Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Modafferi c. Labatte

2014 QCRDL 43766

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

183297 31 20141105 G

No demande :

1613111

 

 

Date :

23 décembre 2014

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

Franco Modafferi

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Marie-Mirlène Labatte

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 5 novembre 2014, le locateur dépose devant le tribunal de la Régie du logement, une demande de résiliation de bail et éviction de la locataire.

[2]      La demande a été signifiée par courrier recommandé à la locataire.

Allégués

[3]      Au soutien de sa demande, le locateur allègue ce qui suit :

« La locatrice est très aggressive verbalement et physiquement. Elle a commis 2 voies de fait sur l’administrateur (beau-fils). La police a fait des rapports concernant les aggressions physiques. De plus le défendeur dérange car elle cire, elle est très bruyante et aggressive envers les locataires de l’immeuble. Des locataires veulent partir dû au comportement de la défenderesse. L’administrateur craint également pour sa sécurité ». (sic)

Preuve et analyse

[4]      Les parties sont liées par un bail couvrant la période du 1er juillet au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 455 $.

[5]      Le bail a été reconduit, année après année, depuis l’année 2000.

[6]      Appelé à témoigner, le représentant du locateur affirme qu’il voit à la gestion de l’immeuble locatif comprenant 12 logements dont celui de la locataire. C’est lui qui voit à la perception des loyers, assure le lien avec les locataires et répond à leurs demandes.

[7]      Le représentant du locateur fait état de différents problèmes dans la gestion de l’immeuble qu’il attribue au comportement et à l’attitude de la locataire qu’il dit être agressive verbalement et physiquement. Le représentant dit craindre pour sa sécurité depuis que la locataire a, le ou vers le 3 novembre 2014, commis sur sa personne des voies de fait.


[8]      Entre autres, le représentant du locateur reproche à la locataire de crier contre lui lorsqu’il se présente au logement pour percevoir le loyer ou encore lorsqu’il rencontre celle-ci aux abords de l’immeuble. Cette façon de faire de la locataire est particulièrement humiliante lorsqu’ils sont en présence d’autres locataires; ce qui n’est pas rare, selon le témoin.

[9]      Le représentant du locateur reproche surtout et ultimement, à la locataire, son comportement récent à son égard, en ce que cette dernière aurait commis sur sa personne des voies de fait à deux occasions.

[10]   Le premier incident remonte au début de novembre lorsqu’il s’est présenté au logement pour percevoir le loyer et au cours duquel elle aurait refermé la porte avec énergie sur son genou.

[11]   Le deuxième incident veut, selon le représentant, que la locataire aurait intentionnellement déversé sur lui, de l’eau lorsqu’il s’apprêtait à sortir des lieux le 3 novembre 2014.

[12]   Soulignons que le représentant du locateur n’a produit aucun témoin à l’audience, pas même les policiers dépêchés pour enquêter sa plainte.

[13]   Pour sa part, la locataire conteste énergiquement les affirmations du représentant du locateur.

[14]   Bien qu’elle se soit montrée disposée à admettre qu’elle parle haut et fort et avec un débit inépuisable, c’est là sa nature dit-elle, et ce, depuis qu’elle est toute jeune. Il n’y a rien qu’elle y puisse faire si ce n’est qu’elle est bien disposée à redoubler d’effort et à baisser le ton lorsqu’elle s’adressera au locateur.

[15]   Pour autant, la locataire assure qu’elle ne crie pas contre le locateur.

[16]   Au Surplus, elle déléguera pour le futur son conjoint, monsieur Fritz Balmir, pour être celui qui recevra le représentant du locateur, le premier jour de chaque mois, pour effectuer le paiement du loyer dans la mesure où celui-ci est disponible.

[17]   Quant aux accusations de voies de fait, la locataire regrette si, accidentellement le représentant du locateur a, comme elle, reçu de l’eau sur lui lorsqu’elle a manipulé le petit récipient de margarine que le locateur avait placé sous son air climatisé pour éviter que l’eau de condensation n’abîme le plancher du balcon.

[18]   À l’opposé du locateur qui juge que le geste était intentionnel, la locataire dit que son geste résulte d’une maladresse lorsque le contenant s’est brisé en le prenant pour le vider.

[19]   Quant à l’épisode voulant que la porte de son logement ait frappé le genou du représentant, elle affirme ne pas avoir prémédité son geste ou agi intentionnellement. Elle juge purement accidentelle l’incident si tant est que la chose se soit réellement produite de renchérir une locataire convaincante.

[20]   Il faut dire que la locataire se montre particulièrement méfiante à l’égard du locateur qui, selon elle, ne souhaite qu’une chose : qu’elle quitte son logement dont le loyer n’est que de 455 $, alors que d’autres locataires de l’immeuble paient entre 600 et 650 $ pour un logement similaire. Autant dire qu’elle conserve un amer souvenir de la tentative infructueuse de reprise de son logement en faveur de l’un des beaux-frères du représentant du locateur, alors que deux logements de l’immeuble étaient, à la même époque, vides et sans locataire. Fort heureusement dit-elle, la Régie du logement a refusé d’autoriser la reprise de son logement.

[21]   Conjugué aux propos souvent renouvelés du locateur qu’elle a un bon emploi, une belle voiture et qu’elle devrait songer à déménager et s’acheter un condo ou un semi-détaché, elle y voit là bien plus une invitation à ce qu’elle abandonne le logement que le sage conseil auquel prétend le locateur.

