[21]       Ces derniers font aussi remarquer, à tort ou à raison, que l’argument de la réduction des méfaits invoqué par les tenants de la cigarette électronique est le même que celui qu’utilisaient les manufacturiers de cigarettes lors de l’avènement du filtre ou de l’utilisation de divers qualificatifs liés aux « cigarettes légères »[9]. Or, ils constatent - ce que certains contestent - que les compagnies de tabac prennent progressivement le contrôle du marché des cigarettes électroniques. Tout cela leur fait craindre qu’au final la cigarette électronique nuise aux efforts dans la lutte au tabagisme[10], dont il est utile de rappeler les grandes lignes.

[22]       En 1986, le législateur québécois adopte la Loi sur la protection des non-fumeurs dans certains lieux publics[11], puis, en 1998, la Loi sur le tabac[12], qui devient le centre de la politique québécoise en matière de lutte contre le tabac. Cette loi, qui sera modifiée à de nombreuses reprises, repose sur trois grands objectifs : 1) prévenir la consommation des produits du tabac, tout particulièrement chez les jeunes; 2) encourager et soutenir l’abandon du tabagisme; et 3) assurer la protection des non-fumeurs contre l’exposition à la fumée secondaire[13].

[23]       En 2012, le directeur national de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, publie un avis invitant la population à s’abstenir d’utiliser la cigarette électronique en raison du manque de connaissances sur ce produit[14].

[24]       En mai 2013, l’Institut national de santé publique du Québec (« INSPQ ») dépose un rapport faisant lui aussi état du peu de connaissances sur la cigarette électronique et mettant en garde contre le risque que celle-ci sape les efforts antitabac en renormalisant l’acte de fumer et en créant un effet passerelle vers la cigarette traditionnelle[15].

[25]       En septembre 2014, l’Organisation mondiale de la santé (« OMS ») produit un rapport qui va dans le même sens et qui soulève à son tour le risque de « l’effet passerelle ». Ce rapport décrit très bien la difficulté que pose la cigarette électronique aux décideurs publics[16] :

2. Les inhalateurs électroniques de nicotine font l'objet d'une controverse de santé publique entre sincères partisans de la lutte antitabac, de plus en plus divisés à mesure que l’utilisation de ces produits augmente. Alors que certains experts sont favorables à ces produits, y voyant un moyen de réduire la consommation de tabac, d'autres considèrent qu'ils pourraient saper les efforts entrepris pour « dénormaliser » le tabagisme. Les inhalateurs électroniques de nicotine se situent donc sur une frontière mouvante entre promesse et menace pour la lutte antitabac. Ils sont l'une ou l'autre selon l'interaction complexe et dynamique entre les industriels qui les commercialisent (fabricants indépendants et sociétés productrices de tabac), les consommateurs, les autorités de réglementation, les responsables politiques, les praticiens, les scientifiques et les militants. […]

[26]       Quelle sera donc la réponse de l’État?

[27]       En 2015, le législateur québécois modifie sa législation en matière de lutte contre le tabagisme en adoptant la Loi de 2015. Celle-ci apporte un nombre important de modifications à la Loi sur le tabac, notamment l’interdiction de fumer dans un véhicule automobile en présence d’un enfant de moins de 16 ans ou encore la prohibition de la vente de tabac aromatisé. Au centre de cette réforme se trouve toutefois l’encadrement de la cigarette électronique par l’assimilation de celle-ci au tabac et du vapotage à l’acte de fumer.

[28]       Du côté fédéral, Santé Canada, de qui relève l’application de la Loi sur les aliments et drogues[17] (« LAD »), émet en mars 2009 un communiqué déconseillant l’usage de la cigarette électronique. On y lit[18] :

La nicotine est une substance toxique qui engendre une très forte dépendance, et l'inhalation de propylène glycol est un irritant connu. Bien que les cigarettes électroniques puissent être présentées comme des substituts tabagiques plus sécuritaires et, dans certains cas, comme une aide au sevrage, elles peuvent présenter des risques tels l'empoisonnement et l'accoutumance à la nicotine. Veuillez consulter le site Web de Santé Canada pour de plus amples renseignements sur la nicotine et la dépendance.

[29]       Santé Canada n’émet ensuite qu’un seul autre avis concernant la cigarette électronique, sur un point spécifique[19], jusqu’en 2018, année où le législateur fédéral modifie à son tour sa loi concernant le tabac[20], laquelle devient la Loi réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac et des produits du vapotage (« Loi fédérale »). Depuis l’entrée en vigueur de cette modification, la cigarette électronique est soumise à une réglementation quant à la fabrication, l’accès, l’étiquetage et la promotion de ce produit[21].

[30]       C’est dans ce contexte que se présentent les pourvois en contrôle judiciaire dont le juge de première instance était saisi et qui font l’objet du présent appel.

* * *

[31]       Valérie Gallant fume dès l’âge de 13 ans. En 2014, elle découvre la cigarette électronique et ne fume plus depuis. Convaincue des bienfaits du vapotage, elle ouvre une boutique de produits de vapotage qu’elle ferme toutefois en 2016 à la suite de l’entrée en vigueur de la Loi de 2015 qui, dit-elle, provoque le déclin de l’industrie du vapotage.

[32]       L’AQV est une société à but non lucratif, créée par Mme Gallant, qui regroupe une vingtaine de propriétaires de boutiques de produits de vapotage. Ce sont, pour la plupart, des ex-fumeurs convertis à la cigarette électronique. Depuis février 2018, Linda Boyer-Fawcett préside l’AQV. Ancienne fumeuse, elle est propriétaire de deux boutiques de vapoterie.

[33]       L’Association canadienne du vapotage (« ACV »), quant à elle, est une association pancanadienne regroupant des militants du vapotage, des commerçants et des manufacturiers de cigarettes électroniques et de produits du vapotage.

[34]       Le 25 février 2016, Mme Gallant et l’AQV déposent, dans le district de Québec, un premier pourvoi en contrôle judiciaire. En avril 2016, l’ACV fait de même, cette fois, dans le district de Montréal. Le 21 août 2017, l’honorable Frédéric Bachand, alors juge à la Cour supérieure, rejette une demande de rejet de ce deuxième pourvoi[22] et, le 28 septembre 2017, l’honorable Lukasz Granosik réunit les deux pourvois pour fins d’audition[23].

[35]       Si ces deux pourvois se recoupent sur plusieurs points, ils s’en distinguent toutefois sur d’autres.

[36]       Dans le premier, soit celui de l’AQV, il est demandé à la Cour supérieure de déclarer « inapplicables, invalides, nuls et inopérants » les articles 2, 3, 5 et 32 de la Loi de 2015 au motif qu’ils sont ultra vires de la compétence du législateur québécois. Au surplus, ces dispositions ayant pour effet d’étendre la réglementation du tabac à la cigarette électronique, elles ont un effet transversal et leur invalidité affecte, selon l’AQV, l’intégralité de la Loi de 2015. Subsidiairement, l’AQV recherche que soient déclarés « inapplicables, invalides, nuls et inopérants » certains articles spécifiques de la Loi de 2015 sur le fondement des droits à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté d’expression.

[37]       Le deuxième pourvoi, celui de l’ACV, ne soulève pas la question du partage des compétences et se limite à attaquer certaines dispositions spécifiques de la Loi sur le tabac et du Règlement sur le tabac sur le fondement des droits à la sécurité, à l’intégrité et à la liberté d’expression. Devant notre Cour, l’ACV ne prend part qu’à l’appel principal à titre d’intimée et ne fait pas d’appel incident. Ce deuxième pourvoi ne demeure donc pertinent qu’en ce qui concerne les dispositions qui ont été déclarées inopérantes en première instance et qui font donc l’objet de l’appel principal[24].

[38]       En première instance, le PGQ faisait valoir l’absence d’intérêt juridique de l’AQV et de l’ACV d’agir, ainsi que le caractère théorique des pourvois. Ces arguments, rejetés par le juge de première instance, ne sont pas repris en appel. Je n’y reviendrai donc pas. Pour le reste, le PGQ plaidait que la Loi de 2015 est intra vires de sa compétence sous les paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867[25] (« Loi de 1867 »), qu’elle ne contrevient pas aux chartes et que, si tel était le cas, l’atteinte serait justifiée par la protection de la santé publique, le maintien de la lutte au tabagisme, la protection des jeunes, ainsi qu’en application du principe de précaution.

[39]       Aux termes d’une audition de 11 jours, le jugement entrepris accueille en partie les deux pourvois en contrôle judiciaire[26].

[40]       Le PGQ appelle de ce jugement et l’AQV produit un appel incident.

[41]       Le 20 décembre 2019, la Société canadienne du cancer, personne morale de droit privé ayant pour mission l’éradication du cancer et l’amélioration de la qualité de vie des personnes touchées par le cancer, obtient l’autorisation d’intervenir à l’instance en appel[27].

III - JUGEMENT ENTREPRIS

[42]       Il sera fait référence à des aspects spécifiques du jugement entrepris dans le cadre de l’analyse. La présente section n’a dès lors que pour seul objectif de présenter brièvement les conclusions du juge de première instance.

[43]       Après avoir introduit le contexte du litige, notamment législatif, le juge présente, de manière exhaustive, la preuve administrée. De celle-ci, il tire certains constats généraux : 1) la cigarette électronique s’adresse avant tout aux fumeurs et vise à les aider à arrêter ou à diminuer leur consommation de cigarette traditionnelle[28]; 2) malgré les incertitudes quant aux dangers que représente la cigarette électronique, celle-ci est moins dommageable que la cigarette traditionnelle et le tabac; 3) la cigarette électronique constitue une méthode valable de cessation tabagique[29], même si Santé Canada ne l’a pas homologuée comme traitement; et 4) s’il vaut mieux vapoter que fumer, il vaut mieux ne pas vapoter que vapoter.

[44]       Voici donc comment le juge pose le débat dont il est saisi[30] :

[150]    Le Tribunal n’est pas appelé à se prononcer sur l’opportunité des mesures législatives adoptées. Il n’a pas non plus à exprimer son opinion personnelle sur les pour et les contre du vapotage. La littérature abonde, les vues divergent et il n’existe pas de réponse unique et évidente. Le Tribunal doit décider de la légalité des textes de loi en fonction de la preuve qu’on lui a présentée. Celle-ci l’a convaincu que l’usage de la cigarette électronique est moins dommageable, pour la santé, que celui de la cigarette ordinaire et du tabac. Il vaut mieux vapoter que fumer du tabac et le premier constitue une méthode valable de cessation du second. Ceci étant exprimé, la meilleure solution est sans doute de ne recourir ni à l’un ni à l’autre. Tous les experts entendus en conviennent. L’ACV l’admet expressément dans son plan d’argumentation.

[45]       Le juge s’attaque d’abord à la question de la validité et du caractère opérant de la Loi de 2015, qu’il nomme la « Loi modificatrice », relativement au partage des compétences. Selon lui, l’objet principal, l’idée maîtresse de la Loi de 2015, n’est pas de « criminaliser » l’usage de la cigarette électronique, mais d’encadrer son usage afin de protéger la santé des gens. Le fait qu’il y ait des sanctions pénales visant à faire respecter la loi ne modifie en rien ce « caractère véritable »[31].

[46]       Cette qualification de la loi permet ensuite au juge de la classifier au regard du partage des compétences en la rattachant aux paragraphes 92(13) et (16) de la Loi de 1867, soit la propriété et les droits civils dans la province et les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province. Il écrit[32] :

[242]    En l’espèce, et tel qu’énoncé précédemment, le Tribunal est d’avis que le caractère véritable de la Loi modificatrice (et plus particulièrement de ses articles 2, 3, 5 et 32, 2e alinéa), est d’encadrer l’utilisation des produits du tabac (incluant les cigarettes électroniques et les produits apparentés) afin de protéger la santé. Il ne s’agit pas d’introduire de nouveaux « crimes » ou de prohiber une « drogue ».

[243]    Il s’agit là d’un objectif social qui se rattache à la compétence législative provinciale en matière de propriété et de droits civils et dans les affaires de nature purement locale (paragraphes 92 (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867).

[244]    En conséquence, la Loi modificatrice se classe et relève de la compétence législative provinciale en matière de propriété et de droits civils et dans les affaires de nature purement locale (paragraphes 92 (13) et (16) de la Loi constitutionnelle de 1867).

[Renvoi omis]

[47]       La Loi de 2015 étant intra vires de la compétence du législateur québécois, le juge procède ensuite à l’analyse de son caractère opérant et conclut qu’il n’y a aucune incompatibilité entre celle-ci et la Loi fédérale. Par conséquent, la Loi de 2015 est opérante.

[48]       Le juge s’attarde ensuite à la contestation fondée sur les chartes. Sur le droit à la sécurité et à l’intégrité, il s’agit de déterminer si la Loi de 2015, en restreignant l’usage et l’accès sécuritaire du vapotage comme méthode de réduction des méfaits encourus par les fumeurs, attente aux droits de ceux-ci.

[49]       Le juge conclut d’abord que les articles 2 et 3 de la Loi de 2015, lesquels assimilent la cigarette électronique au tabac et le vapotage à l’acte de fumer, ne visent pas tout type d’inhalateur - par exemple, une pompe pour l’asthme - mais uniquement ceux de la nature de la cigarette électronique. De même, ces articles, tant qu’ils ne sont pas rattachés à une disposition spécifique, ne portent pas en eux-mêmes atteinte aux chartes. L’assimilation opérée par ces dispositions ne constitue qu’un choix politique et rédactionnel du législateur.

[50]       Il en va de même du paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac qui interdit de donner ou de distribuer gratuitement un produit lié à la cigarette électronique, ce qui n’empêche pas un fumeur d’accéder au produit en payant le prix demandé.

[51]       Le juge conclut toutefois que les paragraphes 2(1) et 2(12) de la Loi sur le tabac, dans la seule mesure où ils interdisent les essais en boutique spécialisée ou en clinique, portent atteinte à l’intégrité des fumeurs pour le motif qu’ils diminuent les chances que la cigarette électronique permette à son utilisateur de réduire les risques de la cigarette traditionnelle. Voici ce que le juge écrit à ce sujet[33] :

[326]    En résumé, en privant les fumeurs de la possibilité d’un essai en boutique ou en clinique, on porte atteinte à leur intégrité car on leur nie, en partie, un meilleur accès à un mécanisme de réduction de risques leur permettant de mieux préserver leur santé et leur intégrité. Rappelons-nous combien de fumeurs cherchent à se défaire du mal du tabac sans y réussir. Ils s’y reprennent à maintes occasions. S’il ne garantit rien, l’essai en boutique ou en clinique peut jouer un rôle et faciliter l’abandon du tabac et de ses méfaits. L’interdire affecte l’intégrité de la personne.

[52]       Sous l’analyse de la justification, le juge conclut que l’atteinte n’est ni minimale ni proportionnelle, les effets bénéfiques potentiels pour les fumeurs l’emportant sur les effets préjudiciables pour les non-fumeurs, d’autant que le mimétisme et l’effet passerelle n’ont pas été prouvés de manière convaincante.

[53]       Le juge analyse ensuite la contestation sous le fondement de la liberté d’expression. Concernant les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 et l’assimilation de la cigarette électronique au tabac et du vapotage à l’acte de fumer, il conclut, comme pour le droit à la sécurité et à l’intégrité, qu’il n’y a pas d’atteinte indépendamment du rattachement de ces dispositions à une disposition spécifique.

[54]       Il en va autrement des paragraphes 24(4), (8) et (9) et de l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac, lesquels interdisent différentes formes de publicité. Il n’est pas contesté que ces dispositions portent atteinte à la liberté d’expression, atteinte qui, conclut le juge, n’est pas justifiée puisqu’il existe un moyen moins grave permettant la conciliation des intérêts des fumeurs et des non-fumeurs, soit la possibilité de promouvoir le vapotage uniquement à l’endroit des fumeurs comme une méthode de cessation tabagique.

[55]       Enfin, le juge analyse l’article 6.4 du Règlement sur le tabac qui, conformément à ce que permet l’article 20.3 de la Loi sur le tabac, prévoit un adoucissement de l’interdiction d’étaler les produits de vapotage édictée à l’article 20.2 de la Loi sur le tabac. Il conclut que le paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac, qui interdit l’étalage des produits de vapotage d’une manière qu’ils puissent être vus de l’extérieur, constitue une atteinte injustifiée à la liberté d’expression. Quant aux paragraphes (1) et (3) de ce même article, lesquels limitent l’étalage des produits aux seules boutiques ne vendant que des cigarettes électroniques et ne proposant aucune autre activité, ils ne violent pas la liberté d’expression puisque le choix de vendre ou non d’autres produits ne constitue pas une activité expressive protégée.

[56]       À titre de mesure réparatrice, le juge de première instance conclut au caractère inopérant des paragraphes 2(1), 2(12), 24(4), 24(8) et 24(9), de l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac et du paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac. Il suspend la déclaration d’invalidité pour six mois et rejette les demandes de l’AQV pour les frais de justice et le remboursement d’honoraires.

IV - QUESTIONS EN LITIGE

[57]       Dans le cadre de son appel, le PGQ soulève non seulement des questions de droit, mais également des erreurs manifestes et déterminantes de fait. Le juge de première instance aurait, selon le PGQ, conclu à tort que la cigarette électronique s’adresse avant tout aux fumeurs comme méthode de cessation tabagique et aurait indûment minimisé les risques que représente ce produit. Sur ce point, l’AQV et l’ACV plaident la déférence dont doit faire preuve notre Cour. Ces questions de fait étant essentiellement pertinentes pour l’atteinte (et éventuellement la justification) aux droits fondamentaux, il en sera fait mention à cette occasion.

[58]       Les parties présentent de manière sensiblement différente les questions en litige tant dans le cadre de l’appel principal que de l’appel incident. Pour cette raison, de même que pour des impératifs d’efficience et de structure, il convient de les reformuler et de traiter l’appel principal et l’appel incident de manière intégrée dans un ordre logique. Voici donc comment les différentes questions seront abordées.

[59]       Quant à la validité constitutionnelle et au caractère opérant de la Loi de 2015, l’appel incident soulève deux questions :

1)    Le juge erre-t-il en concluant que les articles 2 et 3 de la Loi de 2015, en ce qu’ils assimilent « la cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » et le « vapotage » au fait de « fumer », sont valides et opérants au regard du partage des compétences?

2)    Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » n’est pas invalide en raison de son imprécision constitutionnelle?

[60]       Quant aux atteintes aux chartes, l’appel incident soulève une question qui, selon les prétentions de l’AQV, toucherait l’ensemble de la loi et qu’il convient de traiter en un premier temps :

3)    Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique » au « tabac » et le « vapotage » au « fait de fumer » opérée par les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 ne porte pas atteinte aux droits à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté d’expression?

[61]       Concernant ensuite la protection de la sécurité et de l’intégrité (article 7 de la Charte canadienne et article 1 de la Charte québécoise), les questions en litige sont les suivantes :

4)    Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 2(1) et 2(12) de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée au droit à l’intégrité de la personne prévu à l’article 1 de la Charte québécoise (appel principal)?

5)    Le juge erre-t-il en concluant que l’interdiction de donner ou de distribuer gratuitement un produit lié à la cigarette électronique selon le paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac ne porte pas atteinte à l’article 1 de la Charte québécoise (appel incident)?

[62]       Puis, concernant la protection de la liberté d’expression :

6)    Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 24(4), (8) et (9) et l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise (appel principal)?

7)    Le juge erre-t-il en concluant que le paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac porte atteinte de manière non justifiée à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise (appel principal), mais pas les paragraphes 6.4(1) et (3) (appel incident)?

[63]       Enfin, l’appel incident soulève la question des mesures réparatrices :

8)    Le juge erre-t-il en refusant d’octroyer à l’AQV les frais de justice et un remboursement partiel des frais engagés pour la défense de ses droits constitutionnels et accordant un délai de suspension de six mois à la déclaration d’invalidité?

V- ANALYSE

[64]       Avant d’aborder le fond du litige, il est nécessaire de statuer sur la requête pour preuve nouvelle présentée par le PGQ. Dans un arrêt du 4 novembre 2019, une formation de la Cour accueillait celle-ci à la seule fin de permettre le dépôt du rapport de l’OMS de 2019 et déférait à la formation saisie du fond le soin de trancher l’admissibilité et la force probante de cette pièce[34].

[65]       À l’audience, les procureurs de toutes les parties ont convenu, à juste titre, de l’intérêt que, dans un sujet où les connaissances scientifiques et sociologiques évoluent rapidement, la Cour puisse bénéficier des données les plus récentes. Par conséquent, les parties ont consenti au dépôt du rapport de l’OMS de 2019, lequel constitue une mise à jour de celui de 2014 faisant déjà partie du dossier. Pour ces motifs, je propose donc de déclarer admissible le rapport de l’OMS de 2019.

A.   Validité constitutionnelle et caractère opérant de la Loi de 2015

1) Le juge erre-t-il en concluant que les articles 2 et 3 de la Loi de 2015, en ce qu’ils assimilent « la cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » et le « vapotage » au fait de « fumer », sont valides et opérants au regard du partage des compétences?

[66]       L’AQV fait valoir qu’en assimilant la cigarette électronique au tabac et le vapotage à l’acte de fumer, les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 créent une nouvelle infraction criminelle interdisant l’inhalation de toute substance dans différents lieux sur le fondement du danger que représente une telle pratique. Pour l’AQV, les trois éléments caractérisant le droit criminel sont réunis : (1) une interdiction, (2) assortie d’une sanction, (3) portant sur un objet de droit criminel, soit la protection de la santé publique par la réglementation des choses dangereuses.

[67]       Qui plus est, non seulement la Loi de 2015 porte-t-elle sur le droit criminel, mais, selon l’AQV, elle touche au cœur même de la compétence fédérale en cette matière, écartant ainsi toute possibilité de chevauchement ou d’empiètement. L’AQV plaide en effet que la Loi de 2015 ne peut avoir pour effet de modifier la définition du tabac retenue par la Loi fédérale, laquelle reconnaît un droit positif à l’utilisation et à l’accès à la cigarette électronique, sans créer tout à la fois un conflit d’application et d’intention entre les deux lois.

[68]       Pour le PGQ, les deux ordres de gouvernement peuvent intervenir de manière concurrente dans les domaines qui touchent leur compétence. C’est le cas, en l’espèce, puisque la Loi de 2015 se rattache à la santé et aux champs de compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils (paragr. 92(13) de la Loi de 1867) et de toute matière de nature purement locale ou privée dans la province (paragr. 92(16)). Il convient alors d’examiner, conformément à la doctrine de la prépondérance fédérale, si celle-ci est incompatible avec la Loi fédérale qui, elle, repose sur le droit criminel (paragr. 91(27)). Or, puisqu’il est possible de respecter en même temps ces deux lois et que celles-ci partagent les mêmes objectifs, il n’y a pas de tel conflit et la Loi de 2015 est opérante.

[69]       Avec égards, la position de l’AQV sur cette première question est difficile à suivre et semble confondre la question de la validité de la Loi de 2015 avec son caractère applicable ou opérant. Il s’agit pourtant là de questions qui interpellent les différentes doctrines de droit constitutionnel que sont le caractère véritable de la loi, l’exclusivité des compétences et la prépondérance fédérale. Un rappel des principes applicables en la matière s’avère utile pour, par la suite, les appliquer à l’espèce.

i.              Cadre analytique applicable

[70]       Le cadre analytique de ces différentes doctrines a été posé par la Cour suprême dans une série d’arrêts, dont Banque canadienne de l'Ouest[35], lequel portait sur l’application aux banques à charte fédérale du régime provincial de délivrance de permis régissant la promotion des produits d’assurance.

