Décision

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Ville de Longueuil c. Duquette

2018 QCCM 58

COUR MUNICIPALE DE LONGUEUIL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE LONGUEUIL        

 

NO : 16-14093

 

DATE : 12 mars 2018

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE JUGE PIERRE-ARMAND TREMBLAY, J.C.M.

 

 

 

Ville de Longueuil

Poursuivante

 

c.

 

Thérèse Duquette                                                  

Défenderesse

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

T A B L E   D E S    M A T I E R E S

 

 

I.      INTRODUCTION [1]

 

II.     C O N T E X T E [10]

 

A) RÉSUMÉ SYNTHÈSE DES FAITS ET DISPOSITION PRÉLIMINAIRE DE CERTAINS POINTS DE DROIT [13]

 

1- L’événement nécessitant l’intervention policière [13]

 

2- Le nœud du litige : la saisie des chiens [24]

 

3- La possibilité pour un propriétaire de reprendre son chien (mainlevée de la saisie) [33]

 

4- Les requêtes et demandes des parties [41]

 

 

B) RÉSUMÉ DES TÉMOIGNAGES [48]

 

1- M. Didier Mollard, directeur des opérations du refuge où est hébergée Cassy depuis le début des procédures [48]

 

2- Le rapport de la Dre Isabelle Demontigny-Bédard, vétérinaire [64]

 

3- Le témoignage de la défenderesse [98]

 

a) Sa version des faits concernant certains incidents antérieurs [103]

 

b) Sa version des faits concernant la présente affaire [111]

 

c) Les engagements qu’elle propose au Tribunal [120]

 

d) Ses réponses au contre-interrogatoire [126]

 

4- Le témoignage de son ami Ian Redden [129]

 

5- Le témoignage de son amie Diane Pelchat [137]

 

III.     ANALYSE ET MOTIFS [140]

 

A) JURIDICTION TERRITORIALE DE LA POURSUIVANTE SUR SA POPULATION [143]

 

B) DROIT APPLICABLE [158]

 

1-    Le Code de procédure pénale [158]

 

2- La réglementation municipale [159]

 

a) La notion de chien dangereux [160]

 

b) Les mécanismes de saisie prévus par le règlement [171]

 

3- La Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal [176]

 

C) APLICATION AUX FAITS [189]

 

1- Cassy est-elle un « chien dangereux »? [189]

 

2- La défenderesse peut-elle reprendre son chien? [203]

 

1-           Analyse jurisprudentielle : Réflexion sur les engagements d’un propriétaire de chien à respecter les recommandations d’un rapport vétérinaire [203]

 

2-           Réflexion sur le degré 0 des risques de dangerosité et la validité du certificat médical à cet effet [210]

 

3-           Réflexion sur la gestion du risque [228]

 

4-           L’affaire marseguerra c. ville de brossard et l’importance de tenir compte des recommandations de l’expert [233]

 

5-           Comparaison entre l’affaire Marseguerra et celle de la défenderesse [252]

 

6- Analyse des garanties offertes par la défenderesse quant à son engagement de respecter les recommandations de l’experte-vétérinaire [274]

 

a) Comportements trompeurs et négligents de la défenderesse [274]

 

b) Certains éléments factuels découlant de la preuve [276]

 

c) Certains éléments de la preuve d’expert [286]

 

d) Certains éléments de preuve apportés par le responsable du refuge [294]

 

e) Les garanties futures offertes par la défenderesse [304]

 

3- Quelques considérations finales [306]

 

 

IV.     CONCLUSIONS ET DISPOSITIF [313]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

T E X T E   I N T É G R A L

 

 

 

 

I.      INTRODUCTION

 

[1]          La défenderesse est propriétaire de trois chiens de race pitbull, dont une chienne dénommée Cassy (Cassy). Celle-ci sera saisie par les autorités en raison de son comportement menaçant et agressif lors d’une intervention policière.

 

[2]          Selon le règlement municipal, un tel comportement est réputé « dangereux », ce qui en permet la confiscation et l’euthanasie.

 

[3]          Toutefois, le règlement prévoit que la propriétaire peut en reprendre possession et éviter l’euthanasie, sous certaines conditions.

 

[4]          La poursuivante désire donner suite à la confiscation de Cassy en l’euthanasiant. La défenderesse désire reprendre possession de son chien.

 

[5]          La question est donc de savoir si les conditions de reprise de possession ont été remplies par la défenderesse.

 

[6]          Par ailleurs, la défense demande accessoirement au Tribunal d’ordonner à la Ville le remboursement de tous les frais d’hébergement de Cassy depuis le dépôt du rapport du vétérinaire le 27 août 2016.

 

[7]          Le Tribunal n’entend pas analyser cette demande immédiatement. Il en traitera si nécessaire, après le prononcé du présent jugement, et ce, après avoir entendu les représentations et argumentations des deux parties spécifiquement sur cette question.

 

[8]          Plusieurs incidents ont eu lieu au cours de la présente affaire, dont une motion pour non-lieu, laquelle a été rejetée séance tenante le 12 juillet 2017.

 

[9]          Dans le présent jugement, tous les soulignements sont du soussigné, sauf lorsqu’autrement indiqué.

 

 

 

 

 

II.     C O N T E X T E

 

[10]       La présente affaire comporte plusieurs éléments de preuve qui nécessitent une discussion assez longue. L’enjeu est lourd de conséquence : doit-on euthanasier Cassy ou doit-on la remettre à son maître (la défenderesse)?

 

[11]       En quelques paragraphes et dans un esprit de synthèse, le Tribunal résumera d’abord les faits essentiels qui lui ont été exposés. Par la suite, nous passerons en revue certains faits plus particuliers apportés par les témoignages.

 

[12]       Il apparait également important pour la bonne compréhension du raisonnement, d’analyser au fur et à mesure certains faits en les reliant aux dispositions légales pertinentes. En voici donc une synthèse.

 

 

A) RÉSUMÉ SYNTHÈSE DES FAITS ET DISPOSITION PRÉLIMINAIRE DE CERTAINS POINTS DE DROIT

 

 

1- L’événement nécessitant l’intervention policière

 

[13]       Le 29 juillet 2016, lors d’une dispute familiale véhémente entre la défenderesse et son frère qu’elle héberge chez elle, celui-ci dans un excès de colère fracasse le téléviseur de la défenderesse avec un marteau.

 

[14]       La défenderesse qui craint alors pour sa sécurité appelle les policiers et c’est ainsi que ceux-ci seront appelés à intervenir à la résidence de la défenderesse.

 

[15]       La défenderesse est également propriétaire de trois chiens de race pitbull, lesquels sont enfermés dans une chambre au moment de l’arrivée des policiers.

 

[16]       Pour une raison quelconque, vraisemblablement en raison de l’intensité de la dispute entre la défenderesse et son frère ainsi que du bruit causé par l’impact du marteau sur la télé, les trois chiens enfermés dans la chambre sont devenus à leur tour surexcités et réactifs. Ils aboient et manifestent un comportement menaçant.

 

[17]       À leur arrivée, les policiers doivent gérer deux crises parallèles : la dispute entre la défenderesse et son frère, d’une part, et le comportement menaçant de trois chiens pitbulls qui leur font sérieusement craindre pour leur sécurité, d’autre part[1].

 

[18]       Il semble que la crise sœur-frère se soit résolue facilement et l’intervention se concentrera rapidement sur les chiens qui, à première vue, sont à la source de deux infractions à la règlementation municipale :

 

1°        le nombre maximum de chiens, qui excède deux et

2°        leur comportement menaçant qui crée une présomption de « chiens dangereux » susceptibles d’être saisis. 

 

[19]       En effet, outre le nombre maximal de chiens permis par unité de logement, le règlement municipal crée la présomption suivante :

 

Article 58.4. Est réputé être dangereux un pitbull qui, de manière agressive :

 

1° aboie;

2° tente de mordre une personne ou un autre animal;

3° montre les crocs;

manifeste tout autre comportement menaçant.

 

[20]       De toute évidence, ce contexte permet au Tribunal de conclure que les policiers ont des motifs raisonnables de croire que les chiens sont présumés                            « dangereux » au sens du règlement.

 

[21]       Un autre aspect du dossier permet de comprendre le contexte des événements de juillet 2016. À peine deux mois auparavant, soit le 9 juin 2016, une autre intervention policière avait permis de constater qu’aucun des trois chiens hébergés par la défenderesse ne possédaient de licence. Des constats avaient alors été émis à ce propos[2].

 

[22]       Les causes étaient pendantes au moment des présents événements et cela ajoute aux motifs raisonnables de croire qu’une autre infraction au règlement avait été commise et que les chiens étaient, par le fait même, réputés                           « dangereux » :

 

Article 58.3. Un pitbull non muni d’une licence émise en vertu de l’article 23.1 est réputé être dangereux.

 

[23]       Quant à l’article 14 du règlement, il interdit spécifiquement à quiconque d’être le gardien d’un chien dangereux sur le territoire de la Ville.

 

14. Il est interdit d’être le gardien de tout chien méchant, dangereux ou ayant la rage.

 

 

2- Le nœud du litige : la saisie des chiens

 

[24]       Nous arrivons au nœud du litige : le règlement prévoit que la poursuivante peut saisir et éliminer tout chien « dangereux » :

Article 58. La Ville peut mettre en fourrière, vendre à son profit ou éliminer tout animal errant ou dangereux. 

 

[25]       Dans ce contexte, les policiers décident de procéder à la saisie des trois chiens, conformément aux dispositions du règlement.

 

[26]       Mais leur confiscation ne sera pas aisée. Les chiens demeurent surexcités, menaçants et agressifs. De toute évidence, des renforts seront nécessaires.

 

[27]       Après discussion avec les autorités, il est décidé d’avoir recours à un service spécialisé en la matière : Les Services Animaliers de la Rive-Sud (SARS), service du contrôle animalier responsable des opérations canines pour la Ville de Longueuil.

 

[28]       Selon l’agent Lafond, ceux-ci se présenteront sur les lieux plus de deux heures après l’arrivée des policiers. Entre temps, la situation ne s’est pas calmée en ce qui concerne le comportement menaçant des chiens. Les SARS auront eux-mêmes beaucoup de difficulté à mener à bien leur tâche en toute sécurité. 

 

[29]       L’agente Latour confirme que c’est la défenderesse qui trouve la solution, en suggérant que les chiens soient transférés un à un avec sa collaboration.

 

[30]       Après quelques heures, le tout finira par s’effectuer selon les règles de l’art, grâce à la collaboration de la défenderesse qui prendra en charge le transfert de ses trois chiens vers le camion de la fourrière et qui réussira à les calmer pendant toute l’opération.

 

[31]       Dans le feu de l’action, une pléiade de constats sera émis. Une fois les procédures entreprises, la plupart d’entre eux seront réglés sans procès.

 

[32]       Il y aura également mainlevée de la saisie pour deux des trois chiens. Par contre, en raison de son comportement plus problématique, Cassy demeurera sous saisie.

 

 

3- La possibilité pour un propriétaire de reprendre son chien (mainlevée de la saisie)

 

[33]       La saisie d’un animal par la Ville n’est pas fatale et définitive. Particulièrement, en ce qui concerne les pitbulls, la Ville accepte qu’un propriétaire puisse en reprendre possession dans le mesure où il respecte certaines conditions :

 

Article 58.5. Le gardien d’un pitbull visé à l’article 58.4 peut en reprendre possession

dans les 30 jours ouvrables suivant sa capture aux conditions suivantes :

 

1° en payant les tarifs applicables prévus par un règlement de la Ville;

2° en prouvant qu’il en est bien le gardien;

3° en prouvant que le pitbull est visé par l’article 15.2;

4° en prouvant par un certificat de médecin vétérinaire que l’animal n’est pas dangereux, lequel ne peut dater de plus de 30 jours. 

 

[34]       Cette disposition fait référence à d’autres dispositions qui permettent de déceler la volonté de la Ville de permettre la présence de pitbulls sur son territoire, dans la mesure où un encadrement sévère y est exercé. 

 

[35]       À la lecture de la version du règlement mis en preuve par la poursuivante, par exemple, après avoir posé le principe qu’il était interdit de posséder un pitbull :

 

Article 15.1. Il est interdit de garder, maintenir ou posséder, y compris à des fins de vente ou de reproduction, un pitbull.

 

la Ville ajoute ceci :

 

Article 15.2.  Malgré l’article 15.1, il est permis de garder, maintenir ou posséder au plus deux pitbulls dans une unité d’habitation ou sur une même propriété si, en date du 1er octobre 2016, toutes les conditions suivantes sont respectées :

 

1° le gardien est âgé d’au moins 18 ans;

2° le pitbull possède une licence valide émise en vertu de l’article 23.1.

 

[36]       Et quelles sont les conditions d’émission d’une licence valide selon 23.1? Pour avoir le droit de garder ou de continuer de garder un pitbull sur le territoire de la Ville, les propriétaires de pitbulls devaient respecter les conditions suivantes au plus tard le 1er octobre 2016 :

 

Article 23.1. Outre ce qui est mentionné à l’article 23, une demande de licence pour un pitbull visé à l’article 15.2 doit être faite par le gardien en présence du pitbull et doit être accompagnée des renseignements et documents suivants :

 

1° une preuve d’âge du gardien;

2° une preuve de stérilisation du pitbull;

3° une preuve de vaccination contre la rage du pitbull, laquelle ne peut dater à plus de trois ans;

4° une preuve de l’identification du pitbull par micropuce;

5° une preuve démontrant que le gardien et le pitbull ont suivi et réussi un cours d’obéissance canine donné par un organisme reconnu;

6° un certificat d’un médecin vétérinaire attestant que le pitbull n’est pas dangereux, lequel ne peut dater de plus d’un an.

 

À défaut de fournir tous les renseignements et documents prévus au premier alinéa, la licence ne peut être délivrée.

