Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (M.C.) c. Service et mécanique MLT inc.

2017 QCTDP 14

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 

 

N° :

700-53-000019-160

 

 

 

DATE :

14 juillet 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

YVAN NOLET

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURS :

 

Me Jean-François Boulais

Me Carolina Manganelli

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de M… C….[1]

Partie demanderesse

c.

SERVICE ET MÉCANIQUE M.L.T. INC.

et

ROBERT LANTHIER

Parties défenderesses

et

M… C…

Partie victime et plaignante

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]       La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) allègue que Robert Lanthier et Service et Mécanique M.L.T. Inc. (Mécanique M.L.T.) ont compromis le droit de M... C... d’être traité en toute égalité dans l’emploi et sans discrimination fondée sur le handicap le tout, contrairement aux articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[2] (Charte).

[2]       La Commission allègue également que Robert Lanthier et Mécanique M.L.T. ont porté atteinte au droit de M... C... à la sauvegarde de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur le handicap le tout, en contravention des articles 4 et 10 de  la Charte.

[3]       La Commission demande en conséquence de condamner solidairement les défendeurs à verser à M... C... 7 000 $ à titre de dommages matériels, de même que 6 000 $ à titre de dommages moraux, en raison de l’atteinte aux droits que lui confèrent les articles 4, 10 et 16 de la Charte. De plus, alléguant le caractère illicite et intentionnel des atteintes, elle réclame de monsieur Lanthier 1 000 $ à titre de dommages punitifs.

[4]       Robert Lanthier et Mécanique M.L.T. plaident qu’ils ont mis un terme à l’emploi de M... C... à la suite de l’insubordination et de l’absentéisme de celui-ci. Ils ajoutent que c’est le « bris du lien de confiance » occasionné par les mensonges de M... C... qui est la vraie et principale cause de son congédiement, et ce, sans aucun lien avec son handicap.

I.                      LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]       Voici les questions juridiques que le Tribunal devra trancher afin de résoudre le présent litige :

1)       Est-ce que le congédiement de M... C... est relié à son handicap et si oui, cela constitue-t-il une atteinte à son droit à l’égalité dans l’emploi et à son droit à la sauvegarde de sa dignité?

2)       Le cas échéant, quelles sont les réparations appropriées auxquelles M... C... a droit?

 

 

II.                     LE CONTEXTE

[6]       M... C... souffre d’un trouble de l’humeur, plus particulièrement celui de la personnalité limite. Il explique qu’il est susceptible de vivre rapidement et de manière très intense ses émotions qui deviennent alors difficiles à gérer. Pour traiter cette lacune dans la gestion de ses émotions, il prend plusieurs médicaments qui lui permettent de contrôler sa condition[3].

[7]       Le 15 octobre 2012, M... C... rencontre le président de Mécanique M.L.T., monsieur Lanthier, pour un poste d’apprenti mécanicien. L’entrevue se déroule bien et le poste lui est offert. Toutefois, M... C... sera assujetti à une période de probation de trois mois.

[8]       À la fin de celle-ci, si l’entreprise est satisfaite de ses services, il est convenu que la rémunération de M... C... sera majorée et qu’il participera au régime d’assurances collectives (régime d’assurances) de Mécanique M.L.T., lequel comprend notamment une couverture pour les frais de médicaments. Mécanique M.L.T. assume en bonne partie les frais de ce régime.

[9]       Au moment de l’embauche de M... C... et pendant sa période de probation, monsieur Lanthier ne connaît pas la condition particulière de santé de son nouvel employé. Ce n’est qu’après la période de probation de M... C... et lors de la dernière semaine de son emploi qu’il en est informé.

[10]    Lorsque M... C... complète sa période de probation à la mi-janvier 2013, monsieur Lanthier est satisfait de son travail et, comme convenu, il majore sa rémunération. Selon monsieur Lanthier, le seul aspect sur lequel M... C... doit s’améliorer est le fait qu’à diverses occasions, il lui a demandé la permission de s’absenter du travail pour des raisons personnelles. À l’exception de ces absences qui ont été autorisées par monsieur Lanthier, ce dernier considère que tout se déroule bien durant l’emploi de M... C..., et ce, jusqu’en février 2013. Il ajoute que M... C... pouvait à l’occasion perdre patience et être colérique, mais confirme que ce n’était pas un problème pour autant.

[11]    Pour sa part, M... C... nie s’être absenté pour des motifs personnels de son emploi. Il indique que c’est plutôt monsieur Lanthier qui lui demande de quitter le travail à plusieurs occasions en raison du manque de travail au garage. Il mentionne que cela lui occasionne une diminution de salaire et le rend anxieux, étant donné ses obligations financières. Il ajoute que monsieur Lanthier lui a également parlé de la possibilité de réduire à quatre jours sa semaine de travail ce qui était également pour lui une source de préoccupation.

[12]    Monsieur Lanthier nie catégoriquement avoir demandé à M... C... de quitter son poste à cause d’un manque de travail. Il admet toutefois lui avoir mentionné la possibilité d’une semaine de travail réduite à quatre jours.

[13]    Le vendredi 8 février 2013, M... C... a l’impression qu’il est maintenant bénéficiaire du régime d’assurances de Mécanique M.L.T. et qu’il n’aura plus à défrayer le coût de ses médicaments. Il se présente à la pharmacie et à sa grande surprise, on l’informe qu’il n’est pas inscrit à ce régime et qu’il doit payer le coût de ses médicaments qui s’élève à la somme de 181,11 $.

[14]    Dès le lundi suivant, soit le 11 février 2013, M... C... informe monsieur Lanthier de son état de santé et des médicaments qu’il prend. Selon ce dernier, M... C... lui dit qu’il n’a pas pu acheter ses médicaments étant donné qu’il n’était pas couvert par le régime d’assurances de l’entreprise et qu’il n’a donc pas pu les prendre depuis quelques jours.