[71]       Dans cet arrêt, la Cour suprême adopte une méthode qui, tout à la fois, permet d’atteindre un niveau suffisant de prévisibilité, d’assurer une évolution du partage des compétences adaptée aux réalités politiques et culturelles changeantes de la société de même que de prôner une approche souple facilitant un fédéralisme coopératif[36]. Cette méthode procède en trois étapes, celles de la validité de la loi, de son applicabilité et de son caractère opérant.

[72]       Dans le cadre de la première étape, celle de la validité, l’on doit déterminer si la mesure législative contestée peut se fonder sur une compétence reconnue à l’ordre de gouvernement qui l’a édictée. Si c’est le cas, la mesure est intra vires et, par conséquent, valide. Si tel n’est pas le cas, elle est ultra vires et invalide. Pour ce faire, il convient de qualifier la matière de la loi, puis de la classifier.

 

 

[73]       La qualification de la loi impose de déterminer son caractère véritable, le « pith and substance », son essence ou sa « caractéristique dominante ». Celle-ci doit être décrite avec le plus de précision possible afin d’éviter[37], à la deuxième étape, un rattachement superficiel, voire artificiel[38].

[74]       L’analyse du caractère véritable se fait à partir de l’objet de la loi, c’est-à-dire « le but, l’objectif poursuivi par la mesure législative »[39], tel qu’il ressort de son texte même - preuve intrinsèque - ou des travaux parlementaires ou préparatoires - preuve extrinsèque - et de ses effets, c’est-à-dire des « conséquences pratiques ou juridiques »[40] de la loi. La preuve extrinsèque peut porter sur un vaste éventail d’éléments possibles tels que «  […] [d]es rapports de commissions d’enquête, des livres blancs, des études scientifiques, des rapports de commissions parlementaires et même des débats en chambre […] »[41]. Elle peut en fait porter « […] sur l’ensemble des circonstances factuelles ayant présidé à l’avènement de la loi, permettant d’en déceler l’objectif véritable, par-delà les déguisements ou les apparences »[42].

[75]       Une fois le caractère véritable de la loi établi, il faut ensuite déterminer si celle-ci peut être classée dans un champ de compétence de l’ordre de gouvernement l’ayant adoptée. La qualification et la classification de la loi sont deux étapes distinctes, ce qui explique que le caractère véritable de la loi doit être déterminé sans égard aux champs de compétence législative[43].

[76]       La détermination du caractère véritable de la mesure législative et sa classification permettent ainsi de reconnaître, dans une juste perspective, l’interrelation ou l’interaction entre les divers champs de compétence fédérale et provinciale, lesquels ne doivent pas être vus isolément, en vase clos. Il se peut ainsi qu’une mesure législative, portant principalement sur un champ de compétence de l’ordre de gouvernement l’ayant adoptée, puisse accessoirement toucher la compétence de l’autre ordre de gouvernement (effet accessoire). Il est également possible qu’une même matière repose indissociablement sur plus d’un chef de compétence selon l’angle d’analyse adopté; il y a alors un « double aspect » à la loi. Dans ces deux cas la question se pose alors de savoir si l’un des champs de compétence doit prédominer sur l’autre ou si, au contraire, les deux peuvent coexister[44]. Cette analyse doit toutefois se faire lors d’une étape ultérieure, le seul fait pour une mesure législative d’être rattachée à une compétence de chaque ordre de gouvernement n’affectant pas sa validité puisqu’elle est, par définition, intra vires à l’ordre qui l’a adoptée.

[77]       La reconnaissance qu’une mesure puisse ainsi validement affecter un champ de compétences de l’autre ordre de gouvernement, soit par un effet accessoire, soit par la théorie du double aspect, permet pour la Cour suprême de répondre d’une manière pragmatique et équilibrée au défi que pose le partage des compétences et d’insuffler à celui-ci une conception souple, marquée par un fédéralisme coopératif. Cela n’implique toutefois pas que ces principes peuvent « l’emporter sur le partage lui-même ni le modifier », pas plus qu’ils ne peuvent « être utilisé[s] pour valider des lois inconstitutionnelles »[45]. C’est pourquoi il est parfois nécessaire de continuer l’analyse afin de protéger un champ de compétence contre certains types d’empiètements. C’est là qu’entrent en jeu les doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale.

[78]       L’ordonnancement dans lequel ces doctrines doivent être abordées a été l’objet d’une division de la Cour suprême dans l’arrêt Banque de l’Ouest. Pour le juge Bastarache, dissident sur ce point, il convient toujours d’aborder la doctrine de l’exclusivité des compétences dans un premier temps. La majorité, quant à elle, conclut que non seulement tel ne doit pas être le cas, mais que la doctrine de l’exclusivité des compétences « reste d’une application restreinte, et qu’elle devrait, en général, être limitée aux situations déjà traitées dans la jurisprudence […] Si une affaire peut être décidée en appliquant l’analyse du caractère véritable, et la doctrine de la prépondérance fédérale au besoin, il sera préférable d’emprunter cette voie […] »[46]. Ce principe a été repris depuis[47] et il est possible d’affirmer que la référence du constitutionnalisme canadien contemporain est au « chevauchement des compétences »[48] et à la « collaboration intergouvernementale »[49] plutôt qu’à des compétences mutuellement exclusives[50].

[79]       Cela ne signifie toutefois pas que la doctrine de l’exclusivité des compétences soit définitivement abandonnée[51]. Cette doctrine repose sur l’idée, véhiculée par les mots mêmes des articles 91 et 92 de la Loi de 1867, que les champs de compétence qui y sont prévus sont étanches, exclusifs, à tout le moins pour une part irréductible sur laquelle l’autre ordre de gouvernement ne peut empiéter. Si l’on conclut que la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application, «  […] la mesure législative adoptée […] demeure valide, mais ne s’applique pas à l’égard de ce “contenu essentiel” »[52], et ce, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une incompatibilité ou même « […] que l’ordre de gouvernement en faveur duquel joue cette doctrine [a exercé] sa compétence exclusive »[53].

[80]       Pour appliquer cette doctrine, il est requis d’établir que la mesure législative entrave le contenu minimum, essentiel et irréductible du champ de compétences de l’autre ordre de gouvernement[54]. C’est à quoi, j’y reviendrai, l’AQV fait implicitement écho, lorsqu’elle plaide que la théorie du double aspect ne peut s’appliquer quand la mesure législative porte sur le cœur de la compétence de l’autre ordre de gouvernement.

[81]       Si la doctrine de l’exclusivité des compétences, qui a surtout servi à protéger des ouvrages, entreprises ou personnes « fédérales »[55], ne doit pas être favorisée aux yeux de la majorité de la Cour suprême dans Banque de l’Ouest[56], c’est notamment parce que la recherche d’un « contenu essentiel » pour chacun des champs de compétence est source d’incertitude. Ce danger est d’autant plus grand lorsqu’il s’agit d’une compétence large, imprécise et polymorphe comme peuvent l’être, comme ici, le droit criminel, la propriété et les droits civils ou toutes les matières d’une nature purement locale ou privée.

[82]       Cette perte d’intérêt pour la doctrine de l’exclusivité des compétences s’accompagne d’une montée en force de celle de la prépondérance fédérale, laquelle permet, tout à la fois, aux effets accessoires d’une loi valide et à la théorie du double aspect, d’être les outils d’assouplissement et d’une application pragmatique du partage des compétences en visant à n’écarter que tout conflit réel entre une loi fédérale et provinciale.

[83]       Le test de la doctrine de la prépondérance fédérale s’expose aisément. Le seul fait que le législateur fédéral soit intervenu dans un de ses domaines de compétence n’emporte pas de présomption qu’il a ainsi souhaité écarter toute intervention législative provinciale[57]. Une intervention législative provinciale ne sera déclarée inopérante au profit d’une loi fédérale que lorsqu’elle lui est incompatible et dans la seule mesure de cette incompatibilité. Il revient à celui qui l’invoque d’établir celle-ci sachant qu’une règle d’interprétation constitutionnelle veut que lorsqu’il est possible d’interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, l’on doit préférer cette interprétation à toute autre qui entraînerait un conflit[58].

[84]       De manière concrète, il y a deux formes d’incompatibilité, celle qui empêche l’application concomitante des deux mesures législatives, c’est-à-dire où l’application de l’une entraîne la violation de l’autre et celle, dite d’intention, qui entrave la réalisation de l’objectif de la loi de l’autre ordre de gouvernement[59].

ii.            Application à l’espèce

[85]       Conformément à la méthode exposée, il convient d’abord d’établir le caractère véritable de la loi pour la rattacher ensuite à un champ de compétence puis, si celle-ci est intra vires, de passer aux doctrines de l’exclusivité des compétences et de la prépondérance fédérale.

·         Détermination du caractère véritable de la loi

[86]       L’AQV prétend que la Loi de 2015 repose sur le droit criminel en ce qu’elle crée une nouvelle infraction criminelle, soit l’utilisation dans certains lieux de tout type d’inhalateur en raison du danger que cette utilisation représente pour la santé. Le PGQ soutient, quant à lui, que la Loi de 2015 vise plutôt à protéger la santé publique, plus particulièrement celle des jeunes.

[87]       La détermination du caractère véritable d’une loi se fait, je le rappelle, par l’étude de son objet et de ses effets. Comme l’enseigne la Cour suprême, voyons ce qu’on peut tirer de la preuve intrinsèque, c’est-à-dire de la loi elle-même, puis de la preuve extrinsèque.

[88]       Le titre de la Loi de 2015 donne une forte première indication : Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme. On peut difficilement mieux indiquer l’intention, à tout le moins déclarée, du législateur. La Loi de 2015, et c’est important de le noter, ne porte pas uniquement sur la cigarette électronique. La réglementation de celle-ci ne constitue qu’un des éléments de la réforme de la politique législative québécoise en matière de lutte contre le tabagisme. C’est ainsi que la loi prévoit aussi l’interdiction de fumer dans un véhicule automobile lorsqu’un mineur de moins de 16 ans y est présent, l’ajout à la liste de certains lieux où il est interdit de fumer, de même que l’interdiction de vendre des cigarettes ayant un arôme autre que celui du tabac.

[89]       En regardant l’ensemble de ces différentes mesures, comme nous le demande la Cour suprême[60], l’assimilation de la cigarette électronique à la cigarette conventionnelle ou au tabac n’est donc qu’un des éléments de la stratégie antitabac. Ce constat affaiblit de beaucoup la thèse selon laquelle la Loi de 2015 viserait la création d’une nouvelle infraction portant sur l’interdiction de l’utilisation d’inhalateur dans certains lieux. Il s’agit plutôt d’un moyen parmi d’autres afin d’appuyer la lutte antitabac.

[90]       En poursuivant l’étude du contenu de la loi, le doute quant à la justesse de la description proposée par l’AQV s’accroît. La cigarette électronique n’est pas interdite. Elle est réglementée, comme le tabac, en ce qui concerne notamment les lieux où on peut la consommer, la promotion que l’on peut en faire, son étiquetage ou encore certaines caractéristiques de sa composition, par exemple les saveurs qui, contrairement aux produits du tabac, sont permises[61].

[91]       La lecture de ces différentes dispositions convainc que la Loi de 2015 vise à empêcher que la cigarette électronique puisse gagner une nouvelle clientèle et ainsi saper les efforts de la lutte contre le tabagisme, le tout dans le but de protéger la santé publique.

[92]       Le législateur accompagne cette réglementation de lourdes sanctions. Il est vrai qu’il s’agit là d’un moyen utilisé par le droit criminel. Mais dans l’analyse du caractère véritable, l’on ne doit pas confondre la matière ou l’objet de la loi avec les moyens employés pour réaliser celui-ci[62]. De même, il est bien admis que le palier provincial peut accompagner ses lois de sanctions pénales, même sévères[63], afin d’en assurer l’application[64].

[93]       L’étude de la preuve extrinsèque mène à la même conclusion. Ainsi, le contexte de l’adoption de la Loi de 2015 pointe en ce sens puisque les rapports de l’INSPQ en 2013 et de l’OMS en 2014, lesquels mettent en garde contre les dangers de la cigarette électronique, suggèrent aux divers législateurs d’assimiler celle-ci à la cigarette. C’est également le cas du mémoire du Dr Arruda portant sur la stratégie à adopter présenté à la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale lors des consultations ayant mené à l’adoption de la Loi de 2015[65]. On y lit[66] :

La forme d’encadrement proposée constitue une avenue adéquate qui réduit les risques divers associés à [l’]utilisation à grande échelle [de la cigarette électronique (« CE »)]. Comme la mesure n’a pas pour effet d’éliminer le produit du marché, elle tient donc également compte de son potentiel pour réduire la morbidité et la mortalité associées à l’usage des produits du tabac, de même que l’aide qu’il pourrait fournir aux fumeurs désireux de se défaire de leur dépendance. Sur ce point, le DNSP estime acceptable que les saveurs soient permises dans les CE, compte tenu qu’elles pourraient constituer un attrait pour convaincre des fumeurs adultes de s’inscrire dans une démarche de cessation, surtout dans le contexte où les saveurs dans les produits du tabac seront éliminées. Toutefois, le gouvernement doit avoir la capacité d’éliminer les saveurs qui seront prisées des jeunes et des non-fumeurs ou encore qui sont dangereuses pour la santé. À ce chapitre, le pouvoir réglementaire prévu au PL-44 constitue une nécessité.

[94]       Les propos tenus par la ministre de la Réadaptation, de la Protection de la jeunesse, de la Santé publique et des Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, expliquant pourquoi, contrairement aux produits du tabac, la loi autorise l’ajout de saveurs dans la cigarette électronique, permettent aussi de bien saisir l’équilibre visé par le législateur[67] :

Le projet de loi prévoyait également l'interdiction des saveurs dans tous les produits du tabac, incluant le menthol, comme je vous le disais un peu plus tôt, et il assujettit la cigarette électronique à la Loi sur le tabac, à l'exception des saveurs, et ça, c'est parce que des gens sont venus nous dire qu'il y a beaucoup de personnes qui se servent de la cigarette électronique pour arrêter de fumer et que les saveurs leur étaient fort utiles. Par contre, on s'est prévu par voie de règlement, si on s'aperçoit qu'il y a un danger et que les gens se remettent à fumer avec ça, nous allons pouvoir agir plus rapidement.[68]

[95]       Le législateur souhaite donc atteindre un équilibre entre, d’une part, permettre l’utilisation de la cigarette électronique à titre de méthode de cessation tabagique et de réduction des méfaits et, d’autre part, encadrer celle-ci afin de protéger les non-fumeurs ou les anciens fumeurs contre ses dangers.

[96]       L’objectif de la Loi de 2015 ressortant de la preuve intrinsèque et extrinsèque tend donc à supporter la thèse du PGQ. Qu’en est-il maintenant de ses effets?

[97]       La Loi de 2015, essentiellement, assimile la cigarette électronique à la cigarette traditionnelle. C’est d’ailleurs cette assimilation que déplore l’AQV en ce que celle-ci envoie un message trompeur qui associe le mal au remède. Il est certainement compréhensible que l’AQV diverge d’opinion quant à la stratégie adoptée par la direction de la santé publique et le législateur. Il s’agit toutefois là d’une décision politique de gestion de risques et d’opportunités et cette divergence d’opinions n’affecte en rien la nature de la mesure législative. Les effets juridiques de la Loi de 2015 sont d’associer la cigarette électronique aux mêmes risques que la cigarette, tant pour les dangers du produit lui-même que pour les effets incidents qu’il peut avoir sur la consommation du tabac ou sur la renormalisation du geste de fumer, et non pas de réprimer celui-ci par une nouvelle infraction.

[98]       Il ressort de cette analyse que le juge de première instance avait raison de conclure que les dispositions visées de la Loi de 2015 portent sur la protection de la santé. Plus spécifiquement, la loi vise à protéger la santé publique contre les dangers potentiels du vapotage que ce soit en raison de la nicotine ou des aérosols, et à veiller à ce que la cigarette électronique, ou tout autre type d’inhalateur de même nature, n’incite pas, par un phénomène de mimétisme et d’effet passerelle, des non-fumeurs, et particulièrement des jeunes, ou d’anciens fumeurs, à aller ou à retourner vers les produits du tabac.

[99]       Une fois que l’on a ciblé le caractère véritable de la loi, il convient de classer celle-ci à l’intérieur de l’un ou plusieurs champs de compétence de l’article 92 de la Loi de 1867 afin de déterminer si le législateur québécois pouvait adopter les mesures contestées.

[100]    Sur ce point, on l’a vu, l’AQV fait valoir que, non seulement la Loi de 2015 se rapporte au droit criminel, mais qu’elle se situe au cœur même de cette compétence, écartant ainsi toute possibilité d’empiètement, que ce soit en raison d’un effet accessoire de la loi ou de la doctrine du double aspect.

[101]    La santé n’est pas une compétence qui, de manière générale, a été attribuée exclusivement à l’un ou l’autre des paliers de gouvernement par la Loi de 1867[69]. Certains éléments spécifiques relatifs à la santé le sont, tels que la compétence provinciale sur l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité de la province (paragr. 92(7)) ou la compétence fédérale relative à « la quarantaine et l’établissement et maintien des hôpitaux de marine » (paragr. 91(11)). Mais au-delà de ces éléments spécifiques, la santé constitue un agrégat de sujets touchant parfois à des champs de compétence fédérale, parfois à des champs de compétence provinciale[70].

[102]    Il s’agit en fait d’une coupe transversale de la réalité humaine et sociétale faisant elle-même appel à une multitude de disciplines juridiques, qu’il s’agisse de l’organisation du travail, du droit des contrats, du droit criminel ou de la réglementation du commerce. Il n’est donc pas surprenant qu’il soit éventuellement possible de rattacher la Loi de 2015 au droit criminel, celui-ci ayant notamment pour fins la protection de la santé publique et la réglementation des drogues et autres produits dangereux. Cette compétence fédérale a d’ailleurs, on le sait, été reconnue en ce qui concerne la réglementation de la publicité et de la vente des produits du tabac[71].

[103]    Mais en l’espèce, il ne s’agit pas de déterminer si l’ordre fédéral pouvait intervenir dans le cadre de sa compétence en matière de droit criminel, mais si le législateur québécois pouvait, lui, le faire en vertu de ses propres champs de compétence. Le juge de première instance a conclu, à juste titre, par l’affirmative.

[104]    Une telle conclusion est d’abord conforme à la jurisprudence relative à la réglementation des produits du tabac. Je rappelle que la Cour suprême a reconnu qu’une loi provinciale pouvait validement interdire la publicité, l’exposition et la promotion du tabac ou de produits connexes dans des lieux auxquels avaient accès des personnes de moins de 18 ans, alors que la législation fédérale ne l’interdisait pas[72].

[105]    Ensuite, cette conclusion est conforme avec les principes qui se dégagent de l’arrêt Schneider[73], où la Cour suprême a reconnu la possibilité pour une province de permettre à un tribunal d’ordonner le renvoi d’un héroïnomane en cure de traitement. Dans cet arrêt, la Cour enseigne que « [l]e point de vue selon lequel la compétence générale en matière de santé appartient aux provinces […] s'est imposé et n'est pas maintenant sérieusement contesté »[74]. Ce principe a été repris depuis[75].

[106]    En l’espèce, il est donc possible de rattacher les dispositions contestées à la fois au droit criminel et à toute matière de nature purement locale ou privée par l’intention qui les réunit de protéger la santé publique. Le PGQ ne conteste pas réellement que les mesures législatives attaquées auraient pu être adoptées par le législateur fédéral sur le fondement de sa compétence en droit criminel. Celui-ci est d’ailleurs intervenu en 2018 en interdisant, entre autres choses, la publicité de style de vie[76] ou le fait de donner ou offrir de donner un produit de vapotage[77] et en sanctionnant ces infractions par déclaration de culpabilité sur procédure sommaire d’une amende maximale de 500 000 $ et/ou d’un emprisonnement maximal de deux ans[78].

[107]    C’est en fait à ce point-ci de l’analyse que les positions des parties se distinguent réellement. L’AQV prétend que la théorie du double aspect ne permet pas au législateur québécois d’intervenir dans le cœur de la compétence fédérale et qu’en ce faisant, il entrave cette compétence en matière criminelle, alors que le PGQ fait valoir que la loi provinciale et la Loi fédérale peuvent coexister en l’absence d’incompatibilité. La première plaide, sans le dire explicitement, la doctrine de l’exclusivité des compétences, le second, celle de la prépondérance fédérale.

·         Doctrine de l’exclusivité des compétences

[108]    Lorsque l’AQV plaide que les mesures législatives atteignent le cœur de la compétence fédérale, elle soutient en définitive que, même si ces mesures peuvent être rattachées à une compétence provinciale, elles doivent être déclarées inapplicables en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Pour cela, elle doit convaincre que la Loi de 2015 attente au cœur, à l’essence même du droit criminel et qu’elle entrave celui-ci.

[109]    Nous avons vu que, dans l’arrêt Banque de l’Ouest, la majorité de la Cour suprême a résolument opté pour un rétrécissement de la théorie de l’exclusivité des compétences, celle-ci étant source d’incertitude et n’étant pas en phase avec le développement d’un fédéralisme coopératif. Il est vrai, comme le souligne l’AQV, que la Cour suprême, dans ce même arrêt, signale aussi que le fédéralisme coopératif ne peut avoir pour effet de modifier le partage des compétences effectué en 1867. Ce principe a été réitéré très récemment dans les Renvois sur les gaz à effet de serre[79]. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce.

[110]    S’il est difficile, en général, de déterminer ce qui est de l’essence même d’une compétence, difficulté qui est notamment à la source de l’incertitude entourant la doctrine de l’exclusivité des compétences que dénonce la Cour suprême[80], cela l’est plus encore en présence d’une compétence large et plénière comme celle relative au droit criminel ou à toute matière de nature purement locale ou privée[81].

[111]    C’est notamment pour contrer cette incertitude que la Cour suprême a proposé de limiter, en principe, l’application de cette doctrine aux seules situations déjà traitées dans la jurisprudence[82]. Or, non seulement tel n’est pas le cas en l’espèce, mais la jurisprudence nous enseigne le contraire, d’abord en acceptant que la protection de la santé puisse impliquer les deux ordres de gouvernement[83] puis, plus spécifiquement, en reconnaissant qu’une loi provinciale puisse interdire l’exposition et la promotion du tabac dans un lieu accessible aux moins de 18 ans[84]. Si cela est possible pour le tabac, il est difficile de prétendre qu’il en va différemment de la cigarette électronique, ce qu’a, à juste titre, signalé le juge de première instance[85].

[112]    La doctrine de l’exclusivité des compétences ne peut donc pas trouver application ici.

·         Doctrine de la prépondérance fédérale

[113]    Les deux premières étapes ont permis d’établir que la Loi de 2015 est valide et applicable. Il convient maintenant de déterminer s’il existe un conflit entre les lois provinciale et fédérale. Si tel était le cas, cette dernière aurait prépondérance et la loi provinciale serait déclarée inopérante dans la mesure de ce conflit. Voyons d’abord s’il existe un conflit d’application entre les deux lois.

[114]    Simplement posé, pour que tel soit le cas, il faudrait qu’une loi interdise ce que l’autre exige de faire[86]. La jurisprudence a souvent reconnu[87] qu’il est possible de respecter deux lois réglementant une activité simplement en se soumettant aux exigences de la plus sévère. En l’espèce, la législation fédérale a évolué et, si elle est moins sévère sur certains points que la législation provinciale, notamment quant au commerce en ligne, elle l’est plus sur d’autres. C’est le cas, par exemple, en ce qui a trait à la publicité des produits du vapotage, laquelle, aux termes du Règlement fédéral, n’est permise que dans « une publication adressée et expédiée à un adulte désigné par son nom »[88], alors que sous la loi québécoise, elle peut être incluse dans tout journal et magazine dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs[89].

