Décision

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R. c. Snider

2015 QCCQ 4286

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

500-01-083493-129

 

 

 

DATE :

Le 25 mai 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

THIERRY NADON, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

Sa Majesté LA REINE

Poursuivante

c.

Stacey SNIDER

           Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT sur la requête en exclusion de la preuve en vertu de l’article 8 et du paragraphe 24(2) de la Charte Canadienne des droits et libertés

______________________________________________________________________

 

Rendu oralement le 22 mai 2015

 

(Les présents motifs ont pu être remaniés, modifiés ou amplifiés pour en améliorer la présentation et la compréhension comme le permet l’arrêt Kellog’s Company c. P.G. du Québec, [1978] CA 258, 259-260. Le dispositif demeurant toutefois inchangé)

 

 

CONTEXTE

[1]           Victime d’un grave accident de la route, la défenderesse est escortée à l’hôpital par deux policiers en uniforme. Durant le séjour de près de quatre heures des policiers dans les salles d’urgence, un membre du personnel hospitalier leur mentionne que de l’alcool a été découvert dans le sang de la défenderesse et révèle son taux d’alcoolémie.

[2]           Fort de ces informations, un enquêteur a demandé l’émission d’un mandat de perquisition et une ordonnance de communication dans le but de saisir les échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie et le dossier médical de la défenderesse.

[3]           Accusée de conduite alors que le taux d’alcool dans son sang dépassait la limite permise, la défenderesse allègue que les informations ont été obtenues en violation de ses droits garantis à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après Charte) et devraient être supprimées de la dénonciation présentée au soutien des autorisations judiciaires. Conséquemment, elle demande l’exclusion de la preuve des prélèvements, les résultats de l’alcoolémie ainsi que le dossier médical.

 

La preuve présentée lors du voir dire

 

[4]           Le 14 août 2012, vers 18 h, un très grave accident se produit entre un véhicule de marque BMW conduit par la défenderesse et un autobus de la Société de transport de Montréal. La scène est majeure, la BMW détruite, l’autobus renversé. Les policiers Boucher et Church se présentent sur les lieux. Le chauffeur de l’autobus ainsi que la mère de la défenderesse qui prenait place dans la BMW vont succomber à leurs blessures.

[5]           La défenderesse est amenée en ambulance à l’hôpital Général de Montréal. À la demande de leur supérieur, le sergent Lavoie, Boucher et Church accompagnent la défenderesse. Boucher prend place dans l’ambulance alors que Church conduit le véhicule patrouille. Très grièvement blessée, l’état de la défenderesse est critique. Boucher estime qu’elle est sur le point de mourir. Il n’y a aucun indice de conduite avec les facultés affaiblies. L’agent Boucher a affaire à une victime. La défenderesse n’est ni détenue, soupçonnée ou enquêtée.

[6]           Lors d’un accident de la route, la procédure du Service de police de la Ville de Montréal prévoit qu’un policier accompagne un blessé grave. Cette présence est nécessaire afin d’assurer un lien entre la personne blessée et la scène de l’accident. Le policier doit relayer l’information de l’état de santé de la personne à son supérieur. Advenant le décès du blessé, le policier informe le coroner.

[7]           À l’hôpital Général de Montréal, les patients qui arrivent en ambulance sont dirigés dans une des trois salles suivantes : la salle des ambulances, de traumatologie et des urgences. Selon Amanda Cabana, coordonnatrice à la salle d’urgence, les policiers ne sont pas admis dans la salle de traumatologie. Ils ne devraient pas non plus être dans l’espace de travail des employés dans la salle des ambulances. Selon elle, l’endroit est trop petit pour assurer la confidentialité.

[8]           Selon Cabana, la présence de personnes autres que le personnel hospitalier entrave la confidentialité. Les gens peuvent voir les patients, entendre le personnel hospitalier parler, voir les résultats sur le comptoir des employés et les écrans d’ordinateur. De nombreuses plaintes ont été formulées par les employés. À ce jour, la situation perdure.  

[9]           À son arrivée à l’hôpital, la défenderesse est transportée à la salle de traumatologie. Cette salle n’est pas grande. L’équipe traitante l’a prise en charge. Les policiers sont restés dans la salle, mais se sont éloignés du lit. Selon eux, ils devaient rester près d’elle, c’était leur devoir. En raison de cette proximité, l’agent Boucher a vu la défenderesse inconsciente se faire agrafer le visage.  

[10]        Une fois son état stabilisé, elle est amenée à la salle des ambulances. Cette salle est également petite et normalement réservée au personnel de l’hôpital. Selon Cabana, malgré l’absence d’avis affiché, les policiers n’avaient pas d’affaire là.

[11]        Les policiers ont fait le pied de grue pendant près de quatre heures à proximité de la défenderesse plus spécifiquement à environ 25-30 pieds de son lit. La salle des ambulances contient neuf lits pendant ces quatre heures, les policiers ont également pu voir les autres patients couchés dans ces lits. La défenderesse était inconsciente, pas menaçante et ne représentait pas un danger pour elle-même.

[12]        Les policiers ont pu voir les différents soins prodigués par le personnel hospitalier à la défenderesse. Ils l’ont accompagné dans la salle de rayon x afin de connaître l’étendue de ses fractures du crâne. Elle a passé une scanographie en leur présence. 

[13]        Après une longue période à observer la défenderesse dans son intimité dans un endroit exigu réservé au personnel hospitalier, ce qui devait arriver arriva. Les policiers ont reçu de l’information confidentielle obtenue suite aux soins médicaux : de l’alcool avait été retrouvé dans le sang de la défenderesse.

[14]        À ce moment, Boucher est près du comptoir dans la salle des ambulances, Cabana lui dit que la conductrice avait de l’alcool dans son sang et elle lui donne le taux de « 240 ». Il ne se souvient pas lui avoir posé des questions.