[15]    Monsieur Lanthier admet avoir omis de l’inscrire au régime d’assurances et offre de lui avancer le montant afin de lui permettre de les acheter. Il indique que M... C... lui demande 250 $. Sans hésiter, il prépare un chèque de Mécanique M.L.T. et demande à M... C... de lui remettre la facture.

[16]    M... C... mentionne que son patron exige d’obtenir la liste de ses médicaments. Monsieur Lanthier mentionne qu’il est plutôt question de remplir le formulaire d'adhésion au régime d’assurances, lequel couvrira également la conjointe et l’enfant de M... C...

[17]    Il mentionne qu’afin de corriger son erreur et d’inscrire M... C... au régime d’assurances, il communique par téléphone avec son courtier. C’est alors qu’il est informé que l’adhésion de M... C... ne pourra être en vigueur avant le mois de mars 2013. M... C... semble préoccupé par cette situation de telle sorte que monsieur Lanthier l’invite à s’entretenir directement avec son courtier. Ce dernier demande à M... C... de remplir une section du formulaire relative à ses antécédents médicaux. L’échange tourne mal car M... C... a l’impression que le courtier ne répond pas à ses questions. Il hausse le ton et insiste afin d’être inscrit plus rapidement au régime, mais le courtier lui confirme que cela n’est pas possible avant le mois de mars.

[18]    M... C... indique qu’après avoir remis à monsieur Lanthier la liste de ses médicaments, ce dernier lui aurait mentionné « wouan, t’en prends pas mal ». Pour sa part, monsieur Lanthier nie catégoriquement avoir prononcé de telles paroles.

[19]    Le 12 février, M... C... remet à monsieur Lanthier la facture de ses médicaments, accompagnée de la monnaie de l’excédent du 181,11 $.

[20]    Monsieur Lanthier explique qu’il a effectivement reçu la facture le mardi 12 février sans vraiment y prêter attention. Ce n’est que le soir venu qu’il la regarde plus attentivement et constate que celle-ci est datée du 8 février 2013[4]. Il comprend mal que M... C... ait exigé le lundi un montant de 250 $ pour l’achat de ses médicaments alors qu’il avait payé 181,11 $ pour les acheter le vendredi précédent. De plus, étant donné que M... C... avait ses médicaments dès le vendredi 8 février, il est convaincu qu’il lui a menti en affirmant, lors de la rencontre du lundi suivant, ne pas les avoir pris depuis quelques jours. Malgré ses observations, il choisit de ne pas en reparler avec M... C...

[21]    Le vendredi 15 février 2013, M... C... est absent sans en avoir informé son employeur. Monsieur Lanthier tente de le rejoindre par téléphone vers 10 heures, mais sans succès. Sur l’heure du dîner, M... C... communique avec Simon Da Prato, le chef mécanicien qui le supervise dans son travail et qu’il considère comme un ami.

[22]    M... C... mentionne avoir téléphoné à son ami, car il sait que monsieur Lanthier est habituellement sorti pour le dîner. Il lui indique qu’il est malade, une gastroentérite, et qu’il tentera de se rendre au travail vers 14 heures. Selon le témoignage de monsieur Da Prato, M... C... lui indique plutôt avoir fait la fête jusqu’aux petites heures la veille et ne pas s’être éveillé le temps venu. Il confirme que M... C... lui a dit qu’il tenterait d’être au travail vers 14 heures.

[23]    Au retour de son dîner, monsieur Lanthier est informé de l’appel reçu par monsieur Da Prato, des motifs de l’absence de M... C... et du fait qu’il sera là vers 14 heures.

[24]    À 14 heures, aucune nouvelle de M... C... Ce n’est que vers 16 heures 30 qu’il communique avec monsieur Lanthier et lui mentionne avoir une gastroentérite.

[25]    À ce stade des événements, deux versions se confrontent.

[26]    Selon M... C..., monsieur Lanthier lui indique « On va arrêter ça là. Tu vas coûter cher à assurer ». Il dit avoir été estomaqué par ces propos et s’être senti jugé et incompris par son employeur. Il ajoute avoir été profondément affecté de la situation et avoir eu des idées noires. Il est convaincu que c’est après avoir dévoilé sa condition médicale et sa médication à son employeur que la situation a changé.

[27]    Monsieur Lanthier mentionne pour sa part que lors de l’appel de M... C..., il est fâché que celui-ci lui mente sur la véritable raison de son absence. Il sait qu’il a « pris un coup » la veille et pour lui, ce mensonge est de trop. Il explique que M... C... lui avait déjà menti concernant les médicaments qu’il n’avait pu prendre faute d’argent pour les acheter. Or, cela s’était avéré faux comme il l’avait constaté en analysant la facture du 8 février. Il mentionne que ce nouveau mensonge lui a fait perdre confiance en M... C... et que c’est la raison pour laquelle il a immédiatement mis fin à son emploi.

[28]    Il affirme qu’il n’a jamais été question lors de cette conversation téléphonique de la santé mentale de M... C... ni du coût de ses médicaments ou encore des coûts des primes du régime d’assurances. Il ajoute que M... C... a trop souvent manqué le travail et qu’il a été échaudé par ses mensonges. Le fait qu’il lui mente sur les motifs de son absence le 15 février au matin a été la « goutte qui a fait déborder le vase ».

[29]    Sur le relevé d’emploi remis à M... C..., il est indiqué « Ne remplit pas les exigences, manque souvent et a une mauvaise attitude ».

III.                   LE DROIT APPLICABLE

[30]    La Commission allègue que les défendeurs ont porté atteinte au droit à l’égalité en emploi de M... C..., en violation des articles 4, 10 et 16 de la Charte. Ces articles se lisent comme suit :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.

[31]    La discrimination est une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles qui a pour effet de créer des désavantages pour une personne au regard des autres membres de la société[5]. L’intention de discriminer n’est pas pertinente[6].

