Deveau Avocats c. Cantley (Municipalité de) |
2016 QCCAI 258 |
Commission d’accès à l’information du Québec |
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Dossier : 1006696 |
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Date : 9 septembre 2016 |
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Membre : Me Lina Desbiens |
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Deveau avocats |
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Demandeur |
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c. |
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municipalité de cantley |
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Organisme et DUNTON RAINVILLE Tiers |
DÉCISION |
DEMANDE DE RÉVISION en matière d’accès en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1].
[1] La Commission d’accès à l’information (la Commission) est saisie d’une demande de révision du cabinet Deveau avocats (le demandeur) à la suite du refus de la Municipalité de Cantley (la municipalité) de lui donner accès à la soumission déposée par le cabinet Dunton Rainville (le tiers), qui s’est vu accorder, par la municipalité, le mandat de lui fournir des services juridiques pour l’année 2013.
[2] Une audience se tient à Gatineau le 9 mars 2016. Les parties sont présentes à l’exception de la municipalité. Le représentant de cette dernière ne pouvant être présent, il a transmis à la Commission les documents en litige sous pli confidentiel avant l’audience ainsi que ses observations aux parties. Il s’en remet au procureur du tiers quant au reste et à la Commission.
PREUVE
[3] Me Marc Tremblay du cabinet Deveau Avocats (le demandeur) a adressé une demande d’accès (T-1) à la municipalité pour obtenir les documents suivants :
1- Une copie complète de la soumission de la firme Dunton Rainville pour services juridiques auprès de la municipalité de Cantley pour l’année 2013;
2- Une copie de la résolution du conseil municipal de la municipalité de Cantley octroyant le mandat des services juridiques à la Firme Dunton Rainville;
3- Une copie du procès-verbal du conseil municipal de la municipalité de Cantley dans lequel la résolution octroyant le mandat des services juridiques à la firme Dunton Rainville, est adoptée.
[4] La municipalité lui transmet une copie de la résolution du conseil municipal, confirme qu’il n’y a pas de procès-verbal de la séance tenue à huis-clos et refuse de donner accès à la soumission au motif qu’elle est protégée par le secret professionnel et que le tiers refuse de donner accès (T-2) :
[…]
En vertu de votre demande d’accès à l’information formulée le 1er mars 2013, nous vous fournissons le document suivant :
-Une copie de la résolution du conseil municipal, adoptée lors de la séance du 12 mars dernier et portant le numéro 2013-MC-R096.
En ce qui concerne le procès-verbal du conseil, il est impossible de vous le fournir puisque la séance où cette question a été discutée a été tenue à huis-clos, alors il n’existe pas un tel document.
Finalement, en ce qui trait à la soumission de la firme Dunton Rainville nous sommes d’avis que le secret professionnel, tel que stipulé à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne s’applique, ce qui empêche donc la divulgation du document. De plus, la firme Dunton Rainville nous a fournis ses observations telles que le stipule la LAI et s’objecte à la divulgation des documents puisqu’ils contiennent des informations confidentielles et commerciales. Nous sommes en accord avec ces observations et refusons donc de les transmettre. (sic)
[…]
[5] Me Charles Dufour, greffier et responsable des affaires juridiques à la municipalité, n’est pas présent à l’audience. Conformément à ce qui a été convenu dans le cadre d’une conférence téléphonique tenue le 26 février 2016, il a transmis à la Commission les documents en litige sous pli confidentiel et a déposé au dossier une copie des documents caviardés déjà communiqués et a transmis ses observations.
[6] Me Dufour a indiqué à la Commission qu’il doit respecter la position du tiers qui refuse de donner accès à ce document et qu’il s’en remet à la preuve et aux observations qu’il présentera.
[7] Une version caviardée de l’appel d’offres pour services professionnels en matière juridique est déposée (T-4). Elle comprend une lettre du tiers décrivant l’offre de service et des documents décrivant le cabinet.
[8] Après l’audience, Me Dufour est autorisé à déposer une lettre du 4 mars 2015 (O-1) adressée à la procureure du demandeur de l’époque et qui précise que dans la présente affaire :
1- Les soumissions ont été présentées au comité général à huis-clos;
2- L’adjudicataire retenu l’a été en raison du meilleur prix;
3- En ce qui a trait au huis-clos tenu par ledit comité général, il n’y a pas eu de compte-rendu écrit rapportant la teneur des discussions/commentaires des membres.
[9] Me Tremblay représente le demandeur et est accompagné de Mme Lisa Dubé, stagiaire en droit. En début d’audience, il confirme que le seul document demeurant en litige est l’offre de service dans laquelle on retrouve le prix du contrat et le taux horaire. Il renonce à obtenir accès à la version intégrale de la soumission, sa demande visant uniquement à obtenir le détail des taux horaires et du prix offert. Ces renseignements sont contenus dans une lettre du 28 janvier 2013 décrivant l’offre de service.
[10] Me Alexis Paquette-Trudeau représente le tiers. Il fait entendre Me Jean Barbar comme témoin.