[15]        Cabana se souvient de l’événement un peu différemment. Alors qu’elle s’occupait de la défenderesse, elle entend un médecin ou quelqu’un d’autre derrière elle dire « oh my god she was drunk or she was drinking ». Elle dit à haute voix : « who » ? Ils ont dit : « the driver ». Elle ajoute : « Who is the driver? »

[16]        Elle va voir la coordonnatrice aux ambulances qui confirme que c’est sa patiente. Elle dit : « oh she was drinking » elle se retourne et voit un policier qui demande « qui? »  Elle pointe la défenderesse. Le policier en uniforme qui se tenait dans son espace de travail près d’un comptoir dans la salle des ambulances lui aurait dit : « you just made my job more difficult or harder ». En colère d’avoir donné de l’information, elle aurait exigé au policier de s’éloigner de son bureau pour assurer la confidentialité. Elle aurait référé le policier au médecin. Le policier a quitté.  

[17]        Elle doit avoir vu les résultats du test d’alcoolémie à l’écran de l’ordinateur. Elle nie avoir donné un taux d’alcoolémie au policier puisqu’elle ignore comment interpréter les résultats. Elle sait cependant que lorsqu’il y a présence d’alcool dans le sang, une lumière rouge s’allume à l’écran.

[18]        Le policier Boucher, témoignant à l’aide de ses notes, est incapable de se rappeler des événements au-delà de ce qui y est écrit. Il affirme ne pas avoir contrevenu au secret professionnel, Madame Cabana l’a fait. L’agent Church est du même avis. Il sait que la confidentialité empêche le personnel de l’hôpital de divulguer l’information. Malgré tout, il affirme ne pas se soucier que Madame Cabana ait contrevenu au droit à la confidentialité. Selon Church, la confidentialité empêche le personnel hospitalier de divulguer l’information, ils n’ont pas le droit de la lui donner.

[19]        Church admet avoir posé des questions au personnel de l’hôpital avant la divulgation du taux d’alcoolémie et du fait de l’alcool dans le sang afin de connaître l’état de santé de madame. Confronté à la note de 22 h 42 à la page 30 du rapport médical voulant que les policiers posaient plusieurs questions sur le taux d’alcoolémie, il répond ne pas s’en souvenir.

[20]        Le Tribunal retient ceci. Les policiers, en raison de leur position privilégiée dans un espace réservé au personnel hospitalier, ont entendu Madame Cabana dire que la défenderesse avait bu. Madame Cabana a pointé la défenderesse et les policiers ont posé des questions et ils ont obtenu une réponse sur un taux d’alcoolémie qui s’avèrera être erroné.

[21]        La conclusion du Tribunal se base sur l’ensemble des circonstances et particulièrement les faits suivants. Les policiers ne se souviennent pas avoir posé des questions. La note contenue au rapport médical confirme qu’ils ont posé des questions sur le taux d’alcoolémie. De plus, selon Boucher, dans le cadre de son travail, il doit poser des questions ne serait-ce que pour s’assurer que le taux d’alcoolémie n’était pas supérieur à la limite permise.

[22]        Le taux indiqué au rapport médical est inscrit dans une unité de mesure différente que celle utilisée pour les conduites avec facultés affaiblies. Le taux d’alcool de 24.8 est exprimé en millimole[1]. Le Tribunal conclut que ce taux a été donné au policier Boucher par Cabana. Erronément, Boucher a cru que le taux était exprimé en milligrammes d’alcool par millilitres de sang.

[23]        À partir de ce moment, le chapeau de Boucher vient de changer, il est en mode enquête. Boucher parle au Dr Troquet et l’avise qu’un mandat serait demandé pour saisir les fioles de sang et pour s’assurer qu’elles soient conservées.

[24]        L’information est transmise au sergent Lavoie qui informe l’enquêteur Martin Lapierre. Étant donné le délai écoulé depuis l’accident, les policiers ne pouvaient obtenir un télémandat. 

[25]        Les parties n’ont pas fait la preuve du consentement à la prise de sang de la part de la défenderesse. Selon la preuve elle était inconsciente tout au long. Elle était dans un état tel qu’elle n’aurait pu y consentir. Le prélèvement selon le rapport médical[2] a été effectué à 20h33 et le résultat connu à 21h 09, le soir du 14 août 2012. Chose certaine, le prélèvement a été effectué pour des fins médicales.

[26]        Le 15 août 2012, l’enquêteur Martin Couture présente une demande de mandat de perquisition et d’ordonnance de communication. Au soutien de ses demandes, il présente une dénonciation dont le paragraphe 4 se lit comme suit :

« À 22 h 40, l’agt Boucher #5997 apprend au (sic) cst Martin #3286 et Lapierre #4746 qu’une infirmière lui a dit que Mme Stacey Snider aurait un taux d’alcoolémie de 240ml/100mg de sang. »

[27]        La juge de paix magistrat White décerne un mandat de perquisition permettant la saisie au Laboratoire de biochimie de l’hôpital Montréal Général des échantillons de sang prélevés suite à l’admission ainsi qu’une impression des résultats de toxicologie.

[28]        Elle ordonne aux archives de l’hôpital Montréal Général de remettre à l’enquêteur Lapierre le dossier médical de la défenderesse suite à son admission le 14 août 2012.

[29]        Ce dossier contient l’historique médical en lien avec son hospitalisation. Il est volumineux et contient moult informations de nature personnelle.

 

LES ADMISSIONS

 

[30]        Le ministère public admet que si le paragraphe litigieux est exclu de la dénonciation, au soutien du mandat de perquisition et de l’ordonnance de communication, il ne subsiste pas suffisamment de motifs qui auraient permis au juge de paix de décerner les autorisations judiciaires. Advenant cette conclusion, c’est sans mandat ou ordonnance de communication que la saisie des prélèvements de sang, le résultat du test d’alcoolémie et le rapport médical ont été effectués.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

L’issue de la requête requiert de répondre aux quatre questions suivantes :

 

1-    L’information contenue au paragraphe 4 de la dénonciation présentée au juge de paix au soutien du mandat de perquisition et de l’ordonnance de communication a-t-elle été obtenue en contravention des droits garantis par l’article 8 de la Charte?

 

2-    Si oui, est-ce que les ordonnances judiciaires doivent être déclarées invalides?

 

3-    Dans l’éventualité de leur invalidité, y a-t-il violation des droits de la défenderesse garantis par l’article 8 de la Charte lors de la saisie des échantillons de sang prélevés, des résultats de toxicologie ainsi que son dossier médical?