 

[37]       Les faits de la présente affaire ont eu lieu le 29 juillet 2016, donc avant la date limite permettant aux propriétaires de pitbulls d’obtenir une licence légalisant le maintien de leur présence sur le territoire de la Ville.

 

[38]       Bien évidemment, cela n’exemptait pas la défenderesse d’obtenir une licence selon les conditions d’obtention antérieures pour ses trois chiens.

 

[39]       Quoi qu’il en soit, en date des événements, la défenderesse n’avait respecté aucune des conditions prévues à 58.5 et 23.1 du règlement.

 

[40]       Depuis ce temps, Cassy est hébergée dans le refuge des SARS où elle est continuellement évaluée et mise directement en contact avec le personnel.  

 

 

4- Les requêtes et demandes des parties

 

[41]       Par sa présente requête, la poursuivante demande au Tribunal de disposer du bien saisi en l’euthanasiant. La requête est fondée sur les articles 131 et 137 du Code de procédure pénale :

 

131. Lorsque la chose saisie présente un danger sérieux pour la santé des personnes ou la sécurité des personnes ou des biens, un juge peut en autoriser la destruction à la demande du gardien.

 

Un préavis d’un jour franc de cette demande est signifié au saisi et aux personnes qui prétendent avoir droit à cette chose.

 

Lorsque le danger est imminent, le gardien peut détruire la chose, sans l’autorisation d’un juge mais il doit, dans les plus brefs délais, en faire rapport à un juge et en aviser le saisi et, si elles sont connues, les personnes qui pouvaient avoir droit à cette chose.

 

137. Lorsque l’illégalité de la possession empêche la remise de la chose saisie ou du produit de sa vente au saisi ou à une personne qui prétend y avoir droit, le juge en ordonne la confiscation sur demande du saisissant ou du poursuivant; si l’illégalité de la possession n’est pas établie, le juge désigne la personne à qui la chose ou le produit peut alors être remis.

 

Un préavis de cette demande est signifié au saisi et à l’autre personne qui peut présenter la demande. Ce préavis peut, le cas échéant, être donné au constat d’infraction et indiquer que la demande de confiscation sera présentée lors du jugement.

 

Sauf disposition particulière, la chose saisie qui est confisquée appartient à l’État et est remise au ministre du Revenu; lorsqu’elle a été vendue avant l’ordonnance de confiscation, le produit de la vente est versé au fonds consolidé du revenu.

 

[42]       De son côté, la défense requiert de cette cour de casser la saisie et d’ordonner le retour de Cassy à sa propriétaire, la défenderesse.

 

[43]       Au surplus, elle a adressé à la poursuivante ainsi qu’au Procureur général du Québec, un avis selon lequel elle entendait remettre en question le caractère opérant, l’applicabilité constitutionnelle ou la validité de plusieurs dispositions du règlement municipal (le tout selon l’article 76 du Code de procédure civile).

 

[44]       Ainsi en serait-il des articles suivants :

 

Ø  3.1 -concernant la définition de « pitbull »

Ø  14 - concernant la qualification de « dangereux »

Ø  15.1 et 15.2 - concernant le caractère discriminatoire des conditions plus strictes pour l’obtention d’une licence de pitbull

Ø  22 - animaux de passage sur le territoire devant avoir une licence d’une autre municipalité

Ø  23 - Exigences pour obtenir une licence

Ø  32, 34, 34.1, 35, 36, 38.1, 39, 41, 44, 57 - les qualifications de nuisance concernant certains comportements animaliers et/ou se trouvant en différents endroits

Ø  34.2 - exigence de muselière pour pitbull

Ø  58 - caractère vague des conditions permettant entre autres l’euthanasie

Ø  58.3 - caractère imprécis et discriminatoire de la présomption de dangerosité en l’absence de licence spécifique aux pitbulls

Ø  58.4 - caractère discriminatoire, vague et imprécis de la présomption de dangerosité pour l’aboiement, la tentative de morsure, le déploiement des crocs ou tout autre comportement menaçant spécifiquement pour les pitbulls

Ø  61 - le caractère ultra vires des dispositions prévoyant le remboursement à la ville des frais de fourrières ou d’euthanasie

Ø  66, 67 et 69.1 - obligation de permettre l’accès à un fonctionnaire désigné pour fins d’inspection et de lui fournir des documents

Ø  70 - défense d’encourager quelqu’un à commettre une infraction

Ø  72 - infraction de créer, tolérer ou laisser subsister une infraction

 

[45]       La défense n’a présenté aucune preuve ou argumentation à l’encontre de la quasi-totalité des paragraphes de son avis. Une seule de ces dispositions a été traitée par la défense. Il s’agit de l’article 58.4 dont le Tribunal analysera la légalité plus loin.   

 

[46]       Finalement, un fait important est survenu depuis le début des procédures : la défenderesse n’habite plus sur le territoire de la poursuivante et réside maintenant dans une autre municipalité où elle pourrait légalement héberger ses trois chiens.

 

[47]       Voici donc une autre problématique sous-jacente à la présente affaire. La poursuivante peut-elle ainsi retenir un chien qui ne reviendra pas causer un danger sur le territoire de la poursuivante?

 

 

B) RÉSUMÉ DES TÉMOIGNAGES

 

 

1- M. Didier Mollard, directeur des opérations du refuge où est hébergée Cassy depuis le début des procédures

 

[48]       M. Didier Mollard est le directeur des opérations du refuge des SARS. Il possède 41 ans d’expérience dans le domaine canin et a travaillé notamment pour l’Armée de l’air française.

 

[49]       Son travail actuel consiste à donner des soins aux animaux, à organiser des unités mobiles en vue de leur cueillette et à établir des programmes spécifiques de soins et d’entretien des animaux.

 

[50]       Il confirme que Cassy était très réactive aux lendemains de la cueillette, affichant un comportement offensif. Selon lui, habitué à recevoir ainsi de nouveaux pensionnaires, cette réaction est normale puisque le chien vit une situation de stress lorsqu’il change radicalement de milieu, comme cela s’est produit.

 

[51]       Un mois ou un mois et demi ont été nécessaires pour créer un lien avec Cassy.

 

[52]       Avec le temps, elle « s’est socialisée » mais demeure toujours très réactive lorsqu’on lui présente un inconnu. Malgré cela, elle n’a pas à porter de muselière mais doit être en laisse lors de ses sorties. Il n’y a jamais eu d’incident au refuge.

 

[53]       De même, lorsqu’on lui présente un inconnu, elle va grogner mais ne cognera plus sur la porte. Elle va chercher l’accord du témoin avant de réagir.

 

[54]       Il n’y aurait pas de différences de comportement marquées entre Cassy et les autres chiens. C’est le cas au refuge, où elle se trouve dans un environnement qu’elle connait et contrôle.

 

[55]       Le témoin préfère le qualificatif « réactive » plutôt qu’« agressive ». Elle veut d’abord défendre son territoire. Ensuite, sa réaction dépend de l’attitude de la personne qui l’approche et, enfin, si on force un accès physique, elle ne va probablement pas le tolérer.

 

[56]       Pour le témoin, « réactif » signifie réagir à la présence de quelqu’un et conclure qu’il est hostile. Cela provoque un froncement des oreilles et des sourcils vers l’avant et le dégagement des dents. À l’inverse, lors d’une agressivité provoquée par la peur, l’animal a plutôt tendance à froncer les oreilles et les sourcils vers l’arrière.

 

[57]       À son arrivée, Cassy démontrait clairement des signes d’agressivité, vers l’avant, laissant présager des dangers imminents d’assaut.

 

[58]       Par contre, depuis le début de son hébergement, il n’y a pas eu le moindre incident avec le personnel des SARS.

 

[59]       La défenderesse voit fréquemment Cassy, ce qui la rend la chienne de bonne humeur.  Toutefois, c’est au départ de la défenderesse que Cassy devient plutôt réactive. Un phénomène qui tendrait à s’estomper avec l’habitude.

 

[60]       Ses rapports avec les autres chiens du refuge sont normaux : lorsqu’elle passe à proximité des autres chiens, elle les renifle « et c’est tout » . Elle n’a pas de comportement agressif.

 

[61]       La défenderesse avait demandé la stérilisation de Cassy mais cette demande a été retardée en raison de la période de chaleur de la chienne. Sa compagnie offre un programme de stérilisation et de micropuçage adapté aux propriétaires à faible revenu.

 

[62]       La défense dépose une suite de 14 photos (D-1) qui montre des responsables des SARS en compagnie de Cassy. Elle se laisse caresser tant debout que couchée sur le dos alors qu’on le voit en train de lui flatter le ventre. Elle ne porte ni muselière ni laisse. Elle n’est toutefois pas aussi aimable avec l’ensemble du personnel de l’entreprise.

 

[63]       Cassy sort trois fois par jour. Elle ne porte pas de laisse lorsqu’elle circule dans l’enclos extérieur et elle a appris certains jeux, tels que s’asseoir lorsqu’on lui donne une friandise ou bien donner la patte lorsqu’on le lui demande.

 

 

2- Le rapport de la Dre Isabelle Demontigny-Bédard

 

[64]       Au soutien de sa demande visant à casser la saisie et dans le but de respecter les conditions de mainlevée édictées par l’article 58.5 du règlement, la défense présente une évaluation réalisée par la Dre Isabelle Demontigny-Bédard (l’experte-vétérinaire), dont la formation, la compétence et l’expertise personnelle sont reconnues par le Tribunal (Cv. D-2).

 

[65]       Elle est spécialisée en médecine comportementale, ce qui demande un an de pratique privée avant d’entrer en résidence de spécialisation en la matière. La formation comporte l’obligation de publier un article scientifique sur le sujet, de même que la réussite des examens d’usage.

 

[66]       Il n’y a que quatre spécialistes de cette question au Québec et 80 en Amérique du Nord.

 

[67]       Son rapport présente l’évaluation qu’elle a fait de Cassy le 23 août 2016 (R-1) et comprend un addendum daté du 26 avril 2017 (R-2).

 

[68]       Son mandat consistait à évaluer le niveau de risque que représentait les trois chiens pour le public. Comme les deux autres chiens ne font pas partie du présent litige, le Tribunal ne retiendra que les commentaires pertinents concernant Cassy.

 

[69]       Bien qu’elle n’était pas présente lors des événements du 29 juillet 2016, elle a pris connaissance de faits rapportés dans de nombreux documents et rapports qu’on lui a remis. À la lecture de son propre rapport, le Tribunal conclut que les faits dont elle a ainsi pris connaissance sont significativement ceux qui ont été rapportés par les témoins entendus lors de l’audition. 

 

[70]       L’experte-vétérinaire retient des rapports préliminaires des SARS, que Cassy était très réactive lors de son arrivée au refuge.

[71]       Des trois chiens, c’est Cassy qui était la plus rigide, sans toutefois démontrer un niveau d’agressivité problématique par rapport aux deux autres chiens.

 

[72]       Pour évaluer le risque de dangerosité d’un animal, elle se sert d’une échelle de 1 à 10 qui lui a été enseignée lors de sa résidence en médecine vétérinaire mais qui n’est pas universellement retenue.

 

[73]       Les niveaux 0 et 1 représentent les risques les plus minimes alors que le niveau 10 constitue le risque le plus grave. Elle donne l’exemple d’un chien qui, sans aucune raison, attaquerait un passant de l’autre côté de la rue, le mordrait et ne lâcherait pas prise.

 

[74]       Elle évalue d’abord Cassy comme représentant un « risque modéré pour la sécurité publique », tout en ajoutant que si Cassy était impliquée dans l’événement de Chertsey (événement antérieur où Cassy aurait mordu un  citoyen - faits qui sont contestés par la défenderesse) elle pourrait présenter de « l’agression offensive »[3].

 

[75]       Après avoir relaté le comportement de Cassy lors de l’évaluation, l’experte en évalue son degré de dangerosité. Elle explique les paramètres dont elle doit tenir compte avant d’en arriver à une conclusion.

 

[76]       Ainsi, il faut tenir compte de sa taille (masse), de la présence ou non de maladie mentale, de la fréquence et de la sévérité des agressions, de leur prévisibilité (agression défensive ou offensive ou agression de prédation) et de la composition familiale (environnement et responsabilité des propriétaires)[4].

 

[77]       Elle analyse les points en faveur et en défaveur du retour de Cassy à la défenderesse :

 

Points en faveur :

 

Ø  Le fait que la défenderesse prenne « des mesures préventives, telles que le port de la muselière ».

 

Points en défaveur :

 

Ø  La taille du chien

Ø  Agression offensive possible et incident de morsure reporté (Chertsey)

Ø  Chien réactif en chenil

 

[78]       Ainsi, sur l’échelle de 1 à 10, Cassy se situe à « 6 ».

 

[79]       Pour diminuer les risques que pose Cassy envers les humains, le rapport se termine par les huit recommandations suivantes :

 

1.    Vaccination contre la rage aux trois ans

2.    Stérilisation

3.    Micropuce

4.    Port d’une muselière de type panier

5.    Port d’une laisse de 1, 5 m au maximum, pour toute présence à l’extérieur du logement

6.    Surveillance continuelle par un gardien légalement responsable lors de toute présence à l’extérieur du logement

7.    À l’extérieur du logement, si elle n’est pas en laisse, elle doit être continuellement gardée dans un espace clôturé empêchant de s’échapper

8.    Lorsque mise en cage, installation de verrous pour éviter de s’échapper

 

[80]       Son addendum du 26 avril 2017 précise ses conclusions. Elle écrit :

 

[…] j’aimerais souligner qu’en mettant en place ces recommandations, je suis d’avis qu’un événement comme celui qui s’est produit le 29 juillet 2016 ne devrait pas se reproduire. À cet effet, pour une sécurité accrue, la recommandation 4 pourrait même être rendue plus rigide en demandant que Cassy porte une muselière-panier ou soit placée à l’écart préalablement à l’arrivée d’une personne non familière dans l’unité d’occupation (ce que la propriétaire faisait déjà, donc n’avait pas été explicité). Finalement, en considérant que Cassy ne sera pas laissée libre sur la voie publique (recommandations 5, 6 et 7) et portera une muselière lorsqu’elle sera à l’extérieur de l’unité d’habitation (recommandation 4), le risque représenté par Cassy pour la sécurité publique devient faible. C’est pourquoi l’euthanasie n’est pas jugée nécessaire pour limiter le risque pour la sécurité publique tant que les recommandations émises sont respectées par la propriétaire de Cassy.