[11] Me Barbar est avocat chez le tiers depuis 2014 et est responsable des affaires professionnelles. Il explique comment il répond aux appels d’offres dans le domaine municipal, milieu très concurrentiel.
[12] Dans le cadre de ses fonctions, il répond aux appels d’offres publics ou sur invitation.
[13] Pour les appels d’offres publics publiés sur le Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO), il travaille au montage de la soumission et pour les appels d’offres sur invitation, il assiste les avocats qui sont chefs de projets. À l’époque de l’appel d’offres, la municipalité avait procédé sur invitation.
[14] Il explique que la firme a plusieurs bureaux et exerce dans plusieurs domaines, notamment en droit du travail et en assurance. Un fort contingent exerce en droit public ce qui inclut le droit municipal. Elle n’a pas de bureau en Outaouais.
[15] Le témoin explique que la concurrence dans le milieu juridique est très forte et est accrue dans le domaine municipal. Il faut donc être extrêmement concurrentiel. Il y a de nouveaux joueurs, ce qui crée une forte pression sur la stratégie des prix.
[16] Il souligne que dans les dernières années, la concurrence a eu pour effet de l’obliger à réviser à la baisse sa stratégie de prix.
[17] Il ne connaît pas le taux horaire des autres bureaux qui soumissionnent. Le taux horaire n’est jamais publicisé. Cette information est connue par le client et le bureau seulement.
[18] Le témoin explique que le cabinet Deveau est un bureau d’avocats reconnu dans le domaine municipal. Il s’agit d’un concurrent très agressif dans le marché de la Rive-Nord. Les deux cabinets « s’échangent » des contrats dans les municipalités. D’ailleurs, récemment, la firme a perdu aux mains du cabinet du demandeur deux importants contrats dans le cadre d’appels d’offres publics.
[19] Le témoin explique que pour élaborer les documents d’offre de service de la firme, il recueille de l’information sur le client, ses besoins, son passé juridique et dresse un portrait.
[20] Il y a des discussions pour établir un prix représentatif du marché dans lequel se trouve le client. Les stratégies sont différentes pour chaque client. Il établit un « prix custom ».
[21] En l’espèce, le tarif sur mesure est constitué d’un taux horaire et d’un montant forfaitaire.
[22] C’est le chargé de projet qui prend la décision finale sur ce qui sera dans l’offre de service. Il s’agit d’un associé responsable du client ou de l’avocat principal du client. En l’espèce, c’était Me Rino Soucy qui était chargé de projet.
[23] Lorsque la soumission (T-4) est déposée, seuls Me Soucy et le témoin sont au courant du taux horaire proposé. Ni les autres avocats mentionnés dans l’offre de service ni même le président du conseil de direction n’étaient au courant.
[24] L’appel d’offres de service de la municipalité était estimé à moins de 25 000$ (T-6). Dans le cadre de cet appel d’offres, sept autres bureaux ont soumissionné.
[25] Le tiers s’est vu accorder, par résolution du conseil municipal adopté le 12 mars 2013 (D-1), le contrat de services professionnels pour une durée d’une année.
[26] Le 5 février 2015, le témoin a transmis à la municipalité son opposition à la communication de l’offre de service (T-5). Cependant, il a fourni une version du document qu’il a lui-même caviardé. Il s’agit du document déposé par la municipalité comme étant le document en litige.
[27] Il confirme qu’il a rédigé près de 90% de l’offre à partir de sa connaissance du marché et après avoir discuté avec Me Soucy. Ce dernier n’a pas été consulté sur le caviardage de la version puisqu’il avait quitté le bureau.
[28] Le témoin explique qu’il a retiré du document ce qu’il considère être des secrets commerciaux et ce qui révélerait la méthode utilisée pour remporter l’appel d’offres.
[29] L’audience se poursuit hors la présence du demandeur. Me Barbar explique les détails de l’offre de service particulièrement en ce qui a trait aux éléments caviardés. Pour les deux volets de l’appel d’offres soient, les opinions et les conseils juridiques en matière de ressources humaines, d’urbanisme, d’environnement et autres, le témoin a expliqué ce qui était considéré comme une structure de coûts.
[30] De plus, le dernier paragraphe concerne les frais connexes. Constatant que ces éléments faisaient déjà partie de l’appel d’offres, le tiers accepte de communiquer ce paragraphe à l’exception d’un élément supplémentaire, non prévu à l’appel d’offres, mais que le tiers inclut dans les frais connexes qui ne seront pas facturés.
[31] De retour en audience publique, le témoin explique que si son offre de service était dévoilée, cela donnerait un avantage aux compétiteurs et aurait pour effet de « brûler son prix ». Les concurrents ne connaissent pas sa structure de prix et la divulguer leur permettrait de savoir jusqu’où le tiers était prêt à descendre ses prix pour obtenir le contrat.
[32] En contre-interrogatoire, Me Barbar confirme que la publication des taux horaires ne fait pas partie de la stratégie marketing du bureau. Les taux sont communiqués individuellement aux clients. Dans le domaine municipal, ce n’est pas parce qu’on a proposé un taux à une ville que le même taux sera offert à une autre ville.
