R. c. E.F. |
2016 QCCQ 4547 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
500-01-084262-135 |
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Date : |
Le 31 mai 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ROBERT MARCHI J.C.Q. |
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LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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E... F... |
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Accusé |
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DÉCISION SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE [1] |
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Ordonnance de non-publication et de non-diffusion du nom de la victime alléguée aux chefs d'accusation et de ses enfants ainsi que de tout renseignement qui pourrait tendre à les identifier.
[1] Le 15 janvier 2016, en cours de procès, l'accusé, E... F..., a choisi de plaider coupable à divers chefs d'accusation qui avaient été déposés contre lui. Ce sont les suivants :
[1] Entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2005, à Montréal, district de Montréal, en agressant sexuellement R.R., a commis l'infraction avec la participation d'une autre personne, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 272(1)d) (2)b) du Code criminel (C.cr.).
[4] Entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2005, à Montréal, district de Montréal, en agressant sexuellement R.R. […], a mis sa vie en danger, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 273(1) (2)b) du C.cr.
[6] Entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2005, à Montréal, district de Montréal, en agressant sexuellement R.R., a commis l'infraction avec la participation d'une autre personne, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 272(1)d) (2)b) du C.cr.
[2] Le premier chef vise deux incidents au cours desquels l'accusé a forcé la victime R.R., sa conjointe, à avoir des relations sexuelles « à trois », avec lui et avec son patron (à lui).
[3] Le chef no 4 vise quant à lui un incident au cours duquel l'accusé, en agressant la victime, l'a étranglé, au point de la faire paniquer.
[4] Quant au chef no 6, l'accusé a forcé la victime à avoir des relations sexuelles « à trois », avec lui et son frère (à elle)[2].
LA GRAVITÉ OBJECTIVE DES ACCUSATIONS
[5] Les accusations visées par les chefs nos 1 et 6 sont punissables par une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement.
[6] L'accusation au chef no 4 est quant à elle punissable de l'emprisonnement à vie.
LA POSITION DES PARTIES
[7] La poursuite réclame une peine de 10 ans de pénitencier tandis que la défense a suggéré une peine de 5 à 6 ans.
Le contexte
[8] C'est en cours de procès, et après que R.R. ait commencé à témoigner, que l'accusé a plaidé coupable aux chefs d'accusation précédemment cités.
[9] Le contexte dans lequel les infractions ont été commises et auxquelles l'accusé a plaidé coupable sont aussi singulières que révoltantes et démontrent de la part de l'accusé un mépris total à l'égard de la dignité et de l'intégrité corporelle d'une personne, surtout, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque la victime est son épouse et la mère de ses sept enfants.
[10] En effet, R.R. est l'ex-épouse de l'accusé. Ils ont été mariés pendant 15 ans. Ils ont eu ensemble sept enfants, dont le premier alors que R.R. était âgée de 16 ans.
[11] Ils faisaient partie de la même secte, la secte de la Mission de l'Esprit Saint, une secte gouvernée par des gourous, les « Serviteurs de Dieu ».
[12] Ils se sont mariés alors que R.R. était âgée de 15 ans. Il s'agissait d'un mariage forcé à propos duquel R.R. n'a rien eu à dire. D'ailleurs, l'un des principes de la secte était de forcer les filles à devenir mères le plus jeune possible, ce qui explique que R.R. ait eu son premier enfant alors qu'elle n'avait que 16 ans.
[13] Dans la secte, le rôle de la femme était celui de « mère de famille », ce qui la limitait essentiellement à être la femme de ménage, à s'occuper des enfants et de son mari.
[14] Les filles n'étaient pas plus considérées en ce qui a trait à leur éducation. Les filles étudiaient chez elle et R.R. s'estime chanceuse d'avoir pu compléter son école primaire.
[15] Tout au long de leur relation, l'accusé a souvent fait preuve de violence à l'égard de R.R. et des enfants. À tel point qu'après la naissance du sixième, elle a informé l'accusé qu'elle n'en voulait plus.
[16] Parce qu'il était violent, elle a quitté l'accusé et elle est allée vivre chez ses parents. L'accusé l'a ensuite priée de revenir avec lui, disant qu'il avait besoin d'aide. Elle est donc retournée vivre avec l'accusé, chez les parents de ce dernier.
