Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.P.) c. R.T. |
2015 QCTDP 23 |
|||||
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||
|
||||||
N° : |
500-53-000395-135 |
|||||
|
||||||
DATE : |
11 décembre 2015 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
Ann-Marie JONES, J.C.Q. |
||||
|
||||||
AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES : |
Mme Judy Gold |
|||||
|
Me Marie Pepin |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de M... P... |
||||||
Partie demanderesse |
||||||
c. |
||||||
|
||||||
R... T... |
||||||
Partie défenderesse |
||||||
et |
||||||
CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC, agissant en sa qualité de curateur aux biens et à la personne de M... P... |
||||||
et |
||||||
M... P... |
||||||
Partie victime |
||||||
_____________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] Le Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) est saisi d'une demande introductive d'instance par laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la Commission) allègue que le défendeur, R... T..., a porté atteinte au droit de madame M... P... d'être protégée contre toute exploitation, en profitant de son âge et de sa vulnérabilité notamment pour s'approprier des sommes d'argent lui appartenant, contrevenant ainsi à l'article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne[1](la Charte).
[2] La Commission allègue également que le défendeur a porté une atteinte discriminatoire au droit de madame M... P... à la sauvegarde de sa dignité, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte.
[3] Le Curateur public du Québec agit en qualité de curateur aux biens et à la personne de madame M... P..., à la suite d'un jugement de la Cour supérieure du 10 mai 2011[2].
[4] Le défendeur n’a pas comparu et n’était pas présent à l’audience. R... T... étant d’adresse inconnue, les procédures judiciaires lui ont été signifiées par voie des journaux.
[5] Dans son mémoire, la Commission, agissant en faveur de madame M... P..., réclamait la somme de 18 105,16 $ en dommages matériels, de 3 000 $ en dommages moraux et de 3 000 $ en dommages punitifs. Cependant, à l’audience, la Commission a modifié sa réclamation de dommages matériels pour l’établir à 18 031,85 $[3].
I. LES FAITS
[6] Née le […] 1934, madame M... P... a 75 ans au moment de son placement au Centre d'hébergement de LaSalle. D'origine jamaïcaine, elle a quatre enfants : A... T..., R... T..., Mi.... P... et M... P.... Elle a également un frère plus âgé, H... P..., qui réside en Floride.
[7] En 2002, madame M... P... loue un appartement sur la rue A à Ville A où elle emménage avec son frère, C... P..., atteint de la maladie d'Alzheimer. À la suite du décès de ce dernier en janvier 2005, R... T... revient à Ville B pour les funérailles de son oncle.
[8] Il emménage chez sa mère en avril 2005 avec ses deux compagnes et ses trois enfants. Madame M... P... et la famille du défendeur partagent logement, nourriture et voiture. D'après le témoignage de sa sœur, Mi... P..., R... T... ne travaillait pas et ne recevait pas d'aide sociale.
[9] Mi... P... témoigne qu’elle était très proche de sa mère, qui a d’ailleurs habité chez elle jusqu’en 2002. Elle avait avec cette dernière des conversations téléphoniques quotidiennes, la visitait régulièrement et se rendait la coiffer tous les dimanches. Lors de ces visites, sa mère lui parlait ouvertement de sa relation avec son frère R... et sa famille. C’est lors de ces échanges que sa mère lui a fait part de la violence physique qu’elle subissait au sein du ménage.
[10] Pour sa part, A... T...qualifie de bonne sa relation avec sa mère et dit qu’il lui parlait au téléphone environ une fois par semaine. Son travail l'amenait à voyager, mais lorsqu’il était à Ville B, il allait la voir régulièrement.
[11] Après que R... T... ait emménagé avec leur mère en 2005, Mi... P... et A... T...notent que leur mère semble intimidée par leur frère et qu'elle évite de tenir des propos qui pourraient lui déplaire. Elle semble aussi chercher l'approbation de leur frère avant de répondre à leurs questions.
[12] Mi... P... remarque également des états de compte de cartes de crédit au nom de sa mère, alors qu’à sa connaissance, celle-ci n’en possède pas. Sa mère, encore lucide à cette époque, lui dit ne pas être au courant que des cartes de crédit ont été émises à son nom. Mi... reproche alors à son frère R... de poser des gestes qu'elle estime frauduleux. En réaction à ces reproches, R... limite de plus en plus l'accès de Mi... P... et A... T...à leur mère.
[13] À partir de 2007, madame M... P... commence à présenter des pertes de mémoire. Quand Mi... P... s'enquiert de l'état de santé de sa mère, le défendeur lui donne très peu d'information.
[14] Mi... P... et A... T...ont de plus en plus de difficulté à avoir des contacts avec leur mère. Ils tentent de la rejoindre par téléphone, mais personne ne répond. Lorsqu’ils parviennent à la voir, à la moindre question qui lui déplaît, R... T... fait appel aux policiers pour qu'ils les escortent hors de chez lui.
