Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Directrice des poursuites criminelles et pénales c. Watters

2017 QCCA 1315

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005970-155

(500-36-007368-148) (500-61-351034-120)

 

DATE :

 LE 5 SEPTEMBRE 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

CATHERINE LA ROSA, J.C.A. (AD HOC)

 

 

DIRECTRICE DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

APPELANTE - Intimée-poursuivante

c.

 

PIERRE WATTERS

INTIMÉ - Appelant-défendeur

 

 

ARRÊT RECTIFIÉ

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 9 septembre 2015 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Alexandre Boucher), qui accueille l’appel d’une décision prononcée par la Cour du Québec (l’honorable juge de paix magistrat Suzanne Bousquet) et ordonne la tenue d’un nouveau procès[1]. Ce premier jugement prononcé oralement le 11 septembre 2014 déclare l’appelant coupable de l’infraction d’avoir conduit à une vitesse de 97 km/h dans une zone de 50 km/h et le condamne au paiement d’une amende de 480 $[2].

[2]           Pour les motifs du juge Émond, auxquels souscrivent les juges Kasirer et La Rosa ad hoc, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

CASSE le jugement de la Cour supérieure rendu le 9 septembre 2015;

DÉCLARE l’intimé Pierre Watters coupable de l’infraction telle que libellée dans le constat d’infraction, soit d’avoir circulé à une vitesse de 97 km/h dans une zone de 50 km/h;

CONDAMNE l’intimé Pierre Watters à payer l’amende de 480 $ et les frais.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

CATHERINE LA ROSA, J.C.A. (AD HOC)

 

Me Marie-Ève Fréchette-Royer

DIRECTRICE DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’appelante

 

Me Victor Chauvelot

COUPAL CHAUVELOT

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

2 mai 2017


 

 

MOTIFS DU JUGE ÉMOND

 

 

LES QUESTIONS

[4]           Au procès d’une personne accusée d’avoir circulé à une vitesse supérieure à celle permise dans une zone de construction routière, la poursuite est-elle tenue de prouver que la signalisation indiquant la vitesse maximale installée par la personne responsable de l’entretien du chemin est conforme aux normes établies par le ministre des Transports? L’article 303.1 du Code de la sécurité routière (« CSR »)[3] établit-il une présomption simple de conformité qui relève la poursuite du fardeau de prouver cette conformité? Dans la négative, existe-t-il en common law une semblable présomption de conformité? Si l’on répond par l’affirmative à l’une ou l’autre de ces questions, à quel standard de preuve obéit renversement de cette présomption? En l’espèce, cette présomption a-t-elle été renversée?

[5]           Telles sont les principales questions que soulève le pourvoi.

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[6]           D’entrée de jeu, pour faciliter la bonne compréhension de mes motifs, je reproduis les dispositions pertinentes à la solution de l’affaire, à savoir les articles 289303.1 et 303.2 CSR :

289.  […] Les normes de fabrication et d’installation de la signalisation routière, destinée à être installée sur un chemin public ou sur un véhicule routier, sont établies par le ministre et consignées dans un manuel de signalisation routière.

 

Toute personne responsable de la gestion ou de l’entretien de chemins publics doit respecter les normes prévues au manuel lorsqu’une obligation de faire y est indiquée.

 

 

[…]

 

303.1.  La personne responsable de l’entretien d’un chemin public peut, lors de travaux de construction ou d’entretien, installer pour la durée de ceux-ci une signalisation conforme aux normes établies par le ministre des Transports qui indique une limite de vitesse à respecter autre que celle prescrite.

 

 

La décision de modifier une limite de vitesse doit être inscrite dans un registre tenu par la personne responsable de l’entretien d’un chemin public en y précisant le lieu où cette vitesse est prescrite ainsi que la durée des travaux. L’installation d’une signalisation fait preuve de cette décision.

 

303.2.  Nul ne peut circuler à une vitesse supérieure à la limite de vitesse indiquée sur la signalisation installée en vertu de l’article 303.1.

289.  […] The manufacturing and installation standards for road signs or signals to be erected on a public highway or on a road vehicle are determined by the Minister and set out in a traffic control manual.

 

 

Every person responsible for the management or maintenance of public highways must comply with standards set out in the manual where a requirement to do so is indicated therein.

 

[…]

 

303.1.  During construction or maintenance work, the person responsible for the maintenance of a public highway may, for the duration of the work, erect signs or signals in conformity with the standards laid down by the Minister of Transport to indicate a rate of speed other than the prescribed rate of speed to be respected.

 

The decision to change a rate of speed must be entered in a register kept by the person responsible for the maintenance of the public highway with an indication of the location where the rate of speed is prescribed and the duration of the work. The installation of signs or signals is proof of that decision.

 

303.2.  No person may travel at a rate of speed exceeding the limit indicated on the signs or signals erected under section 303.1.

 

 

LE CONTEXTE

Les faits :

[7]           Le 4 juillet 2012, alors qu’il circule sur l’autoroute Ville-Marie, l’intimé emprunte une bretelle d’accès pour se rendre sur l’autoroute 10. Une fois sur l’autoroute 10, il aperçoit des cônes orange et un rétrécissement de la voie. Plus loin, un policier le cible avec un cinémomètre. Il se fait intercepter peu après[4]. Un constat d’infraction de 480 $ lui est remis pour avoir roulé à une vitesse de 97 km/h dans une zone de 50 km/h[5].

[8]           Deux heures plus tard, l’intimé retourne à l’endroit où il s’est fait intercepter. Il constate qu’un panneau orange indiquant la vitesse maximale permise de 50 km/h se trouve à l’extrême droite de l’autoroute, avant la zone de construction[6]. Il remarque également qu’un deuxième panneau orange indiquant une vitesse maximale de 50 km/h a été installé près de l’endroit où se trouvait le policier radariste.

[9]           À la suite de son examen des lieux, l’intimé considère que la signalisation est « quand même relativement défaillante » puisque seulement deux panneaux sont installés[7]. Pour cette raison, il décide donc de contester le constat d’infraction.

