Décision

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Savignac (Habitations Ste-Julie enr.) c. Tremblay

2025 QCTAL 16558

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

837120 36 20241210 G

No demande :

4556197

 

 

Date :

08 mai 2025

Devant la juge administrative :

Sylvie Lambert

 

Martin Savignac agisant sous la dénomination sociale Les Habitations Ste-Julie enr.

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Karine Tremblay

 

Manon Tremblay

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

  1.          Par un recours introduit le 10 décembre 2024, le locateur demande la résiliation du bail au motif qu’il y a accumulation excessive d’objets dans le logement et que cette situation représente un risque pour la sécurité de ses occupants et l’intégrité de l’immeuble.

Preuve et prétentions des parties

Le locateur

  1.          Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juin 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 915 $.
  2.          Les locataires, qui sont mère (Manon[1]) et fille (Karine), habitent le logement depuis 9 ans avec l’enfant de Karine, âgé de 14 ans.
  3.          Le locateur achète l’immeuble en juillet 2018.
  4.          Le logement concerné est un 5½ pièces, situé au rez-de-jardin d’un immeuble qui comporte 16 logements répartis sur 4 étages.
  5.          À l’automne 2023, le locateur mandate une entreprise, Alarme AVI Inc. (AVI) afin d’obtenir un certificat d’inspection-incendie.
  6.          L’inspecteur de AVI visite alors tous les logements. Lors de sa visite du logement concerné, il constate l’état d’encombrement des lieux et prend des photos qu’il transmet au locateur afin de lui signaler la dangerosité de la situation.

  1.          Le 4 octobre 2023, le locateur rencontre Manon au logement et constate l’état d’encombrement du logement. Il lui explique que cette situation constitue un danger pour leur sécurité et celle des autres occupants de l’immeuble et lui accorde un délai de 30 jours pour désencombrer les lieux.
  2.          En octobre 2024, soit un an plus tard, l’entrepreneur qui procède au remplacement des fenêtres et des portes du logement et prend la même initiative que l’inspecteur d’AVI. Il prend des photos des lieux et les transmet au locateur.
  3.      Le locateur produit les photos des lieux[2]. Celles-ci sont éloquentes quant à l’état d’encombrement général du logement.
  4.      C’est ainsi qu’en décembre 2024, le locateur entreprend son recours en résiliation de bail puisque malgré l’avis donné l’année précédente, le logement est toujours encombré.
  5.      Lorsque le locateur produit les photos, les locataires déclarent d’abord qu’il ne s’agit pas de leur logement.
  6.      Ce n’est que lorsque le Tribunal explique qu’il peut se déplacer sur les lieux pour faire ses propres constats que les locataires regardent les photos de plus près et se ravisent.
  7.      Elles justifient l’état des lieux par le fait qu’il n’y pas de rangement ni de porte pour fermer la garde-robe.
  8.      Karine reconnaît qu’elle a un toc, soit un trouble obsessionnel compulsif, qu’elle décrit comme une incapacité de ne pas s’acheter de nouvelles choses. Il y a donc accumulation d’effets dans le logement.
  9.      Manon explique qu’après avoir reçu la demande en résiliation de bail le 9 janvier 2025, elle a loué un entrepôt pour y entreposer des choses. Elles évalueront ce qu’elles conserveront. Elle exhibe, à même son cellulaire, une photo de la facture de l’entrepôt.
  10.      À la première date d’audience, le 27 janvier 2025, Manon concède qu’elles n’ont pas débuté leur triage et que rien n’a été entreposé. Elle explique cette situation par le court délai depuis la notification de la demande, le fait qu’elle travaille et qu’elle s’est absentée une certaine période.
  11.      À l’audience du 27 janvier, il est convenu d’accorder un délai additionnel aux locataires pour leur permettre de désencombrer leur logement.
  12.      Le locateur étant indisponible pour une période de deux mois, la prochaine date d’audience est fixée au 1er avril 2025.
  13.      Les parties conviennent devant le Tribunal que le locateur procédera à une visite des lieux le lundi 24 mars 2025 et qu’il pourra prendre des photos pour démontrer l’état des lieux. Cette entente est consignée au procès-verbal d’audience.
  14.      Le Tribunal a bien expliqué aux locataire l’importance de désencombrer leur logement pour le 24 mars 2025 et les conséquences auxquelles elles s’exposent advenant un défaut de ce faire.
  15.      À l’audience du 1er avril 2025, le locateur produit les photos prises lors de sa visite du 24 mars[3].
  16.      Il déclare qu’il y a une amélioration car, maintenant, il est possible d’entrer dans toutes les pièces. Toutefois, une des chambres est encore très encombrée, même si les locataires ont bénéficié d’un délai de deux mois pour corriger la situation.
  17.      De plus, même si les autres pièces ont été dégagées en partie, il y a encore beaucoup de choses qui traînent, en plus de sacs, boîtes de carton et bacs en plastique qui sont au sol.

Les locataires

  1.      De leur côté, les locataires témoignent que la chambre encombrée est celle du fils de Karine. Il souffre du spectre de l’autisme. Selon Karine, il ne peut subir un changement rapide de son environnement au risque de perdre ses repères.
  2.      Manon précise que les effets dans cette pièce seront transportés éventuellement dans l’entrepôt. Pour l’instant, les plinthes électriques ont été dégagées et, dit-elle, il n’y a pas de risque d’incendie.

