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Décision

Laissy c. Société en commandite Mercier enr.

2018 QCRDL 38621

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

264035 31 20160302 G

No demande :

1946463

 

 

Date :

22 novembre 2018

Régisseure :

Louise Fortin, juge administrative

 

Noêlle Laissy

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Societé en Commandite Mercier Enr.

A/S Marie-Chantale Théroux,

Marie-Claude Théroux et Claude Théroux

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Suivant un recours introduit le 2 mars 2016, la locataire demande une diminution de loyer de 300 $ par mois du 15 août 2010 au 31 juillet 2013, avec intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 3 mai 2013, une somme 10 134 $ à titre de dommages matériels, une somme de 10 000 $ à titre de dommages moraux, troubles et inconvénients et une somme de 5 000 $ à titre de dommages punitifs, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel et les frais.

[2]      En début d'audience, l'avocat du locateur a soulevé une objection préliminaire et a demandé le rejet de la demande au motif que la demande de la locataire ne pouvait être introduite à nouveau devant la Régie du logement.

[3]      Lors de l’audition tenue le 21 août 2018, le tribunal a permis aux parties de produire des arguments et autorités supplémentaires soit jusqu’au 11 septembre 2018 pour la locataire et jusqu’au 2 octobre 2018 pour le locateur.

[4]      À la demande de l’avocate de la locataire, le tribunal a autorisé une prolongation de délai pour la production de ces notes et autorités, au 14 septembre 2018 pour la locataire et au 5 octobre 2018 pour le locateur, documents qui ont été reçus le 17 septembre 2018 et le 5 octobre 2018.

Contexte

[5]      Le 22 décembre 2015, la Régie du logement rend jugement et déclare irrecevable la demande de la locataire pour excès de compétence sa demande totalisant alors 77 730 $, alors que le seuil de compétence à l’époque suivant l’article 34 du Code de procédure civile était inférieur à 70 000 $, décision reçue le 4 janvier 2016.

[6]      Par le dépôt de la présente demande, la locataire désire se prévaloir des dispositions de l’article 2895 alinéa 1 du Code civil du Québec qui prévoit :

« 2895. Lorsque la demande d'une partie est rejetée sans qu'une décision ait été rendue sur le fond de l'affaire et que, à la date du jugement, le délai de prescription est expiré ou doit expirer dans moins de trois mois, le demandeur bénéficie d'un délai supplémentaire de trois mois à compter de la notification de l'avis du jugement, pour faire valoir son droit.

(…) »


[7]      L’avocat du locateur invoque d’une part qu’il y a chose jugée quant à la décision du 22 décembre 2015 qui a rejeté la demande de la locataire pour excès de compétence et subsidiairement que la locataire n’a pas introduit son recours devant le bon forum soit la Cour supérieure suivant le quatrième critère établi par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Société Canadienne des Postes c. Rippeur dont l’extrait pertinent se lit comme suit :

« [24]   Il en ressort les conditions suivantes pour son application :

1) une demande antérieure par la partie qui invoque l'article 2895 C.c.Q.;

2) un rejet de cette demande sans qu'il n'y ait eu décision sur le fond;

3) une nouvelle demande, par laquelle il fait valoir à nouveau son droit (en d'autres mots, de la même nature que celle antérieure);

4) présentée devant un autre forum dans les 90 jours du rejet; et

5) un écoulement du délai de prescription applicable à cette nouvelle demande. »

(nos soulignés)

[8]      De son côté, l’avocate de la locataire soutient que la quatrième condition invoquée dans l’affaire Rippeur doit être appliquée avec prudence et adaptée selon les circonstances.

[9]      De plus, elle prétend qu’en vertu de l’article 28 (1) de la Loi sur le Régie du logement et l’article 35 du nouveau Code de procédure civile entré en vigueur le 1er janvier 2016, ci-après reproduits, que la locataire n’avait pas d’autre choix que d’intenter la présente demande devant la Régie du logement étant le seul tribunal compétent.

«28. La Régie connaît en première instance, à l'exclusion de tout tribunal, de toute demande:

 1° relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec;

 2° relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil;

 3° relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14.

Toutefois, la Régie n'est pas compétente pour entendre une demande visée aux articles 667 et 775 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01).»

« 35. La Cour du Québec a compétence exclusive pour entendre les demandes dans lesquelles soit la valeur de l'objet du litige, soit la somme réclamée, y compris en matière de résiliation de bail, est inférieure à 85 000 $, sans égard aux intérêts; elle entend également les demandes qui leur sont accessoires portant notamment sur l'exécution en nature d'une obligation contractuelle. Néanmoins, elle n'exerce pas cette compétence dans les cas où la loi l'attribue formellement et exclusivement à une autre juridiction ou à un organisme juridictionnel, non plus que dans les matières familiales autres que l'adoption.

La demande introduite à la Cour du Québec cesse d'être de la compétence de la cour si, en raison d'une demande reconventionnelle prise isolément ou d'une modification à la demande, la somme réclamée ou la valeur de l'objet du litige atteint ou excède 85 000 $. Inversement, la Cour du Québec devient seule compétente pour entendre la demande portée devant la Cour supérieure lorsque la somme réclamée ou la valeur de l'objet du litige devient inférieure à ce montant. Dans l'un et l'autre cas, le dossier est transmis à la juridiction compétente si toutes les parties y consentent ou si le tribunal l'ordonne, d'office ou sur demande d'une partie.

Lorsque plusieurs demandeurs se joignent ou sont représentés par une même personne dans une même demande en justice, la cour est compétente si elle peut connaître des demandes de chacun. »

[10]   Ainsi, elle soutient que même si la locataire avait maintenu sa réclamation à un montant de 77 730 $, elle n’aurait pu introduire la présente demande devant la Cour supérieure, puisque celle-ci aurait dû décliner compétence suite à l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile.