[32]    L’analyse en matière de discrimination comporte deux volets. La Commission doit d’abord faire la preuve de discrimination prima facie ou à première vue. Il appartient ensuite à la partie défenderesse de « justifier sa décision ou sa conduite en invoquant les exemptions prévues par la loi […] ou celles développées par la jurisprudence. [Si elle] échoue, le tribunal conclura alors à l’existence de discrimination »[7]. La preuve de ces deux volets doit être faite selon la prépondérance des probabilités[8].

[33]    Afin d’établir l’existence d’une discrimination prima facie, la Commission doit apporter la preuve de trois éléments, soit :

(1) une "distinction, exclusion ou préférence", (2) fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa [de l’article 10] et (3) qui "a pour effet de détruire ou de compromettre" le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.[9]

(Références omises)

[34]    La distinction, exclusion ou préférence dans le traitement constitue « une décision, mesure ou conduite [qui] touche [la personne visée] d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer »[10]. Il peut, entre autres, s’agir d’un congédiement discriminatoire en raison d’un handicap[11].

[35]    Cette différence de traitement doit ensuite être fondée sur un motif discriminatoire. Cela « suppose un lien entre la différence de traitement et un motif prohibé, [sans nécessiter que celui-ci] […] soit la seule et unique cause de l’acte reproché »[12]. Le motif de discrimination doit avoir été un facteur ayant contribué aux gestes reprochés[13]. Il s’agit par exemple de prouver que le handicap a été l’un des facteurs ayant mené au congédiement.

[36]    Soulignons que les troubles liés à la santé mentale constituent une forme de handicap[14]. Le droit international identifie d’ailleurs les personnes handicapées comme étant celles « qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables [et] dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres »[15].

[37]    De plus, « l’accent doit être mis sur les effets d’exclusion ou de distinction plutôt que sur la nature du handicap […] [et le salarié visé] n’a pas à prouver qu’il est infligé de limitations fonctionnelles pour se prévaloir du motif de handicap »[16]. Le handicap peut être réel ou présumé : la perception d’un handicap par l’employeur, alors qu’il n’y en a pas en réalité, est suffisante pour conclure à la présence de discrimination[17].

[38]    La Commission doit finalement démontrer que la différence de traitement a eu pour effet de compromettre le droit à l’égalité du plaignant dans la reconnaissance et l’exercice d’un autre droit ou liberté protégé par la Charte, car « contrairement à la Charte canadienne, la Charte ne protège pas le droit à l’égalité en soi; ce droit n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis par la Charte »[18].

[39]    En l’espèce, la Commission allègue une atteinte au droit de M... C... à l’égalité en emploi. L’article 16 de la Charte, qui interdit la discrimination dans le cadre d’un lien d’emploi, offre une importante et large protection[19] se rapportant « à toutes les phases de l’emploi […] [et aux] conditions de travail s’y rattachant »[20]. Il s’agit ainsi d’empêcher « une exclusion arbitraire basée sur des idées préconçues à l’égard de caractéristiques personnelles qui, tout en tenant compte du devoir d’accommodement, n’affectent aucunement la capacité de faire le travail »[21].

[40]    La Commission allègue également une atteinte discriminatoire au droit à la sauvegarde de la dignité de M... C... Ce droit « s'appuie sur le principe que chaque humain possède une valeur intrinsèque qui le rend digne de respect »[22], et qu’il doit donc être traité avec pudeur, égards et déférence[23], sans mépris ou manque de respect[24]. Or, les conditions de travail d’une personne « façonnent l'ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu'elle a d'elle-même »[25]. En effet, « le travail est l'un des aspects les plus fondamentaux de la vie d'une personne [et est] une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel »[26].

[41]    L’article 2087 du Code civil du Québec (C.c.Q.) oblige d’ailleurs l’employeur à protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié. Il ne doit donc pas porter atteinte à la dignité de ses employés et doit offrir un milieu de travail exempt de risque d’atteinte à celle-ci[27].

[42]    Ainsi, un comportement discriminatoire d’un employeur à l’égard d’un salarié peut porter atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité. De plus, il est reconnu que les comportements discriminatoires à l’égard des personnes handicapées portent atteinte à leur dignité[28].

[43]    Lorsque la Commission prouve l’existence d’une discrimination prima facie, la partie défenderesse peut ensuite justifier son comportement. Pour ce faire, l’employeur peut notamment se défendre en démontrant « que la mesure discriminatoire reprochée est justifiée parce qu’elle est fondée sur des aptitudes ou des qualités requises par l’emploi »[29] et qu’il n’est pas possible de fournir un accommodement à l’employé sans contrainte excessive[30]. Si l’employeur prouve qu’elle est fondée sur une exigence professionnelle justifiée, la mesure sera alors réputée non discriminatoire, conformément à l’article 20 de la Charte.

IV.                  L’ANALYSE ET LES MOTIFS

1ère QUESTION :       Est-ce que le congédiement de M... C... est relié à son handicap et si oui, cela constitue-t-il une atteinte à son droit à l’égalité dans l’emploi et à son droit à la sauvegarde de sa dignité?

[44]    En premier lieu, le fait que l’état de santé de M... C... constitue un handicap n’est pas contesté. De plus, monsieur Lanthier confirme avoir été informé de la condition de santé de son employé le 11 février.

[45]    La preuve de la Commission démontre que jusqu’au jour où il apprend cette condition, monsieur Lanthier considère M... C... comme un employé qui satisfait aux conditions de son emploi. Il confirme certaines absences ou demandes de congé de M... C... mais malgré celles-ci, monsieur Lanthier se dit satisfait de M... C... à tel point qu’il confirme sa permanence en janvier 2013.

[46]    En matière de discrimination dans le congédiement d’un employé, il est très rare qu’on ait affaire à une preuve directe des motifs de l’employeur. Les circonstances sont souvent beaucoup plus importantes afin de mettre en lumière les véritables motivations de ce dernier.