[115]    L’AQV fait valoir qu’en l’espèce, on ne peut se satisfaire de la juxtaposition des exigences des deux lois puisque la Loi fédérale reconnaît des droits positifs que la Loi de 2015 écarte. Elle cite, en exemple, la vente en ligne que, contrairement à la loi provinciale[90], la Loi fédérale n’interdit pas[91].

[116]    Bien qu’il soit exact qu’un conflit d’application puisse apparaître lorsqu’une loi interdit ce qu’une autre garantit[92], je suis d’avis que tel n’est pas le cas en l’espèce, car même si la Loi fédérale reconnaissait un droit positif, notamment à la vente en ligne, ce qui n’est pas le cas comme nous le verrons, elle n’impose pas à quiconque l’obligation d’assurer celle-ci. Tout ce que l’AQV peut donc invoquer repose nécessairement sur un conflit d’intention.

[117]    Sur ce point, l’AQV fait valoir que la Loi de 2015 entrave l’objet de la Loi fédérale, lequel serait de reconnaître un droit positif à l’utilisation et à l’accès à la cigarette électronique comme méthode de cessation tabagique.

[118]    Je ne suis pas d’accord.

[119]    D’abord, je ne peux que constater une certaine contradiction dans l’argumentation de l’AQV. D’un côté, celle-ci plaide que la législation concernant la cigarette électronique découle de la compétence fédérale en matière de droit criminel relativement à l’interdiction ou au contrôle des produits dangereux. De l’autre, elle fait valoir que cette législation vise à reconnaître un droit positif à l’utilisation et à l’accès de cette même substance comme méthode de cessation tabagique. Il y a là quelque chose d’antinomique, ce que la Cour suprême notait d’ailleurs dans le contexte du tabac[93] :

19        Premièrement, tout comme la Loi réglementant les produits du tabac, L.C. 1988, ch. 20, qui l’a précédée, la Loi sur le tabac s’attaque à un mal en matière de santé publique et comporte des interdictions assorties de sanctions pénales.  Dès lors, comme l’ont à bon droit conclu les tribunaux de la Saskatchewan à la suite de l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), elle relève du pouvoir du Parlement en matière de droit criminel prévu au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.  Il convient de préciser qu’aucun argument n’a été soulevé au sujet de la possibilité que la loi ait été adoptée en vertu de la disposition concernant « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » de l’art. 91.  Cet argument n’aurait pu non plus être plaidé en raison des admissions sur la base desquelles la procédure judiciaire s’est engagée devant le juge siégeant en son cabinet.  En raison de la nature essentiellement prohibitive du pouvoir en droit criminel, les dispositions adoptées en vertu de ce pouvoir, comme l’art. 30 de la Loi sur le tabac, ne permettent généralement pas de créer des droits autonomes qui limitent la capacité des provinces de légiférer plus rigoureusement dans le domaine que le Parlement. […]

[Renvois omis]

[120]    Je rappelle que Santé Canada ne reconnaît pas la cigarette électronique comme un traitement pour cesser de fumer et que celle-ci ne fait pas l’objet d’une autorisation ou d’une licence aux termes de la LAD. Il est de ce fait inexact de décrire la Loi fédérale en la matière comme visant à garantir l’usage ou l’accès à la cigarette électronique à cette fin.

[121]    Ensuite, il est réducteur, si ce n’est trompeur, de suggérer que les lois fédérale et provinciale s’opposent, la première visant à assurer l’accessibilité à la cigarette électronique comme méthode de cessation tabagique et la seconde visant à interdire son usage en vue de protéger la santé publique, tout particulièrement la santé des jeunes, niant ainsi la réduction des méfaits que permettrait la cigarette électronique.

[122]    Cette lecture n’est tout simplement pas conforme à la réalité. On a vu que les objectifs de la Loi de 2015 consistent à proposer un point d’équilibre entre, d’une part, l’autorisation de la cigarette électronique en raison, notamment, du fait qu’elle est moins nocive pour la santé que le tabac et qu’elle peut aider à cesser de fumer et, d’autre part, la réglementation de ce produit afin d’éviter que des non-fumeurs, et particulièrement les jeunes, adoptent cette habitude qui, non seulement est en soi nocive, mais peut, aussi, constituer une passerelle vers le tabac.

[123]    Or, ces mêmes objectifs se retrouvent dans la Loi fédérale. On le comprend d’abord par le texte même de la loi. Contrairement à ce qu’avance l’AQV, celle-ci ne vise pas uniquement à protéger les « effets bénéfiques de réduction des méfaits de la cigarette électronique ». Au contraire, le paragraphe 4(3) de la Loi fédérale prévoit qu’en matière de vapotage, elle vise à éviter que l’usage de ces produits ne pousse les jeunes et les non-utilisateurs du tabac vers celui-ci :

4. […]

 

(3) S’agissant des produits de vapotage, la présente loi a pour objet d’appuyer l’atteinte des objectifs énoncés au paragraphe (1), d’empêcher que l’usage des produits de vapotage ne pousse les jeunes et les non-utilisateurs de produits du tabac à l’usage du tabac et, plus particulièrement :

 

a) de préserver les jeunes et les non-utilisateurs de produits du tabac des incitations à l’usage des produits de vapotage;

 

b) de protéger la santé des jeunes et des non-utilisateurs de produits du tabac contre l’exposition et la dépendance à la nicotine qui pourraient découler de l’usage des produits de vapotage;

 

c) de protéger la santé des jeunes par la limitation de l’accès aux produits de vapotage;

 

d) d’empêcher que la population ne soit trompée ou induite en erreur au sujet des dangers que présente l’usage des produits de vapotage pour la santé;

 

e) de mieux sensibiliser la population à ces dangers.

4 (…)

 

(3) The purpose of this Act with respect to vaping products is to support the objectives set out in subsection (1), to prevent vaping product use from leading to the use of tobacco products by young persons and non-users of tobacco products and, in particular,

 

 

(a) to protect young persons and non-users of tobacco products from inducements to use vaping products;

 

 

(b) to protect the health of young persons and non-users of tobacco products from exposure to and dependence on nicotine that could result from the use of vaping products;

 

 

(c) to protect the health of young persons by restricting access to vaping products;

 

(d) to prevent the public from being deceived or misled with respect to the health hazards of using vaping products; and

 

(e) to enhance public awareness of those hazards.

[124]    On le comprend ensuite par le régime de la Loi fédérale qui, par une réglementation parfois sévère de la cigarette électronique, ne peut être décrit comme visant à reconnaître un droit positif à l’utilisation et à l’accès à celle-ci. Pensons simplement à l’interdiction de la publicité de la cigarette électronique à l’endroit des jeunes[94], de la publicité de style de vie[95] et de l’utilisation d’attestation ou de témoignages dans la publicité[96]. Mais, plus encore, à l’opposé de ce qui serait une loi visant à assurer l’utilisation et l’accès à la cigarette électronique à titre de méthode de cessation tabagique ou de réduction des méfaits, la Loi fédérale interdit de faire la promotion du vapotage en laissant penser qu’il présente des avantages pour la santé[97] ou en comparant son usage à celui du tabac[98]. Il est vrai qu’il est fait exception à ces interdictions pour un produit ayant reçu une licence délivrée conformément à la LAD, mais, une fois encore, ce n’est pas le cas de la cigarette électronique.

[125]    Cet objectif de contrecarrer l’expansion de la cigarette électronique, surtout chez les jeunes, se retrouve également dans le contenu du Règlement fédéral, de même qu’il est explicitement énoncé dans le résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié dans la Gazette du Canada[99]. Voici certains extraits particulièrement éloquents en ce sens[100] :

Enjeux

Une croissance rapide du vapotage chez les jeunes est observée au Canada. D’après des données tirées de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues chez les élèves (ECTADE) de 2018-2019, la prévalence du vapotage a doublé chez les élèves, comparativement à celle enregistrée dans le cadre de la précédente enquête de 2016-2017.

L’exposition des jeunes aux dangers liés aux produits de vapotage préoccupe Santé Canada, y compris les dangers associés à la nicotine, lesquels peuvent entraîner une dépendance  la nicotine et l’usage de produits du tabac à long terme. Santé Canada a déterminé que les activités promotionnelles liées aux produits de vapotage est l’un des principaux facteurs contributifs au problème de vapotage chez les jeunes.

Des données probantes portent à croire que les Canadiens connaissent très peu les dangers pour la santé liés à l’usage de produits de vapotage. Santé Canada a également constaté que les publicités de vapotage n’affichent pas toutes de mise en garde sur les dangers pour la santé et que lorsqu’une telle mise en garde est affichée, cette dernière n’est pas bien en vue et son contenu n’est pas uniforme dans l’ensemble des publicités.

[126]    En fait, la Loi fédérale, tout comme la Loi de 2015, entend proposer un équilibre entre la protection des non-fumeurs et les avantages que peuvent retirer les fumeurs de la cigarette électronique à titre de méthode de cessation tabagique ou de réduction des méfaits. Voici ce qu’évoquait le ministre de la Santé devant le comité sénatorial[101] :

[…] Le vapotage est moins nocif que la cigarette et peut entraîner des avantages pour la santé publique s’il réduit le nombre de morts et de maladies causés par le tabac…Dans cette optique, le projet de loi S-5 vise à trouver un juste équilibre entre, d’une part, la protection des jeunes contre l’incitation à la dépendance à la nicotine et à l’usage du tabac et, d’autre part, l’accès légal des fumeurs adultes à des produits de vapotage comme solution de rechange moins nocive au tabac.

[127]    Cette mise en équilibre, à laquelle s’ajoute également la protection contre les effets potentiels nocifs de la vapeur secondaire pour toute personne se trouvant dans un lieu régi par l’autorité fédérale, se retrouve enfin dans un document de Santé Canada portant sur le projet de loi[102].

[128]    Tous ces éléments recoupent parfaitement ce que nous avons vu concernant la Loi de 2015. Il ressort de cette analyse que non seulement il n’y a pas de conflit d’intention entre les lois provinciale et fédérale, mais qu’au contraire, elles visent les mêmes objectifs fondamentaux. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre la Loi fédérale et la Loi sur le tabac et celles-ci peuvent coexister.

[129]    Je conclus donc, à l’instar du juge de première instance, que la Loi de 2015 est valide, applicable et opérante eu égard au partage des compétences.

[130]    Ce moyen doit par conséquent échouer.

 

2) Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique ou tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine » au « tabac » n’est pas invalide en raison de son imprécision constitutionnelle?

[131]    L’AQV plaide ici que l’article 3 de la Loi de 2015, en conjonction avec les articles 2 et 5 de la Loi sur le tabac, a pour effet d’interdire, dans de nombreux lieux, l’utilisation de tout type d’inhalateurs, qu’il s’agisse de tabac sans combustion, de cigarette électronique ou de tout autre mécanisme de ce type, incluant les bronchodilatateurs contre l’asthme ou même une simple paille. Selon l’AQV, cela démontre que la loi a une portée excessive et est d’une imprécision inconstitutionnelle.

[132]    L’AQV ajoute que le juge de première instance écarte de manière péremptoire cet argument[103] en se méprenant sur le critère applicable pour déterminer si une disposition législative est nulle pour cause d’imprécision. Il ne s’agit pas de procéder à une « lecture attentive » ou à une interprétation judiciaire de la disposition contestée, mais plutôt de savoir si celle-ci fournit des indications suffisantes pour qu’un justiciable ordinaire puisse s’y conformer et pour limiter le pouvoir de celui qui est chargé de l’appliquer[104].

[133]    Il est vrai qu’en toute matière, « […] la règle de la nullité pour cause d’imprécision est un élément essentiel d’une société fondée sur la primauté du droit » [105]. Elle vise à empêcher que le pouvoir discrétionnaire de celui qui est responsable de l’application de la mesure ne soit pas tel qu’il ne s’agisse, dans les faits, d’une sous-délégation de pouvoir à son endroit[106]. Or, il n’y a rien de tel ici.

[134]    La précision requise d’un texte de loi n’implique pas une certitude quant au résultat de son application[107], pas plus qu’elle n’impose l’éradication de toute ambiguïté. L’AQV a raison de cibler la nécessité qu’un citoyen ordinaire puisse en comprendre raisonnablement le sens. Or, l’incertitude qu’elle prétend soulever quant à l’éventuelle application de la loi à un bronchodilatateur ou même à une simple paille, me semble précisément aller à l’encontre de ce critère.

[135]    Aucun justiciable, et aucun agent n’ayant pour responsabilité l’application de cette loi, ne pourrait raisonnablement soutenir qu’une pompe contre l’asthme ou une paille constitue une cigarette électronique ou « tout dispositif de cette nature ». L’intitulé de la loi, le texte de l’article 3 de la Loi de 2015, l’objet et le but visé par les différentes dispositions de cette loi et de la Loi sur le tabac participent tous à conférer un sens suffisamment précis à la loi.

 

[136]    De même, rien dans la preuve ne permet de cibler de réelles difficultés découlant d’une éventuelle imprécision de la Loi sur le tabac. L’AQV ne fait que référer au témoignage du Dr Arruda et de Dany Lecours, avocat à la Direction de l’inspection et des enquêtes du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui, s’ils soulèvent des exemples où il est nécessaire d’interpréter des textes législatifs, ne supportent aucunement l’allégation d’imprécision constitutionnelle en l’espèce.

[137]    En définitive, les risques avancés par l’AQV participent bien plus de l’hypothèse, voire de la conjecture, que d’une véritable imprécision devant emporter la nullité de l’article 3 de la Loi de 2015 et, avec lui, de l’ensemble de la Loi de 2015.

[138]    Ce moyen doit donc échouer.

B.   Conformité aux chartes

3) Le juge erre-t-il en concluant que l’assimilation de la « cigarette électronique » au « tabac » et le « vapotage » au « fait de fumer » opérée par les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 ne porte pas atteinte aux droits à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté d’expression?

[139]    Par ce moyen, l’AQV prétend attaquer la validité de l’ensemble de la Loi de 2015, bien que cela ne ressorte pas clairement des conclusions incluses dans ses procédures. Il est vrai que la neutralisation des articles 2 et 3 de la Loi de 2015 aurait un effet structurant sur le reste de la loi puisque c’est par le jeu de ces deux dispositions que le législateur procède à l’extension, en principe, de la réglementation du tabac à la cigarette électronique.

[140]    L’argument de l’AQV s’articule juridiquement sur la nécessité, selon les engagements de la Cour suprême, dans le contexte d’une contestation constitutionnelle, de prendre en compte le régime législatif dans son ensemble[108]. Or, pour l’AQV, lorsqu’on s’attèle à une telle analyse de la stratégie législative, laquelle repose sur l’assimilation de la cigarette électronique au tabac[109], celle-ci se révèle irrationnelle en ce qu’elle a pour effet d’ostraciser un produit permettant la réduction des méfaits que provoque le tabac. L’AQV propose une analogie avec une loi provinciale qui interdirait l’usage de la méthadone pour lutter contre les toxicomanies. En outre, elle plaide qu’une telle assimilation éloigne les fumeurs de la cigarette électronique puisqu’elle envoie le message que celle-ci est tout aussi nocive que le tabac. Par cette assimilation, on confond le poison à l’antidote.

[141]    Le PGQ réplique que le juge n’a, sur ce point, commis aucune erreur et que l’AQV s’attaque en fait à une simple technique légistique ou rédactionnelle.

[142]    Il a raison.

[143]    Le législateur aurait en effet pu, pour chacune des dispositions qu’il souhaitait étendre à la cigarette électronique, ajouter une mention en ce sens. Plutôt que de ce faire, et possiblement parce que l’extension du régime législatif relatif au tabac à la cigarette électronique est simplement plus fréquente que sa non-extension, le législateur a opté pour la méthode inverse. Mais ce choix ne doit pas tromper. Les articles 2 et 3 de la Loi de 2015 n’imposent pas un carcan inflexible. Le législateur peut l’écarter s’il le souhaite.

[144]    C’est ainsi que l’article 29.3 de la Loi sur le tabac prévoit que l’interdiction de la vente ou de la distribution de tabac comportant une saveur, prévue à l’article 29.2, ne s’applique pas à la cigarette électronique. Il en va ainsi, également, de l’article 20.3.2. de la Loi sur le tabac, lequel prévoit que le gouvernement peut, par règlement, exclure l’exploitant d’un commerce spécialisé dans la vente de cigarettes électroniques, de l’interdiction d’étaler ces produits à la vue du public (prévue à l’article 20.2). C’est ce qu’il fait d’ailleurs par l’article 6.4 du Règlement sur le tabac dont il sera question plus loin.

[145]    Cette technique retenue par le législateur ne constitue toutefois pas une atteinte à un droit ou à une liberté prévue dans les chartes. C’est plutôt dans la décision du législateur de soumettre la cigarette électronique à une interdiction ou à une limitation, lequel choix s’exprime par la décision de ne pas écarter l’assimilation prévue aux articles 2 et 3 de la Loi de 2015, que doit se faire l’analyse d’une éventuelle atteinte et de sa justification. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’ACV dans son pourvoi en contrôle judiciaire et, de manière subsidiaire, l’AQV lorsqu’elle attaque des dispositions spécifiques. Le fait que la Cour suprême enseigne l’importance de prendre en compte les dispositions d’un régime législatif globalement et dans leur contexte, principe que je ne remets évidemment pas en question, ne change rien à cette réalité.

[146]    Tout comme le juge de première instance en convient lui-même[110], il est aisé de comprendre que l’assimilation de la cigarette électronique à la cigarette traditionnelle ne soit pas bien perçue par l’AQV, l’ACV et, en général, par tous ceux qui soutiennent la cigarette électronique comme moyen de cessation tabagique et comme une source efficace de réduction des méfaits. Pour eux, l’assimilation à laquelle procède la Loi de 2015 envoie un mauvais message et, confondant dans l’esprit collectif le remède au poison, éloigne les fumeurs de la cigarette électronique[111].

[147]    Si cette opinion peut tout à fait se défendre, tout comme celle qui prend son contrepied et fonde la politique législative, il s’agit là d’une question d’opinion quant à la meilleure stratégie à adopter dans la lutte contre le tabagisme. Il n’est pas impossible que la solution retenue par le législateur s’avérera, dans quelques années, être le mauvais choix[112]. Mais là n’est pas la question que la Cour supérieure devait trancher. Il s’agissait plutôt de savoir si la Loi de 2015, par ses dispositions, porte atteinte aux droits à la sécurité et à l’intégrité ou à la liberté d’expression. Un désaccord stratégique ne peut suffire et l’analyse d’une éventuelle atteinte aux chartes doit se faire dans le cadre des dispositions normatives.

[148]    Pour ces motifs, ce moyen doit être rejeté.

4)    Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 2(1) et 2(12) de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée au droit à l’intégrité de la personne prévu à l’article 1 de la Charte québécoise (appel principal)?

[149]    Le juge de première instance conclut que les paragraphes 2(1) et (12) de la Loi sur le tabac, dans la mesure où ils interdisent la démonstration et l’utilisation des produits de vapotage à l’intérieur des boutiques spécialisées et des cliniques de cessation tabagique, attentent de manière injustifiée au droit à l’intégrité des fumeurs aux termes de l’article 1 de la Charte québécoise.

[150]    Pour arriver à cette conclusion, il retient que, bien qu’il ne soit pas indispensable[113], personne n’a soutenu que l’essai en boutique ou en clinique n’a aucun effet positif[114]. Pour le juge, « [o]n est au cœur de la démarche de cessation du tabac et l’essai supervisé est important et ne peut se faire ailleurs. »[115]. Puis, référant à la décision Allard[116] et aux arrêts Bedford[117] et PHS, il conclut qu’ « […] en privant les fumeurs de la possibilité d’un essai en boutique ou en clinique, on porte atteinte à leur intégrité car on leur nie, en partie, un meilleur accès à un mécanisme de réduction de risques leur permettant de mieux préserver leur santé et leur intégrité »[118].

[151]    S’attardant ensuite à la question de la justification, le juge applique la grille d’analyse de l’arrêt Oakes[119]. L’existence d’un objectif réel et urgent, soit la réduction du tabagisme, la volonté de ne pas perdre les acquis sur ce plan et d’éviter le mimétisme et l’effet passerelle, n’est pas contestée[120]. Toutefois, le juge conclut que le PGQ, qui en avait le fardeau, n’a pas démontré que l’interdiction complète des essais en boutique spécialisée ou en clinique respecte le critère de l’atteinte minimale. Selon lui, cette interdiction pénalise plus les fumeurs qu’elle ne contrôle le nombre de nouveaux vapoteurs non-fumeurs[121]. Quant au mimétisme et à l’effet passerelle, « sans les nier », et même si certaines études y réfèrent, la preuve d’expert ne permet pas de conclure à leur existence[122].

[152]    Selon le juge, certaines législations, notamment celles de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, où les essais en boutique sont limités à deux vapoteurs en même temps, démontrent qu’ « […] il existe des solutions législatives moins radicales afin de permettre l’essai en boutique ou en clinique tout en conservant une limitation qui réponde aux craintes de la défenderesse »[123]. L’atteinte n’est donc pas minimale et ne peut être justifiée.

[153]    Au soutien de son appel, le PGQ plaide que le juge erre en concluant à l’existence d’une atteinte à l’intégrité des fumeurs. Il rappelle que, conformément aux principes établis par la Cour suprême dans Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand[124], lesquels furent repris depuis[125], il revenait à l’AQV d’établir l’existence d’une séquelle physique ou psychologique plus que fugace chez le groupe visé par l’atteinte, ici les fumeurs. Or, aucune preuve d’une telle séquelle ou d’un échec de thérapie de cessation tabagique en raison de l’absence d’essai en boutique ou en clinique n’a été administrée. Le juge a pu être convaincu de l’utilité de l’essai, certes, mais cela ne suffit pas pour constituer une preuve d’atteinte à l’intégrité.

[154]    Selon le PGQ, le juge commet une deuxième erreur lorsqu’il conclut à une atteinte à l’intégrité en l’absence de toute interdiction coercitive du législateur. Le droit à l’intégrité n’impose pas de droit positif à l’État, pas plus qu’il ne lui impose de faciliter l’accès à un produit[126]. Or, en l’espèce, l’accès à la cigarette électronique n’est pas interdit et, en cela, la présente affaire se distingue des arrêts Smith ou Allard[127] portant sur le cannabis thérapeutique.

[155]    Dans l’éventualité où la Cour conclurait à l’existence d’une atteinte, le PGQ fait valoir que celle-ci serait justifiée eu égard à l’ensemble des circonstances et, notamment, au fait que les compagnies de tabac sont liées à l’industrie du vapotage et à l’existence d’un risque de mimétisme et d’un effet dit passerelle en raison de la ressemblance de la cigarette électronique à la cigarette traditionnelle. Pour le PGQ, l’essai en boutique ou en clinique est un obstacle à l’atteinte des objectifs du législateur, notamment celui portant sur la protection des employés des points de vente spécialisés contre l’exposition aux aérosols.

[156]    L’AQV et l’ACV font quant à elles valoir que le juge ne commet pas d’erreur, d’une part, en analysant la question sous l’angle de l’article 1 de la Charte québécoise puis, d’autre part, en concluant à l’instar de la jurisprudence[128] qu’une disposition qui entrave l’accès à un moyen de réduction des méfaits dont la preuve a établi le caractère « raisonnablement nécessaire », comme le fait l’interdiction de l’essai en boutique ou en clinique, constitue une atteinte à l’intégrité. Selon elles, cette atteinte n’est pas justifiée, non seulement parce que le PGQ a fait défaut de satisfaire au critère de l’atteinte minimale, mais aussi parce qu’il a été établi que d’autres législations avaient adopté des solutions moins radicales.