 

4-    Dans l’éventualité d’une violation à l’article 8 de la Charte, les échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie et le dossier médical doivent-ils être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

 

POSITION DES PARTIES

Le ministère public

 

[31]        Légalement sur les lieux dans la salle d’urgence, les policiers veillaient à protéger le public. Il admet que les policiers ont été malhabiles ce qui leur a permis de voir ce qu’ils n’auraient pas dû voir. Cependant, rien ne les empêchait d’y être.

[32]        Ils n’ont commis aucune faute. La faute doit être attribuée à Madame Cabana et ses actions ne sont pas assujetties à un examen fondé sur la Charte. Les policiers avaient le devoir d’enquêter suite à l’obtention de l’information. C’est ce qu’ils ont fait. Il n’y a donc pas eu de violation de l’article 8 de la Charte.

[33]        Subsidiairement, étant donné la bonne foi des policiers et l’absence de faute de leur part, la preuve ne devrait pas être exclue en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.  

La défense

[34]        La présence des policiers, dans la salle d’urgence, à proximité de la défenderesse a violé ses droits garantis à l’article 8 de la Charte. Les policiers ont reçu de l’information confidentielle. Ce faisant, ils ont effectué une saisie sans mandat contrevenant à l’article 8 de la Charte.

[35]        L’information devrait être supprimée de la dénonciation présentée au soutien de la demande de mandat de perquisition et d’ordonnance de communication. Une fois supprimée, le reliquat de la dénonciation ne contient pas suffisamment de motifs pour l’émission des autorisations judiciaires. Le mandat et l’ordonnance sont donc invalides. La saisie des éléments de preuve a été effectuée sans autorisation légale contrevenant à l’article 8 de la Charte.

[36]        En vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, la preuve devrait être exclue. La mauvaise foi des policiers, leur connaissance de la violation du droit à la confidentialité et l’incidence importante sur les droits de la défenderesse de la violation des droits fondamentaux militent en faveur de l’exclusion. 

ANALYSE

 

La première question en litige :

 

L’information contenue au paragraphe 4 de la dénonciation présentée au juge de paix au soutien du mandat de perquisition et de l’ordonnance de communication a-t-elle été obtenue en contravention des droits garantis par l’article 8 de la Charte?

 

 

A.   Principes juridiques applicables

 

1.      À qui s’applique la Charte?

 

[37]        La Charte s’applique aux actions des gouvernements, notamment celles des agents de la paix[3]. Les actions des hôpitaux ne sont pas généralement assujetties à un examen fondé sur la Charte[4].

[38]        Cela dit, il arrive qu’une action précise d’un organisme qui n’est pas généralement lié par la Charte[5] exige un examen. À titre d’exemple, lorsque cet organisme agit à titre de mandataire du gouvernement suite à une demande de policiers[6].

 

 

2.      L’article 8 de la Charte : résumé de la protection

 

[39]        L’article 8 de la Charte se lit comme suit : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et saisies abusives. »

[40]        Dans l’arrêt R. c. Gomboc[7], la juge Deschamps résume clairement et succinctement la marche à suivre et les questions à poser :

« Pour que l’art. 8 de la Charte trouve application, il faut d’abord qu’il existe une attente raisonnable de respect du droit à la vie privée et que la fouille ou la perquisition porte atteinte à ce droit.  Comme la Charte ne protège que contre les fouilles et perquisitions abusives, il faut ensuite déterminer si la fouille ou la perquisition en cause est abusive ou non.  Une fouille ou une perquisition qui met en jeu un droit à la vie privée protégé par la Charte ne sera pas abusive si la loi autorise les policiers à l’effectuer, si la loi qui l’autorise n'a elle - même rien d'abusif et si la fouille ou la perquisition n’est pas effectuée d'une manière abusive (R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (C.S.C.)[1987] 1 R.C.S. 265, p. 278). »

[41]        En présence d’une expectative raisonnable de vie privée, il y a saisi au sens de l’article 8 de la Charte lorsque les autorités prennent quelque chose à une personne sans son consentement[8].

 

 

3.      L’expectative raisonnable de vie privée : notions générales

 

[42]        Le Tribunal doit répondre à la question suivante : est-ce que la personne raisonnable, bien informée, placée dans la même situation que la défenderesse, considérerait avoir une expectative raisonnable de vie privée[9]?

[43]        L’expectative de vie privée est une notion protéiforme. Il est difficile d’en fixer les limites[10].  Afin d’y donner plein effet, le Tribunal doit interpréter cette notion de façon large et conforme à l'objectif de l’article 8 de la Charte, notamment la protection à long terme du droit à la vie privée[11]. Pour ce faire, l’ensemble des circonstances doit être considéré[12]. Le Tribunal doit regarder, entre autres, l’effet de la fouille sur la personne[13], l’intention et le but des agents de l’État dans l’obtention de la chose ou de l’information[14].

[44]        La vie privée est composée de trois aspects, l’aspect territorial, personnel et de l’information. Ces trois aspects peuvent se chevaucher[15].

[45]        L’aspect territorial est normalement composé de l’espace qu’on occupe ou qui nous appartient à titre d’exemples : notre résidence[16], notre chambre d’hôtel[17], notre chambre dans une maison de chambre[18] ou notre voiture[19].

[46]        L’aspect de la personne est celui qui bénéficie de la plus grande protection constitutionnelle[20]. Notre corps[21], notre ADN[22], nos liquides organiques[23] en sont des exemples.

[47]        Le troisième aspect est celui de l’information. Il y a des renseignements forts révélateurs et significatifs, concernant la vie personnelle d'un citoyen[24], qui révèlent des détails intimes sur son mode de vie et ses choix personnels[25]. La Charte reconnaît qu’il faut préserver la confidentialité de certains renseignements parce que les personnes qui les communiquent veulent raisonnablement qu’ils restent privés[26] .

[48]        La portée de la protection constitutionnelle dépend de la nature des renseignements et du but dans lequel ils sont communiqués[27]. La garantie va jusqu’à « déterminer le moment, la manière et la mesure dans lesquels des renseignements les concernant sont communiqués[28] ».