[15] Le 23 juillet 2008, madame M... P... signe une procuration bancaire[4] en faveur de son fils, R... T.... Par la suite, soit le 25 mars 2009, elle signe une procuration générale assortie d’un mandat en cas d'inaptitude en faveur de ce dernier[5].
[16] À partir de 2009, Mi... P... et A... T...n'ont plus accès à leur mère. Lorsqu’ils se présentent pour la visiter, ils sont systématiquement interceptés par les policiers qui leur rappellent que R... T... refuse de les accueillir chez lui[6].
[17] Mi... P... entreprend alors des démarches auprès de la banque et de la police afin de les informer du traitement que reçoit sa mère de la part du défendeur, mais ses démarches demeurent vaines.
[18] En octobre 2009, madame M... P... est hospitalisée. Selon la fiche médicale du 29 octobre 2009, elle est en perte d'autonomie et atteinte de la maladie d'Alzheimer[7]. La fiche indique qu’elle demeure avec son fils R... T..., mais que sa fille, Mi... P..., constatant que sa mère nécessite des soins et une surveillance accrus, propose de la prendre chez elle. A... T...et M... P... soutiennent la position de leur sœur.
[19] Lors de son témoignage, monsieur Michel Blais, enquêteur de la Commission, mentionne qu’il a parlé au travailleur social de l'Hôpital général juif, et que déjà à cette époque, les intervenants considéraient que madame M... P... était très vulnérable et recommandaient qu’elle soit hébergée dans un Centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) à sa sortie de l’hôpital. Cependant, R... T... s’était opposé au placement de sa mère et l’avait ramenée à la maison.
[20] En janvier 2010, madame P... est de nouveau hospitalisée et soumise à une évaluation médicale et psychosociale. Le rapport médical du 11 février 2010 conclut qu’elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer et de démence, qu’elle a tendance à fuguer et qu’elle est incapable de prendre soin d'elle-même ou de gérer ses biens, et ce, de manière totale et permanente[8].
[21] Après son retour à la maison, madame P... continue de fuguer. Après sa cinquième fugue, Mi... P... demande aux policiers de ne pas retourner sa mère chez son frère R.... Le 9 juin 2010, lorsque les policiers la retrouvent, elle est amenée à l'Hôpital général juif et par la suite, admise au CHSLD de LaSalle, le 29 juin 2010[9].
[22] Le 20 juillet 2010, monsieur Blais visite madame M... P... au CHSLD de LaSalle. Selon l’enquêteur, elle est confuse, n’est pas en mesure de répondre à ses questions et se croit en Jamaïque.
[23] C’est lors de cette visite que monsieur Blais rencontre R... T... pour la première fois, en présence du frère de madame P..., H... P..., et du travailleur social du CHSLD. À cette occasion, monsieur Blais remet au défendeur une copie de la décision de la Commission d’entreprendre une enquête concernant des allégations d’exploitation financière à l’endroit de sa mère et lui explique son rôle et celui de la Commission. Il lui demande également sa version des faits. R... T... lui explique que lorsqu’il vivait avec sa mère, celle-ci payait le loyer tandis que lui et sa famille assumaient d’autres dépenses du ménage.
[24] Monsieur Blais témoigne que lors de cette rencontre, il s’est entendu avec le défendeur pour que celui-ci cesse de retirer de l’argent du compte bancaire de sa mère pour payer les dépenses de son ménage, étant donné qu’elle ne résidait plus avec eux depuis le mois de juin. De plus, il avise le défendeur qu’il aura éventuellement à démontrer que tous les retraits bancaires effectués à partir du compte de sa mère depuis son placement ont servi strictement à répondre aux besoins de celle-ci. Finalement, monsieur Blais lui dit qu’il doit, à titre de procureur de sa mère, payer les frais d’hébergement du CHSLD, à partir des avoirs de cette dernière.
[25] Monsieur Blais rencontre à nouveau R... T... en mai 2011 et lui fait signer une déclaration. Le 10 mai 2011, un jugement est rendu par la Cour supérieure prononçant l'ouverture d'un régime de protection au majeur, qui nomme le Curateur public du Québec, curateur à la personne et aux biens de madame M... P....
[26] Quelque temps plus tard, monsieur Blais convoque le défendeur à une rencontre le 29 juillet 2011. Il le prévient qu’il aura à justifier les transactions effectuées dans le compte bancaire de sa mère et lui demande d’apporter ses déclarations d’impôt depuis 2007, ainsi que celles de sa mère, et les factures et autres pièces justificatives concernant les dépenses effectuées pour les soins de sa mère.
[27] R... T... se présente à la rencontre sans les documents demandés. Selon monsieur Blais, il ne fournit aucune explication satisfaisante pour justifier les transactions et les retraits effectués dans le compte de sa mère. Monsieur Blais le questionne, entre autres, concernant deux retraits importants effectués en juin 2009, après que sa mère lui ait signé une procuration bancaire.
