Syndic de 9283-9034 Québec inc. | 2023 QCCA 938 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(160-11-000025-212) | |||||
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DATE : | 13 juillet 2023 | ||||
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DISTNET INC. | |||||
APPELANTE – intimée | |||||
c. | |||||
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TREMBLAY ET COMPAGNIE SYNDICS ET GESTIONNAIRES LTÉE | |||||
INTIMÉE – demanderesse en reprise d’instance | |||||
et | |||||
9283-9034 QUÉBEC INC. | |||||
MISE EN CAUSE – débitrice faillie | |||||
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 11 mai 2022 par la Cour supérieure, district d’Alma (l’honorable Jacques G. Bouchard), lequel accueille en partie la demande en recouvrement de deniers et la demande pour directives modifiées introduite dans le cadre de la faillite de 9283-9034 Québec inc. (« mise en cause »), sans les frais de justice[1].
[2] Le 17 janvier 2019, l’appelante conclut un contrat de cession de créances ou contrat d’affacturage (« Contrat ») avec la mise en cause, la débitrice faillie. Selon les termes de cette entente, la mise en cause s’engage à vendre ses créances à l’appelante pour un volume minimum de quatre millions de dollars par année, une pénalité contractuelle étant prévue si ce montant n’est pas atteint[2]. Le prix de vente de la créance correspond au montant de celle-ci. L’appelante verse 85 % de sa valeur moins les frais d’exploitation à la mise en cause lorsqu’elle accepte la créance, et elle paie le résiduel de 15 % moins les intérêts et autres frais courus lorsqu’elle perçoit la créance.
[3] Le Contrat est renouvelé annuellement, le dernier renouvellement intervenant le 26 juillet 2021.
[4] Le 23 août 2021, la mise en cause dépose un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers. Dès le 25 août 2021, l’intimée, le syndic, transmet à l’appelante un courriel pour l’informer qu’elle doit plus de 100 000 $ à la mise en cause. Quelques heures plus tard, la même journée, l’appelante avise l’intimée qu’elle a fermé le compte de la mise en cause et remboursé les sommes qui, selon elle, sont dues en vertu du Contrat. L’appelante se dit en droit de retenir des montants de 30 000 $ à titre de provision pour le règlement d’une poursuite intentée par Cométal inc. et de 50 000 $ comme dommages et intérêts liquidés selon le Contrat.
[5] Le 8 novembre 2021, la mise en cause dépose une demande pour directives concernant le remboursement desdits montants de 30 000 $ et de 50 000 $.
[6] Le 22 décembre 2021, la mise en cause n’ayant pas déposé de proposition à ses créanciers, elle fait faillite. L’intimée reprend l’instance dans les deux demandes.
[7] Le juge décrit ainsi les montants en litige :
a) 30 000 $ représentant une provision relative à une poursuite intentée par Cométal inc. contre Distnet au montant de 8 548.39 $, réglée hors de cour pour 5 000 $.
b) 50 000 $ représentant des frais pour « fin de convention » causée par la faillite, tel que stipulé à l'article 11.3 de la convention R-1.[3]
[8] En ce qui a trait à la somme de 30 000 $, le juge conclut que le solde restant après le paiement du montant du règlement à Cométal inc. doit être remis à l’intimée[4].
[9] Quant aux 50 000 $ retenus par l’appelante, celle-ci plaide avoir le droit d’exercer compensation entre les montants dus à la mise en cause au moment de la faillite pour l’achat de certaines créances et le montant qu’elle estime être en droit de réclamer à cette dernière comme dommages-intérêts liquidés à la suite de la résiliation du Contrat conformément à la clause 11.3.
[10] Le juge conclut que l’appelante n’est pas créancière dans la faillite, car elle est propriétaire des créances achetées, lesquelles font désormais partie de son patrimoine. Il écarte par le fait même les règles de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI »). Il décide que l’application de la clause 11 est « déclenchée par la faillite et elle a pour effet de réduire l’actif de [la mise en cause] en privant ses créanciers d’un montant de 50 000 $ dans le cadre de la faillite »[5]. Le juge applique la règle anti-privation développée par la common law. Il considère que la clause 11.1 d) est nulle et ordonne à l’appelante de remettre également la somme de 50 000 $ à l’intimée.