[47]    En l’espèce, quatre événements vont précéder le congédiement de M... C... :

1)    Le 11 février, monsieur Lanthier prend connaissance de l’état de santé psychologique de M... C..., état qui requiert une médication dont le coût s’élève à plus de 180 $ par mois. Il est également informé qu’en l’absence de cette médication, il y a un risque élevé que M... C... ait de la difficulté à gérer ses émotions de telle sorte que celles-ci affectent son comportement;

2)    Le lendemain, monsieur Lanthier est témoin d’une conversation houleuse entre M... C... et le courtier d’assurance de l’entreprise. Il est question de l’assurance médicament qu’offre l’entreprise et à cette fin, le courtier s’informe du diagnostic de M... C... et de sa médication. M... C... insiste de plus pour que sa couverture d’assurance médicament prenne effet le plus rapidement possible. Cet événement fait en sorte que monsieur Lanthier est bien informé des problèmes de santé de M... C... et des nombreux médicaments qu’il doit prendre;

3)    Monsieur Lanthier soupçonne M... C... de lui avoir menti concernant la date du paiement de ses médicaments et le montant de ceux-ci;

4)    Le 15 février, M... C... ne se présente pas au travail et cette absence n’a pas été autorisée par monsieur Lanthier.

[48]    Le congédiement de M... C... survient à peine quatre jours après que monsieur Lanthier a appris sa condition médicale. Monsieur Lanthier l’informe de son congédiement à l’occasion d’une brève conversation téléphonique. Aucune rencontre n’a eu lieu entre M... C... et monsieur Lanthier concernant son absence non motivée du 15 février.

[49]    La jurisprudence et la doctrine nous enseignent que la proximité de deux événements dans le temps permet d’établir, par présomption, qu’ils sont liés dans un rapport de cause à effet.

[50]    En effet, la preuve par présomption permet de tirer une conséquence « d’un ou de plusieurs faits connus à un fait inconnu »[31], de manière à le considérer comme avéré, même « sans qu’il soit nécessaire […] d’exclure toute autre possibilité »[32]. Concernant la preuve de discrimination, l’auteur Jean-Louis Baudouin écrit que celle-ci « peut s’inférer des circonstances à partir de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes »[33].

[51]    Dans Potvin, le Tribunal écrit que la demanderesse qui souhaite faire la « preuve par présomption du lien entre l’exclusion ou la distinction de traitement subie et le motif prohibé […] doit établir l’existence de circonstances qui rendent suffisamment probable l’existence de ce lien »[34].

[52]    Dans sa décision Gaz métropolitain, le Tribunal souligne que le refus de considérer une candidature est concomitant à la réception d’un rapport médical constatant la grossesse de la candidate :

[408]       C’est en effet à un moment qui coïncide tout à fait avec le rendez-vous médical que les responsables de Gaz Métro disent avoir des doutes quant aux qualifications de madame Côté et décident de la retirer du processus de sélection, au motif qu’elle ne réussirait pas la formation. 

[…]

[414]       En conséquence, bien qu’il n’existe aucune preuve directe que la décision de rejeter Marie-Claude Côté ait été fondée sur sa grossesse, le Tribunal considère que les présomptions selon lesquelles le rejet de sa candidature est dû à des considérations discriminatoires se révèlent graves, précises et concordantes. Le contexte dans lequel s’insère cette décision ; les explications de Sylvie Richard, de Carole Magnan et de Jean-Pierre Raymond selon lesquels le test médical n’est qu’une formalité pour les candidats choisis à la fin du processus de sélection, et la concomitance entre le rapport de l’examen médical de Marie-Claude Côté et la décision de ne pas l’embaucher concourent logiquement à la conclusion d’un refus d’embauche discriminatoire parce que fondé sur l’état de grossesse de madame Côté tel qu’il pouvait s’inférer des informations contenues dans ledit rapport.[35]

(Nos soulignements)

[53]    Les tribunaux de droit commun utilisent également la proximité d’événements pour établir la preuve par présomption, d’un lien de causalité entre deux événements[36].

[54]    C’est également le cas ici. La proximité entre le congédiement et la prise de connaissance tant de l’état de santé de M... C... que du coût de sa médication permet, dans un premier temps, de présumer que son congédiement est la conséquence des informations obtenues par son employeur. En soi, cette preuve établit une discrimination prima facie  qui peut s’avérer suffisante pour entraîner une condamnation à moins que la partie défenderesse repousse cette présomption. Qu’en est-il ici?

[55]    Les défendeurs n’ont pas tenté d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiant sa décision de mettre un terme à l’emploi de M... C... Ce qu’ils soutiennent, c’est que le congédiement de M... C... n’est pas en lien avec son handicap mais découle des circonstances de l’affaire, plus particulièrement des agissements fautifs de M... C... Monsieur Lanthier explique ainsi ces circonstances lors de son témoignage et ajoute qu’il s’en souvient comme si c’était hier.

[56]    Le 11 février 2013, M... C... lui dit qu’il n’a pas pris ses médicaments depuis quatre jours et qu’il risque d’aller mal. Monsieur Lanthier avoue alors qu’il a oublié de l’inscrire au régime d’assurances de l’entreprise et lui avance sans délai les sommes requises par M... C... pour acheter ses médicaments. Il lui remet un chèque de 250 $ et lui dit de prendre « le reste de sa journée ».

[57]    Le lendemain, 12 février, M... C... revient et lui remet la facture et la monnaie de la transaction. C’est à ce moment que monsieur Lanthier constate que la facture est d’un montant moindre que les 250 $ donnés la veille. De plus, il remarque que la facture est datée du vendredi 8 février. Au lieu d’en discuter avec M... C..., monsieur Lanthier dit en conclure que son employé l’a induit en erreur sur la date et le montant de l’achat et sur le fait que le 11 février, il n’avait pas pris ses médicaments depuis quelques jours.

[58]    Le jour suivant, M... C... se présente comme d’habitude et travaille toute la journée. Monsieur Lanthier confirme d’ailleurs qu’il est toujours le premier employé au travail le matin. Bien qu’il aurait été facile pour monsieur Lanthier de discuter avec M... C... de la date de la facture, du montant de celle-ci et du moment où il avait réellement pris ses médicaments, il n’en fait rien.