* * *

[157]    J’analyserai d’abord la question de l’atteinte, puis celle de la justification.

 

i)             Atteinte

[158]    L’article 1 de la Charte québécoise garantit le droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de la personne :

1.  Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.

1.  Every human being has a right to life, and to personal security, inviolability and freedom.

He also possesses juridical personality.

[159]    L’article 7 de la Charte canadienne, quant à lui, garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne :

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7.  Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[160]    En dépit de leurs similarités, ces deux dispositions se distinguent, à certains égards, notamment quant aux libellés des droits concernés, le droit à l’intégrité, d’une part, et le droit à la sécurité, d’autre part, de même que par le recours, dans la Charte canadienne, à la notion de « principes de justice fondamentale ».

[161]    En l’espèce, le juge de première instance retient l’approche préconisée par la juge Deschamps dans l’affaire Chaoulli et aborde en priorité la conformité des dispositions contestées de la Loi sur le tabac avec la Charte québécoise au motif que celle-ci n’exige pas l’analyse supplémentaire des principes de justice fondamentale. Les parties ne remettent pas réellement en question cette façon de faire, si ce n’est le PGQ qui plaide que le fardeau de preuve sous l’article 1 de la Charte québécoise n’est pas moins exigeant que celui de l’article 7 de la Charte canadienne. Compte tenu de mes conclusions sous l’article 1 de la Charte québécoise, il ne sera pas nécessaire, à l’instar du juge de première instance, d’aborder l’article 7 de la Charte canadienne.

[162]    Dans l’arrêt St-Ferdinand[129], la Cour suprême retient que le droit à l’intégrité peut se rapporter tant aux aspects physiques que psychologiques de la personne, le présent dossier interpellant bien sûr la première de ces formes. Cette conception englobante de la notion d’intégrité n’écarte toutefois pas la nécessité d’établir une atteinte réelle et concrète au corps ou, plus largement, à l’équilibre physique ou psychologique de la personne. C’est ainsi que la Cour suprême, toujours dans l’arrêt St-Ferdinand, écrit[130] :

97.       Cette orientation donnée à l'interprétation de la notion d'intégrité prévue à l'art. 1 de la Charte m'apparaît appropriée.  Le sens courant du mot «intégrité» laisse sous-entendre que l'atteinte à ce droit doit laisser des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, dépassent un certain seuil.  L'atteinte doit affecter de façon plus que fugace l'équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime.  D'ailleurs, l'objectif de l'art. 1, tel que formulé, le rapproche plutôt d'une garantie d'inviolabilité de la personne et, par conséquent, d'une protection à l'endroit des conséquences définitives de la violation.

[Soulignement ajouté]

[163]    En l’espèce, il est important de bien cerner ce que serait l’atteinte à l’intégrité découlant de l’interdiction des essais de la cigarette électronique. Pour le juge, cette interdiction « nie, en partie » aux fumeurs « un meilleur accès à un mécanisme de réduction de risques leur permettant de mieux préserver leur santé et leur intégrité » en ce que, bien qu’il ne « garantit rien » et qu’il « n’est pas indispensable », l’essai « peut jouer un rôle pour faciliter l’abandon du tabac et de ses méfaits »[131].

[164]    Au soutien de sa conclusion, le juge réfère au jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Allard[132] et aux arrêts de la Cour suprême dans PHS et Bedford. Pour lui, il y aurait dans l’interdiction des essais, aux termes de ces arrêts, une entrave telle que les fumeurs se voient, dans les faits, contraints de choisir entre une solution illégale et efficace (essais en boutique), et une solution légale, mais inefficace (essais/erreurs chez soi).

[165]    Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge commet une erreur en concluant que l’interdiction des essais de la cigarette électronique en boutique et en clinique constitue une atteinte à l’intégrité. Le juge, de même que les argumentations en appel de l’AQV et l’ACV, étendent indûment la portée de la jurisprudence rendue en matière d’accès à des soins ou de pratique permettant une réduction de méfaits. En effet, la mesure législative contestée en l’espèce, n’interdit pas la cigarette électronique ni même ne réduit son accès de telle manière à la rendre hypothétique ou problématique. En ce sens, notre cas se distingue de ceux portant sur des mesures qui limitent indûment l’accès à des soins ou à des mesures de réduction des méfaits en raison de délais[133] ou d’interdictions[134].

[166]    Il se distingue aussi de l’affaire Smith[135] à laquelle l’AQV et l’ACV réfèrent au soutien de leurs prétentions. Selon elles, les fumeurs en l’espèce se voient, comme dans Smith, confrontés à choisir entre une solution illégale et efficace et une solution légale et inefficace.

[167]    Or, la présente situation est bien différente de celle de l’affaire Smith, dans laquelle la mesure contestée portait sur l’interdiction de l’utilisation à des fins médicales de formes non séchées de marihuana. Il s’agissait en fait d’une interdiction d’accéder à un traitement raisonnablement nécessaire pour certaines maladies qui, selon la Cour suprême, attentait au droit à la sécurité. Voici ce qu’elle écrit[136] :

[…] Autrement dit, il y a des cas où d’autres formes de cannabis seront [traduction] « raisonnablement nécessaires » pour le traitement de maladies graves […]. À notre avis, en pareilles circonstances, la criminalisation de l’accès au traitement en question porte atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne.

[Renvoi omis]

[168]    Les trois décisions explicitement retenues par le juge pour fonder une analogie avec l’interdiction des essais en boutique ou en clinique doivent aussi être distinguées.

[169]    D’abord, l’arrêt Allard concerne des restrictions « sévères » prévues au Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales[137] qui, prises ensemble, faisaient que sous ce « régime à source unique des producteurs autorisés, rien ne garantit que les patients pourront avoir accès à la qualité, à la souche et à la quantité de marihuana dont ils ont besoin à un prix acceptable […] »[138]. Il y avait donc ici un empêchement d’avoir accès à un produit thérapeutique pouvant dans certaines circonstances être « raisonnablement nécessaire ». Ce n’est pas notre cas.

[170]    Les deux autres arrêts concernent l’accès à des moyens de réduction des méfaits et, en ce sens, peuvent plus encore se rapprocher de notre dossier. Mais une fois encore, il s’agit de situations impliquant une interdiction d’accès à ces moyens et non simplement une modalité de leur utilisation, comme en l’espèce.

[171]    C’est d’abord le cas de l’arrêt PHS[139], lequel reconnaît que la décision du ministre de ne pas prolonger l’exemption soustrayant un centre d’injection supervisé (Insite) à l’application des lois fédérales antidrogue met en jeu l’article 7 de la Charte canadienne dans la mesure où cette décision a « […] pour effet d’empêcher les consommateurs de drogues injectables d’avoir accès aux services de santé offerts par Insite, ce qui aurait mis en danger la santé et, en fait, la vie de ces éventuels clients ». Il y avait donc ici une interdiction d’accéder à l’injection de la drogue sous supervision et non, comme en l’espèce, à un accessoire pouvant éventuellement bonifier l’effectivité de moyen de réduction des méfaits.

[172]    Puis, dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême conclut que des dispositions du Code criminel qui imposent « […] des conditions dangereuses à la pratique de la prostitution […] empêchent des personnes qui se livrent à une activité risquée, mais légale, de prendre des mesures pour assurer leur propre protection contre les risques ainsi courus. »[140] portent atteinte au droit à la sécurité des prostituées.

[173]    Plus loin, la Cour suprême ajoute[141] :

[88]      Il n’est pas non plus exact d’affirmer que la demande formulée en l’espèce revient à revendiquer à mots couverts le droit à la sécurité professionnelle.  L’objectif des demanderesses n’est pas que l’État adopte des mesures qui fassent de la prostitution une activité sûre, mais plutôt que notre Cour invalide des dispositions qui accroissent le risque de maladie, de violence et de décès.

[174]    Encore une fois, tel n’est pas le cas ici. Le juge conclut lui-même que l’essai de la cigarette électronique en boutique ou en clinique n’est pas indispensable et que son absence n’est pas une source de danger pour l’utilisateur[142], contrairement à la situation dans l’arrêt Bedford. Le juge est simplement d’avis que l’essai améliore les chances de succès de cesser de fumer. Les mots d’ailleurs ont une importance. Pour le juge, l’interdiction des essais nie en partie aux fumeurs un meilleur accès à un moyen de mieux préserver leur santé, sans que les accès soient toutefois indispensables ou une garantie de succès. Ne vaut-il pas mieux, écrit-il, faire l’essai en présence d’un vendeur plutôt que seul chez soi[143]? Le juge glisse ici vers l’opportunité de la solution adoptée par le législateur, ce qui n’est pas du ressort du judiciaire. Il se devait de déterminer s’il y avait une atteinte à l’intégrité. Or, soit dit avec égards, les conclusions factuelles qu’il tire lui-même de la preuve ne lui permettaient pas de conclure, selon les principes exposés par les arrêts qu’il cite, à une atteinte à l’intégrité.

[175]    Ces conclusions du juge, toutes en nuances, transcrivent bien ce qui ressort de la preuve. Il est vrai que des témoins[144] ont soutenu l’utilité, voire la nécessité, selon des degrés variables, de l’essai en boutique ou en clinique. Il est vrai aussi que d’autres éléments de preuve, notamment le mémoire de l’Association des cardiologues du Québec[145] et des rapports d’experts[146], se prononcent dans le même sens. Il est vrai aussi, comme le précise le juge, que personne n’a soutenu que l’essai en boutique ou en clinique était dépourvu d’effet positif. Mais il ne revenait pas au PGQ de prouver l’inefficacité, et moins encore la totale inutilité de l’essai en magasin, preuve qui, à bien des égards, aurait été impossible, celui-ci étant logiquement, un tant soit peu, utile ou positif. Personne ne le niera.

[176]    C’est l’AQV et l’ACV qui devaient établir que l’absence d’essai constituait une entrave telle qu’elle causait une atteinte à l’intégrité des fumeurs. Or, personne n’est venu témoigner ou autrement établir que des tentatives, sans essai en boutique ou en clinique, s’étaient butées à un échec. La preuve d’une « causalité suffisante », selon les enseignements de Bedford, entre la mesure et l’atteinte, ne ressort pas des constats du juge[147]. Au surplus, on ne doit pas oublier que l’interdiction d’essai n’empêche nullement l’encadrement par des conseils, voire un suivi dans le temps avec l’utilisateur.

[177]    L’état du droit et les constats mêmes du juge ne permettaient donc pas de conclure à une atteinte au droit à l’intégrité. Ce droit ne requiert pas de l’État qu’il prenne des mesures positives afin de favoriser l’exercice ou l’accès économique à une activité ou un traitement[148], pas plus qu’il ne reconnaît un droit constitutionnel distinct à des soins de santé[149]. Car, en définitive, ce n’est pas tant l’interdiction de l’essai en soi qui pose problème que les risques économiques liés à de multiples essais/erreurs. Or, non seulement cet élément économique n’est-il pas suffisant pour constituer une atteinte, comme nous le verrons, mais cela met en exergue le caractère insatisfaisant de la conclusion du juge, laquelle, d’une part, invalide l’interdiction des essais en boutique, mais, d’autre part, refuse d’invalider l’interdiction de donner des produits relatifs à la cigarette électronique. Or, ces deux conclusions me paraissent, à certains égards, être difficilement conciliables puisqu’un client pourrait essayer en boutique, mais uniquement en payant ses échantillons.

 

 

[178]    Pour ces motifs, je conclus que les paragraphes 2(1) et (12) de la Loi sur le tabac ne portent pas atteinte à l’article 1 de la Charte québécoise. S’il avait été nécessaire de procéder à l’analyse sous l’article 7 de la Charte canadienne, j’en serais arrivé à la même conclusion.

ii)            Justification

[179]    Puisque j’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas d’atteinte au droit à l’intégrité, il n’est pas requis de statuer sur la question de la justification. Mais parce que le juge s’est prononcé sur cette question et que celle-ci se soulèvera dans le cadre de mon analyse relative à la liberté d’expression et que mes propos y seront pour beaucoup transposables, j’en ferai l’analyse.

[180]    Il revient à l’État[150] d’établir qu’une atteinte à un droit est justifiée aux termes de l’article 9.1 de la Charte québécoise, dont le texte est le suivant :

9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

 

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

 

9.1. In exercising his fundamental freedoms and rights, a person shall maintain a proper regard for democratic values, State laicity, public order and the general well-being of the citizens of Québec.

 

In this respect, the scope of the freedoms and rights, and limits to their exercise, may be fixed by law.

[181]    La jurisprudence, depuis l’arrêt Ford[151], établit que cet article constitue une disposition justificative de même nature que l’article 1 de la Charte canadienne[152]. Il est donc soumis à une analyse de proportionnalité similaire, de sorte que le cadre analytique développé dans l’arrêt Oakes s’applique.

[182]    La démarche que commande cette grille d’analyse est bien connue. Dans un premier temps, l’État doit démontrer que la mesure attentatoire est prescrite par une règle de droit[153] et poursuit un objectif urgent et réel. Dans un deuxième temps, le gouvernement doit établir que, dans la poursuite de cet objectif, la mesure attentatoire ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au droit en cause. Cette deuxième partie de la grille d’analyse de l’arrêt Oakes comporte trois volets. L’État doit ainsi successivement démontrer (1) que l’atteinte a un lien rationnel avec l’objectif poursuivi; (2) que les moyens choisis pour réaliser cet objectif portent le moins possible atteinte au droit en cause; et (3) que les avantages de la mesure attentatoire l’emportent sur ses effets préjudiciables.

[183]    La norme de preuve applicable à chacune de ces étapes est celle de la prépondérance des probabilités[154]. L’appréciation doit suivre une approche contextualisée prenant en compte, notamment, la vulnérabilité du groupe que le législateur entend protéger[155] et la nature de l’activité à laquelle il est porté atteinte[156].

[184]    En l’espèce, les parties conviennent que les mesures adoptées par la Loi de 2015, incluant l’interdiction des essais, satisfont à l’exigence du critère de l’objectif urgent et réel. Celui-ci est d’ailleurs assez bien décrit par le juge. Le législateur « […] cherche à réduire le tabagisme, ne veut pas perdre ses acquis, s’inquiète de l’impact du vapotage chez les jeunes, craint le mimétisme et l’effet passerelle et se veut ”précautionneu[x]” face à la nicotine et à ce que peut receler la face cachée de la cigarette électronique. On peut comprendre ces préoccupations »[157]. L’on pourrait ajouter que le législateur entend aussi protéger les utilisateurs et les non-utilisateurs de la cigarette électronique à l’encontre des risques inhérents que celle-ci comporte.

[185]    Ce premier critère étant rempli, il convient d’aborder la question de la proportionnalité par le test en trois volets de l’arrêt Oakes, soit le lien rationnel, l’atteinte minimale et la balance des avantages et des effets préjudiciables de la loi. Mais avant d’y procéder, certains commentaires généraux s’imposent.

[186]    Dans un contexte où le législateur agit en réponse à des risques ou, plus généralement, dans un contexte d’incertitude lié à l’état des connaissances ou à des faits sociaux difficilement saisissables ou prévisibles, le test posé par l’arrêt Oakes pourrait avoir pour effet de neutraliser complètement ou, minimalement, indûment l’action gouvernementale. Voici ce qu’écrivait la professeure Danielle Pinard dans une remarquable étude sur l’incertitude et les risques en matière constitutionnelle[158] :

La structure du test ainsi élaboré semble fondée sur un postulat selon lequel l’État n’agit qu’en toute connaissance de cause, lorsque tant le mal à prévenir que l’efficacité du moyen choisi font l’objet de certitudes. Le test paraît, de prime abord, incompatible avec l’essence même de toute intervention en contexte de risque où, par définition, tant le mal à prévenir que la causalité entre l’acte interdit et cet éventuel dommage ne peuvent être établis avec certitude. Appliqué avec rigidité, ce test des limites raisonnables empêche l’État d’intervenir en contexte de risque, et protège ainsi le libéralisme, imposant à la communauté dans son ensemble le risque que se produise dans le monde libre (i.e., non réglementé) le résultat dommageable dont l’État, par son intervention, souhaitait empêcher la survenance.

[Renvoi omis]

[187]    Et elle ajoute qu’une exigence de certitude scientifique - ici quant aux méfaits de la cigarette électronique et quant à son effet sur la lutte antitabac - « a pour effet de protéger l’entreprise privée et d’imposer à la communauté le fardeau du risque […] »[159].

[188]    Ces enseignements sont particulièrement pertinents pour notre dossier, lequel met en scène un lot d’incertitudes liées à la relative nouveauté de la cigarette électronique, aux connaissances limitées s’y rapportant, à la diversité des produits existants[160] et à la réaction sociétale face à ceux-ci. À cet état d’incertitude scientifique répondent certains principes développés par la jurisprudence.

[189]    Il est d’abord acquis que, dans l’analyse de la justification, les tribunaux doivent conférer une marge de discrétion de même qu’une certaine déférence au législateur, « [l]a proportionnalité ne nécessit[ant] pas la perfection »[161]. L’on peut même dire que l’objet de l’article premier de la Charte canadienne (ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise) est de reconnaître non seulement qu’il n’existe pas une telle chose qu’un droit absolu, mais aussi que la réalité est complexe, complexité qui impose parfois aux décideurs publics de faire des choix et des arbitrages délicats entre des droits et des intérêts inconciliables, le tout face à un avenir incertain.

[190]    Or, cette marge de manœuvre devient particulièrement importante lorsque l’état des connaissances, notamment scientifiques, laisse planer une incertitude tant à l’égard du préjudice anticipé que de l’efficacité de la mesure adoptée. Ce n’est pas que cette incertitude appelle une norme différente et moins exigeante de justification, mais elle constitue un élément à prendre en compte dans l’analyse contextuelle du tribunal[162]. De même, la Cour suprême accepte que la preuve puisse reposer sur la raison et la logique, par exemple, pour démontrer l’existence d’un lien rationnel[163], ou encore que les tribunaux puissent se satisfaire d’une crainte raisonnée de préjudice[164].

[191]    L’incertitude scientifique permet aussi à la jurisprudence de se satisfaire, parfois, « […] d’un objet de preuve différent, soit le caractère raisonnable de l’évaluation législative de l’existence de certaines possibilités, par opposition à la preuve de faits réels en tant que tels »[165]. Il est utile, sur ce point, de rappeler ce qu’écrivait à ce sujet la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Irwin Toy[166] :

Lorsque le législateur arbitre entre les revendications divergentes de différents groupes de la collectivité, il est obligé de tracer une ligne de démarcation qui est à la fois le point de départ légitime des unes et le point où les autres disparaissent, sans être en mesure de savoir exactement où cette ligne se trouve. Si le législateur a fait une évaluation raisonnable quant à la place appropriée de la ligne de démarcation, surtout quand cette évaluation exige l'appréciation de preuves scientifiques contradictoires et la répartition de ressources limitées, il n'appartient pas aux tribunaux de se prononcer après coup. Ce serait seulement substituer une évaluation à une autre.

[192]    Plus loin, elle ajoute qu’il y a là un enjeu démocratique, lié à la séparation des pouvoirs[167] :

Ainsi, en faisant correspondre les moyens et les fins, et en se demandant s'il a été porté le moins possible atteinte aux droits ou aux libertés, le législateur en arbitrant entre les revendications de groupes concurrents, sera encore obligé de trouver le point d'équilibre sans pouvoir être absolument certain d'où il se trouve. Les groupes vulnérables vont revendiquer la protection du gouvernement alors que les autres groupes et individus affirmeront que le gouvernement ne doit pas intervenir.

[…]

Pour trouver le point d'équilibre entre des groupes concurrents, le choix des moyens, comme celui des fins, exige souvent l'évaluation de preuves scientifiques contradictoires et de demandes légitimes, mais contraires quant à la répartition de ressources limitées. Les institutions démocratiques visent à ce que nous partagions tous la responsabilité de ces choix difficiles. Ainsi, lorsque les tribunaux sont appelés à contrôler les résultats des délibérations du législateur, surtout en matière de protection de groupes vulnérables, ils doivent garder à l'esprit la fonction représentative du pouvoir législatif. […]

 

[193]    Au-delà de l’incertitude liée à l’état des connaissances et aux faits sociaux, une difficulté supplémentaire s’ajoute en l’espèce, laquelle concerne la diversité des intérêts et des vulnérabilités opposant différents groupes de la société. Ainsi, l’AQV a soulevé à plusieurs reprises, au soutien du principe de la réduction des méfaits, que, selon les données statistiques, la dépendance à la nicotine était prépondérante dans des populations particulièrement vulnérables, notamment les personnes économiquement défavorisées ou celles atteintes de troubles de santé mentale, et que cette vulnérabilité s’aggravait par la dépendance que cause la cigarette traditionnelle.

[194]    Invoquant, comme on l’a vu, l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire PHS, certains experts appuient la prétention de l’AQV selon laquelle le législateur ne doit pas entraver l’accès à la cigarette électronique puisqu’elle réduit les méfaits de la dépendance à la nicotine et, de ce fait, vient en aide à cette population vulnérable[168]. Le professeur David T. Sweanor affirme même dans son rapport que le principe de réduction des méfaits devrait s’ajouter aux trois autres objectifs de la politique antitabac que sont la prévention de la consommation du tabac, l’encouragement de l’abandon du tabagisme et la protection des non-fumeurs[169].

[195]    Cette affirmation, en plus d’illustrer que certaines expertises, de part et d’autre, glissent indubitablement vers l’opinion quant à l’opportunité ou à la supériorité d’une stratégie sur une autre[170], pose parfaitement bien ce qui distingue la cigarette électronique de la question des centres d’injection de l’arrêt PHS.

[196]    En l’espèce, le décideur doit prendre en compte l’intérêt de plusieurs groupes différents et pondérer les incidences de la politique publique sur ceux-ci. S’il était possible d’isoler le groupe des fumeurs du reste de la société, la politique publique à privilégier serait évidente. Mais, comme il ressort du témoignage du Dr Arruda, cela n’est pas possible et une politique publique doit prendre en compte l’ensemble des groupes de la société notamment, les jeunes ou, plus largement, les non-fumeurs ou ex-fumeurs, qui pourraient être incités à devenir des utilisateurs de la cigarette électronique ou du tabac[171].

[197]    C’est donc une pondération entre, d’une part, les bienfaits pour les fumeurs et, d’autre part, les risques pour eux et pour tous les autres à laquelle doit s’atteler le décideur, le tout dans un contexte d’incertitude, lequel touche tant la toxicité et les risques exacts à long terme de la cigarette électronique elle-même[172], son effet sur les jeunes, sur les non-fumeurs et sur la renormalisation du geste de fumer, son efficacité comme moyen de cessation tabagique et, enfin, son impact général, positif ou négatif, sur la lutte antitabac[173].

[198]    La solution que retiendra le décideur public demande donc qu’il évalue le ratio des bénéfices dans un tel contexte d’incertitude. Cette charge est bien exposée ci-après[174] :

Based on the findings of this report, e-cigarettes cannot be simply categorized as either beneficial or harmful to health. The net public health outcome depends on the balance between adverse outcomes (increased youth initiation of combustible tobacco cigarettes, low or even decreased cessation rates in adults, and a high-risk profile) and positive outcomes (very low youth initiation, high cessation rates in adults, and a low-risk profile). In some circumstances, adverse effects of e-cigarettes clearly warrant concern, such as the use of e-cigarettes among non-smoking adolescents and young adults, devices that are prone to explosion, and the presence of constituents in e-cigarette liquids that are of major health concern (e.g., diacetyl and some other flavorings). In other circumstances, namely regular combustible tobacco cigarette smokers who use e-cigarettes to successfully quit smoking, e-cigarettes may represent an opportunity to reduce smoking-related illness. For these reasons, e-cigarette regulation that merely considers whether to be restrictive or permissive to the marketing, manufacture, and sales of all e-cigarettes for all populations is unlikely to maximize benefits and minimize the risks.