[33] En l’espèce, il s’agit d’un appel d’offres sur invitation pour un contrat de moins de 25 000$ (T-6).
[34] Me Tremblay précise que, pour les appels d’offres pour des services professionnels de 25 000 $ et plus, le Code municipal du Québec[2] et la Loi sur les cités et villes[3] prévoient un système d’évaluation et de pondération dans lequel le prix est un des critères. La formule dite à deux enveloppes oblige les municipalités à faire une évaluation qualitative de la soumission pour laquelle le soumissionnaire devra obtenir 70% pour que sa seconde enveloppe contenant le prix soit ouverte. Les calculs des pondérations sont prévus dans la loi.
[35] Quant à l’offre de service en l’espèce (T-4), Me Barbar confirme qu’elle contient les curriculum vitæ de plusieurs professionnels qui pourront fournir des services juridiques. Ces derniers ont été consultés dans le cadre de la préparation de l’offre de service, mais il ne peut confirmer si le prix de l’offre a été discuté avec ces professionnels. La situation diffère pour chaque offre de service et cela peut dépendre de leur implication dans ce contrat.
[36] Me Barbar confirme que le contrat a été accordé à la firme, par résolution de la municipalité, et que le contrat est constitué de l’offre de service. Il s’agit d’un contrat d’ordre général et les mandats spécifiques seront transmis au bureau par le client au cours de l’année.
[37] Les avocats qui auront à travailler sur ces mandats ne connaissent pas nécessairement le taux horaire facturé dans le cas des taux spéciaux.
[38] Quant à l’impact potentiel de la divulgation de l’information, même si le taux horaire et le montant forfaitaire visés par la demande d’accès sont ceux de 2013, ils sont encore pertinents en 2016. En effet, le tiers a perdu un récent appel d’offres qui prévoyait un taux horaire inférieur à celui de 2015. Donc les taux datant de cinq ou six ans sont encore selon lui d’actualité.
[39] Les procureurs présentent leur argumentation et soumettent de la jurisprudence en appui.
LE LITIGE
[40] La demande d’accès vise à obtenir la soumission déposée par le tiers, qui s’est vu accorder, par la municipalité, le mandat de lui fournir des services juridiques pendant l’année 2013.
[41] La soumission du tiers a été retenue par la municipalité comme en témoigne la résolution (D-1) qui stipule notamment :
CONSIDÉRANT QU’après analyse des soumissions par le conseil et la diversité des offres reçues, la municipalité a retenu les services de la firme Dunton Rainville, avocats pour l’ensemble de la soumission et les prix les plus avantageux.
[42] Les documents de soumission contiennent la présentation du cabinet et de certains avocats, quelques curriculum vitae et la liste des prix pour les services juridiques.
[43] La liste des prix est contenue dans la lettre du 28 janvier 2013 qui contient l’offre de services juridiques que le tiers peut fournir à la municipalité. Le tiers a admis que ce document constitue le contrat liant le cabinet d’avocats à la municipalité. Seul ce document demeure en litige.
[44] La municipalité refuse de donner accès à la soumission aux motifs qu’elle est protégée par le secret professionnel de l’avocat et qu’elle contient des « informations confidentielles et commerciales » que le tiers refuse de communiquer, et ce, en vertu des articles suivants :
La Charte des droits et libertés de la personne[4]
9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu’ils n’y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
Le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel.
La Loi sur l’accès
23. Un organisme public ne peut communiquer le secret industriel d’un tiers ou un renseignement industriel, financier, commercial, scientifique, technique ou syndical de nature confidentielle fourni par un tiers et habituellement traité par un tiers de façon confidentielle, sans son consentement.
24. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement fourni par un tiers lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver une négociation en vue de la conclusion d’un contrat, de causer une perte à ce tiers, de procurer un avantage appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de ce tiers, sans son consentement.
L’ARGUMENTATION
[45] Le demandeur soutient que l’offre de service acceptée par la municipalité fait partie des archives municipales qui sont soumises à un régime d’accès plus généreux. Il s’appuie sur une décision[5] récente de la Commission dans laquelle la juge administratif s’en remet à la définition d’archives contenue dans la Loi sur les archives[6] pour conclure que tous les documents détenus par une municipalité font partie des archives municipales.
[46] Que l’on retienne la définition du terme archive prévue dans la Loi sur les archives ou celle proposée par la jurisprudence, le demandeur soutient que le document en litige est un document provenant d’un tiers qui a fait l’objet de délibérations du conseil, et surtout qu’il s’agit d’un contrat conclu entre une municipalité et un tiers. Par conséquent, il soutient que le document fait partie des archives municipales et que rien ne justifie que son accès soit restreint, le document n’étant pas protégé par le secret professionnel.
[47] Le procureur du tiers et celui de la municipalité ont été autorisés à soumettre par écrit leurs observations sur la notion d’archives municipales plaidée par la procureure du demandeur et cette dernière a eu l’occasion de répliquer.