[28] Au sujet du premier retrait pour un montant de 4 000,18 $, effectué le 11 juin 2009, R... T... lui dit ne pas se souvenir s'il a effectué cette transaction ou si sa mère l’a effectuée pour payer un voyage qu'elle a fait en Jamaïque. Monsieur Blais témoigne qu’il n’a pas été en mesure de confirmer si madame P... s’est rendue en Jamaïque à cette période, mais ajoute que c’est possible, car il y avait à l’occasion des voyages en Jamaïque. D’ailleurs, en 2005 et à d’autres occasions, R... T... aurait accompagné sa mère en Jamaïque.
[29] En outre, le défendeur dit à monsieur Blais qu’il a retiré jusqu’à 20 000 $ du compte bancaire de sa mère pour rénover une maison en Jamaïque que celle-ci aurait héritée de son père. Il explique que lui, son oncle H... P... et sa mère avaient espoir un jour de retourner vivre en Jamaïque et d’habiter dans cette maison. R... T... lui a produit un compte de taxes en provenance de Jamaïque pour prouver l’existence de cette propriété.
[30] Il est à noter que selon le rapport du Directeur général du Curateur public, daté du 19 octobre 2010, madame M... P... avait exprimé aux intervenants le souhait de finir paisiblement ses jours en Jamaïque. De son côté, son fils R... T... avait affirmé qu’une maison avait été aménagée pour recevoir sa mère et que c’était sa responsabilité de voir à ce que son rêve se concrétise[10].
[31] Quant au deuxième retrait pour un montant de 2 500 $, effectué le 23 juin 2009, le défendeur lui a déclaré que ce montant a servi à faire des réparations sur sa voiture. Selon monsieur Blais, l’état de santé de madame P... en 2009 ne lui permettait pas de donner un consentement valable pour ces deux transactions.
[32] Quant aux transactions effectuées à partir du compte de madame P... entre juillet 2010 et mai 2011, alors qu’elle était hébergée en CHSLD, R... T... n’a pas réussi à démontrer que ces transactions avaient été faites au bénéfice de sa mère.
[33] Ainsi, R... T... n’explique pas pourquoi le montant de 558 $ pour le loyer continue à être payé à même le compte bancaire de sa mère, ainsi que les mensualités de 28,22 $ à la compagnie AlarmForce, alors qu’elle n’habite plus le logement. Toutefois, il mentionne avoir fait des démarches pour faire cesser les paiements préautorisés à la compagnie d’alarme.
[34] R... T... ne fournit pas d’explication quant au transfert de 100 $ effectué du compte de sa mère le 3 août 2010, ni concernant les retraits bancaires de 700 $ effectués le 31 août et le 6 octobre 2010, ni concernant les autres montants importants qu’il a retirés.
[35] En ce qui concerne les divers retraits bancaires effectués pour l’achat d’essence, R... T... affirme s’être servi de sa voiture pour visiter sa mère au CHSLD. Explication que monsieur Blais dit ne pas avoir retenue puisque le CHSLD était situé près de la résidence du défendeur.
[36] Quant aux achats effectués chez Walmart entre le 10 et le 16 août 2010 avec la carte bancaire de madame M... P..., au montant de 13,55 $, 31,29 $ et 7,90 $, R... T... affirme avoir acheté des articles de toilette pour les soins de sa mère. Monsieur Blais dit ne pas avoir vérifié cette information auprès des intervenants du CHSLD.
[37] Par ailleurs, monsieur Blais mentionne qu'entre l'admission de madame M... P... au CHSLD de LaSalle en juin 2010 et l'ouverture du régime de protection au mois de mai 2011, R... T... n'a pas payé les mensualités dues pour l'hébergement de sa mère, alors qu'il lui avait spécifié qu'il devait le faire. En conséquence, un solde impayé de 11 682,56 $ s'est accumulé envers le CHSLD de LaSalle[11].
[38] R... T... est resté dans l’appartement de la rue A avec sa famille jusqu’en juillet 2013. Mi... P... dit qu’elle n’a plus de contacts avec son frère R.... Depuis qu’elle et ses frères lui ont reproché son comportement envers leur mère, il évite les contacts avec eux. Bien que des connaissances les aient informés qu’elles l’avaient croisé à Ville A, ils ne savent pas comment le contacter.
[39] Mi... P... considère que depuis 2005, son frère R... a frauduleusement dilapidé les avoirs de leur mère, au moyen de cartes de crédit, de ventes d’actions et d’obligations et d’emprunts illégitimes, et ce, d’une façon beaucoup plus importante que ce qui a été mis en preuve devant la Cour supérieure et le Tribunal. Toutefois, elle n’est pas en mesure d’évaluer le montant que son frère a dérobé à sa mère.
[40] En terminant, Mi... P... mentionne qu’elle visite régulièrement sa mère au CHSLD de LaSalle. Aujourd’hui, madame M... P... ne marche plus, ne parle plus et ne reconnaît plus ses enfants.
II. LES QUESTIONS EN LITIGE
[41] Compte tenu de la preuve et des représentations, les questions en litige sont les suivantes :
1- Le défendeur a-t-il compromis le droit de madame M... P... d'être protégée contre l'exploitation des personnes âgées, contrevenant ainsi à l'article 48 de la Charte?
