Fortin c. Cameron | 2023 QCCA 85 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(200-17-029427-192) | |||||
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DATE : | 23 janvier 2023 | ||||
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ANDRÉ FORTIN | |||||
REQUÉRANT – défendeur | |||||
c. | |||||
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DOROTHÉE CAMERON | |||||
INTIMÉE – demanderesse | |||||
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[1] La Cour est saisie de deux requêtes : une requête du requérant pour permission d’appeler d’un jugement rectificatif rendu le 20 septembre 2022 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Johanne April)[1], ainsi qu’une requête de l’intimée en déclaration d’abus de procédure et condamnation à des dommages-intérêts (art.
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[2] Le 28 mars 2022, la juge April a rendu un jugement[2] dans lequel elle a conclu que le requérant avait, par ses agissements, affaibli le fonds de l’intimée et que celle-ci avait droit d’être indemnisée pour les dommages subis. Elle a aussi décidé que l’intimée avait droit au remboursement de la moitié de ses honoraires judiciaires et extrajudiciaires, et ce, en raison de l’abus de procédure du requérant :
[120] ACCUEILLE la demande d’injonction permanente et pour dommages-intérêts;
[121] AUTORISE la demanderesse à procéder à tous les travaux d’arpentage requis par la modification des lieux suite aux travaux, et ce, aux frais du défendeur;
[122] CONSTATE l’abus de procédure commis par le défendeur tout au long du processus judiciaire conformément aux articles
[123] ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse 50 % de la somme de 16 192,07 $, soit un total de 8 096,03 $ (honoraires judiciaires et extrajudiciaires), à titre de dommages pour abus de procédure, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[124] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse la somme totale de 42 289,68 $, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
a) Travaux nécessaires à la sécurité des lieux et visant à minimiser les dégâts | 5 449,37 $ |
b) Dommages résultant du préjudice subi et de la remise en état des lieux | 24 840,31 $ |
c) Troubles, ennuis et inconvénients | 12 000,00 $ |
Total : | 42 289,68 $ |
[125] ORDONNE au défendeur de s’abstenir de faire tous travaux ou ouvrages futurs susceptibles de compromettre la stabilité du fonds de la demanderesse;
[126] AVEC frais de justice à l’encontre du défendeur.[3]
[3] Le requérant a demandé la permission d’appeler de ce jugement, permission qui lui a été refusée par un juge de la Cour[4], de sorte que le jugement est devenu exécutoire.
[4] Le requérant n’a pas exécuté volontairement ce jugement et l’utilisation inappropriée par la juge d’instance du mot « Ordonne » au lieu du mot « Condamne » dans les conclusions de nature pécuniaire du jugement en a empêché l’exécution forcée.
[5] C’est dans ce contexte que l’intimée a demandé à la juge de première instance de rectifier son jugement pour substituer le mot « Condamne » au mot « Ordonne », ce que cette dernière a fait dans son jugement rectificatif du 20 septembre 2022.
[6] Le jugement ainsi rectifié fait l’objet de la requête pour permission d’appeler du requérant. Celui-ci allègue que la juge de première instance a erré en droit en rectifiant le jugement sans tenir une audience et sans lui permettre de faire ses observations, violant ainsi la règle audi alteram partem.
[7] Lorsqu’il est saisi d’une demande de rectification d’un jugement de la part d’une partie, un juge d’instance n’est pas tenu de tenir une audience en bonne et due forme avant de statuer sur la demande. Règle générale, il doit cependant permettre aux autres parties de faire leurs observations[5].
[8] En l’espèce, l’omission de la juge de première instance de consulter le requérant n’a pas eu de conséquence, car celui-ci ne disposait d’aucun argument valable pour s’opposer à la demande de rectification. En réalité, il s’agit d’un cas où, même si elle n’avait pas été saisie d’une demande de rectification, la juge d’instance aurait pu corriger l’erreur d’office (art.
[9] Le raisonnement du requérant – suivant lequel la rectification d’un jugement ne peut être envisagée parce qu’il y a eu rejet de sa demande de permission d’appeler – est mal fondé. Le Code de procédure civile prévoit que la rectification ne peut pas être demandée lorsque le jugement fait l’objet d’un appel, ce qui n’est pas le cas lorsque la permission d’appeler est refusée (art.