[48] Le procureur de la municipalité soutient que l’interprétation donnée à la notion d’archives municipales fondée sur la notion d’archives contenue dans la Loi sur les archives a pour effet d’établir une nouvelle pratique, non existante au 1er octobre 1982. Adopter une définition beaucoup plus large de la notion d’archives pour l’application de l’article 209 du Code municipal, en se basant sur une loi qui est postérieure à 1982, serait en contradiction avec l’article 171 de la Loi sur l’accès.
[49] Le procureur du tiers soutient que cette interprétation a pour effet de rendre inapplicables les restrictions prévues à la Loi sur l’accès, particulièrement celles prévues aux articles 23 et 24, à la quasi-totalité des documents détenus par une municipalité, sauf en ce qui a trait à la protection des renseignements personnels et au secret professionnel.
[50] Il soutient que l’analyse attentive des dispositions législatives pertinentes permet de constater que le législateur n’a pas voulu donner au terme « archives » utilisé dans le Code municipal le même sens que lorsqu’il est utilisé dans la Loi sur les archives. Il dépose également un extrait des débats parlementaires tenus lors de l’adoption de l’article 2 de la Loi sur les archives, faisant ressortir qu’il n’y a eu aucune considération quant aux effets que cette définition pourrait avoir sur l’application des autres lois référant à cette notion.
[51] Quant à l’effet de la résolution retenant la soumission du tiers, ce dernier soutient que la Commission doit adopter l’interprétation restrictive développée dans la décision I.L. c. Ormstown (municipalité d’)[7] et conclure que la soumission n’est pas pour autant accessible.
[52] De plus, il souligne l’importance accordée par le législateur à la protection des informations confidentielles fournies par un tiers, notamment lorsqu’il a édicté les articles 23, 24, 25 et 136 de la Loi sur l’accès.
[53] Selon le procureur du tiers, conclure que la notion d’archives du Code municipal doit s’appliquer selon l’interprétation qu’il en est fait dans la Loi sur les archives, contrecarre l’esprit du processus d’appel d’offres des municipalités et la volonté du législateur.
[54] Le tiers soutient également que les articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès trouvent ici application et que le droit au secret professionnel s’étend à tous les documents rédigés à l’occasion d’un mandat, telle la soumission présentée par le tiers dans le but de fournir des services juridiques.
[55] Dans la présente affaire, la Commission doit d’abord déterminer si le document en litige fait partie des archives municipales et par conséquent s’il fait l’objet d’un droit d’accès plus généreux résultant de l’article 209 du Code municipal.
[56] Dans l’éventualité où le droit d’accès serait plutôt régi par la Loi sur l’accès, la Commission doit décider si les restrictions prévues aux articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès trouvent application en l’espèce.
[57] Finalement, la Commission doit déterminer si le document en litige est protégé par le secret professionnel.
1) Les archives municipales
[58] La municipalité en cause est assujettie au Code municipal, lequel prévoit aux articles 208 et 209 l’obligation de donner accès aux documents qui font partie des archives de la municipalité :
208. Les livres de comptes du secrétaire-trésorier, les pièces justificatives de ses dépenses, de même que tous les registres ou documents faisant partie des archives de la municipalité peuvent être consultés par toute personne qui en fait la demande pendant les heures habituelles de travail.
209. Le responsable de l’accès aux documents de la municipalité est tenu de délivrer à quiconque en fait la demande des copies ou des extraits de tout livre, rôle, registre ou autre document faisant partie des archives.
[…]
[nos soulignements]
[59] Ces dispositions, établissant des règles de transparence, existaient avant l’adoption de la Loi sur l’accès en 1982.
[60] Les articles 168 et 169 de la Loi sur l’accès consacrent le caractère prépondérant de cette loi. Cependant, l’article 171 de la Loi sur l’accès maintient les droits d’accès plus généreux résultant de l’application d’une autre loi qui existait avant 1982 :
168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d’une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n’énonce expressément s’appliquer malgré la présente loi.
169. Sous réserve de l’article 170, toute disposition d’une loi générale ou spéciale qui est inconciliable avec celles du chapitre II relatives à l’accès aux documents des organismes publics ou celles du chapitre III relatives à la protection des renseignements personnels cesse d’avoir effet le 31 décembre 1987.
Il en est de même de toute disposition d’un règlement qui est inconciliable avec celles de la présente loi ou d’un règlement du gouvernement adopté en vertu de la présente loi.
171. Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n’a pas pour effet de restreindre:
1° l’exercice du droit d’accès d’une personne à un document résultant de l’application d’une autre loi ou d’une pratique établie avant le 1er octobre 1982, à moins que l’exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels;
[…]
[61] Ainsi, les articles 208 et 209 du Code municipal confèrent un droit d’accès plus généreux aux documents qui font partie des archives municipales et s’appliquent malgré le caractère prépondérant de la Loi sur l’accès. Par conséquent, aucune des restrictions au droit d’accès prévues aux articles 18 à 41 de la Loi sur l’accès ne peut être soulevée pour refuser l’accès à un document faisant partie des archives municipales, d’où l’intérêt de déterminer si le document demandé fait partie des archives municipales.
[62] Or, ni le Code municipal ni la Loi sur les cités et villes[8], qui contiennent des dispositions similaires, ne définissent la notion d’archives.