2- Le défendeur a-t-il compromis le droit de madame M... P... à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l'âge, de façon contraire aux articles 4 et 10 de la Charte?
3- Madame M... P... a-t-elle droit aux dommages matériels, moraux et punitifs réclamés en sa faveur?
III. L'ANALYSE
A. Les dispositions législatives applicables
[42] Les dispositions applicables de la Charte sont les suivantes :
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.
48. Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation.
Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
B. L'exploitation d'une personne âgée
[43] Dans la décision Commission des droits de la personne c. Brzozowski[12], le Tribunal a indiqué que « l’expression "personne âgée" de l’article 48 n’a aucune connotation autre que de signifier "personne d’un âge plus avancé". Être une personne âgée ne comporte pas en soi un état de dépendance, de vulnérabilité […]».
[44] La jurisprudence n'a donc pas fixé un barème ou un âge minimal à partir duquel une personne est considérée âgée, mais il va de soi que la victime, qui avait 75 ans au moment des faits en litige et souffrait d’Alzheimer, était une personne âgée.
[45] Dans plusieurs jugements, l'âge avancé a été considéré comme une caractéristique de la vulnérabilité[13]. Tel que l'a indiqué le Tribunal dans l'affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Vallée[14], l'âge avancé est une « source générale de vulnérabilité ». Cette caractéristique ne saurait toutefois être suffisante par elle-même pour conclure à la vulnérabilité, car conclure que toute personne âgée est nécessairement vulnérable au point où la protection de l'article 48 de la Charte s’appliquerait n'a pas de fondement empirique et véhiculerait des préjugés non fondés à l'égard de personnes âgées.
[46] De plus, la Cour d’appel dans l’arrêt Vallée c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[15] a confirmé en partie le Tribunal et conclu que le droit énoncé à l’article 48 de la Charte doit recevoir une interprétation large et reconnaît qu’il s’agit d’un droit distinct de ceux énoncés au Code civil du Québec.
[47] Cette disposition protège les personnes âgées et les personnes handicapées contre toute forme d’exploitation, ce qui inclut non seulement sa dimension économique, financière ou matérielle, mais également l'exploitation physique, psychologique, sociale ou morale. En outre, la personne âgée doit pouvoir faire des choix libres et éclairés et toute entrave significative constitue de l'exploitation[16].
[48] Le Tribunal dans l'affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gagné [17] a défini l'expression « exploitation » en ces termes :
[83] En fait, l'exploitation s'entend de toute situation de vulnérabilité et de dépendance d'une personne face à une autre qui, volontairement ou involontairement, en profite de manière abusive, et de la volonté de quelqu'un d'en profiter. L'exploitation s'entend, dans son sens vernaculaire, d'un profit abusif.
[…]
[91] Définissons ainsi l'exploitation. Elle comprend les trois éléments suivants :
1) une mise à profit;
2) d'une position de force;
3) au détriment d'intérêts plus vulnérables.
[49] Ces trois critères pour établir la preuve de l'exploitation en vertu de l'article 48 ont fait l'objet d'une jurisprudence constante[18].
a) Une mise à profit
[50] Pour démontrer qu'il y a eu une mise à profit, il est nécessaire de faire la preuve que le défendeur a profité, de manière volontaire ou involontaire, de la vulnérabilité de sa mère et de sa position de force pour s'enrichir au détriment des intérêts de cette dernière[19].
[51] La preuve révèle que le défendeur et sa famille ont habité avec madame P... d’avril 2005 à juin 2010. Selon la preuve présentée, R... T... n’aurait pas travaillé pendant cette période. Madame P... est donc devenue une source de revenus pour aider le défendeur à subvenir aux besoins de sa famille, sans compter qu’elle avait signé une procuration bancaire, le 23 juillet 2008, en faveur de son fils.
[52] En plus des deux transactions bancaires effectuées les 11 et 23 juin 2009, les montants que la Commission affirme que R... T... a retirés du compte bancaire de sa mère pour ses propres fins auraient été retirés entre juillet 2010 et avril 2011. Pendant cette période, le défendeur avait accès au compte de sa mère, alors que celle-ci était hébergée en CHSLD et n’était pas en mesure d’effectuer des transactions ou de faire des achats avec sa carte bancaire.
[53] La Commission a démontré que R... T... a continué à puiser dans le compte bancaire de sa mère entre le placement de cette dernière au CHSLD de LaSalle et l'ouverture du régime de curatelle. Le défendeur avait donc l’obligation de justifier les retraits et les transactions effectués. Il n'a cependant pas été en mesure de démontrer à monsieur Blais que toutes les transactions et toutes les dépenses faites durant cette période l’avaient été pour répondre aux besoins de sa mère et dans l’intérêt de celle-ci.
[54] En outre, non seulement le défendeur n’a pas justifié la grande majorité des transferts et retraits qu’il a effectués à partir du compte bancaire de sa mère, mais alors que c’était sa responsabilité, il n’a pas payé les frais d’hébergement en CHSLD de cette dernière. Par voie de conséquence, une dette de 11 682, 56 $ s’est accumulée envers le CHSLD de LaSalle.