[199]    L’on ne doit pas comprendre de l’ensemble de ces remarques, je le répète, qu’en matière d’incertitude, le seuil de la justification sera plus aisément rencontré ou, encore, que devant la difficulté du problème, le tribunal doit abdiquer sa responsabilité en acceptant le point de vue du législateur[175]. Mais l’incertitude quant aux différentes données doit faire partie de l’analyse.

[200]    Il revient alors au juge de ne pas traiter l’incertitude d’une manière asymétrique entre les parties[176] faisant reposer l’entièreté du risque sur l’une d’entre elles. Or, c’est un peu ce que fait le juge ici lorsqu’il retient, d’une part, que la cigarette électronique s’adresse avant tout aux fumeurs qui souhaitent cesser de fumer et qu’elle constitue un moyen efficace de cessation tabagique ou de réduction des méfaits dont les risques sont contenus et, d’autre part, que la preuve n’établit pas suffisamment le fait que la cigarette électronique présente des risques pour la santé ou le risque d’une certaine renormalisation de l’acte de fumer ou, pire, d’un effet passerelle ou d’une attractivité chez les jeunes[177].

[201]    Pourtant, le juge convient qu’il ressort de la preuve que « [v]u sa nouveauté, il est difficile [de] connaître les conséquences précises [de la cigarette électronique], surtout celles à long terme »[178], que les « vues divergent » et qu’il « n’existe pas de réponse unique et évidente »[179]. Or, sur tous ces points, ceux que le juge retient comme ceux qu’il qualifie d’incertains, la preuve est fortement divisée et peut supporter toutes les positions. En fait, s’il est vrai que la preuve s’entend pour dire que la cigarette électronique est moins dangereuse que la cigarette traditionnelle, elle converge aussi pour dire qu’elle n’est pas pour autant inoffensive[180] et que les risques qu’elle entraîne sont difficiles à évaluer.

[202]    C’est l’existence de ces risques entourant la cigarette électronique, des effets sur la santé de ses utilisateurs jusqu’à son incidence sur les ex-fumeurs ou les non-fumeurs, notamment les jeunes, que pouvait raisonnablement prendre en compte le législateur dans l’adoption de sa politique. L’on ne peut lui demander, pour justifier son action, une preuve que l’état des connaissances empêche de fournir[181], alors que c’est précisément cette limite de la connaissance qui fonde, pour partie du moins, l’action de l’État[182].

[203]    Quant à la Cour d’appel, il est vrai qu’elle doit faire preuve de déférence à l’endroit des conclusions factuelles du juge, autant en ce qui concerne les faits sociaux ou législatifs que les faits à l’origine du litige (« faits ordinaires »)[183]. Mes propos n’ont pas pour objet de nier ce principe. Ils se posent plutôt en aval de ceux-ci. Ce n’est pas tant ici que le juge commet une erreur dans l’appréciation de la preuve, puisqu’il constate et conclut, à juste titre, une incertitude quant aux risques associés à la cigarette électronique et à l’effet social de celle-ci sur le mimétisme, l’effet passerelle ou la renormalisation de l’acte de fumer. Son erreur est plutôt qu’il n’attribue pas au législateur, devant une telle preuve, divisée et incertaine, une marge de manœuvre ou une déférence suffisante dans la stratégie qu’il a adoptée.

 

 

[204]    Comme l’écrivait la juge Deschamps dans l’arrêt Chaoulli, « [l]a déférence ne saurait entraîner l’abdication par le pouvoir judiciaire de son rôle devant le pouvoir législatif ou exécutif »[184]. Toutefois, ce principe n’écarte pas, selon elle, l’existence d’une telle réserve ou déférence dans certaines circonstances. Elle écrit[185] :

95        En somme, le tribunal doit faire montre de déférence lorsque la preuve démontre que le gouvernement a accordé son juste poids à chaque intérêt en jeu.  Certains facteurs militent en faveur d’une plus grande déférence, tels l’aspect prospectif de la décision, l’incidence sur les finances publiques, la multiplicité des intérêts divergents, la difficulté d’apporter une preuve scientifique et le court délai dont a bénéficié l’État.  Cette énumération n’est évidemment pas exhaustive.  Elle sert surtout à mettre en relief le fait que le choix de la mesure revient au gouvernement, que la décision est souvent complexe et difficile et qu’il doit disposer des moyens et du temps nécessaires pour réagir.  Mais, comme le disait la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 , par. 136, « . . . il faut prendre soin de ne pas pousser trop loin la notion du respect ».

[205]    Cette déférence ne découle pas ici de la complexité du sujet ou des valeurs sociales qu’il met en jeu[186], mais de l’incertitude résultant de l’état des connaissances, de même que de la pluralité des stratégies possibles soutenues par des autorités diverses. C’est ainsi que, par exemple, si le Public Health England[187] est favorable au rôle de la cigarette électronique à titre de moyen de réduction des méfaits sur la base notamment, de l’affirmation abondamment reprise qu’elle est de 95 % moins dommageable que la cigarette traditionnelle[188], l’OMS, quant à elle, se fait bien plus circonspecte quant à la stratégie à adopter[189]. Dans la dernière édition de son rapport en la matière, elle écrit [190] :

 

 

 

ENDS are note harmless and must be regulated

According to WHO, Member States that have not banned [Electronic nicotine delivery systems or “ENDS”] should consider regulating them as harmful products, and governments should implement the regulatory measures for ENDS that they determine are most appropriate for their domestic context. This may entail, for example, regulating ENDS as tobacco products, products imitating tobacco, or as a specifically defined category. Although the specific level of risk associated with ENDS has not yet been conclusively estimated, ENDS are undoubtedly harmful and should therefore be subject to regulation.

 

[206]    Quelques mots enfin sur le principe de précaution auquel les parties, de part et d’autre, se réfèrent et à propos duquel le juge de première instance affirme : « Déclarer agir par précaution ne suffit pas surtout qu’on allègue des risques potentiels et inconnus face à une entrave démontrée à l’égard des fumeurs »[191]. Ce principe n’est pas ici opposé à l’État comme une faute de ne pas avoir fait preuve de précaution face à un risque, mais plutôt l’inverse, soit d’avoir agi en contrariété au droit à l’intégrité sur le fondement du principe de précaution. C’est d’ailleurs dans ce contexte d’action gouvernementale devant un risque que survient, comme le note la professeure Danielle Pinard, un contrôle de constitutionnalité[192]. Il ne faut donc pas voir là autre chose qu’une façon de qualifier l’une des deux réponses possibles de l’État face à un risque : agir pour l’écarter ou l’ignorer.

[207]    Le principe de précaution a déjà été utilisé par la Cour d’appel de l’Ontario en matière de contestation constitutionnelle au stade de la justification de l’atteinte[193]. Il a aussi été utilisé par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans une affaire qui portait précisément sur la contestation d’une directive de l’Union quant à la cigarette électronique[194]. Il n’est toutefois pas nécessaire d’y reconnaître là un nouveau principe de droit constitutionnel. Il suffit de constater que ce principe exprime la nécessité de prendre en compte l’incertitude ou l’existence d’un risque dans l’appréciation de l’action gouvernementale et de la déférence dont il doit bénéficier[195].

[208]    Comment ces considérations générales se transposent-elles en l’espèce sur les trois critères de la proportionnalité?

·         Lien rationnel

[209]    La première étape de l’analyse de la proportionnalité consiste à examiner s’il existe un lien rationnel entre la mesure contestée et l’objectif législatif poursuivi. Il s’agit essentiellement de savoir si la mesure représente une façon rationnelle pour le législateur d’atteindre son objectif, s’il existe un lien causal entre la violation et l’objectif recherché[196].

[210]    Pour y satisfaire, le gouvernement doit démontrer qu’il est « raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif et non qu’elle y contribuera effectivement »[197]. La preuve n’a donc pas à établir de façon concluante que les moyens adoptés dans la loi permettent la réalisation des objectifs poursuivis par le législateur, dans la mesure où une telle conclusion « est au moins logique et raisonnable »[198].

[211]    Je suis d’avis que ce premier critère est satisfait. Comme la Cour suprême l’écrit dans l’arrêt Carter « […] lorsqu’une activité pose certains risques, la prohiber constitue un moyen rationnel de réduire les risques »[199].

[212]    Ce raisonnement s’applique en l’espèce. Avec égards, le juge ignore dans son analyse de la justification la question des risques pour les tiers, notamment et tout particulièrement, les employés des boutiques qui seront constamment exposés à des aérosols. Or, même si ces risques sont moindres que ceux de la fumée secondaire de la cigarette traditionnelle et qu’ils sont encore débattus[200], plusieurs études ou experts en font état, notamment le dernier rapport de l’OMS de 2019[201]. Il y a donc minimalement un lien avec l’objectif de protection des non-utilisateurs et cela suffit pour que ce premier critère soit satisfait. L’on pourrait aussi ajouter que cette interdiction est en lien avec l’objectif de ne pas mettre en péril les acquis en matière de lutte antitabac, l’exposition à la cigarette électronique pouvant inciter ou renormaliser l’acte de fumer[202] et attirer vers elle une nouvelle clientèle.

·         Atteinte minimale

[213]    La question qui se pose à cette étape est celle de savoir si la restriction au droit est limitée à ce qui est « raisonnablement nécessaire » pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur[203]. En d’autres termes : « existe-t-il des moyens moins préjudiciables de réaliser l’objectif législatif? »[204].

[214]    Pour satisfaire à ce critère, il revient à l’État d’établir que la solution « […] fait partie de celles qui sont raisonnablement défendables »[205]. Autrement dit, « [s]i la loi se situe à l'intérieur d'une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu'elle a une portée trop générale simplement parce qu'ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l'objectif et à la violation [références omises]. Par contre, si le gouvernement omet d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide »[206].

[215]    Comme nous l’avons vu, c’est notamment à cette étape que les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard du législateur, lorsqu’il agit dans un contexte d’incertitude ou que la mesure « concerne les questions sociales complexes où la législature est peut-être mieux placée que les tribunaux pour choisir parmi une gamme de mesures »[207]. Comme l’explique la juge en chef McLachlin dans JTI :

Il peut exister plusieurs façons d’aborder un problème, sans qu’on l’on sache avec certitude laquelle sera la plus efficace.  Il peut être possible, dans le calme de la salle d’audience, d’imaginer une solution qui porte moins atteinte au droit en cause que celle adoptée par le législateur.  Toutefois, il faut également se demander si, au regard des moyens choisis par le législateur, cette solution serait raisonnablement efficace.  Pour compliquer les choses, il se peut qu’un régime législatif vise un certain nombre d’objectifs et que l’atteinte minimale portée à un droit dans la poursuite d’un objectif particulier empêche la réalisation d’un autre objectif.  La formulation de solutions législatives à des problèmes complexes est forcément une tâche complexe, qui commande une évaluation et une mise en balance. C’est pourquoi notre Cour a conclu que, en ce qui touche les questions sociales complexes, l’exigence d’atteinte minimale est respectée si le législateur a choisi l’une des diverses solutions raisonnables qui s’offraient : R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 , et Irwin Toy [208].

[216]    Sur ce point, l’AQV et l’ACV plaident que non seulement le PGQ n’a-t-il pas fait la preuve d’une atteinte minimale, mais, qu’au contraire, il ressort de certaines autres législations qu’il existe des solutions moins radicales que celles retenues par le législateur aux paragraphes 2(1) et (12) de la Loi sur le tabac. L’AQV et l’ACV mettent de l’avant les règlementations de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, lesquelles permettent l’essai en boutique ou en clinique dans la mesure où il  n’y a pas plus de deux vapoteurs à la fois[209]. Le Dr Robert Schwartz, l’expert du PGQ, admet lui-même lors de son témoignage que cette solution lui apparaît raisonnable[210].

[217]    Si cet argument n’est pas sans valeur, loin s’en faut, il n’emporte tout de même pas l’adhésion. Comme on l’a vu plus haut, le critère de l’atteinte minimale n’implique pas l’existence d’une seule solution, celle la moins attentatoire possible. Le législateur possède une marge de manœuvre, tout particulièrement dans des cas où il doit gérer l’incertitude.

[218]    L’utilisation de comparables peut, sans conteste, être utile et la Cour suprême y a déjà eu recours, par exemple, dans l’arrêt Chaoulli ou encore dans JTI[211]. Mais un tel argument n’est pas un absolu et ne peut avoir pour effet de créer l’obligation automatique d’opter pour la solution la moins attentatoire d’entre toutes. La comparaison peut par ailleurs permettre d’évaluer l’éventail des options raisonnables afin d’établir la marge d’action du législateur. Sur la question de l’essai en boutique ou en clinique, les solutions à travers le Canada sont plurielles. Certaines provinces le permettent[212], d’autres qui interdisent de vapoter dans un lieu public ne font pas, à l’instar du Québec, d’exception pour les boutiques spécialisées[213], et, nous l’avons vu, la Colombie-Britannique et l’Ontario le conditionnent à un maximum de deux personnes à la fois.

[219]    Est-ce à dire que cette dernière solution doit être le seuil de l’atteinte minimale? Or, pourquoi pas l’essai sans contrainte, comme le permettent certaines législations? Et le jour où une province proposera un maximum de trois personnes, devra-t-on en déduire que le seuil s’est automatiquement déplacé? La diversité des solutions retenues fait bien écho à l’incertitude et à la volatilité des connaissances en la matière et démontre plutôt quant à moi la pluralité des stratégies possibles en la matière. L’interdiction des essais en boutique et en clinique fait partie de celles-ci et respecte, dans les circonstances, le critère de l’atteinte minimale.

·         Pondération des effets bénéfiques et préjudiciables de la loi

[220]    C’est, semble-t-il, pour beaucoup sur ce critère que le juge se fonde pour conclure au caractère injustifié de l’atteinte puisque, écrit-il, « […] les effets bénéfiques potentiels pour les fumeurs l’emportent sur les effets préjudiciables potentiels pour les non-fumeurs »[214].

[221]    Qu’en est-il?

[222]    À cette étape, l’analyse de la mesure ne porte plus sur les objectifs de la mesure, mais sur ses effets. Comme l’écrit le juge Dickson dans l’arrêt Oakes : « […] Plus les effets préjudiciables d'une mesure sont graves, plus l'objectif doit être important pour que la mesure soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique »[215].

[223]    En l’espèce, une telle pondération doit se faire entre, d’une part, les effets préjudiciables que cause pour les fumeurs l’interdiction des essais et, d’autre part, les effets bénéfiques de cette interdiction quant à la neutralisation ou l’éradication des risques associés à la cigarette électronique pour les utilisateurs et les tiers. À ce stade, il importe, comme je l’écrivais ci-dessus, de ne pas traiter l’incertitude entourant les différents aspects de la problématique, que ce soit l’efficience de la cigarette électronique à titre de méthode de diminution des méfaits, de l’importance des essais ou encore des dangers que représente la cigarette électronique pour la santé ou pour la lutte antitabac, d’une manière asymétrique.

[224]    Or, les constats que tire le juge de la preuve et la déférence qui est due au législateur dont j’ai fait mention plus haut auraient dû l’amener à conclure que, dans les circonstances de l’espèce, la pondération favorisait le maintien de la mesure législative.

[225]    D’une part, les fumeurs sont privés de pouvoir essayer la cigarette électronique en boutique. Ils ne sont pas pour autant privés de recevoir des conseils ou un suivi quant à l’utilisation de la cigarette électronique. J’ajoute que, même si l’essai en boutique ou en clinique était possible, l’efficacité de celui-ci serait limitée par l’interdiction de gratuité du paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac, sur lequel je reviendrai, et qui aurait pour effet d’obliger le client à payer ses échantillons. L’effet préjudiciable de l’interdiction apparaît faible.

[226]    À cela, s’ajoutent des considérations quant à la nécessité de cet essai dont il a déjà été fait mention. Le juge lui-même conclut que l’essai n’est pas indispensable et que l’utilisation de la cigarette électronique sans assistance ne représente pas de danger. Certes, l’essai peut être utile, mais sans plus.

[227]    Enfin, s’il est vrai qu’une partie importante de la preuve supporte l’efficacité de la cigarette électronique à titre de moyen de réduction des méfaits ou de méthode de cessation tabagique[216], d’autres éléments de preuve sont beaucoup plus réservés sur ce point[217], de telle sorte que l’OMS, dans son dernier rapport, écrit[218] :

The evidence on the use of ENDS as a potential cessation aid is still being debated. Some evidence has suggested ENDS may work as a cessation aid for some people. However, the evidence required to support the role of ENDS as an intervention at population scale is limited. ENDS should therefore not be promoted as a cessation aid until adequate evidence is compiled on specific types of ENDS products and the public health community can agree upon the effectiveness of those specific products.

[228]    De même, le Dr Arruda, lors de son témoignage, explique que l’INSPQ a examiné la question de l’efficience de la cigarette électronique et a conclu à ce stade que rien n’établissait qu’elle était plus efficace que d’autres moyens de cessation tabagique[219].

[229]    Il ressort donc de tout cela que les effets préjudiciables d’une éventuelle atteinte se révèlent peu importants.

[230]    D’autre part, il est nécessaire de prendre en compte les bénéfices de la mesure, c’est-à-dire, en l’espèce, les risques que celle-ci entend contrôler ou neutraliser.

[231]    Cette preuve est très contrastée et s’entend sur peu de choses, si ce n’est que si la cigarette électronique est moins dangereuse que la cigarette traditionnelle, elle n’est pas un produit inoffensif; que les risques qui peuvent lui être associés sont encore peu connus; et que ces risques varient beaucoup en fonction des produits[220]. La preuve du caractère moins nocif de la cigarette électronique repose beaucoup sur une étude du département de la santé publique d’Angleterre, régulièrement reprise depuis, et qui conclut que la cigarette électronique est à 95 % moins dommageable que le tabac[221].

[232]    Si le résultat de cette étude est débattu[222], il demeure qu’il n’est pas contesté que la cigarette électronique est moins dangereuse que la cigarette traditionnelle. C’est dire que si un fumeur cesse de fumer la cigarette traditionnelle pour adopter la cigarette électronique, cela constitue un moyen de réduction des méfaits.

[233]    Ceci étant, et contrairement à ce que plaident l’AQV et l’ACV, on ne peut s’arrêter là en invoquant le principe de l’arrêt PHS. Il est nécessaire de prendre en compte les risques pour les fumeurs, mais aussi pour les autres groupes, tels les jeunes, les non-fumeurs et les ex-fumeurs.

[234]    Ces risques sont de deux ordres. D’abord, ils sont intrinsèques à la cigarette électronique[223] et reposent sur la dépendance que crée la nicotine et sur la toxicité de cette dernière qui, sans être importante, n’est pas inexistante, et présente des dangers, surtout pour les jeunes et les femmes enceintes[224]. Ils reposent ensuite sur les aérosols et les produits qui les composent, dont le propylène glycol[225].

[235]    On associe ensuite la cigarette électronique à une autre gamme de risques, que je qualifierai d’extrinsèques. Il s’agit de la crainte qu’elle nuise aux acquis dans la lutte antitabac en participant à une renormalisation sociale du geste de fumer par la mimétisation de la cigarette électronique et qu’elle crée éventuellement un effet passerelle vers la cigarette traditionnelle, et ce, tant pour les jeunes, les ex-fumeurs et les fumeurs qui continueraient de fumer tout en utilisant celle-ci.

[236]    Paradoxalement, ces risques extrinsèques sont liés aux raisons mêmes que font valoir les tenants de la cigarette électronique pour expliquer son succès à titre de méthode de cessation tabagique. L’AQV, dans son mémoire, l’expose très bien[226] :

[43]      La popularité du vapotage comme moyen de réduction des méfaits du tabac sur la santé et de cessation tabagique tient à trois éléments : il reproduit le geste de fumer comme élément social et psychologique, il permet une administration dégressive de nicotine propice à la cessation tabagique, et il est efficace en dehors d’un cadre strictement thérapeutique. Ce dernier élément est important. La volonté de l’appelante de limiter la transmission d’informations sur le vapotage aux seules cliniques médicales antitabac sous prétexte « d’encadrement déontologique » ne tient pas et cela nuirait considérablement à l’accès à cette méthode de réduction et de cessation tabagique.

[237]    Or, le juge écarte ces risques au motif que, sans les nier et bien qu’il y ait des études qui en font état, il n’y a pas de consensus entre les experts et que ceux-ci ne sont pas prouvés de manière convaincante.

[238]    Avec égards, le juge confond ici la preuve de la matérialisation des risques, qui, il est vrai, n’existe pas et les risques eux-mêmes qui font l’objet d’une preuve contestée[227], certes, mais néanmoins importante[228]. Dès lors, il était raisonnable pour le législateur d’en prendre compte et sa décision doit emporter déférence.

[239]    En raison de l’ensemble de ces facteurs, je suis d’avis que le critère de la pondération des effets bénéfiques et préjudiciables est satisfait. Si atteinte il y avait eu, elle aurait donc, selon moi, été justifiée au regard de l’article 9.1 de la Charte québécoise.

 

5)    Le juge erre-t-il en concluant que l’interdiction de donner ou de distribuer gratuitement un produit lié à la cigarette électronique selon le paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac ne porte pas atteinte à l’article 1 de la Charte québécoise (appel incident)?

[240]    Le paragraphe 21(1) de la Loi sur le tabac, je le rappelle, interdit de donner ou de distribuer gratuitement un produit lié à la cigarette électronique[229]. Dans son appel incident, l’AQV plaide que le juge fait erreur en concluant que, puisque l’article 1 de la Charte québécoise ne protège pas les droits purement économiques, cette disposition ne porte pas atteinte au droit à l’intégrité, l’accès de la cigarette électronique demeurant possible en contrepartie du prix demandé.

[241]    L’AQV fait valoir que l’effet du paragraphe 21(1) ne porte pas sur un simple droit économique, en ce qu’il constitue un frein important à un accès réel à ce produit. L’effet de l’interdiction prévue à cette disposition est d’autant plus important que les fumeurs appartiennent souvent à des groupes défavorisés de la société[230]. L’AQV ajoute que cet effet néfaste est accentué par l’article 6 du Règlement sur le tabac, lequel interdit la vente de tout produit, incluant un échantillon, pour un prix moindre que 10 $.

[242]    Il est généralement reconnu que la protection du droit à l’intégrité ne s’étend pas à un intérêt économique[231]. Cela ne signifie toutefois pas qu’un obstacle économique ne puisse jamais, lorsqu’il est intimement lié à l’intégrité d’une personne, constituer une atteinte à celle-ci. C’était le cas dans l’affaire Chaoulli, où la Cour suprême, à la majorité, a reconnu que l’interdiction faite aux Québécois de souscrire à une assurance pour obtenir du secteur privé des services dispensés par le régime de santé publique - interdiction qui avait pour effet de limiter l’accès aux soins de santé privés aux seuls gens très riches[232] - portait atteinte au droit à l’intégrité de la personne. En l’occurrence, les barrières économiques posées par cette interdiction de souscrire à une assurance privée étaient « intimement liées à la possibilité d’accès à des soins de santé »[233]. Compte tenu des coûts impliqués, cela rendait effectivement illusoire l’accès aux soins privés de santé, alors que ces soins étaient, dans les faits, inaccessibles en temps opportun[234] dans le réseau public en raison des listes d’attente. En ce sens, la mesure législative constituait une entrave à l’accès à des services de santé et était susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux des Québécois, incluant le droit à l’intégrité[235].