[63] Depuis plusieurs années, la Commission réfère à la notion d’archives telle que définie par la Cour supérieure dans l’affaire Garneau c. Laplante[9], rendue dans le cadre de l’application de la Loi sur les cités et villes. S’inspirant des définitions du dictionnaire et de la doctrine, la Cour définit le mot « archives » de la façon suivante :
De ce qui précède, des énumérations contenues aux articles 87 et 89, et de l’ensemble de la Loi des cités et villes, le tribunal croit pouvoir définir le mot « archives » y employé comme étant principalement l’ensemble des écrits et documents constatant les actes de la vie corporative de la municipalité et, subsidiairement, les livres, registres, rôles ou autres documents que la loi décrit comme tels. Le record documentaire de la vie corporative se trouve d’abord dans les procès-verbaux tenus par le greffier comme secrétaire du conseil et de la municipalité, soit le compte rendu des procédés de l’incorporation et des modifications apportées à la charte, celui de la formation, de la composition et des délibérations de son conseil, de la nomination de ses officiers, etc., et de tous les documents qui y sont accessoires, tels la charte et des amendements, les règlements, les contrats, les documents d’assermentation des membres du conseil et des officiers de la municipalité, et aussi tous les documents provenant de tierces personnes ou soumis par les officiers de la municipalité et qui ont fait l’objet des délibérations du conseil.
[Nos soulignements]
[64] Récemment, dans quelques décisions[10], dont la décision Boischatel invoquée par le demandeur, la Commission a référé à la définition du terme « archives » contenue dans la Loi sur les archives afin de déterminer si un document faisait partie des archives municipales et était visé par un droit d’accès plus généreux. Cette définition prévoit:
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par:
«archives» : l’ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale;
[…]
[65] De plus, cette loi adoptée en 1983 renvoie à la notion de « document » contenue dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[11] .
[66] Dans la décision Boischatel, la juge administratif s’appuie sur la définition contenue dans la Loi sur les archives pour conclure que fait partie des archives municipales, au sens de l’article 209 du Code municipal, tout document, quel qu’en soit le support, qui est produit ou reçu par une municipalité pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservé pour sa valeur.
[67] D’abord, la Commission tient à rappeler les principes d’interprétation des lois tels que résumés par la Cour suprême[12] :
[10] Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, 1999 CanLII 639 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.
[nos soulignements]
[68] En l’espèce, la Commission n’est pas saisie d’une question d’interprétation de la notion d’archives dans le cadre de l’application de la Loi sur les archives. On lui demande d’interpréter cette notion dans le contexte particulier du droit d’accès aux archives municipales prévu aux articles 208 et 209 du Code municipal.
[69] Soulignons qu’il s’agit d’un terme utilisé dans deux lois dont l’objet est différent. D’abord, la Loi sur les archives a pour objet la gestion et la conservation, par les organismes publics, de l’entièreté de leurs documents pour leur valeur d’information générale tout au long de leur cycle de vie, soit aux stades actifs, semi-actifs et inactifs.
[70] Pour sa part, le Code municipal régit les municipalités et énonce notamment les pouvoirs, les rôles et les fonctions des différents intervenants municipaux. Quant à l’article 209 qui nous concerne, il a pour but d’énoncer le caractère public de certains documents faisant partie des archives de la municipalité et qui font état de sa vie corporative.
[71] L’article 209 énumère des catégories de documents qui sont accessibles sur demande. Cette énumération est suivie de l’expression « ou autre document faisant partie des archives de la municipalité ». Cette expression plus générale doit, à mon avis et selon les règles d’interprétation, se restreindre à des choses de même catégorie que celles qui y sont énumérées[13].
[72] La Commission ne croit pas qu’il soit opportun de référer à la notion d’archives prévue à la Loi sur les archives afin d’interpréter ce terme utilisé au Code municipal. D’une part, l’objet de ces deux lois est fort différent. D’autre part, la Loi sur les archives a été adoptée très longtemps après le Code municipal.
[73] La notion d’archives utilisée dans le Code municipal a été définie avant l’adoption de la Loi sur les archives, notamment par la Cour supérieure dans l’affaire Garneau c. Laplante.
[74] Si le législateur avait voulu substituer la définition d’archives prévue à la Loi sur les archives à celle développée par la jurisprudence à l’égard de l’article 209 du Code municipal, il l’aurait affirmé clairement par une référence dans l’une de ces lois. En l’absence d’une telle mention, il ne me semble pas possible d’affirmer que l’intention du législateur était de modifier l’interprétation d’archives contenue au Code municipal en raison de l’adoption de la Loi sur les archives en 1983.
[75] Par ailleurs, on peut constater que la jurisprudence, tant de la Commission que des tribunaux supérieurs, a donné à la notion d’archives, utilisée dans le Code municipal, un sens large et libéral.