[10]        Au procès devant la Cour du Québec, la poursuite dépose le constat d’infraction ainsi que le rapport rédigé par le policier radariste pour tenir lieu de son témoignage[8]. Le rapport fournit plusieurs détails sur les lieux et les circonstances de l’interception. Il indique notamment que le panneau de signalisation orange indiquant la vitesse maximale de 50 km/h se trouve à 400 mètres de lui, qu’il  est visible et surtout, « conforme » :

« Le 2012-07-04 à 9 h 50 je suis en opération cinémomètre laser dans la zone de travaux de l'autoroute 10 Est (Bonaventure) qui est en construction de University à la sortie Technoparc. Je me trouve entre la sortie Pierre-Dupuis et la sortie pour le Technoparc et le panneau de zone de construction orange de 50 km/h se trouve à 400 mètres de moi il est visible et conforme. Tous les véhicules qui arrivent à ma hauteur doivent avoir passé ce panneau. La zone de travaux est aussi bien visible par des cônes orange, des panneaux de construction et des jerseys de béton avec orange qui retranchent la voie de gauche avant la sortie Pierre-Dupuis jusqu'au lieu de mon opération.

Je suis effectivement stationné juste à la fin des jerseys de béton dans la voie de gauche. Je suis à pied lors de mon opération. La circulation est fluide et la visibilité est bonne (site en ligne droite pour l'opération).

Historique de détection, tests du cinémomètre complets et conformes.

Véhicule jamais perdu de vue.

Je capte le véhicule à 97 km/h à 94 mètres de moi aucun autre véhicule sur le lieu de l'opération ».

[Je souligne]

[11]        Quant à l’intimé, il témoigne sur la séquence des événements qui ont mené à son interception. Il ne conteste pas la vitesse à laquelle il a été capté par le policier radariste. Il fait plutôt valoir que la signalisation indiquant la vitesse maximale avant la zone des travaux était déficiente et qu’il appartenait à la poursuite de prouver que cette signalisation était conforme aux normes établies par le ministre des Transports.

[12]        Il plaidera par la suite que l’article 303.1 CSR n’établit pas une présomption de validité de la signalisation. Il est également d’opinion que la présomption de conformité des actes de l’administration de common law ne peut trouver application lorsque cette conformité constitue un élément constitutif de l’infraction, ce qui est le cas en l’espèce puisqu’il ne reconnaît pas que la signalisation était conforme aux normes.

[13]        De son côté, la poursuite réplique qu’elle n’est pas tenue de démontrer la conformité de la signalisation indiquant la vitesse maximale permise qui a été installée par la personne responsable de l’entretien de la route. À son avis, l’article 303.1 CSR établit une présomption de conformité. À titre subsidiaire, elle invoque la règle de common law établissant une présomption de conformité des actes de l’administration.

[14]        Dans tous les cas, elle fait valoir qu’il appartenait à l’intimé de repousser cette présomption en prouvant, par la balance des probabilités, le fait que la signalisation en place n’était pas conforme aux normes fixées par le ministre des Transports. Comme l’intimé n’a pas fait cette preuve, elle demande à la juge d’écarter son moyen de défense fondée sur la signalisation déficiente.

Le jugement de la Cour du Québec :

[15]        Dans son jugement, la juge de paix magistrat conclut que l’article 303.1 CSR n’établit pas une présomption de conformité de la signalisation routière.

[16]        Par contre, la juge de paix magistrat retient qu’en common law, une telle présomption de conformité existe. Comme le CSR est silencieux sur la question, elle estime que cette règle de common law doit trouver application au Québec, du reste comme dans les autres provinces canadiennes.

[17]        La juge de paix magistrat estime qu’il appartenait à l’intimé de prouver par prépondérance de preuve que la signalisation n’était pas conforme aux normes du ministre des Transports, fardeau qui n’a pas été satisfait.

[18]        En conséquence, la juge de paix magistrat déclare l’intimé coupable de l’infraction d’excès de vitesse.

Le jugement de la Cour supérieure :

[19]        En appel de ce jugement, le juge de la Cour supérieure conclut lui aussi que l’article 303.1 CSR n’établit pas une présomption de conformité de la signalisation installée dans une zone de construction routière.

[20]        Mais contrairement à la Cour du Québec, le juge de la Cour supérieure estime que la common law ne prévoit pas une présomption de conformité de la signalisation routière lorsque celle-ci est contestée. Il dit fonder sa conclusion sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta R. c. Scott[9], sur le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique R. c. Potts[10], ainsi que sur l’ouvrage de doctrine The Law of Evidence[11].

[21]        Je cite son analyse in extenso :

[16]      Au soutien de sa conclusion selon laquelle il existe en common law une présomption de régularité de la signalisation routière, la juge du procès s’est fondée sur le jugement DPCP c. Boisvert, 2012 QCCQ 7159 (CanLII) et la jurisprudence qui y est citée. Avec respect, la jurisprudence citée dans le jugement Boisvert n’étaye pas une telle conclusion. En particulier, le jugement R. c. Potts, 2006 BCSC 592 (CanLII) de la Cour suprême de la Colombie-Britannique réfère à la présomption de régularité des actes officiels (regularity of official acts) qui peut être invoquée pour établir l’accomplissement de formalités administratives mais précise que cette présomption ne peut être utilisée pour prouver un élément litigieux d’une infraction. Voici comment la juge Smith (maintenant juge à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique) s’exprime à ce sujet :

[18] The defence submits the Crown failed to establish beyond a reasonable doubt an essential element of the offence, namely that a highway sign limiting the rate of speed to 110 km/h was in place and unobstructed at the material time.  Mr. Potts did not call any evidence to the contrary but relied upon the Crown to prove that element of the offence beyond a reasonable doubt.  Unless that evidence meets the requisite standard of proof, the verdict is unreasonable.

[19] At common law there is presumption of regularity.  This maxim presumes compliance with a statutory requirement such as ensuring a highway sign is in place.  However, as noted in Sopinka et al, The Law of Evidence 2nd ed., (Toronto: Butterworths, 1999), at p. 117, ¶4.53, “… the presumption may not be used to establish an ingredient of a crime in criminal proceedings if the regularity and the propriety of the matter in question are disputed at trial.”

[17]      La plus récente édition de l’ouvrage Sopinka, Lederman & Bryant - The Law of Evidence, 4 ed., LexisNexis, 2014, aux pp. 164 et 165, réitère l’affirmation citée dans cet extrait.