[49]        Lorsque l’état veut obtenir ce type de renseignement : « plus l’objet de la prétendue fouille se trouve près de l’ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel, plus ce facteur favorisera une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée.  Autrement dit, plus les renseignements sont personnels et confidentiels, plus les Canadiens raisonnables et bien informés seront disposés à reconnaître l’existence d’un droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution[29]».

 

4.      L’expectative raisonnable de vie privée d’un citoyen lors d’un séjour dans un établissement de santé et les renseignements sur sa santé.

 

i.              Les lois du Québec

 

[50]        Une myriade[30] de lois du Québec reconnaissent le droit à la confidentialité des renseignements médicaux des Québecois.

[51]        L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[31], (ci-après L.S.S.S.S.) prévoit que : « le dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès si ce n’est qu’avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom ». Le nom, prénom, date de naissance, sexe et adresse sont des renseignements protégés qui nécessitent une exception à la loi pour en permettre la communication[32].

[52]        Un renseignement contenu au dossier peut être communiqué sans consentement seulement dans le cadre des exceptions prévues à la loi. Quelques exceptions sont pertinentes dans le cadre d’enquêtes criminelles ou dans la recherche des circonstances d’un décès.

[53]        Une de ces exceptions permet la communication d’un renseignement au coroner dans l’exercice de ses fonctions[33]. Les renseignements peuvent également être communiqués en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu'il existe un motif raisonnable de croire qu'un danger imminent de mort ou de blessures graves menace l'usager, une autre personne ou un groupe de personnes identifiable. Cette communication est limitée aux renseignements nécessaires[34].

[54]        Le directeur d’établissement est tenu de signaler aux autorités policières le fait qu'une personne blessée par un projectile d'arme à feu a été accueillie dans l'établissement qu'il dirige. La communication est limitée à l'identité de cette personne, si elle est connue, ainsi que la dénomination de l'établissement[35].

[55]        Lors de communications, des mesures doivent être prises afin d’assurer la sécurité et la confidentialité des renseignements. Un registre doit être tenu pour répertorier les communications de renseignements effectuées[36]. Une fois la communication autorisée, la prise de connaissance d’un dossier fait même l’objet de restrictions[37].

[56]        Cette confidentialité impose des obligations aux professionnels de la santé. Le Code de déontologie des médecins du Québec[38] exige du médecin de garder confidentiel ce qui est venu à sa connaissance dans l’exercice de sa profession. Les mêmes obligations incombent aux infirmières[39]. Le médecin doit être proactif et prendre les moyens raisonnables à l’égard des personnes qui collaborent avec lui afin que soit préservé son secret professionnel[40]. La communication d’un renseignement est strictement confinée aux exceptions prévues au Code ou dans une autre loi[41].

[57]        Toutes ces dispositions ont comme lien commun la confidentialité des renseignements et la communication rigoureusement et strictement limitée de ceux-ci.

 

ii.            La jurisprudence

 

[58]        Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps, l’importance, la confidentialité et l’expectative raisonnable de vie privée rattachés aux renseignements contenus dans notre dossier médical.

[59]        Dans McInervey c. Macdonald[42], le juge LaForest au nom de la Cour suprême écrivait ceci :

« …les dossiers médicaux contiennent, du moins en partie, des renseignements concernant le patient que celui-ci a révélés et des renseignements qui ont été obtenus et consignés au nom du patient.  Le fait que ces dossiers recèlent des renseignements de nature hautement privée et personnelle sur un individu est d'une importance primordiale.  Ce sont des renseignements qui touchent à l'intégrité personnelle et à l'autonomie du patient. »

 

[60]        Les hôpitaux sont un des sujets de préoccupation en matière de vie privée « en raison de la vulnérabilité des personnes qui viennent y chercher des traitements médicaux[43]

[61]        L’importance des renseignements contenus dans nos dossiers médicaux a comme conséquence la confidentialité et l’interdiction de communication sauf lorsque permis par la loi.

[62]        La Cour suprême a clairement reconnu l’expectative raisonnable de vie privée de l’accusé dans le cadre de la prise de possession d’une éprouvette contenant son sang remis de plein gré par le médecin au policier. Le juge LaForest au nom de la majorité de la Cour écrivait : « l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine[44]».

[63]        Il ajoutait : « je pense que la protection accordée par la Charte va jusqu’à interdire à un agent de police, qui est un mandataire de l’état, de se faire remettre une substance aussi personnelle que le sang d’une personne par celui qui la détient avec l’obligation de respecter la dignité et la vie privée de cette personne[45] ».

[64]        La protection n’est pas limitée à la remise de sang, elle s’applique également à l’information provenant des tests effectués pour des raisons médicales communiquée aux policiers[46].

[65]        Le cas en l’espèce démontre que les préoccupations en matière de vie privée dans les hôpitaux persistent. Le passage suivant du juge LaForest, écrit il y a près de 30 ans, est malheureusement toujours d’actualité : « les tribunaux doivent veiller tout particulièrement à empêcher les immixtions indues dans la vie privée des particuliers par suite de vagues arrangements pris entre le personnel hospitalier et les agents responsables de l’application de la loi[47]».

[66]        Récemment, la majorité de la Cour d’appel de l’Alberta dans Taylor[48], résumait le rôle des tribunaux dans pareille situation : « That said, as Major J. explained in Dersch, it is essential that the courts guard against a free exchange of information between healthcare professionals and the police.»

[67]        En somme, les lois et la jurisprudence confirment depuis longtemps que les renseignements contenus dans nos dossiers médicaux sont confidentiels et que chacun possède pour eux une expectative raisonnable de vie privée.

 

 

 

B.   Application aux faits de la cause

 

[68]        Réglons d’abord la question de l’application de la Charte. Les employés de l’hôpital n’étaient pas des mandataires de l’État, ils n’ont pas agi à la demande des policiers. La preuve n’indique pas que la prise de sang et la collecte de renseignements ont été faites pour des raisons autres que médicales[49]. La communication de l’alcoolémie dans le sang de la défenderesse par la coordonnatrice aux urgences Madame Cabana n’a pas été effectuée à titre de mandataire de l’état. Ses actions ne sont pas assujetties à un examen fondé sur la Charte.