[17] Ils ont ensuite emménagé dans leur propre maison, en banlieue de Montréal. Ils sont demeurés ensemble pendant trois ans.
[18] C'est là que l'accusé a commencé à parler de ses fantasmes : l'un d'entre eux, consistait à décapiter une femme et à la couper en morceaux, en ajoutant que c'est à R.R. qu'il le ferait. Elle lui a alors intimé l'ordre de partir. Il a refusé, elle a appelé la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et il est parti.
[19] C'est dans ce contexte que l'accusé a agressé sexuellement R.R.
Les agressions
[20] Vers les années 2004-2005, après qu'ils aient eu leur sixième enfant en 2003, l'accusé et R.R. ont emménagé dans un logement situé sur le boulevard A à Montréal. C'est là que se sont déroulés les incidents ayant mené aux accusations.
[21] Selon la victime, cela faisait deux ans que l'accusé désirait avoir une relation « à trois ». Elle ne voulait rien savoir et elle le lui avait dit. L'accusé était alors devenu violent avec les enfants.
[22] Un jour, en revenant du travail, l'accusé a demandé à R.R. d'aller se laver et que cela lui ferait du bien. C'est ce qu'elle a fait et selon elle, « elle s'est mise belle un peu ».
[23] Elle est ensuite allée retrouver l'accusé. Elle s'est alors retrouvée face à face avec le patron de l'accusé (le patron). Elle dit avoir tout de suite compris.
[24] Le patron est allé se laver. Elle s'est alors adressée à l'accusé en lui disant : « T'est pas sérieux? ». L'accusé lui a répondu en ces termes : « Tu me feras pas honte sinon tu sais ce que je vais faire aux enfants ».
[25] Le patron est sorti de la douche. Il s'est roulé un « joint » de marihuana qu'il a fumé avec l'accusé. R.R. leur a dit qu'elle n'était pas capable. Ils l'ont tout de même assise sur le lit et les deux l'ont embrassée et déshabillée.
[26] Le patron l'a caressée et l'a « mangée ». Il lui a ensuite demandé une fellation, ce qu'elle lui a fait. Il lui a ensuite dit qu'il voulait la « prendre par les fesses ». Après l'avoir pénétrée dans le vagin, il l'a pénétrée dans l'anus. Il lui a ensuite demandé une autre fellation. Elle lui a dit qu'elle n'en était pas capable. Ils l'ont alors pénétrée à deux, dont l'un des deux « par en arrière ».
[27] Par la suite, devant R.R., l'accusé a fait une fellation à son patron en forçant R.R. à les regarder tout en lui demandant de lui en faire une en même temps, avant de lui demander de leur faire une fellation à tous les deux.
[28] Le patron l'a ensuite pénétrée à nouveau. Il lui a ensuite dit merci, tout en ajoutant que sa femme l'attendait. Il est parti.
[29] Après le départ du patron, l'accusé a dit à R.R. qu'il voulait jouir, que c'était son tour et il lui a demandé de le « terminer ». R.R. l'a effectivement « terminé » par une fellation. Elle est ensuite allée dans la douche.
[30] Dans son témoignage, R.R. a expliqué ses peurs en disant qu'elle s'est demandée ce qui arriverait si elle s'obstinait. Elle avait peur de subir ce que ses enfants subissaient.
[31] Environ un an et demi plus tard, l'accusé l'a appelée au téléphone. Il lui a dit qu'il avait aimé ça la première fois et qu'il arrivait avec son patron. Elle a dit non. Il a raccroché. Il a rappelé. Elle a raccroché.
[32] L'accusé est arrivé à la maison. L'accusé a informé R.R. que son patron s'en venait et qu'elle n'avait pas le choix. Il lui a ordonné de s'asseoir sur le divan.
[33] Le patron est arrivé et il est allé se laver. Par la suite, l'accusé a pris R.R. par les bras et les deux (l'accusé et son patron) l'ont déshabillée en l'embrassant et en la caressant. L'accusé lui a enlevé son pantalon et l'a « mangée ». Le patron a mis son pénis dans sa bouche, avant de la pénétrer.