[18]      Précédemment, dans R. c. Scott, 1980 ABCA 299 (CanLII), le juge Prowse a discuté des critères d’application et des limites de la présomption de régularité des actes officiels. Il en ressort que cette présomption peut difficilement servir à prouver un élément essentiel d’une infraction:

[4]  In Wigmore on Evidence, 3rd edition, vol. IX, at p. 488, that learned author proposes several conditions for the application of the omnia praesumuntur rule:

" first, that the matter is more or less in the past, and incapable of easily procured evidence; secondly, that it involves a mere formality, or detail of required procedure, in the routine of a litigation or of a public officer's action; next, that it involves to some extent the security of apparently vested rights, so that the presumption will serve to prevent an unwholesome uncertainty; and, finally, that the circumstances of the particular case add some element of probability."

[5] I am in respectful agreement with the observation of Parker, L.C.J. in Scott v. Baker (1968), 52 Cr. App. R. 566 at 571, that very great care must be taken in applying the presumption of regularity in criminal proceedings. To purport to establish the guilt of an accused solely or largely by reliance on such a presumption would amount to a fundamental contradiction of the principles upon which our system of criminal law is based. This is not to say, however, that the presumption has no application. The gravamen of an offence, that is the fact that the acts comprising the offence were done by the accused, with whatever mental element may be required by the definition of the offence under consideration, must be proved by direct evidence. At that point, an examination of Wigmore's conditions quoted supra will at times demonstrate the appropriateness of applying the presumption of regularity to establish elements of the offence which, while technically essential to the charge, are not central to the issue of whether the gravamen of the offence has been established. The due appointment of officials, and compliance by officials with their statutory duties, come to mind as areas potentially receptive to the application of the presumption.

[19]      L’arrêt Scott a été cité avec approbation par la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts R. c. McNamara (1982), 1982 CanLII 2157 (ON CA), 66 CCC (2d) 24 et R. c. Molina, 2008 ONCA 212 (CanLII).

[Soulignements dans l’original]

[22]        Comme l’intimé conteste la conformité de la signalisation, le juge de la Cour supérieure retient qu’il incombait à la poursuite de prouver cette conformité, l’un des éléments de l’actus reus de l’infraction :

[20]            À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la common law ne prévoit pas de présomption de régularité de la signalisation routière écartant la règle fondamentale voulant que la poursuite ait le fardeau de prouver, hors de tout doute raisonnable, l’actus reus d’une infraction. Ainsi, il incombe à la poursuite de faire la preuve de l’installation d’une signalisation routière conforme aux normes du ministère des Transports du Québec lorsqu’une telle signalisation est un élément de l’actus reus.

[23]        Le juge de la Cour supérieure est aussi d’avis qu’il appartenait à la poursuite de prouver que la signalisation en place au moment de l’infraction était adéquate et ne pouvait donner ouverture à la défense d’impossibilité :

[23]      Nonobstant l’actus reus de l’infraction en cause, une signalisation routière peut être défaillante au point d’empêcher un automobiliste de se conformer à la loi ou à la réglementation applicable et ainsi donner ouverture à la défense d’impossibilité (Longueuil (Ville de) c. Leblanc, 2014 QCCS 6351 (CanLII); Champagne c. DPCP, 2009 QCCS 5909 (CanLII); Hugues Parent, Traité de droit criminel, Tome I — L'imputabilité, 4e éd., Montréal, Thémis, 2015, par. 962) [1].

[24]      C’est sous cet angle que doit être considéré l’argument de l’appelant à l’égard de l’absence de panneau de signalisation annonçant la zone de travaux. Cette signalisation a pour but d’aviser les conducteurs suffisamment à l’avance pour leur permettre d’adapter leur conduite à la situation. D’ailleurs, le responsable des travaux routier est tenu, au sens de l’article 289 du CSR, d’installer cette signalisation puisque les normes du ministère des Transport du Québec (Normes : Ouvrages routiers, Tome V - Signalisation routière) indiquent leur caractère obligatoire (voir : Saint-Eustache (Ville de) c. Grenier2006 QCCA 304, par. 20 à 26).

[25]      Selon la doctrine, les éléments constitutifs de la défense d’impossibilité sont l’imprévisibilité et l’irrésistibilité (Hugues Parent, Traité de droit criminel, Tome I — L'imputabilité, précité, par. 963 à 967; Fannie Fontaine, Nécessité, contrainte et impossibilité, Jurisclasseur: Droit pénal général, fasc. 16, LexisNexis, Montréal, 2013, par. 48 à 52).

[26]      La défense d’impossibilité est un moyen de défense affirmatif fondé sur la négation de la volonté au sens normatif ou moral (à l’impossible nul n’est tenu) comme la défense de nécessité et la défense de contrainte (R. c. Ryan, 2013 CSC 3 (CanLII), [2013] 1 RCS 14; R. c. Ruzic2001 CSC 24 (CanLII), [2001] 1 RCS 687 et Perka c. La Reine, 1984 CanLII 23 (CSC), [1984] 2 RCS 232). Ainsi, le fardeau de preuve applicable à la défense d’impossibilité, comme pour les autres moyens de défense du même type, est régi par la règle de la vraisemblance. Il revient d’abord à l’accusé de démontrer que le moyen de défense repose sur un fondement de preuve suffisant en vertu d’un fardeau de présentation. Le cas échéant, le fardeau de persuasion incombe à la poursuite qui doit réfuter hors de tout doute raisonnable le moyen de défense (R. c. Cinous2002 CSC 29 (CanLII), [2002] 2 RCS 3, par. 50 à 91; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 (CanLII), [2004] 1 RCS 702, par. 55 à 58; R. c. Mayuran, 2012 CSC 31 (CanLII), [2012] 2 RCS 162, par. 20 et 21).

[24]        Au terme de son analyse, il conclut qu’il appartenait à la poursuite de prouver la conformité de la signalisation hors de tout doute raisonnable, et ce, tant  en regard de l’actus reus de l’infraction que sous l’angle de la défense d’impossibilité :

[27]      En définitive, la poursuite avait le fardeau de prouver la régularité de la signalisation routière, hors de tout doute raisonnable, que la question soit considérée sous l’angle de l’actus reus de l’infraction ou sous l’angle de la défense d’impossibilité. Avec égard, la juge du procès a erré en droit en imposant à l’appelant le fardeau de prouver, selon la balance des probabilités, la défaillance de la signalisation.

