Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Immeuble MJ enr. c. Landry

2021 QCTAL 22142

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Longueuil

 

No dossier :

547675 37 20201202 G

No demande :

3128571

 

 

Date :

03 septembre 2021

Devant le juge administratif :

Robin-Martial Guay

 

Immeuble M.J. Enr.

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Gisèle Landry

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 2 décembre 2020, le locateur dépose une demande à l’encontre de la locataire.

[2]      La demande a été signifiée par poste recommandée; ce qui est admis à l’audience.

[3]      Le locateur demande au Tribunal qu’il soit ordonné à la locataire de se départir du chien qui est au logement malgré une clause d’interdiction de posséder un tel animal de compagnie prévue au bail et au règlement de l’immeuble.

Le contexte

[4]      De la preuve administrée à l’audience, le Tribunal retient les éléments pertinents que voici.

[5]      Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021 au loyer mensuel de 725 $ (Pièce P-1 en liasse).

[6]      La locataire habite depuis l’année 2001 le logement concerné; un logement de 4.5 pièces situé dans un immeuble locatif de 12 logements.

[7]      La locataire habitait seule jusqu’à l’arrivée de sa fille en août 2019.

[8]      La fille de la locataire est venue s’installer chez elle avec son chien nommé Caramel.

[9]      Constatant la présence d’un chien au logement concerné, le locateur a requis de la locataire, par lettre de mise en demeure datée du 29 août 2019 (Pièce P-2) qu’elle respecte la clause de son bail et celle du règlement de l’immeuble qui interdisent la présence d’animaux au logement concerné.

[10]   La locataire ignorant la mise en demeure du locateur, celui-ci a déposé une demande de résiliation du bail fondée sur le manquement de la locataire à ses obligations et du préjudice sérieux qui en résultait. (Pièce P-3).


[11]   Le 16 septembre 2020, Le Tribunal administratif du logement a rejeté la demande en résiliation de bail en raison de l’insuffisance de preuve portant sur le préjudice sérieux; l’un des deux éléments qui conditionnent la résiliation du bail (Pièce P-4).

[12]   Le 30 septembre 2020, le locateur qui constate que la locataire possède toujours un chien au logement, expédie une nouvelle lettre de mise en demeure à la locataire afin que cette dernière respecte son bail et le règlement de l’immeuble et se départisse de son animal sous peine de se voir ordonné la chose par le Tribunal administratif du logement (Pièce P-5).

[13]   Le 9 octobre 2020, en réponse à la mise en demeure, la locataire informe le locateur de sa décision de ne pas se départir de l’animal sans ordonnance du Tribunal.

[14]   Le locateur a donc déposé la présente demande en date du 2 décembre 2020.

[15]   À l’audience, le locateur reproche à la locataire de posséder un chien au logement concerné; ce qui contrevient à une clause du bail et du règlement de l’immeuble qui lie les parties.

[16]   La représentante de la locataire, l’occurrence sa fille Nathalie Grenier à qui appartient le chien nommé Caramel, ne nie pas la présence de son chien au logement de sa mère.

[17]   Le bail ainsi que le règlement de l’immeuble stipulent que les animaux sont interdits dans les lieux loués de sorte que le locataire « ne peut garder ni chiens, ni chats ni autres animaux quelconque… ». Aucune modification de cette condition du bail n'a été faite.

[18]   Les documents sont signés par la locataire et sa représentante à l’audience ne conteste pas sa connaissance personnelle des clauses en question.

[19]    En dépit de la demande du locateur de bien vouloir respecter la clause d’interdiction visant les animaux, la locataire et sa fille refusent toujours d’obtempérer à la demande du locateur.

[20]   La fille de la locataire qui appelle en vain le locateur à la clémence et à la tolérance fait valoir d’une part, que la présence de son chien au logement ne cause aucun préjudice à quiconque et, d’autre part, que sa présence est absolument requise en raison de son état de santé; faisant ainsi appel à la notion de zoothérapie.

[21]   Madame Grenier déclare qu’elle possède son petit chien depuis l’année 2008. À l’époque, celui-ci n’était âgé que de 8 mois. Il est aujourd’hui âgé de 13 ans et son espérance de vie est de plus ou moins 15 ans.