[34] Par la suite, l'accusé et le patron se sont fait une fellation devant elle en l'obligeant à les regarder. Ils lui ont ensuite demandé de les masturber et le patron a joui sur sa poitrine. Après le départ du patron, l'accusé l'a pénétrée.
[35] Au cours de la même période, l'accusé a eu des relations sexuelles avec R.R. en lui serrant le cou, en l'étranglant de plus en plus fort à un point tel que R.R. devenait prise de panique avant que l'accusé ne jouisse.
[36] Au cours de la même période, l'accusé a aussi forcé R.R. à avoir des relations sexuelles en compagnie de son frère (à elle).
[37] Il est à noter que toutes les pénétrations ont été faites sans aucune protection.
Les rapports
[38] Suite au plaidoyer de culpabilité de l'accusé, deux rapports ont été préparés, un rapport pré sentenciel (RPS) et un rapport d'évaluation sexologique (RES).
Le RPS
[39] Du RPS, le Tribunal retient ce qui suit :
· L'accusé tente de se justifier et de minimiser sa responsabilité.
· Il soutient que pour ce qui est des relations sexuelles avec son patron, R.R. aurait acquiescé à sa demande.
· Quant aux relations sexuelles avec le frère de R.R., ils auraient entamé les ébats ensemble, avant que R.R. ne se joigne à eux.
· Finalement, le fait d'étrangler R.R. aurait été, selon l'accusé, une pratique sexuelle courante dans le couple, que R.R. appréciait.
· Finalement, même si l'accusé prétend que la victime était consentante aux relations sexuelles, il admet avoir été insistant au point d'amener la victime à « consentir » de peur de représailles. Pourtant, l'accusé a volontairement plaidé coupable et, au moment du plaidoyer, a reconnu les faits relatés par la victime dans son témoignage et ceux résumés par la procureure de la poursuite.
· Il ne présente que peu d'empathie pour la victime.
· Il use de victimisation en alléguant que la victime aurait porté plainte pour se venger de certains évènements survenus suite à leur séparation, dont la perte de ses droits d'accès aux enfants.
· Il banalise la gravité des accusations.
· Il est né dans une secte dans laquelle la supériorité de l'homme et la soumission de la femme à l'homme étaient prônées. Le père de l'accusé était l'un des gourous de la secte. On lui interdisait de fréquenter le monde extérieur. On l'a retiré de l'école à l'âge de 13 ans.
· Quant à ses relations avec la victime, l'accusé n'admet aucune violence au sein du couple.
· Il a quitté la secte en 2007. Les sept enfants ont été placés en famille d'accueil.
[40] Selon l'auteure du rapport :
· L'accusé est un homme introverti, immature, dont le sens des responsabilités est lacunaire, et qui présente plusieurs carences affectives.
· Il présente une capacité d'introspection et de remise en question lacunaires en ce qui concerne ses passages à l'acte. Sa version des faits tend à minimiser sa responsabilité délictuelle. Il est peu conscientisé quant à sa problématique sexuelle.
· Il est nécessaire, pour l'accusé, de se responsabiliser et de compléter un processus thérapeutique en délinquance sexuelle.
[41] Advenant que l'accusé suive les recommandations incluses dans le rapport, l'auteur conclut que « le risque de récidive pourrait être amoindri ».
LE RES
[42] Comme dans le RPS, la reconnaissance du délit par l'accusé est partielle. Il reconnaît les gestes mais nie qu'ils étaient imposés à la victime. Il est persuadé du consentement de la victime. On le dit peu conscient de l'impact que ses gestes ont pu susciter chez elle. Il explique les accusations par le fait que R.R. désirait se venger. Il explique son plaidoyer par « un manque d'énergie de sa part pour se battre ».
[43] En conclusion, l'auteur du rapport place l'accusé dans une catégorie de risque de récidive faible, notamment parce que les gestes remontent à 2004, qu'il est sorti de la secte, qu'il a cherché de l'aide et qu'il semble bien s'intégrer à la société.
[44] Le rapport recommande que l'accusé s'implique activement dans un processus de thérapie aussi longtemps que les professionnels le jugeront à propos.
L'accusé
[45] L'accusé est âgé de 40 ans. Il est sans antécédents judiciaires.