* * *
[11] L’appelante reproche au juge d’avoir appliqué la règle anti-privation, issue de la common law, pour annuler la clause 11.1 d) et lui ordonner de rembourser à l’intimée la somme de 50 000 $.
[12] Pour trancher la question, il est utile de citer les extraits pertinents de la clause 11 :
11. FIN DE LA CONVENTION
11.1 La présente Convention pourra être résiliée par Distnet après envoi au Client d'un préavis de défaut de cinq (5) jours resté infructueux, dans l'une ou l'autre des situations suivantes, ci-après appelées « les cas de défaut » :
a) si le Client est en défaut en vertu de l'une ou l'autre des dispositions de la présente Convention;
[…]
d) si le Client est insolvable, fait faillite, dépose une proposition à ses créanciers ou se prévaut d'une loi visant la protection des insolvables ou d'une loi relative à la réorganisation, l'arrangement, la liquidation ou encore de toute autre loi similaire affectant les droits des créanciers en général;
11.2 Advenant que le Client mette fin à la présente Convention, et ce, avant même le début de la vente des Créances, le Client accepte de verser à Distnet à titre de dommages et intérêts liquidés, un montant égal à quinze pour cent (15 %) des ventes minimums mensuels. Le montant des ventes est mentionné à l'Annexe 1 des présentes sous la rubrique « ventes minimums ».
11.3 a) Advenant la fin de la présente Convention avant terme ou dans l'un des cas de de la présente Convention, à Distnet à titre de dommages et intérêts liquidés, une somme égale à quinze pour cent (15 %) du plus élevé de :
i) Les ventes minimums telles que mentionnées en Annexe pour trois (3) mois;
ii) Les ventes mensuelles réelles des trois (3) mois précédant la résiliation ou de la dernière vente de créances.
(Ci-après l’«Indemnité»). Le Client accepte que le paiement de l'Indemnité à Distnet puisse s'effectuer au choix de cette dernière par compensation à partir de tout acompte, solde de prix de vente ou toute somme due au moment de la résiliation.
Ce montant sera toutefois toujours limité à un minimum de quinze mille dollars (15 000$) et un maximum de cinquante mille dollars (50 000$).
[…]
[Soulignements ajoutés]
[13] L’appelante plaide d’abord que la règle anti-privation ne s’applique que lorsqu’il y a une relation créancier-débiteur. Or, elle soutient être propriétaire de la somme de 50 000 $ retenue.
[14] Après avoir reproduit plusieurs articles de la LFI, dont les définitions de « créancier » et « réclamation prouvable » (art.
[15] En somme, Distnet est une firme d'affacturage qui a acquis les créances de Québec inc. dans le cours habituel de ses affaires longtemps avant la faillite. Elle en est donc pleinement propriétaire depuis. […][8]
[15] Bien que l’appelante soit propriétaire des créances achetées, la somme de 50 000 $ qu’elle a retenue n’a rien à voir avec celles-ci. Il s’agit plutôt d’une dette de la mise en cause envers l’appelante, laquelle aurait pris naissance avec l’application de la clause pénale. Il y a bien une relation créancière-débitrice. Ce moyen d’appel ne peut donc être retenu.
[16] L’appelante plaide également que la règle anti-privation ne s’applique pas en l’espèce, car la mise en cause était en défaut aux termes de la clause 11 a), et ce, avant le dépôt de l’avis d’intention. En effet, elle n’était pas en mesure d’atteindre le volume minimal de vente prévu dans le Contrat. L’appelante considère qu’elle était créancière pour un montant de 50 000 $, tel que déterminé par la clause 11.3.
[17] Cet argument est rejeté. D’une part, la preuve ne permet pas de conclure à l’existence d’un défaut de la mise en cause antérieur à la faillite. Le manquement à l’obligation de garantir un minimum annuel de vente de créances doit s’évaluer à la fin de l’année et fait l’objet d’une sanction autre que celle prévue à la clause 11. La clause 4.4 indique que « le Client sera alors redevable envers Distnet d’une somme équivalente à deux pour cent (2%) de l’écart entre ces deux montants ». D’autre part, la clause 11 exige que l’appelante envoie « au Client un préavis de défaut de cinq (5) jours », ce qui n’a pas été fait avant la date de l’avis d’intention.