[59]    Le vendredi 15 février, M... C... ne se présente pas au travail. Monsieur Lanthier apprend que ce dernier a téléphoné au chef mécanicien, à l’heure du lunch, pour lui avouer avoir pris « une brosse » la veille et annoncer son retour au travail pour 14 heures. Constatant son absence à l’heure dite, monsieur Lanthier tente sans succès de le joindre par téléphone. Ce n’est que vers 16 h 30 que M... C... téléphone à l’atelier mécanique et parle à monsieur Lanthier. Il lui mentionne avoir été malade toute la nuit et s’être endormi en après-midi.

[60]    Pour monsieur Lanthier, il s’agit de « la goutte qui a fait déborder le vase ». Il ajoute qu’il s’agit pour lui d’une suite de mensonges. Le motif du congédiement, selon l’employeur, réside donc dans le « bris du lien de confiance » résultant des mensonges répétés de l’employé.

[61]    Pourtant, cette version diffère de celle indiquée au mémoire des défendeurs qui ne fait état que d’une accumulation d’absences plus ou moins motivées comme motif de congédiement. Le relevé d’emploi mentionne d’ailleurs que M... C... est congédié parce qu’il « ne remplit pas les exigences, manque souvent et a une mauvaise attitude ». Cette formulation est également en relation avec les absences non motivées alléguées au mémoire.

[62]    Dans son témoignage, monsieur Lanthier a surtout insisté sur l’absence d’honnêteté de son employé, illustrée par des mensonges répétés comme la principale raison du bris du lien de confiance, ce qui n’est pourtant pas noté au relevé ni au mémoire. Bien que son procureur ait plaidé que le relevé d’emploi était volontairement vague pour ne pas nuire à M... C..., cette prétention n’est pas appuyée par la preuve.

[63]    Quant aux explications de monsieur Lanthier concernant le contenu du relevé d’emploi, il explique que « la mauvaise attitude » consistait dans les mensonges et les absences répétées de M... C... Quant aux « exigences », le témoin a mentionné qu’il s’agissait de ses exigences à lui, à savoir, la loyauté et l’honnêteté de ses employés, exigences que n’auraient pas respectées M... C...

[64]    Ces explications de monsieur Lanthier ne sont pas crédibles dans la mesure où avant le 11 février, il n’a jamais été question d’un problème « d’attitude » de M... C... ou encore de ses absences. La preuve prépondérante est plutôt à l’effet que monsieur Lanthier a toujours autorisé M... C... à s’absenter du travail, d’autant, a-t-il avoué, qu’il y avait moins de travail une fois la « saison des pneus » terminée. C’est d’ailleurs pourquoi il avait lui-même évoqué la possibilité de réduire la semaine de travail de M... C... à quatre jours.

[65]    D’ailleurs, entre les mois de décembre et février, le défendeur s’accommodait très bien des absences de M... C... Il confirme en effet que cela lui « coûtait moins cher ». De plus, alors que la période de probation de M... C... se termine en janvier, les défendeurs le confirment dans ses fonctions. Ainsi, à ce moment, les absences de M... C... et son « attitude » ne posent pas problème à monsieur Lanthier et aucun fait n’a été mis en preuve d’un problème d’absence ou d’« attitude » de M... C... entre la fin de sa probation et le 11 février.

[66]    Ainsi, avant le 11 février, les absences de M... C..., son attitude ou son honnêteté n’ont jamais été une cause de reproche des défendeurs.

[67]    De fait, pendant la période active de la saison des changements de pneus, un examen attentif du relevé d’emploi[37] et de plusieurs bordereaux de paie nous renseignent sur le fait que du 15 octobre au 1er décembre, M... C... faisait des semaines pleines de quarante heures et qu’il ne semble pas s’être absenté.

[68]    De ce qui précède, trois constats s’imposent : 1) les motifs de la fin d’emploi de M... C... au relevé d’emploi et au mémoire des défendeurs ne s’appuient pas sur la trame factuelle mise en preuve lors de l’audience; 2) selon le témoignage de monsieur Lanthier et l’ensemble de la preuve, les défendeurs se trouvaient pour la première fois confrontés avec une absence non autorisée d’un bon employé en cette journée du 15 février; 3) jamais monsieur Lanthier n’a tenté de savoir si M... C... avait une explication pour le montant des médicaments et la date de la facture.

[69]    Si la partie défenderesse était demeurée dans l’ignorance du handicap de M... C..., elle n’aurait pas allégué la rupture du lien de confiance comme l’a fait monsieur Lanthier lors de son témoignage pour justifier le congédiement de M... C... Elle aurait tout simplement rencontré celui qui était, avant le 11 février, un bon employé afin de discuter de la situation et le mettre en garde sur les conséquences pour l’entreprise de son absence et le fait que des absences non motivées ne seraient plus tolérées.

[70]    Quant à la date de la facture et au montant demandé par M... C... pour acheter ses médicaments, il est surprenant que monsieur Lanthier n’en ait pas parlé avec M... C... surtout que ce dernier lui remet la totalité de la monnaie dès le lendemain. Si ces aspects avaient de l’importance pour monsieur Lanthier, pourquoi ne pas permettre à M... C... de clarifier le tout à la première occasion? D’autant plus que selon le témoignage de monsieur Lanthier, il avait l’habitude de privilégier la discussion dans ses relations avec ses employés.

[71]    L’explication la plus probable est que dès que monsieur Lanthier a été informé de la condition de santé de M... C... et du coût mensuel de ses médicaments, sa perception de son employé a changé. Dès lors, M... C... n’était plus le bon employé qu’il avait été jusque-là sans que la preuve révèle un problème quelconque dans l’exécution de son travail, hormis son absence du 15 février et une certaine confusion concernant la date de la facture de ses médicaments. Ainsi, en cela, M... C... a fait l’objet d’un traitement différent par son employeur à cause de la connaissance par ce dernier de son handicap.