[10] Dans les circonstances, le reproche fait à la juge par le requérant ne permet pas d’accorder la permission sollicitée. Conséquemment, la Cour est d’avis de rejeter la requête pour permission d’appeler avec les frais de justice.
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[11] Subsiste la requête de l’intimée en déclaration d’abus de procédure et condamnation à des dommages-intérêts. Celle-ci fait valoir que la requête présentée par le requérant est frivole, dilatoire et qu’elle s’inscrit dans une continuité d’abus de procédure.
[12] Avant d’examiner le bien-fondé de la requête, la question de la compétence de la Cour pour s’en saisir se pose.
[13] Sous l’ancien Code de procédure civile, la Cour a analysé cette question dans deux contextes distincts : celui où un juge unique doit statuer sur une demande de déclaration d’abus de procédure après avoir rejeté une requête pour permission d’appeler et celui où c’est la Cour qui est saisie d’une pareille demande après avoir rejeté une requête pour permission d’appeler qui lui a été déférée.
[14] Dans l’arrêt Asselin[6], la Cour conclut à l’absence de compétence du juge unique pour se saisir d’une demande de déclaration d’abus de procédure après avoir rejeté une requête pour permission d’appeler. Elle s’appuie sur les arguments développés par le juge André Rochon, agissant comme juge unique, dans l’affaire Peluso[7]. Essentiellement, la Cour décide que le juge unique devient functus officio dès qu’il a rejeté une requête pour permission d’appeler à moins qu’une disposition statutaire ne lui confère la compétence pour traiter une demande de déclaration d’abus. Selon la Cour, l’art. 54.1 de l’ancien Code de procédure civile, applicable à l’époque, ne conférait pas au juge unique la compétence pour se saisir d’une demande de déclaration d’abus de procédure. L’art. 51 de l’actuel Code de procédure civile reprend le droit antérieur dans son essence et rien dans les termes utilisés par le législateur ne permet de constater un changement au titre de la compétence du juge unique. Il faut donc conclure que, sous le Code de procédure civile actuel, le juge unique n’a pas la compétence pour statuer sur une demande de déclaration d’abus de procédure et condamnation à des dommages-intérêts lorsqu’il a rejeté une requête pour permission d’appeler.
[15] Dans l’arrêt Chabot[8], la Cour a rejeté une requête pour permission d’appeler qui lui avait été déférée par le juge unique. Elle s’est ensuite demandé si elle avait compétence pour statuer sur une demande de déclaration d’abus de procédure et une condamnation à des dommages-intérêts en vertu de l’art. 54.1 de l’ancien Code de procédure civile.
[16] La Cour réfère à l’arrêt Asselin précité et déclare que le raisonnement applicable au juge unique dans cette affaire vaut aussi pour la Cour parce que cette dernière remplit une fonction normalement exercée par le juge unique et qu’elle n’est pas dans l’exercice d’une compétence dévolue par la Loi. La Cour conclut qu’elle n’a pas compétence pour se saisir d’une demande de déclaration d’abus de procédure et condamnation à des dommages-intérêts après avoir rejeté une requête pour permission d’appeler qui lui a été déférée :
[11] Ce raisonnement m'apparaît incontournable, et ce, même dans la situation où c'est la Cour qui refuse la permission de faire appel.
[12] L'article 54.1, à l'instar de l'article
[13] Cette règle n'est pas absolue et certaines dispositions, par exemple l'article 523, donnent compétence à la Cour avant même que l'appel ne soit formé. Je pense à la requête pour permission d'appeler après l'expiration des délais d'appel.
[14] Ce n'est pas le cas ici, alors que la Cour a été saisie de la requête pour permission d'appeler en raison de la présentation d'une requête formée en vertu de l'article
[17] La Cour estime que l’arrêt Chabot n’est plus pertinent depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile et, conséquemment, qu’il doit être écarté. Lorsqu’elle est valablement saisie d’une requête pour permission d’appeler déférée par le juge unique en vertu de l’art.