[243]    Or, tel n’est pas le cas ici. On ne peut pas conclure que l’obligation de payer le prix demandé pour l’obtention d’un produit de consommation constitue une entrave à l’accès de celui-ci. Un tel principe élargirait à l’excès la protection conférée par la Charte québécoise et aurait un impact potentiel sur une vaste étendue de questions, par exemple, les soins dentaires ou les lunettes. J’ajoute que je ne partage pas la lecture que fait l’AQV de l’article 6 du Règlement sur le tabac. Contrairement à ce que plaide l’AQV, cet article n’empêche pas la vente d’un échantillon pour moins de 10 $, dans la mesure où l’ensemble des produits achetés dans la même transaction cumule au moins un montant de 10 $.

[244]    De toute manière, même si j’avais conclu autrement, la preuve au dossier est insuffisante pour établir une telle entrave économique découlant de l’interdiction des essais et du don ou de la distribution gratuite de produits liés à la cigarette électronique. Enfin, je n’aurais eu aucune difficulté à conclure que, s’il y avait atteinte, celle-ci serait justifiée afin de contrer les dangers que les gratuités puissent servir à attirer vers la cigarette électronique de nouveaux utilisateurs, particulièrement les jeunes.

[245]    Ce moyen doit donc être rejeté.

6) Le juge erre-t-il en concluant que les paragraphes 24(4), (8) et (9) et l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac portent atteinte de manière non justifiée à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise (appel principal)?

[246]    Après avoir rappelé que la liberté d’expression protège tant la forme que le fond du message et que l’expression commerciale « fait l’objet de la même protection, autant pour celui qui s’exprime que pour celui qui reçoit »[236], le juge conclut que les paragraphes 24(4), (8) et (9) ainsi que l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac y portent atteinte de manière non justifiée.

[247]    Selon le juge, les paragraphes 24(8) et 24(9) qui, respectivement, limitent les publicités dans des journaux et magazines écrits dont au moins 85 % du lectorat est majeur et l’affichage à celui qui ne peut être vu que de l’intérieur du point de vente, restreignent la forme de l’expression. Quant au paragraphe 24(4), lequel interdit l’utilisation d’attestations ou de témoignages à des fins promotionnelles et quant à l’alinéa 3 de l’article 24, lequel soumet la publicité dans les journaux et les magazines à la mise en garde prévue par le Règlement sur la mise en garde attribuée au ministre de la Santé et des Services sociaux et portant sur les effets nocifs du tabac sur la santé[237]  Règlement sur la mise en garde »), le juge conclut que ceux-ci restreignent le fond du message. Sur ce dernier point, le juge écrit[238] :

Enfin, l’alinéa 3 impose un message particulier, ce qui entrave le message que peuvent livrer vendeurs ou fabricants de produits de cigarette électronique. Ceux-ci sont tenus de publier un texte qu’ils considèrent inexacts puisqu’on associe leur produit au tabac et à ses effets nocifs tel le cancer.

[248]    Sur l’analyse de la justification, l’objectif réel et urgent n’est pas contesté. En ce qui concerne les paragraphes 24(4), (8) et (9) de la Loi sur le tabac, le juge note que « [l]e problème avec les restrictions actuelles, c’est que le public, particulièrement les fumeurs, ne fait pas la différence entre fumer et vapoter »[239]. Selon lui, il est possible d’exclure de ces paragraphes la publicité ciblant la cigarette électronique « clairement et uniquement » pour les fumeurs comme moyen de cessation tabagique. Rien n’ayant établi l’inefficacité de ce moyen moins attentatoire[240], l’atteinte de la mesure actuelle n’est donc, selon lui, pas minimale.

[249]    Concernant l’article 24 alinéa 3, le juge constate que, dans l’état actuel des choses, la mise en garde devant accompagner la publicité de la cigarette électronique indique que le tabac tue. Il écrit[241] :

[374]    Le Tribunal ne conteste pas la véracité du message. Mais on doit reconnaître qu’il ne peut être associé ou imputé au vapotage puisque la cigarette électronique ne contient pas de tabac. Le lien rationnel entre l’interdiction et l’objectif n’est pas prouvé.

[250]    Dans son appel principal, le PGQ ne remet pas en cause que les paragraphes 24(4), (8) et (9) et l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac portent atteinte à la liberté d’expression. Il attaque plutôt la conclusion du juge quant au critère de l’atteinte minimale, de même que la solution qu’il retient d’autoriser une publicité ciblant clairement et uniquement les fumeurs et présentant la cigarette électronique comme moyen de cessation tabagique.

[251]    Le PGQ fait valoir que le juge sous-estime la vulnérabilité des consommateurs en général et des jeunes en particulier face aux stratégies de marketing de l’industrie, laquelle est, en partie du moins, contrôlée par les compagnies de tabac. Selon le PGQ, le juge sous-estime également l’attrait potentiel de la cigarette électronique, lequel mimétise l’expérience de fumer et peut créer une dépendance à la nicotine, produit intrinsèquement dangereux. À l’inverse, toujours selon le PGQ, le juge surestime l’efficacité de la cigarette électronique comme moyen de cessation tabagique. Pour lui, cette efficacité reste à prouver et la cigarette électronique peut parfois même retarder ou nuire à l’arrêt de fumer.

[252]    Quant à la solution retenue par le juge, le PGQ fait valoir que non seulement est-elle impraticable, mais elle est en porte-à-faux avec la législation fédérale qui interdit toute publicité comparant la cigarette électronique à la cigarette traditionnelle, sauf si elle est visée par une autorisation sous le régime de la LAD[242]. De même, ce moyen occulte le fait que l’industrie de la cigarette électronique utilise les mêmes stratégies publicitaires que celles de l’industrie du tabac qui, de plus en plus, en prend le contrôle.

[253]    Enfin, quant à la pondération des effets bénéfiques et préjudiciables des mesures contestées, les doutes associés à l’efficacité réelle de la cigarette électronique comme moyen de cessation tabagique, d’une part, et les risques intrinsèques et extrinsèques d’effets préjudiciables que celle-ci entraîne, d’autre part, convergent vers la justification de l’atteinte.

[254]    L’AQV et l’ACV, quant à elles, plaident que la solution du juge est praticable et permet de ne plus laisser les fumeurs dans la fausse impression que la cigarette électronique est aussi nocive que la cigarette traditionnelle. De même, selon elles, le juge a bien pris en compte la protection de la santé du public, mais a conclu que ni le mimétisme ni l’effet passerelle n’avaient été établis et que, par conséquent, les autres limites et restrictions étaient suffisantes. L’ACV ajoute qu’il est inexact d’affirmer que la Loi fédérale empêche la solution retenue par le juge et réitère que, pour elle, la cigarette électronique n’est pas un traitement ou un médicament.

* * *

[255]    La liberté d’expression est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne ainsi que par l’article 3 de la Charte québécoise, lesquels énoncent :

Charte canadienne

 

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

 

[…]

 

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

 

 

Canadian Charter

 

2. Everyone has the following fundamental freedoms:

 

(…)

 

(b) freedom of thought, belief, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

Charte québécoise

 

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.

Quebec Charter

 

3. Every person is the possessor of the fundamental freedoms, including freedom of conscience, freedom of religion, freedom of opinion, freedom of expression, freedom of peaceful assembly and freedom of association.

[256]    La notion de liberté d’expression est essentiellement la même en vertu de ces deux dispositions[243], et il est entendu que les garanties que celles-ci prévoient « s’analysent, en pratique, de façon identique »[244].

[257]    La liberté d’expression protège autant celui qui s’exprime que le destinataire du message[245]. Elle doit recevoir une interprétation large et libérale, incorpore « […] des formes d’expression d’importance et de qualité variables »[246], et s’étend à l’expression commerciale[247]. Pour la Cour suprême, la nécessité de protéger l’expression commerciale « […] découle de la nature même de notre régime économique qui est fondé sur l’existence d’un libre marché.  Or,  le fonctionnement harmonieux  de ce marché repose sur l’accès des entreprises et des consommateurs à une information abondante et diversifiée »[248].

[258]    Pour déterminer si une mesure législative porte atteinte à la liberté d’expression sur le fondement, comme ici, de ce que la Cour suprême qualifie d’« obligation négative »[249], une démarche en deux étapes s’impose. Le tribunal doit d’abord déterminer si l’activité que souhaite poursuivre le demandeur relève d’une sphère protégée par la liberté d’expression. Dans l’affirmative, il doit ensuite évaluer si la mesure législative, par son objet ou son effet, porte atteinte à la liberté d’expression[250]. Le fardeau de la preuve incombe au demandeur à chacune de ces étapes[251].

[259]    Une activité est visée par la liberté d’expression si elle est expressive, c’est-à-dire si elle « transmet ou tente de transmettre[252] une signification »[253], un message, lequel est son contenu[254]. Le contenu de l’expression peut être transmis par une « variété infinie de formes d’expression »[255] que ce soit un écrit, un discours, un médium artistique, des gestes ou des actes[256].

[260]    Si une activité expressive ne peut être écartée de la garantie constitutionnelle en raison de la valeur du message, de sa fausseté[257], voire de son caractère offensant[258] ou dérangeant, la forme de l’expression peut l’être lorsqu’elle mine « […] les valeurs sous-jacentes à cette garantie »[259], notamment par son mode d’expression, comme c’est le cas pour la violence[260].

[261]    Il revient dans un deuxième temps à celui qui conteste la mesure d’établir que celle-ci a pour objet ou pour effet de restreindre la liberté d’expression, c’est-à-dire de contrôler la transmission d’un message ou d’une signification[261].

[262]    Si l’objet que poursuit le gouvernement est de contrôler la transmission d’un message, que ce soit en restreignant directement le contenu de l’expression ou en restreignant une forme d’expression liée au contenu, celui-ci porte atteinte à la liberté d’expression[262]. Toutefois, même si l’objet de l’action gouvernementale n’est pas de contrôler ou de restreindre la transmission d’une signification, il est tout de même possible que la mesure ait pour effet de restreindre la liberté d’expression[263]. Il appartient au demandeur de le démontrer[264].

[263]    Pour se décharger de ce fardeau, le demandeur doit formuler sa thèse en tenant compte des principes et des valeurs qui sous-tendent la garantie de la liberté d’expression[265]. Il doit plus spécifiquement démontrer que l’activité expressive qui est restreinte par l’action gouvernementale a pour objet de transmettre un message « qui reflète les principes qui sous-tendent la liberté d’expression »[266]. Bref, il doit « décrire la signification transmise et son rapport avec la recherche de la vérité, la participation au sein de la société ou l’enrichissement et l’épanouissement personnels »[267].

[264]    Une fois l’atteinte établie, il revient à l’État de démontrer que celle-ci est justifiée selon le cadre que nous avons donc exposé ci-dessus. Tout comme pour le droit à l’intégrité, les analyses sous l’article 1 de la Charte canadienne et sous l’article 9.1 de la Charte québécoise sont similaires et peuvent, par conséquent, être abordées ensemble[268].

[265]    Si la nature de l’expression, son importance ou sa qualité ne jouent pas pour déterminer si elle est protégée, ces éléments sont toutefois pertinents à l’étape de la justification.

[266]    La Cour suprême reconnaît en effet que « ce ne sont pas toutes les expressions qui méritent la même protection » et que « [t]outes les violations de la liberté d’expression ne sont pas également graves »[269]. Tel que le souligne le juge Cory, pour la majorité dans l’arrêt Lucas, « la protection dont pourra bénéficier l’expression variera selon sa nature.  Plus l’expression s’éloignera des valeurs centrales de ce droit, plus la capacité de justifier l’action restrictive de l’État sera grande »[270]. Il en est ainsi non pas parce qu’une norme de justification moins exigeante est appliquée, mais « plutôt parce que, compte tenu dans certains cas de la faible valeur de la forme d’expression en cause, l’objectif du gouvernement l’emporte plus facilement sur celle-ci »[271]. Ce peut être le cas d’une communication purement économique ou commerciale dont la nature, si elle ne peut fonder qu’on l’écarte à la légère[272], peut néanmoins faciliter la justification de l’atteinte[273].

[267]    L’étendue de la restriction à la liberté d’expression est un autre facteur qui influe sur le degré de latitude dont peut bénéficier le gouvernement dans le cadre de l’analyse de la justification. Ce facteur revêt une importance particulière dans l’examen du critère de l’atteinte minimale[274]. Bien évidemment, il sera plus difficile de justifier une interdiction totale d’une forme d’expression qu’une interdiction partielle de celle-ci[275].

[268]    Qu’en est-il en l’espèce?

[269]    Je rappelle que le PGQ ne conteste pas que les paragraphes 24(4), (8) et (9) ainsi que l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac portent atteinte à la liberté d’expression. La seule question quant à ces textes réside dans l’analyse de la justification.

[270]    Le paragraphe 24(4)  interdit l’utilisation d’attestations ou de témoignages dans toute publicité directe ou indirecte de la cigarette électronique. La Loi fédérale prévoit cette même interdiction[276].

[271]    Le paragraphe 24(8), quant à lui, limite la publicité écrite aux journaux écrits et magazines dont au moins 85 % des lecteurs sont majeurs. Cette disposition, qui vise la protection à l’encontre de l’attractivité que peut avoir la cigarette électronique pour les jeunes, est moins sévère que celle du régime fédéral, qui prévoit, par la conjonction de l’article 30.701 de la Loi fédérale et de l’article 2 du Règlement fédéral, une interdiction de toute publicité que les jeunes peuvent voir ou entendre à l’exception de celle faite dans une publication adressée et expédiée à un adulte désigné par son nom.

[272]    Enfin, le paragraphe 24(9) de la Loi sur le tabac limite l’affichage à celui qui ne peut être vu que de l’intérieur du point de vente.

[273]    Ces trois paragraphes visent conjointement à éviter que la cigarette électronique atteigne un public autre que celui des fumeurs, tout particulièrement les jeunes. Or, cette nécessité ressort bien de la preuve.

[274]    Le juge retient que le marché de la cigarette électronique vise essentiellement les fumeurs. C’est sans doute ce que croient sincèrement ceux qui ont cessé de fumer grâce à ce moyen, notamment madame Gallant, ainsi que les différents experts qui voient dans la cigarette électronique un moyen de cessation tabagique. Il demeure toutefois que, contrairement à d’autres moyens de cessation tabagique, la cigarette électronique n’est pas homologuée comme telle et, surtout, que sa ressemblance avec la cigarette traditionnelle présente le danger qu’elle migre vers une nouvelle clientèle. C’est ce que craignent plusieurs experts par l’effet de mimétisme ou de passerelle dont il a déjà été fait mention.

[275]    Plusieurs statistiques peuvent justifier ces craintes. Je référerai à quelques-unes d’entre elles. Ainsi, un rapport de l’INSPQ de 2014[277] indique une prévalence significative de la cigarette électronique chez les jeunes. Notamment 17,5 % de ceux qui ont essayé la cigarette électronique n’avaient jamais pris une bouffée de cigarette[278]. De ceux-là, 46 % n’excluaient pas de faire usage de la cigarette traditionnelle, alors que le taux d’intérêt pour la cigarette traditionnelle n’est que de 25 % pour les non-fumeurs n’ayant jamais utilisé la cigarette électronique[279]. Selon une autre enquête de 2017, parmi les utilisateurs de la cigarette électronique au Canada, 65 % utilisent celle-ci conjointement à la cigarette traditionnelle et 15 % sont des non-fumeurs. De ces derniers, 91 % avaient moins de 24 ans. C’est dire que seulement 20 % des utilisateurs de la cigarette électronique étaient des ex-fumeurs.

[276]    Aux États-Unis, l’utilisation de la cigarette électronique chez les jeunes a triplé de 2011 à 2015[280], notamment en raison de la Juul, dont la popularité est indéniable et qui semble avoir réussi à reproduire assez fidèlement la sensation de la cigarette traditionnelle[281].

[277]    Si ces chiffres sont relativisés par certains[282], il demeure raisonnable que le législateur s’en préoccupe. À cet égard, l’OMS, dans son rapport de 2016, signale que devrait constituer l’un des objectifs d’une politique publique en la matière le fait d’éviter que les « non-fumeurs et les jeunes ne se mettent à utiliser des inhalateurs contenant ou non de la nicotine, en prêtant une attention particulière aux groupes vulnérables »[283]. Pour les mêmes raisons, dans son rapport de 2019, elle recommande que la cigarette électronique ne soit pas publicisée comme moyen de cessation tabagique avant qu’une preuve claire de son efficience en ce sens soit disponible[284].

[278]    Devant ces chiffres, le fait de limiter le marché de la cigarette électronique aux seuls fumeurs est quelque peu réducteur et rappelle l’argument que faisaient valoir les cigarettiers dans l’affaire RJR selon lequel la publicité ne visait pas à étendre le marché à de nouveaux fumeurs, mais uniquement à se répartir le marché existant[285].

[279]    En l’espèce, il était donc raisonnable pour le législateur d’intervenir pour limiter l’effet potentiel de la publicité de la cigarette électronique, tout particulièrement envers les jeunes[286]. L’on ne peut pas non plus écarter de l’analyse du législateur les risques associés au fait que l’industrie du vapotage évolue et qu’elle est progressivement investie par les cigarettiers[287].

[280]    Le danger, à terme, est que le geste de fumer se renormalise affaiblissant ainsi sa non-acceptabilité sociale, laquelle a été un élément important dans la régression de la cigarette dans la société[288].

[281]    Une fois encore, l’atteinte minimale n’implique pas l’existence d’une seule solution possible. Le législateur doit bénéficier, dans le cadre de ce que nous avons vu ci-dessus, d’une marge de manœuvre et d’une déférence.

[282]    Quant à la solution retenue par le juge, si tant est qu’elle ait pu être envisagée par le législateur, certaines difficultés peuvent se dresser devant celle-ci et justifier qu’elle n’ait pas été retenue. Ainsi, bien qu’une publicité puisse viser une clientèle ciblée, elle peut être vue par les autres, comme les jeunes. De même, il pourrait s’avérer délicat de publiciser la cigarette électronique comme un moyen de cesser de fumer sans que celle-ci ait été reconnue comme tel par Santé Canada. Quant à la réduction des méfaits, sans être impossible, une telle publicité se butera rapidement au paragraphe 30.43(2) de la Loi fédérale qui interdit de comparer la cigarette électronique à la cigarette traditionnelle.

[283]    Pour ces motifs, je conclus que les paragraphes 24(4), (8) et (9) de la Loi sur le tabac constituent une atteinte justifiée à la liberté d’expression.

[284]    Quant à l’article 24 alinéa 3, le juge n’évalue pas réellement la disposition contestée, laquelle ne fait que prévoir la nécessité d’apposer une mise en garde sur le produit du vapotage, mais plutôt le contenu même de celle-ci prévu par le Règlement sur la mise en garde, règlement qui, lui, n’est pas contesté.

[285]    Or, celui-ci a été modifié en 2019[289] et le contenu de la mise en garde pour la cigarette électronique diffère désormais de celui pour la cigarette traditionnelle. La nouvelle mise en garde ne réfère plus aux dangers du tabac. Le fondement de la conclusion du juge ne repose pas sur l’existence en tant que telle d’une mise en garde, existence qu’il accepte, mais sur son contenu[290]. La conclusion du juge ne peut donc plus tenir. Malgré cela, il demeure que l’article 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac constitue bien une atteinte à la liberté d’expression[291] puisqu’il impose la transmission d’un message et que la liberté d’expression inclut celle de ne rien dire[292]. Toutefois, pour les motifs exposés ci-dessus, je suis d’avis que l’article 24 alinéa 3 est une atteinte justifiée à la liberté d’expression et est donc valide.

7) Le juge erre-t-il en concluant que le paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac porte atteinte de manière non justifiée à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne et l’article 3 de la Charte québécoise (appel principal), mais pas les paragraphes 6.4(1) et (3) (appel incident)?

[286]    L’article 20.2 de la Loi sur le tabac prévoit que « [l]’exploitant d’un commerce ne peut étaler du tabac ou son emballage à la vue du public. ». Selon l’article 20.3.2, il peut toutefois être fait exception à cette interdiction pour les cigarettes électroniques selon les conditions édictées par règlement. Ce sont ces conditions, prévues par les paragraphes 6.4(1), (2) et (3) du Règlement sur le tabac, qui sont contestées. Pour plus de commodité, voici de nouveau le texte de cette disposition :

6.4  L’exploitant d’un point de vente spécialisé de cigarettes électroniques n’est pas soumis à l’application de l’article 20.2 de la Loi à l’égard des cigarettes électroniques et des autres dispositifs de cette nature qu’il vend, y compris leurs composantes et leurs accessoires, dans la mesure où les conditions suivantes sont respectées:

 

1°  l’exploitant de ce point de vente n’y vend que des cigarettes électroniques ou d’autres dispositifs de cette nature, y compris leurs composantes et leurs accessoires;

 

2°  l’exploitant étale les cigarettes électroniques ou les autres dispositifs de cette nature, y compris leurs composantes, leurs accessoires et leurs emballages, de façon à ce qu’ils ne soient vus que de l’intérieur du point de vente;

 

3°  aucune autre activité ne s’y déroule.

6.4. The operator of a specialized retail outlet for electronic cigarettes is not subject to the application of section 20.2 of the Act for electronic cigarettes and other devices of that nature that the operator sells, including their components and accessories, to the extent that the following conditions are met:

 

(1)  the operator of the retail outlet sells only electronic cigarettes or other devices of that nature, including their components and accessories;

 

 

(2)  the operator displays the electronic cigarettes or other devices of that nature, including their components, accessories and packaging, so that they are visible only from the inside of the retail outlet;

 

 

(3)  no other activity takes place there.

[287]    Selon le juge de première instance, les paragraphes 6.4(1) et (3) du Règlement sur le tabac ne portent pas atteinte à la liberté d’expression puisque le fait de vendre d’autres produits que la cigarette électronique ou celui d’exercer d’autres activités ne constituent pas des activités expressives, aucun message n’étant transmis. Il ajoute que, de toute manière, « [r]ien n’empêche un commerçant de vendre autre chose dans sa boutique ou d’y faire d’autres activités dans la mesure où les produits de vapotage ne sont pas à la vue du public, à l’exemple de ce qui se fait à l’heure actuelle avec le tabac. C’est un choix que les commerçants doivent faire »[293].

[288]    Quant au paragraphe 6.4(2), le juge note que l’étalage d’un produit participe à la promotion de celui-ci et, en ce sens, constitue une activité protégée par la liberté d’expression. Or, pour se conformer à ce paragraphe, les commerçants sont obligés de givrer leurs vitrines, ce qui « semble conférer une réputation négative à l’égard de ces commerces en leur donnant une allure de ”piquerie”. Il va sans dire que les fumeurs voulant cesser de fumer ne sont pas incités à entrer dans un tel endroit »[294]. Le juge conclut que le paragraphe 6.4(2) porte atteinte à la liberté d’expression et que cette atteinte n’est pas justifiée puisqu’il serait possible d’aménager l’étalage des produits d’une façon à ne viser que les fumeurs.

[289]    Dans son appel concernant le paragraphe 6.4(2), le PGQ plaide que si le gouvernement permet l’étalage en boutique, c’est parce que les mineurs n’y ont pas accès. Pour cette raison, il importe que cet étalage ne puisse être vu de l’extérieur, sans quoi l’exposition en vitrine pourrait devenir un moyen de faire de la publicité, et ainsi de contourner le paragraphe 24(9) de la Loi sur le tabac.