  1.      Elle ajoute qu’il y a beaucoup de choses dans le logement, car elles habitent les lieux depuis 9 ans. D’ailleurs, souligne-t-elle, il n’y a jamais eu d’incendie pendant toutes ces années et par conséquent, la situation n’est pas dangereuse.
  2.      Manon témoigne que des choses sont maintenant entreposées dans l’entrepôt loué. Elle exhibe la facture de celui-ci pour le mois d’avril.
  3.      Questionnée par le Tribunal, Manon explique que le désencombrement n’est pas complété parce qu’elles n’ont pas eu d’aide, qu’elle n’a qu’une seule petite voiture et qu’elle ne sort pas lorsqu’il pleut.

Le droit

  1.      L'article 1855 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit qu'un locataire est tenu pendant la durée du bail, d'user du bien avec prudence et diligence. Le locataire doit donc maintenir en bon état son logement, voir à sa conservation et éviter toute usure anormale.
  2.      Un locataire doit également maintenir le logement en bon état de propreté, selon l'article 1911, al.1 C.c.Q. Selon l'article 1912 C.c.Q., tout manquement d'un locataire relatif à la sécurité ou à la salubrité d'un logement donne lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation prévue au bail.
  3.      Un locateur peut, en cas de violation des obligations du locataire et suivant la preuve qu'un tel manquement lui cause un préjudice sérieux, demander la résiliation du bail, sanction prévue à l'article 1863 C.c.Q. :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

[...]. »

Analyse et conclusion

  1.      Les accès aux pièces et les calorifères ont, certes, été dégagés. Toutefois, la situation d'encombrement est toujours préoccupante le 1er avril 2025, malgré le délai deux mois dont ont bénéficié les locataires.
  2.      Force est de constater que les locataires ont failli à la tâche.
  3.      La preuve démontre que, bien que des efforts aient été déployés pour corriger la situation, ceux-ci sont nettement insuffisants et les prétentions avancées par les locataires sont loin d’être convaincantes.
  4.      Contrairement à ce que soutiennent les locataires, la situation qui prévaut n'est pas acceptable.
  5.      Pour le Tribunal, il est impensable d’allumer le système de chauffage (par plinthe électrique) dans la chambre du fils de Karine sans risquer d’y mettre le feu.
  6.      Même si les locataires ont dégagé les plinthes électriques, comme elles le soutiennent, les nombreux objets hétéroclites amoncelés dans un fouillis des plus complets peuvent être déplacés, soit volontairement ou par inadvertance, et se retrouver sur les plinthes électriques.
  7.      De l’avis du Tribunal, l’état d’encombrement de cette pièce constitue une menace sérieuse tant pour la sécurité des occupants du logement que des autres occupants de l'immeuble. Non seulement il y a risque d’incendie si cette pièce est chauffée, mais également les nombreux effets accumulés constituent une charge combustible favorisant la propagation du feu dans l'immeuble en cas d’incendie.
  8.      Par ailleurs, l’absence de tout chauffage dans cette pièce risquerait de créer un autre problème. Il est de la connaissance du présent Tribunal spécialisé qu’un encombrement des lieux, conjugué avec un manque de chauffage, favorise la présence de moisissures.
  9.      Quant aux autres pièces, il y a, certes, une amélioration quant à l’état d’encombrement, bien que des efforts resteraient à faire. Des objets traînent un peu partout sur la table et les comptoirs, des boîtes de carton, de plastique et autres effets divers jonchent au sol, bien que regroupés et mieux rangés.

  1.      Quant au fait qu’il serait perturbant pour le fils de Karine de perdre ses repères si sa chambre était désencombrée (en raison de sa condition), outre leur déclaration, les locataires ne produisent aucune preuve au soutien de leurs témoignages. Au surplus, même si cela avait été démontré, cette problématique ne saurait primer sur l’obligation du locateur d’assurer la sécurité des occupants de l’immeuble.
  2.      Les locataires avaient l’obligation de désencombrer toutes les pièces du logement, même si pour ce faire, elles se devaient de prendre des mesures particulières pour le fils de Karine.
  3.      Il ressort des explications fournies par les locataires qu’elles ne saisissent pas la portée de leurs obligations ou qu’elles sont dans l’incapacité de se sortir seules de cette situation.
  4.      Le Tribunal conclut que les locataires font défaut de respecter leurs obligations et que le locateur en subit un préjudice sérieux.
  5.      Malgré toute l'empathie que suscite la situation des locataires, le Tribunal conclut que le locateur a démontré, par preuve prépondérante, que sa demande en résiliation de bail est justifiée.
  6.      Le Tribunal est d'avis qu'il est inutile de surseoir à la résiliation du bail et d'y substituer des ordonnances. Les locataires ont eu suffisamment de temps pour se conformer à leurs obligations[4] et elles ne l'ont pas fait. Le Tribunal ne croit pas que des ordonnances donneraient des résultats à caractère permanent dans le présent cas.
  7.      Pour des raisons humanitaires, le Tribunal n'ordonnera pas l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel, afin de permettre aux locataires de disposer du délai de 30 jours pour reloger leur famille ou faire appel aux ressources appropriées, en fonction de leurs besoins.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

  1.      RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;
  2.      CONDAMNE les locataires à payer au locateur les frais de justice de 142,50 $;
  3.      RÉSERVE au locateur tous ses recours;
  4.      REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sylvie Lambert

 

Présence(s) :

le locateur

les locataires

Dates des audiences :

27 janvier 2025

1er avril 2025

 

 

 


 


[1] L’utilisation du seul prénom n’a pour but que d’alléger le texte et non à faire preuve de familiarité ou de prétention.

[2] Pièces P-1 et P-2 en liasse.

[3] Pièce P-3 en liasse.

[4] Rappelons que dès octobre 2023, le locateur avait avisé les locataires de désencombrer leur logement.

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