[18] L’appelante n’a donc pas établi l’existence d’une créance antérieure à l’avis d’intention. Ce n’est qu’à la suite de l’avis d’intention, le 25 août 2021, qu’elle transmet à l’intimée un courriel indiquant laconiquement ceci : « Nous avons fermer le compte de votre client et lui avons rembourser les sommes dû selon notre contrat avec eux » [transcription intégrale].
[19] La Cour conclut que l’appelante ne détenait aucune créance liquide et exigible envers la mise en cause avant l’avis d’intention. Elle était plutôt débitrice de ces montants qui doivent être remis au Syndic en totalité afin de profiter à la masse des créanciers.
[20] L’appelante soutient par ailleurs que la règle anti-privation ne s’applique pas au Québec. Cet argument doit également échouer.
[21] La règle anti-privation découle de l’application de la LFI. Elle constitue un principe qui est sous-jacent à celle-ci, comme le mentionne le juge Rowe, pour les juges majoritaires, dans l’arrêt Chandos[9]. Cette règle, de même que celle du pari passu, existent pour donner effet à une interdiction implicite dans les lois en matière de faillite. Il écrit :
[12] Comme la juge Rowbotham l’a expliqué, il existe en common law deux règles distinctes qui invalident chacune les contrats touchant la distribution de l’actif en cas de faillite, même si on parlait autrefois dans les deux cas du « principe de fraude contre les lois en matière de faillite ». Ces règles ne sont pas autonomes; elles existent plutôt pour donner effet à une interdiction implicite dans les lois en matière de faillite. Premièrement, la règle du pari passu interdit les stipulations qui permettent à certains créanciers de recevoir plus que leur juste part. Il n’importe pas que l’application de la stipulation soit déclenchée par une insolvabilité ou une faillite, tant qu’elle modifie le plan de distribution après le début des procédures. Deuxièmement, la règle anti-privation empêche des parties de s’entendre pour retirer de l’actif d’un failli certains biens qui auraient autrement été dévolus au syndic. Elle invalide les stipulations dont l’application [TRADUCTION] « est déclenchée par l’insolvabilité d’un débiteur et qui réduisent la valeur de son actif au détriment des créanciers » (par. 32). Autrement dit, même si les deux règles concernent l’obtention par les créanciers d’une part adéquate du gâteau, la règle anti-privation porte sur la taille du gâteau tandis que la règle du pari passu porte sur la répartition de celui-ci, peu importe sa taille (voir R. Goode, « Perpetual Trustee and Flip Clauses in Swap Transactions »
[Soulignements ajoutés]
[22] Dans cette affaire, la Cour suprême confirme l’existence de la règle anti-privation dans les provinces de common law canadiennes, laquelle rend nulles les stipulations contractuelles ayant pour effet de réduire la valeur de l’actif au détriment des créanciers. Elle protège les créanciers d’un débiteur insolvable ou failli en limitant la liberté contractuelle. Le juge Rowe conclut qu’aucune décision n’a éliminé la règle anti-privation.
[23] La Cour est d’avis que la règle anti-privation trouve application au Québec. Elle découle de la mise en œuvre graduelle, par le législateur, du principe voulant que les actifs d’un débiteur failli, qui doivent être dévolus au syndic, ne peuvent être soustraits de son patrimoine en vertu d’une entente contractuelle prévoyant le paiement d’un montant déterminé à un créancier, et ce, en raison du seul dépôt d’un avis d’intention ou d’une faillite. Elle est le reflet de l’application de l’article
[29] De plus, comme l’intervenant le procureur général du Canada l’a fait valoir, les interventions du Parlement doivent être considérées comme codifiant graduellement certains aspects de la common law, plutôt que comme cherchant à écarter tous les principes de common law connexes. Comme la Cour l’a noté à maintes reprises, il est présumé que le législateur n’a pas l’intention de modifier la common law existante à moins qu’il ne l’exprime clairement et sans ambiguïté (Parry Sound (District) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324,
[30] Effectivement, la disposition la plus pertinente de la LFI n’est pas l’art. 65.1, l’art. 66.34 ou l’art. 84.2, mais plutôt l’art. 71. Comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d’assurance‑vie,
[24] Un des aspects importants de la LFI est de garantir un traitement équitable aux créanciers. Or, la règle anti-privation donne effet à une interdiction implicite de la LFI qui « empêche des parties de s’entendre pour retirer de l’actif d’un failli certains biens qui auraient autrement été dévolus au syndic »[12].