LES MOYENS D’APPEL

[25]        Devant nous, l’appelant réitère que l’article 303.1 CSR établit une présomption de conformité de la signalisation routière[12].

[26]        À défaut, il maintient également qu’en common law, il existe bel et bien une présomption de conformité de la signalisation routière, laquelle doit trouver application pour combler le silence du CSR. À son avis, le juge de la Cour supérieure s’est mépris sur la portée des jugements R. c. Potts et R. c. Scott. Il plaide que ces deux jugements font simplement ressortir que la présomption de conformité doit être appliquée avec prudence dans le cadre « de procédures criminelles », cela sans restreindre son application dans le cadre de poursuites pénales pour des infractions réglementaires ou statutaires, comme celles de l’espèce. Pour appuyer sa position, il se réfère au jugement de la Cour de Justice de l’Ontario R. c. Hawkshaw[13] (confirmé en appel par la Cour d’appel de l’Ontario)[14] ainsi qu’à deux arrêts de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse R. v. Grace[15] et R. v. Peterson[16].

[27]         Il conclut son argumentaire en affirmant que cette présomption de conformité a été appliquée à maintes reprises par les tribunaux québécois[17].

L’ANALYSE

1.    La portée de la présomption de l’article 303.1 CSR :

[28]        En matière d’interprétation législative, la règle à suivre est bien établie. Il faut interpréter les termes d’une loi en tenant compte de son contexte global, du sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec son esprit et son objet de manière à respecter l’intention du législateur. Cette règle, d’abord énoncée par l’auteur Driedger, a été maintes fois réitérée et appliquée par la Cour suprême[18].

[29]        Appliquant cette règle d’interprétation à l’article 303.1 CSR, il faut conclure, il me semble, que la présomption énoncée au deuxième alinéa de l’article 303.1 CSR ne s’applique qu’à l’inscription de la décision de modifier une limite de vitesse dans un registre tenu par la personne responsable de l’entretien d’un chemin public. La dernière phrase du second alinéa de cette disposition ne laisse guère planer de doutes :

[…]

La décision de modifier une limite de vitesse doit être inscrite dans un registre tenu par la personne responsable de l’entretien d’un chemin public en y précisant le lieu où cette vitesse est prescrite ainsi que la durée des travaux. L’installation d’une signalisation fait preuve de cette décision.

[30]        Pour prétendre que cette présomption s’appliquerait également à la conformité de la signalisation, comme le soutient l’appelant, il faut ajouter au texte. Si le législateur avait voulu que cette présomption réfère également à la conformité de la signalisation, il lui aurait appartenu de l’indiquer. Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt R. c. McIntosh, en présence d’une disposition législative claire, il faut reconnaître l’effet recherché par le législateur[19] :

Pour résoudre la question d'interprétation soulevée par le ministère public, je pars de la proposition qu'il faut donner plein effet à une disposition législative qui, à sa lecture, ne présente pas d'ambiguïté. C'est une autre façon de faire valoir ce que l'on a parfois appelé la « règle d'or » de l'interprétation littérale; une loi doit être interprétée d'une façon compatible avec le sens ordinaire des termes qui la compose. Si le libellé de la loi est clair et n'appelle qu'un seul sens, il n'y a pas lieu de procéder à un exercice d'interprétation.

2. La présomption de conformité en common law :

[31]        Le juge de la Cour supérieure retient que la présomption de conformité des actes officiels ou actes de l’administration ne peut s’appliquer pour prouver un élément constitutif de l’infraction s’il est litigieux. Il fonde sa conclusion sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta R. c. Scott et un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. c. Potts.

[32]        À mon avis, il commet une erreur. Celle-ci découle à la fois d’une mauvaise lecture de l’arrêt R. c. Scott et des enseignements qu’il tire du jugement R. c. Potts, lequel ne constitue pas, à mes yeux, un précédent convaincant.

[33]        Je m’explique davantage.

[34]        D’entrée de jeu, je signale que l’affirmation voulant que la Cour d’appel de l’Alberta ait totalement exclu l’application de la présomption de conformité aux infractions criminelles[20] et pénales me paraît inexacte.

[35]        Dans cet arrêt, le juge Prowse, qui écrit pour la majorité, rappelle d’abord les quatre conditions qui doivent être satisfaites afin que la présomption de conformité, aussi connue sous la maxime latine Omnia praesumuntur rite, puisse s’appliquer. :

[4] In Wigmore on Evidence, 3rd edition, vol. IX, at p. 488, that learned author proposes several conditions for the application of the omnia praesumuntur rule:

"first, that the matter is more or less in the past, and incapable of easily procured evidence; secondly, that it involves a mere formality, or detail of required procedure, in the routine of a litigation or of a public officer's action; next, that it involves to some extent the security of apparently vested rights, so that the presumption will serve to prevent an unwholesome uncertainty; and, finally, that the circumstances of the particular case add some element of probability."

[Soulignements dans l’original]

[36]        Dans un second temps, il fait une mise en garde. Se référant au précédent Scott c. Baker[21], il indique que la présomption de conformité doit être appliquée de façon prudente dans le cadre « de procédures criminelles » :

[5] I am in respectful agreement with the observation of Parker, L.C.J. in Scott v. Baker (1968), 52 Cr. App. R. 566 at 571, that very great care must be taken in applying the presumption of regularity in criminal proceedings. To purport to establish the guilt of an accused solely or largely by reliance on such a presumption would amount to a fundamental contradiction of the principles upon which our system of criminal law is based. […]

[Je souligne]

[37]        Toutefois, cette invitation à la prudence n’exclut pas totalement l’application de la présomption de conformité dans les poursuites criminelles :

[…] This is not to say, however, that the presumption has no application. The gravamen of an offence, that is the fact that the acts comprising the offence were done by the accused, with whatever mental element may be required by the definition of the offence under consideration, must be proved by direct evidence. At that point, an examination of Wigmore's conditions quoted supra will at times demonstrate the appropriateness of applying the presumption of regularity to establish elements of the offence which, while technically essential to the charge, are not central to the issue of whether the gravamen of the offence has been established. The due appointment of officials, and compliance by officials with their statutory duties, come to mind as areas potentially receptive to the application of the presumption.