[69]        Cela dit, l’obtention de l’information par les policiers met en cause la Charte[50]. La décision de la Cour d’appel de l’Alberta dans Erickson[51], est similaire au cas en l’espèce et nous guide sur la question de la violation de l’article 8 de la Charte.

[70]        Dans Erickson, suite à un grave accident de la route, l’accusé a été amené à l’hôpital. Pour des fins médicales, du sang a été prélevé. Le résultat de toxicologie indiquait la présence d’alcool dans le sang dans une proportion supérieure à la limite légale. Le médecin a avisé le policier que l’accusé était possiblement en état d’ébriété. Il a confirmé qu’un prélèvement de sang avait été effectué et qu’il l’avait en sa possession. Le médecin a dit au policier qu’un examen toxicologique avait été réalisé et le résultat exhibé au policier. Fort de cette information, le policier a obtenu un mandat de perquisition.

[71]        La Cour d’appel de l’Alberta a conclu à l’expectative raisonnable de vie privée de l’accusé. L’obtention de l’information par les policiers est une saisie au sens de l’article 8 de la Charte. Aucune loi ne permettait d’obtenir cette information. Conséquemment, elle a soustrait l’information de la dénonciation au soutien du mandat, déclaré les mandats non valides et conclut à une violation de l’article 8 de la Charte

[72]        En l’espèce, la situation est quasi identique à l’exception qu’on remplace le médecin par la coordonnatrice aux urgences.

[73]        La défenderesse possédait une expectative raisonnable de vie privée tout au long de son séjour à l’hôpital ce qui inclut les renseignements divulgués sur son alcoolémie. L’information contenue dans son dossier médical était confidentielle au sens de la loi et ne pouvait être divulguée.

[74]        En présence d’une expectative raisonnable de vie privée, reste à savoir s’il y a eu saisi au sens de la Charte. Les policiers ont obtenu de l’information confidentielle et protégée par la loi sans le consentement de la défenderesse. L’obtention de l’information par les policiers constitue une saisie aux fins de l’article 8 de la Charte[52].  

[75]        Ceci rend donc à première vue abusive la saisie des policiers. Il appartenait au ministère public de démontrer par prépondérance de probabilités qu’une loi permettait aux policiers de saisir l’information.

[76]        Analysons les différentes possibilités.

[77]        Les policiers n’avaient pas de soupçons et encore moins de motifs de croire à la commission d’une infraction. Ils n’auraient pas pu obtenir de mandat en vertu des dispositions pertinentes à la conduite avec les facultés affaiblies[53].

[78]        Malgré la mention en preuve de la présence des policiers afin d’aviser le coroner advenant un décès, la preuve n’indique pas que les policiers agissaient au nom du coroner dans le cadre d’une enquête[54]. La preuve est absente sur l’existence d’une enquête du coroner ou de quelconques demandes spécifiques ou autorisées par celui-ci aux agents de la paix.

[79]        Le ministère public n’a pas prouvé que l’obtention de l’information, contenue au paragraphe 4 de la dénonciation, présentée au soutien des autorisations judiciaires était autorisée par la loi, conséquemment il y a eu violation du droit garanti à l’article 8 de la Charte. L’information obtenue en violation doit donc être supprimée de la dénonciation au soutien du mandat et de l’ordonnance de communication.

[80]        Mais il y a plus. Le droit à la vie privée de la défenderesse a été violé sur plusieurs fronts. L’aspect territorial, de la personne et de l’information de sa vie privée ont été affectés par les actions des policiers.

[81]        L’agent Boucher sait que l’information médicale est confidentielle et il en connaît l’importance. Questionné sur la nécessité de sa présence à proximité de la défenderesse pendant ces quatre heures, Boucher répond qu’il s’agit de la procédure et qu’il était curieux. Lorsqu’une victime décède, il doit le savoir pour informer les autres.  Il doit s’informer sur l’étendue des blessures. Malgré tout, il est conscient d’être dans la vie personnelle de la défenderesse. Personnellement, il ne souhaiterait pas subir le même sort. Il explique également sa présence près de la victime pour des raisons d’efficacité. En raison de leur charge de travail, le personnel hospitalier n’a pas le temps de donner l’information, il ne pourrait donc obtenir l’information dont il a besoin autrement.

[82]        Le Tribunal reconnaît le caractère essentiel du rôle des policiers non seulement à titre de protecteur de l’ordre, la sécurité publique, la prévention et la répression du crime, mais également à titre de protecteur de la sécurité des personnes, attentifs aux besoins des victimes[55]. Ce rôle demande assurément qu’ils accompagnent, lorsque requis, une victime à l’hôpital et s’enquièrent de sa condition afin d’accomplir leur mission.

[83]        Malheureusement, en l’espèce, ce rôle de protecteur a été exercé avec zèle et curiosité mal placée. La défenderesse n’était pas détenue, soupçonnée ou enquêtée. Victime d’un accident et prise en charge par les professionnels de la santé son état était jugé critique. Elle ne représentait pas un danger pour elle-même ou autrui. Était-il nécessaire ou même approprié pour les agents Boucher et Church de demeurer si près et si longtemps dans le but de faire le lien avec la scène de l’accident? Assurément la réponse est non.

[84]        Les policiers ont empiété sur la vie privée de la défenderesse, et ce, tout au long de leur séjour dans les salles à l’urgence. La garde à son chevet inclut une longue liste d’atteinte à la confidentialité qui inclut la présence lors de la scanographie, lors de la prise de rayons X et l’agrafage du visage.

[85]        En raison de son état, la défenderesse ne pouvait réaliser que des policiers étaient présents. Cependant, permettre pareille intrusion, dans un contexte comme en l’espèce, pourrait mener un individu blessé à refuser des soins par peur de s’incriminer en raison de la présence de policiers. 

[86]        Les raisons données par l’enquêteur Lapierre sur la présence des policiers au chevet de la victime ne justifient pas non plus une si grande proximité. Le fait d’assurer un suivi, avoir le pouls de ce qui se passe, avoir la première version et dans l’éventualité d’un décès aviser le coroner, ne justifiaient aucunement la violation des droits à la vie privée et à la confidentialité dont bénéficiaient la défenderesse.