[72]    Il y a effectivement concomitance entre la connaissance par les défendeurs de la condition médicale du plaignant et son congédiement dans les jours qui ont suivi cette connaissance.

[73]    Compte tenu des motifs allégués au mémoire des défendeurs, de la preuve documentaire et du témoignage du défendeur Lanthier, il existe une présomption de fait suffisamment grave, précise et concordante à l’effet que l’état de santé mentale de M... C... a été un facteur déterminant dans la décision des défendeurs de le congédier le tout, en contravention de l’article 16 de la Charte.

[74]    Les motifs mis de l’avant par les défendeurs afin de justifier le congédiement n’ont pas renversé cette présomption. Tout au plus, ces motifs n’ont constitué qu’un prétexte afin de dissimuler le fait que ce congédiement découle directement de l’état de santé de M... C... et du coût mensuel de ses médicaments.

[75]    Comme précisé plus haut[38], les comportements discriminatoires à l’égard des personnes handicapées portent atteinte à leur dignité et contreviennent à l’article 4 de la Charte.

[76]    Ainsi, il y a donc lieu de conclure que M... C... a été victime de discrimination dans le cadre de son emploi le tout, en contravention des articles 4, 10 et 16 de la Charte.

2ième QUESTION :     Le cas échéant, quelles sont les réparations appropriées auxquelles M... C... a droit?

[77]    Par l’attribution de dommages, la Charte vise notamment à « neutraliser, dans toute la mesure du possible, les effets préjudiciables et irréversibles subis par la victime d’une atteinte illicite »[39].

[78]    La Commission réclame des défendeurs, monsieur Lanthier et Mécanique M.L.T., le paiement de 13 000 $ à titre de dommages matériels et moraux. Elle réclame également de monsieur Lanthier le paiement de 1 000 $ à titre de dommages punitifs. Il y a lieu de déterminer la responsabilité de chacun des défendeurs et ensuite d’analyser séparément ces trois postes de dommages réclamés par la Commission.

A.        La responsabilité des défendeurs

[79]    Le relevé d’emploi transmis à Service Canada est au nom de Mécanique M.L.T., une personne morale inscrite au Registre des entreprises. En tant qu’employeur de M... C..., elle est responsable de son congédiement pour un motif discriminatoire. Conséquemment, la violation d’un droit protégé à la Charte par Mécanique M.L.T. engage sa responsabilité contractuelle[40].

[80]    Qu’en est-il de monsieur Lanthier?

[81]    L’article 317 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

317. La personnalité juridique d’une personne morale ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public.

(Nos soulignements)

[82]    La jurisprudence du Tribunal établit clairement que les dispositions de la Charte traitant de discrimination sont des règles intéressant l’ordre public, au sens de cette disposition[41]. En conséquence, en posant un acte discriminatoire à l’endroit d’une personne de bonne foi, l’administrateur ou l’actionnaire d’une personne morale peut engager sa responsabilité personnelle à l'égard cette personne, particulièrement lorsqu’il est l’alter ego de la personne morale.

[83]    En l’instance, monsieur Lanthier était président, administrateur et actionnaire majoritaire de Mécanique M.L.T. C’est lui qui a été le seul intervenant et qui a pris la décision de congédier M... C... à cause de son handicap. Cette situation est suffisante pour que l’article 317 C.c.Q. s’applique.

[84]    La responsabilité de monsieur Lanthier est cependant de nature extracontractuelle. Ainsi, considérant les sources de droit tant contractuelle dans le cas de Mécanique M.L.T. qu’extracontractuelle dans celui de monsieur Lanthier, la condamnation doit être faite in solidum et non solidairement[42].

B.        Les dommages matériels

[85]    Avant son emploi, M... C... recevait une aide de dernier recours.

[86]    Sa période d’emploi chez Mécanique M.L.T. dura moins de six mois et sa dernière journée travaillée est le 14 février 2013.

[87]    Selon la preuve au dossier, son salaire moyen était de l’ordre de 600-650 $/semaine.

[88]    Toujours selon la preuve, M... C... a occupé un nouvel emploi à compter du 22 avril 2013.

[89]    Au total, M... C... a été privé de revenus de travail du 15 février au 21 avril. À l’audience, la procureure de la Commission a estimé le manque à gagner à 5 880 $. Le Tribunal considère que M... C... a droit à ce montant à titre de dommages matériels.

C.        Les dommages  moraux

[90]    Le dommage moral est réel même s’il est difficile à évaluer[43]. À ce titre, la Commission réclame une somme de 6 000 $. Compte tenu de la preuve, s’agit-il d’un montant raisonnable?

[91]    Du témoignage de M... C..., le Tribunal retient plus particulièrement le choc qu’il a ressenti à l’annonce de son congédiement et ses effets persistants, au cours des semaines suivantes, sur son humeur générale, son moral et sa confiance en lui. Même s’il a trouvé un autre emploi, il s'est senti rabaissé et a éprouvé un sentiment de frustration qu'il ressentait encore au moment de l'audition devant le Tribunal.

[92]    La perte injuste d’un emploi à cause d’une affection mentale est susceptible de produire des effets à plus long terme, ramenant la personne qui en est victime à sa condition de personne handicapée, un état qu’elle ne peut modifier et avec lequel elle doit vivre quotidiennement. Nous avons écrit précédemment que le droit de gagner sa vie est une composante essentielle de l’autonomie et de la dignité d’une personne. Cela s’applique d’autant plus à une personne handicapée.

[93]    Bien que M... C... a retrouvé un emploi dans le domaine de la mécanique automobile un peu plus de deux mois après les événements, il a toutefois décidé de ne plus œuvrer dans ce secteur d’activité. Il a ainsi entrepris une formation dans le domaine de la santé et occupe aujourd’hui un emploi dans ce domaine.

