Décision

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Lefebvre c. Mondou

2023 QCTAL 21257

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

655902 31 20220926 T

No demande :

3932755

 

 

Date :

13 juillet 2023

Devant la juge administrative :

Francine Jodoin

 

Michel Lefebvre

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Pierre Mondou

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locataire demande la rétractation d’une décision rendue le 9 décembre 2022.

[2]         Il est absent à l’audience sur cette demande.

[3]         La décision contestée résilie le bail et emporte condamnation à payer les loyers exigibles pour septembre, octobre et novembre 2022.

[4]         Selon la mandataire du locateur, le locataire a quitté le logement le jour même de l’audience le 22 novembre 2022 en indiquant qu’il s’absentait hors du pays pour plusieurs mois.

[5]         La demande de rétractation est produite plus de 6 mois après que la décision a été rendue.

[6]         Il allègue à sa procédure ne pas s’être présenté à l’audience n’ayant jamais reçu l’avis de convocation. Il mentionne même que le locateur l’a empêché de recevoir son courrier.

[7]         Par ailleurs, il n’invoque aucun moyen de défense à sa demande.

[8]         La mandataire du locateur déclare que toutes ces allégations sont un tissu de mensonges. Le locataire était présent à l’audience ayant conduit à la décision. Il n’a toujours pas payé les loyers dus, mais le logement a pu être reloué rapidement.

[9]         L’article 89 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] (LTAL) permet la rétractation d’une décision lorsqu’une partie est empêchée de se présenter ou de fournir une preuve à l’audience, par surprise, fraude, ou autre cause jugée suffisante.

[10]     Cette demande doit être produite dans les 10 jours de la connaissance de la décision rendue.

[11]     Or, plus de 6 mois s’écoulent depuis que la décision est rendue.

[12]     D’ailleurs, étonnamment, son avis de non-disponibilité daté du 11 octobre 2022 et produit au dossier indique qu’il sera absent du 15 novembre 2022 au 23 avril 2023 alors que dans les faits, il s’est présenté à l’audience du 22 novembre tel que l’atteste le procès-verbal de l’audience et la décision.


[13]     À supposer même que le locataire était à l’extérieur du pays, à partir de cette date, il ne pouvait partir sans se préoccuper du dossier en sachant qu’une décision allait être rendue.

[14]     Il a aussi produit un avis de changement d’adresse en date du 8 juin qui est erroné selon la mandataire du locateur puisque l’adresse indiquée n’existe pas.

[15]     Conformément à l’article 30 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement[2] et à la lumière de l’analyse du dossier et des représentations de la mandataire du locateur, l’absence du locataire provoque le rejet de la demande.

[16]     En effet, le locataire ne peut justifier son absence pour un motif valable. Par ailleurs, à leur face même, les allégations de la demande sont erronées et mensongères quant au fait que le locataire n’a pas reçu l’avis de convocation.

[17]     L’article 63.2 de la LTAL prévoit ceci :

« 63.2. Le Tribunal peut, sur demande ou d’office après avoir permis aux parties intéressées de se faire entendre, rejeter un recours qu’il juge abusif ou dilatoire ou l’assujettir à certaines conditions.

Lorsque le Tribunal constate qu’une partie utilise de façon abusive un recours dans le but d’empêcher l’exécution d’une de ses décisions, il peut en outre interdire à cette partie d’introduire une demande devant lui à moins d’obtenir l’autorisation du président ou de toute autre personne qu’il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu’il désigne détermine.

Le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif ou dilatoire d’un recours, condamner une partie à payer, outre les frais visés à l’article 79.1, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les autres frais que celle-ci a engagés, ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs. Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le Tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine. »

[18]     Cette disposition vise à sanctionner une partie « qui utilise de façon abusive un recours dans le but d'empêcher l'exécution d'une de ses décisions ». Dans ce cas, le Tribunal administratif du logement peut encadrer la production d'une nouvelle demande par une demande d’autorisation.

[19]     La constatation qu'une partie utilise de façon abusive un recours ne s'effectue pas à la légère ou par souci d'accommoder une partie qui est exaspérée par le recours exercé. En effet, il existe des conséquences sérieuses à la qualification d'une procédure abusive[3] et le Tribunal doit motiver sa décision par une analyse sérieuse des faits mis en preuve[4].

[20]     Les tribunaux ont aussi rappelé que l'émission d'une telle interdiction ne peut se faire à la légère[5] et encore moins par complaisance, en raison des conséquences sérieuses qui peuvent en découler[6]. En effet, l’article 63.2 LTAL permet, en certaines circonstances[7], de réclamer les dommages en réparation du préjudice subi et même des dommages punitifs.

[21]     Cela dit, le Tribunal constate, ici, que l’imposition d’une limitation procédurale s’impose.

[22]     Le recours du locataire produit plus de 6 mois après que la décision a été rendue était voué à l’échec et de surcroit comporte des allégations mensongères et erronées[8] en ce qui concerne son empêchement d’être présent à l’audience.