[22]   Et la locataire de décrire sa relation avec son chien Caramel comme suit :

« Mon chien, c’est toute ma vie. Il m’oblige à aller marcher; ce qui m’est très difficile en raison de mon obésité morbide, de mes multiples maladies et des douleurs permanentes dont je souffre. Autrement, je suis sans réseau social et sans ami. Il ne permet de jaser avec les gens qui s’arrête pour le complimenter lorsque nous marchons ensemble.

Il est amusant et c’est la seule chose qui m’aime et que j’aime sans condition.

Toute ma vie est marquée par de la violence physique et psychologique et je vous épargne les regards et remarques méprisantes et humiliantes ainsi que les insultes dont je suis victime au quotidien en raison de mon obésité morbide.

Mon chien, c’est mon ami, mon compagnon, mon confident, mon thérapeute, ma sécurité » de conclure Madame grenier.

[23]   Le locateur qui reconnait qu’il est difficile de ne pas faire montre de compassion à l’égard de Madame Grenier refuse malgré tout de consentir à la présence du chien au logement et pour cause dit-il.

[24]   Accordé un tel sauf-conduit à son chien Caramel si aimable et si précieux puisse-t-il être fait en sorte qu’il reçoit des demandes d’autres locataires de posséder un animal alors que tous les baux de l’immeuble sont frappés par cette interdiction.

[25]   Le locateur affirme que tous ses immeubles locatifs sont sans animaux et il n’accorde aucune dérogation à ces clauses d’interdiction de posséder un animal au logement.


[26]   « Une fois l’animal autorisé ou toléré, vous ne pouvez plus convaincre quelqu’un de s’en débarrasser et c’est compréhensif. Cela est sans compter que vous vous retrouvé avec des demandes par d’autres locataires d’avoir un animal au logement. Or, certaines personnes ont tout simplement peur des chiens d’où l’interdiction dans tous ses immeubles » dira-t-il en substance.

[27]   En défense, pour appuyer sa demande de dérogation à la clause d’interdiction fondée sur la zoothérapie, l’occupante et propriétaire du chien, Madame Grenier a déposé en preuve la liste des maladies dont elle est au prise (Pièce L-3) accompagnée de la liste des médicaments (Pièce L-2) qu’elle doit prendre au quotidien et qui lui sont prescrits par son médecin de famille, le Dr Stéphane Ouattara qu’elle doit voir sur une base régulière.

[28]   Le Dr Ouattarra est signataire de deux rapports médicaux, dont un premier daté du 1er juillet 2020 (Pièce L-3) et d’un second rapport médical qui lui, porte la date du 3 décembre 2020 (Pièce L-1)

[29]   Le rapport du 1er juillet 2020 fait état de ce qui suit :

« Objet :Nathalie Grenier (DDN: 26-08-1971)

À qui de droit,

Madame Grenier a de multiples problèmes de santé. Pour n'en citer que les plus importants, elle souffre notamment de:

1.    Fibromyalgie

2.    Arthrose lombaire et arthrose aux genoux

3.    Cholangiopathie obstructive en installation

4.    Syndrome du côlon irritable

5.    Obésité morbide

6.    Stéatose hépatique modérée à sévère (Foie endommagé - foie gras)

7.    Asthme

8.    Apnée du sommeil appareillée avec CPAP.

9.    Dysménorrhée (règles douloureuses)

10.  Lésions buccales en attente d'une évaluation en dermatologie

11.  Anxiété

12.  Hyperparathyroïdie

Comme décrit ci-haut, Madame Grenier est atteinte de plusieurs conditions douloureuses (#1, #2, #3, #4, #9, #10). À cause des douleurs, il est difficile pour elle de se mobiliser, que ce soit pour faire des courses ou pour se rendre à des rendez-vous médicaux. Pour se soulager, elle prend des doses élevées de narcotiques depuis plusieurs années. De plus, en raison du côlon irritable, elle doit adhérer à une diète plutôt restrictive, faute de quoi elle accuse davantage de douleurs abdominales. Qui plus est, elle doit utiliser un appareil CPAP la nuit afin de l'aider à mieux respirer.

