Quevillon c. Dalakian | 2022 QCTAL 8100 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 607922 31 20220121 G | No demande : | 3442454 | |||
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Date : | 21 mars 2022 | |||||
Devant le juge administratif : | Serge Adam | |||||
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Josée Quevillon
Serge Quevillon |
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Locateurs - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Alexandra Dalakian |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Les locateurs demandent au tribunal de les autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er septembre 2022, pour s’y loger, suivant les termes de l'article
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 1 020 $.
[3] Le 15 décembre 2021, les locateurs expédient à la locataire un avis de reprise de logement, pour s’y loger à compter du 1er septembre 2022. La locataire a répondu à l'avis des locateurs et a refusé de quitter son logement, d'où la présente demande produite dans le délai imparti par la loi.
[4] Mentionnons d'abord que l'article
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[4] À l'audience, le soussigné soulève l'irrégularité de l'avis car celui-ci est non conforme, la date d'effet d'éviction dans l'avis étant non-conforme. En effet, la date précisée dans cet avis pour la reprise du logement concerné est le 1er septembre 2022, alors que le bail se termine le 30 juin 2022.
[5] Le locateur réplique avoir voulu ainsi donner plus de temps à la locataire de se reloger.
Question
[8] L'avis peut-il satisfaire les conditions prescrites par le Code civil du Québec sur la reprise de possession et sinon le Tribunal peut-il valider le document?
Décision
[9] L'article
[6] Cette disposition se lit comme suit :
« 1961. L'avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l'exercer, le nom du bénéficiaire et, s'il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L'avis d'éviction doit indiquer le motif et la date de l'éviction.
Toutefois, la reprise ou l'éviction peut prendre effet à une date postérieure, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »
[7] Ainsi, l'avis doit indiquer la date de la reprise du logement, le nom du bénéficiaire et le degré de parenté ou le lien avec le locateur. De plus, cet avis doit être donné au moins six mois avant la fin du terme du bail.
[8] Tous ces éléments sont impératifs pour le locataire, car ce dernier doit être en mesure de connaître chaque facteur avec assez de précision pour lui permettre de vérifier le bien-fondé de la demande et de la contester s'il y a lieu.
[9] En conséquence, ces informations doivent être divulguées dans l'avis avant le dépôt de la demande.
[10] Dans le présent dossier, la communication transmise par le locateur indique la date de l'éviction prévue est pour le 1er septembre 2022 alors que le bail se termine le 30 juin 2022.
[11] La plaidoirie du locateur se résume à l'effet que cette date fut indiquée dans leur avis de reprise pour donner plus de temps à la locataire de se trouver un autre logement et il veut corriger cette date pour le 30 juin 2022.
[12] Dans un tel cas, la date de la reprise du logement mentionnée dans l'avis des locateurs, contrairement à ce que plaident ces derniers, ne peut automatiquement être considérée comme ayant été modifiée et que l'avis de cette reprise doit être maintenant celle du 30 juin 2022 au lieu du 1er septembre 2022.
[13] On voit donc que les formalités entourant l'avis de reprise sont de rigueurs et ce n'est qu'exceptionnellement que le Tribunal permettra de passer outre à des erreurs commises dans l'avis.
[14] Le processus de reprise qui débute par l'envoi de l'avis prévu est vicié dès le départ lorsque cet avis est invalide. On ne peut donc corriger par une procédure subséquente ou par quelque interprétation de l'article de la loi le défaut de l'avis.
[15] La reprise du logement est donc une exception au droit au maintien dans les lieux.
[16] Constituant un droit d'exception à un droit d'ordre public de protection, la procédure applicable à l'avis de reprise doit être interprétée de façon restrictive.