[55] Par ailleurs, la Commission a déposé les relevés bancaires de madame P... du 31 décembre 2006 au 14 avril 2011 comme pièce P-8. L’examen de ces relevés bancaires révèle une augmentation importante des transactions dans le compte de madame P... en 2009, comparativement à 2008. Mais plus troublant encore est le fait qu’un premier dépôt de 15 000 $ a été effectué par Royal Selcon (RBC) dans le compte le 8 juin 2009 et un deuxième dépôt de 10 294,99 $ a été effectué le 7 juillet 2009, pour un total de 25 294, 99 $. Or, le 31 juillet 2009, il ne restait dans le compte de madame P... que la modique somme de 24, 88 $.
[56] Pour le mois de juin 2009, l’on remarque deux transferts importants. Le premier, effectué le 11 juin, est de 4 000,18 $ et le deuxième, effectué le 23 juin, est de 2 500 $. Ces transferts totalisant 6 500,18 $ sont réclamés par la Commission.
[57] Pour le mois de juillet 2009 on constate :
- un transfert le 6 juillet de 2 985,51 $;
- un retrait le 8 juillet de 338,20 $;
- 5 retraits le 9 juillet, totalisant 1 022,10 $;
- 7 retraits le 10 juillet, totalisant 1 421,49 $;
- 7 retraits le 13 juillet, totalisant 2 703 $;
- 4 retraits le 14 juillet, totalisant 1 488,15 $;
- 4 retraits le 17 juillet, totalisant 1 431,18 $;
- 3 retraits le 20 juillet, totalisant 1 168,17 $;
- 4 retraits le 21 juillet, totalisant 1 423,10 $;
- 2 retraits le 23 juillet, totalisant 771,02 $;
- 1 retrait le 27 juillet de 379,79;
- 4 retraits le 30 juillet, totalisant 1 393,62 $;
- 3 retraits le 31 juillet, totalisant 821,84 $;
[58] Ce transfert et ces retraits, effectués au cours du mois de juillet 2009, représentent la somme de 17 347,17 $. Dans son témoignage, monsieur Blais ne mentionne pas avoir questionné R... T... concernant ces retraits du mois de juillet 2009 et la Commission ne réclame pas ces montants.
[59] La Commission a démontré, par prépondérance de preuve, que le défendeur s’est approprié des sommes d’argent au détriment des intérêts de madame M... P....
[60] Le Tribunal conclut que le critère de la situation de mise à profit est rencontré.
b) Une position de force au détriment d'intérêts plus vulnérables
[61] Me Marie-Hélène Dufour, dans un article intitulé « Définitions et manifestations du phénomène de l’exploitation financière des personnes âgées », fait une synthèse de la jurisprudence sur l'exploitation de personnes âgées et identifie les éléments suivants que les tribunaux ont retenus pour conclure à la vulnérabilité d'une personne : l'âge avancé, les maladies et déficits physiques et cognitifs, le faible niveau de scolarité ou l'analphabétisme, le décès d'un conjoint surtout dans la mesure où la personne dépendait de celle-ci pour son propre bien-être, la dépendance pour les soins de base et l'isolement[20].
[62] Plusieurs éléments de cette liste caractérisent la situation de madame M... P..., permettant de conclure à une situation de vulnérabilité.
[63] La preuve établit que le défendeur était en position de force à l’égard de sa mère. Leur relation était caractérisée par des éléments que la jurisprudence a reconnus comme étant des indicateurs d'une relation entre un abuseur et une victime. Il isolait sa mère des autres membres de sa famille, l’intimidait et refusait de la laisser seule avec d'autres membres de sa famille[21]. À preuve, madame P... s’est plainte à sa fille des abus physiques qu’elle subissait de la part du défendeur.
[64] La jurisprudence a retenu l'isolement de la victime comme un indicateur de vulnérabilité[22]. Or, il ressort des témoignages de Mi... P... et d’A... T...qu'à partir de 2007, leur frère R... a progressivement isolé leur mère. Ainsi, lorsque Mi... P... s'est enquise de la détérioration de l'état de santé de sa mère, notamment de ses pertes de mémoire, son frère lui a donné peu d'information et l'a empêchée de prodiguer des soins à sa mère.
[65] À partir de 2009, en appelant régulièrement la police pour empêcher sa fratrie de voir leur mère, R... T... a cherché à rompre la relation entre sa mère et le reste de sa famille. Madame P... a ainsi été isolée de sa fille et de ses deux autres fils avec qui elle maintenait une bonne relation avant que le défendeur n’emménage chez elle en 2005. Cet isolement ne résultait pas d’une décision de madame P... d'écarter ses autres enfants de sa vie, mais plutôt des actions du défendeur afin d’exercer un contrôle sur sa mère et sur ses avoirs.