Par ailleurs, Madame Grenier a des problèmes de santé qui nécessitent un suivi médical régulier puisque ces derniers peuvent s'exacerber rapidement. On pense notamment à: la cholangiopathie obstructive découverte il y a quelques mois, qui s'installe lentement et qui bénéficie d'un suivi en gastroentérologie; l'asthme pour lequel elle prend des pompes régulièrement; l'hyperparathyroïdie pour laquelle le niveau de calcium doit être surveillé avec des prélèvements sanguins.

Afin de bien traiter les maladies de Madame Grenier, il est nécessaire qu'elle demeure dans un milieu de vie stable. Or, Madame Grenier m'apprend qu'elle risque bientôt d'être évincée de son logement. Je suis d'avis que cela va beaucoup compliquer l'organisation de ses soins et risque d'entraîner une détérioration significative de son état de santé. »

[30]   Quant au rapport du 3 décembre 2020, le Dr Ouattarra adresse spécifiquement la question de la zoothérapie qu’il estime s’appliquer à la condition médicale de Madame Grenier.

[31]   C’est dans les termes que voici que le Dr Ouattarra écrit :

« A qui de droit,

Madame Grenier est atteinte de multiples problèmes de santé. Ceux-ci incluent la fibromyalgie, condition pour laquelle elle doit prendre de hautes doses de narcotiques. Elle souffre également d'anxiété de longue date. Madame prend des médicaments pour traiter ces différentes conditions, mais elle bénéficie aussi beaucoup d'une autre sorte de traitement: la zoothérapie.


En effet, madame Grenier possède un chien qui depuis longtemps contribue à l'amélioration de son bien-être lorsqu'elle est aux prises avec des douleurs ou de l'angoisse. Sans son chien, elle va perdre une source de support importante et risque de voir son état de santé se détériorer.

Par conséquent, l'animal de compagnie devrait demeurer avec Madame Grenier à l'intérieur de son logement. Lui interdire de garder son chien serait comme lui retirer un médicament nécessaire à sa condition de santé. »

[32]   Quant à la longue liste de médicaments que doit prendre Madame Grenier en raison de son état de santé, le Tribunal, par déférence envers Madame Grenier, se limitera à signaler le fait qu’ils sont au nombre de 13 sans en indiquer le nom de chacun.

[33]   En sus, des rapports médicaux du Dr Ouattarra, madame Grenier a fait témoigner Madame Manon Barette qui exerce la fonction de travailleuse sociale depuis plus de seize années et qui travaille au département de Services de proximité pour un Hôpital de la Rive-sud.

[34]   Madame Barette affirme avoir reçu en entrevue Madame Nathalie Grenier à quelques reprises.

[35]   Le témoignage de madame Barette n’est pas appuyé d’un rapport d’expertise et celle-ci reconnait d’emblée ne pas avoir l’autorité ni la compétence lui permettant de statuer sur la santé d’une personne puisque celle-ci est une compétence exclusive au docteur en médecine.

[36]   Madame Barette affirme néanmoins que Madame Grenier ira là ou son chien ira puisqu’ils sont en symbiose depuis plus de dix ans. Chacun dépend de l’autre. En pareil cas, elle estime que Madame Grenier représente un risque élevé de devenir une personne en situation d’itinérance si son chien doit quitter le logement puisqu’elle ne réussit pas à se trouver un logement qui convient à ses handicaps en lien avec ses maladies et son problème d’obésité et ce, malgré des efforts soutenus.

[37]   Pour sa part, le locateur estime que le rapport du 3 décembre 2020 est un rapport médical de complaisance qui a été obtenu dans le seul but recherché par madame Grenier; celui de faire reconnaître que son chien lui vaut le traitement qui correspond à la zoothérapie.

