Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière d'indemnisation

 

 

Date : 26 mai 2017

Référence neutre : 2017 QCTAQ 05457

Dossier  : SAS-M-215458-1309

Devant les juges administratifs :

MICHEL RIVARD

GILLES THÉRIAULT

 

P… F…

Partie requérante

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Partie intimée

et

COMMISSION DES NORMES, DE L'ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Partie mise en cause

 


DÉCISION



 


[1]              Le requérant conteste une décision du Bureau de la révision administrative - IVAC / Civisme (ci-après IVAC) rendue le 18 juillet 2013 qui déclarait que celui-ci était sans emploi lors de l'événement du 25 mars 2010.

[2]              À l’audience du 13 avril 2017, le requérant est présent et représenté par avocate. La partie intimée est représentée par procureure. Quant à la partie mise en cause, l’IVAC, elle est absente.

 

Les faits

[3]              Le 25 mars 2010, alors qu’il était âgé de 25 ans, le requérant a été victime d’une blessure par balle à l’abdomen lui causant de multiples blessures de l’intestin et du duodénum[1].

[4]              De ce fait, il a subi une laparotomie avec une résection de l’intestin grêle ainsi que de multiples réparations de l’intestin grêle et du duodénum en plus des nombreuses complications notées en postopératoire.

[5]              Il a séjourné environ quatre semaines aux soins intensifs, car son abdomen a été gardé ouvert.

[6]              En raison d’une paraplégie secondaire, il a été contraint de se déplacer en fauteuil roulant durant environ un an.

[7]              Enfin, à l’époque, on notait une faible chance de la récupération des fonctions de la vessie, des intestins ainsi que des fonctions sexuelles et motrices.

[8]              Compte tenu de l’ensemble de ce tableau clinique, il a été reconnu comme ayant une incapacité totale permanente par l’IVAC, ce qui n’est aucunement contesté dans le présent dossier.

[9]              Le 18 juillet 2013, après étude du dossier du requérant, la mise en cause détermine un statut de sans-emploi puisqu’il n’occupait pas d’emploi. La base salariale retenue est donc le salaire minimum en vigueur lors de l’événement. Ceci est  contesté par le requérant, d’où le présent recours.

Témoignage du requérant

[10]           D’entrée de jeu, celui-ci déclare au Tribunal qu’il n’a jamais été prestataire de la Sécurité du revenu.

[11]           Avant l’agression de mars 2010, il était activement à la recherche d’un emploi dans le domaine de l’électricité.

[12]           Ayant obtenu son diplôme d’études professionnelles « Électricité de construction » le 7 mai 2009[2], le requérant a travaillé « au noir » durant sept mois pour une petite entreprise, car il désirait accumuler des heures et obtenir sa carte de compétence « apprenti 1 » et ainsi satisfaire aux normes de la Commission de la construction du Québec (C.C.Q.). Il était payé 20 $ de l’heure.

[13]           Au mois de novembre 2009, il a quitté son travail à la suite d'une altercation avec son employeur qui refusait de « déclarer ses heures » malgré une promesse de lui « donner ses 150 heures ». Par la suite, il a vécu du fruit de ses économies accumulées durant ses sept (7) mois de travail.

[14]           Ensuite, le requérant relate son parcours scolaire et professionnel à compter de l’année 2004.

[15]           Ce qui ressort clairement des nombreuses pièces déposées, c’est la volonté très claire du requérant de se trouver une profession qu’il aime et qu’il a occupé plusieurs emplois.

[16]           Cependant, selon son témoignage, il avait trouvé sa voie en participant au programme d’études en électricité de l’Institut A[3].

[17]           Le 25 mars 2010, il est malheureusement victime d’une blessure par balle et il n’a jamais travaillé depuis cette date en raison de son invalidité.

[18]           En contre-interrogatoire, le requérant confirme qu’il n’avait pas d’emploi au moment de l’événement, qu’il n’avait aucune offre d’emploi ferme à courte échéance.

 

Représentations de la procureure du requérant

[19]           Essentiellement, l’avocate plaide que la décision de l’IVAC est inadéquate pour son client.

[20]           Bien qu’elle admette que son client était sans emploi lors de l’événement, d’où la base salariale du salaire minimum, elle plaide la situation particulière du requérant.