[66] D’ailleurs, après que R... T... eut coupé les contacts entre sa mère et sa fratrie, celle-ci dépendait entièrement de lui pour ses soins de base en raison de sa santé et de son isolement. Déjà en 2007, ses enfants ont remarqué que leur mère présentait des pertes de mémoire et sa fiche d’hospitalisation d'octobre 2009 indique qu'elle était en perte d'autonomie et qu'elle souffrait de la maladie d'Alzheimer. Par la suite, le rapport médical du 11 février 2010, non seulement confirme le diagnostic d'Alzheimer et de démence, mais conclut à son incapacité permanente. Finalement, l'ouverture d'un régime de curatelle en mai 2011 établit qu’elle était alors totalement incapable de gérer ses biens.
[67] Le Tribunal retient que le défendeur a profité de sa position de force à l’égard de sa mère, qui était très vulnérable, pour s'enrichir à ses dépens. De plus, l'âge avancé de madame M... P..., son état de santé, sa dépendance pour ses soins de base et son isolement amènent le Tribunal à conclure qu'elle était une personne vulnérable depuis au moins l’année 2009.
[68] L’ensemble des ces éléments conduit le Tribunal à constater que madame P... a été victime d’exploitation de la part du défendeur.
c. L'atteinte à la dignité
[69] Le droit à la sauvegarde de sa dignité est un droit autonome dont l'essence a été décrite comme suit par le Tribunal dans l’affaire Commission des droits de la personne c. Centre d'accueil Villa Plaisance [23]:
[…] la notion de dignité au sens de l'article 4 s'entend de la valeur intrinsèque qu'a tout être humain, qui l'autorise à être traité avec pudeur, avec égards, avec déférence.
[70] La Cour suprême du Canada précisait, dans l'arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand [24], que l'article 4 de la Charte vise « les atteintes aux attributs fondamentaux de l'être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu'elle est un être humain et au respect qu'elle se doit à elle-même ». La jurisprudence en matière d'exploitation de personnes âgées appuie cette assertion. Dans plusieurs décisions, le Tribunal a conclu que l'exploitation porte atteinte aux droits fondamentaux, soit à la dignité, à l'intégrité et à la vie privée[25].
[71] La preuve démontre que le défendeur a empêché les autres membres de la famille de voir sa mère, de s’enquérir de son état de santé, de lui venir en aide et de la réconforter. Elle a ainsi été isolée de ses trois autres enfants, particulièrement de sa fille, Mi... P..., avec qui elle avait déjà habité et avec qui elle entretenait des liens significatifs.
[72] Il est par ailleurs évident que le défendeur avait une emprise psychologique sur sa mère et que celle-ci a souffert de cette situation. À preuve, elle a dévoilé à sa fille qu’elle subissait de la violence physique aux mains de son fils R.... Ses enfants, Mi... et A..., ont effectivement remarqué qu’elle était craintive de leur frère. Or, elle a vécu dans ce contexte d’humiliation et de stress psychologique pendant plusieurs années.
[73] Le Tribunal estime que le défendeur a violé les droits fondamentaux de sa mère, envers qui il n’a démontré aucune considération et aucun respect. R... T..., en profitant de la vulnérabilité liée à l’âge avancé de sa mère et à ses problèmes de santé pour vivre à ses dépens et retirer d’importantes sommes d’argent de son compte bancaire, a donc porté atteinte de façon discriminatoire au droit à la dignité de sa mère au sens de l’article 4 de la Charte[26].
IV. LES DOMMAGES
A. Les dommages matériels
[74] La Commission réclame à titre de dommages matériels la somme de 18 031,85 $, détaillée dans un document intitulé « Calcul des dommages matériels »[27].
[75] Ces dommages incluent les deux transferts bancaires faits en juin 2009 aux montants de 4 000,18 $ et 2 500 $, effectués alors que madame P... résidait encore avec le défendeur et sa famille; ainsi que l’ensemble des transactions de débits bancaires faites du compte de madame P..., entre le mois de juillet 2010, après son admission au CHSLD, et le mois de mai 2011, lors de sa prise en charge par le Curateur public du Québec.
[76] Abordons en premier lieu les retraits effectués en juin 2009.
[77] Le défendeur a dit à monsieur Blais ne pas se souvenir qui de lui ou de sa mère a effectué la transaction de 4 000,18 $ afin que celle-ci effectue un voyage en Jamaïque. Bien que monsieur Blais affirme être sceptique quant à l'explication de R... T..., il reconnaît néanmoins qu’il y a eu à l’occasion des voyages en Jamaïque. De plus, les relevés bancaires indiquent un paiement de 134 $ pour un passeport, le 22 juin 2009.
[78] Le Tribunal conclut que la Commission n’a pas prouvé, par prépondérance de preuve, que R... T... s’est approprié cette somme. Ce montant ne peut donc être accordé à titre de dommages matériels.
[79] Quant au deuxième retrait, pour la somme de 2 500 $, R... T... a déclaré à l’enquêteur que cette somme avait servi à payer des réparations sur sa voiture. Comme il s’agit de la voiture du défendeur, madame P... n’avait pas à assumer cette dépense. Ce montant est donc accordé à titre de dommages matériels.