[87]        Il y a plus de 20 ans, le juge LaForest, pour la majorité de la Cour suprême, dénonçait la présence de policiers dans la salle d’urgence dans un contexte différent et écrivait : « Dans ces circonstances, la présence du policier dans la salle d’urgence ne pouvait que miner le rapport médecin-patient, car l’accusé pouvait raisonnablement déduire de cet état de choses que le personnel médical prêtait son concours à l’enquête policière[56]».

[88]        Le juge Berger, pour la majorité de la Cour d’appel de l’Alberta dans Taylor[57], résume le problème : “In our view, there was on the part of medical personnel an unfortunate acquiescence in permitting agents of the state, the police, to be side-by-side with medical personnel engaged in a medical procedure. In so doing, there was a failure on the part of the hospital to comply with its “duty to respect a person’s privacy

[89]        En somme, le droit garanti à l’article 8 de la Charte a été violé par l’obtention de l’information confidentielle et la présence à proximité des policiers tout au long de l’hospitalisation de la défenderesse.

La deuxième question en litige :

 

Est-ce que les ordonnances judiciaires doivent être déclarées invalides?

[90]        Advenant une conclusion de violation du droit garanti à l’article 8 de la Charte dans l’obtention de l’information, le ministère public admet l’insuffisance des motifs pour l’émission de l’ordonnance de communication et du mandat et conséquemment leur invalidité. Évidemment, le Tribunal n’est pas lié par une telle admission.

[91]        En pareille circonstance, que doit faire le Tribunal? La Cour suprême résume la marche à suivre dans Grant (1993)[58]:

« Dans l'arrêt R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421, notre Cour a formulé, à la p. 1452, le critère qui, du point de vue constitutionnel, permettra de déterminer s'il y a suffisamment de renseignements pour servir de fondement à un mandat :

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation.  Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir.

Dans l'arrêt Kokesch, précité, notre Cour a statué que les éléments de preuve obtenus au cours d'une perquisition menée en vertu d'un mandat devaient être exclus en vertu du par. 24(2) de la Charte dans le cas où le mandat a été obtenu sur la foi d'une dénonciation relatant des faits dont la police n'a pu être au courant que par suite d'une violation de la Charte.  Toutefois, dans des circonstances comme en l'espèce où la dénonciation faisait état d'autres faits que ceux obtenus en contravention de la Charte, le Tribunal qui siège en révision doit examiner si le mandat aurait été décerné sans la mention, dans la dénonciation faite sous serment aux fins de l'obtention du mandat, des faits obtenus d'une façon abusive:  Garofoli, précité.  De cette façon, le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon.  En conséquence, le mandat et la perquisition en l'espèce seront jugés valides en vertu de la Constitution si le mandat avait été décerné sans la mention dans la dénonciation des constatations faites lors des perquisitions périphériques inconstitutionnelles. »

[92]        Après examen de la dénonciation produite au soutien du mandat de perquisition et de l’ordonnance de communication, en supprimant l’information obtenue en contravention de la Charte, le Tribunal conclut, à l’instar du ministère public, que le juge de paix magistrat ne pouvait accorder les autorisations judiciaires. Conséquemment, le mandat de perquisition et l’ordonnance de communication sont déclarés invalides.

La troisième question en litige :

 

Les autorisations judiciaires étant invalidées, y a-t-il violation des droits de la défenderesse garantis par l’article 8 de la Charte lors de la saisie des échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie ainsi que son dossier médical?

 

[93]        La défenderesse bénéficie d’une expectative raisonnable de vie privée quant aux échantillons de sang prélevés, aux résultats de toxicologie ainsi que le dossier médical. Une loi devait autoriser la saisie par les policiers. Les autorisations judiciaires ayant été invalidées, le ministère public devait démontrer que la saisie était autorisée par une autre loi, ce qu’il n’a pas fait. Conséquemment, la saisie de ces éléments de preuve a été faite en contravention à l’article 8 de la Charte.

 

La quatrième question en litige

 

Étant donné la violation à l’article 8 de la Charte, les échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie et le dossier médical doivent-ils être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

[94]        D’entrée de jeu, le Tribunal tient à spécifier qu’il ne fait pas de distinction entre les échantillons de sang, les résultats de toxicologie et le rapport médical. Ces éléments n’auraient jamais été en possession des autorités sans l’information obtenue en contravention des droits garantis par la Charte.

 

A.  Les principes juridiques applicables

 

[95]        Le paragraphe 24(2) de la Charte a comme objet de préserver la considération dont jouit l’administration de la justice[59]. Cette expression doit être «prise dans l’optique du maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance à son égard[60] ». L’objet est également prospectif, la violation de la Charte signifie que l’administration de la justice a déjà été mise à mal, le par. 24(2) vise à faire en sorte que la violation ne déconsidère pas davantage l’administration de la justice[61]. Enfin, l’objet est sociétal, il ne vise pas à sanctionner les policiers ou dédommager l’accusé. Il se rapporte : « aux importantes répercussions de l’utilisation d’éléments de preuve sur la considération à long terme portée au système de justice[62]».

[96]        Dans Grant (2009), la majorité de la Cour suprême sous la plume de la juge en chef McLachlin et la juge Charron résume le test applicable :

« Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu’il faut, pour déterminer si l’utilisation d’un élément de preuve obtenue en violation de la Charte déconsidérerait l’administration de la justice, examiner trois questions tirant chacune leur origine des intérêts publics sous-jacents au par. 24(2), considérés à long terme dans une perspective sociétale prospective.  Ainsi, le Tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond.  Le rôle du Tribunal appelé à trancher une demande fondé sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[63]».

[97]        Le ministère public argue qu’étant donné l’analogie entre les faits dans Erickson ainsi que ceux en l’espèce, la Cour devrait conclure à la  manière de la Cour d’appel de l’Alberta et de la Cour suprême du Canada et ne pas exclure la preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte[64].

