Décision

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Décision

Grandmont c. Société en commandite Trois-Rivières (Coin St-Paul)

2020 QCTAL 11162

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Trois-Rivières

 

No dossier :

470495 15 20190710 G

No demande :

2801608

 

 

Date :

22 décembre 2020

Devant la juge administrative :

Sophie Alain

 

Andrée Grandmont

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE Trois-Rivières faisant affaires sous le nom de Le coin St-Paul

 

Locatrice - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande du 10 juillet 2019, la locataire réclame une diminution mensuelle du loyer de 100 $ rétroactive au 1er novembre 2018, une ordonnance pour l’exécution en nature des obligations du locateur, des dommages-intérêts moraux de 2 000$ et les frais.

[2]      À l’audience du 28 octobre 2020, la locataire a informé le Tribunal qu’elle quittait son logement. Par conséquent, l’ordonnance n’a plus d’objet.

Questions en litige

[3]      La locatrice a-t-elle fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués ?

[4]      Le cas échéant, quelle est la diminution de loyer à accorder ?

[5]      La locataire a-t-elle droit aux dommages-intérêts moraux réclamés ?

Contexte

[6]      La locatrice, Société en commandite Trois-Rivières (Coin St-Paul), gère et loue des logements dans une résidence pour personnes âgées.

[7]      Les parties sont liées par un bail résidentiel débuté il y a six ans, reconduit du 1er juillet au 30 juin. Le loyer mensuel est de 1 303 $.

[8]      La locataire habite le logement numéro 204. Elle explique subir une problématique relative à l’odeur d’urine et d’excrément en provenance du logement voisin (numéro 202). Ce logement est occupé par une résidante présentant des problèmes de santé, entre autres, d’incontinence.


[9]      À l’aube de ses 76 ans, elle veut que cessent tous les troubles de mauvaises odeurs qu’elle endure.

[10]   La locataire n’a transmis aucune mise en demeure à la locatrice, mais la mandataire de la locatrice admet avoir reçu des plaintes de la locataire.

[11]   La locatrice admet que la voisine de la locataire a une problématique d’incontinence et porte des protections à cet égard. Cependant, la voisine ne présente aucune perte cognitive.

[12]   Dès les premières difficultés de la voisine, la locatrice a fait intervenir le CLSC.

[13]   Le 16 mars 2020, la locatrice a transmis un avis de dépassement de soins au CLSC. La voisine bénéficie d’un suivi rigoureux avec le CLSC et la locatrice effectue le ménage de manière hebdomadaire.

[14]   La locatrice conteste la réclamation et soumet que la perception des odeurs par la locataire n’est pas démontrée par les inspections fréquentes, et ce, quotidiennement depuis leurs interventions débutées lors de la première plainte de la locataire.

[15]   Les odeurs dans le corridor sont sporadiques : 20 novembre 2018, 16 avril 2019, 5 novembre 2019, 5 décembre 2019 et 8 mars 2020.

[16]   Néanmoins, la locatrice a offert à la locataire de la reloger, ailleurs dans l’immeuble, ce qu’elle a refusé.

[17]   L’immeuble comporte un système de ventilation et d’échangeur d’air. Pour les motifs expliqués à l’audience du 28 juillet dernier, le Tribunal a ordonné à la locatrice de mandater un professionnel en ventilation pour inspecter les lieux (étage, corridor et logements numéros 202 et 204), afin qu’il puisse poser un diagnostic, proposer une ou des solutions et appliquer, le cas échéant, la solution retenue.

[18]   La locatrice a respecté l’ordonnance. Le 24 août dernier, le fournisseur de services (frigoriste) a inspecté les lieux; aucune déficience n’a été trouvée, les conduits ont été nettoyés. Il n’y a aucune possibilité que l’air présent dans le logement voisin puisse se « propager » dans le logement de la locataire.

LE DROIT

[19]   La demande du locataire s’appuie sur l’article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui se lit comme suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. » [Caractère gras ajouté]

[20]   Ainsi, la Loi donne trois options au locataire : l’exécution en nature, la résiliation du bail ou la diminution du loyer, avec ou sans dommages-intérêts.