 

[81]       Une discussion s’entame au sujet des jappements. Pour l’experte-vétérinaire, il est tout à fait normal qu’un chien jappe, cela étant son moyen de communiquer.

 

[82]       Il y a toutefois des différences d’intensité, de force et d’agressivité dans les jappements qui permettent de catégoriser ces différences d’un chien à l’autre.

 

[83]       La vétérinaire réitère que le risque 0 n’existe pas, pour aucun animal. Aucun professionnel vétérinaire ne peut assurer une telle garantie. Tout est contextuel, et on ne peut que tenter de réduire au minimum le degré de dangerosité.

 

[84]       Elle explique qu’elle ne recommande pas l’euthanasie dans le cas de Cassy car des mesures de rechange peuvent éviter cette sanction extrême. Ainsi, l’application des mesures proposées dans son rapport représente peu de risque qu’un nouvel incident ne survienne.

 

[85]       Le contre-interrogatoire a donné lieu à une discussion intéressante. Ainsi, dans un premier temps, on précise que les évaluations sont toujours réalisées en présence du propriétaire, sauf s’il ne peut être joint.

 

[86]       À la question de savoir si elle avait demandé au témoin Mollard de quitter la salle d’évaluation pour sa sécurité, elle nie catégoriquement ce fait. Il y a eu des discussions à l’effet que la chienne avait déjà mordu et qu’elle était plus agressive en présence d’hommes. Mais, elle n’a jamais demandé à  M. Mollard de quitter la salle. Toutefois, il semble que compte tenu de ce qu’il avait entendu au sujet de Cassy, il ne s’est pas fait prier pour sortir de son propre gré.

 

[87]       Comme elle était au courant des événements de Chertsey, le procureur de la poursuivante lui demande pourquoi elle n’a pas fait l’évaluation en l’absence de sa propriétaire. Elle explique que son protocole indique qu’il n’est pas nécessaire de procéder ainsi pour évaluer la dangerosité d’un chien.

 

[88]       Le procureur de la poursuivante lui fait remarquer que la question de la stérilisation, de la muselière et de la laisse était déjà contenue dans la réglementation municipale.

 

[89]       Puis, il lui demande de commenter une comparaison qu’il lui suggère entre un prisonnier qui aurait tué à répétition et Cassy à qui on autoriserait le retour sur les chemins publics.

 

[90]       L’experte-vétérinaire réitère que le risque 0 n’existe pas mais qu’avec les recommandations établies le niveau de dangerosité est à son plus bas.

 

[91]       Le procureur de la poursuivante lui demande pourquoi elle avait laissé la muselière à la chienne lors de l’évaluation. Elle répond qu’elle procède souvent ainsi pour la sécurité des intervenants. Elle ajoute qu’elle ne connait pas l’animal et qu’elle ne veut courir aucun risque.

 

[92]       Quand on lui demande pourquoi ne pas avoir retiré la muselière à un certain moment, elle répond que la chienne la tolérait très bien et que ça donnait rien de la lui enlever, surtout dans le contexte où elle aurait déjà mordu.

 

[93]       Quand on lui demande si elle a touché Cassy, pour prendre le pouls de sa dangerosité, elle répond qu’elle ne s’en souvient pas mais ne croit pas l’avoir fait. À tout événement, la chienne était libre de circuler sans laisse dans la salle d’évaluation, contrairement au chien Kato dans l’affaire Sousa[5] où elle avait agi comme experte en 2014 et où il s’agissait d’un chien qui grognait et qui était davantage dangereux.

 

[94]       Quant à savoir si la chienne était plus réactive avec les hommes, elle ajoute qu’elle a croisé beaucoup d’hommes au refuge et que lors de l’évaluation tout s’est déroulé sans problèmes. Elle ajoute que ses recommandations tiennent compte du fait qu’elle a remarqué, qu’à l’occasion, elle grogne lorsqu’un homme inconnu apparait.

[95]       Elle ignore qu’en vertu du règlement municipal, un chien qui mord est automatiquement considéré comme « dangereux ».

 

[96]       Elle précise que son mandat consiste à étudier les faits tels qu’ils sont indiqués dans les rapports de police : « je ne suis pas une enquêteure sur les faits ».

 

[97]       Elle conclut qu’il est malheureux que des propriétaires refusent de faire vacciner leur chien quand des événements agressifs sont survenus avec leur animal.

 

 

3- Le témoignage de la défenderesse

 

[98]       La défenderesse assure formellement qu’elle va respecter les recommandations de l’experte-vétérinaire.  

 

[99]       Examinons certains aspects de son témoignage pour déterminer si elle mérite la confiance qu’elle demande au Tribunal.

 

[100]    D’abord, il est clair que Cassy représente pour elle une amie et un soutien psychologique indispensable : Cassy lui aurait « sauvé la vie » lors d’une importante dépression en 2009. 

 

[101]    Elle a suivi une thérapie, et c’est grâce à Cassy qu’elle a pu la compléter puisqu’elle voulait devenir une bonne maitresse pour son chien.

 

[102]    Elle est consciente que ce type de chien nécessite beaucoup d’attention et de responsabilité de la part de son propriétaire.

 

 

a) Sa version des faits concernant certains incidents antérieurs

 

[103]    Voici sa version des faits concernant certains incidents dont parle la poursuivante et qui impliqueraient Cassy.

 

[104]    Le premier est survenu à Terrebonne en 2012, alors que la fille du voisin s’est «mise à crier après la défenderesse en courant vers elle». Cassy a réagi en la griffant mais ne l’a pas mordue. À cette époque, elle n’avait pas de muselière. Par contre, suite à cet incident, la défenderesse a décidé de lui faire porter une muselière en tout temps.

 

[105]    Le deuxième est survenu à Chertsey. La morsure infligée ne l’avait pas été par Cassy mais par Buck, un loney qu’elle avait en pension à cette époque. Elle avait plusieurs chiens en pension chez elle. Elle affirme qu’au moment des événements, Cassy était dans sa cage.

 

[106]    Un troisième incident est survenu à Saint-Jérôme en septembre 2010 sur une piste cyclable. À ce moment, elle marchait avec son chien qui portait sa muselière. Un individu est sorti des buissons et a tenté de l’agripper par les épaules. La chienne a alors foncé sur lui pour protéger sa maitresse mais ne l’a pas mordu.

 

[107]    Elle nie qu’il y ait eu un combat de chien le 9 juin 2016.

 

[108]    Puis, on lui rappelle qu’en juillet et août 2012, d’autres événements ont eu lieu au parc Lafontaine. Elle explique que Cassy portait sa muselière et que c’est plutôt un gros chien noir qui est venu attaquer Cassy, qui n’a évidemment pas pu mordre en raison de sa muselière protectrice.

 

[109]    Selon elle, ce genre d’événements est plutôt rare avec Cassy qui n’est pas très réactive face aux autres animaux.

 

[110]    Elle assure que ses chiens ne sortent jamais sans elle. De façon plus contemporaine, elle mentionne que Cassy porte toujours une muselière ainsi qu’un collier de contrôle de type Halti, qui sert à lui retenir la tête.

 

 

b) Sa version des faits concernant la présente affaire

 

[111]    Concernant l’événement qui nous occupe, soit l’intervention du 29 juillet 2016, elle rappelle que c’est elle qui a demandé l’intervention des policiers à la suite du comportement agressif et menaçant de son frère. Elle craignait pour sa propre sécurité. 

 

[112]    Elle hébergeait son frère qui avait des idées sombres, voire suicidaires. Elle qualifie cette période comme étant l’erreur de sa vie. Après quelques temps de vie commune, il a pris le contrôle de l’appartement et lui a imposé ses horaires. Cette situation lui est vite devenue invivable.

 

[113]    Le 29 juillet, il a « pété une coche » et a lancé un marteau en direction de sa télévision. Elle a appelé la police et est sortie à l’extérieur craignant pour sa sécurité.

 

[114]    Dès l’arrivée des policiers, elle s’est sentie suspecte, alors qu’elle était la victime. Dès le début de l’intervention policière, il semble qu’on lui ait demandé de quitter les lieux. Elle a dû expliquer que c’était son frère qui était chez elle et que c’est lui qui devait quitter.

 

[115]    Elle admet que les chiens ont jappé lorsque les policiers ont ouvert la porte de la chambre mais qu’il se sont tus dès qu’on l’a refermée.

 

[116]    Elle a collaboré à l’intervention, en suggérant aux policiers d’aller elle-même sortir les chiens un à un de la chambre pour les transférer dans le camion des SARS.

 

[117]    N’eût été du comportement de son frère, les chiens n’auraient jamais montré d’agressivité.

 

 

c) Les engagements qu’elle propose au Tribunal

 

[118]    Elle décrit ce que sera l’environnement de Cassy si le Tribunal l’autorise à reprendre sa chienne. Elle habite maintenant St-Calixte, où elle a signé un bail de 40 mois. Ainsi :

 

1.    Il n’y a pas de voisins autour.

2.    Elle sera toujours attachée à un câble de bateau.

3.    Elle n’ira jamais sur la voie publique seule, tout comme elle ne l’a jamais permis auparavant.

4.    Elle ajoute : « j’aime mieux faire du zèle plutôt qu’il arrive un drame ».

5.    Cassy portera une muselière panier fabriquée aux États-Unis qui rend les dangers de morsures beaucoup moins réalistes.

6.    Elle ne laissera jamais ses chiens sans surveillance, il y aura une clôture autour du terrain.

7.    Elle a acheté un cadenas de sécurité pour les cages pour qu’aucun chien ne puisse l’ouvrir.

8.    Cassy portera une micro-puce.

9.    Sa laisse sera encore plus courte que les 1,5 m demandés.

 

[119]    Elle s’engage à suivre scrupuleusement toutes les recommandations de l’experte-vétérinaire.

 

[120]    Sa situation financière est très difficile. Elle bénéficie de l’aide sociale et a eu à payer la totalité de l’expertise, ce qui était au-dessus de ses moyens.

 

[121]    Toutefois, elle a l’argent nécessaire pour procéder à la stérilisation de sa chienne. Elle acceptera de la faire vacciner, malgré qu’elle soit contre le principe. Elle est prête à tout pour retrouver sa chienne. Elle a même dit au procureur qu’elle était prête à « lécher ses bottes » pour la retrouver.

 

[122]    Elle n’accepte pas l’idée d’euthanasier Cassy alors qu’elle n’a mordue personne. Si sa chienne avait réellement mordu quelqu’un, elle accepterait le constat d’infraction et aurait permis l’euthanasie. « Mais, dit-elle, elle n’a jamais mordu personne ».

 

[123]    Ses absences remarquées lors des procès antérieurs et ses condamnations par défaut étaient dues à un manque de transport. Cela n’est évidemment pas une excuse.

 

 

d) Ses réponses au contre-interrogatoire

 

[124]    En contre-interrogatoire, le procureur de la poursuivante lui demande de commenter une vidéo sur laquelle on voit un chien qui n’est pas attaché. Elle affirme qu’il s’agit du chien de sa colocataire, et que ses propres chiens le sont toujours. Cassy l’écoute au doigt et à l’œil.

 

[125]    Le procureur de la Ville lui parle des bacs de recyclage qu’elle a installés en guise de clôture. Ses justifications à ce sujet ne sont pas très convaincantes, compte tenu de la réglementation municipale qui exige une clôture.

 

[126]    Concernant la pièce P-9, le procureur lui fait confirmer qu’il s’agit bien de commentaires désobligeants qu’elle a portés à son égard sur sa page Facebook.

 

[127]    Puis, il lui parle d’une entrevue qu’elle aurait donnée au réseau TVA. Selon la défenderesse, c’est le réseau TVA qui l’a approchée pour lui poser quelques questions au sujet de ses chiens. Selon le procureur, le contenu de l’article semble dire qu’elle considère ses propres chiens comme des « armes chargées sans cran de sûreté ».

 

[128]    Elle s’inscrit en faux contre cette interprétation. Le contexte en serait tout différent. Elle a plutôt mentionné au journaliste que ce sont les chiens qui sont laissés sans surveillance qui sont comme des armes chargées sans cran de sûreté.

 

 

4- Le témoignage de son ami Ian Redden

 

[129]    Le témoin Redden connait la défenderesse depuis au moins quatre ans. Il la fréquente de quatre à cinq fois par année, parfois chez elle, parfois chez lui.

 

[130]    Il connait ses chiens. Appelé à décrire Cassy, il dit que c’est « un très bon chien » qui va souvent jouer avec ses enfants, qu’il joue lui-même avec elle, qu’il l’a touchée souvent. Il est également propriétaire d’un pitbull, Morgan, le frère de Jessie, un des trois chiens de la défenderesse.

 

[131]    En fait, si on décrit la famille de chiens par rapport à Cassy, elle en est la grand-mère.

 

 

[132]    Il corrobore qu’à l’époque, Cassy portait toujours sa muselière et était toujours tenue en laisse lorsqu’elle sortait du terrain de la défenderesse.

 

[133]    Cassy est souvent allée chez lui et a eu des contacts directs avec sa fille de six ans.

 

[134]    Il ajoute que sa femme avait une grande peur des pitbulls et que Cassy avait réussi à la convaincre du contraire.