[80] Quant aux montants retirés après le placement de madame M... P..., examinons ceux pour lesquels le défendeur a donné une explication.
[81] Monsieur Blais a mentionné que le loyer était de 558 $ et que le bail était toujours au nom de madame P.... Toutefois, comme madame P... n’habitait plus le logement, il revenait au défendeur de payer le loyer. Les revenus de madame P..., devant servir à payer ses frais d’hébergement au CHSLD. Il en va de même pour le système d'alarme AlarmForce. Il était de la responsabilité du défendeur de payer pour ce service, à partir du moment où sa mère a été placée. Ces montants sont donc accordés à titre de dommages matériels.
[82] Quant aux transactions effectuées chez Walmart entre le 10 et le 16 août 2010 avec la carte bancaire de madame M... P..., le défendeur donne une explication satisfaisante voulant qu’il ait acheté des articles de toilette pour sa mère au mois d’août. Les sommes de 13,55 $, 31,29 $ et 7,90 $ ne peuvent donc pas être accordées à titre de dommages matériels.
[83] En ce qui concerne les retraits bancaires effectués pour l’achat d’essence, il s’agit d’une dépense que le défendeur se devait d’assumer et les visites à sa mère ne sauraient justifier les retraits effectués du compte de madame P....
[84] Le défendeur n’ayant fourni aucune explication concernant les autres transactions qu’il a effectuées à partir du compte bancaire de sa mère, le Tribunal conclut qu'elles ont été faites contrairement aux intérêts de madame P.... En effet, celle-ci était hébergée en CHSLD et en dehors de ses frais d’hébergement et de quelques articles de toilette, elle n’avait pas de dépenses. Le défendeur s’est donc approprié ces sommes sans justification.
[85] Il y a donc lieu d'accorder un montant de 13 978,93 $ à titre de dommages matériels.
B. Les dommages moraux
[86] La Commission réclame un montant de 3 000 $ à titre de dommages moraux. Il faut donc déterminer si la preuve démontre que le traitement que madame P... a subi lui a causé un préjudice moral, soit des inconvénients, une perte de jouissance de la vie ou des souffrances psychologiques. En effet, les dommages moraux visent à compenser l'atteinte à la dignité, l'humiliation et le mépris dont une personne a été l'objet[28].
[87] Puisque madame M... P... n'a pas pu être entendue sur l'exploitation et l'atteinte à sa dignité dont elle a été victime, la preuve du préjudice moral devient plus difficile à faire. Toutefois, tel que l'a indiqué la juge Rayle de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Bou Malhab c. Métromédia CMR Montréal inc .[29] :
[63] Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire, il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé, seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.
[88] D'ailleurs, dans les affaires où il est allégué qu'une personne âgée a été victime d'exploitation, il n’est pas inhabituel que la victime ne puisse témoigner en raison de son état de santé. Le Tribunal peut cependant inférer des faits mis en preuve et des témoignages entendus, notamment ceux des membres de la famille de la victime, que celle-ci a subi des dommages moraux. Bref, l'incapacité de madame P... de verbaliser ces dommages ne rend pas l'atteinte moins réelle.
[89] En l’espèce, puisque la preuve présentée par la Commission établit que la conduite du défendeur a causé une atteinte à la dignité de madame M... P..., cette dernière a droit à des dommages-intérêts moraux pour réparer ce préjudice. Le Tribunal tient aussi compte du fait que dans la présente affaire l’exploitation a duré plusieurs années et a porté sur plusieurs aspects : financiers, psychologiques et sociaux. Par voie de conséquence, le Tribunal estime que le montant de 3 000 $ réclamé par la Commission est approprié en guise de réparation du préjudice moral que madame P... a subi.
C. Les dommages punitifs
[90] La Commission réclame 3 000 $ en dommages punitifs en vertu de l’article 49 de la Charte qui énonce qu’en cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[91] La Cour suprême a ainsi cerné le sens de l’atteinte intentionnelle[30] :
Contrairement aux dommages compensatoires, l’octroi de dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte. Or, une atteinte illicite étant, comme je l’ai déjà mentionné, le résultat d’un comportement fautif qui viole un droit protégé par la Charte, c’est donc le résultat de ce comportement qui doit être intentionnel. En d’autres termes, pour qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’«intentionnelle», l'auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.
(Soulignements reproduits)
[92] La Commission a démontré que R... T... a contrevenu à l’article 48 de la Charte en utilisant une partie du patrimoine de sa mère à ses propres fins. En effet, la preuve révèle que lui et sa famille vivaient aux dépens de madame P....
[93] Le Tribunal reconnaît qu’une mise en commun des ressources à l’intérieur d’une famille peut être valable; outre les économies d’échelle, cela peut créer de la solidarité entre les membres, mais seulement dans la mesure où chacun y trouve son compte. Malheureusement, à compter de 2009, tel ne fut certainement pas la situation vécue par madame P..., si l’on considère que le support affectif de ses enfants lui fut retiré et des dépenses injustifiées faites à partir de ses avoirs. Il faut également rappeler que d’aucune manière, les difficultés financières des aidants naturels ne peuvent justifier le dépouillement d’une personne âgée.