[46] Il est né dans une secte dans laquelle la supériorité de l'homme et la soumission de la femme à l'homme étaient prônées. Son père était l'un des gourous. Il a été élevé en conséquence. Il en est sorti en 2007. Il dit avoir consulté un psychiatre depuis et que cela l'a aidé.
[47] Il a quitté l'école à l'âge de 13 ans et il est sans emploi.
[48] L'accusé a témoigné dans le cadre des représentations sur la détermination de la peine. Essentiellement, l'accusé a prétendu que ses problèmes « viennent de la secte ». Comme dans les deux rapports, même s'il avait plaidé coupable en toute connaissance de cause, il a essayé de se justifier lors de son témoignage.
La victime
[49] La victime a témoigné lors du procès, lors des représentations sur la peine et a déposé une déclaration de la victime sur les conséquences du crime (S-1). C'est une femme complètement détruite. Le Tribunal retient ceci de sa déclaration.
[50] Elle vit beaucoup de honte, ce qui l'amène à se sentir dépressive tout le temps. Ses enfants sont divisés entre les deux parents. Certains lui en veulent parce qu'elle a dénoncé l'accusé. Elle n'a plus aucune confiance dans les hommes. Elle fait des cauchemars, des crises de panique et d'anxiété. Bref, selon elle, l'accusé a détruit la femme qu'elle était.
[51] Elle a aussi subi des répercussions d'ordre économique : elle s'est retrouvée sans le sou, incapable de se trouver un emploi, à vivre sur l'aide sociale.
[52] Finalement, elle craint pour sa sécurité.
ANALYSE
[53] Tout récemment, le juge Wagner, de la Cour suprême, rappelait, dès le premier paragraphe de l'arrêt Lacasse[3], l'importance de l'étape de la détermination de la peine dans le processus de justice pénale. Il écrivait ceci :
La détermination de la peine demeure
l’une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et
criminelle au Canada. Même si cette tâche est régie par les art.
[54]
Les principes et objectifs de détermination de la peine sont bien connus
et sont maintenant codifiés aux articles
[55] L’article 718 exige que le juge prenne en compte l’objectif essentiel du prononcé des peines, à savoir contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre ». Un tel objectif est réalisé par l’infliction de « sanctions justes » adaptées aux objectifs de détermination de la peine :
718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[56]
À l'article
Principes de détermination de la peine
718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants :
a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant :
[…]
(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans,
(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard,
(iii.1) que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière,
[…]
[57]
Cela dit, le principe fondamental en matière d'imposition
de la peine celui de la proportionnalité prévu à l'article
La peine est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant.[4]
[58]
Au sujet de l'article
[40] L’article 718.1 précise les objectifs de la détermination de la peine. Il prescrit que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Ainsi, indépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs susmentionnés, la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. […]
[41] Il ressort clairement de ces dispositions que le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine.
[42] […], ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. […]
[59] Pour sa part, dans Gosselin c. R.[6], la Cour d'appel soulignait ceci en cas de mauvais traitements du conjoint ou de la conjointe :
[36] […] qu'il était du devoir du juge de considérer, comme circonstance aggravante, les éléments de preuve établissant que l’infraction perpétrée par l’appelant constitue un mauvais traitement de sa conjointe. En effet, la peine imposée devait faire voir que le statut de conjoint de la victime était un facteur aggravant en application du principe de détermination de la peine consacré à l’article 718.2a)(ii) C.cr. Même si cela n'est pas le seul facteur en jeu, les tribunaux doivent reconnaître l’importance particulière de la dénonciation et de la dissuasion d’un comportement qui, par sa nature même, mine la relation de confiance qui caractérise la vie commune.