 

[135]    En résumé, il mentionne qu’avec les autres, Cassy s’est toujours bien comportée.

 

[136]    Il admet également que la cour arrière de la défenderesse n’est pas clôturée de façon hermétique, mais ajoute que les chiens sont toujours attachés dans la cour l’arrière.

 

 

5- Le témoignage de son amie Diane Pelchat

 

[137]    La témoin connait la défenderesse depuis 30 ans. Elle connait bien ses chiens. Elle fréquente la défenderesse qui est devenue son amie, d’une à deux fois par mois.

 

[138]    Elle n’a jamais eu de problèmes avec Cassy, pas plus que ses petits-enfants qui ont été en contact avec elle. Elle n’a jamais vu d’incident impliquant Cassy.

 

[139]    En contre-interrogatoire, on lui demande si on lui a déjà rapporté des incidents concernant Cassy. Elle répond qu’à part les incidents de Terrebonne et Chertsey, elle n’est au courant d’aucun autre événement.

 

 

 

III.     ANALYSE ET MOTIFS

 

[140]    Cette affaire touche à de nombreux points de droit. Apportons d’abord certaines précisions quant aux termes gardiens et propriétaire.

 

[141]    La réglementation municipale emploie les mots « gardien du chien » pour englober tout type de rapports entre le chien, son maitre, son propriétaire, le possédant ou le gardien d’un chien[6].

 

[142]    Dans cette section, le Tribunal emploiera les mots « propriétaire du chien » pour distinguer et éviter toute confusion entre le véritable propriétaire du chien (la défenderesse, dans la présente affaire) et la personne qui garde le chien pendant la saisie et qui est également définie comme « gardien » par la loi.

 

 

A) JURIDICTION TERRITORIALE DE LA POURSUIVANTE SUR SA POPULATION

 

[143]    Il convient de vider d’abord cette question de juridiction : la défenderesse n’habite plus le territoire de la Municipalité.

 

[144]    Les infractions à l’origine de la présente affaire ont bien eu lieu sur le territoire de la poursuivante mais, depuis, la défenderesse est déménagée dans une autre municipalité.

 

[145]    On peut se demander si la Municipalité a toujours juridiction pour maintenir la saisie et euthanasier un animal qui, advenant la mainlevée, ne sera plus hébergé sur son territoire et ne constituera plus aucun danger pour sa population.

 

[146]    Si tel est le cas, le Tribunal pourrait mettre fin aux procédures et ordonner le retour de Cassy à la défenderesse sans aucune autre forme de procès.

 

[147]    La jurisprudence est très claire à l’effet qu’une municipalité n’a de juridiction que pour sa population et sur son territoire. Ainsi, le champ d’application de la Loi sur les compétences municipales[7] prévoit ceci :

 

2. Les dispositions de la présente loi accordent aux municipalités des pouvoirs leur permettant de répondre aux besoins municipaux, divers et évolutifs, dans l’intérêt de leur population. Elles ne doivent pas s’interpréter de façon littérale ou restrictive.

 

[…]

 

6. Dans l’exercice d’un pouvoir réglementaire prévu par la présente loi, toute municipalité locale peut notamment prévoir :

 

[…]

 

3°  l’application d’une ou de plusieurs dispositions du règlement à une partie ou à l’ensemble de son territoire;

 

85. En outre des pouvoirs réglementaires prévus à la présente loi, toute municipalité locale peut adopter tout règlement pour assurer la paix, l’ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population.

 

[148]    Les municipalités peuvent exercer certaines activités à l’extérieur de leur territoire mais elles sont restreintes à ceci :

 

8. Toute municipalité locale peut, sur son territoire ou à l’extérieur de celui-ci, après avoir avisé la municipalité concernée, établir ou exploiter un équipement culturel, récréatif ou communautaire avec un organisme à but non lucratif, une commission scolaire ou un établissement d’enseignement.

 

Elle peut également, à l’extérieur de son territoire, accorder une aide à une personne pour l’établissement et l’exploitation d’équipements et de lieux publics destinés à la pratique d’activités culturelles, récréatives ou communautaires.

 

[149]    Vouloir maintenir la saisie d’un animal pour l’euthanasier alors que celui-ci ne sera plus hébergé sur son territoire semble donc être de la nature d’un acte ultra vires des pouvoirs qui lui sont accordés par sa loi habilitante.

 

[150]    Bien qu’il apparaisse incongru d’assimiler un animal à une « chose animée », les pouvoirs de saisie d’une municipalité en matière pénale sont soumis aux règles prévues aux articles 95 et suivants du Code de procédure pénale[8] :

 

95. La perquisition est la recherche dans un endroit en vue d’y saisir une chose animée ou inanimée:

 

1° susceptible de faire la preuve de la perpétration d’une infraction;

dont la possession constitue une infraction;

3° qui a été obtenue, directement ou indirectement, par la perpétration d’une infraction.

 

129. Le saisissant a la garde de la chose saisie; lorsqu’elle est mise en preuve, le greffier en devient le gardien.

 

Le gardien peut détenir la chose saisie ou voir à ce qu’elle soit détenue de manière à en assurer la conservation.

 

131. Lorsque la chose saisie présente un danger sérieux pour la santé des personnes ou la sécurité des personnes ou des biens, un juge peut en autoriser la destruction à la demande du gardien.

 

Un préavis d’un jour franc de cette demande est signifié au saisi et aux personnes qui prétendent avoir droit à cette chose.

 

Lorsque le danger est imminent, le gardien peut détruire la chose, sans l’autorisation d’un juge mais il doit, dans les plus brefs délais, en faire rapport à un juge et en aviser le saisi et, si elles sont connues, les personnes qui pouvaient avoir droit à cette chose.

 

134. La chose saisie ou le produit de sa vente doit être remis le plus tôt possible:

 

1° soit dès que le saisissant a été avisé qu’aucune poursuite ne sera intentée en rapport avec cette chose ou ce produit ou que celle-ci ne sera pas mise en preuve;

2° soit à l’expiration du délai pendant lequel le saisissant a droit à sa rétention;

3° soit lorsqu’une ordonnance de remise est devenue exécutoire.

 

[151]    Le Tribunal est d’avis que la saisie de Cassy est une procédure qui s’est cristallisée sur le territoire de la poursuivante au moment de son exécution.

 

[152]    Les faits à l’origine des constats d’infraction ont été perpétrés sur le territoire de la poursuivante en vertu de dispositions règlementaires s’appliquant sur son territoire. La saisie découle de ces dispositions. Il s’agit maintenant de décider si, suite à ces dispositions, le chien peut être remis à sa propriétaire.

 

[153]    Avec égards et respect pour d’autres opinions, le Tribunal croit que les présentes procédures de saisies entreprises par la poursuivante à la cour municipale de Longueuil doivent trouver leur dénouement à l’intérieur de la juridiction qui leur a donné naissance.

 

[154]    Les faits à l’origine des constats ont eu lieu sur le territoire de la poursuivante et la saisie est accessoire à ces procédures. La poursuivante, à titre de saisissante, est devenue la gardienne de l’animal (art. 129, C.p.p.).

 

[155]    Ce n’est pas parce que la défenderesse change le lieu de sa résidence que la poursuivante perd juridiction, tant sur les procédures principales (les constats) que sur l’accessoire (la saisie reliée aux constats).

 

[156]    Le Tribunal analysera donc le bienfondé ou non de la demande d’euthanasie, d’une part, et de mainlevée, d’autre part, malgré le déménagement de la défenderesse dans une autre municipalité depuis le début des procédures.

 

[157]    Cette analyse doit se fonder tant sur les conditions prévues par les articles 131 et 134 C.p.p. que celles prévues à 58.5 du règlement.

 

 

B) DROIT APPLICABLE

 

 

1- Le Code de procédure pénale

 

[158]    Le Tribunal a déjà référé aux articles du Code plus haut [160].

 

 

2-        La réglementation municipale

 

[159]    On peut résumer la règlementation municipale pertinente en deux sections. D’abord, la notion de chien dangereux, puis les notions de saisie qui traitent d’abord des  droits de la poursuivante puis de ceux du propriétaire d’un animal ainsi saisi.

 

a)        La notion de chien dangereux

 

[160]    La possession d’un chien de race pitbull est spécifiquement défendue, à moins que le propriétaire n’ait obtenu une licence émise selon certaines conditions particulières :

 

Article 15.1 Il est interdit de garder, maintenir ou posséder, y compris à des fins de vente ou de reproduction, un pitbull.

 

Article 15.2 Malgré l’article 15.1, il est permis de garder, maintenir ou posséder au plus deux pitbulls dans une unité d’habitation ou sur une même propriété si, en date du 1er octobre 2016, toutes les conditions suivantes sont respectées :

 

1° le gardien est âgé d’au moins 18 ans;

 

2° le pitbull possède une licence valide émise en vertu de l’article 23.1.

 

[161]    Alors que les conditions d’émission d’une licence pour un chien se limitent à quelques objets (nom du demandeur, race, sexe, couleur, inscription tatouée et puce électronique), les conditions d’émission d’une licence pour les pitbulls sont plus exigeantes :

 

Article 23.1. Outre ce qui est mentionné à l’article 23, une demande de licence pour un pitbull visé à l’article 15.2 doit être faite par le gardien en présence du pitbull et doit être accompagnée des renseignements et documents suivants :

 

1° une preuve d’âge du gardien;

 

2° une preuve de stérilisation du pitbull;

 

3° une preuve de vaccination contre la rage du pitbull, laquelle ne peut dater à plus de trois ans;

 

4° une preuve de l’identification du pitbull par micropuce;

 

5° une preuve démontrant que le gardien et le pitbull ont suivi et réussi un cours d’obéissance canine donné par un organisme reconnu;

 

6° un certificat d’un médecin vétérinaire attestant que le pitbull n’est pas dangereux, lequel ne peut dater de plus d’un an.

 

À défaut de fournir tous les renseignements et documents prévus au premier alinéa, la licence ne peut être délivrée.

 

[162]    Le règlement prohibe la possession de chien dangereux :

 

Article 14. Il est interdit d’être le gardien de tout chien méchant, dangereux ou ayant la rage.

 

[163]    La notion de « chien dangereux » pouvant être plutôt subjective et arbitraire, le règlement crée des présomptions pour en cerner la définition. Ainsi, on y retrouve les trois dispositions suivantes :

 

1-         Un chien ayant mordu une personne ou un animal est réputé dangereux (a. 58.1)

 

2-         Un pitbull non muni d’une licence émise en vertu de l’article 23.1 est réputé être dangereux (a. 58.3)

3-         Est réputé être dangereux un pitbull qui, de manière agressive :

aboie;

tente de mordre une personne ou un autre animal;

montre les crocs;

4° manifeste tout autre comportement menaçant (a. 58.4).

 

[164]    Ces dispositions comportent, pour la plupart, des critères objectifs qui ne sont pas difficiles à comprendre.

 

[165]    Toutefois, la notion de « comportement menaçant » peut être sujette à interprétation. 

 

[166]    Il y a des cas où la déduction peut s’avérer plus évidente que d’autres, comme par exemple dans l’affaire Paquet c. Ville de Montréal[9] où le juge Hébert de la Cour supérieure écrivait :

 

[24]  Or, les faits parlent par eux-mêmes : deux chiens qui se livrent à une attaque gratuite à l'égard de deux citoyens et d'un autre chien sont objectivement dangereux et aucune expertise ou évaluation comportementale n'est nécessaire pour le démontrer.

 

[167]    Il peut aussi y avoir des zones d’ombres nécessitant une analyse plus approfondie par un Tribunal.

 

[168]    En 2016, dans l’affaire Parisien[10], le juge Cournoyer rappelait certains principes en matière d’imprécision :

 

[40] Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Levkovic, la règle de la nullité pour cause d’imprécision est fondée sur deux principes : une loi doit donner aux citoyens un avertissement raisonnable et elle doit limiter le pouvoir discrétionnaire de ceux qui sont chargés de son application.

 

[…]

 

[43] Il importe de rappeler l’opinion de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt R. c. Hall  où elle note qu’il faut éviter de confondre la généralité de la rédaction d’une disposition législative avec son imprécision :

 

34        Le critère de l’imprécision inacceptable consiste à examiner si une disposition législative est imprécise au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 638-640. Il s’agit d’un critère exigeant : Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, par. 68. Les dispositions législatives sont, par nécessité, des énoncés généraux qui doivent s’appliquer à diverses situations. Une certaine mesure de généralité est donc essentielle, mais il faut se garder de confondre la généralité avec l’imprécision qu’engendre une disposition législative vague au point de rendre impossible un débat judiciaire sur son sens et son application. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Morales, précité, p. 729, « [e]xiger une précision absolue serait créer une norme constitutionnelle impossible ».

[169]    Dans le cas qui nous occupe, les critères qui donnent ouverture à la présomption de dangerosité n’affectent pas leur compréhension au point d’en affecter un débat judiciaire raisonnable. On y reviendra plus loin.

 

[170]    À tout événement, la présomption est réfragable et il appartient à la défense, selon les fardeaux habituels, d’en renverser la présomption en prouvant que le fait ne s’est pas produit.

 

 

b)        Les mécanismes de saisie prévus par le règlement

 

[171]    Le règlement prévoit des droits, tant en faveur de la poursuivante que du propriétaire du chien, lorsque les autorités jugent avoir des motifs raisonnables de procéder à sa saisie.

  

[172]    D’abord, la Municipalité s’est donnée le pourvoir de saisir et de disposer d’un chien dangereux :

 

Article 58. La Ville peut mettre en fourrière, vendre à son profit, stériliser ou éliminer tout animal abandonné, errant, dangereux, gravement blessé, mourant ou dont la garde, le maintien ou la possession sont interdits en vertu de ce règlement.