[98]        Avec égards, le test qui régissait l’exclusion de la preuve sous le par. 24(2) à l’époque est différent de celui qui prévaut aujourd’hui suite à l’arrêt Grant. La décision dans Erickson a été rendue à l’ère de la distinction entre preuve matérielle et preuve auto-incriminante. À l’époque, de façon générale, l’étiquette d’une preuve comme étant matérielle entraînait normalement son admission lorsque la violation n’était pas grave[65]. Le test ayant changé et chaque cas étant un cas d’espèce, le Tribunal doit analyser la preuve à l’aide de ce nouveau test.

 

B.  Application aux faits de la cause

 

1.      La gravité de la conduite attentatoire

 

[99]        Au-delà de l’obtention de l’information liée au paragraphe litigieux, l’ensemble des gestes des policiers a mené à des violations aux droits à la vie privée et à la confidentialité de la défenderesse. Le tout a été fait en toute connaissance de cause par les policiers.

[100]     La confidentialité des renseignements contenus dans nos dossiers médicaux est protégée par une multitude de lois. Les tribunaux écrivent depuis au moins 30 ans qu’il doit y avoir un respect par les agents de l’État de la séparation entre soins et enquête. Malgré cela et sous le couvert de bonnes intentions, le zèle, la curiosité mal placée et les questions posées malgré la connaissance de la violation de la confidentialité par les policiers rendent les gestes de ces derniers graves. Ceci exige que le Tribunal se dissocie de cette conduite.  

[101]     De plus, le Tribunal ne peut passer sous silence, le manquement au droit à la confidentialité du personnel hospitalier qui contribue à la gravité de la conduite[66].

[102]     Toutes ces raisons militent en faveur de l’exclusion de la preuve. 

 

 

2.      L'incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte

 

[103]     Cette question met l’accent sur l’importance de l’effet de la violation sur les droits garantis par la Charte[67].

[104]     L’aspect territorial, personnel et de l’information du droit à la vie privée sont tous les trois affectés. L’incidence de la violation est donc importante. Ceci favorise l’exclusion de la preuve.

 

3.      L'intérêt de la société de juger de l'affaire au fond

 

[105]     La société s’attend à ce que les accusations soient jugées au fond. Cette question exige que le Tribunal détermine si la fonction de la recherche de la vérité est mieux servie par l’exclusion ou l’admission de la preuve[68]. La fiabilité et la nécessité de la preuve pour le ministère public sont des considérations pertinentes[69].

[106]     La gravité de l’infraction l’est également[70] mais peut jouer dans les deux sens. Comme l’écrivait la majorité de la Cour suprême dans Grant : « L’exclusion d’éléments de preuve qui empêche l’examen judiciaire d’une infraction grave peut avoir un effet immédiat sur la perception publique du système de justice, mais nous le répétons, c’est la considération dont il jouit à long terme qui importe pour l’application du par. 24(2)[71]

[107]     Plus loin la majorité de la Cour ajoute : « La clameur publique immédiate exigeant une condamnation ne doit pas faire perdre de vue au juge appelé à appliquer le par. 24(2) la réputation à plus long terme du système de justice.  En outre, si la gravité d’une infraction accroît l’intérêt du public à ce qu’il y ait un jugement au fond, l’intérêt du public en l’irréprochabilité du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales[72]

[108]     La défenderesse est accusée d’une infraction grave, sérieuse et constamment dénoncée par les tribunaux et le législateur en raison des conséquences tragiques qui peuvent en résulter. Les faits en l’espèce confirment les pires craintes associées à la conduite avec les facultés affaiblies, deux personnes sont décédées suite à l’accident.

[109]     La preuve est matérielle, fiable et nécessaire au ministère public. Sans le prélèvement de sang, les résultats de toxicologie et le rapport médical, le ministère public ne sera pas en mesure de faire la preuve de l’infraction entravant par le fait même la recherche de la vérité.

[110]     Cependant, la Charte protège les droits à long terme. Aux yeux du Tribunal, un citoyen informé et raisonnable privilégierait cette protection à long terme.  Que dire de plus que ce qu’écrivait le juge LaForest il y a près de 30 ans : « la confiance du public serait mise à rude épreuve si l’on devait autoriser la circulation libre et informelle de renseignements et particulièrement de substances corporelles, des hôpitaux vers la police[73]. » En somme : « ce genre de pratique est susceptible de déconsidérer à la fois l’administration des services de santé et celle de la justice[74] ».

[111]     L’analyse de cette question favorise l’exclusion de la preuve.

 

4.  La mise en balance (point d'équilibre entre les intérêts individuels  et ceux de la société)

 

[112]     Le Tribunal doit mettre en balance les différents facteurs identifiés dans les trois questions et déterminer si, tout compte fait, l’utilisation des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte déconsidérerait l’administration de la justice[75].

[113]     Même bien intentionnés et sans malice, les policiers peuvent, à l’occasion, dépasser les limites de ce que la société est prête à accepter comme action dans le cadre de leur travail. Malheureusement, ces actions contraires à nos droits fondamentaux surviennent dans un dossier qui a entraîné la mort de deux personnes et des blessures de personnes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Le Tribunal le répète, les policiers doivent accomplir leur mission et avoir les outils légaux pour le faire. À contrario, ils doivent savoir quand les bornes sont dépassées et se retirer. 

[114]     Le Tribunal est d’avis qu’après pondération de tous les facteurs, l’utilisation des éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice.

CONCLUSIONS 

 

Pour toutes ces raisons, le Tribunal, 

 

ACCUEILLE la requête;

 

DÉCLARE contraire à l’article 8 de la Charte l’obtention de l’information au paragraphe 4 de la dénonciation au soutien du mandat de perquisition et de l’ordonnance de communication;

 

DÉCLARE invalide le mandat de perquisition décerné le 15 août 2012 et l’ordonnance de communication émise le 15 août 2012;

DÉCLARE contraire à l’article 8 de la Charte la saisie des échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie et le dossier médical de la défenderesse;

EXCLUT la preuve des échantillons de sang prélevés, les résultats de toxicologie et le dossier médical de la défenderesse.

 

 

 

__________________________________

THIERRY NADON, J.C.Q.