[60] De la même façon, dans H.K. c. R.[7], la Cour d'appel réitérait le principe selon lequel en matière de violence conjugale, les principes de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance particulière :
[50] En matière de violence conjugale, les principes de dénonciation et de dissuasion doivent se voir reconnaître une importance particulière. Le juge retient également que l'infraction constitue un abus de confiance (art. 718.2 a) (iii) C.cr.). Les agressions ont été planifiées, délibérées et commises de sang-froid pendant plusieurs semaines (paragr. 60). En définitive, plusieurs circonstances aggravantes sont présentes, et on constate qu'il y a relativement peu de circonstances atténuantes. Dans le contexte, le juge n'a pas commis d'erreur de principe en faisant primer la dissuasion et la dénonciation. La gravité subjective des crimes est ici très élevée, de même que la responsabilité morale de l'accusé pour ce comportement qui, selon la preuve retenue, a été particulièrement cruel. […]
Référence omise
[61] Quant à la réhabilitation, si elle demeure un facteur important, elle se doit de céder le pas à la dissuasion et à l'exemplarité de la peine dans un cas de violence conjugale :
Cependant, si la réhabilitation demeure un facteur important dans la détermination de la peine, elle ne doit pas, surtout dans un contexte de violence conjugale, prévaloir démesurément sur les facteurs de dissuasion et d'exemplarité de la sentence. Madame la juge Wilson, dans R. c. Lavallée […] a rappelé « qu'il est difficile d'exagérer la gravité, voire la tragédie, de la violence domestique. L'attention accrue portée à ce phénomène par les médias au cours des dernières années a fait ressortir aussi bien son caractère généralisé que ses conséquences terribles pour les femmes de toutes les conditions sociales ».[8]
[62] Cela étant, dans R. c. L.(J.J.)[9], madame la juge Otis recensait les divers facteurs de qualification permettant de mesurer la responsabilité pénale d'un délinquant au regard de la détermination de la peine :
· La nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l'usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation, etc.
· La fréquence des infractions et l'espace temporel qui les contient.
· L'abus de confiance et l'abus d'autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime.
· Les désordres sous-jacents à la commission des infractions: détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication, etc.
· Les condamnations antérieures du délinquant: proximité temporelle avec l'infraction reprochée et nature des condamnations antérieures.
· Le comportement du délinquant après la commission des infractions: aveux, collaboration à l'enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s'il y a lieu, compassion et empathie à l'endroit des victimes (remords, regrets, etc.).
· Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d'atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d'autres infractions, etc.).
· La victime: gravité des atteintes à l'intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l'âge, la nature et l'ampleur de l'agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité (déficience mentale ou physique), l'abus de confiance ou d'autorité, les séquelles traumatiques, etc.
[63] Il s'agit d'une décision dont s'inspire toujours la Cour d'appel : voir Y.M. c. R.[10], décision du 1er avril dernier, paragraphe 39.
[64] Reste à appliquer ces différents principes aux faits de la présente affaire.
[65] D'entrée de jeu, il faut reconnaître la gravité objective et intrinsèque des accusations auxquelles l'accusé a plaidé coupable : deux chefs sont punissables par un emprisonnement maximal de 14 ans (chefs nos 1 et 6) et l'autre (chef no 4) de l'emprisonnement à vie.
[66] De plus, outre la violence intrinsèque déjà incluse au chef no 4, l'accusé a fait usage de menaces de violence et de violence à l'égard de la victime et des enfants si elle ne répondait pas à ses demandes.
[67] Par exemple, lorsque, lors du premier incident, face à la résistance de la victime à avoir des relations sexuelles « à trois » avec le patron de l'accusé, celui-ci lui a dit : « tu ne me feras pas honte sinon tu sais ce que je vais faire aux enfants ». Un sentiment de peur s'est évidemment installé chez la victime, qui se demandait ce qui arriverait si elle s'obstinait.
[68] L'accusé a aussi utilisé la contrainte psychologique à l'égard de la victime, une mère de sept enfants, sans moyens de résister et de se défendre face aux demandes de son conjoint.
[69] L'accusé a ainsi forcé sa conjointe à accomplir les gestes totalement dégradants déjà décrits.
[70] En outre, comme le Tribunal l'a déjà énoncé, le fait que la victime des infractions est la conjointe de l'accusé et qu'elles constituent un abus d'autorité de la part de l'accusé à l'égard de la victime sont des circonstances aggravantes.
[71] Les circonstances particulières des agressions et leur caractère prémédité, les pénétrations sans protection, tant vaginales qu'anales, sont aussi des facteurs aggravants.