Droit applicable

[38]   Le Tribunal applique, au cas sous étude, l’enseignement tiré d’un jugement de la Cour du Québec[1] en matière d’interdiction de possédé un animal en vertu d’une clause d’interdiction prévue au bail liant les parties:

« [42] Ainsi, il est maintenant bien établi que la clause d'interdiction de posséder un animal n'est pas en soi déraisonnable (Art. 1901 C.c.Q.) ni contraire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

[43] La tolérance du propriétaire de la présence d'animaux n'équivaut pas non plus nécessairement à une renonciation à l'application de la clause d'interdiction, mais peut, dans certaines conditions, être invoquée avec succès par le locataire pour faire déclarer la clause saris effet, par exemple une tolérance constante et généralisée d'animaux dans l'immeuble.

[44] Lorsque le propriétaire demande la résiliation du bail pour motif de la présence d'animaux malgré la clause d'interdiction d'en posséder, il doit prouver un préjudice sérieux (Art. 1863 C.c.Q.).

[45] Toutefois, si le locateur ne demande que l'expulsion de l'animal, c'est-à-dire l'exécution en nature de l'obligation prévue à la clause du bail, il n'aura pas à prouver l'existence d'un tel préjudice. Il lui suffit de démontrer la violation de cette clause du contrat.

(...)

[64] Ce n'est donc que si la preuve permet de conclure que le locateur subit un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail, par le fait de son locataire de posséder un animal en contravention d'une clause de celui-ci, qu'il y a lieu d'accorder sa résiliation. » 

[39]   Tel qu’indiqué dans l'extrait de la décision ci-dessus reproduite, lorsque le locateur demande une ordonnance d'exécution en nature de l'obligation de son locataire de respecter l'interdiction de posséder un animal, son fardeau de preuve réside dans une preuve prépondérante du défaut du locataire de s'exécuter et de respecter la clause d’interdiction qui vise l’animal. Il n'a pas à établir l’existence d’un préjudice que cause l'inexécution du locataire.


[40]   Pour autant, il est bien établi par une jurisprudence majoritaire au sein du Tribunal administratif du logement[2] qu'un locataire peut établir que cette clause est déraisonnable au sens de l’article 1901 C.c.Q. en prouvant que la présence de son animal a une utilité thérapeutique (zoothérapie) et que l'application de la clause d'interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique.

[41]   En corolaire, il vaut de rappeler les prescriptions de l’article 1901 C.c.Q. qui édicte ce qui suit :

« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.

Cette clause est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible. »

[42]   Quant à la qualité de la preuve qui doit être présentée par le locataire dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 1901 du Code civil du Québec, l'honorable Jacques Tremblay de la Cour du Québec mentionne ce qui suit dans l’affaire Bilodeau[3]:

« Dans le cadre de l'article 1901 C.c.Q, la possibilité pour un tribunal de juger une obligation déraisonnable pour un locataire ne se limite pas au cas où il existe une preuve médicale. La Régie pouvait tenir compte de l'ensemble des circonstances qui étaient mises en preuve devant elle. »

[43]   Dans l’affaire Berniqué[4], l’honorable juge Claude Montpetit, J.C.Q. dresse une liste de circonstances dont le Tribunal administratif du logement peut prendre en compte dans le cadre de l’examen d’une demande d’exonération fondée sur l’article 1901C.c.Q; circonstances auxquelles fait référence l’honorable juge Tremblay précédemment cité, comme suit : 

« (25) Le Tribunal est également d'avis, comme le juge Tremblay, que le Tribunal administratif du logement peut tenir compte de toutes les circonstances entourant la possession de l'animal comme :

a)    l’adoption de l'animal depuis 2011 au vu et au su des autres locataires;

b)    l'absence de plaintes concernant les odeurs, le bruit ou la simple présence du lapin;

c)    le bien-être et le réconfort que procure la présence de l'animal à madame Berniqué ;

d)    la démesure d'une demande d'expulsion fondée sur la présence de l'animal;

e)    le besoin thérapeutique de celle-ci d'avoir un animal de compagnie dans un contexte de solitude et d'isolement;

f)     le préjudice affectif et psychologique qui découlerait de l'obligation d'avoir à se départir de son animal de compagnie depuis presque dix ans;

g)    l'animal (lapin nain) a pratiquement atteint la fin de son espérance de vie.