[21]           En effet, ce dernier a travaillé durant de nombreuses années avant l’agression et il n’a jamais été prestataire de la Sécurité du revenu.

[22]           Il est devenu invalide à l’âge de 25 ans alors qu’il est à l’apogée de son parcours professionnel.

[23]           Pour la juriste, le requérant avait une capacité de gain réel d’environ 50 000 $ par année.

[24]           Pour elle, il est inéquitable d’utiliser la méthode dite « du salaire minimum ». Pour le restant de ses jours, le requérant devra vivre selon le salaire minimum alors qu’il était en processus d’avoir un revenu annuel plus substantiel.

[25]           L’avocate du requérant suggère donc au Tribunal que la méthode appropriée pour déterminer la base salariale du requérant devrait être celle d’un apprenti 1[4] pour l’année 2010, soit 32 219,20 $ (salaire annuel).

[26]           Elle cite également plusieurs jurisprudences, dont celle de la Cour d’appel[5] en 1994, qui établit le principe que l’on doit être équitable envers la victime.

[27]           Enfin, elle rappelle l’article 18 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels[6] (ci-après la Loi) qui devrait être interprété de façon large et libérale :

« Lorsque l’indemnité en cas d’incapacité totale ou partielle ne peut être déterminée sur la base du salaire de la victime, la Commission l’établit elle-même suivant la méthode qu’elle croit la mieux appropriée aux circonstances ».

Représentations du Procureur général

[28]           Pour sa part, l’avocate du Procureur général plaide que l’on doit interpréter de façon stricte l’article 18 de la Loi. Pour une personne qui n’a pas d’emploi, c’est le salaire minimum.

[29]           On ne peut se baser sur la capacité de gain théorique. Il faut plutôt se pencher sur la capacité réelle des 12 derniers mois.

[30]           Pour le Procureur général, le requérant était en recherche d’emploi au moment de l’agression et n’avait aucune promesse d’emploi.

[31]           De ce point de vue, la décision de l’IVAC est conforme à la situation réelle du requérant.

Analyse et motifs

[32]           Le cadre légal pour statuer sur le recours du requérant est la Loi sur les accidents du travail ainsi que la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels[7].

L.A.T :

« 46. 1. Le maximum annuel assurable est égal à 150% d’une moyenne annuelle calculée à partir de la rémunération hebdomadaire moyenne des travailleurs de l’ensemble des activités économiques du Québec telle qu’établie par Statistique Canada pour chacun des 12 mois précédant le 1er juillet de l’année précédant l’année pour laquelle le maximum annuel assurable est calculé.

Le maximum annuel assurable est établi au plus haut 500 $ et est applicable, pour l’année 1979 et chacune des années subséquentes, à compter du 1er janvier de chaque année.

Lorsque Statistique Canada adopte une nouvelle méthode pour déterminer la rémunération hebdomadaire moyenne pour un mois donné, en modifiant soit la période utilisée, soit le champ d’observation visé, et que la moyenne annuelle calculée selon les données de la nouvelle méthode est supérieure ou inférieure de plus de 1% à celle calculée selon les données de l’ancienne méthode, les rémunérations hebdomadaires moyennes à utiliser pour établir la moyenne annuelle pour chacune des années affectées par le changement de méthode sont ajustées par la commission de façon à tenir compte des données selon la méthode utilisée par Statistique Canada le 1er septembre 1977.

Pour l’application du présent paragraphe, la commission utilise les données fournies par Statistique Canada au 1er octobre de l’année au cours de laquelle se termine la période de 12 mois qui sert de base au calcul du maximum annuel assurable.

2.  La commission détermine le revenu du travailleur en se basant sur ses gains, y compris, le cas échéant, ses pourboires déclarés en vertu de l’article 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et attribués en vertu de l’article 42.11 de cette loi, au cours des 12 mois précédant son accident si son emploi a duré au moins 12 mois au service du même employeur, ou au cours de toute autre période moindre pendant laquelle il a été au service de son employeur, suivant la méthode qu’elle croit la mieux appropriée aux circonstances.