[21]   La diminution du loyer vise à évaluer la valeur objective de la perte locative subie par un locataire en raison du ou des manquements du locateur. La perte doit être sérieuse, significative et substantielle[1]. Tandis que l’octroi de dommages vise à compenser le préjudice subi (moral[2], matériel) lorsqu’il y a un lien entre la faute reprochée et les dommages réclamés.


[22]   En revanche, le locataire doit prouver, de manière convaincante, le ou les manquements du locateur à ses obligations[3]. Entre autres obligations, un locateur doit procurer au locataire la jouissance paisible de son logement[4], le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité[5] et l'exécution de toutes les réparations nécessaires, sauf celles qui sont purement locatives[6]. De plus, le locateur est soumis à ces obligations, peu importe l'état de l'immeuble ou du logement lors de la signature du bail et malgré la connaissance ou l'acceptation de certaines anomalies par un locataire[7].

DÉCISION

·         La locatrice a-t-elle fait défaut de procurer la pleine jouissance des lieux loués ?

[23]   D’entrée de jeu, rappelons que celui qui veut faire valoir un droit doit faire la preuve des faits au soutien de sa prétention, et ce, de façon prépondérante, la force probante du témoignage et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal[8].

[24]   Il ne suffit pas de présenter des allégations générales devant un tribunal. Chacune des prétentions d'une partie doit être démontrée par des faits qui doivent s'appuyer sur des preuves probantes et crédibles.

[25]   L'appréciation du lien causal est une question de fait. Cette preuve ne répond pas à celle de la certitude scientifique, mais bien à la règle de la prépondérance des probabilités[9].

[26]   Le Tribunal croit la locataire qu’il y a eu des odeurs nauséabondes.

[27]   En revanche, la preuve de la locatrice est nettement plus prépondérante que celles-ci sont sporadiques. La tenue d’un journal de bord quotidien est davantage fiable que la mémoire olfactive.

[28]   Par conséquent, le Tribunal estime que la perte de jouissance du logement subie par la locataire concernant les odeurs n’est pas, à ce point, significative ou substantielle pour répondre aux exigences afin d’accorder une diminution de loyer. Cette demande est donc rejetée.

·         La locataire a-t-elle droit aux dommages-intérêts moraux réclamés ?

[29]   La locataire a témoigné que les odeurs ont rendus sa santé plus fragile. Elle ajoute également qu’il y a eu un épisode de punaises de lit dans l’immeuble, ce qui lui a causé un grand stress. C’est pourquoi, elle réclame des dommages-intérêts de 2 000 $.

[30]   La demande de la locataire s’appuie sur l’article 1861 C.c.Q. qui se lit comme suit :

« 1861. Le locataire, troublé par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce dernier permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci, peut obtenir, suivant les circonstances, une diminution de loyer ou la résiliation du bail, s'il a dénoncé au locateur commun le trouble et que celui-ci persiste.

Il peut aussi obtenir des dommages-intérêts du locateur commun, à moins que celui-ci ne prouve qu'il a agi avec prudence et diligence; le locateur peut s'adresser au locataire fautif, afin d'être indemnisé pour le préjudice qu'il a subi. »

[Caractères gras ajoutés]

[31]   Or, la locatrice a prouvé, de manière convaincante, avoir agi avec prudence et diligence. Au surplus, quoiqu’elle pût refuser l’offre du locateur de la reloger, le Tribunal juge que, ce faisant, elle n’a pas respecté son obligation de mitiger son préjudice[10]. Il n’y a donc pas lieu d’accorder des dommages-intérêts à la locataire.

[32]   Par conséquent, le Tribunal rejette la demande de la locataire.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]   REJETTE la demande de la locataire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

la locataire

la mandataire de la locatrice

Date de l’audience :  

28 octobre 2020

 

 

 


 



[1] Par opposition, la perte de jouissance qualifiée simplement de minime ou de peu d’importance ne peut donner ouverture à une diminution de loyer.

[2] Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques.

[3] Article 2803 C.c.Q.

[4] Article 1854 C.c.Q.

[5] Article 1910 C.c.Q.

[6] Article 1864 C.c.Q.

[7] Simoneau c. Singh, 2012 QCRDL 2391.

[8] Articles 2803, 2804 et 2845 du Code civil du Québec.

[9] Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, EYB 1990-67315, p. 328 et 330; Simard c. Larouche, 2011 QCCA 911, EYB 2011-190810, paragr. 74-75.

[10] Article 1479 du Code civil du Québec.

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