[76] Les auteurs Yvon Duplessis et Jean Hétu résument ainsi la jurisprudence de la Commission à l’égard des documents faisant partie des archives municipales à la suite du jugement Garneau c. Laplante:
[319] S’aidant de ce jugement, la Commission d’accès à l’information en est arrivée à la conclusion que les documents suivants faisaient partie des archives municipales : les écrits et documents constatant les actes de la vie corporative de la municipalité - la Charte, les règlements, les résolutions, les contrats, les procès-verbaux, etc.; les documents qui, en vertu d’une disposition législative expresse, doivent être déposés aux archives; les documents qui sont déposés à une séance publique du conseil municipal ou du comité exécutif; les documents qui font l’objet de délibérations ou d’une réflexion lors d’une séance publique du conseil municipal ou du comité exécutif de même que ceux qui leurs sont accessoires ou connexes ou encore intimement rattachés ou liés; les documents qui ont été volontairement et effectivement déposés, par une personne en autorité ou avec son autorisation ou approbation, aux archives de la municipalité; les documents annexés à un acte municipal public ou qui en font partie intégrante tels, à titre d’exemple, un règlement ou une résolution.[14]
[Références omises]
[77] Il ressort de la preuve administrée dans le présent dossier que la soumission du tiers a été retenue et acceptée par résolution du conseil municipal. De plus, le tiers a admis qu’elle constitue le contrat le liant à la municipalité, aucun autre document ne faisant état de la relation contractuelle entre les parties. La soumission, devenue contrat, constitue un document constatant les actes de la vie corporative de la municipalité.
[78] Ainsi, la Commission s’en remet à l’interprétation donnée à la notion d’archives dans l’affaire Garneau c. Laplante et conclut que la soumission est un document faisant partie des archives au sens de l’article 209 du Code municipal et qu’elle doit être accessible.
[79] Par ailleurs, le demandeur ajoute que le document en litige doit être rendu accessible également pour le motif que la soumission a fait l’objet de délibération par le Conseil municipal et que par conséquent, elle fait partie des archives municipales.
[80] Le demandeur s’appuie sur la décision rendue dans l’affaire Boilard & Boilard c. Saint-Romuald (Ville de)[15] dans laquelle la Commission conclut qu’un document provenant d’un tiers fait l’objet de délibération du conseil même s’il n’y a pas eu de discussion ou de débat à son sujet :
Le fait qu’il y ait eu, lors de cette séance publique du conseil, des discussions ou un débat sur le sujet ou qu’il n’y en ait pas eu du tout ne change rien au processus de délibération. Si tous étaient d’accord, il est normal qu’il n’y ait pas eu de discussion [...]
Le texte du procès-verbal de cette résolution (pièce D1) résume, très succinctement il est vrai, mais néanmoins clairement, l’examen de la question par les trois paragraphes commençant par le mot « attendu ». Il passe ensuite à la proposition et à son appui pour se concrétiser par la décision unanime. Dans cette décision, le conseil fait référence à la soumission déposée le 8 mai 1995 et la qualifie de « plus basse et conforme ». À moins que ce texte limpide du procès-verbal ne veuille rien dire, ce que je rejette, il est évident que le conseil a délibéré sur cette soumission avant de décider qu’elle était « la plus basse et conforme ». Cette soumission a donc fait l’objet des délibérations du conseil au sens où l’entend la Cour supérieure dans l’affaire Garneau c. Laplante, précitée.
[81] En l’espèce, il est mentionné dans la résolution (D-1) que l’offre de services du tiers a été retenue « après analyse des soumissions par le conseil » et que les services du tiers sont retenus pour « l’ensemble de la soumission et les prix plus avantageux ».
[82] Le tiers souligne que l’affaire Boilard a été distinguée en 2008 dans la décision Ormstown.
[83] Dans cette décision, la Commission suit les principes développés dans l’affaire Boilard, mais interprète restrictivement la portée de la résolution du Conseil en fonction de la preuve reçue. Il est décidé que seuls les éléments ayant fait l’objet de discussions en séance publique du Conseil peuvent être considérés comme faisant partie des archives de la municipalité:
[86] Contrairement à la conclusion de la Commission dans Boilard, la soussignée ne croit pas que, de ce fait, la totalité du contenu des soumissions fait désormais partie des archives de l’organisme.
[87] Aucune preuve n’a été faite à la Commission que la totalité du contenu des soumissions en litige avait fait l’objet de discussions en séance publique. Aucune preuve n’a non plus été faite que la totalité du contenu de ces soumissions avait été déposée lors des séances publiques du conseil de l’organisme.
[88] Tel qu’il appert des extraits de procès-verbaux mentionnés ci-dessus, la preuve démontre plutôt que seules deux informations ont été divulguées en séance publique du conseil de l’organisme, soit le nom des soumissionnaires et le prix de leurs soumissions. Le contraire eût été surprenant si l’on tient compte du témoignage de M. Théroux, secrétaire-trésorier de la municipalité qui présente les soumissions au conseil pour décision. Ce dernier a fait valoir que l’organisme considère que les soumissions en matière de déneigement contiennent des renseignements confidentiels. Il a d’ailleurs également relaté, bien que très succinctement, les « délibérations » du conseil concernant les soumissions visant le circuit I en juin 2004 : on a discuté du prix des soumissions, trop élevés de l’avis des membres du conseil de l’organisme.