[290]    Dans son appel incident, l’AQV fait valoir que la notion d’activité expressive doit recevoir une interprétation large et incluse et viser la vente d’autres produits ou l’exercice d’autres activités qui, en eux-mêmes, peuvent transmettre un message, une signification. Les paragraphes 6.4(1) et (3) portent donc atteinte à la liberté d’expression et cette atteinte, comme celle qu’entraîne le paragraphe 6.4(2), n’est pas justifiée.

* * *

[291]    Le sort différent des paragraphes 6.4(1) et (3), d’une part, et du paragraphe 6.4(2), d’autre part, tient pour partie au sens qu’accorde le juge à la notion d’activité expressive. Sur ce point, je suis d’accord.

[292]    Bien que la notion d’activité expressive doive recevoir une interprétation large[295], encore faut-il qu’elle vise la « transmission d’une signification »[296]. Comme la Cour suprême l’écrit dans Irwin Toy, il peut parfois être difficile de déterminer si certaines activités quotidiennes qui n’ont pas pour but, a priori, de transmettre une signification, peuvent tout de même comporter un contenu expressif. Ainsi, une personne peut ne pas manger parce qu’elle n’a pas faim et une autre peut s’en abstenir pour des motifs religieux. Si, dans le premier cas, le message transmis est inexistant ou insignifiant, il est, dans le second, déterminant.

[293]    Il ne convient donc pas en ce domaine d’énoncer des affirmations générales et péremptoires selon lesquelles le fait de vendre un bien constitue toujours ou jamais une activité expressive protégée. Il est aisé d’imaginer des situations où tel pourrait être le cas. Mais cela n’est pas un automatisme et c’est ainsi que la Cour d’appel de l’Ontario a pu conclure que le fait pour les pharmaciens de vendre des cigarettes ne constituait pas en lui-même une activité expressive protégée[297].

[294]    Il suffit donc de déterminer qu’en l’espèce, l’AQV n’a pas établi que cette interdiction a pour objet ou pour effet de limiter la liberté de transmettre un message ou une signification, ce qu’elle devait faire[298], si ce n’est en soulevant des hypothèses vagues et générales.

[295]    J’ajoute que, même dans l’hypothèse où il y aurait là une activité expressive, la contestation de l’AQV n’aurait pu réussir car, comme le souligne à juste titre le juge, il n’y a pas en l’espèce véritablement interdiction de vente. Le commerçant demeure libre de vendre d’autres produits, mais, dès lors, il perd le droit d’étaler les cigarettes électroniques[299]. L’angle de contestation de cette disposition aurait donc dû être l’interdiction d’étaler les produits pour les commerçants non spécialisés. Ce n’est pas ce qu’a fait l’AQV et cette question n’ayant pas été plaidée, elle n’a pas à être tranchée.

[296]    Le juge avait donc raison de conclure que les paragraphes 6.4(1) et (3) ne contreviennent pas à la liberté d’expression.

[297]    En ce qui concerne le paragraphe 6.4(2), je partage la conclusion du juge que l’étalage des produits constitue une activité de promotion protégée par la liberté d’expression et qu’il y a donc ici une atteinte.

[298]    Je suis toutefois d’avis que l’obligation que l’étalage des produits ne puisse être vu de l’extérieur de la boutique se justifie, et ce, essentiellement pour les motifs exposés ci-dessus. Cette réglementation vise à éviter que l’étalage permette de contourner le paragraphe 24(9) de la Loi sur le tabac et constitue un moyen indirect d’assurer la promotion de ces produits, notamment envers les jeunes. Je note d’ailleurs que cette interdiction se retrouve dans un grand nombre de législations provinciales[300].

[299]    Pour ces motifs, je suis d’avis que le paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac est valide et qu’il y a lieu d’intervenir sur ce point.

C.   Mesure réparatrice

8) Le juge erre-t-il en refusant d’octroyer à l’AQV les frais de justice et un remboursement partiel des frais engagés pour la défense de ses droits constitutionnels et accordant un délai de suspension de six mois à la déclaration d’invalidité?

[300]    Compte tenu de mes conclusions quant au sort de l’appel principal et de l’appel incident, il n’est pas nécessaire de statuer sur la question de la suspension de la déclaration du caractère inopérant des dispositions législatives et réglementaires contestées.

[301]    L’AQV demande à la Cour de condamner le PGQ aux frais de justice, de même qu’à une compensation partielle de 65 000 $ pour ses honoraires d’avocats et autres frais engagés dans la contestation constitutionnelle en Cour supérieure et en Cour d’appel selon les critères établis, notamment dans l’arrêt Carter[301].

[302]    Toujours en raison de mes conclusions précédentes, cette demande doit être rejetée. Toutefois, compte tenu de la nature constitutionnelle du débat et du fait que les questions soulevées par l’AQV et l’ACV étaient non seulement sérieuses, mais ont contribué à un débat public important et dépassant l’intérêt des seules parties, je propose que chaque partie supporte ses propres frais[302].

[303]    En ce qui concerne les annexes conjointes, c’est le PGQ qui, pour l’instant, en a assumé les coûts. À défaut d’obtenir l’ensemble des frais de justice, il demande que ceux-ci soient partagés en parts égales entre les parties.

[304]    Je propose qu’il soit fait droit à cette demande, mais en écartant la Société canadienne du cancer du partage. Bien qu’elle ait, comme les autres parties, utilisé ces annexes conjointes, son intervention est postérieure à leur constitution et n’a donc pas eu voix au chapitre lors de leur conception. De plus, je rappelle que celle-ci a demandé et obtenu l’autorisation d’intervenir à titre amical[303], ce qui ne lui donne pas le statut de partie à l’instance[304].

[305]    Si ces éléments ne sont pas en soi déterminants, ils contribuent à justifier que la Société canadienne du cancer ne participe pas au coût des annexes conjointes. Celui-ci sera donc partagé en trois parts égales entre le PGQ, l’AQV (incluant Mme Gallant) et l’ACV.

VI - CONCLUSION

[306]    Pour ces motifs, je propose de déclarer admissible le rapport de l’OMS de 2019, d’accueillir l’appel principal et de rejeter l’appel incident. Considérant la nature du dossier, je propose que chaque partie paie ses frais, sauf pour ce qui est de la préparation des annexes conjointes, dont le coût devra être partagé en trois parts égales entre le PGQ, l’AQV et l’ACV, excluant l’intervenante.

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 



[1]     RLRQ, c. L-6.2.

[2]     RLRQ, c. L-6.2, r.1.

[3]     L.Q. 2015, c. 28.

[4]     Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (« Charte canadienne »), art. 7.

[5]     Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (« Charte québécoise »), art. 1.

[6]     Charte canadienne, alinéa 2b) et Charte québécoise, art. 3.

[7]     Ce n’est pas le seul moyen. L’on retrouve également la diffusion par tabac chauffé, notamment l’iQos, ou encore par le tabac prisé, dont le snus, lequel est la principale forme de tabac utilisée par les Suédois (pièce P-38 : « Institut de cardiologie de Montréal, Le point sur la cigarette électronique comme outils de réduction des dommages liés au tabagisme, 11 décembre 2017 »,  A.C., vol. 6, p. 1791). Les statistiques de cancer des utilisateurs de snus tendent à démontrer que, plus que le tabac lui-même, c’est sa combustion qui serait particulièrement nocive. Dr Gaston Ostiguy réfère à cet élément dans son rapport (pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1682). Voir aussi pièce P-35a) : « Rapport d’expertise de Jacques Le Houezec (Santé publique et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 6, p. 1733).

[8]     Voir pièce PC-16.2 : « David Sweanor, Philip Alcabes & Ernest Drucker, “Tobacco harm reduction: How rational public policy could transform a pandemic” (2007) 18 International Journal of Drug Policy 70 », A.C., vol. 10, p. 3499 et s.

[9]     Voir pièce D-52 : « Rapport du Dr Alain Desjardins daté du 16 novembre 2017 », A.C., vol. 20, p. 7784 et pièce D-53 : « Rapport du Dr Timothy Dewhirst daté du 16 novembre 2017 », A.C., vol. 20, p. 7848.

[10]    Ce débat est bien présenté dans un article déposé comme pièce D-42 : « Tobacco harm reduction : the devil is in the deployment », A.C., vol. 20, p. 7668 et s.

[11]    L.Q., 1986, c. 13 (RLRQ, c. P-38.01).

[12]    L.Q., 1998, c. 33 (RLRQ, c. T-0.01).

[13]    Déclaration sous serment du Dr Horacio Arruda, du 2 octobre 2017, A.C., vol. 1, p. 213, paragr. 14.

[14]    Pièce D-16 : « Mise en garde de juin 2012 du Directeur national de la santé publique, ainsi que celle de Santé Canada, en liasse », A.C., vol. 15, p. 5819-5821.

[15]    Pièce D-17 : « Rapport de l’INSPQ, « La cigarette électronique, État des connaissances », A.C., vol. 15, p. 5826 et s.

[16]    Pièce D-18 : « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5861-5862, paragr. 2.

[17]    L.R.C. (1985), ch. F-27.

[18]    Pièce P-1 : « Avis de Santé-Canada », A.C., vol. 3, p. 484.

[19]    Pièce P-2 : « Avis de Santé Canada (Mise à jour) », A.C., vol. 3, p. 486 et s.

[20]    Dont le titre abrégé est Loi sur le tabac et les produits de vapotage, L.C. 1997, ch. 13.

[21]    Le Règlement sur la promotion des produits de vapotage, DORS/2020-143 [Règlement fédéral].

[22]    Association canadienne du vapotage c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 3801.

[23]    Association canadienne du vapotage c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 4338, requête pour permission d’appeler rejetée, 10 novembre 2017, 2017 QCCA 1780 (Vauclair, j.c.a.).

[24]    C’est-à-dire les paragraphes 2(1) et (12), 24(4), (8) et (9) et l’art. 24 alinéa 3 de la Loi sur le tabac et le paragraphe 6.4(2) du Règlement sur le tabac.

[25]    Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5.

[26]    Association québécoise des vapoteries c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 1644 [jugement entrepris].

[27]    Procureure générale du Québec c. Association québécoise des vapoteries, 2019 QCCA 2209 [Gagné, j.c.a.].

[28]    Jugement entrepris, paragr. 3, 31 et 371.

[29]    Jugement entrepris, paragr. 150, 274 et 275.

[30]    Jugement entrepris, paragr. 150.

[31]    Jugement entrepris, paragr. 227-229.

[32]    Jugement entrepris, paragr. 242-244.

[33]    Jugement entrepris, paragr. 326.

[34]    Procureure générale du Québec c. Association québécoise des vapoteries, 2019 QCCA 1872.

[35]    Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22 [Banque de l’Ouest]. La Cour suprême a réitéré ces enseignements dans : Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11 [Renvois sur les gaz à effet de serre]; Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17 [Renvoi sur la non-discrimination]; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66 [Renvoi sur les valeurs mobilières]; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61 [Renvoi sur la procréation assistée]. Voir également les arrêts récents de notre Cour dans Procureur général du Québec c. Association canadienne des télécommunications sans fil, 2021 QCCA 730, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, n39774 et Procureur général du Québec c. Murray-Hall, 2021 QCCA 1325 [Murray-Hall].

[36]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 23 et 24.

[37]    Renvois sur les gaz à effet de serre, supra, note 35, paragr. 52.

[38]    Ibid.

[39]    Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 463, no VI-2.30.

[40]    Ibid.

[41]    H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, supra, note 39, p. 465, no VI-2.38.

[42]    H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, supra, note 39, p. 466, no VI-2.40.

[43]    Renvois sur les gaz à effet de serre, supra, note 35, paragr. 56.

[44]    Peter W. Hogg et Wade Wright, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour en juillet 2021, version 1), §15 :5, p. 15-8 et s. et §15 :7, p. 15-13 et s.

[45]    Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23, paragr. 39 [Rogers].

[46]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 77.

[47]    Voir notamment : Renvoi sur la non-discrimination, supra, note 35, paragr. 22; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, paragr. 62-65 [PHS].

[48]    Renvoi sur les valeurs mobilières, 35, paragr. 57.

[49]    Renvoi sur la non-discrimination, supra, note 35, paragr. 22.

[50]    Murray-Hall, supra, note 35, paragr. 95.

[51]    Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, paragr. 91 [Desgagnés].

[52]    PHS, supra, note 47, paragr. 58.

[53]    PHS, supra, note 47, paragr. 59.

[54]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 48 et s.; Rogers, supra, note 45, paragr. 59.

[55]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 41.

[56]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 67.

[57]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, voir aussi paragr. 74.

[58]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, voir aussi paragr. 75.

[59]    Ibid.

[60]    Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, paragr. 30 [PGQ c. PGC]. Voir également : Murray-Hall, supra, note 35, paragr. 38 et s.

[61]    La Loi sur le tabac, art. 29.2 et 29.3.

[62]    Renvois sur les gaz à effet de serre, supra, note 35, paragr. 53; Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, paragr. 25. Voir aussi: H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, supra, note 39, p. 463, nVI-2.30.

[63]    Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, paragr. 26.

[64]    O'Grady c. Sparling, [1960] R.C.S. 804.

[65]    Pièce D-19 : « Mémoire du Directeur national de santé publique », A.C., vol. 16, p. 5892 et s. Le Dr Arruda réitère cette opinion lors de son interrogatoire (voir A.C., vol. 34, p. 13007-13008).

[66]    Pièce D-19 : « Mémoire du Directeur national de santé publique », A.C., vol. 16, p. 5892.

[67]    Jugement entrepris, paragr. 210.

[68]    Journal des débats de l’Assemblée nationale, 41e lég., 1re sess., vol. 44, n° 131, 24 novembre 2015, p. 8054 (L. Charlebois).

[69]    Murray-Hall, supra, note 35, paragr. 85.

[70]    Nicole Duplé, Droit constitutionnel: principes fondamentaux, 7e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2018, p. 380 et 480. Voir également P. W., Hogg, supra, note 44, § 32 :1, p. 32-1 et s.

[71]    P. W., Hogg, supra, note 44, § 18 :5, p. 18-17 et 18-18; RJR - MacDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199 [RJR].

[72]    Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13 [Rothmans].

[73]    Schneider c. R. (Colombie-Britannique), [1982] 2 R.C.S. 112.

[74]    Id., p. 137.

[75]    Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, paragr. 16-24 [Chaoulli].

[76]    Loi fédérale, art. 30.2.

[77]    Loi fédérale, art. 30.5.

[78]    Loi fédérale, paragr. 46(2) et art. 47.

[79]    Renvois sur les gaz à effet de serre, supra, note 35, paragr. 50.

[80]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 43.

[81]    PHS, supra, note 47, paragr. 68.

[82]    Banque de l’Ouest, supra, note 35, paragr. 77-78; Desgagnés, supra, note 51, paragr. 93.

[83]    RJR, supra, note 71, paragr. 33.

[84]    Rothmans, supra, note 72.

[85]    Jugement entrepris, paragr. 247.

[86]    Rothmans, supra, note 72, paragr. 24.

[87]    Rothmans, supra, note 72.

[88]    Règlement fédéral, alinéa 1(2)c).

[89]    Loi sur le tabac, paragr. 24(8).

[90]    Loi sur le tabac, art. 14.1.

[91]    Loi fédérale, paragr. 9(1) et (2) (implicitement).

[92]    Alberta (Procureur général) c. Moloney, 2015 CSC 51, paragr. 26; Renvoi sur la procréation assistée, supra, note 35, paragr. 38; PGQ c. PGC, supra, note 60, paragr. 18-19; Renvoi sur la non-discrimination, supra, note 35, paragr. 25.

[93]    Rothmans, supra, note 72, paragr. 19. Voir également : Murray-Hall, supra, note 35, paragr. 137 et s.

[94]    Loi fédérale, art. 30.1.

[95]    Loi fédérale, art. 30.2.

[96]    Loi fédérale, paragr. 30.21(1).

[97]    Loi fédérale, paragr. 30.43(1).

[98]    Loi fédérale, paragr. 30.43(2).

[99]    Gazette du Canada, Partie I, vol. 153, no 51, p. 4463 et s.

[100] Gazette du Canada, Partie I, vol. 153, no 51, p. 4464-4465.

[101] Pièce D-81 : « Débats parlementaires sur le Projet de loi S-5 du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie et du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes », A.C, vol. 30, p. 11824.

[102] Pièce P-20 : « Santé-Canada, Projet de loi S-5: un survol, août 2017 », A.C., vol. 4, p. 1247 et s.

[103] Voir jugement entrepris, paragr. 190 et 292 à 295.

[104] R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, paragr. 10 [Levkovic].

[105] Id., paragr. 32.

[106] Villeneuve c. Ville de Montréal, 2018 QCCA 321, paragr. 87.

[107] Levkovic, supra, note 104, paragr. 34.

[108] L’AQV réfère notamment au Renvoi sur la procréation assistée, supra, note 35.

[109] Et non pas au simple fait de traiter de la cigarette électronique dans la même loi que le tabac.

[110] Jugement entrepris, paragr. 300.

[111] On retrouve cette opposition à la politique législative, que je qualifierais de philosophique, à de nombreux endroits dans la preuve. C’est ainsi, par exemple, que Jacques Le Houezec, lors de son témoignage, exprime l’idée que l’on ne peut vendre le poison et l’antidote au même endroit (A.C., vol. 35, p. 13477). De même, plusieurs rapports d’experts y réfèrent : Gaston Ostiguy, pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1683 : « Il est inacceptable et même immoral de rendre aussi difficile l’accès à un produit 95 % moins dangereux que la cigarette de tabac qui elle, est facilement accessible »; Mark Tyndall, pièce PC-9 : « Rapport d’expertise du Dr. Mark Tyndall (En annexe, pièces R-9.1 à R-9.25 correspondant aux documents cités par le biais des références 1 à 25 du rapport) », A.C., vol. 6, p. 2069 : « We should also set up a regulatory framework that promotes safe products that deliver the intended doses of nicotine and have minimal or no toxic by-products. It is also critical to provide accurate information around the potential harms of vaping in comparison to cigarette smoking and not to be forced to present the two products as being one and the same. » ou encore David T. Sweanor, pièce PC-16 : « Rapport d’expertise du Professeur David T. Sweanor (en annexe, pièces PC-16.1 à PC-16.45 correspondant aux documents cités dans le rapport) », A.C., vol. 10, p. 3477: « Yet the move to lower risk alternatives to combustible tobacco products cannot be accomplished if key information about these alternatives is kept from members of the public in the first place. Unfortunately, this is a likely consequence of indistinguishable regulatory treatment of combustible and non-combustible nicotine products, particularly when it comes to the standards imposed on the advertising and promotion of such products ».

[112] C’est ce que laisse penser, notamment, l’Association des cardiologues du Québec dans un mémoire portant sur la Loi de 2015, pièce PC-5 : « Mémoire présenté par l’Association des cardiologues du Québec de l’Institut de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie du Québec - Université Laval, à la Commission de la santé et des services sociaux pour l’étude du Projet de Loi 44 : “Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme”, juin 2015 », A.C., vol. 6, p. 1985 et s.

[113] Jugement entrepris, paragr. 321.

[114] Jugement entrepris, paragr. 325.

[115] Jugement entrepris, paragr. 322.

[116] Allard c. Canada, 2016 CF 236 [Allard].

[117] Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford].

[118] Jugement entrepris, paragr. 326.

[119] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 [Oakes].

[120] Jugement entrepris, paragr. 330.

[121] Jugement entrepris, paragr. 333.

[122] Jugement entrepris, paragr. 338.

[123] Jugement entrepris, paragr. 340.

[124] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 [St-Ferdinand].

[125] Notamment dans : Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358 [Imperial Tobacco].

[126] Chaoulli, supra, note 75.

[127] R. c. Smith, 2015 CSC 34 [Smith]; Allard, supra, note 116.

[128] PHS, supra, note 47; Bedford, supra, note 117; Smith, supra, note 127.

[129] St-Ferdinand, supra, note 124.

[130] Id., paragr. 97.

[131] Jugement entrepris, paragr. 321 et 326.

[132] Allard, supra, note 116.

[133] Tel que ce fut le cas, par exemple, dans R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, p. 59 et 105-106 ou Chaoulli, supra, note 75, paragr. 43 et 118-119.

[134] Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, paragr. 64-70 [Carter].

[135] Smith, supra, note 127.

[136] Smith, supra, note 127, paragr. 20.

[137] DORS/2001-227.

[138] Allard, supra, note 116, paragr. 15. Il s’avère que, selon la preuve, « [d]es souches différentes produisent des effets différents ou les patients et ont des taux d’efficacité différents, et ce, selon les personnes et leur état de santé » (paragr. 88).

[139] PHS, supra, note 47, paragr. 136.

[140] Bedford, supra, note 117, paragr. 60.

[141] Bedford, supra, note 117, paragr. 88.

[142] Jugement entrepris, paragr. 325.

[143] Jugement entrepris, paragr. 322.

[144] Par exemple, les témoignages de Michel Grenier (pour l’AQV) et Christina Xydous (pour l’ACV).

[145] Pièce PC-5 : «  Mémoire présenté par l’Association des cardiologues du Québec de l’Institut de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie du Québec - Université Laval, à la Commission de la santé et des services sociaux pour l’étude du Projet de Loi 44 : “Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme”, juin 2015 », A.C., vol. 6, p. 1992.

[146] Jacques Le Houezec, pièce P-35a) : « Rapport d’expertise de Jacques Le Houezec (Santé publique et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 6, p. 1745; témoignage du Dr Gaston Ostiguy, A.C., vol. 37, p. 13747, 13751-13753 (suivis sur plusieurs mois, voire années).

[147] Bedford, supra, note 117, paragr. 75 et s.

[148] Toussaint c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 213, paragr. 78 et 79, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 5 avril 2012, no 34446.

[149] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 104, 111, 112 et 203.

[150] Voir, notamment Chaoulli, supra, note 75 paragr. 60.

[151] Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 769-771 [Ford].

[152] Chaoulli, supra, note 75 paragr. 47-48.

[153] Ce qui en l’espèce ne pose pas de difficulté, puisque les mesures contestées sont des dispositions législatives.

[154] Ontario (Procureur général) c. G., 2020 CSC 38, paragr. 71; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, paragr. 39 [Frank]; Oakes, supra, note 119, p. 137.

[155] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 990 [Irwin Toy].

[156] Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, paragr. 91 [Thomson].

[157] Jugement entrepris, paragr. 330.

[158] Danielle Pinard, « Incertitude et risques: la preuve en matière constitutionnelle », dans Joost Blom et Hélène Dumont (dir.), Science, vérité et justice = Science, Truth and Justice, Montréal, Thémis, 2001, p. 65, aux pages 73-74 [D. Pinard « Incertitude et risques »]. Voir également : Danielle Pinard, « Les principes de preuve en matière de contrôle de constitutionnalité vus sous l’angle d’un exercice de gestion de risques », dans Commission du droit du Canada, Le droit et le risque : Mémoires du concours perspectives juridiques 2003, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, 181; Danielle Pinard, « La rationalité législative, une question de possibilités ou de probabilités? Commentaire à l’occasion de l’affaire du tabac », (1994) 39 R.D. McGill 401; Danielle Pinard, « La promesse brisée de Oakes », dans Luc B. Tremblay et Grégoire C. N. Webber (dir.), La limitation des droits de la Charte : essais critiques sur l’arrêt R. c. Oakes/The limitation of charter rights : critical essays on R. v. Oakes, Montréal, Thémis, 2009, p. 131.