[Je souligne]

[38]        En somme, le juge Prowse n’a pas énoncé un principe ferme voulant que la présomption de conformité des actes officiels de l’administration ne puisse s’appliquer dans les procédures criminelles. Quant à la non-application de cette présomption dans les poursuites pénales pour des infractions statutaires ou réglementaires, il faut extrapoler pour lui prêter de tels propos.

[39]        D’ailleurs, il me paraît important de signaler que, dans cette affaire, l’accusé Scott faisait face à des accusations fondées sur le Code criminel et non à une poursuite pénale pour une infraction statutaire ou réglementaire.

[40]        J’y reviendrai.

[41]        Quant au jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique R. c. Potts, lequel portait sur une infraction en vertu du Motor Vehicule Act de la Colombie-Britannique, il favorise, il est vrai, la thèse retenue par le juge de la Cour supérieure. Se fondant sur l’ouvrage de Sopinka et al., The Law of Evidence[22], la juge Smith affirme que la présomption de conformité pour établir la conformité de la signalisation :

[18] The defence submits the Crown failed to establish beyond a reasonable doubt an essential element of the offence, namely that a highway sign limiting the rate of speed to 110 km/h was in place and unobstructed at the material time.  Mr. Potts did not call any evidence to the contrary but relied upon the Crown to prove that element of the offence beyond a reasonable doubt.  Unless that evidence meets the requisite standard of proof, the verdict is unreasonable.

[19] At common law there is presumption of regularity.  This maxim presumes compliance with a statutory requirement such as ensuring a highway sign is in place.  However, as noted in Sopinka et al, The Law of Evidence 2nd ed., (Toronto: Butterworths, 1999), at p. 117, 4.53, “… the presumption may not be used to establish an ingredient of a crime in criminal proceedings if the regularity and the propriety of the matter in question are disputed at trial.”[23] 

[42]        Toutefois, une lecture attentive de l’extrait complet tiré de l’ouvrage The Law of Evidence[24], tel qu’il était rédigé à l’époque, me convainc que la réserve visait d’abord et avant tout l’application de la présomption dans les procédures criminelles pour prouver un élément constitutif du crime contesté. Les auteurs expliquaient d’ailleurs que la présomption de conformité avait déjà été appliquée pour établir le bon fonctionnement d’un feu de signalisation :   

4.53 It has also been held that by virtue of this maxim a will which appears to be duly executed on its face will be presumed to have been executed in compli­ance with all statutory requirements. The maxim has been extended in England to raise a presumption that traffic lights erected by public officials were in working order at the relevant time. However, the presumption may not be used to establish an ingredient of a crime in criminal proceedings if the regular­ity and the propriety of the matter in question are disputed at trial. […].[25]

[Je souligne]

[43]        En somme, je retiens que, dans le jugement R. c. Potts, la juge Smith a élargi la portée de la règle d’exclusion relativement à l’application de la présomption de conformité qui était préconisée par Sopinka et al.

[44]        Ma lecture du jugement Potts est aussi celle qu’en fait le juge Stone de la Cour de Justice de l’Ontario dans R. c. Hawkshaw, une affaire relative à une infraction pour vitesse excessive en vertu du Highway Traffic Act de l’Ontario :

35        The appellant relies on R. v. Potts, [2006] B.C.J. No. 849 (B.C.S.C.), in effect, a Provincial Offences Act appeal from that Province. At paragraph 19 the learned judge said:

"At common law there is [a] presumption of regularity. This maxim presumes compliance with a statutory requirement such as ensuring a highway sign is in place. However, as noted in Sopinka et al, The Law of Evidence 2nd ed., (Toronto; Butterworths, 1999), at p. 117, [paragraph] 4.53, '... the presumption may not be used to establish an ingredient of a crime in criminal proceedings if the regularity and the propriety of the matter in question are disputed at trial."

36        I am not sure that the quotation from Sopinka is apt to apply. Although Highway Traffic Act offences are described as quasi criminal, this is not a criminal matter, but a regulatory one and, for example, Provincial Offences Act appeals involve civil process. In an appropriate Provincial Offences Act case I would hold that the presumption of regularity might very well apply on a disputed issue. Further, the reasoning in Potts may mirror R. v. Lounsbury, [1993] M.J. No. 510. (QB) in not giving serious consideration to the standard practice of a police officer or other witness. Lounsbury has been criticized in Ontario as going too far and in any event it is inconsistent with our own Court of Appeal in the more recent case of R. v. Thompson (2000), 151 C.C.C. (3d) 339, 8 M.V.R. (4th) 167. That was a criminal case. The officer's normal practice was held to entitle the trier of fact to find that the normal practice was performed in the present case. The trier of fact is not required to so find, but is permitted to do so. It may be that the law in British Columbia is different, as the appeal judge in Potts appears to have re-weighed that type of evidence. I am not sure that Potts could have been decided the same way in Ontario.[26]

[Je souligne]

[45]        Dans un court arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé ce jugement. Toutefois, elle ne développe pas sa pensée sur l’application de la présomption de conformité, que ce soit dans les affaires criminelles ou les poursuites pénales[27].

[46]        Quelques années plus tard, dans l’arrêt R. c. Molina[28], la Cour d’appel de l’Ontario s’est à nouveau interrogée sur l’application de la présomption de conformité dans les procédures criminelles. Dans cette affaire, les prévenus faisaient face à des accusations criminelles fondées sur le paragraphe 259(4) C.cr. Se référant aux enseignements du professeur Wigmore et du juge Prowse de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Scott, le juge Blair écrit :

[11] The presumption of regularity is a reflection of the Latin maxim: omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta donec probetur in contrarium (everything is presumed to be rightly and duly performed until the contrary is shown). As Watt J. noted in R. v. Kapoor, [1989] O.J. No. 1887, 52 C.C.C. (3d) 41 (H.C.J.), at p. 68 C.C.C., it "has especial application in the case of persons who discharge a public or statutory duty".