[72] Le Tribunal doit aussi tenir compte des conséquences sur la victime et des séquelles laissées suite aux agressions, telles qu'elle les a énoncées dans ses témoignages et dans sa déclaration, de même que des graves atteintes à l'intégrité physique et psychologique commises à son endroit, vu la nature et l'ampleur des agressions, le caractère et la vulnérabilité de la victime.
[73] En outre, l'accusé n'a pas démontré de réelle volonté à entreprendre des programmes de traitement.
[74] Cela étant, l'accusé est un homme de 40 ans, sans antécédents judiciaires.
[75] Il a plaidé coupable : le plaidoyer de culpabilité constitue habituellement un facteur atténuant d'importance. Cela ne peut être le cas ici, tant à cause de sa tardiveté dans le processus judiciaire (l'accusé a plaidé coupable alors que la victime avait commencé à témoigner) qu'en raison de l'absence de remords manifestés par l'accusé, sa déresponsabilisation et ses efforts pour minimiser la gravité des gestes posés[11]. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le rapport pré sentenciel[12] et le rapport d'évaluation sexologique[13]. Dans les circonstances, le Tribunal est fondé à minimiser l'importance du plaidoyer de culpabilité enregistré par l'accusé[14].
[76] L'accusé n'a de plus démontré aucune empathie à l'égard de la victime, ce qui aurait pu constituer un facteur mitigeant la peine. C'est du bout des lèvres qu'il a fini par dire, lors de son témoignage dans le cadre des représentations sur la peine, que « ça venait le chercher de voir sa femme comme ça ». Sans plus.
[77] Il a encore tenté de se justifier en disant que c'était « la faute de la secte ». Le Tribunal peut bien reconnaître que l'éducation à l'intérieur de la secte, particulièrement en regard de l'attitude de l'homme face à la femme, n'a pas aidé l'accusé à considérer sa conjointe comme elle aurait dû l'être. Cela dit, rien ne peut justifier les gestes dégradants posés par l'accusé à l'égard de sa conjointe, secte ou non, gourous ou non.
[78] Cela étant, sans en faire une circonstance atténuante, le Tribunal ne peut ignorer en toile de fond le fait que l'accusé est né dans une secte, qu'il a été élevé par les gourous de la secte, à l'image de ces gourous, ce qui l'a privé d'une vie et d'une éducation normales, notamment de la possibilité d'avoir des contacts avec des gens de l'extérieur de la secte et de la possibilité de poursuivre des études.
[79] Dans les circonstances, il ne fait aucun doute que le Tribunal se doit de privilégier les facteurs d'exemplarité et de dissuasion.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
CONDAMNE l'accusé à une peine de 8 ans de pénitencier, à purger de façon concurrente sur chacun des chefs d'accusation;
REND aussi l'ordonnance
prévue à l'article
S'agissant d'infractions primaires, ORDONNE à l'accusé de fournir un échantillon de substances corporelles aux fins d'analyse génétique;
Finalement, ORDONNE à l'accusé de se conformer à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, et ce, à perpétuité.
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__________________________________ JUGE ROBERT MARCHI, J.C.Q. |
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Me Sylvie Lemieux |
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Directeur aux poursuites criminelles et pénales |
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Procureure pour la poursuivante |
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Me Yan Trignac |
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Procureur pour l'accusé |
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Dates des audiences : |
15 janvier 2016; 30 mars 2016. |
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[1]
Le jugement a été rendu oralement. Comme le
permet Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec,
[2] Lors de la lecture du jugement, le Tribunal a fait référence au frère de l'accusé (son frère à lui). Il s'agit plutôt du frère de la victime, ce qui, dans les circonstances, n'a aucune influence sur la décision rendue.
[3]
R. c. Lacasse,
[4] Id., paragr. 53.
[5] 2010 CSC 6.
[6]
[7]
[8] R. c. Gendron, 1994 QCCA 6071; R. v. Boucher, 2004 CANLII 17719 (ON CA).
[9] 1998 CanLII 12722 (QCCA).
[10]
[11] Y.M., précité, note 8, paragr. 20 et suivants.
[12] Notamment les pages 4, 2e paragr., et 7, 3e et 5e paragr.
[13] Notamment, la page 3, 1er paragr. et 8, 1er paragr.
[14] R.
c. Lacasse,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.