[159] Pinard « Incertitude et risques », supra, note 158, p. 74.

[160] Voir les témoignages du Dr Arruda, A.C., vol. 34, p. 12986 et s. et de Robert Schwartz, A.C., vol. 36, p. 13673-13677.

[161] Carter, supra, note 134, paragr. 97.

[162] Thomson, supra, note 156, p. 941 et 942.

[163] RJR, supra, note 71, paragr. 154; Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, paragr. 78 [Harper].

[164] Harper, supra, note 163, paragr. 77; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, paragr. 85 [Sharpe].

[165] D. Pinard « Incertitude et risques », supra, note 158, p. 77 [renvoi omis].

[166] Irwin Toy, supra, note 155, p. 990.

[167] Irwin Toy, supra, note 155, p. 993.

[168] Pièce P-34c) : « Complément d’expertise de Jacques Le Houezec », A.C., vol. 5, p. 1715.

[169] Pièce PC-16 : « Rapport d’expertise du Professeur David T. Sweanor (en annexe, pièces PC-16.1 à PC-16.45 correspondant aux documents cités dans le rapport) », A.C., vol. 10, p. 3473.

[170] Voir, par exemple, le rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy dans lequel on lit: « Il est inacceptable et même immoral de rendre aussi difficile l'accès à un produit 95% moins dangereux que la cigarette de tabac qui elle est facilement accessible. » (pièce P-34a : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1683). 

[171] Témoignages du Dr Arruda, A.C., vol. 34, p. 13038-13039.

[172] Voir les témoignages du Dr Arruda, A.C., vol. 34, p. 12986 et s. et de Robert Schwartz, A.C., vol. 36, p. 13673-13677.

[173]  Voir Rapport intitulé « Public Health Consequences of E-Cigarettes », The National Academies of Sciences, Engineering and Medicine, 2018 », A.C., vol. 40, p. 15115.

[174] Rapport intitulé « Public Health Consequences of E-Cigarettes », The National Academies of Sciences, Engineering and Medicine, 2018, A.C., vol. 40, p. 15114.

[175] RJR, supra, note 71, paragr. 136.

[176] Voir le rapport de Robert Schwartz, A.C., vol. 21, p. 7955. Voir aussi D. Pinard « Incertitude et risques », supra, note 158.

[177] Jugement entrepris, paragr. 338.

[178] Jugement entrepris, paragr. 3.

[179] Jugement entrepris, paragr. 150.

[180] Les parties l’admettent elles-mêmes : « Tous les experts admettront que la cigarette électronique n’est pas totalement sans risque », Mémoire de l’AQV, paragr. 27. L’ACV admet que son innocuité ne peut être établie (mémoire de l’ACV, paragr. 5) et que les effets à long terme du vapotage ne peuvent être déterminés (mémoire de l’ACV, paragr. 22).

[181] D. Pinard « Incertitude et risques », supra, note 158.

[182] Dans l’arrêt Sharpe, supra, note 164, la Cour suprême souligne que l’on ne peut astreindre « le législateur à une norme de preuve plus rigoureuse que ne le permet le sujet en question », paragr. 89.

[183] Après avoir affirmé le contraire dans RJR, supra, note 71, paragr. 141, la Cour a modifié sa jurisprudence sur ce point, dans Bedford, supra, note 117, paragr. 49.

[184] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 87.

[185] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 95.

[186] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 107. Voir aussi : Truchon c. Procureur général du Canada, 2019 QCCS 3792, paragr. 607.

[187] Voir PC-6(b) : « Public Health England, E-Cigarettes: An Evidence Update, 2015 », A.C., vol. 3, p. 517 et s.

[188] Cette donnée toutefois est contestée par certains; voir pièces D-21 : « Editorial E-cigarettes : Public Health England’s evidence-based confusion », A.C., vol. 16, p. 5961 et D-52 : « Rapport du Dr Alain Desjardins daté du 16 novembre 2017 », A.C., vol. 20, p. 7770-7771.

[189] Voir les différents rapports de l’OMS, notamment celui de 2014 (pièce D-18 : « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5861 et s.) et celui intitulé « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 102 et s.

[190] « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », Mémoire de l’intimé incident, p. 102.

[191] Jugement entrepris, paragr. 331.

[192] D. Pinard « Incertitude et risques », supra, note 158, p. 70 à la note 6.

[193] Voir notamment : R. v. Michaud, 2015 ONCA 585, paragr. 126, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 5 mai 2016, no 36706.

[194] Pillbox 38 (UK) Ltd. c. Secretary of State for Health, C-477/14. La décision est disponible en ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62014CJ0477. Cette affaire présente de fortes similarités avec la nôtre, en ce que s’y affrontaient les deux mêmes façons de concevoir la cigarette électronique. D’une part, Pillbox invoquait le caractère moins nocif de la cigarette électronique, alors que le Secrétaire d’État de la Santé du Royaume-Uni, qui souhaitait introduire la directive européenne dans son droit national, opposait les risques inconnus et son rôle incertain quant au sevrage tabagique. Devant la preuve, la Cour conclut que « le législateur de l’Union devait tenir compte du principe de précaution, selon lequel, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives » (paragr. 55).

[195] Voir sur ce point : Di Cienzo v. Attorney General of Ontario, 2020 ONSC 4347, paragr. 280.

[196] Carter, supra, note 134, paragr. 99; RJR, supra, note 71, paragr. 153.

[197] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, paragr. 48 [Hutterian].

[198] Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, paragr. 149. Voir aussi Procureur général du Canada c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCO-SACC-CSN), 2019 QCCA 979, paragr. 46 [Union], demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 13 février 2020, n38777.

[199] Carter, supra, note 134, paragr. 100.

[200]  Voir : rapports de Gaston Ostiguy (pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 »), A.C., vol. 5, p. 1681; pièce P-35a) : « Rapport d’expertise de Jacques Le Houezec (Santé publique et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 6, p. 1739; pièce P-12 : « Santé Canada, Saisir l’occasion : l’avenir de la lutte contre le tabagisme au Canada », A.C., vol. 4, p. 1082 (pas de preuve).

[201] Rapport de l’OMS 2019 « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 103. Voir aussi : rapport de l’OMS 2014, pièce PC-9.20 : « World Health Organization. Electronic nicotine delivery systems. Conference of the Parties to the WHO Framework Convention on Tobacco Control, 2014 », A.C., vol. 9, p. 3269 et 3270; rapport de l’OMS 2016, pièce D-38 : « Inhalateurs électroniques de nicotine et inhalateurs électroniques ne contenant pas de nicotine - Rapport de l’OMS », A.C., vol. 20, p. 7637 (source de contamination néfaste de l’air par des « particules fines et ultrafines ainsi que le propanediol, certains composés organiques volatils et métaux lourds et la nicotine ». Ce danger est particulièrement important pour une population qui a des prédispositions respiratoires); pièce D-18 : « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5865-5867; pièce D-20 : « Rapport intitulé “Vapotage : Vers l’établissement d’un cadre réglementaire sur les cigarettes électroniques“ », A.C., vol. 16, p. 5920; pièce D-23 : « A systematic review of the health risks from passive exposure to electronic cigarette vapour », A.C., vol. 16, p. 5978 et s.; pièce D-24 : « Emissions from Electronic Cigarettes : Key Parameters Affecting the Release of Harmful Chemicals », A.C., vol. 16, p. 5987 et s.; pièce D-52 : « Rapport du Dr Alain Desjardins daté du 16 novembre 2017 », A.C., vol. 20, p. 7773; pièce D-54 : « Rapport du Dr Robert Schwartz daté du 21 novembre 2017 », A.C., vol. 21, p. 7950 et 7951.

[202] Voir pièce D-46 : «  Étude « Passive exposure to electronic cigarette use increase desire for combustible and e-ciagrettes in young adult smokers », A.C., vol. 20, p. 7696 et s.; pièce D-20 : « Rapport intitulé “Vapotage : Vers l’établissement d’un cadre réglementaire sur les cigarettes électroniques“ », A.C., vol. 16, p. 5937.

[203] Frank, supra, note 154, paragr. 66; Carter, supra, note 134, paragr. 102; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, paragr. 149; RJR, supra, note 71, paragr. 160.

[204] Hutterian, supra, note 197, paragr. 53.

[205] Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, paragr. 101 [Whatcott].

[206] RJR, supra, note 71, paragr. 160. Voir au même effet : Frank, supra, note 154, paragr. 66; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc., 2005 CSC 62, paragr. 94 [Ville de Montréal].

[207] Hutterian, supra, note 197, paragr. 53.

[208] Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, paragr. 43 [JTI]. Voir aussi Irwin Toy, supra, note 155, p. 993-994; RJR, supra, note 71, paragr. 135; Union, supra, note 198, paragr. 51 et Tobacco Control Regulation, B.C. Reg. 232/2007, art. 4.23(2)c).

[209] Smoke-Free Ontario Act, 2017, S.O. 2017, sched 3, art. 12 et Ontario Regulation 268/18. General, art  32; Tobacco and Vapour Products Control Act, RSBC 1996, c. 451, art. 2.2(3.1).

[210] Témoignage de Robert Schwartz, A.C., vol. 36, p. 13682-13684.

[211] JTI, supra, note 208, paragr. 138.

[212] Manitoba : The Smoking and Vapour Products Control Act, C.C.S.M., c. S150, art. 4.1; Saskatchewan: The Tobacco and Vapour Products Control Act, S.S. 2001, c T-14.1, paragr. 11(3)(c.1) et Tobacco and Vapour Products Control Regulations, R.R.S. c. T-14.1, reg 1.

[213] Alberta :Tobacco, Smoking and Vapoting Reduction Act, S.A., 2005, c .T-3.8, art. 3 et 5; Nouveau-Brunswick : Loi sur les endroits sans fumée, L.R.N.-B. 2011, c. 222, art. 3 et s.; Île-du-Prince-Édouard : Smoke-free Places Act, R.S.P.E.I. 1988, c. S-4.2, art. 4; Nouvelle-Écosse : Smoke-free Places Act, S.N.S. 2002, c. 12, paragr. 5(1) j); Terre-Neuve : Smoke-free Environment Act, 2005, S.N.L. 2005, c. S-16, paragr. 4(1)(m).

[214] Jugement entrepris, paragr. 336.

[215] Oakes, supra, note 119, p. 140.

[216] Rapport d’expertise de Mark Tyndall, pièce PC-9 : « Rapport d’expertise du Dr. Mark Tyndall (En annexe, pièces R-9.1 à R-9.25 correspondant aux documents cités par le biais des références 1 à 25 du rapport) », A.C., vol. 6, p. 2063 (quoiqu’il admette qu’il n’y a pas d’étude déterminante sur ce sujet, p. 2068); pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1673 et s.; pièce PC-12 : « Santé Canada, Saisir l’occasion : l’avenir de la lutte contre le tabagisme au Canada », A.C., vol. 9, p. 3418 et s.; pièce PC-5 : « Mémoire présenté par l’Association des cardiologues du Québec de l’Institut de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie du Québec - Université Laval, à la Commission de la santé et des services sociaux pour l’étude du Projet de Loi 44 : “Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme“, juin 2015 », A.C., vol. 6, p. 1990.

[217] Rapport d’expertise de Robert Schwartz, pièce D-54 : « Rapport du Dr Robert Schwartz daté du 21 novembre 2017 », A.C., vol. 21, p. 7941 et s. (les études ne sont pas claires, si certains cessent de fumer, beaucoup deviennent des utilisateurs à la fois de la cigarette électronique et du tabac); pièce D-52 : « Rapport du Dr Alain Desjardins daté du 16 novembre 2017 », A.C., vol. 20, p. 7764 et 7781 (qui va jusqu’à suggérer que la cigarette électronique pourrait être néfaste dans certains cas, voire également avoir un éventuel effet négatif); pièce D-30 : « E-Cigarette Use in the Past and Quitting Behavior in the Future », A.C., vol. 17, p. 6496 et s. Plusieurs sources constatent qu’a priori, il pourrait y avoir un lien positif, mais qu’il manque encore des études définitives : pièce P-9 : INSPQ, Cigarette électronique, état de la situation, Mai 2013, A.C., vol. 3, p. 888; pièce P-25 : « Dr Ricardo Polosa, Electronic Cigarette Use and harm reversal: emerging evidence in the lung, BMC Medecine, 18-3-2015 », A.C., vol. 5, p. 1522 et s.; et pièce D-28 : « Electronic Cigarettes for Smoking Cessation », A.C., vol. 17, p. 6480 et s.

[218] « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 103.

[219] Témoignage du Dr Arruda, A.C., vol. 34, p. 13028-13032.

[220] Pièce P-38 « Institut de cardiologie de Montréal, Le point sur la cigarette électronique comme outils de réduction des dommages liés au tabagisme, 11 décembre 2017 », A.C., vol. 6, p. 1790 et s.

[221] Pièce P-6b) « Public Health England, E-Cigarettes: An Evidence Update, 2015 », A.C., vol. 3, p. 517 et s.

[222] Voir pièce D-21 « Editorial E-cigarettes : Public Health England’s evidence-based confusion », A.C., vol. 16, p. 5961 et s. et le témoignage du Dr A. Desjardins, A.C., vol. 37, p. 13962-13968.

[223] Sur ceux-ci, voir, notamment, le rapport de l’OMS de 2019 « « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 103.

[224] Voir par exemple pièce PC-12 «Santé Canada, Saisir l’occasion : l’avenir de la lutte contre le tabagisme au Canada », A.C., vol. 9, p. 3418 et s.; pièce D-25 « Rapport Surgeon general », A.C., vol. 16, p. 6128; pièce D-18 « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5861 et s.; pièce D-54 « Rapport du Dr Robert Schwartz daté du 21 novembre 2017 », A.C., vol. 21, p. 7947; ainsi que le témoignage du Dr Tyndall, A.C., vol. 35, p. 13610.

[225] Témoignage du Dr Desjardins, A.C., vol. 37, p. 13945-13950; pièce D-18 « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5861 et s.; pièce D-38 «Inhalateurs électroniques de nicotine et inhalateurs électroniques ne contenant pas de nicotine - Rapport de l’OMS », A.C., vol. 20, p. 7635. 

[226] Mémoire de l’AQV, paragr. 43, p. 18-19. Le rapport d’expertise du Dr Tyndall reprend aussi cette idée (pièce PC-9, A.C., vol. 6, p. 2063).

[227] Pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1681; pièce PC-9 : « Rapport d’expertise du Dr. Mark Tyndall (En annexe, pièces R-9.1 à R-9.25 correspondant aux documents cités par le biais des références 1 à 25 du rapport) », A.C., vol. 6, p. 2066; témoignage de Jacques Le Houezec, A.C., vol. 35, p. 13479 et s.; pièce PC-5 : « Mémoire présenté par l’Association des cardiologues du Québec de l’Institut de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie de Montréal et l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie du Québec - Université Laval, à la Commission de la santé et des services sociaux pour l’étude du Projet de Loi 44 : “Loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme“, juin 2015 », A.C., vol. 6, p. 1990.

[228] Voir notamment : le rapport de l’OMS de 2019 « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 102 et 103; D-18 : « Rapport de l’OMS 2014, “Inhalateurs électroniques de nicotine” », A.C., vol. 16, p. 5868 et s.; pièce D-19 : « Mémoire du Directeur national de santé publique », A.C., vol. 16, p. 5891; pièce D-31 « Electronic Cigarettes and conventional Cigarette use among us adolescents a cross sectional Study », A.C., vol. 17, p. 6503 et s.

[229] Cette interdiction existe également dans la Loi fédérale, art. 30.5.

[230] Sur le frein économique à la cigarette électronique, voir le témoignage de Michel Grenier, A.C., vol. 33, p. 12753 et s.

[231] Lamontagne c. Corp. professionnelle des médecins du Québec, J.E. 98-648 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 12 novembre 1998, no 26633.

[232] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 106.

[233] Id., paragr. 34 (motifs de la j. Deschamps), citant avec approbation la juge de première instance (Chaoulli c. Québec (Procureure générale), [2000] R.J.Q. 786 (C.S.)).

[234] Chaoulli, supra, note 75, paragr. 123.

[235] Id., paragr. 34 (motifs de la j. Deschamps). Voir également sur cette question : Allard, supra, note 116, paragr. 204 à 210.

[236] Jugement entrepris, paragr. 349.

[237] Règlement sur la mise en garde attribuée au ministre de la Santé et des Services sociaux et portant sur les effets nocifs du tabac sur la santé, RLRQ, c. L-6.2, r. 2.

[238] Jugement entrepris, paragr. 349.

[239] Jugement entrepris, paragr. 371.

[240] Jugement entrepris, paragr. 367.

[241] Jugement entrepris, paragr. 374.

[242] Loi fédérale, paragr. 30.43 (2) et (3).

[243] Ford, supra, note 151, p. 748.

[244] Ville de Montréal c. Astral Media Affichage, 2019 QCCA 1609, paragr. 103 [Ville de Montréal], demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 7 mai 2020, no 38911. La Cour cite avec approbation le paragraphe 126 du jugement de première instance (2016 QCCS 4541).

[245] Irwin Toy, supra, note 155, p. 968.

[246] R. c. Guignard, 2002 CSC 14, paragr. 20 [Guignard].

[247] JTI, supra, note 208, paragr. 34; Irwin Toy, supra, note 155, p. 967.

[248] Guignard, supra, note 246, paragr. 21.

[249] Toronto c. Ontario (P.G.), 2021 CSC 34, paragr. 16 [Toronto].

[250] Irwin Toy, supra, note 155, p. 967 et 971. Voir aussi Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, paragr. 33 [Radio-Canada]; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, paragr. 19.

[251] Irwin Toy, supra, note 155; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59.

[252] Pour établir qu’une activité est protégée, le demandeur n’a donc pas à établir qu’il a effectivement transmis un message, mais uniquement qu’il avait pour but de transmettre un message : Radio-Canada, supra, note 250, paragr. 34.

[253] Irwin Toy, supra, note 155, p. 969. La Cour suprême a récemment réitéré ce critère : Toronto, supra, note 249, paragr. 14.

[254] Irwin Toy, supra, note 155, p. 968.

[255] Irwin Toy, supra, note 155, p. 969.

[256] Irwin Toy, supra, note 155, p. 970.

[257] JTI, supra, note 208, paragr. 60.

[258] Sharpe, supra, note 164, paragr. 21.

[259] Ville de Montréal, supra, note 244, paragr. 72.

[260] Toronto, supra, note 249, paragr. 15.

[261] Irwin Toy, supra, note 155, p. 971-972.

[262] Irwin Toy, supra, note 155, p. 974 et 976.

[263] Irwin Toy, supra, note 155, p. 976.

[264] Irwin Toy, supra, note 155, p. 976.

[265] Irwin Toy, supra, note 155, p. 976.

[266] Irwin Toy, supra, note 155, p. 977. Voir par exemple Drapeau c. R., [1999] R.J.Q. 1635 (C.A.).

[267] Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, p. 187.

[268] Irwin Toy, supra, note 155, p. 980.

[269] Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232, p. 247 [Rocket]. Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326. Voir aussi Harper, supra, note 163, paragr. 10.

[270] R. c Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, paragr. 34.

[271] Thomson, supra, note 156, paragr. 91.

[272] RJR, supra, note 71, paragr. 170.

[273] Rocket, supra, note 269, p. 247.

[274] RJR, supra, note 71, paragr. 163.

[275] RJR, supra, note 71, paragr. 163; Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084, p. 1105-1106; Ford, supra, note 151, p. 772-773.

[276] Loi fédérale, art. 30.21.

[277] Pièce P-13 : « INSPQ, L’usage de la cigarette électronique chez les jeunes du secondaire 2012-2013, 2014 », A.C., vol. 4, p. 1191 et s.

[278] Pièce P-13 : « INSPQ, L’usage de la cigarette électronique chez les jeunes du secondaire 2012-2013, 2014 », A.C., vol. 4, p. 1199.

[279] Pièce D-19 : « Mémoire du Directeur national de santé publique », A.C., vol. 16, p. 5884.

[280] Pièce D-25 : « Rapport Surgeon general », A.C., vol. 16, p. 6094.

[281] Pièce P-50 : « Article du Dr Martin Juneau, Juul : la nouvelle cigarette électronique qui fait tout un tabac », A.C., vol. 6, p. 1866 et s.

[282] Voir pièce P-34a) : « Rapport d’expertise du Dr Gaston Ostiguy (Pneumologue et praticien anti-tabac) 7-9-16 », A.C., vol. 5, p. 1680 et s.

[283] Pièce D-38 : « Inhalateurs électroniques de nicotine et inhalateurs électroniques ne contenant pas de nicotine - Rapport de l’OMS », A.C., vol. 20, p. 7640.

[284] Rapport de l’OMS de 2019, « « World Health Organization, Who Report on the Global Tobacco Epidemic, 2019. Offer help to quit tobacco use », mémoire de l’intimé incident, p. 103.

[285] Voir RJR, supra, note 71, paragr. 158.

[286] Voir JTI, supra, note 208, paragr. 94.

[287] Voir pièce D-38 : « Inhalateurs électroniques de nicotine et inhalateurs électroniques ne contenant pas de nicotine - Rapport de l’OMS », A.C., vol. 20, p. 7640. L’OMS, à tort ou à raison, considère ce phénomène comme « une menace majeure pour la lutte antitabac », A.C., vol. 20, p. 7639.

[288] Voir : Imperial Tobacco, supra, note 125, paragr. 815.

[289] Règlement sur la mise en garde, supra, note 237, art. 2 alinéa 2.

[290] Jugement entrepris, paragr. 376.

[291] JTI, supra, note 208, paragr. 132.

[292] RJR, supra, note 71, paragr. 124.

[293] Jugement entrepris, paragr. 397.

[294] Jugement entrepris, paragr. 393.

[295] Irwin Toy, supra, note 155, p. 970.

[296] Irwin Toy, supra, note 155, p. 969.

[297] Rosen v. Ontario (Attorney General), (1996), 131 D.L.R. (4th) 708 (C.A. Ont.) [Rosen], demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 15 mars 1996, no 25199. Voir aussi, même si l’analogie est un peu plus lointaine, U.L. Canada inc. c. Québec (Procureur général), [2003] R.J.Q. 2729 (C.A.), qui refuse de voir une activité expressive dans le fait d’interdire la vente de la margarine de couleur jaune (paragr. 92-97), conf. par 2005 CSC 10.

[298] Rosen, supra, note 297.

[299] Jugement entrepris, paragr. 397.

[300] Voir notamment : Smoke-Free Ontario Act, 2017, S.O. 2017, c. 26, Sched. 3 art. 4.2; The Smoking and Vapour Products Control Act, C.C.S.M. c. S150, paragr. 7.3.1(1) (Manitoba); The Tobacco and Vapour Products Control Act, S.S. 2001, c. T-14.1, paragr. 6(3) et (4) (Saskatchewan); Tobacco and Vapour Products Control Act, R.S.B.C. 1996, c. 451, paragr. 2.4(1)a) (Colombie-Britannique); Loi sur les ventes de tabac et de cigarettes électroniques, L.N.-B. 1993, c. T-6.1, paragr. 6.4(2) (Nouveau-Brunswick); Tobacco and Electronic Smoking Device Sales and Access Act, R.S.P.E.I. 1988, c. T-3.1, art. 5.1 (Île-du-Prince-Édouard).

[301] Carter, supra, note 134, paragr. 133 et s.

[302] Henderson c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 565; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] R.J.Q. 1298 (C.A.), pourvoi à la Cour suprême rejeté, 2005 CSC 15.

[303] Procureure générale du Québec c. Association québécoise des vapoteries, 2019 QCCA 2209.

[304] Code de procédure civile, art. 185.

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