[94]    Dans sa décision Spa Bromont[44], le Tribunal a octroyé des dommages moraux de 6 500 $, à la suite du congédiement discriminatoire d’une personne non voyante qui tentait de gagner sa vie et pour ce faire avait suivi une formation de massothérapeute. Au moment du procès, cinq ans plus tard, elle ne travaillait pas et son moral était grandement affecté.

[95]    Dans sa décision Résidence Sainte-Anne[45], le Tribunal a accordé 7 500 $ à une employée atteinte de sclérose en plaques qui avait été victime d’un congédiement discriminatoire, alors qu'aucune mesure véritable d'accommodement n'avait été envisagée. Cette dernière n’avait ensuite travaillé que quelque temps dans une boutique de vêtements, puis elle avait souffert d’une dépression. Après une période d'invalidité d'un an, elle était retournée au travail à temps partiel.  

[96]    Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le Tribunal considère qu’une somme de 4 000 $ est justifiée à titre de dommages moraux.

D.        Les dommages punitifs

[97]    L’article 49 de la Charte prévoit l’imposition de dommages punitifs « en cas d’atteinte illicite et intentionnelle ». La Commission réclame de monsieur Lanthier le paiement d’un montant de 1 000 $ à ce titre.

[98]    Les dommages punitifs servent de façon générale à sanctionner l’auteur de la discrimination, à le dissuader de récidiver, à décourager les tiers d’agir de la même façon et à exprimer la désapprobation du Tribunal face au comportement révélé par la preuve[46].

[99]    La détermination du montant des dommages punitifs doit prendre en compte les objectifs généraux poursuivis par ce type de dommages ainsi que les objectifs particuliers de la loi en cause (ici la Charte) et, à cet égard, « identifier les comportements qui sont incompatibles avec les objectifs poursuivis par le législateur […] et dont la perpétration nuit à leur réalisation »[47]. Par ailleurs, on doit tenir compte de la situation patrimoniale et de l’étendue de la réparation à laquelle le débiteur est déjà tenu[48].

[100] L’article 10 de la Charte a pour objectif particulier de lutter contre les préjugés dont sont victimes les personnes qui sont affectées d’un handicap. Dans la présente situation, l’atteinte est manifestement incompatible avec l’objectif poursuivi.

[101]   S’agit-il ici d’une atteinte intentionnelle?

[102]   Dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand[49], madame la juge L’Heureux-Dubé écrit :

[...] il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.

(Nos soulignements)

[103]   En l’espèce, la preuve a révélé que M... C... était considéré comme un bon employé et malgré cela, monsieur Lanthier l’a congédié lorsqu’il a appris qu’il souffrait d’un trouble de l’humeur et le coût mensuel de ses médicaments. Par ailleurs, monsieur Lanthier savait ou aurait dû savoir que son congédiement, effectué au téléphone et sans autre explication, aurait un effet important sur M... C... Il a, par ses agissements, contrevenu à une disposition d’ordre public et a tenté de les couvrir par une version des faits qui ne coïncidait pas avec la réalité. Le Tribunal y voit une volonté de monsieur Lanthier de causer à M... C..., en toute connaissance des conséquences de sa décision, le préjudice qu’il a subi.

[104]   La situation d’emploi des personnes handicapées requiert que les tribunaux dénoncent, par l’attribution de dommages punitifs, le congédiement injustifié, illicite et intentionnel d’une personne handicapée pour un motif discriminatoire en violation de la Charte.

[105]   Par ailleurs, en vertu du présent jugement, monsieur Lanthier et son entreprise sont déjà tenus de verser à M... C... une somme de 9 880 $ à titre de dommages matériels et moraux. Même si la preuve est muette sur la situation financière de monsieur Lanthier, la somme demandée par la Commission est raisonnable et permet d’exprimer clairement la désapprobation du Tribunal face au comportement révélé par la preuve.

[106]   Dans les circonstances, le Tribunal imposera à monsieur Lanthier le paiement d’une somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[107]   ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance;

[108]   CONDAMNE in solidum Robert Lanthier et Service et Mécanique M.L.T. Inc. à verser à M... C... 5 880 $ à titre de dommages matériels avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle, conformément à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 26 avril 2016, date de la signification de la proposition de mesures de redressement. Cette somme sera versée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui devra remettre celle-ci à la personne identifiée comme étant M... C... dès que le présent jugement sera exécutoire;

[109]   CONDAMNE in solidum Robert Lanthier et Service et Mécanique M.L.T. Inc. à verser à M... C... 4 000 $ à titre de dommages moraux avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle, conformément à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 26 avril 2016, date de la signification de la proposition de mesures de redressement. Cette somme sera versée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui devra remettre celle-ci à la personne identifiée comme étant M... C... dès que le présent jugement sera exécutoire;

[110]   CONDAMNE Robert Lanthier à verser à M... C... une somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle, conformément à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la date du présent jugement. Cette somme sera versée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse qui devra remettre celle-ci à la personne identifiée comme étant M... C... dès que le présent jugement sera exécutoire;

[111]   LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

 

__________________________________

YVAN NOLET,

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

Me Kathrin Peter

BOIES DRAPEAU BOURDEAU

Pour la partie demanderesse

 

Me David Beaudoin

BBK avocats

Pour les parties défenderesses

 

Date d’audience :

21 mars 2017

 



[1]     La Commission a demandé à ce que la partie plaignante ne soit pas identifiée au présent jugement sous son véritable nom. La décision du Tribunal a été rendue séance tenante et, vu les informations confidentielles que la preuve révèle concernant son état de santé et les médicaments requis afin de traiter celui-ci, la partie plaignante sera identifiée sous le vocable M... C... afin d’assurer la protection de sa vie privée le tout, conformément aux articles 5 et 121 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[2]     RLRQ, c. C-12.

[3]     Pièce P-6, « Prescriptions médicales » du 6 décembre 2012.

[4]     Pièce D-1, Facture de F. Gosselin & S. Girard pharmaciens au nom de M... C... du 8 février 2013.

[5]     Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143, p. 174 et 175 (j. McIntyre).