 

Me Lucie Martineau

Procureure de la poursuite

 

Me Pierre Joyal

Procureur de la défenderesse

 

Dates d’audience :

9,10 avril et 4 mai 2015

 



[1] R-2, p. 53.

[2] R-2, p. 53.

[3] R. c. Pohoretsky, [1987] 1 R.C.S. 945.

[4] Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483, R. c. Dersch, [1993] 3 R.C.S. 768.

[5] Stoffman, supra, p.516.

[6] Dersh, supra, p.776.

[7] 2010 CSC 55, par. 20.

[8] R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, 431.

[9] R. c. Cole, 2012 CSC 53, par. 35.

[10] R. c. Tessling, 2004 CSC 67,  par.25.

[11] R. c. A.M., 2008 CSC 19, par. 33, R. c. Patrick. 2009 CSC 17, par. 14.

[12] Cole, supra, par. 40.

[13] A.M., supra, par. 36.

[14] R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8, par. 11. (j. Sopinka)

[15] Patrick, supra, par. 26.

[16] R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13.

[17] R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36.

[18] R. c. Campbell, 2011 CSC 32.

[19] R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527.

[20] Tessling, supra, par. 21.

[21] R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, R. c. Golden, 2001 CSC 83.

[22] R. c. Rodgers, 2006 CSC 15.

[23] Dyment, supra, Dersch, supra, Pohoretsky, supra.

[24] Cole, supra, par. 49.

[25] R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, Tessling, supra, par. 26.

[26] A.M., supra, par. 68.

[27] R. c. Colarusso,[1994] 1 R.C.S. 20, 53; Patrick, supra, par. 38.

[28] Tessling, supra, par. 23, Gomboc, supra, par. 19, Cole, supra, par. 42.

[29] Cole, supra, par. 46.

[30] Voir également la Loi sur la santé publique, L.R.Q, c. S. 2-2, art. 131-135. la Loi concernant le partage de certains renseignements de santé, L.R.Q., c. P-9.000.la Loi médicale, L.R.Q., c. M-9, art. 42. et la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., c. A-2.1 (art. 3 et 7, 53-63)

[31] R.L.R.Q., c. S-4.2

[32] Par. 19(7) et art. 19.0.1 L.S.S.S.S.                            

[33] 19(1) L.S.S.S.S. voir également les articles 19-28.

[34] Par. 19(7) et art. 19.0.1 L.S.S.S.S.

[35] Par. 19(10) L.S.S.S.S., art. 9 Loi visant la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des  armes à feu, L.R.Q., c. P. 38.0001.                        

[36] Voir pour mandat ou contrat de service, art. 27.1, 27.2 L.S.S.S.S.

 [37] Par. 19(8) L.S.S.S.S., art. 192 Code des professions.

[38] R.R.Q., c. M-9, r. 17. 

[39] Code de déontologie des infirmières et infirmiers, R.R.Q, c. I-8, r. 4.1, art. 31.

[40] Art. 20, Code de déontologie des médecins.

[41] Art. 21, Code de déontologie des médecins.

[42] [1992] 2 R.C.S. 138, à la p. 148.

[43] Dyment, supra, par. 29.

[44] Dyment, supra, par. 27.

[45] Dyment, supra, par. 28.

[46] R. c. Erickson, 1992 ABCA 69, confirmé à [1993] 2 R.C.S. 649. L’article 9 de la L.S.S.S.S. prévoit que nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, un prélèvement fait partie de la définition de soins                                             

[47] Dyment, supra, par. 29.

[48] R. c. Taylor, 2013 ABCA 342, par. 22. confirmé pour d’autres raisons 2014 CSC 50.

[49] R. c. Gagnon, 1995 CanLII 5285. (C.A.Qué)

[50] Dersch, supra, p. 778.

[51] Supra.

[52] Dyment, supra, Erickson, supra, par. 20.  

[53] Art. 254, 256 C.cr.

[54] Le coroner a pour fonctions d’établir l'identité de la personne décédée; la date et le lieu du décès; les causes probables du décès, à savoir les maladies, les états morbides, les traumatismes ou les intoxications qui ont causé le décès ou y ont abouti ou contribué et les circonstances du décès. (Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, L.R.Q., c.R-.02, art. 2) Sa tâche exclut celle d’attribuer une faute civile ou criminelle. (art. 4) Le médecin ou toute personne doivent l’aviser ou un agent de la paix lorsque la cause d’un décès ne peut être établie ou lorsque le décès est attribuable à de la négligence ou des circonstances obscures et violentes. (art. 34, 36) Il doit enquêter lorsque l’avis est donné et dans ce cadre s’adjoindre les policiers pour effectuer le travail. (art. 45, 47) Il peut examiner les dossiers détenus par les hôpitaux (Partie 1, chapitre II, Titre II, L.S.S.S.S.) lorsqu’une personne y décède. (art. 48.1) La consultation du dossier n’est possible que dans le cadre de ses fonctions et il doit le retourner des qu’il n’est plus requis. Un procès-verbal doit être dressé. (art. 58-59) Un policier ne peut saisir ce dossier sans une autorisation du coroner. (art. 67).

[55] Loi sur la police, R.L.R.Q. c. P. 13.1, art. 48, R. c. Godoy, [1999] 1 R.C.S. 311, 320, par. 15.

[56] Colarusso, supra, p. 57.

[57] Supra, par.34.

[58] R. c. Grant, 1993 CanLii 68. (CSC)

[59] R. c. Grant, 2009 CSC 32, par. 67.

[60] Grant, supra, par. 68.

[61] Grant, supra, par. 69.

[62] Grant, supra, par. 70.

[63] Grant, supra, par. 71.

[64] Voir au même effet, R. c. Dagloria, 1994 CanLii158 (C.A.Ont.) Colarusso, supra.

[65] Grant, supra, par. 59-66.

[66] Dersch, supra, p. 779.

[67] Grant, supra, par. 76.

[68] Grant, supra, par. 79.

[69] Grant, supra, par. 81-83.

[70] Grant, supra, par. 84.

[71] Grant, supra, par. 84.

[72] Grant, supra, par. 84.

[73] Dyment, supra, par. 38.

[74] Dyment, supra, par. 38.

[75] Grant, supra, par. 85-86.

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