 

[173]    De leur côté, les propriétaires de chiens saisis peuvent récupérer leur animal, en respectant certaines conditions. Cette fois encore, les exigences pour les chiens de race pitbull sont plus élevées que celles demandées aux autres chiens.

 

[174]    Comme on l’a vu plus haut, les conditions générales sont les suivantes :

 

Article 58.2. Le gardien d’un chien visé par l’article 58.1 [ndt. : un chien qui a mordu] peut en reprendre possession dans les 30 jours ouvrables suivants sa capture aux conditions suivantes :

 

1° en payant les tarifs applicables prévus par un règlement de la Ville;

2° en prouvant qu’il en est bien le gardien;

3° en prouvant par un certificat de médecin vétérinaire que l’animal n’est pas

dangereux.

 

[175]    Pour les pitbulls, il faut y ajouter les exigences suivantes :

 

3° en prouvant que le pitbull est visé par l’article 15.2; [ndt. : licence spécifique pour pitbull]

4° en prouvant par un certificat de médecin vétérinaire que l’animal n’est pas dangereux, lequel ne peut dater de moins de 30 jours.

 

 

 

 

 

3-        La Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal

 

[176]    La Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal[11] déposée par la défense et citée en plusieurs occasions par la jurisprudence doit être mise dans son contexte.

 

[177]    Il s’agit d’une loi qui vise principalement la protection des animaux.

 

[178]    Voyons certains considérants introductifs de cette loi :

 

CONSIDÉRANT que l’animal est un être doué de sensibilité ayant des impératifs biologiques;

 

CONSIDÉRANT que l’État estime essentiel d’intervenir afin de mettre en place un régime juridique et administratif efficace afin de s’assurer du bien-être et de la sécurité de l’animal;

 

[179]    L’objet et le champ d’application de cette loi sont clairs :

 

Article 1. La présente loi a pour objet d’établir des règles pour assurer la protection des animaux dans une optique visant à garantir leur bien-être et leur sécurité tout au long de leur vie.

 

[180]    La loi doit recevoir priorité sur tout règlement inconciliable municipal :

 

Article 4. Toute disposition d’une loi accordant un pouvoir à une municipalité ou toute disposition d’un règlement adopté par une municipalité, inconciliable avec une disposition de la présente loi ou d’un de ses règlements, est inopérante.

 

[181]    Par exemple, nul ne peut par acte ou omission faire en sorte qu’un animal soit en détresse (art. 6).

 

[182]    Un animal est en détresse dans les cas suivants :

 

1° il est soumis à un traitement qui causera sa mort ou lui fera subir des lésions graves, si ce traitement n’est pas immédiatement modifié;

2°  il est soumis à un traitement qui lui cause des douleurs aiguës;

3° il est exposé à des conditions qui lui causent une anxiété ou une souffrance excessives.

 

[183]    La condition mentionnée à l’alinéa 1° ne signifie pas l’interdiction d’euthanasier.

 

[184]    Au contraire, elle nomme des inspecteurs et des enquêteurs chargés de s’assurer de l’application de la loi.

 

[185]    Ainsi, l’article 42 prévoit certaines conditions permettant à un inspecteur de confisquer un animal souffrant et de l’euthanasier sous certaines conditions :

 

Article 42. Un inspecteur qui a des motifs raisonnables de croire qu’un animal est exposé à des conditions qui lui causent une souffrance importante peut, dans l’exercice de ses fonctions, qu’il y ait eu saisie ou non, le confisquer aux fins de l’euthanasier s’il a obtenu l’autorisation du propriétaire ou de la personne ayant la garde de l’animal. À défaut d’une telle autorisation, il peut confisquer l’animal aux fins de l’euthanasier après avoir obtenu l’avis d’un médecin vétérinaire. Si aucun médecin vétérinaire n’est disponible rapidement et qu’il y a urgence d’abréger la souffrance de l’animal, l’inspecteur peut agir.

 

[186]    Si un animal a servi à commettre une infraction, l’inspecteur est aussi autorisé à agir :

 

Article 43. Un inspecteur peut, dans l’exercice de ses fonctions, saisir un animal, un produit ou un équipement auxquels s’applique la présente loi s’il a des motifs raisonnables de croire que cet animal, ce produit ou cet équipement a servi à commettre une infraction à une loi ou un règlement qu’il est chargé d’appliquer ou qu’une infraction a été commise à l’égard de l’animal ou lorsqu’un propriétaire ou une personne ayant la garde d’un animal fait défaut de respecter une décision ou une ordonnance rendue en application de la présente loi.

 

[187]    Cette loi ne vise pas nécessairement la protection des humains lorsqu’un animal peut constituer un danger pour la sécurité des humains. Cette loi vise à protéger les animaux de toute cruauté.

 

[188]    À l’instar de la Cour d’appel dans l’affaire Sousa[12], le Tribunal ne retiendra pas la pertinence de cette loi, sauf pour toute l’importance qui doit être accordée au fait qu’un animal est un être doué d’une sensibilité ayant des impératifs biologiques.

 

 

C)   APLICATION AUX FAITS

 

 

1- Cassy est-elle un « chien dangereux »?

 

[189]    La règlementation crée une présomption de dangerosité lorsqu’un chien a démontré l’un des comportements à la source de la présomption.

 

[190]    La règlementation municipale propose en partie une définition objective du caractère « dangereux », en édictant qu’un comportement bien précis du chien ou de son maitre en fera un chien réputé dangereux.

 

[191]    Ces dispositions du règlement sont objectives et permettent de déterminer si les présomptions s’appliquent ou non au cas en l’espèce.

 

[192]    La partie du règlement qui demande le rapport d’un médecin vétérinaire (art. 23.1 et 58.5(4°) ) est toutefois une notion plus subjective comme on l’a vu.

[193]    L’évaluation de la dangerosité d’un animal pour le futur doit en principe être laissée aux soins des experts.

 

[194]    Il s’agit ici d’une notion subjective qui varie selon les points de vue. Le maitre  qui promène son chien sur les rues publiques n’a certainement pas le même point de vue qu’un passant ou un piéton qui le voit approcher avec son chien.  Sa réaction variera selon qu’il est familier ou non avec ce type d’animal, ou selon sa peur ou non des chiens.

 

[195]    Il appert que l’intervention policière du 29 juillet, puis celle des SARS, faisaient suite à un conflit familial qui a dégénéré entre la défenderesse et son frère.

 

[196]    La compréhension la plus logique de cet événement est que la tension résultant du conflit et le bruit résultant de l’impact du marteau sur la télévision ont agacé puis surexcité les trois chiens de la défenderesse.

 

[197]    Il ne s’agissait pas ici d’une « agression offensive ou de prédation », c’est-à-dire d’une attaque originant des chiens eux-mêmes telle que définie par l’experte-vétérinaire. Ils ont réagi défensivement, avec un réflexe propre à leur condition de chiens.

 

[198]    Quoi qu’il en soi, il demeure, qu’objectivement, le comportement des trois chiens était menaçant pour toute personne raisonnable qui se serait trouvée sur les lieux à ce moment-là. Les spécialistes de la récupération de chiens ont eux-mêmes eu peur de leur comportement et ont dû prendre des mesures plus appropriées et sécuritaires pour récupérer les trois chiens de la défenderesse, dont Cassy.

 

[199]    Cela suffit pour faire jouer la présomption de dangerosité prévue à l’article 58.4 du règlement.

 

[200]    D’autres faits objectifs permettent aussi de faire jouer la présomption de dangerosité : tout comme les deux autres pitbulls de la défenderesse, Cassy ne détenait  aucune licence de pitbulls (a 58.3) et ils ont aboyé (art 58.4(1°)).

 

[201]    Il ne fait donc aucun doute pour le Tribunal que Cassy pouvait être raisonnablement qualifiée de « chien dangereux » par les autorités municipales au moment des événements.

 

[202]    Conséquemment, la poursuivante était parfaitement justifiée de procéder à la saisie des animaux de la défenderesse (art. 58).

 

 

 

 

 

2) La défenderesse peut-elle reprendre son chien?

 

 

1-    Analyse jurisprudentielle : Réflexion sur les engagements d’un propriétaire de chien à respecter les recommandations d’un rapport vétérinaire

 

[203]    Il va de soi que de demander à un Tribunal de se prononcer sur la certitude qu’un maitre respectera, à toutes les secondes de sa vie, les obligations et responsabilités qui lui incombent à ce titre, est une impossibilité.

 

[204]    Tout comme lors de l’utilisation d’une automobile, il peut arriver que, malgré toute la prudence apportée à la conduite, un événement extérieur tout à fait indépendant de la volonté du conducteur ou un moment d’inattention fasse en sorte qu’il se produise un accident irrésistible.  

 

[205]    Malgré ce constat d’impuissance, les tribunaux n’ont pas hésité à prendre le risque de retourner à leur propriétaire, des chiens qui avaient été beaucoup plus dangereux que Cassy.

 

[206]    Dans les affaires Hamelin[13] et Cognyl-Fournier[14], la Cour supérieure accepte de remettre le chien à sa propriétaire après avoir donné acte de l’engagement de celle-ci à respecter les conclusions du rapport vétérinaire et après lui avoir ordonné de respecter certaines conditions prévues au rapport vétérinaire.

 

[207]     Ainsi, en 2011, dans l’affaire Cognyl-Fournier, où le chien avait soudainement attaqué offensivement au cou un autre chien dans un parc, et où la Ville n’avait pas donné l’occasion à la défenderesse de contester la décision :

 

[138] Le Tribunal est cependant sensible au fait que le comportement erratique de Tyson justifie des inquiétudes.  Le Tribunal entend donc prendre acte de l’engagement de Mme Cognyl-Fournier de s’assurer que ce chien est muselé en tout temps lorsqu’il se trouve à l’extérieur de sa résidence et lui ordonner de se conformer à cet engagement. Et, pour que cette ordonnance soit efficace, il ne lui permettra pas de donner ce chien en adoption ou de s’en départir.

 

[208]    De même, en 2017, dans l’affaire Hamelin :

 

[Extrait du procès-verbal] :

 

Donne acte de son engagement de respecter les recommandations vétérinaires

Ordonne la remise du chien Marshall à sa propriétaire aux conditions suivantes :

1) Ne pas laisser le chien en liberté à l’extérieur, il doit être attaché

2) Port d’une muselière-panier lorsque le chien se trouve à l’extérieur du domicile.

3) Les propriétaires ne doivent pas laisser le chien accueillir les visiteurs librement

4) Le chien devra subir une évaluation, être suivi par un vétérinaire spécialiste et prendre toute médication prescrite

5) Désensibilisation du chien à la présence d’étrangers

6) Ne pas utiliser une laisse rétractable ou extensible

 

[209]    En 2016 dans l’affaire Lours[15], les faits ne visent pas un chien en particulier mais l’ensemble des pitbulls à Montréal. La Cour d’appel casse l’ordonnance de sursis accordée par la Cour supérieure relativement à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du règlement de la Ville de Montréal sur les pitbulls. Selon la Cour, il n’y avait pas lieu de procéder au sursis de ces dispositions puisque la Ville s’engageait volontairement à restreindre l’application de ces dispositions jusqu’au jugement final en première instance. La Cour ne peut ignorer qu’en attendant, d’autres incidents reliés aux pitbulls sont possibles.

 

[30]  PREND ACTE de l’engagement de la Ville de Montréal, pour valoir jusqu’au jugement de la Cour supérieure sur le pourvoi en contrôle judiciaire, lequel énonce : […]

 

 

2-    Réflexion sur le degré 0 des risques de dangerosité et la validité du certificat médical à cet effet

 

[210]    Selon la preuve non contredite, aucun vétérinaire ne peut déclarer qu’un animal n’est pas dangereux. Le risque 0 n’existe pas. L’experte-vétérinaire entendue dans la présente affaire déclare la même chose.

 

[211]    Dans ces conditions, il apparait que le pronostic exigé par la Municipalité, tant aux articles 23.1 (6e) [condition d’obtention d’une licence pour pitbull] et 58.5(4°) [exigence pour récupérer un animal saisi], est scientifiquement impossible à établir. Les conditions exigées à cet égard sont donc objectivement inapplicables.

 

[212]    La rédaction de ces articles ne demande pas d’interpréter différents degrés de dangerosité, mais exige une garantie d’absence complète de dangerosité :

 

[…] en prouvant par un certificat de médecin vétérinaire que l’animal n’est pas              dangereux […].

 

[213]    L’une des conditions cumulatives de ces articles ne pouvant jamais être réalisée, cela a pour conséquence pratique d’empêcher tout citoyen d’obtenir une licence de pitbull ou de récupérer son animal saisi.

 

[214]    Cette disposition anéantit à toute fin que de droit tous les buts et objectifs de cet article qui visent à sauver un animal de la mort, dans la mesure où la sécurité des citoyens n’est pas menacée.

 

[215]    Le Tribunal comprend que le conseil de ville a voulu protéger ses citoyens, en faisant l’équilibre entre le risque de se faire attaquer par un pitbull et le droit pour ses citoyens propriétaires de chiens de reprendre possession de leur animal, dans la mesure où celui-ci n’est pas « dangereux ».

 

[216]    Le conseil de ville aurait-il permis cette exception à la saisie et à l’euthanasie s’il avait su que le risque de dangerosité 0 n’existait objectivement pas? Aurait-il biffé de son règlement l’article 58.5, préférant ne prendre aucun risque avec la dangerosité des pitbulls?

 

[217]    Le Tribunal ne peut certes pas y répondre, bien qu’il soit reconnu par la jurisprudence et la doctrine que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes quant à l’interprétation de ses lois.