[89] La Commission est donc d’avis que les soumissions ne font pas partie des archives de la municipalité et que leur accessibilité peut être restreinte par les dispositions de la Loi sur l’accès.
[84] Dans la présente affaire, il n’y a pas lieu d’adopter une interprétation aussi restrictive de la résolution que dans la décision Ormstown. En effet, le texte de la résolution et le fait que le document en litige constitue le contrat entre les parties permettent de conclure que le document fait partie des archives et est par conséquent accessible. La situation était différente dans l’affaire Ormstown quant au texte de la résolution et par le fait que les contrats ont été signés après l’acceptation de l’appel d’offres.
[85] Par conséquent, la preuve prépondérante présentée démontre que le contrat intervenu entre la municipalité et le tiers doit être conservé à des fins administratives et légales. Il fait par conséquent partie des archives municipales, et ce, peu importe que la soumission ait fait l’objet de délibérations en tant que tel en séance publique ou en comité plénier comme dans l’affaire Boilard. Il fait partie des documents contenus dans les archives municipales de la municipalité et est soumis à un droit d’accès plus généreux que celui énoncé à la Loi sur l’accès. Contracter avec une municipalité implique des exigences de transparence puisque cette dernière doit rendre compte sur la manière dont elle dépense les fonds publics.
2) Les restrictions prévues à la Loi sur l’accès
[86] Considérant cette conclusion, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’application des articles 23 et 24 de la Loi sur l’accès protégeant les renseignements fournis par des tiers dans certaines circonstances. En effet, aucune des restrictions prévues aux articles 18 à 41 de la Loi sur l’accès ne peuvent être invoquées à l’égard des archives municipales soumises à un droit d’accès plus généreux en vertu des articles 208 et 209 du Code municipal et 171 de la Loi sur l’accès.
3) Secret professionnel
[87] La municipalité a refusé l’accès à la soumission demandée au motif qu’elle serait protégée par le secret professionnel.
[88] Précédemment, la Commission a conclu que le document en litige fait partie des archives municipales qui sont soumises à un droit d’accès plus généreux assuré par l’application de l’article 171 de la Loi sur l’accès.
[89] Cependant, cette disposition ne permet pas d’écarter l’application de l’article 9 de la Charte qui consacre le droit au secret professionnel puisque cette dernière disposition a également un caractère prépondérant.
[90] Le tiers soutient que le droit au secret professionnel s’étend à tous les documents rédigés à l’occasion d’un mandat, incluant la soumission présentée dans le but de rendre des services juridiques.
[91] Le demandeur relève le fait que la municipalité, qui est la bénéficiaire de ce droit, n’a pas plaidé ce motif dans sa plaidoirie écrite. Cependant, la Charte prévoit que le tribunal doit, d’office, assurer le respect du secret professionnel. La Commission se doit donc d’analyser cet argument.
[92] Un jugement récent de la Cour supérieure dans l’affaire Commission scolaire des Patriotes c. Quenneville[16] résume bien les éléments qui ressortent de la jurisprudence en ce qui concerne le secret professionnel de l’avocat et sa portée :
[63] Depuis les arrêts Solosky et Descôteaux rendus au début des années 1980, la Cour suprême reconnaît que le caractère confidentiel des communications entre un avocat et son client constitue non seulement une règle de preuve mais également une règle de fond et un principe de droit fondamental[17].
[64] Au Québec, le secret professionnel est expressément enchâssé dans la Charte des droits et libertés de la personne, l’élevant ainsi au rang de droit fondamental, qui jouit d’une protection quasi-constitutionnelle. Le Code des professions, la Loi sur le Barreau et le Code de déontologie des avocats imposent également le respect du secret professionnel. Découle de cette obligation de confidentialité, une immunité de divulgation qui protège, sauf exceptions limitées, le contenu de l’information contre sa communication forcée, même dans le cadre d’instances judiciaires.
[…]
[67] La preuve de l’existence de trois critères particuliers doit être établie pour qu’une information soit considérée comme protégée par le secret professionnel de l’avocat : (i) « une communication entre un avocat et son client »; (ii) « qui comporte une consultation ou l’obtention d’un avis juridique »; et (iii) « que les parties considèrent de nature confidentielle ».
[68] Malgré son importance, le secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu et est assujetti à des exceptions dans de rares circonstances, notamment pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière ou pour prévenir la mise en péril de la sécurité publique. Le secret professionnel ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.
[…]
[72] Si important que soit le secret professionnel, il connaît des limites et tout n’est pas nécessairement confidentiel lorsqu’un avocat est entré en rapport avec le client. Le secret professionnel ne couvre pas nécessairement tous les faits ou tous les événements que constate l’avocat au cours de l’exécution de son mandat ni tous les documents en la possession de l’avocat. Il serait cependant inapproprié de tenter de réduire le contenu de l’obligation à celui de l’opinion, de l’avis ou du conseil juridique.
[73] Le nom du client peut notamment être protégé par le secret professionnel mais ce n’est pas toujours le cas. Le conseil de l’avocat sur de pures questions d’affaire ne sera pas couvert par le secret professionnel.
