Sujat c. Peyrow |
2020 QCTAL 783 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
523181 31 20200526 G |
No demande : |
3000176 |
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Date : |
10 septembre 2020 |
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Devant le juge administratif : |
Luk Dufort |
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Tamim Sujat |
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Locataire - Partie demanderesse |
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c. |
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Farzad Peyrow
Parsa Peyrow |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le 26 mai 2020, le locataire demande de résilier le bail à compter du 31 mai 2020 au motif que le locateur a refusé une cession de bail sans motif valable.
La preuve
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er septembre 2019 au 31 août 2020 au loyer mensuel de 1 270 $.
[3] Le logement est un 4 ½ pièces.
[4] Le locataire désire céder son bail qui se termine le 31 août 2020.
[5] Le 18 mai 2020, le locataire transmet le courriel suivant à Mme Adriana Rodriguez et met en copie conforme le locateur et son fils, Parsa Peyrow, :
« Hello Adriana,
Attached are the forms for the lease transfer. I have CCed the landlord and the building manager to this email.
Kindly send the forms back to [...] and fpeyrow@gmail.com when completed.
Best regards,
Tamim Sujat » [sic]
[6] Le 19 mai 2020, Mme Adriana Rodriguez écrit le courriel suivant :
« Hello Parsa,
My name is Adrianna, me and my boyfriend are interested in the lease transfer from M. Tamim at [...].
We are both working, me at the Glen hospital and my boyfriend at airtransat, so I did not complete the form of the letter of Guarantee. We would like the lease to be under both of our names.
As the lease will be renewed in September, I would like to know approximately what will be the increase of the apartment.
I am sending you as an attached document the application and a copy of my passport.
My personal phone number is: xxx xxx xxxx
My boyfriend’s Aldom is: xxx xxx xxxx
Sincerely,
Adriana Rodriguez Cruz, PhD » [sic] (Numéro de téléphone raturé par le Tribunal)
[7] Le fils du locateur a transmis le courriel suivant au locataire en mettant le locateur en copie conforme le 19 mai 2020 :
« Hi Tamim,
These people are unfortunately not suitable for lease transfer. The building is majoritarily younger students and wouldn’t be good to have working couple living there. Also their parents have to guarantee their rent.
We have to refuse them and find other people.
Thanks,
Parsa » [sic]
[8] Le locataire insatisfait de la réponse du fils du locateur lui répondait de la façon suivante, en prenant soin de mettre le locateur en copie conforme :
« Hello Parsa,
This is not legitimate ground for not accepting a lease transfer. They are a young working couple with good landlord references. I am quite positive they are aware they this is a student centric neighbourhood.
I would understand that your normally prefer students, but due to COVID19, McGill has cancelled all summer classes and there barely any student living in the area now. There is further doubt if student will even come back in September since most classes will likely to online.
From my side, I suggest we come to an agreement with the lease transfer. Otherwise, I can file a case with Regie Du Lodgement and keep dragging this with no further rent payments.
Regards,
Tamim Sujat » [sic]
[9] Le locataire plaide donc que la réponse donnée par le fils du locateur ne constitue pas un motif sérieux pour justifier de refuser la cession de bail.
[10] Le locateur témoigne que son fils, Parsa Peyrow, n’est pas impliqué dans la gestion de l’immeuble. Son fils qui est âgé de 19 ans n’a pas l’autorité requise pour accepter ou refuser une demande de cession de bail.
[11] La réponse que Parsa a donnée au locataire ne l’engageait pas.
[12] Lorsqu’il a reçu la demande de cession de bail, il a voulu faire enquête sur les cessionnaires afin de voir s’ils pouvaient s’avérer des candidats intéressants.
[13] Il a tenté de contacter les cessionnaires par téléphone pour compléter son enquête, mais il n’a jamais eu de retour d’appel. Il a donc présumé qu’ils n’étaient plus intéressés par le logement.
[14] Il affirme qu’il aurait consenti à la cession du bail dans l’éventualité où il s’agissait des candidats sérieux. Il est toujours prêt à accepter de bons locataires et il n’a toujours pas trouvé de locataire pour le logement. Il n’avait donc pas intérêt à refuser la cession, si les cessionnaires étaient des candidats sérieux.