 

[218]    En 2004, dans l’affaire Lethbridge[16], la Cour suprême écrit :

 

46    Comme l’a affirmé notre Cour dans Rizzo Shoes, précité, par. 27, « [s]elon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. »  Qui plus est, une interprétation peut être tenue pour absurde lorsqu’elle est incompatible avec d’autres dispositions du texte législatif ou avec l’objet de celui-ci : voir P.-A. Côté, Interprétation des lois(3e éd. 1999), p. 573.  Le professeur R. Sullivan signale, de façon similaire, que [TRADUCTION]« l’interprétation qui tend à contrecarrer l’objet de la loi ou l’application du cadre législatif sera qualifiée d’absurde » : Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 243-244.

 

[219]    Une condition dont on a prouvé que l’application scientifique est irréalisable et objectivement déraisonnable doit être déclarée inopposable à la défenderesse.

 

[220]    En conséquence, les articles 58.5(4°), 58.2(3°) et 23.1 du règlement sont déclarés inopposables à la défenderesse.

 

[221]    Techniquement, si l’on retire cette condition des articles 23.1 et 58.4, le Tribunal devrait permettre le retour de Cassy à la défenderesse, dans la mesure où elle respecte objectivement toutes les autres conditions prévues à ces articles.

 

[222]    Il resterait à la poursuivante, le cas échéant, à modifier sa réglementation pour qu’on puisse y retrouver des conditions raisonnablement applicables.

 

[223]    Le Tribunal ne croit toutefois pas qu’il s’agisse de la façon adéquate de conclure la présente affaire, pour les motifs suivants.

 

[224]    D’abord, en pratique, la responsabilité pénale d’éviter un incident malheureux futur repose sur le propriétaire du chien (son maitre) et non sur le chien lui-même.

 

[225]    De même, le Tribunal n’entend pas permettre le retour de Cassy à sa propriétaire sans examiner l’ensemble de la preuve sur les risques de cette décision.

 

[226]    Cela pose la question de la crédibilité de la défenderesse quant aux engagements qu’elle se dit prête à prendre pour respecter les recommandations de l’experte-vétérinaire.

 

[227]    Celle-ci conclut que l’euthanasie de Cassy peut être évitée, dans la mesure où ses recommandations sont respectées. Cela revient à dire que les engagements offerts par la défenderesse lors de son procès et les assurances auxquelles elle demande au Tribunal de souscrire doivent être examinés sérieusement.

 

 

3-    Réflexion sur la gestion du risque

 

[228]    Tout pronostic en matière de comportement futur, que ce soit celui du chien ou celui de la défenderesse, à titre de maitre du chien, devient une pure question de gestion de risques.

 

[229]    Le Tribunal ne peut perdre de vue que le retour de Cassy à sa propriétaire comporte une incertitude quant à la réalisation d’un possible incident malheureux futur, ainsi qu’à la nature et l’importance de l’impact ou du préjudice que peuvent causer la réalisation du risque.

 

[230]    La notion de « gestion des risques » fait l’objet d’une théorie immensément spécialisée (risk management) et le Tribunal n’a pas connaissance judiciaire de sa teneur. En l’absence d’expertise sur ce sujet, il lui est impossible d’analyser objectivement et avec rigueur, les distinctions entre la réalisation d’une hypothétique blessure, par une simple égratignure provenant d’un chien récemment vacciné contre la rage, ou d’une morsure entrainant la mort.

 

[231]    Ce que le Tribunal constate toutefois, c’est que le retour de chiens à leur propriétaire, après des incidents malheureux et parfois beaucoup plus graves que ce qui est arrivé dans la présente affaire, est loin d’être rare quand on examine la jurisprudence.

 

[232]    Examinons donc la jurisprudence à cet effet et tentons de l’appliquer aux faits en l’espèce.

 

 

4-    L’affaire marseguerra c. ville de brossard et l’importance de tenir compte des recommandations de l’expert

 

[233]    Plusieurs précédents jurisprudentiels ont été déposés par la défense. Ainsi en est-il des affaires :

Ø  L’affaire Hamelin (C.S. 2017) (onglet 4 du cahier de jurisprudence de la défense (CJD)[17]

Ø  L’affaire Busque (C.M. 2016) (onglet 7 CJD)[18]

Ø  L’affaire Cognyl-Fournier (C.S. 2015) (onglet 8 CJD)[19]

Ø  L’affaire Brunet (C.M. 2015) (onglet 6 CJD)[20]

Ø  L’affaire Sousa (C.A. 2014) (onglet 5 CJD)[21]

Ø  L’affaire Kimberly Duquette (C.S. 2007) (onglet 9 CJD)[22]

 

[234]    Dans ces affaires, sauf pour l’affaire Brunet, les juges ont ordonné le retour du chien à leur propriétaire, et ce, dans certain des cas, malgré des preuves de lacérations corporelles prouvées et importantes.

 

[235]    De son côté, la poursuivante a produit plusieurs causes :

 

Ø  L’affaire Couto (C.M. 2017)[23]

Ø  L’affaire Beaudoin (C.S. 2016)[24]

Ø  L’affaire Nelson (C.M. 2014)[25]

Ø  L’affaire Papakosta (C.S. 2012)[26]

Ø  L’affaire Tingwick (C.S. 2012)[27]

 

[236]    Certaines de ces affaires ont ordonné l’euthanasie, en raison d’une preuve de dangerosité accablante ou de mort causée par le chien dont on demande l’euthanasie.

 

[237]    Dans la très récente affaire Marseguerra c. Ville de Brossard [28], rendue par la Cour supérieure le 14 novembre dernier, le juge Thomas Davis doit décider si la décision du fonctionnaire d’euthanasier Kyra, une chienne qui avait attaqué et mordu à mort la chienne de sa voisine, était bien fondée compte tenu des dispositions du règlement municipal et des informations qui lui avaient été fournies. Les faits sont donc autrement plus graves dans cette affaire que dans celle qui nous concerne.

 

[238]    Tout comme dans notre affaire, la chienne est saisie et transférée dans un refuge pour une évaluation.

 

[239]    La vétérinaire appelée à procéder à cette évaluation est Dre Isabelle Demontigny-Bédard, soit l’experte-vétérinaire ayant agi dans notre affaire, à la différence que son mandat origine de la Ville et non de la défenderesse.

 

[240]    La vétérinaire qualifie ainsi la dangerosité de Kyra :

 

Points en faveur :

 

1.         Seul incident rapporté

2.         Aucun épisode d’agression envers les humains rapporté

 

Points en défaveur :

 

1.         Taille du chien (moyenne à grande race)

2.         Agression de prédation suspectée

3.         Morsures multiples non-contrôlées et maintenues ayant causées le décès d’un autre chien

 

Sur une échelle de à 10 dont 1 = risque minimum, « Kyra » se situe à 3 envers les humains (risque faible). Le risque envers les autres chiens de moyenne à grande taille est évalué à 3 (risque faible). Le risque envers les autres petits animaux et chiens de petite taille est évalué à 9 (risque élevé) s’ils sont perçus comme une proie.

 

De très jeunes enfants peuvent aussi être perçus comme des proies par des chiens présentant de l’agression de prédation. L’agression de prédation peut seulement être prévenue avec une gestion environnementale adéquate.

 

Il est à noter que le risque 0 n’existe pas avec un être vivant possédant des dents.

 

[241]    Cette situation est manifestement beaucoup plus à risque dans cette affaire que dans la nôtre. Malgré cela, la vétérinaire propose des recommandations permettant d’éviter l’euthanasie de Kyra, lesquelles ressemblent beaucoup à celles qu’elle met de l’avant dans notre affaire :

 

1.    La propriétaire doit faire vacciner « Kyra » contre la rage aux 3 ans minimum.

2.    « Kyra » devrait être munie d’une micropuce.

3.    « Kyra » doit porter une muselière de type panier lorsqu’elle est à l’extérieur de l’unité d’occupation.

4.    « Kyra » doit être tenue en laisse d’une longueur de 1,5 mètre maximum lorsque celle-ci est à l’extérieur de l’unité d’occupation.

5.    « Kyra » doit être sous la surveillance d’une personne légalement responsable lorsqu’elle est à l’extérieur de l’unité d’occupation. Elle ne devrait donc pas être laissée sans surveillance sur la voie publique.

6.    Si elle n’est pas en laisse, la propriétaire doit s’assurer de garder « Kyra » dans un endroit fermé par une clôture d’une hauteur minimale de 2 mètres, l’espace au bas doit être suffisamment petit pour empêcher que « Kyra » s’échappe ou qu’un autre chien ou un chat s’introduisent dans l’enclos.

 

7.    « Kyra » ne devrait pas être laissée sans surveillance avec des enfants en bas âge et des chiens de petite taille ou autre petit animal pouvant être perçu comme une proie.

 

[242]    Elle conclut ainsi :

 

En s’assurant de la mise en place de ces recommandations, je suis d’avis qu’un événement comme celui qui s’est produit le 5 octobre 2016 ne devrait pas se reproduire.

 

La diminution du risque présenté par « Kyra » envers les autres petits animaux et chiens de petite taille dépend entièrement du respect par la propriétaire des conditions de confinement énumérées ci-dessus.

 

[243]    Tenant compte des risques d’un incident malheureux futur et s’appuyant principalement sur la recommandation no 7 du rapport, l’inspecteur prend, malgré les recommandations de l’experte, la décision de faire euthanasier Kyra :

 

Les résultats du rapport d’évaluation comportementale de votre chien révèlent les éléments suivants :

 

·                    « Kyra » ne devrait pas être laissé sans surveillance avec des enfants de bas       âge et des chiens de petite taille ou autre petit animal pouvant être perçu comme        une proie;

 

·                    De très jeunes enfants peuvent aussi être perçus comme des proies par des        chiens présentant de l’agression de prédation.

 

En conséquence, après avoir pris connaissance des résultats du rapport d’évaluation, et en vertu des dispositions prévues à l’article 2.2 du Règlement relatif au contrôle des animaux, la Ville de Brossard impose la mesure suivante :

 

·                    De faire euthanasier votre chien dans un délai de cinq jours ouvrables suivant       la réception de cet avis.

 

[244]    Une contre-expertise sera produite par Dr Enid Stiles pour le compte de la défense. Cette contre-expertise est similaire à celle de Dre Bédard, à quelques exceptions près. Le niveau de dangerosité est ainsi évalué :

 

Sur une échelle de 1 à 10 dont 1 = risque minimum, « Kyra » se situe à 2 (risque faible) en­vers les humains. La seule raison pourquoi elle ne représente pas un risque de 1 est dû à sa ten­dance à devenir très excitée et sauter sur les gens, ce qui peut être menaçant et résulter à blesser grièvement une personne âgée ou de jeunes enfants. Le risque envers les chiens de moyenne et grande taille se situe à 2 (risque faible) et le risque envers les chiens de petite taille est évalué à 9 (risque élevé).

 

Il est à noter que le risque 0 n’existe pas avec un être vivant possédant des dents.

 

[245]    Ses recommandations sont toutefois moins exigeantes que celle de                      Dre Demontigny :

 

Afin de diminuer le risque que pose « Kyra » envers les autres chiens, les recommandations suivantes sont proposées à la propriétaire :

 

1.                  « Kyra » doit porter une muselière de type panier lorsqu’elle est à l’extérieur de    l’uni­té d’occupation.

 

2.                  « Kyra » doit être tenue en laisse d’une longueur de 1,5 mètre maximum lorsque celle-ci est à l’extérieur de l’unité d’occupation.

 

3.                  « Kyra » doit être sous la surveillance d’une personne légalement responsable     lorsqu’elle est à l’extérieur de l’unité d’occupation. Elle ne devrait donc pas être    laissée sans surveillance sur la voie publique.

 

En mettant en place ces recommandations, je suis d’avis qu’un événement comme celui qui s’est produit le 5 octobre 2016 ne devrait pas se reproduire.

 

Il est de mon avis professionnel que si les recommandations notées plus haut sont mises en place, le risque que pose « Kyra » envers les chiens de petite taille sera réduit de façon significative. « Kyra »ne sera pas en mesure de blesser un autre chien de petite taille si celle-ci porte une muselière-panier et est en laisse à l’extérieur de l’unité d’occupation.

 

[246]    Malgré les recommandations de l’expert, l’inspecteur maintient sa décision :

 

Après analyse de la contre-expertise du Dr Enid Stiles, qui nous a été transmise le 16 janvier dernier, nous vous informons que l’ordonnance d’euthanasie est maintenue, et ce, au motif que votre chien est un animal dangereux au sens du règlement no REG-219, règlement relatif au contrôle des animaux.

 

[247]    Pour le juge Davis, l’évaluation de la décision de l’inspecteur est soumise à la norme de la décision raisonnable. La Cour doit déférence à l’inspecteur dans son interprétation du règlement municipal pertinent.

 

[248]    Toutefois, le juge rappelle qu’en matière de contrôle des animaux, cette déférence a été balisée par la Cour d’appel en 2014 dans l’affaire Sousa c. SPCA Lanaudière—Basses-Laurentides[29]. Celle-ci attire l’attention sur les dispositions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal[30] en ces termes :

 

[9]     Un animal d’agrément comme le chien K est un bien meuble aux yeux du droit commun. Dans la mesure où le Règlement autorise la confiscation et la destruction d’un tel bien sans le consentement de son propriétaire et même aux frais de ce dernier, il doit être lu avec une attention particulière afin d’éviter tout abus de la part de l’autorité chargée de son application.

 

[249]    Le juge rappelle également qu’en raison des conséquences irréversibles et fatales de la décision administrative, les Tribunaux doivent apporter une grande attention aux cas d’euthanasie d’un animal.

 

[250]    Le juge Davis déclare que la décision du fonctionnaire d’euthanasier Kyra était déraisonnable, en raison de l’information professionnelle mise à sa disposition pour éclairer sa décision. Il écrit :

 

[31] Avec égards, cette décision surprend. De l’avis du Tribunal, ce n’est pas seulement le fait que Kyra soit dangereuse qui permet sa destruction. La Ville a décidé d’instaurer un processus d’évaluation par un vétérinaire avant qu’un chien puisse être euthanasié, sauf pour une situation très précise, soit que l’animal présente un danger lors de sa capture. Le propriétaire peut faire faire une contre-expertise. L’autorité compétente doit prendre connaissance des recommandations avant de prononcer sa décision.