[94] Qui plus est, le défendeur, qui était responsable de l’administration des biens de sa mère, n’a pas payé pour ses frais d’hébergement au CHSLD de LaSalle entre le moment de son placement au mois de juin 2010 et l’ouverture d’un régime de curatelle en mai 2011. C’est ainsi qu’une dette de 11 682,56 $ s’est accumulée envers le CHSLD.
[95] Dans ce contexte, la seule conclusion raisonnable qui s’impose est que le défendeur a délibérément dilapidé le patrimoine de sa mère, sachant qu’il l’appauvrissait. Il a ainsi privé sa mère de la sécurité financière à laquelle elle avait droit. Le Tribunal considère qu’il a aussi porté atteinte intentionnellement à la dignité de sa mère en étant parfois violent et intimidant à son égard et en l’isolant.
[96] Madame M... P... est maintenant sous la protection de la curatelle publique. Cependant, le but d’imposer des dommages punitifs à R... T... est de souligner la réprobation à l’égard de ses comportements, tel que l’écrivait le Tribunal dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. O’Toole [31] :
Il est bien établi que les dommages punitifs sont destinés à exprimer la réprobation de la société envers des comportements inacceptables et à jouer un rôle dissuasif afin de prévenir des inconduites à l'avenir, tant par l'individu fautif que par les membres de la société en général.
[97] À cela le Tribunal estime utile d’ajouter cette citation de la Cour suprême[32] :
Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société. La condamnation joue ainsi un rôle de dissuasion particulière et générale. Par ailleurs, le principe de la dénonciation peut aussi justifier une condamnation lorsque le juge des faits désire souligner le caractère particulièrement répréhensible de l’acte dans l’opinion de la justice. Cette fonction de dénonciation contribue elle-même à l’efficacité du rôle préventif des dommages-intérêts punitifs.
[98] Dans la présente affaire, le Tribunal estime que le montant de 3 000 $ réclamé par la Commission à titre de dommages punitifs est raisonnable et amplement justifié, eu égard aux circonstances dans lesquelles l’exploitation s’est produite.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[99] ACCUEILLE en partie la demande;
[100] CONDAMNE le défendeur, R... T..., à verser à madame M... P... la somme de 19 978,93 $, répartie comme suit :
a) 13 978,93 $ à titre de dommages matériels;
b) 3 000 $ à titre de dommages moraux;
c) 3 000 $ à titre de dommages punitifs;
[101] LE
TOUT, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
[102] AVEC DÉPENS.
|
|
|
__________________________________ ANN-MARIE JONES, J.C.Q. |
|
Présidente du Tribunal des droits de la personne |
|
|
|
Me Michèle Turenne |
|
BOIES DRAPEAU BOURDEAU |
|
Pour la partie demanderesse |
|
|
|
M. R... T... (absent à l’audience) |
|
Partie défenderesse |
|
|
|
|
|
|
|
Date d’audience : |
16 février 2015 |
[1] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
[2] 500-14-036251-016, C.S., 10 mai 2011, pièce P-1.
[3] Pièce P-8 a.
[4] Pièce P-4.
[5] Pièce P-5.
[6] Pièce P-3, Report of the Director General, p. 2A indique « […] R... T... has exercised a police restraining order against his sister re : visiting their Mother while in their home ».
[7] Pièce P-6, Notes du Centre de santé et de services sociaux de Dorval-Lachine-Lasalle, Fiche - Demande de service normalisée.
[8] Pièce P-3, Report of the Director General, p. 2A.
[9] Pièce P-6, Notes d'évolution du Centre d'hébergement de LaSalle, note d’admission 29-06-10.
[10] Pièce P-3, Report of the Director General, p. 3F.
[11] Pièce P-7.
[12]
[13]
Ampleman c. Lachance,
[14]
[15]
[16]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gagné,
[17] Id, par. 83 et 90.
[18]
Commission des droits de la personne du Québec c. Brzozowski,
préc., note 12; Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse c. Vallée, préc., note 14, par. 80; Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Payette,
[19]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Robitaille,
[20]
Marie-Hélène Dufour,
« Définitions et manifestations du phénomène de l’exploitation financière
des personnes âgées »,
[21]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Venne,
[22]
Ampleman c. Lachance, préc., note 13, par. 39; Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Fiset, 1998
CanLII 31 (QC T.D.P.), par. 31; Deschênes c. Limoges,
[23]
[24]
[25] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gagné, préc., note 16, par. 95-101; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Robitaille, préc., note 19, par. 131 et 211.
[26] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, préc., note 23; Christian BRUNELLE, «La dignité, ce digne concept juridique», dans Collection de droit 2009-2010, École du Barreau du Québec, vol. 13, Justice, société et personnes vulnérables, Cowansville, Éditions Yvons Blais, 2009, p. 21.
[27] Pièces P-8 et P-8a.
[28]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bertiboni,
[29]
[30] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 24, p. 260.
[31]
[32]
Richard c. Time Inc.,