QUESTIONS EN LITIGES
[15] Est-ce que Parsa Peyrow agissait comme mandataire du locateur lorsqu’il a transmis son courriel du 19 mars 2020 au locataire?
[16] Est-ce que le locateur avait des motifs valables de refuser la cession de bail et les a-t-il exprimés dans le délai au locataire?
ANALYSE ET CONCLUSION
Le fardeau de la preuve
[17] Comme le mentionne à juste titre la juge administrative Lucie Béliveau[1] :
« Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. » (Références omises)
[18] Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec concernant la cession de bail sont reproduites ci-après :
« 1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession. »
« 1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.
Lorsqu'il refuse, le locateur est tenu d'indiquer au locataire, dans les quinze jours de la réception de l'avis, les motifs de son refus; s'il omet de le faire, il est réputé avoir consenti. »
« 1873. La cession de bail décharge l'ancien locataire de ses obligations, à moins que, s'agissant d'un bail autre que le bail d'un logement, les parties n'aient convenu autrement. »
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l’exception de celui qui est donné par le locateur afin d’avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l’adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d’une partie lorsque l’autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L’avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l’avis ne démontre au tribunal que le destinataire n’en subit aucun préjudice. »
Est-ce que Parsa Peyrow agissait comme mandataire du locateur lorsqu’il a transmis son courriel du 19 mars 2020 au locataire?
[19] La preuve du locataire à ce sujet se limite au dépôt d’un courriel de Parsa Peyrow qui semble répondre à une question du locataire et lui demande de remplir un formulaire et de le transmettre au locateur.
[20] Le locateur, de son côté, témoigne de façon convaincante que son fils de 19 ans l’aide dans la gestion de l’immeuble, mais il n’a absolument pas le pouvoir de lier le locateur dans des éléments aussi importants que le refus de consentir à une cession de bail.
[21] Le locateur affirme d’ailleurs après avoir pris connaissance de la réponse de son fils, qu’il a continué son enquête sur les cessionnaires, puisqu’il ne considérait pas la réponse offerte comme satisfaisante et comme la sienne.
[22] La preuve soumise lors de l’audience fait en sorte que le Tribunal considère que Parsa Peyrow n’agissait pas comme mandataire du locateur et qu’en conséquence, le locateur n’était pas lié par sa réponse.
[23] Le Tribunal détermine également qu’advenant qu’il ait considéré Parsa Peyrow comme le mandataire du locateur, les motifs qu’il a donnés dans sa réponse ne constituaient pas des motifs sérieux au sens de l’article 1871 C.c.Q.
Est-ce que le locateur avait des motifs valables de refuser la cession de bail et les a-t-il exprimés dans le délai au locataire?
[24] Le locateur affirme avoir poursuivi son enquête lorsqu’il a pris connaissance de la réponse de son fils, afin d’évaluer la candidature des cessionnaires.
[25] Il aurait tenté de les rejoindre par téléphone, mais n’a jamais eu de retour d’appel.
[26] Le Tribunal trouve particulier que le locateur n’ait pas tenté de joindre le locataire pour l’informer du problème qu’il avait à joindre les cessionnaires. Le locataire, qui avait reçu la réponse du fils du locateur, n’a jamais été informé par le locateur que ce dernier n’arrivait pas à joindre les cessionnaires.
[27] Non seulement le locataire n’a pas été informé des difficultés du locateur, mais il n’a jamais été informé des motifs de refus du locateur. Le Tribunal, en venant à la conclusion que le locateur n’était pas lié par la réponse de son fils, n’a pas d’autres choix de venir à la conclusion que le locateur n’a jamais informé le locataire de ses motifs sérieux de ne pas consentir à la cession du bail.
[28] L’article 1871 C.c.Q prévoit que le locateur doit indiquer dans les 15 jours de la réception de l’avis, les motifs de son refus, advenant quoi il est réputé avoir consenti à la cession.
[29] De plus, comme l’a conclu l’honorable Juge Labbé dans la décision Le Groupe Rioux Habitat c. Oneil Lévesque[2], le refus doit être donné par écrit de même que les motifs de refus:
« En matière de bail d'un logement, l'article 1893 C.c.Q. stipule :
1893. Est sans effet la clause d'un bail portant sur un logement, qui déroge aux dispositions de la présente section, à celles du deuxième alinéa de l'article 1854 ou à celles des articles 1856 à 1858, 1860 à 1863, 1865, 1866, 1868 à 1872, 1875, 1876 et 1883.