[44]   Quant au fardeau de preuve qui incombe au locataire qui demande à bénéficier de l’exonération de la clause d’interdiction de posséder un animal en vertu de l’article 1901 C.c.Q., l’honorable juge Gabriel De Pokomandy de la Cour du Québec s'est prononcé comme suit dans l’affaire Office municipal d'habitation c. Luce[5] :

« [73] Dans l'optique d'une demande d'exécution en nature, le locataire qui demande l'annulation d'une clause ou la réduction de l'obligation devra assumer le fardeau de preuve.

[74] Étant donné que la ligne de démarcation entre l'agrément que procure le simple compagnonnage d'un animal et le besoin thérapeutique d'un locataire de la présence de son animal (zoothérapie) n'est pas toujours facile à tracer, il faut une preuve médicale pour établir qu'on est bien dans la deuxième situation, la seule qui permet de réduire l'obligation découlant d'une clause d'interdiction.

[75] La locataire doit donc se décharger de son fardeau d'établir que la présence de l'animal a une utilité thérapeutique, et que l'application de la clause d'interdiction du bail lui causerait un préjudice affectif ou psychologique qui rendrait cette clause déraisonnable dans les circonstances particulières du dossier.


[76] La décision dont on demande la permission d'appeler nous apparaît avoir accepté une preuve en deçà de ce qui semble être la règle établie par la jurisprudence et ne semble pas avoir pris en compte les conditions dans lesquelles les tribunaux ont permis la présence d'un animal aux fins d'une zoothérapie. »

Discussion

[45]   En l'espèce, la locataire a signé librement un bail comportant une clause interdisant expressément les animaux. Cette clause est tout aussi opposable aux occupants du logement.

[46]   C’est en toute connaissance de cause qu’elle est devenue locataire d’un immeuble interdisant les animaux.

[47]   Le locateur exige le respect de cette clause, ce qui est son droit. En l’espèce, le locateur demande une ordonnance de se départir de l’animal au logement concerné.

[48]   Certes la locataire n’ignore pas l’engagement qu’elle a valablement contracté. Dans les faits, la locataire n’a jamais eu d’animal au logement et n’a jamais contrevenu à son bail depuis qu’elle habite le logement, soit en 2001.

[49]   C’est de façon fortuite qu’en août 2019, la locataire s’est retrouvée avec un animal au logement lorsqu’elle a dû prendre en charge sa fille Nathalie qui s’est retrouvée à la rue et en situation d’itinérance, après avoir été évincée de son logement au terme d’une reprise du logement par son locateur.

[50]   De la preuve médicale et des témoignages empreints d’émotions que la locataire a livrés avec une sincérité indéniable, le Tribunal juge que la présence au logement du chien prénommé Caramel répond, chez madame Grenier de ce que la zoothérapie procure à une personne dont l’état de santé physique et mentale est fragilisé et affublé de certaines maladies.

[51]   Autant dire qu’en l’espèce, la relation entre la locataire et son petit chien en est l’expression puisqu’il est indéniable que ce petit chien lui sert de puissant remède sans effets secondaires indésirables que le destin lui a prescrit sur sa route et qui lui permet d’endiguer ses problèmes de santé, plus particulièrement ceux chroniques générés par un passé relativement troublant, marqué par de la violence, des quolibets et du mépris souvent en lien avec son état d’obésité morbide.

[52]   C’est aussi, faut-il rappeler, l’opinion de son médecin de famille, le Dr Ouattarra.

[53]   La conclusion contenue au rapport du Dr Ouattara ne peut être ignorée et balayée du revers de la main comme le suggère l’avocate du locateur.

[54]   Ce rapport ne saurait être qualifié de complaisant lorsque l’on sait qu’il est contemporain et qu’il vise une patiente de longue date du Dr Ouattarra qui, de ce fait, à titre de médecin de famille de Madame Grenier, connaît très bien sa situation et sa condition médicale.

[55]   Que le Dr Ouattarra communique son opinion de médecin traitant dans son rapport est, nous semble-t-il, l’accomplissement de la mission d’un tel rapport médical.