[6]     Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 40 (Bombardier).

[7]     Id., par. 37.

[8]     Id., par. 36, 37 et 56.

[9]     Id., par. 35.

[10]    Id., par. 42 (références omises).

[11]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systèmes de draînage Modernes inc., 2009 QCTDP 10, par. 87 (Systèmes de draînage).

[12]    Bombardier, préc., note 6, par. 43 et 44.

[13]    Id., par. 48 et 52.

[14]    Voir notamment Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Coeur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, par. 7, 8, 9 et 64 (Trois-Rivières); Syndicat des infirmières du Nord Est québécois c. Centre Local de Services Communautaires Le Norois, 2003 CanLII 6218 (QC CA), par. 45; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Vézina) c. Entreprises D.S. Rochon et Frères inc., 2016 QCTDP 26, par. 51 (Entreprises Rochon); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de portefeuille du groupe Desjardins (Assurances générales des Caisses Desjardins inc.), [1997] RJQ 2049, 1997 CanLII 47 (QC TDP); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Institut Demers inc., [1999] RJQ 3101, p. 3108, 1999 CanLII 51 (QC TDP), par. 50.

[15]    Convention relative aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006, 2515 RTNU 3 (ratifiée par le Canada le 11 mars 2010 et par le Québec le 10 mars 2010), article 1, alinéa 2.

[16]    Systèmes de draînage, préc., note 11, par. 90 et 91.

[17]    Entreprises Rochon, préc., note 14, par. 54, référant à Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville de); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27, par. 79 et 81 (Boisbriand).

[18]    Bombardier, préc., note 6, par. 53.

[19]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industries acadiennes inc., 2005 CanLII 48273, par. 125 et 159 (QC TDP) (Industries acadiennes).

[20]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Université Laval, [2000] RJQ 2156, p. 2180, 2000 CanLII 3, par. 158 (QC TDP), inf. en partie sur d’autres questions par 2005 QCCA 27.

[21]    Boisbriand, préc., note 17, par. 36.

[22]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Comité des bénéficiaires du Pavillon St-Théophile) c. Coutu, [1995] RJQ 1628, p. 1651, 1995 CanLII 2537 (QC TDP), p. 39.

[23]    Commission des droits de la personne c. Centre d'accueil Villa Plaisance[1996] RJQ 511, p. 523, 1995 CanLII 2814 (QC TDP), p. 17.

[24]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9113-0831 Québec inc. (Bronzage Évasion au soleil du monde), 2007 QCTDP 18, par. 42 (Bronzage Évasion).

[25]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Spa Bromont inc., 2013 QCTDP 26, par. 179 (Spa Bromont), conf. par 2015 QCCA 627.

[26]    Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 RCS 313, p. 368, par. 91.

[27]    Bronzage Évasion, préc., note 24, par. 40.

[28]    Spa Bromont, préc., note 25, par. 150 : le Tribunal se réfère au préambule de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, préc., note 15.

[29]    Systèmes de draînage, préc., note 11, par. 84.

[30]    Voir Gaz métropolitain inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2011 QCCA 1201, par. 41-45 (Gaz métropolitain CA); Trois-Rivières, préc., note 14, par. 50-53.

[31]    Jean-Claude ROYER, La Preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, par. 839. Voir les articles 2846 et 2849 C.c.Q.

[32]    Id., par. 842.

[33]    Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., vol. I, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 1-287. Voir également Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Immeubles et  LLCN enr., s.e.n.c., 2013 QCTDP 10, par. 84; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc., 2008 QCTDP 24, par. 187 (Gaz métropolitain TDP), inf. en partie sur d’autres questions par Gaz métropolitain CA, préc., note 30.

[34]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9063-1698 Québec inc, 2003 CanLII 40742 (QC TDP), par. 48.

[35]    Gaz métropolitain TDP, préc., note 33, conf. sur cet aspect par Gaz métropolitain CA, préc., note 30, par. 51 et 79.

[36]    Bell Canada c. 9015-7959 Québec inc. (Clôtures et rampes Bellerive inc.), 2006 QCCQ 14669, par. 29; Immeubles Hoopp inc. c. Gaz métropolitain, 2007 QCCQ 7267, par. 3; Neveu c. Farnham (Ville de), 2012 QCCQ 4662, par. 20.

[37]    Pièces P-3 et P-7.

[38]    Voir le paragraphe 42.

[39]    Christian BRUNELLE, « La mise en œuvre des droits et libertés en vertu de la Charte québécoise », dans Collection de droit 2016-2017, École du Barreau du Québec, vol. 7, Droit public et administratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2016, p. 103. Voir l’article 49 de la Charte.

[40]    Art. 1434 C.c.Q.

[41]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9063-1698 Québec inc., préc., note 34, par. 64-68; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9020-6376 Québec inc., 2006 QCTDP 19, par. 33-34; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9208-8467 Québec inc. (Résidence Sainte-Anne), 2016 QCTDP 20, par. 60-63 (Résidence Sainte-Anne).

[42]    2855-0523 Québec inc. c. Ivanhoé Cambridge inc., 2014 QCCA 124, par. 16-18; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9208-8467 Québec inc., id., par. 52, 57-60 et 63; Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon-Blais, 2013, par. 617; art. 1526 C.c.Q.

[43]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., vol. I, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-361.

[44]    Préc., note 25.

[45]    Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9208-8467 Québec inc. (Résidence Sainte-Anne), préc., note 41.

[46]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, p. 1208, par. 196 (j. Cory). Même s’il s’agissait d’une affaire jugée selon les règles du common law, le juge Gendreau n’a pas hésité à citer ce passage dans Arthur c. Johnson, 2004 CanLII 16518 (QC CA), par. 18. Voir également Richard c. Time inc., 2012 CSC 8, par. 153 (Time).

[47]    Time, id., par. 157.

[48]    Voir l’article 1621 C.c.Q.

[49]    Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211, p. 262, par. 121 (Hôpital St-Ferdinand).

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