Décision

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Décision

Gauthier c. Boivin

2016 QCRDL 28502

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

174135 31 20140911 G

No demande :

1575657

 

 

Date :

16 août 2016

Régisseure :

Manon Talbot, juge administrative

 

MARTINE GAUTHIER

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

FRANCINE BOIVIN

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une demande introduite le 11 septembre 2014, la locatrice demande l’expulsion de la locataire et des dommages-intérêts pour une somme de 11 000 $.

CONTEXTE

[2]      Les parties sont liées par un bail reconduit depuis 2006 au loyer mensuel de 955 $ jusqu’au 30 juin 2016.

[3]      Le logement est situé au premier étage d’un immeuble de type triplex. Le rez-de-chaussée d’usage commercial est occupé par la locatrice pour son entreprise d’esthétique et son conjoint pour son étude de comptable. Le deuxième étage est un logement occupé par ces derniers.

[4]      Les griefs de la locatrice à l’encontre de la locataire se résument à ce qui suit :

1.    Dommages à la cuisine (5 000 $);

2.    Dommages causés par le débordement de la toilette (2 000 $);

3.    Dommages à la baignoire (1 000 $);

4.    Sous-location illégale du logement (3 000 $);

5.    Encombrement des balcons avant et arrière et de la sortie d’urgence.

QUESTION EN LITIGE

[5]      La locataire a-t-elle manqué à ses obligations envers la locatrice justifiant cette dernière de demander la résiliation du bail et des dommages?

LES PRÉTENTIONS DE LA LOCATRICE

La cuisine

[6]      Le conjoint de la locatrice témoigne que la locataire participait à un article d’un magazine de décoration en 2009-2010.

[7]      Pour cet événement, des feuilles d’aluminium ont été collées sur les portes d’armoire de la cuisine sans leur autorisation, mais devaient être retirées après la prise de photographies.

[8]      Or, l’état des armoires est toujours le même, malgré les demandes répétées de remettre les armoires dans l’état original.


[9]      De plus, il explique qu’une porte d’armoire est manquante, les cadrages sont enlevés, le comptoir endommagé et les tiroirs peints en noir.

[10]   Le conjoint de la locatrice explique que la cuisine a été rénovée à neuf en 2004 et qu’une somme de 6 000 $ fut dépensée pour les nouvelles armoires en thermoplastique et un comptoir de cuisine. Il établit donc les dommages à une somme de 5 000 $.

[11]   Il ajoute qu’il souhaite vendre sa propriété, ce qui lui est impossible de faire avec une cuisine dans un tel état, décrie-t-il.

[12]   C’est pourquoi une mise en demeure fut expédiée par la locatrice à la locataire le 14 septembre 2010 lui enjoignant d’enlever les feuilles d’aluminium et de l’informer de la couleur qu’elle entend utiliser pour repeindre les lieux.

[13]   Cette lettre a été suivie d’une mise en demeure expédiée par le procureur de la locatrice à la locataire en juillet 2013 concernant la restauration de la cuisine, mais également sur les objets laissés sur les balcons obstruant notamment la sortie d’urgence et l’utilisation de peinture aérosol sur le bitume du stationnement.

Salle de bain

[14]   Le conjoint de la locatrice explique qu’au mois d’août 2014, la toilette du logement de la locataire a débordé et crée des dommages au plafond du logement à l’étage inférieur.

[15]   À son avis, la toilette fut bouchée par la locataire puisqu’il ne s’agit pas d’un problème de plomberie (drain principal) de l’immeuble qui est en cause.

[16]   Lorsque la locataire l’a avisé que la toilette avait débordé, il lui a mentionné d’appeler ses assurances. Or, la toilette s’est débouchée toute seule, dit-il.

[17]   Les réparations au plafond seront effectuées lorsqu’il fera les travaux de la cuisine dans le logement de la locataire, précise-t-il.

[18]   Il estime que les travaux lui coûteront 2 000 $ pour éviter la prolifération de moisissures.

[19]   Pour soutenir ses prétentions, le témoin produit deux photographies démontrant un cerne sur un plafond.

Baignoire

[20]   La baignoire en acrylique dans le logement de la locataire est mal entretenue et tachée de façon permanente, déclare le conjoint de la locatrice, lequel s’explique mal cette dégradation alors que la même baignoire fut installée dans leur logement et maintenue en parfaite condition.

[21]   La baignoire sera donc remplacée et des travaux de céramique seront également nécessaires pour un coût qu’il estime à 1 000 $.

Sous-location illégale

[22]   Le conjoint de la locatrice raconte avoir été informé que la locataire sous-louait son logement sans autorisation par une décision de la Régie du logement du 30 novembre 2010 condamnant la locataire à restituer un dépôt de sécurité à un dénommé Michel Truteau, lequel louait de la locataire le logement meublé pour une durée de deux mois.

[23]   La décision produite révèle ce qui suit :

« [2] Par bail daté du 3 avril 2008, monsieur Michel Truteau louait de madame Francine Boivin le logement meublé situé au 2484 Beaubien Est pour une durée de deux mois. Un dépôt de 3 000 $ a alors été exigé pour garantir que les biens meublants les lieux seraient remis à la fin du bail.