Cela couvre les articles 1870 et 1871 de même que l'article 1898 C.c.Q. qui est dans la même section.
Avec égards pour l'opinion contraire, le Tribunal est d'avis que la dispense prévue au deuxième alinéa de l'article 1898 C.c.Q. vise le contenu de l'avis et non pas le caractère écrit de celui-ci. Il s'agit d'une disposition d'ordre public, aux termes de l'article 1893 C.c.Q., et toute exception à la règle générale qu'il pose doit recevoir une interprétation restrictive. La seule exception est celle prévue au premier alinéa de la disposition, à savoir l'avis destiné à donner accès au logement. Le mot « avis » au deuxième alinéa doit, par souci de cohérence, s'entendre de l'avis prévu au premier alinéa, soit un avis écrit. Avec égards pour l'opinion de Me Pierre LeBlanc dans Bruneau c. Gagnon[2], le Tribunal ne croit pas que la suppression du mot « écrit » au deuxième alinéa de l'article 1898 C.c.Q., par comparaison avec le deuxième alinéa de l'article 1651.4 C.c.B.C., signifie que l'avis peut être verbal. On voulait probablement éliminer une redondance puisqu'en vertu du premier alinéa, l'avis doit être écrit. L'avis devant être écrit, il faut nécessairement que les exigences visées par le second alinéa soient celles mentionnées au premier alinéa.
Dans ses commentaires sous l'article 1898 C.c.Q., le ministre de la Justice ne traite aucunement de la suppression du mot « écrit » au deuxième alinéa. Il dit expressément que le premier alinéa maintient le droit antérieur quant à la forme de l'avis. Il précise, quant au deuxième alinéa, qu'il se distingue du droit antérieur parce qu'aux exigences relatives à l'adresse ou à la langue, s'ajoute celle relative aux règles prescrites. Les exigences visées au deuxième alinéa sont celles prévues au premier alinéa, à savoir celles relatives à l'adresse, à la langue et aux règles prescrites par règlement. »
[30] Le Tribunal, constatant l’absence d’avis écrit pour informer le locataire du refus de cession ainsi que l’absence de motifs, déclare que le locateur est réputé avoir consenti à la cession.
[31] Comme l’indique l’auteur Jobin[3], plusieurs options sont offertes pour le locataire qui estime que le locateur a refusé une cession de bail sans motif sérieux :
« Soulignons enfin les sanctions de ces règles. D'une part, quand le locateur refuse son accord sans motif jugé sérieux, le locataire peut en toute liberté sous-louer ou céder son bail, et obtenir au besoin une ordonnance pour que le locateur s'y conforme; ou encore le locataire, qui, dans ce contexte, est victime d'une faute, peut se prévaloir des sanctions habituelles contre le locateur, allant jusqu'à la résiliation et même l'abandon des lieux. »
[32] De l’avis du Tribunal, le locataire était justifié de comprendre des échanges de courriels intervenus avec Parsa Peyrow que le locateur refusait la cession de bail demandée. Il a donc entrepris le bon recours en demandant la résiliation du bail au motif que le locateur a refusé une cession de bail sans motif valable.
[33] En vertu de l’article 1971 C.c.Q, la cession prend effet 15 jours après la réception par le locateur de l’avis de cession de bail, soit le 3 juin 2020.
[34] Par conséquent, le Tribunal constatera la résiliation du bail, aux torts du locateur, depuis le 3 juin 2020.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] DÉCLARE la résiliation du bail, aux torts du locateur, depuis le 3 juin 2020.
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Luk Dufort |
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Présence(s) : |
Me Alexandre Tremblay, avocat du locataire le locateur Farzad Peyrow |
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Date de l’audience : |
6 août 2020 |
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[1] Office municipal d'habitation de la Plaine de Bellechasse c. Therrien, R.D.L., 2019-06-11, 2019 QCRDL 19669, SOQUIJ AZ-51604719.
[2] Le Groupe Rioux Habitat c. Oneil Lévesque, 125-80-000030-079, Cour du Québec, Honorable juge Pierre Labbé.
[3] Jobin, P.-G. Nature du louage Le louage, P.-G. Jobin, Collection Traité de droit civil, 2e édition, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, 1996 1996 EYB1996LOU4.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.