[12] Various authorities have drawn on the treatise of the great American authority on evidence, Professor John Henry Wigmore, in dealing with the underpinnings of the doctrine. For example, Prowse J.A., speaking for the Alberta Court of Appeal in the context of a breach of probation case in R. v. Scott, 1980 ABCA 299 (CanLII), [1980] A.J. No. 645, 56 C.C.C. (2d) 111 (C.A.), at pp. 113-14 C.C.C., said: [page 228]

This statement [See Note 1 below] constitutes an admission by the accused, and is therefore admissible as evidence of compliance with s. 663(4)(a) and (b). The issue is whether, in the absence of positive evidence, the statement supplies an element of probability justifying the presumption that the explanation of sections 664(4) and 666 was delivered by the sentencing judge himself, as required.

In [Wigmore A Treatise on the Anglo-American System of Evidence in Trials at Common Law on Evidence, 3rd ed.

(1940), vol. IX, p. 488,] that learned author proposes several conditions for the application of the omnia praesumuntur rule:

. . . first, that the matter is more or less in the past, and incapable of easily procured evidence; secondly, that it involves a mere formality, or detail of required procedure, in the routine of a litigation or of a public officer's action; next, that it involves to some extent the security of apparently vested rights, so that the presumption will serve to prevent an unwholesome uncertainty; and finally, that the circumstances of the particular case add some element of probability.[29]

[47]        Le juge Blair précise que, dans l’arrêt R. v. McNamara[30], la Cour d’appel de l’Ontario avait déjà reconnu ces principes :

[13] This court approved that statement in R. v. McNamara (1982), 1982 CanLII 2157 (ON CA), 36 O.R. (2d) 308, [1982] O.J. No. 3217, 66 C.C.C. (2d) 24 (C.A.), at pp. 28-29 C.C.C., leave to appeal to S.C.C. refused (1982), 36 O.R. (2d) 308n, [1982] S.C.C.A. No. 271, 66 C.C.C. (2d) 24n. It also approved the following additional admonition by Prowse J.A. in Scott at p. 114 C.C.C.:

I am in respectful agreement with the observation of Parker L.C.J. in Scott v. Baker (1968), 52 Cr. App. R. 566 at p. 571, that very great care must be taken in applying the presumption of regularity in criminal proceedings. To purport to establish the guilt of an accused solely or largely by reliance on such a presumption would amount to a fundamental contradiction of the principles upon which our system of criminal law is based. That is not to say, however, that the presumption has no application.[31]

[48]        Dans la foulée de ces jugements et arrêts[32], la Cour de Justice de l’Ontario a à nouveau été appelée à se prononcer sur l’application de la présomption pour établir la conformité de la signalisation indiquant la vitesse maximale permise dans le cadre d’un procès pour une infraction d’excès de vitesse. Il s’agit de l’affaire R. c. Garbarino (Garbarino, appelant c. Reine, intimée)[33]. Celle-ci présente des similitudes avec celle de l’espèce.

[49]        En première instance, un juge de paix avait déclaré Garbarino coupable d’une infraction d’excès de vitesse en vertu du Highway Traffic Act après avoir conclu, en se référant à Hawkshaw,  qu’il pouvait présumer de la conformité de la signalisation en place.

[50]         En appel de ce jugement, Garbarino maintenait que la présomption de conformité ne pouvait trouver application pour prouver la conformité de la signalisation, celle-ci étant au cœur de la contestation:

[4]        The appellant goes on in his factum to argue that the presumption of regularity cannot be utilized by a trial judge in determining whether the evidence is sufficient to establish the distance between posted speed limit signs. At paragraph 17 the factum states:

It is respectfully submitted that the presiding Justice of the Peace erred in law when relying in the presumption of regularity when establishing the existence of one elements of the offence, namely, the distance between signs, instead of relying in the witness evidence which did not establish any evidence as to the said distance.[34]

[51]        Dans son jugement, le juge d’appel LeDressay prend d’abord soin de s’éloigner du jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. v. Potts et cela, en se référant aux motifs du juge Stone dans Hawkshaw :

[14] It should be noted that Stone J. in Hawkshaw considered the presumption of regularity issue as it applied to regulatory offences under the Highway Traffic Act and the potential application of the British Columbia decision in R. v. Potts [2006] B.C.J. 849 (B.C.S.C.). Stone J. was sceptical whether the Potts case would have been decided in the same way in Ontario and he ultimately concluded that the evidence in that case, buttressed by the presumption of regularity, was sufficient to establish a prima facie case. Feldman J.A. appears to have tacitly agreed with Stone J. when leave to appeal his decision was denied.[35]

[52]        Il ajoute que, dans le cas d’une infraction fondée sur la Highway Traffic Act, le tribunal est justifié d’appliquer la présomption de conformité relativement au respect des normes d’installation de la signalisation :

[20] Surely in regulatory offences such as speeding, which is a common and may be the most frequently charged Highway Traffic Act offence, a trial court is entitled to apply the presumption of regularity to the requirements of Regulation 615 which sets out in minute detail the requirements necessary for speed limit signs which are voluminous and well recognized in the Province of Ontario on all highways and would be a factor in many speeding trials.

[21] In this specific case, if Regulation 615 even applies concerning the distance between speed limit signs, the presumption of regularity could be utilized in making the factual determination required. The Wigmore criteria as referred to by the Ontario Court of Appeal in Molina, and the virtually identical prerequisites set out in other cases, would clearly be satisfied in these circumstances. Here, Justice of the Peace Woloschuk accepted the officer’s evidence and noted that there was no evidence to the contrary. There is clear evidence of the existence of speed limit signs in the area where the speeding is alleged to have taken place. There is some conclusory evidence that the signs themselves were the “standard regulatory sign” pursuant to Regulation 615 (Transcript, page 31). The only deficiency was that the officer did not know the precise distance between the speed limit signs she referred to in her evidence. As pointed out by Justice of the Peace Woloschuk in his reasons, there is no other evidence on this issue. While the presumption of regularity is a rebuttable presumption, it is certainly not rebutted only by evidence that the officer was unaware of the specific distance between the speed limit signs referred to in her evidence at the trial.[36]

[53]        Cette conclusion emportait le fait que tous les éléments de l’actus reus avaient été prouvés et que la déclaration de culpabilité prononcée en première instance s’avérait bien fondée :

[22] Justice of the Peace Woloschuk therefore applied the Hawkshaw decision, made the factual determination on this issue and concluded that the Crown had proven the elements of the offence beyond a reasonable doubt, and so a finding of guilt was made. There was clearly no misapprehension of the evidence by Justice of the Peace Woloschuk and he correctly applied the governing legal principles as set out in the two Hawkshaw decisions and the other applicable case law.[37]

[54]        Je ne pourrais conclure cette revue de la jurisprudence canadienne sans souligner le fait qu’au Québec, tant la Cour du Québec que la Cour supérieure, cette dernière à titre de tribunal d’appel[38], ont aussi reconnu et appliqué la présomption de conformité dans le cadre de procès portant sur des infractions en vertu Code de la sécurité routière où la conformité de la signalisation routière était remise en question[39].