Si, eu égard à la période limitée pendant laquelle le travailleur a été au service de son employeur ou à la nature occasionnelle ou aux conditions spéciales de son travail, la commission ne peut déterminer ses gains d’après la méthode prévue par l’alinéa précédent, elle peut les baser sur les gains d’un travailleur de la même catégorie occupant le même emploi au service du même employeur sur une période de 12 mois précédant l’accident, ou, à défaut, d’après les gains d’un travailleur de même catégorie occupant le même emploi dans la même région économique ou dans la même localité sur une période de 12 mois précédant l’accident. »

L.I.V.A.C

« 18. Lorsque l’indemnité en cas d’incapacité totale ou partielle ne peut être déterminée sur la base du salaire de la victime, la Commission l’établit elle-même suivant la méthode qu’elle croit la mieux appropriée aux circonstances. »

[33]           L’arrêt de principe, dans la présente affaire, est sans contredit celui de la Cour d’appel en 1994[8].

[34]           À la page 9 dudit jugement, le juge Marc Beauregard souligne ce qui suit relativement à la Loi.

« De fait, la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels a pour but de véritablement indemniser les victimes d’actes criminels à l’intérieur des balises posées par le législateur. Les indemnités ne doivent pas être calculées à partir de gains qui n’ont rien à voir avec la réalité. »

Plus loin à la page 10 :

« La CAS a alors usé de sa discrétion [nos soulignés] et elle aurait agi à l’intérieur de sa compétence. »

[35]           L’article 18 de la Loi permet d’établir la base salariale en case d’ITP suivant la méthode la plus appropriée selon les circonstances.

[36]           Selon cette formation, il faut interpréter cet article de Loi sous l’angle d’un large pouvoir discrétionnaire de l’IVAC.

[37]           En vertu de l’article 15 de la LJA[9], le Tribunal peut rendre la décision qui aurait dû être prise en premier lieu. Chaque cas est un cas d’espèce et le Tribunal jouit du même pouvoir discrétionnaire que la Commission.

[38]           Tel que plaidé par la procureure du requérant, il faut tenir compte des circonstances particulières de celui-ci en ayant à l’esprit qu’il faut convenablement indemniser chaque personne tel que nous l’a rappelé la Cour d’appel.

[39]           Qu’en est-il en l’espèce?

[40]           Dans les faits, le requérant avait travaillé au cours des 12 derniers mois avant l’événement.

[41]           Son témoignage non contredit est à l’effet qu’il a travaillé « au noir » durant 7 mois selon un salaire horaire de 20 $.

[42]           Le Tribunal ne peut évidemment encourager ce type de pratique. Cependant, notre rôle n’est pas de juger les comportements d’un individu, mais de rendre une décision basée sur les faits.

[43]           En se basant sur ce salaire mis en preuve, à raison de 40 heures/semaine durant 7 mois, le salaire réel gagné l’année précédant l’événement est 22 400 $.

[44]           Le tribunal estime que cette base salariale serait plus juste et plus équitable pour le requérant puisqu’elle est basée sur sa situation réelle.

[45]           Voilà ce qui est approprié pour le requérant dans les circonstances. Faut-il le rappeler, chaque cas est un cas d’espèce.

[46]           La procureure du requérant a soumis au Tribunal quelques décisions[10] qui soulignent le fait que la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels est une loi remédiatrice à caractère social qui doit recevoir une interprétation large.

[47]           Cette formation se déclare tout à fait en accord avec ce point de vue exprimé.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

-   INFIRME la décision du Bureau de révision du 18 juillet 2013;

-   FIXE la base salariale du requérant au 20 mars 2010 à 22 400 $;

-   RETOURNE le dossier à la mise en cause pour qu’elle procède au calcul de la rente sur cette base annuelle de 22 400 $.

 

 


 

MICHEL RIVARD, j.a.t.a.q.

 

 

GILLES THÉRIAULT, j.a.t.a.q.


 

Turbide Lefebvre Roy

Me Diane Turbide

Procureure de la partie requérante

 

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Me Sylvie Gilbert

Procureure de la partie intimée


 



[1]           P. 77 dossier tel que constitué et ss

[2]           Pièce R-11

[3]           Pièce R-7

[4]           Pièce R-14

[5]           Réjean Raymond c. CAS et al. AL-94011618

[6]           RLRQ. Chapitre I-6

[7]           RLRQ, Chapitre A-3 \ RLRQ, Chapitre I-6

[8]           Précité note 5

[9]           RLRQ, Chapitre J-3

[10]          SAS-M-225528-1406 et SAS-M-200932-1207

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