Le droit applicable

[22]   La demande du locateur s'appuie sur les articles 1860 et 1863 du Code civil du Québec lesquels édictent ce qui suit :

« 1860.      Le locataire est tenu de se conduire de manière à ne pas troubler la jouissance normale des autres locataires.

                 Il est tenu, envers le locateur et les autres locataires, de réparer le préjudice qui peut résulter de la violation de cette obliga­tion, que cette violation soit due à son fait ou au fait des personnes auxquelles il permet l'usage du bien ou l'accès à celui-ci.

                 Le locateur peut, au cas de violation de cette obligation, demander la résiliation du bail. »


« 1863.      L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de deman­der, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agis­sant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résilia­tion du bail.

                 L'inexécution confère, en outre, au loca­taire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablis­sement du loyer pour l'avenir. »

[23]   C’est ainsi qu’en présence d'un manquement du locataire à ses obligations, en plus de dommages-intérêts et de l'exécution en nature dans les cas qui le permettent, le locateur pourra notamment exiger la résiliation du bail, dans la mesure où il est établi que l'inexécution des obligations du locataire fautif cause au demandeur même, ou aux autres occupants de l'immeuble, un préjudice sérieux.

[24]   Par ailleurs, le fait pour un locataire de contrevenir à la règlementation municipale, à une clause du bail, ou d'en excéder les droits, ne donnera ouverture à la résiliation du bail que s’il est aussi mis en preuve que cette contravention cause un préjudice sérieux au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble.

[25]   Pour réussir dans sa demande, la preuve doit s'avérer concluante, à la fois, sur les manquements allégués et sur le préjudice sérieux qui en découle. Encore une fois, il s’agit des deux éléments essentiels qui conditionnent le prononcé de la résiliation du bail en vertu de l’article 1863 C.c.Q.

[26]   Autant dire que pour constituer un préjudice sérieux, la preuve doit démontrer que le préjudice subi par le locateur et/ou les autres locataires va au-delà des simples inconvénients.

[27]   Et puisqu’il n’y a pas de résiliation de bail sans la preuve d’un préjudice sérieux causé au locateur ou aux autres locataires, le manquement issu d’un évènement ou d’un comportement dont la responsabilité incombe au locataire fautif doit comporter un élément dérangeant qui est anormal, excessif. Ces caractéristiques pourront être le fait qu’il est fréquent, répété, continu ou persistant.

[28]   Soulignons que dans certains cas exceptionnels, tel qu’une agression, un incendie volontaire ou des menaces, un seul manquement grave pourrait être jugé suffisant par le Tribunal pour que soit résilié le bail eu égard à la gravité du geste mais aussi des effets et conséquences sur la victime ou sur son patrimoine.

[29]   Aussi, le Tribunal voudra souligner aux parties que devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec, il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante et probable.

[30]   Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou si ce dernier est placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée.

[31]   De fait, l’article 2803 du Code civil du Québec stipule ce qui suit :

« 2803.      Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                 Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

[32]   En l’espèce, le locateur doit démontrer, par prépondérance de preuve, que les faits qu'il présente sont probables, conformément à l'article 2804 du Code civil du Québec :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».

[33]   Quant à l'appréciation du témoignage, l’article 2845 du Code civil du Québec édicte ce qui suit :

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[34]   En l’espèce, le Tribunal doit se demander si le locateur a établi, suivant la prépondérance de preuve, que la locataire n’a pas exécuté ses obligations et, dans l’affirmatif, si le ou les manquements à ses obligations ont causé un préjudice sérieux au locateur ou aux autres locataires.

[35]   Dans le présent cas, le Tribunal, se fondant sur la preuve administrée devant lui, estime qu’il faille répondre par la négative.

[36]   Le Tribunal ne doute pas que le ton qu’emprunte parfois la locataire lorsque vient le temps d’exprimer au locateur son point de vue et la solution préconisée, ait pu déplaire à ce dernier. Toutefois, cela est nettement insuffisant pour justifier la résiliation du bail de la locataire.

[37]   De même, la preuve démontre que la locataire devra se montrer patiente lorsqu’elle adresse une demande au locateur qui, en contrepartie, gagnerait à se montrer plus collaborateur, lorsque madame Labatte lui adresse une demande en rapport avec son logement.

[38]   Qu’à cela ne tienne, les faits mis en preuve dans la présente affaire n’ont pas établi, suivant la prépondérance de preuve que la locataire a commis des voies de fait sur la personne du représentant du locateur non plus qu’elle représente une menace à la sécurité du représentant du locateur. De fait, la preuve reçue par le Tribunal sur les causes de reproches adressés à la locataire s’est révélée contradictoire.

[39]   Après avoir analysé l’ensemble de la preuve tant testimoniale que documentaire, le Tribunal juge qu’en l’espèce, le locateur ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve.

[40]   De fait, le locateur n’a pas démontré, suivant la prépondérance de preuve, qu’un manquement de la locataire à ses obligations lui a causé à lui-même ou aux autres locataires, un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail de la locataire.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]   REJETTE la demande du locateur qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

la locataire

Date de l’audience :  

18 décembre 2014

 


 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.