51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif. L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics. | 51. The courts may, at any time, on an application and even on their own initiative, declare that a judicial application or a pleading is abusive. Regardless of intent, the abuse of procedure may consist in a judicial application or pleading that is clearly unfounded, frivolous or intended to delay or in conduct that is vexatious or quarrelsome. It may also consist in a use of procedure that is excessive or unreasonable or that causes prejudice to another person, or attempts to defeat the ends of justice, particularly if it operates to restrict another person’s freedom of expression in public debate. |
367. Un juge d’appel peut, en tout temps, d’office ou sur demande, convoquer les parties pour conférer avec elles sur l’opportunité d’adopter des mesures de gestion afin de préciser les questions véritablement en litige et d’établir les moyens propres à simplifier la procédure et à abréger les débats. Il peut notamment, après avoir donné aux parties l’occasion de présenter leurs observations, leur suggérer de participer à une conférence de règlement à l’amiable, préciser ou limiter les actes de procédure et les documents à produire et fixer le délai pour le faire. Il peut également déterminer, malgré les règles autrement applicables, qu’il y a lieu de procéder au moyen d’un mémoire ou d’un exposé ou, au besoin, modifier des délais prévus par le Code; il peut également fixer la date, l’heure et la durée de l’audience et, si les circonstances l’exigent, déférer le dossier à la Cour pour que des mesures appropriées soient prises, y compris le rejet de l’appel. La conférence de gestion a lieu sans formalités ni écrits préalables et elle peut être tenue par tout moyen de communication approprié. Les décisions de gestion lient les parties. | 367. An appellate judge may, at any time, on the judge’s own initiative or on request, convene the parties to confer with them on the advisability of adopting appeal management measures in order to define the issues really in dispute and determine possible ways of simplifying and shortening the proceedings. After giving the parties the opportunity to make representations, the judge may suggest that they take part in a settlement conference and may determine or limit the pleadings and the documents to be filed, setting the time limit for doing so. As well, the judge may decide, despite the rules otherwise applicable, that it is best to proceed by way of briefs or memorandums or may, if necessary, modify time limits prescribed by this Code. The judge may also set the date, time and duration of the hearing and, if required by the circumstances, refer the matter to the Court so that appropriate measures, including dismissal of the appeal, may be taken. The appeal management conference is held without formality and requires no prior documents. Any appropriate means of communication may be used. Appeal management decisions are binding on the parties. [Soulignements ajoutés] |
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[18] Il convient maintenant de statuer sur le caractère abusif ou non de la requête pour permission d’appeler. À ce stade du dossier, où la Cour est saisie de la première procédure en appel (que ce soit une déclaration d’appel ou une requête pour permission d’appeler), les situations où l’on conclura à l’existence d’un abus de procédure au sens des art.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[19] REJETTE la requête du requérant pour permission d’appeler d’un jugement rectificatif rendu par la Cour supérieure le 20 septembre 2022, avec les frais de justice;
[20] REJETTE la requête de l’intimée en déclaration d’abus de procédure et condamnation en dommages-intérêts, avec les frais de justice.
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| FRANCE THIBAULT, J.C.A. | |
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| GUY GAGNON, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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Me Stéphane Harvey | ||
STÉPHANE HARVEY AVOCAT | ||
Pour le requérant | ||
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Me Pierre-Luc Mélançon | ||
LACOURSIÈRE AVOCATS | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 8 décembre 2022 | |
[1] Cameron c. Fortin, C.S. Québec, no 200-17-029427-192, 20 septembre 2022, April, j.c.s. [Jugement entrepris].
[2] Cameron c. Fortin,
[3] Id., paragr. 120-126.
[4] Fortin c. Cameron,
[5] Art.
[6] Asselin c. Daniel Girouard & Associés inc.,
[7] Peluso c. Dolmen (1994) inc.,
[8] Chabot c. Construction CAL inc.,
[9] Id., paragr. 11-14.
[10] L’art.
[11] 2741-8854 Québec inc. c. Restaurant King Ouest,
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