[25] Par ailleurs, plusieurs autres dispositions de la LFI visent cet objectif, dont la suspension des procédures en cas d’avis d’intention de déposer une proposition ou s’il y a faillite (art.
[26] La Cour suprême, dans l’arrêt Chandos, confirme un test à deux volets pour déterminer si la règle anti-privation a été enfreinte : 1) l’application de la clause doit être déclenchée par une insolvabilité ou une faillite; et 2) la clause doit avoir pour effet de réduire la valeur de l’actif de la personne insolvable. C’est le test fondé sur les effets qui a été retenu[13], plutôt que celui sur l’objectif commercial véritable soutenu par la juge Côté, dissidente.
[27] Qu’en est-il en l’espèce?
[28] L’application de la clause 11 a été déclenchée par le seul fait que la mise en cause a déposé un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers le 23 août 2021. Aucun autre motif valable n’a été établi pour justifier la retenue de 50 000 $ sur le montant dû à la mise en cause pour l’achat des créances. Le premier volet du test est donc satisfait.
[29] Quant au deuxième, il l’est également. L’appelante a retenu 50 000 $ qu’elle devait payer à la mise en cause pour l’achat de créances. Comme mentionné, l’appelante n’était nullement propriétaire de ce montant. Elle en était plutôt débitrice. Cette somme de 50 000 $ est donc un actif de la mise en cause qui doit être dévolu au syndic pour être distribué aux créanciers. En le conservant afin d’opérer compensation avec la créance découlant de l’application de la clause 11, l’appelante a réduit la valeur de l’actif de la mise en cause.
[30] La Cour est d’avis que le juge n’a pas erré en appliquant la règle anti-privation et en déclarant la clause nulle. L’appelante doit donc rembourser à l’intimée la somme de 50 000$ qu’elle a retenue sur le prix d’achat des créances.
[31] Le second montant retenu par l’appelante équivaut à une réserve de 30 000 $ en lien avec un litige impliquant la créance de Cométal inc. L’appelante soutient avoir droit d’opérer compensation entre ce montant et les honoraires qu’elle a engagés, non seulement en lien avec le litige impliquant Cométal inc., mais également avec ceux payés dans le contexte du présent litige.
[32] La clause 10.1 du Contrat impose à la mise en cause d’indemniser l’appelante pour les honoraires engagés en lien avec un litige entourant une créance achetée par cette dernière. En principe, l’appelante peut donc prétendre à une créance pour ces honoraires. Cependant, tel que le souligne l’intimée, aucune preuve ne fut administrée en première instance pour établir la quotité des honoraires liés au litige impliquant Cométal inc. Bien qu’elle ne reconnaisse pas devoir ce montant, l’intimée suggère que des honoraires de 1 550 $, engagés avant le 21 août 2021, pourraient être payables. L’appelante conteste cette évaluation et insiste pour que le dossier soit retourné devant la Cour supérieure afin d’établir le montant des honoraires auxquels elle a droit. Elle explique ne pas avoir administré de preuve lors du procès puisqu’elle ne s’attendait pas à ce que le juge applique la règle anti-privation.
[33] L’appelante se devait d’établir lors du procès le montant des honoraires pour lesquels elle demandait compensation afin de justifier sa retenue de 30 000 $. Elle ne l’a pas fait. Il est maintenant trop tard pour pallier cette lacune. La somme de 30 000 $ qui est détenue illégalement doit donc être remise à la saisine du Syndic.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[34] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| JULIE DUTIL, J.C.A. | |
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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Me Reynald Auger Me Raphaëlle Renzo-Gaudet | ||
langlois avocats | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Lyne Bourdeau | ||
simard boivin | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 4 mai 2023 | |
[1] Syndic de 9283-9034 Québec inc., C.S. Alma, no 160-11-000025-212, 11 mai 2022, Bouchard, j.c.s. [Jugement entrepris].
[2] Clause 4.4 du Contrat.
[3] Jugement entrepris, paragr. 4.
[4] Id., paragr. 17.
[5] Id., paragr. 20.
[6] Id., paragr. 13.
[7] Id., paragr. 14.
[8] Id., paragr. 15.
[10] Id., paragr. 12.
[11] Id., paragr. 29-30.
[12] Id., paragr. 12 et 30.
[13] Id., paragr. 31.
AVIS :
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