[3] À la fin du contrat, madame Boivin a remis un chèque de 3 000 $ en guise de remboursement, mais l'effet bancaire n'a pas été honoré. Le chèque a été retourné avec la mention « compte introuvable ».

[4] Une mise en demeure a été transmise à la locatrice le 21 août 2008. Elle est demeurée sans réponse.

(…)

[9] Quant au fond du litige, madame Boivin explique avoir conservé le dépôt à cause des dommages qui auraient été faits aux murs pendant les deux mois d'occupation.


[10] Tel qu'expliqué à l'audience, une partie ne peut se faire justice elle-même en déterminant que les dommages constatés équivalent le montant du dépôt prélevé. Cette évaluation doit se faire par le tribunal.

[11] Mais il y a plus, l'article 1904 du Code civil du Québec prévoit :

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté. »

[12] Il était donc interdit à la locatrice d'exiger un dépôt en début de bail. Par conséquent, c'est sans droit qu'elle l'a fait et ce dépôt doit être remboursé à monsieur Truteau.

[13] Finalement, le tribunal accorde peu de foi aux prétentions de madame Boivin concernant les dommages constatés. En effet, si tel avait été la situation elle aurait avisé le principal intéressé bien avant l'audience et elle ne lui aurait certainement pas remis un chèque de 3 000 $ en guise de remboursement. De surcroît, il est constaté que madame Boivin a tiré le chèque d'un compte bancaire inexistant, ce qui diminue d'autant la force probante de sa défense.

[14] VU ce qui précède, la demande de monsieur Truteau est accueillie.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[15] CONDAMNE Francine Boivin à payer à Michel Truteau la somme de 3 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 21 août 2008, plus les frais judiciaires de 70 $. »

[24]   La locatrice réclame donc de la locataire la somme de 3 000 $ à laquelle le tribunal de la Régie du logement l’a condamnée. D’une part, car monsieur Truteau ne semble pas avoir été remboursé de cette somme, et d’autre part, selon la demande introduite, parce qu’il s’agit des revenus perçus par la locataire pour la location du logement.

[25]   En somme, la locatrice prétend que la locataire manque à ses obligations dans l’entretien du logement, ce qui lui cause un préjudice sérieux et empêche la vente de l’immeuble. Elle indique à sa procédure que la locataire « est en train de détruire notre appartement ».

LES PRÉTENTIONS DE LA LOCATAIRE

La cuisine

[26]   La locataire reconnaît avoir participé au magazine Decormag en mai 2008 et non en 2009-2010 avec l’accord de la locatrice avec qui elle entretenait de bonnes relations à l’époque. Elle se souvient que cette dernière lui ait mentionné qu’elle souhaitait rencontrer son designer pour sa résidence.

[27]   Elle affirme ne pas avoir endommagé les lieux et qu’elle pourra remettre les armoires de cuisine dans leur état original en retirant les feuilles d’aluminium, repeignant les tiroirs et réinstallant la porte d’armoire retirée volontairement.

La baignoire et la salle de bain

[28]   Selon la locataire, le bain est dans un bon état considérant un usage de plus de 10 ans.

[29]   Il y a bien eu un refoulement de la toilette et de l’évier en 2014 selon la locataire.

[30]   Cependant, elle a elle-même fait exécuter les réparations par un plombier en raison d’un problème persistant, tel qu’il appert de la facture du 12 septembre 2014 parce que le conjoint de la locatrice avait constaté les dégâts trois jours auparavant sans intervenir.

[31]   La locataire produit également une mise en demeure expédiée à la locatrice le 22 septembre 2014, dont le courrier recommandé n’a pas été réclamé.

[32]   Dans celle-ci, la locataire relate les problèmes rencontrés avec son logement pour lesquels le conjoint a refusé d’agir et constituent, à son avis, un moyen détourné pour la voir quitter les lieux et offrir en vente un immeuble avec un logement vacant.

[33]   Elle souligne que l’immeuble était en vente en 2014 depuis deux ans et qu’il l’est toujours actuellement par ailleurs.


[34]   De plus, elle explique que lors de son arrivée au logement, les relations étaient très bonnes. La locatrice lui accordait le droit ponctuellement d’utiliser leur espace de stationnement et de ranger des effets sous le balcon.

[35]   Elle nie les allégations du conjoint de la locatrice concernant les déchets qu’elle laisse traîner sur les balcons et qui obstruent l’escalier de secours.

[36]   La locataire a fait entendre Jean Ellezam, désigner et ami depuis plus de 40 ans de la locataire et connaissance du conjoint de la locatrice, lequel fut déjà son comptable et dont les relations sont bonnes.

[37]   Il témoigne que la locataire entretient de façon méticuleuse son logement et avoir vu une affiche il y a environ huit à 12 mois que l’immeuble était à vendre, mais qu’il n’a pas revue récemment.

[38]   Le conjoint de la locataire, Feliciano Boni, relate qu’ils sont mariés depuis 2008 et être en couple depuis 14 ans.

[39]   Il s’occupe de l’entretien d’immeubles dans l’arrondissement de ville Saint-Laurent.