[23]     De surcroit, cette demande est de toute évidence hors délai. De plus, le locataire avait, en effet, l’obligation d’assurer un suivi de son dossier[9] en sachant dès le 22 novembre 2022 qu’une décision suivrait ou de faire son changement d’adresse[10] ce qui ajoute à la précarité de son recours.

[24]     Cela dit, il n’invoque aucun moyen de défense contrairement à l’article 44 du Règlement sur la procédure et celui qu’il a invoqué à l’audience sur la demande du locateur n’a pas été admis.

[25]     Le présent recours apparaît futile et dilatoire.

[26]     En raison des ressources judiciaires limitées, ce qui est particulièrement vrai au Tribunal administratif du logement et bien qu'il n'y ait pas d'automatisme à cet égard[11], on ne peut tolérer qu'une partie utilise le processus judiciaire à la légère, à mauvais escient ou de façon répétée et sans fondement réel sans qu'en conséquence, il en résulte une déconsidération de l'administration de la justice.

[27]     Le locataire a eu l'occasion de se faire entendre et il empêche maintenant et abusivement l’exécution de la décision rendue en faveur du locateur. Il y a lieu d'interdire le dépôt de toute autre demande conformément aux prescriptions de la loi.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[28]     REJETTE la demande de rétractation ;

[29]     INTERDIT au locataire d'introduire une nouvelle demande devant le Tribunal administratif du logement dans le présent dossier, à moins d'obtenir l'autorisation du Président du Tribunal ou de toute autre personne qu'il désigne et de respecter les conditions que celui-ci ou toute autre personne qu'il désigne détermine.

 

 

 

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

Date de l’audience : 

4 juillet 2023

 

 

 


 


[1] RLRQ, c. T-15.01.

[2] RLRQ, c. T-15.01, r. 5.

[3] Pickard c. Olivier, 2012 QCCA 28.

[4] Dans l'arrêt Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., C.A. 500-09-019868-090, 2010 QCCA 1600, la Cour d'appel énonce ce qui suit au sujet de l'application de dispositions analogues des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile du Québec : « [29] La détermination de ce qui constitue un abus au sens de l'article 54.1 et suivants C.p.c. relève avant tout de l'appréciation des faits mis en preuve. En l'espèce, le juge de la Cour supérieure a procédé à un examen minutieux des engagements problématiques. Il a conclu que le refus de fournir certains engagements ne résulte pas « d'oublis isolés ou d'inadvertance excusable », mais plutôt d'une conduite désinvolte caractérisée par des manquements répétés et systématiques qui s'inscrivent dans « une stratégie d'épuisement de la partie adverse » (notre soulignement). Voir également : Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037 et Quarre c. Gestion MRC inc., 2010 QCCQ 10835.

[5] Structures métropolitaines (SMI) inc. c. Cour du Québec du district judiciaire de Montréal, 2019 QCCS 5368; Lachaîne c. Structures métropolitaines (SMI) inc., 2018 QCCQ 967. Voir aussi : Quarre c. Gestion MRC Inc. 2010 QCCQ 10835; Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037; Paquette c. Laurier, 2011 QCCA 1228; Philippe Chagnon, Chronique - Les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile, où en sommes-nous rendus? EYB2014REP1523.

[6] Dans l'affaire Pickard c. Olivier, 2012 QCCA 28, la Cour d'appel énonce : [20] Ensuite, le droit de réclamer des dommages pour abus du droit d'ester devant la Régie ne peut naître qu'à la suite d'une décision de cette dernière ayant conclu à un recours abusif ou dilatoire. Par analogie avec la jurisprudence de la Cour sous l'art. 524 C.p.c., on peut dire que la détermination du caractère abusif de la procédure (la faute) relève exclusivement de la Régie, alors que le tribunal judiciaire saisi du recours civil n'aura qu'à quantifier le préjudice découlant de cette faute (P. Talbot inc. c. Bellemare [1988] R.D.J. 596 (C.A.); Les Jardins Tuileries ltée c. Filler [1989] R.D.J. 197 (C.A.); Entreprises Canabec inc. c. Laframboise, J.E. 97-1087 (C.A.)).

[7] Le nouvel article 63.2 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement, LQ 2019, c. 28, entrée en vigueur le 31 août 2020, ne s’applique pas aux instances en cours au moment de son adoption. Voir : Régis c. Belarbi, 2021 QCTAL 3530.

[8] L’article 56.10 LTAL prévoit que tout acte de procédure déposé au dossier du Tribunal est réputé fait sous serment.

[10] Article 60.1 LTAL.

[11] Quarre c. Gestion MRC Inc., 2010 QCCQ 10835; Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037; Paquette c. Laurier, 2011 QCCA 1228; Philippe Chagnon, Chronique - Les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile, où en sommes-nous rendus? EYB2014REP1523.

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