 

[32] Ni la première décision de M. Jean Baptiste, ni la confirmation de celle-ci ne comportent quelque référence aux recommandations.

 

[251]    Dans cette affaire, le juge Davis conclut que l’inspecteur n’a pas tenu compte des recommandations des expertises, ce qui en empêche d’en connaitre la véritable justification (voir par. [33]).

 

 

5-    Comparaison entre l’affaire Marseguerra et celle de la défenderesse

 

[252]    Dans notre affaire, la Ville n’a procédé à aucune expertise de son propre chef. Elle ne peut contredire les recommandations de l’experte-vétérinaire qui ne recommande pas l’euthanasie de Cassy, mais plutôt des mesures permettant de réduire les risques de dangerosité au minimum.

 

[253]    Toutes les hypothèses pessimistes soulevées par la poursuivante, bien que possibles en théorie, ne sont, eu égard à la preuve présentée, que conjonctures et présomptions.

 

[254]    L’expertise professionnelle de l’experte vétérinaire indique que l’euthanasie peut être évitée sous certaines conditions. Cette évaluation professionnelle est la seule que peut retenir le Tribunal.

 

[255]    L’article 58.5 du règlement consacre le droit pour un propriétaire de reprendre possession de son chien sous certaines conditions. Parmi celles-ci, le certificat d’un professionnel garantissant un degré 0 de dangerosité est requis (58.5(4)). Or, on a vu que cette condition est inapplicable.

 

[256]    Toutefois, cette disposition démontre clairement la volonté de la poursuivante d’obtenir une opinion professionnelle préalablement à la décision de remettre ou non à son propriétaire un chien ayant été antérieurement réputé                            « dangereux ». Cet article vise implicitement à éviter les décisions purement subjectives basées sur des déductions, des rumeurs ou des craintes personnelles.

 

[257]    L’expertise d’un médecin vétérinaire et ses recommandations deviennent l’essence même des justifications pouvant conduire à une décision raisonnable tant de la part des autorités responsables que d’un Tribunal.

 

[258]    On l’a vu plus haut, les tribunaux qui ont accepté de retourner à leur propriétaire un chien déclaré antérieurement « dangereux » ont donné acte des engagements de celui-ci à respecter les recommandations du vétérinaire.

 

[259]    Malgré l’inopposabilité à la défenderesse de l’exigence d’un certificat de médecin vétérinaire garantissant un degré 0 de dangerosité, il demeure que l’expertise mise en preuve comporte des recommandations visant la sécurité d’autrui qui font partie de la preuve comme n’importe quel autre élément de preuve.

 

[260]    Rappelons que dans l’affaire de la chienne Kyra[31], les conclusions étaient au même effet.  Or, malgré l’emploi frappant du conditionnel dans la conclusion de l’experte-vétérinaire, conditionnel qui ne peut rassurer en rien qui que ce soit, le juge Davis ordonne la remise de Kyra à sa propriétaire, notamment en raison de son engagement à respecter les recommandations retenues par l’expert retenu par la Ville (voir par. [36]).

 

[261]    La responsabilité du maitre et la confiance qui peut lui être accordée deviennent un enjeu très important dans la décision de remettre ou non à son propriétaire un chien qui a déjà le statut de « chien dangereux ».

 

[262]    La gestion du risque commande de ne pas perdre de vue que la présence d’un chien dangereux, malgré toutes les précautions et recommandations suggérées par l’expert-vétérinaire (tout comme dans maints ainsi que tous les autres dans d’autres causes) ne peuvent assurer un pronostic nul dans le temps.

 

[263]    D’ailleurs, cette réflexion n’est pas sans rappeler les critères et l’interprétation des tribunaux concernant la déclaration de « délinquant dangereux » au sens du Code criminel[32].

 

[264]    Cette notion vise également à porter un pronostic visant la gestion de risques futurs découlant du comportement d’un individu. Toutefois, dans notre affaire, cette question touche tant le comportement futur de la défenderesse elle-même que celui de sa chienne Cassy.

 

[265]    Cette déclaration de « délinquant dangereux » comporte deux étapes : la déclaration comme telle et la peine (sanction) à infliger suite à cette déclaration.

 

[266]    Il est très intéressant de lire les réflexions de la Cour suprême au sujet de la peine dans un jugement très récent (21 décembre 2017), soit l’affaire R. c. Boutilier[33] :

 

À l’étape de la déclaration, la traitabilité guide la décision sur le danger que constitue un délinquant, alors qu’à l’étape de la sanction, elle aide à déterminer la peine appropriée pour permettre de gérer ce danger.

 

[267]    Selon le Code, le tribunal doit déclarer un individu « délinquant dangereux » lorsqu’il est convaincu qu’il y a « vraisemblance » de récidive[34], ou lorsqu’il est démontré « une indifférence marquée quant aux conséquences raisonnablement prévisibles que ses actes peuvent avoir sur autrui »[35], ou alors lorsque d’un comportement de nature si brutale que l’on ne peut s’empêcher de conclure qu’il y a peu de chance pour qu’à l’avenir ce comportement soit inhibé par des normes ordinaires de restriction du comportement[36].

 

[268]    Dans l’affaire Boutilier, la Cour réfère à un arrêt antérieur, l’affaire R. c. Lyons[37], pour réitérer les quatre conditions qui ressortent de l’article 753(1) :

 

[26] Dans cet arrêt [Lyons], le juge La Forest a lu ensemble l’élément objectif de la déclaration de délinquant dangereux — l’exigence que l’infraction sous jacente constitue des « sévices graves à la personne » — et son élément subjectif — l’évaluation du « danger » —, et il a conclu que quatre conditions « explicites » ressortaient du libellé du par. 753(1) : (1) le délinquant a été reconnu coupable et doit recevoir une peine pour « sévices graves à la personne »; (2) cette infraction sous jacente fait partie d’un comportement général violent; (3) la probabilité d’une récidive préjudiciable est élevée; (4) le comportement violent est irréductible (p. 338). Les trois dernières conditions font partie de l’évaluation du « danger » que constitue le délinquant, tandis que les deux dernières sont prospectives. Le juge La Forest a fourni l’explication suivante à cet égard :

       En troisième lieu, on doit établir qu’il est fort probable que ce type de comportement se poursuivra et causera le genre de souffrances contre lesquelles la disposition en cause cherche à offrir une protection, c’est à dire les actes constituant une conduite qui met en danger la vie, la sécurité ou le bien être physique d’autrui ou, dans le cas des infractions sexuelles, une conduite qui cause des sévices ou d’autres maux à autrui. De plus, chaque alinéa de l’art. [688, aujourd’hui l’art. 753] contient sous une forme ou une autre une exigence explicite que la cour soit convaincue qu’il s’agit d’un type de comportement qui est essentiellement ou pathologiquement irréductible. [Je souligne; p. 338.]

 

[269]    Dans sa réflexion, le juge de la peine (ou de la sanction) doit procéder à une évaluation prospective de la dangerosité.

 

[270]    La Cour écrit :

 

[27] (…) Avant de déclarer un délinquant dangereux, le juge de la peine doit encore être convaincu, sur le fondement de la preuve, que le délinquant présente un risque élevé de récidive préjudiciable et que sa conduite est irréductible. Selon moi, une conduite « irréductible » s’entend d’un comportement que le délinquant est incapable de surmonter. Par ces deux conditions, le législateur fédéral oblige le juge de la peine à procéder à une évaluation prospective de la dangerosité du délinquant.

 

[271]    Puis, en résumant la situation :

 

[46] En résumé, pour obtenir une conclusion de dangerosité, la Couronne a toujours été tenue de démontrer, hors de tout doute raisonnable, un risque élevé de récidive préjudiciable et l’irréductibilité du comportement violent. Une évaluation prospective de la dangerosité fait en sorte que seuls les délinquants qui présentent un risque futur considérable sont déclarés dangereux et risquent de se voir infliger une peine de détention pour une période indéterminée. Cela implique nécessairement la prise en considération des perspectives de traitement futur. Si les modifications de 2008 avaient éliminé les aspects prospectifs des conditions de la dangerosité, la constitutionnalité de la disposition aurait pu nécessiter une analyse plus approfondie. Or ce n’est pas le cas.

 

[272]    Le Tribunal a ouvert cette parenthèse pour faire prendre conscience que les Tribunaux doivent maintes fois se pencher sur des pronostics comportementaux futurs incertains. Le passé n’est pas toujours garant du futur et la gestion des risques en ce domaine ne peut apporter aucune certitude scientifique.

 

[273]    Le Tribunal n’a pas à appliquer l’entièreté des critères visant spécifiquement les « délinquants dangereux », mais s’en éclairera pour ordonner ou non la remise de Cassy à sa propriétaire. Il s’agit de soupeser la question du pronostic futur le plus rationnellement possible.  

 

 

6-    Analyse des garanties offertes par la défenderesse quant à son engagement de respecter les recommandations de l’experte-vétérinaire

 

 

a)             Comportements trompeurs et négligents de la défenderesse

 

[274]    Regardons d’abord le comportement passé de la défenderesse qui démontre une volonté bien arrêtée de cacher ou de tromper autrui quant à la nature de ses chiens ou, à tout le moins, une négligence objectivement observable quant à sa préoccupation réelle de respecter de bonne foi la réglementation municipale :

 

1.    Elle n’a demandé de licence pour aucun de ses trois chiens.

 

2.    Elle a fait preuve d’aveuglement volontaire ou de laxisme concernant ses obligations en vertu de la règlementation. Son explication à l’effet qu’elle n’a pas cherché à connaitre l’existence de dispositions règlementaires concernant les chiens en général, puisqu’il n’y avait rien de spécifique pour les pitbulls, est déraisonnable et sa bonne foi sérieusement mise en doute à cet égard. Nul n’est censé ignorer la loi et, à titre de propriétaire de chiens depuis des années, elle ne pouvait ignorer les exigences réglementaires concernant le nombre maximum de chiens permis par unité de logement et le devoir d’obtenir une licence.

 

3.    Ses explications mentionnées au paragraphe précédent sont de toute façon contredites par son admission à l’effet qu’elle avait « joué à la cachette » avec la Ville pour cacher le nombre de chiens dans sa résidence.

 

4.    Son commentaire affirmant qu’une loi doit être respectée mais non un règlement, vu que ce n’est pas une loi, est déraisonnable et démontre plutôt une volonté délibérée de ne pas respecter la réglementation.  

 

5.    Un précédent aurait eu lieu en 2013, alors qu’un locataire de l’immeuble où elle habitait aurait été mordu par l’un de ses chiens. Si l’on se fie à la décision de la Régie du logement (Bureau de Joliette) (P-6) au moment de la signature de son bail :

 

Ø  elle aurait subtilement induit son locateur en erreur en ne parlant pas du nom commun de ses chiens (pitbull),

 

Ø  elle aurait volontairement trompé son locateur quant au nombre de pitbulls qu’elle possédait véritablement (deux, alors qu’elle n’avait droit qu’à un seul),

 

Ø  et elle aurait volontairement minimisé la nature de ses chiens pour ne pas inquiéter son futur locateur,

 

Ø  de même, de nombreuses contradictions dans son témoignage permettent de constater une volonté manifeste de ne pas assumer l’événement[38]. Le régisseur n’a pas retenu sa version et a ordonné la résiliation du bail.

 

[275]    Notons que la preuve de ces faits (P-6) n’a pas été présentée devant le présent Tribunal. Elle ne lie que le Tribunal ayant entendu la cause à l’époque. Quoiqu’il en soit, la décision P-6 ne contient aucune référence spécifique à Cassy. Le Tribunal ne peut donc imputer à Cassy la responsabilité de cette morsure. Il en est de même du constat P-5 qui fixe l’infraction au 29 août 2013.

 

 

 

 

b) Certains éléments factuels découlant de la preuve

 

[276]    Regardons maintenant certains éléments factuels pertinents de la preuve.

 

[277]    Il n’est pas prouvé à la satisfaction du Tribunal que Cassy a mordu qui que ce soit au cours de sa vie.

 

[278]    Les chiens ne sont pas à l’origine de l’intervention des policiers dans la présente affaire. N’eût été du conflit familial entre la défenderesse et son frère, Cassy n’aurait possiblement jamais été saisie et serait encore moins l’éventualité d’être euthanasiée.

 

[279]    La police a été appelée par la défenderesse elle-même qui craignait pour sa sécurité en raison du comportement de son frère, malgré la présence de ses trois chiens.

 

[280]    Elle a collaboré activement avec les policiers et les SARS pour que l’exécution de la saisie de ses trois chiens se fasse en toute sécurité pour les divers intervenants.

 

[281]    Il n’y a eu aucun incident avec ses chiens au cours de l’opération policière.

 

[282]    Aucun incident n’a eu lieu au refuge des SARS depuis le début de l’hébergement de Cassy.

 

[283]    Cassy serait devenue « populaire » aux SARS, où les employés la promènent sans muselière.

 

[284]    Ses chiens ne sont jamais sortis seuls de sa résidence sans sa présence.

 

[285]    Cassy a été importante pour la thérapie de la défenderesse et elle craint énormément pour sa propre santé mentale advenant sa disparition. 

 

 

c) Certains éléments de la preuve d’expert

 

[286]    La Dre Bédard est l’une des quatre spécialistes en médecine comportementale au Québec. Elle fut appelée pour l’évaluation des trois chiens de la défenderesse.

 

[287]    Sur une échelle de dangerosité de 1 à 10 (du taux le moins élevé au plus élevé), elle accorde « 6 » à Cassy.