[40]   Monsieur Boni corrobore le témoignage de la locataire en ce qui a trait à l’état du bain et le débordement de la toilette.

[41]   Quant aux armoires de cuisine, selon lui, les feuilles d’aluminium peuvent être retirées à l’aide de diluant à peinture.

[42]   À son avis, il y a un problème avec la plomberie entre les deux étages de l’immeuble.

[43]   De plus, il considère que l’immeuble de la locatrice est mal entretenu.

ANALYSE ET DÉCISION

[44]   Le Tribunal doit déterminer si la locataire agit en contravention de ses obligations contractuelles.

[45]   Dans l'affirmative, est-ce que la locatrice a fait la preuve d'un préjudice sérieux qui justifie la résiliation du bail ?

[46]   Est-ce que la locataire a causé des dommages au logement et si oui, pour quel montant?

[47]   Pour réussir dans sa demande, la locatrice a le fardeau de prouver les faits qui soutiennent ses prétentions, et ce, au moyen d'une preuve probante.

[48]   De fait, selon les dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec, il revient à la partie demanderesse de faire la preuve des faits au soutien de ses prétentions :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée ».

[49]   Tel que susdit, cette preuve doit faire en sorte que les faits ainsi présentés sont probables, selon l'article 2804 du Code civil du Québec :

« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante ».

[50]   Pour sa part, l'article 2845 du Code civil du Québec édicte que :

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. »

[51]   Quant à la qualité que doit revêtir la preuve offerte à l'appréciation du Tribunal et les conséquences pour la partie demanderesse de ne pas se décharger de son fardeau de preuve, l'auteur Léo Ducharme énonce que :

« S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve.

En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »[1]


[52]   La locatrice doit donc démontrer l'inexécution d'une obligation de la locataire selon la règle relative à la prépondérance de preuve.

[53]   Le recours de locatrice, tel que déposé, est fondé sur l'article 1863 du Code civil du Québec qui édicte ce qui suit :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

[54]   En l’instance, il n’est pas contredit que la cuisine a été modifiée par la locataire.

[55]   Cependant, la preuve est contradictoire quant à savoir si la locataire fut autorisée ou non à faire lesdits travaux.

[56]   En revanche, la demande de la locatrice voulant que les travaux aient détérioré les lieux est non prépondérante et prématurée à ce stade-ci puisque la locataire affirme pouvoir remettre les armoires dans le même état qu’avant les travaux lorsqu’elle quittera le logement.

[57]   De plus, la locatrice n’a pu établir la valeur des dommages, si dommages il y a, autrement que par les allégations de son conjoint voulant que les rénovations de la cuisine lui ont coûté 6 000 $ en 2004 pour justifier une réclamation au montant de 5 000 $, ce qui est nettement insuffisant pour soutenir ses prétentions.

[58]   La preuve est également contradictoire quant à l’état de la baignoire et la valeur des dommages allégués n’est autrement supportée que par le témoignage du conjoint de la locatrice établissant celle-ci à 1 000 $.

[59]   La preuve quant aux dommages au plafond du logement au 1er étage est également déficiente et prématurée considérant que les travaux n’ont pas été exécutés et que les prétendus problèmes de moisissures n’ont pas été démontrés.

[60]   Il est par ailleurs étonnant que la locatrice ne s’empresse pas à effectuer cette réparation si son conjoint craint la prolifération de moisissures depuis 2014 et qu’elle souhaite vendre la propriété.

[61]   Quant à la sous-location du logement par la locataire, cette situation remonte à 2008 et a fait l’objet d’une décision du tribunal en 2010.

[62]   D’une part, rappelons qu’un locataire a le droit de sous-louer son logement selon l’article 1871 du Code civil du Québec, mais un avis au locateur doit être transmis.

[63]   De plus, pour obtenir la résiliation du bail pour ce motif, la locatrice devait établir le préjudice sérieux subi, ce qu'elle n'a pas fait. 

[64]   D’autre part, la réclamation pour une somme de 3 000 $ en raison de cette sous-location, même non autorisée, ne se justifie aucunement.

[65]   Quant aux autres reproches formulés concernant les déchets et l’encombrement sur le balcon, l’utilisation sporadique du stationnement non autorisé et la peinture pulvérisée sur l’asphalte, la preuve contradictoire ne permet pas de départager le vrai du faux.

[66]   À l’évidence, les relations sont tendues entre le conjoint de la locatrice et la locataire et cette tension était bien présente lors de l’audition.

[67]   Le Tribunal considère que les allégations du conjoint de la locatrice sont empreintes d’exagération et font en sorte qu’une plus grande force probante est accordée aux témoignages en défense.

[68]   En conclusion, le Tribunal estime que la preuve de la locatrice est insuffisante pour conclure à un manquement de la locataire à ses obligations contractuelles justifiant la résiliation du bail et la condamnation à des dommages.

[69]   La demande est donc rejetée.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[70]   REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Manon Talbot

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Date de l’audience :  

30 mai 2016

 

 

 


 



[1] Ducharme, Léo, Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Wilson et Lafleur ltée, p. 62. 

AVIS :
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