[17] Tel que l'énonçait la juge Claudine Novello :
« La reprise du logement étant une exception au droit au maintien dans les lieux de la locataire, les dispositions concernant ce recours sont impératives et d'ordre public. Elles doivent être strictement respectées ».[1]
[18] Le juge Daniel Laflamme formulait ainsi cette règle :
« La reprise du logement est un droit exceptionnel qui permet de mettre fin au droit au maintien dans les lieux du locataire. Le droit au maintien dans les lieux est, en effet, un droit fondamental ayant un caractère d'ordre public. Les dispositions relatives à la reprise du logement doivent, par conséquent, recevoir une interprétation restrictive. »
[19] Le juge Jean-Claude Pothier exprimait ainsi la sévérité de l'observance des exigences relatives au droit de reprise :
« J'ai décidé à plusieurs reprises que la rigueur la plus stricte devait être exercée à l'égard des exigences même de forme, en matière de reprise de possession, comme en matière d'évacuation temporaire pour réparations majeures, à cause des abus auxquels ces deux situations donnent lieu. Ces deux démarches ont pour effet, l'une en droit, l'autre en fait, de mettre en échec le droit au maintien dans les lieux, d'où une sévérité technique que je désapprouve en général surtout si elle a pour effet de priver quelqu'un d'un droit clair mais que j'approuve exceptionnellement dans ces cas ».[2]
[20] Dans la décision Padulo[3] la juge Ducheine déclarait invalide un tel avis qui ne spécifie pas le nom du bénéficiaire, tout en examinant les principes applicables se dégageant de la jurisprudence quant à cette exigence et les modulations qui ont pu, dans de rares exceptions découlant de situations factuelles particulières, être apportées au principe exigeant le nom du bénéficiaire à l'avis de reprise. La juge Ducheine conclut ainsi :
« Les principes établis dans ces décisions s'appliquent dans le cas présent. En effet, l'avis n'indique pas le nom du bénéficiaire de la reprise. Le locateur admet avoir plus d'un enfant. Lorsqu'il envoie l'avis de reprise, la locataire ne le connaît pas. Il est nouveau locateur. Elle ne peut identifier le bénéficiaire de la reprise avec certitude à partir des informations contenues dans l'avis du locateur. Or, l'avis de reprise est générateur de droit. C'est ce qui donne au locateur le droit d'introduire une demande d'autorisation devant la Régie en cas de refus du locataire de quitter le logement. Le locateur ne peut remédier, par la demande, au défaut de l'avis qui est invalide puisqu'il est incomplet.
Le droit du locateur à la reprise de logement étant une exception au droit au maintien dans les lieux de la locataire, les dispositions qui y donnent droit sont impératives. Un avis qui n'indique pas le nom du bénéficiaire de la reprise de logement ne rencontre pas les exigences de la loi. Il est nul et inopposable à la locataire. »
[21] L'envoi d'un avis conforme à la loi est plus qu'une simple formalité procédurale, mais constitue une véritable règle de fond. L'omission de suivre les prescriptions de la loi est ici fatale à la demande des locateurs.[4]
[22] Le Tribunal se rallie entièrement à l'analyse de la doctrine et de la jurisprudence qui apparaît à cette décision.
[23] Les locateurs ont indiqué dans leur avis une date de reprise non conforme.
[24] Il s'agit d'une erreur de fond qui invalide l'avis. Le fait d'indiquer une mauvaise information est fatal pour les locateurs même en l'absence de mauvaise foi de leur part.
[25] Il en serait différent si l'erreur en était une de forme et qu'elle ne portait pas préjudice au locataire. Le Tribunal ne peut circonvenir les conséquences d'un avis non conforme aux prescriptions de fond prévu par le législateur et ratifier le document.[5]
[26] Il faut se rappeler que les articles du Code civil du Québec qui concernent le bail résidentiel ont pour but de protéger le locataire. Les dispositions sont d'ordre public de protection en sa faveur.
[27] La jurisprudence majoritaire est à l'effet que le contenu erroné ou incomplet de l'avis de reprise entraîne généralement la nullité et le rejet de la demande de reprise.
[28] CONSIDÉRANT que la date de la reprise est un élément essentiel et une condition préalable au droit à la reprise;
[29] CONSIDÉRANT que cette erreur n’en est pas une dite de matérielle ou une erreur de forme ne portant pas préjudice à la locataire;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] REJETTE la demande des locateurs.
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Serge Adam | ||
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Présence(s) : | le locateur Serge Quevillon la locataire | ||
Date de l’audience : | 2 mars 2022 | ||
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[1] Czyzewski c. Wills, 31-030203-105G, Me Claudine Novello, 14-04-2003 en page 3; Au même effet : Raizenne c. Couillard, 27-010403-005F, Régie du logement, Me Marie Poitras, 24-08-2001; Cerone c. Poirier, 22971031003G, Régie du logement, Me Pierre C. Gagnon, 15-01-1998; Dumitras c. Marcoux, 31050120035G, Me Luc Harvey, 07-04-2005.
[2] Nadeau c. Jetté
[3] Michael Padulo c. Zofia Ziemichod, 31-080204-128G, Régie du logement, 13 mars 2008.
[4] 31 100127 164 G Youssef & Al .c. Tobiasz, Louise Fortin, 19-03-2010.
[5] 31 080421 084 G, Ellacott c. Harris, Marie-Louisa Santirosi, 2 juin 2008.
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