[93] En ce qui concerne le document en litige contenant l’offre de services juridiques que le tiers peut fournir à la municipalité et particulièrement la liste des prix soit des taux horaires, montants forfaitaires et frais connexes qui ont été caviardés, est-il protégé par le secret professionnel de l’avocat?
[94] Il ressort de la preuve que la soumission est une offre générale qui se traduit, une fois le contrat accordé, par des mandats spécifiques qui seront transmis au tiers au cours de l’année.
[95] Ainsi, la relation entre la municipalité et le tiers n’entre pas encore dans la sphère du secret professionnel, comme le plaide le demandeur.
[96] Aucun des critères mentionnés par la Cour suprême n’est satisfait en l’espèce. Il n’existe aucune relation client-avocat lorsqu’une municipalité dépose une demande de services juridiques par voie d’appel d’offres et qu’un cabinet d’avocats y répond. Aucun mandat particulier n’est donné par la municipalité à cette occasion et cette dernière ne fournit alors aucune information de nature confidentielle.
[97] Il est vrai qu’un mandat confié à un avocat et le taux horaire de ce dernier peuvent dans certains cas être visés par le secret professionnel[18]. Cependant, cette protection vise à protéger la relation avocat-client qui pourrait être affectée par la divulgation d’un compte d’honoraires.
[98] Dans l’affaire Gagnier, souvent citée, c’est la divulgation du contenu du compte d’honoraires détaillés qui a été considérée comme pouvant porter atteinte au secret professionnel. En effet, de façon générale, on peut dire que la jurisprudence protège l’information qui révèle la nature des services rendus, les conseils ou les avis donnés ou si l’information met en cause le caractère confidentiel de la relation professionnelle entre le client et l’avocat.
[99] En l’espèce, la soumission retenue qui fait partie du contrat de services professionnels liant la municipalité au tiers ne contient pas d’élément de cette nature. En effet, on ne peut en conclure que le contrat « d’ordre général » liant une municipalité à un bureau d’avocats et ne contenant aucune information relative à des mandats particuliers est protégé par le secret professionnel.
[100] Après analyse, la Commission conclut que le document en litige n’est pas visé par le secret professionnel et est accessible en vertu de l’article 209 du Code municipal puisqu’il fait partie des archives municipales.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
[101] ACCUEILLE la demande de révision.
[102] ORDONNE à la Municipalité de Cantley de communiquer, dans les 30 jours suivant la réception de la présente décision, copie de l’offre de service contenue dans la lettre du 28 janvier 2013 ayant fait l’objet de la résolution (D-1).
LINA DESBIENS
[1] RLRQ, c. A-2.1, la Loi sur l’accès.
[2] RLRQ, c. C-27.1.
[3] RLRQ, c. C-19.
[4] RLRQ, c. C-12, la Charte.
[5] L. C. c. Boischatel (Municipalité de), 2014 QCCAI 178, l’affaire Boischatel.
[6] RLRQ, c. A-21.1.
[7] 2008 QCCAI 57, l’affaire Ormstown.
[8] Art. 100 et 114.2.
[9] [1962] C.S. 698.
[10] M. G. c. Saguenay (Ville de), 2014 QCCAI 120, E.J. c. Québec (Ville de), 2015 QCCAI 16 et J.H. c. Québec (Ville de), 2015 QCCAI 197. Ces décisions ont toutes été rendues par le même juge administratif.
[11] RLRQ, c. C-1.1. Article 3. Un document est constitué d’information portée par un support. L’information y est délimitée et structurée, de façon tangible ou logique selon le support qui la porte, et elle est intelligible sous forme de mots, de sons ou d’images. L’information peut être rendue au moyen de tout mode d’écriture, y compris d’un système de symboles transcriptibles sous l’une de ces formes ou en un autre système de symboles.
Pour l’application de la présente loi, est assimilée au document toute banque de données dont les éléments structurants permettent la création de documents par la délimitation et la structuration de l’information qui y est inscrite.
Un dossier peut être composé d’un ou de plusieurs documents.
Les documents sur des supports faisant appel aux technologies de l’information visées au paragraphe 2° de l’article 1 sont qualifiés dans la présente loi de documents technologiques.
[12] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 RCS 601, 2005 CSC 54.
[13] Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, p.398.
[14] Yvon DUPLESSIS, Jean HÉTU et Lise VÉZINA, Droit municipal - Principes généraux et contentieux, 2e éd., Brossard, Publications CCH, 2002, feuilles mobiles, à jour au 1er janvier 2016, [6.319].
[15] [1996] C.A.I. 184, l’affaire Boilard.
[16] 2015 QCCS 4598 (CanLII), requête pour permission d’en appeler accueillie, Kalogerakis c. Commission scolaire des Patriotes, 2015 QCCA 2089 (CanLII), affaire Quenneville.
[17] Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 821, p.839; Descôteaux c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, p. 893.
[18] J. C. c. Ville de Repentigny, 2013 QCCAI 296; Commission des services juridiques c. Gagnier, J.E. 2004-1005 (C.Q.), l’affaire Gagnier.
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