[55]        En conclusion sur cette question, je retiens que la jurisprudence canadienne reconnaît que la présomption de conformité des actes de l’administration peut trouver application dans le cadre d’un procès portant sur une infraction de type statutaire ou réglementaire en matière de sécurité routière et que  le juge de première instance commet une erreur lorsqu’il affirme le contraire, au paragraphe [20] du jugement :

[20]  À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que la common law ne prévoit pas de présomption de régularité de la signalisation routière écartant la règle fondamentale voulant que la poursuite ait le fardeau de prouver, hors de tout doute raisonnable, l’actus reus d’une infraction. Ainsi, il incombe à la poursuite de faire la preuve de l’installation d’une signalisation routière conforme aux normes du ministère des Transports du Québec lorsqu’une telle signalisation est un élément de l’actus reus.[40]

 

[56]        Cette présomption issue de la common law peut trouver application au Québec[41].

*     *     *

[57]        L’intimé fait néanmoins valoir que la règle de prudence relative à l’application de la présomption de conformité qui fut réitérée par le juge Prowse dans l’arrêt R. c. Scott doit trouver application tant en matière criminelle que pénale lorsqu’il s’agit de prouver un élément constitutif « essentiel » d’une infraction. C’est du moins les enseignements qu’il tire de cet arrêt. Voici les passages des motifs du juge Prowse sur lesquels il se fonde : 

[5] I am in respectful agreement with the observation of Parker, L.C.J. in Scott v. Baker (1968), 52 Cr. App. R. 566 at 571, that very great care must be taken in applying the presumption of regularity in criminal proceedings. To purport to establish the guilt of an accused solely or largely by reliance on such a presumption would amount to a fundamental contradiction of the principles upon which our system of criminal law is based.

[…] an examination of Wigmore's conditions quoted supra will at times demonstrate the appropriateness of applying the presumption of regularity to establish elements of the offence which, while technically essential to the charge, are not central to the issue of whether the gravamen of the offence has been established. […]

 

[58]        Il estime que c’est ce que le juge de la Cour supérieure a lui aussi retenu. Du moins, c’est en ce sens qu’il nous invite à lire son jugement.

[59]        Le juge de la Cour supérieure a-t-il vraiment voulu apporter une telle nuance? Si tel est le cas, il ne l’a pas clairement énoncé.

[60]        Pour ma part, je lis cet extrait autrement. À mon avis, le juge Prowse ne fait qu’indiquer que le fait d’établir un élément essentiel de l’infraction seulement ou principalement par l’application de cette présomption constituerait une atteinte aux principes fondamentaux sur lesquels le système de droit « criminel » est fondé.  Or, c’est d’ailleurs la nuance apportée par les jugements R. c. Hawkshaw et R. c. Garbarino[42].

[61]        J’ajoute que, dans le cadre d’une infraction pour excès de vitesse comme celle de l’espèce, la culpabilité ne découle pas « seulement ou principalement » de la conformité de la signalisation routière. Si la signalisation constitue un élément constitutif de l’infraction, elle n’en est pas pour autant un élément central du litige, surtout lorsque la preuve révèle la présence d’une signalisation adéquate et visible comme c’est le cas ici.

[62]        Je fais référence au rapport du policier radariste :

[…] le panneau de zone de construction orange de 50 km/h se trouve à 400 mètres de moi il est visible et conforme […]

3. Le fardeau de preuve de celui qui commet l’infraction :

[63]        Dans son mémoire, l’intimé soutient que la juge de première instance a erré en concluant que la présomption de conformité pouvait être renversée au moyen d’une preuve prépondérante. Selon lui, pour contrer cette présomption, un doute raisonnable suffit. Pour justifier sa prétention, il se réfère à des jugements du Québec, de la Cour du Québec, de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse[43].

[64]        L’intimé passe toutefois sous silence la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario sur la question, dans l’arrêt R. c. Molina :

[20] Once the Wigmore conditions have been satisfied and the presumption of regularity has been found to apply, it is open to the accused to rebut it by way of evidence. The degree of proof required to displace the application of the presumption has been held to be proof on a balance of probabilities. See Kapoor at p. 70 C.C.C. That evidence need not originate from the alleged offender or witnesses for the defence, however. Here, the trial judges and the summary conviction appeal judge all concluded that there was evidence tendered by the Crown that rebutted the presumption, namely the prohibition order itself.

[Je souligne]

[65]        Il fait de même à l’égard de l’opinion exprimée par Sopinka et al. :

4.63 The party against whom the presumption operates must prove to a balance of probabilities that the appointment was without authorization or the acts were irregular.[44]

[66]        Cela étant, si débat il y a sur la question, ce dont je doute étant donné l’arrêt Molina et les enseignements de Sopinka, celui-ci me semble être bien théorique. En effet, s’il fallait retenir que le doute raisonnable suffit à renverser la présomption de conformité, il appert qu’en l’espèce, l’intimé ne s’est pas déchargé de ce simple fardeau. Rien ne saurait remettre en question cette présomption.

[67]        Il faut ici retenir que l’intimé s’est limité, en première instance, à plaider que l’appelante n’avait pas satisfait son fardeau. Certes, il a affirmé que la signalisation était peu visible. Toutefois, cette seule affirmation ne suffisait pas à soulever un doute quant à sa conformité pas plus qu’à repousser la présomption.