Analyse

La chose jugée

[11]   En ce qui concerne l’argument de l’avocat du locateur à l’effet qu’il y aurait chose jugée, le tribunal est d’opinion qu’il ne peut rejeter la demande de la locataire pour ce motif, considérant que le tribunal a décliné compétence lors de la décision du 22 décembre 2015 et ne s’est pas prononcé sur la demande.

[12]   Le tribunal fait donc sienne l’analyse de la juge administrative Sophie Alain dans l’affaire Di Spaldro c. Gestion Laberge Inc.[1] :

« [13] Rappelons que le Tribunal a décliné compétence et qu’il n’y a pas eu d’analyse des questions de fond dans la demande précédente. Alors cette présomption peut-elle être appliquée?

[14] Dans la décision Begama Ltd c. Banque fédérale de développement la Cour d’appel du Québec nous enseigne que la chose jugée ne peut être invoqué à l’égard du jugement qui rejette une action pour un motif procédural sans décider du mérite.

[15] Le tribunal est d’avis qu’il doit retenir cette interprétation.

[16] Il rejette donc la requête en irrecevabilité du locateur. »

L’article 2895 du Code civil du Québec.

[13]   Qu’en est-il maintenant de la portée de la quatrième condition invoquée par la Cour d’appel dans l’affaire Rippeur soit « devant un autre forum » en regard des faits de la présente demande.

[14]   Toujours dans l’affaire Di Spaldro c. Gestion Laberge inc., la demande de la locataire avait été rejetée en première instance par la Régie du logement pour défaut de compétence en raison de la valeur des sommes réclamées.

[15]   En appel, la décision de la Régie du logement a été maintenue par la Cour du Québec mais la juge Gibbens a indiqué dans son jugement que la locataire bénéficiait d’un délai de trois mois pour faire valoir son droit devant la Cour Supérieure du Québec si telle était son intention.

[16]   Le tribunal partage la position de la juge Gibbens quant à l’application de l’article 2895 du Code civil du Québec et croit qu’en l’instance la locataire devait également introduire son recours devant la Cour supérieure afin d’interrompe la prescription.

[17]   Le tribunal est d’opinion que lorsqu’un tribunal de première instance décline compétence et qu’une nouvelle demande est produite en vertu de l’article 2895 du Code civil du Québec, celle-ci doit nécessairement être présentée devant un autre forum, sinon cela permettrait à un demandeur de faire indirectement ce que la loi ne lui permet pas de faire directement.

[18]   À toute fin pratique, cela lui permettrait d’introduire un amendement a posteriori aux fins de rétablir la compétence, ce qu’il n’est pas possible de faire.[2]

[19]   D’ailleurs, le tribunal estime que les Commentaires du Ministre de la Justice[3] relativement à l’article 2895 du Code civil du Québec, ci-après cités, établissent une distinction quant au « défaut de forme » et « défaut de compétence ».

« Cet article de droit nouveau, vient limiter les conséquences d’une décision qui ne porte pas sur le fond du litige, mais qui résulte plutôt par exemple d’un simple défaut de forme ou de l’incompétence du tribunal.

Que la prescription soit acquise ou non l’article 2895 prolonge l’effet de l’interruption par un délai additionnel de trois mois afin de permettre au demandeur de faire valoir à nouveau son droit. »

(nos soulignés)

[20]   Partant de ce principe, l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile le 1er janvier 2016 doit-elle être considérée afin de déterminer le bon forum, tel que le prétend l’avocate de la locataire ?


[21]   Dans l'affaire Mayco Financial Corporation c. Rosenberg et Brittler[4], la Cour d'appel du Québec devait déterminer à quel moment s’applique la hausse de la compétence d’attribution de la division des petites créances de la Cour du Québec en regard de l'application de l'article 13 de la Loi modifiant le Code de procédure civile (LMCPC). Elle déterminait aussi par la même occasion que l'article 13 LMCPC et l'article 833 C.P.C. visaient à régler la même situation, soit que la compétence d’une Cour demeure inchangée lorsque le tribunal est déjà saisi de l’affaire.

[22]   Suivant les divers principes élaborés, la Cour d’appel a conclu que la hausse du seuil monétaire prescrite par l’article 13 LMPCP s’applique aux demandes déposées après le 1er janvier 2015.

[23]   Faisant un parallèle avec la présente affaire et la décision de la Cour d’appel, il s’en suit que les modifications du nouveau Code de procédure civile sur la compétence du tribunal ne créent pas d'effet rétroactif et que le seuil monétaire prévu à l'article 35 du nouveau Code de procédure civile précité s'applique aux demandes déposées après le 1er janvier 2016, ce qui est le cas en l'instance.

[24]   Ainsi, exceptionnellement en raison de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile, la locataire ne pouvait le 2 mars 2016 introduire sa nouvelle demande devant la Cour Supérieure, de sorte que le bon forum est celui de la Régie du logement.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]   REJETTE la demande en rejet du locateur;

[26]   DEMANDE aux maîtres des rôles de convoquer les parties sur la demande originaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Louise Fortin

 

Présence(s) :

la locataire

Me Annie Kirouac, avocate de la locataire

Me Jean-Maurice Bellaiche, avocat du locateur

Date de l’audience :  

21 août 2018

 

 

 


 



[1] 334957, le 5 avril 2018;

[2] Bourcier c. Lafontaine, SOQUIJ AZ-89021144,

[3] Commentaires du Ministère de la Justice, Tome II, Le Code civil du Québec, p. 1817.

[4] 500-09-025102-153, le 23 juillet 2015; 2015 QCCA 1231;

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