 

[288]    À l’instar de toute la jurisprudence consultée, l’experte précise que le risque 0 n’existe pas, et ce, pour aucun animal. Elle mentionne qu’aucun professionnel vétérinaire ne peut assurer une telle garantie. Tout est contextuel. Les experts ne peuvent que tenter de réduire au minimum le degré de dangerosité.

 

[289]    Les trois principales recommandations constituent :

 

Ø    la stérilisation,

 

Ø    le port d’une muselière-panier

 

Ø    l’attache par une laisse de 1,5 m au maximum dans les endroits publics

 

[290]    L’euthanasie n’est pas recommandée pour Cassy. Les mesures de rechanges suggérées permettent d’éviter cette solution extrême. Elle réitère que l’application des trois mesures ci-haut mentionnées représentent peu de risques qu’un nouvel incident ne survienne.

 

[291]    Le pronostic de la dangerosité de Cassie se situerait entre 1 et 3, si son maitre respecte les recommandations à son rapport.

 

[292]    Son addendum du 26 avril 2017 qui précise certaines conditions des recommandations.

 

[293]    La poursuite a tenté d’affecter la crédibilité de l’experte-vétérinaire au sujet de son protocole ou de ses méthodes de travail lors de l’évaluation. Son rapport n’est contredit par aucune contre-expertise. La poursuivante avait l’opportunité de faire contre expertiser l’évaluation de Cassy par un expert de son choix. Elle a choisi de ne pas le faire. Le Tribunal n’a aucune compétence pour décider si le protocole choisi doit amenuiser ou non la qualité des conclusions mises en preuve par l’experte. 

 

 

d) Certains éléments de preuve apportés par le responsable du refuge

 

[294]    M. Mollard bénéficie d’un contact régulier avec Cassy depuis le 29 juillet 2016.

 

[295]    La chienne s’est beaucoup socialisée depuis son arrivée. Elle demeure toutefois très réactive lorsqu’on lui présente un inconnu, mais son taux d’acceptation s’est amélioré avec le temps.

 

[296]    Elle est tenue en laisse lors de ses sorties mais ne porte pas de muselière.

 

[297]    Il n’y a jamais eu d’incidents au refuge. D’ailleurs, la série de photos déposée (D-1) est plutôt convaincante. Il mentionne toutefois qu’elle n’est pas aussi « agréable » avec tout le personnel.

 

[298]    Elle ne démontre pas de différences de comportement comparativement aux autres chiens. Elle renifle les autres animaux sans histoire.

 

[299]    En fait, il indique qu’il ne la classerait pas comme « dangereuse ni super dangereuse » et qu’il pourrait même la transférer dans un chenil dit « normal », mais que compte tenu de son passé agressif il ne le fait pas.

 

[300]    Elle fait montre de sexisme. En fait, au refuge, la chienne ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes, mais il semble que sortie de son environnement elle réagit fortement si on lui présente un homme.

 

[301]    Elle ne semble pas avoir un bon self-control : Elle va d’abord défendre son territoire. Puis, sa réaction dépend de l’attitude de la personne qui l’approche et, enfin, si on force un accès physique elle ne va probablement pas le tolérer. Par contre et malgré cela, il semble que si on lui présente quelqu’un de nouveau, elle va grogner mais ne cognera plus sur la porte. Elle va chercher l’accord du témoin avant de réagir. C’est en ce sens qu’elle « s’est socialisée ».

 

[302]    La chienne n’a jamais cessé de voir la défenderesse. Elle est très heureuse de la retrouver et c’est lors de son départ qu’elle devient réactive.

 

[303]    Elle est enjouée et a appris à s’asseoir ou à donner la patte, sur demande.

 

 

e) Les garanties futures offertes par la défenderesse

 

[304]    Quant aux garanties futures promises :

 

1.    Son nouvel endroit de résidence est à St-Calixte, où elle a signé un bail de 40 mois.

 

2.    Il n’y a aucun voisin autour

 

3.    Cassy sera toujours attachée à un câble de bateau

 

4.    Elle n’ira jamais sur la voie publique toute seule

 

5.    Elle portera toujours une muselière panier, qui rend les risques de morsures moins réalistes

 

6.    Il y aura une clôture autour de tout le terrain

 

7.    Des cadenas de sécurité accrue assureront que la cage ne pourra s’ouvrir

 

[305]    Tels sont donc les faits que l’on soumet au Tribunal pour qu’il décide de la gestion du risque associé à la présente affaire.

 

 

3- Quelques considérations finales

 

[306]    Le procureur de la poursuivante a fait remarquer que les trois recommandations de la vétérinaire sont déjà prévues à la réglementation municipale. 

 

[307]    Il faut donc en déduire que la Ville est prête à vivre avec un certain degré de risque sur son territoire, dans la mesure où la stérilisation et le port de la muselière et de la laisse sont respectés par le maitre. Et ce, d’autant plus qu’on ne peut prévoir dans l’absolu qu’un animal n’attaquera jamais un autre animal ou un humain.

[308]    La défenderesse a déclaré qu’elle respecterait scrupuleusement les recommandations de l’experte-vétérinaire. Elle a même ajouté qu’elle était prête à lécher les bottes du procureur pour s’assurer de conserver Cassy avec elle.

 

[309]    Le Tribunal n’est évidemment pas impressionné par la flagornerie. La défenderesse n’a pas démontré par le passé une préoccupation aussi insistante de son désir de respecter la réglementation municipale. Aura-t-elle un plus grand enthousiasme à respecter les recommandations de la vétérinaire?

 

[310]    Le Tribunal ne donne pas dans la futurologie. Il ne peut se baser que sur la preuve apportée par les témoins des faits et l’opinion des témoins experts. 

 

[311]    Ainsi, malgré une attitude condamnable par le passé quant à son désir de respecter les lois, il demeure que la preuve dans son tout montre une personne qui, du moins avec ses chiens comme tels, démontre des garanties raisonnables permettant de croire qu’elle assurera pour elle-même et autrui une responsabilité adéquate de Cassy en tant que maitre.

 

[312]    Aucun témoin expert n’est venu prétendre que Cassy ne devait pas être retournée à sa propriétaire ou que celle-ci n’était pas en mesure d’en assumer la responsabilité. Au contraire, tous les témoins de faits, y compris les policiers entendus pour l’événement du 29 juillet, ont reconnu le contrôle qu’avait pu exercer la défenderesse sur ses chiens.

 

 

 

IV.     CONCLUSIONS ET DISPOSITIF

 

[313]    Voici donc le résumé des conclusions auxquelles arrive le Tribunal :

 

a)    En se basant sur les conclusions de l’experte vétérinaire qui ne recommande pas l’euthanasie ainsi que sur ses recommandations qui permettraient une gestion du risque raisonnable (niveau « 6 » révisé à 1 à 3 si les recommandations sont respectées),

 

b)    En tenant compte du témoignage de M. Didier Mollard qui assure un suivi régulier de Cassy depuis le 29 juillet 2016 et qui a parlé positivement de l’évolution comportementale de Cassy depuis son transfert au refuge,

 

c)    En appliquant les articles 131 et 222 C.p.p.,

 

d)    En donnant acte des engagements formels pris par la défenderesse quant au respect de ces recommandations,

 

e)    En tenant compte des précédents jurisprudentiels qui, malgré la preuve de la survenance d’incidents aux conséquences beaucoup plus graves et n’ayant aucun commune mesure avec la présente affaire, permettent leur retour à leur propriétaire,

 

f)     En tenant compte également des autres précédents jurisprudentiels qui ordonnent l’euthanasie de l’animal sur la base d’une preuve démontrant un niveau de dangerosité bien établi par la preuve,  ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire,

 

 

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

 

DÉCLARE les alinéas 23.1(6°), 58.2(3°) et 58.5(4°) inapplicables et inopposables à la défenderesse.

 

REJETTE la Requête pour disposition d’un bien saisi de la poursuivante demandant d’ordonner l’euthanasie de la chienne Cassy.

 

DONNE ACTE des engagements formels de la défenderesse relativement à toutes et chacune des recommandations de l’experte-vétérinaire Dre Isabelle Demontigny-Bédard dans son expertise du 27 août 2016 et de son addendum du 26 avril 2017, lesquelles recommandations sont résumées ainsi par le Tribunal :

 

Ø  La propriétaire doit faire vacciner « Cassy » contre la rage aux 3 ans minimum.

 

Ø  « Cassy » doit être stérilisée et micropucée.

 

Ø  « Cassy » doit porter une muselière de type panier lorsqu’elle est à l’extérieur de l’unité d’occupation.

 

Ø  « Cassy » doit être tenue en laisse d’une longueur de 1,5 mètre maximum lorsque celle-ci est à l’extérieur de la propriété.

Ø  « Cassy » doit être sous la surveillance d’une personne légalement responsable lorsqu’elle est à l’extérieur de l’unité d’occupation. Elle ne devrait donc pas être laissée sans surveillance sur la voie publique.

 

Ø  Lorsqu’elle n’est pas tenue en laisse et qu’elle se trouve à l’extérieur de l’unité d’occupation, « Cassy » devrait être gardée dans un endroit fermé par une clôture empêchant qu’elle puisse s’échapper.

 

Ø  Lorsque « Cassy » est placée en cage, l’utilisation d’un verrou pourrait aider à ce qu’elle ne parvienne pas à s’en sortir si elle s’agite lors de situation particulière impliquant l’arrivée de personnes non-familières comme il l’a été le cas lors de l’arrivée des policiers le 29 juillet 2016.

 

ORDONNE la mainlevée de la saisie de la chienne Cassy, dans la mesure où avant sa sortie du refuge, Cassy respecte toutes les conditions prévues par le règlement, sauf les dispositions ci-haut jugées inopposables.

 

ORDONNE la remise de Cassy à la défenderesse sans délai aux conditions fixées par le règlement, notamment quant aux coûts d’hébergement, lesquels pourront faire l’objet d’une contestation devant le Tribunal.

 

DÉCLARE que l’éventualité d’une contestation quant aux frais d’hébergement ne doit en aucune façon retarder la remise de Cassy sans délai à la défenderesse.

 

ORDONNE à la défenderesse de respecter les recommandations retranscrites in extenso au dispositif du présent jugement ainsi que toutes les autres conditions prévues à l’article 58.5 du règlement sur le contrôle des animaux        (CO-2008-523).

 

LE TOUT SANS FRAIS à moins que l’une ou l’autre des parties ne désirent faire des représentations à ce sujet ou au sujet des frais d’hébergement. En ce cas, le maitre des rôles fixera une date pour l’audition de ces représentations devant le juge soussigné.

 

 

 

 

________________________________

Pierre-Armand Tremblay, j.c.m.

 

 

 

Procureur de la poursuivante :       Me Daniel Gauthier

 

Procureurs de la défense : Me Julius Grey et Me Geneviève Grey



[1] Voir les témoignages de la policière Cathy Latour et du policier Dany Lafond

[2] Voir le témoignage de la policière Nancy Therrien

[3] Rapport R-1, p. 3

[4] Rapport R-1, p. 4

[5] Sousa c. SPCA Lanaudière - Basses-Laurentides 2014 QCCA 1497(C.A., 2014-08-08), SOQUIJ AZ-51099854, 2014EXP-2584, J.E. 2014-1475

[6] Art 1(3°) du Règlement de contrôle des animaux (CO-2008-523)

[7] Chapitre C-47.1

[8] Chapitre C-25.1

[9] Paquet c. Ville de Montréal 2008 QCCS 1713

[10] Parisien c. Lavaltrie (Ville de) 2016 QCCS 5721

[11] Lois du Québec, Chapitre B-3.1

[12] Sousa c. SPCA Lanaudière—Basses-Laurentides, préc. note 5

[13] Lynda Hamelin c. Ville de Longueuil, procès-verbal, juge Éliane B. Perreault, Cour supérieure, dossier 505-36-001980-178 (cahier de jurisprudence de la défense, onglet 4)

[14] Sophie Cognyl-Fournier c. Ville de Montréal, 2011 QCCS 2654, (cahier de jurisprudence de la défense, onglet 8)

[15] Ville de Montréal c. Odette Lours et al, 2016 QCCA 1939, cahier de jurisprudence de la défense, onglet 10

[16] Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 RCS 727

[17] Procès-verbal, Hamelin, C.S. Juge Éliane B. Perreault, no 505-36-001980-178, 16 octobre 2017

[18] 2016 QCCM 199 Juge Patrice Simard

[19] 2011 QCCS 2654 Juge Hélène Lebel

[20] 2015 QCCM 16, juge Luc Alarie

[21] 2014 QCCA 1497

[22] 2007 QCCS 619 Juge Brian Riordan

[23] Juge Bruno Themens 17-09124, Avis d’appel le 7 décembre 2017

[24] 2016 QCCS 4520 Juge François Tôth

[25] 2014 QCCS 20, Juge Louisa L. Arcand

[26] 2012 QCCS 3135, Juge Jean-Yves Lalonde

[27] 2016 QCCM 155, Juge Gilles Ouellet

[28] Marseguerra c. Ville de Brossard 2017 QCCS 5652, juge Thomas Davis

[29] Sousa c. SPCA Lanaudière—Basses-Laurentides, préc. note 5

[30] RLRQ, c. B-3.1.

[31] Marseguerra c. Ville de Brossard, préc. note 28

[32] Art. 753(1) et ss. C. cr.

[33] R. c. Boutilier, 2017 CSC 64

[34] Art. 753(1)(a)(i) C. cr.

[35] Art. 753(1)(a)(ii) C. cr

[36] Art. 753(1)(a)(iii) C. cr.

[37] R. c. Lyons [1987] 2 R.C.S. 309

[38] Duchesne c. Duquette, Régie du logement, bureau Joliette, dossier 109702 29 20130906 G, par. [25 et ss], pièce P-6

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