[56]   Difficile de reprocher au Dr Ouattara de s’être acquittée de son devoir envers sa patiente de lui émettre, dans son rapport du 1er décembre 2020, son opinion médicale quant à la relation d’aide de son chien dans les termes que voici:

« Par conséquent, l’animal de compagnie devrait demeurer avec madame Grenier à l’intérieur de son logement. Lui interdire de garder son chien serait comme lui retirer un médicament nécessaire à sa condition de santé. » (Notre surlignement)

[57]   Cette conclusion, pour le moins éclairante, contenue au rapport du Dr Ouattarra n’est pas le fruit d’une demande de la locataire de lui faire un rapport attestant une telle conclusion ni un rapport qui rapporte les propos de la locataire, mais bien d’une opinion médicale fondée sur sa connaissance pointue de l’état de santé de sa patiente et de la valeur thérapeutique de son animal.

[58]   Certes, en l’espèce, la preuve par admission témoigne de l'inexécution d'une obligation de la locataire, soit le respect de la clause d’interdiction de posséder un animal au logement stipulé à son bail ainsi qu’au règlement de l’immeuble.

[59]   Pour autant, la locataire ainsi que les occupants à qui, elle autorise l’accès au logement, peut être exonéré de l’application de cette interdiction en raison du caractère abusif ou déraisonnable de cette interdiction selon l’article 1901 du Code civil du Québec, eu égard à son état de santé et à la valeur de traitement ou de thérapie que représente la présence d’un animal au logement.


[60]   En l’espèce, il ne fait pas de doute pour le Tribunal qu’il serait déraisonnable et contraire à ce que requiert l’état de santé de Madame Grenier et à ce que son médecin de famille préconise et prescrit, que celle-ci ait à se départir de son chien pour répondre de la clause d’interdiction prévue au bail.

[61]   Cette clause d’interdiction de posséder un chien au logement impose à la fille de la locataire une obligation qui, en tenant compte des circonstances, est déraisonnable et, incidemment, est inopposable à la locataire puisqu’elle lui causerait un préjudice affectif, psychologique et physiologique. En pareil cas, l’obligation qui en découle s’en trouve nulle ou réductible conformément à l’article 1901 C.c.Q.

[62]   C’est là dire que le Tribunal juge que la partie locataire s'est déchargée de son fardeau d'établir que la présence du chien prénommé Caramel au logement concerné a une utilité thérapeutique et qu’il vaut de médicament à sa fille Nathalie Grenier; justifiant qu’elle soit exonérée de la clause d’interdiction de posséder un chien au logement de sa mère.

[63]    Par conséquent, le Tribunal conclut au rejet de la demande d’ordonnance du locateur et autorise la locataire à posséder et à garder un chien prénommé Caramel au logement concerné.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]   REJETTE la demande du locateur qui en assume les frais;

[65]   DÉCLARE déraisonnable et inopposable à la locataire, la clause d'interdiction de posséder un chien, prévue au bail et au règlement de l'immeuble;

[66]   AUTORISE la locataire à posséder au logement concerné, le chien de sa fille Nathalie Grenier répondant du nom de Caramel.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

Me Gabrielle Guérin, avocate du locateur

la mandataire de la locataire

Date de l’audience :  

3 août 2021

 

 

 


 



[1] Office municipal d'habitation c. Luce, C.Q., 2012-12-21, 2012 QCCQ 15422, SOQUIJ AZ-50926355.

[2] D.C. c. Berthierville (Office municipal d'habitation de), C.Q., 2012-02-15, 2012 QCCQ 1524, SOQUIJ AZ-50837713, 2012EXP-1292, J.L. c. Coopérative de l'Ébène, C.Q., 2004-11-30, SOQUIJ AZ-50285641, J.E. 2005-143, [2005] R.J.Q. 267, [2005] J.L. 57, Coulombe c. Dionne*, C.S., 1996-06-06, SOQUIJ AZ-96021588, J.E. 96-1489, [1996] R.J.Q. 1902.

[3] Bilodeau et Société en commandite Grande-Allée c. Chabot, 2021 QCCQ 2955.

[4] Manon Berniqué c. Office municipal d'habitation de Salaberry-De-Valleyfield, Cour du Québec, 760-80-003211-191 du 16 juillet 2021.

[5] 2012 QCCQ 15422.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.