4. La conclusion de la juge de paix magistrat :

[68]        Tel que la jurisprudence largement majoritaire l’enseigne, la présomption de conformité peut s’appliquer dans le cadre de procès relatifs à des poursuites pénales pour des infractions de type statutaire ou réglementaire si les critères identifiés par le professeur Wigmore sont satisfaits. En l’espèce, ils le sont. Premièrement, les faits de l’affaire en cause se sont déroulés il y a un certain temps et la poursuite pourrait difficilement se procurer d’autres éléments pour prouver la conformité de de la signalisation. Deuxièmement, la preuve de la conformité de la signalisation vise à reconnaître une démarche usuelle des personnes responsables de l’entretien des chemins publics, qui, pour assurer la sécurité des utilisateurs et des travailleurs, doivent placer une signalisation adéquate dans les zones de construction routière. Enfin, les circonstances particulières de l’affaire, dont les mentions non contestées du rapport du policier voulant que « le panneau de zone de construction orange de 50 km/h se trouve à 400 mètres de [lui] est visible et conforme » et l’admission de l’appelant quant à la présence de panneaux de signalisation sur les lieux de l’infraction constituent des éléments probants qui s’ajoutent.

[69]        En définitive, je suis d’avis que la juge de paix magistrat était bien fondée à appliquer la présomption de conformité.

[70]        Comme l’intimé n’a pas fait de preuve pour la renverser, la juge de paix magistrat devait conclure que la signalisation était conforme.

[71]        À cela, je ne peux m’empêcher d’ajouter qu’en ne contestant pas la vitesse à laquelle il a été capté, soit 97 km/h, l’intimé s’est trouvé à reconnaître avoir largement excédé la vitesse maximale permise à l’endroit où l’infraction a été commise en l’absence de travaux routiers, c’est-à-dire à la sortie de la bretelle donnant accès à l’autoroute 10, la preuve non contestée révélant que cette vitesse maximale permise est de 70 km/h. 

[72]        En conséquence, je propose d’accueillir l’appel, de casser le jugement de la Cour supérieure et rétablir le jugement de la Cour du Québec.

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

 



[1]     Watters c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2015 QCCS 4246 [Jugement dont appel].

[2]     La Reine c. Watters, C.Q., n° 500-61-351034-120, 11 septembre 2014, Bousquet, j.p.m.

[3]     Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2 [CSR].

[4]     Témoignage de Pierre Watters, 11 septembre 2014.

[5]     Jugement dont appel, paragr. 1.

[6]     Témoignage de Pierre Watters, 11 septembre 2014.

[7]     Ibid.

[8]     Article 62 du Code de procédure pénale.

[9]     R. v. Scott, [1980] A.J. No. 645 (C.A. Alta.).

[10]    R. v. Potts, 2006 BCSC 592.

[11]    John Sopinka, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, The law of evidence in Canada, 4e éd., Markham, LexisNexis, 2014, no 4.63, p. 164-165.

[12]    CSR, art. 303.1.

[13]    R. v. Hawkshaw, 2006 ONCJ 536, [2006] O.J. No. 5419.

[14]    R. v. Hawkshaw, [2007] O.J. No. 898 (C.A. Ont.).

[15]    R. v. Grace, [1986] N.S.J. No. 502 (C.A. N.S.).

[16]    R. v. Peterson, [1973] N.S.J. No. 56 (C.A. N.S.).

[17]    Pageau Pouliot c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2014 QCCS 5603; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Grob, 2015 QCCQ 195; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boisvert, 2012 QCCQ 7159, confirmé par. R. c. Boisvert, SOQUIJ AZ-51347932.

[18]    R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Rizzo & Rizzo Shoes L.T.D. (Re) [1998] 1 R.C.S. paragr. 21; 65302 British Columbia Ltd. V. Canada [1999] 3 R.C.S. paragr. 50; Bell ExpressVu v. Rex [2002] 2 R.C.S. paragr. 26; Trustco c. Canada [2005] 2 R.C.S. paragr. 10; et, R. c. J.A. [2011] 2 S.C.R. paragr. 32.

[19]    R. c. McIntosh, supra, note 18 paragr. 18.

[20]    R. v. Scott, supra, note 9.

[21]    Scott c. Baker (1968), 52 Cr. App. R. 566, [1969] 1 Q.B. 659 (R.-U.).

[22]    The law of evidence in Canada, supra, note 11.

[23]    R. v. Potts, supra, note 10, paragr. 18-19.

[24]    The law of evidence in Canada, supra, note 11.

[25]    The law of evidence in Canada, supra, note 11, p. 117-118.

[26]    R. v. Hawkshaw, supra, note 13, paragr. 35-36.

[27]    R. v. Hawkshaw, supra, note 14.

[28]    R. v. Molina, 2008 ONCA 212.

[29]    Id., paragr. 11-14.

[30]    R. v. McNamara, (1982) 36 O.R. (2d) 308 (C.A. Ont.).

[31]    R. v. Molina, supra, note 28, paragr. 13.

[32]    Ibid.

[33]    R. v. Garbarino, 2010 ONCJ 300.

[34]    Id., paragr. 2-4.

[35]    Id., paragr. 14.

[36]    Id., paragr. 20-21.

[37]    Id., paragr. 22.

[38]    Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boisvert, supra, note 17, paragr. 57, confirmé par R. c. Boisvert, supra, note 17.; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gangai, 2013 QCCQ 216, paragr. 26; La Reine c. Watters, C.Q., n° 500-61-351034-120, 11 septembre 2014, Bousquet, j.p.m, infirmée par Jugement dont appel.

[39]    Les règles de common law s’appliquent à titre supplétif : articles 60 et 61 du Code de procédure pénale, lesquels renvoient à l’article 8 du Code criminel; Voir également Conseil de bande des Mohawks de Kahnawake c. Québec (Procureur général), [1988] R.L. 563, 1988 CanLII 1306, paragr. 47 (C.A.).

[40]    Jugement dont appel, paragr. 20.

[41]    Voir note 39.

[42]    R. v. Garbarino, supra, note 33.

[43]    Baie-Comeau (Ville de) c. D’Astous, [1992] R.J.Q. 1483 (C.A.); Pageau Pouliot c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, supra, note 17; Granger c. Montréal (ville de), 2011 QCCS 6561; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Grob, supra, note 17; Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Gangai, supra, note 38; R. v. Grace, supra, note 15, R. v. Peterson, supra, note 16.

[44]    The law of evidence in Canada, supra, note 11, p. 165.

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